Pérégrinations à travers les bois du management public

Serving the American Public: Best practices in Customer-Driven Strategic. Planning. National Performance Review. Federal Benchmarking Consortium – Study.
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Dans les bois de la gouvernance, je me suis promené Abdou Karim Gueye “We are going to make the federal government customer friendly. A lot of people don’t realize that the federal government has customers. We have customers. The American people” Bill Clinton

Excellence Gouvernance Etat Gouvernement

Collectivités locales Société civile confondues

Systèmes de planification et de gestion stratégique de la culture de performance, de la qualité… Marchés

QuasimarchésEntreprises

SOCIETE ENTREPREUNEURIALE

ACTIVITES SOCIOECONOMIQUES (DEVELOPPEMENT)

Système d’information de gestion des défis organisationnels Critères de management : Efficacité. Conformité. Equité – Qualité Economie Efficience, - Ethique, etc. Système d’équité, d’intégrité, de transparence et d’obligation de rendre compte

Source schémas : Abdou karim et Papa Magatte GUEYE - Etude sur le Conseil national de développement des collectivités locales au Sénégal

-2REMERCIEMENTS Tout d’abord, merci à mon épouse Aminata GUEYE BA qui s’était plainte que je n’écrive pas certaines de mes idées et à l’Inspecteur d’Etat, le Dr. Mohamed Omar Ibrahim qui avait acquiescé à l’occasion de cette injonction ; ces mises en demeure m’ont sans doute motivé à achever cet essai. Merci à M. Mohamed Awalleh, Secrétaire d’Etat à la Solidarité nationale avec qui je partage tant de complicités intellectuelles et prospectives. Nos idées finiront par triompher un jour. Au Professeur Jacques Mariel NZouankeu qui avait accepté, il y a bien longtemps, de publier mon premier article sur le management public dans la Revue des Institutions Publiques Administratives du Sénégal (RIPAS). Je ne peux oublier mes anciens collaborateurs de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal où j’ai lu tant d’ouvrages et qui avaient accepté au cours des années 90 d’expérimenter avec moi une gestion axée sur les résultats et la méthode des centres de responsabilités. Merci aux Inspecteurs d’Etat et au personnel de l’Inspection générale d’Etat de Djibouti qui ont accepté de renouveler avec moi cette expérience et de se plier à mes idées quelque peu iconoclastes. Merci à l’Inspecteur d’Etat Osman qui a accepté de relire mon manuscrit et de porter à mon attention mes maladresses et mes insuffisances. A tous les djiboutiens qui ont accepté de me recevoir chez eux où j’ai finalisé cet ouvrage.

-3Préface « Beaucoup de gens ne réalisent pas que le Gouvernement fédéral a des clients. Nous avons des clients. Le citoyen américain. » Bill Clinton La raison-d’être de la gouvernance devrait être d’une part, d’améliorer la qualité de vie des citoyens, qu’ils soient des usagers du service public, des entrepreneurs du secteur privé, des opérateurs de la société civile et d’autre part, de fortifier leur capacité à développer davantage l’état de la Nation. Le rôle de gouvernance est ainsi d’apporter une valeur ajoutée, voire des impacts, aux objectifs institutionnels, économiques, socioculturels, technologiques ou autres. Ne faudrait-il pas alors toujours se poser les questions suivantes :  Que font les dirigeants ou que sont-ils entrain de faire en ce sens?  Que devraient-ils faire ?  Quelle valeur ajoutée en termes de performances atteignentils dans cette direction ? Car au fond, les citoyens et les acteurs d’une Nation sont surtout intéressés par les résultats atteints, voire par l’impact. Alors un défi est de vraiment les connaître, de cerner leurs besoins, leurs perceptions, etc. Cela peut sembler évident, mais difficile à atteindre, si l’on ne se pose pas les questions suivantes sur ces citoyens et acteurs:  Qui sont-ils vraiment ? Qui bénéficie des programmes et des activités ?  Quelle valeur ajoutée peut-on leur apporter ?  Comment s’assurer que cette valeur est apportée ? Comment apprécier et mesurer les performances en ce sens ? Pour les jeunes pays en voie de développement, il est certain que la compétition mondiale les invite à disposer de ce qu’il est convenu

-4d’appeler des « organisations de classe internationale1 », dont on a pu conclure qu’elles:  utilisent des moyens variés pour localiser et être à l’écoute de leurs clients;  se basent sur une planification stratégique qui conditionne la budgétisation et l’allocation des ressources ;  sont mues par des valeurs et des visions fortes, définissent ce qu’elles sont et où elles ont l’intention de se diriger ;  s’appuient, par une intention délibérée de leurs dirigeants, sur un système continu de planification stratégique qui tire profit d’un ensemble structuré de processus à tous les niveaux de l’organisation ;  développent la capacité de leurs membres à la planification stratégique et disposent d’un processus de communication, clé de réussite dudit processus de planification stratégique ;  utilisent des critères de mesure de la performance, corrélés à des incitations et à des récompenses, lesquels leur ont permis de mettre en place à tous les niveaux un système d’obligation de rendre compte ;  ont intériorisé une culture d’innovation en mettant au point un processus de changement orienté vers la clientèle, etc. » Changement ! Leadership ! Vision ! Ces termes, bien plus que des mots, sont importants, au réel. Rien ne se fera durablement sans eux, car penser que le système de gouvernance ou de management axé sur la performance, les résultats et la qualité est un exercice formel, voire quantitatif ou un formalisme, est un leurre. En fait, un grand défi est là, pour l’Afrique, car pour nous, les intellectuels et managers africains qui avons le privilège de vivre les 1

CF. Serving the American Public: Best practices in Customer-Driven Strategic Planning. National Performance Review. Federal Benchmarking Consortium – Study Report. February 1997

-5réalités, il est important de prendre de la distance et de les conceptualiser. De la sorte, les modèles, les idées et les concepts se nourrissent des réalités, la recherche allie le développement et l’action, et par une synergie, la pensée et l’action s’interpénètrent. Cet ouvrage se situe dans cette perspective d’un Auditeur, Inspecteur général d’Etat, féru de diagnostic, qui a aussi occupé des positions de direction, à un très haut niveau, par exemple de directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal, de Consultant international du système ONU-DESA-ACBF et de bien d’autres organisations. Ces positions ont constitué pour lui un observatoire de pays qu’il a visités, en voyage d’études ou en qualité de consultant international. Par les découvertes, les discussions avec des décideurs, des gestionnaires, des personnes en position de pouvoir, ses pérégrinations tentent de donner à la réalité du fait vécu et expérimental une vision systémique et conceptuelle. Découverte d’une variété de réalités organisationnelles, ensuite rassemblées. Les questions de l’ouvrage se déploient en termes de problématiques et de solutions : peut-on formaliser des concepts utiles et opérationnels sans une profonde intégration des réalités organisationnelles, des acquis conceptuels et des pratiques de management et de gouvernance ? Peut-on, au-delà des microorganisations, mettre en place un management stratégique intégré qui produit des impacts au niveau étatique ? Avec l’expérience et les pérégrinations de l’Auditeur et du consultant, au contact d’expériences qui réussissent ou échouent, une question fondamentale est la construction d’une vision et d’un projet d’excellence partagés, orientés vers l’impact et la gouvernance entrepreneuriale. Mais ce projet, en Afrique, pour l’instant, se heurte à des obstacles politiques, socioculturels, de gestion et de distribution des pouvoirs et des compétences, à la quasi-impossibilité factuelle et provisoire de prendre son destin en main. Il faut pour cela le courage et la lucidité de la marge de manœuvre qui permettent de penser par soi-même et pour soi-même, en restant ouvert aux autres, pour parler comme le poète Léopold Sédar Senghor.

-6En fait, ce qui intéresse l’auteur, c’est une vision systémique, le management, l’audit et la gouvernance devant former un tout, dans une perspective entrepreneuriale. Ce qui l’intéresse, ce sont la vision, la stratégie, la tactique en termes de choix organisationnels et de mise en œuvre, d’action, de résultats et d’impacts. Pour l’auteur, la gouvernance, c’est cela. En tout cas, elle aurait dû être posée en ces termes et non dans la perspective réductrice de la dichotomie gouvernance parlementaire, administrative, judiciaire ou autre. Ce faisant, les choix actuels dominants empêchent l’action, les résultats et l’impact et valident l’adage chinois que la vision sans l’action est inutile. Cet essai va dans ce sens. Qu’il s’agisse des organisations publiques, de la gestion des projets et des agences de développement, du management hospitalier, de la gestion électorale, des stratégies de gouvernance, en s’y promenant, l’Auditeur découvre la synergie faisable. Au cours des pérégrinations dans les méandres de la gouvernance, du management, de l’évaluation et de l’audit dans le secteur public, bien des leçons ont été apprises. Qu’est-ce qui marche bien ou ne marche pas ? Pourquoi ? Comment ?

-7SOMMAIRE

REMERCIEMENTS .................................................... - 2 PREFACE ................................................................... - 3 I. PEREGRINATIONS A TRAVERS LES BOIS DE LA GOUVERNANCE DU SECTEUR PUBLIC AFRICAIN. LEÇONS APPRISES .................................................. - 9 II.1. Un principe de succès - La stratégie de proximité ........... - 11 I.2.- Fortifier l’adhésion à un projet ......................................... - 13 I.3. Elargir et renforcer le réseau de partenarial .................... - 20 I.4. L’impératif du faire-faire ................................................... - 24 I.5. Pérégrinations à travers la stratégie d’image ................... - 25 -

II. S’EN SORTIR PAR DE NOUVEAUX DEFIS STRATEGIQUES ET ORGANISATIONNELS .......... - 29 II.1. S’en sortir par la planification et la gestion axée sur les résultats, les centres de performance, la culture de qualité, de résultats et d’impact ............................................................................................. - 29 II.1.1. Un impératif majeur et structurant – Une planification stratégique adéquate, mais au-delà axée sur les impacts ............. - 29  Lever les avatars et assumer les défis de la gestion stratégique, prospective et opérationnelle - 31  Assumer les défis de la planification et du management stratégique - 32  De la planification stratégique à la gestion organisationnelle- 32  Planification et gestion opérationnelles, pour l’action, les résultats et l’impact - 33 -

-8 Système d’information de gestion, tableaux de bord opérationnels de suivi et d’évaluation - 34 II.1.2. – De la légitimité de la conduite des programmes et de la maîtrise d’œuvre stratégique et du pilotage du changement, des programmes et projets .................................................................. - 35 Quelques éléments de stratégie en vigueur à Dubaï ............ - 37 Sous-système de gouvernance tactique et organisationnelle .. - 38 II.1.4. Une grande équation – Pour un impact durable, la nécessité de l’allocation prioritaire et efficience des ressources en direction des cibles .................................................................................................. - 41 Le défi de la gestion financière axée sur les résultats et l’impact ........................................................................................................... - 41 III.1. Du concept de gouvernance ............................................. - 49 -

III.2. CE QUE JE CROIS - UNE VISION AFRICAINE ENDOGENE ............................................................. - 52 III.2.1. L’impératif d’une gouvernance démocratique, entrepreneuriale et systémique ............................................................ - 52 III.2.2. Relecture des doctrines ....................................................... - 55 -

L’AUTEUR ................................................................ - 60 -

-9-

I. Pérégrinations à travers les bois de la gouvernance du secteur public africain. Leçons apprises Les diagnostics ne sont pas toujours favorables à l’Afrique. Pourtant il peut exister des cas d’excellence ; au-delà, ce qui est utile, c’est d’en tirer les leçons en termes de succès et/ou d’échec, de les rapprocher des modèles de performance et d’excellence ; ne pas copier forcément, mais s’inspirer, en faisant référence au credo de la créativité, de la pensée souple, même si toute une expertise internationale tend à imposer ses modèles. Pourtant, dans le passé, le droit d’inventaire, d’innovation et d’invention construisit les mutations décisives de l’histoire qui virent l’excellence basculer d’une terre à une autre, d’un continent à un autre. En fait, toute réalité a des contraintes, des limites, mais aussi des atouts et des potentialités. Par les voyages d’études et en arpentant les bois touffus de l’audit, des études et conseils dans le secteur public, l’on découvre les indices positifs ou négatifs de performance au niveau des services publics, des projets et d’agences les plus divers. L’on découvre aussi, notamment en y adjoignant un benchmark, dans des pays dotés d’une stratégie d’excellence, des principes de succès, d’échec et de pérennisation qui émergent, épars, se prêtant à synthèse, que l’on peut consolider en un modèle cohérent. S’affirme ainsi la force des mêmes principes qui ont permis l’émergence et la consolidation de pays de classe internationale ou à fort taux de croissance, à Dubaï, Singapour, Botswana, etc. Ces leçons apprises sont inventoriées ci-dessous, lesquelles concernent notamment la vision et la planification stratégiques, la gestion de proximité, le faire-faire, la culture de résultats, l’allocation efficace, efficiente et économe des ressources, la stratégie d’image, la mise en réseau. Les leçons ont été dégagées au fur et à mesure d’expériences vécues ou de la recherche-action, du benchmark, au gré de voyages en Afrique francophone, dans des zones où germent incessamment des projets, qui naissent, meurent, sont remplacés par d’autres alors que pourrissaient au soleil des magasins d’engrais inutilisés, des carcasses de véhicules qui ne pourront plus être réformées. Les

- 10 projets et les agences doivent-ils toujours renaître par d’éternels recommencements ? Si c’est le cas, qu’est-ce alors et finalement cette notion d’impact tant galvaudée ? Pourtant, c’est la pérennité qui fait le succès, la continuité d’une vision, l’espoir que le changement s’affirme. Elles ont aussi été dégagées au fur et à mesure des échanges avec des dirigeants de pays dont les performances sont utiles à l’analyse et à l’inspiration, à la volonté d’être plus que ce que l'on est. Etre, mieuxêtre, « plus qu’être », voilà une philosophie qui vaut la peine de suer, à partager, à vendre, à inoculer. Par quelle stratégie, persistance et courage ? Là est la vraie question ! Ce que l’on peut apprendre, à la lumière de l’expérience, des comparaisons, c’est un ensemble de principes simples, de bon sens, vantés par Osborne et Gaebler dans « Réinventer le Gouvernement. Comment l’esprit d’entreprise peut transformer le service public ? » et par Tom Peters et Waterman dans le Prix de l’excellence (Edition Dunod), appliqués magistralement par de nouveaux pays leaders comme Singapour, Dubaï. En les découvrant, émergent des convictions ; l’on peut alors progressivement donner forme au concept de gouvernance entrepreneuriale, formaliser la corrélation avec le management public, avec l’audit. L’on découvre que les acquis de l’Ecole et de la doctrine ne se fortifient réellement qu’avec l’expérience, l’expérimentation, la découverte des réalités, la recherche-action, à condition qu’il y ait une rétroaction entre la pensée et l’action, entre l’action et la pensée, par une synergie toujours active, par la volonté de dépassement des acquis. Une première leçon, c’est la stratégie de proximité, comme outil d’apprentissage, d’évaluation, d’autoévaluation, de mobilisation et de renforcement de l’adhésion.

- 11 II.1. Un principe de succès - La stratégie de proximité Gérer la proximité, impulser l’adhésion à un projet, renforcer et consolider des partenariats pour l’excellence, faire faire aux gens, diffuer une stratégie d’image, c’est déjà un pas vers la performance, vers la qualité, vers la mobilisation, sans lesquelles rien n’est possible. Un premier niveau reste la gouvernance démocratique, du moins dans certains cas2, et le style de leadership y afférant, contrainte critique de succès, d’excellence et de performance, contrainte majeure en Afrique, tant des gestionnaires et des dirigeants semblent préférer le pouvoir dur, les styles de leadership autoritaire ou tout au plus autoritaire bienveillant. Pourtant, peut-on lire souvent, dans maintes publications, que la gouvernance suppose l’existence d’un processus de développement participatif et de coopération avec les organismes de la société civile et du secteur privé, un environnement institutionnel dans lequel les groupes bénéficiaires, les citoyens, les agences gouvernementales doivent interagir entre eux, du fait de l’interface entre les secteurs public et privé, de la décentralisation, de la responsabilisation des gouvernements locaux, de la coopération avec les organismes non – gouvernementaux. Souvent, on y ajoute l’importance du degré d’implication des populations, du Parlement, des ONGs3, voire de la société civile et du secteur privé et la nécessité de mécanismes de mobilisation pertinents. En réalité, le management des organisations, depuis ses origines, fait état de tels impératifs et l’a développé dans de multiples doctrines. Cette stratégie de proximité est par exemple une des dimensions du marketing.

2

CF. à cet égard les nuances que nous introduisons et relatives au management de crise, à la discipline des citoyens et à l’esprit civique plus loin dans cet ouvrage. 3 Organisations non-gouvernementales

- 12 Système d’équité, d’intégrité, de transparence et d’obligation de rendre compte Culture de performance et de qualité Systèmes et outils de contrôle de gestion et de contrôle interne

Conformité Efficacité, Efficience Economie

Equité Ethique

Système d’audit, d’évaluation et de contrôles permanents…

En fait, le management traite ces principes depuis longtemps, en distinguant le leader dictatorial, du leader autoritaire bienveillant, du leadership consultatif et du leader participatif4. On trouve également dans cette discipline, bien des concepts qui prônent la délégation, la négociation et la communication fructueuses, de type gagnantgagnant. Maslow aura aussi mis en évidence ce besoin d’appartenance, d’estime de soi, de reconnaissance, présent chez tout individu. Les modèles d’excellence ont également vu le jour, par exemple ceux du Balbridge Crieria Framework, de la Fondation Européenne pour le Management de la Qualité, le modèle d’efficience en Grande Bretagne, etc. Une dimension commune est l’orientation envers les clients, en somme des résultats pour ces clients et la création de valeur ajoutée. C’est aussi l’importance accordée aux ressources humaines. Dès lors la stratégie de proximité doit traduire en objectifs et en procédés de gestion de tels impératifs. 4

Se reporter aux travaux de Kurt Lewin, Blake et Mouton, Argyle, Rensis Likert, etc., sur les styles de commandement et le leadership.

- 13 Au gré des pérégrinations, la stratégie de proximité s’est révélée efficace, lorsqu’elle était appliquée au sein de l’entité elle-même, en interne et à l’externe, au niveau de l’environnement, des acteurs, des parties prenantes. C’est ce qu’un doctrinaire du management appelait « le management baladeur », celui du dirigeant près de ses troupes, des usagers, des citoyens, qui rend visite, s’informe, s’ouvre aux autres et à leurs avis, apprend pour ensuite formaliser. A l’évidence, il est presque impossible de mobiliser des gens qui n’ont rien à gagner. Appliqué à l’Afrique, ce qui est en jeu, c’est un obstacle immense lié à la conception que bien des gens se font du pouvoir, de ses attributs, de sa finalité. La proximité suppose l’humilité, un certain degré de dépersonnalisation, la primauté à l’apport d’une valeur ajoutée, une autre forme de leadership qui fortifie l’adhésion à un projet d’excellence. Changer l’ordre des choses commande une prise de conscience, à cet égard. La gouvernance des organisations repensée et entrepreneuriale, c’est avant tout la science et la pratique du management, l’affaire de leaders visionnaires, de managers et des créateurs de valeur, voire de richesse. Mais encore, faut-il être capable de fortifier l’adhésion à la vision, aux projets. I.2.- Fortifier l’adhésion à un projet Projet, vision, ambition commune et partagée, autant de termes pour un même objectif. Les doctrines du management et de la planification stratégique ont depuis longtemps formalisé maints aspects y relatifs. A cet égard, il faut avant tout de la vision et le management a déjà créé de nombreux outils, notamment de planification stratégique, en se référant par exemple à la méthode du Balanced scorecards (Tableaux de bord prospectifs). En somme, les modèles prônés ne sont pas nés ex-nihilo. Cet outil est par exemple tantôt compris comme un système de gestion des performances, tantôt comme un système de mesure des performances, utilisé pour ajuster la vision et les missions aux besoins des clients, aux activités quotidiennes de gestion, pour gérer, évaluer les stratégies, suivre le degré d’efficience

- 14 des opérations et pour communiquer avec tous les employés5. L’origine remonte aux années 906 ; à l’époque, Kaplan et Norton optent pour une démarche tendant à équilibrer les questions financières et non financières, avec un outil, le tableau de bord prospectif. Au fond l’idée sous-jacente est que la performance ne se mesure pas seulement sur la base de critères financiers, voire quantitatifs ; il existe aussi des intangibles qui sont tout aussi importants et qu’en fait, les indicateurs financiers et les comptes sont trop tournés vers le passé. La méthode constitue ainsi une tentative d’approche intégrée pour le pilotage et l’évaluation des performances, en mettant en relation divers axes et perspectives ciaprès : - financier, reconnaissant l’impératif d’apporter une valeur aux actionnaires, le besoin de l’optimisation des ressources, des achats ; - client, consacrant le besoin de satisfaire et de fidéliser lesdits clients, l’apport de services en quantité et qualité appropriées, au bon moment, au bon endroit, avec des éléments de mesure comme le chiffre d’affaires ; - les processus, c’est-à-dire l’efficience et la manière de travailler, avec des éléments d’ordre organisationnel, notamment le réenginiering et la mise à niveau des procédures, les délais et le temps ; - l’apprentissage, comme élément de développement du potentiel de l’organisation et de ses ressources humaines. Au total, à côté des deux axes, financier et processus, la méthode invite à accorder de l’importance à deux autres axes, les clients et l’apprentissage, à définir des objectifs, les critères de mesure, des cibles ou étapes, voire le degré de réalisation escompté, ainsi que des initiatives ou des actions à mettre en œuvre. Une question pertinente est celle de l’applicabilité du modèle au secteur public. En effet, la Adaptation Howard Rohn, Director of the balanced scorecard Institute. CF. - Travaux de Drs Robert Kaplan (Harvard Business School) & David Norton (A new way of strategic management. What to measure to balance the financial perspective. 5 6

- 15 notion de clients semble plus complexe dans le secteur public, celle de stakeholders (parties prenantes) ayant un poids décisif. Selon les cas, il s’agit d’un usager, d’un citoyen, d’un contribuable. Mais lorsqu’il s’agit des entreprises publiques à vocation commerciale, le terme reprend toute sa signification. Aussi, le modèle a-t-il été adapté, de plusieurs manières, selon les entités. La méthode comporte certains avantages de clarification d’une part, des missions et de la contribution que les membres d’une organisation sont censés apporter pour réaliser la mission prévue et d’autre part, de l’obligation de rendre compte.

Financier Actionnaires Secteur public - Impact Clients Secteur public : usagers, citoyens, électeurs, contribuables

Vision

Question pertinente : comment les actionnaires les citoyens, usagers perçoivent-ils l’entreprise ? Quelles performances à leur profit ?

APPRENTISSAGE ET CROISSANCE Question pertinente : comment les clients, les usagers, les citoyens, le électeurs perçoivent-ils l’entreprise, le service public, l’entité ?

Objectifs

Processus Question pertinente : Moyens requis pour l’atteinte des objectifs et la réalisation de la vision ?

Mesure

Cibles

Quels processus sont requis pour une gestion de l’excellence, la réalisation des objectifs au profit des actionnaires, des citoyens, des usagers et des clients ?

Initiatives

- 16 Une conclusion, c’est que l’axe financier n’est pas la clé de voûte de la performance, la stratégie de leadership est essentielle, même si au demeurant toute stratégie a un coût. Des facteurs ou des leviers importants demeurent ainsi la vision, le leadership, véritables ressources organisationnelles, mais aussi l’aspect social et humain. La force de tels axes sera découverte lors des pérégrinations dans les services publics, les projets et agences d’excellence. Alors s’impose que l’adhésion à un projet, levier stratégique d’efficacité et d’efficience, dépend de la capacité de leaders et des gestionnaires à définir et à développer un cadre global de concertation avec les ressources humaines, les hommes d’affaires et le secteur privé, les postes d’encadrement supérieur, les populations et les organisations communautaires. A travers les pérégrinations, c’est l’une des leçons apprises, en découvrant par exemple l’idée de plateforme érigée en une sorte de charte de base entre un projet et les populations, permettant de définir et de mettre en œuvre des principes de collaboration et de périodicité des rencontres. Par cette méthode, il a été reconnu l’impératif d’une stratégie de proximité orientée vers le réajustement continu des actions, des projets et des programmes publics, pour fortifier l’adhésion et l’implication des partenaires, des acteurs et des bénéficiaires. En terme de management, toute la question est de savoir comment rendre opérationnelle une telle démarche. Au cours des pérégrinations, à travers les bois de la gouvernance, il est apparu que chaque fois que des résultats appréciables ont été atteints, prévalait une stratégie explicite visant à fortifier l’adhésion des populations et des cibles aux objectifs. C’est là un peu la pensée de Charles Garfield : « L’adhésion à un projet est la source de haute performance7 ». Et l’on découvre que les projets crédibles intégraient et valorisaient le savoir et la participation des ONGs, de leurs agents, des associations et des regroupements, dans le processus de planification, d’exécution et de suivi-évaluation des projets. Ils savaient mettre en action une stratégie d’écoute des cibles, reconnaissaient qu’ils existent pour elles. Ils ont été capables de définir une stratégie explicite et formalisée de valorisation des parties 7

CF. Charles Garfield – Haute performance – Editions Lattes - 1986

- 17 prenantes à la réalisation d’une finalité de l’action publique ou d’un objectif économique, social et culturel. L’on découvre aussi que la réussite passait par l’humilité, la satisfaction du besoin d’appartenance, de reconnaissance de soi, des autres, devrait-on dire, dont parlait Abraham MASLOW, source de motivation, vecteur de leadership. La question pendante devient alors comment ériger ces principes en support global de gouvernance entrepreneuriale pour des résultats et des impacts économiques et sociaux, au profit des citoyens, de la société civile entrepreneuriale, des contribuables et des usagers. En fait, l’existence d’un leadership qui déclenche les énergies, consolide la foi que ce qui est entrepris est certes difficile, mais demeure vital. Et alors un défi sous-jacent est comment constituer une chaîne d’acteurs laquelle crée à son tour une chaîne d’excellence. Par une telle stratégie, toute une synergie a été construite, par exemple, à Dubaï, entre le gouvernement et les hauts fonctionnaires, entre ceux-ci et la société civile entrepreneuriale pour identifier et assumer les grandes initiatives, en discuter et entreprendre, par la suite, sans hésitation et avec courage. Le modèle d’excellence prôné en Australie rappelle l’importance de l’implication et de l’engagement des ressources humaines, la nécessité de politiques, de pratiques et de stratégies devant contribuer à la réalisation du potentiel des ressources humaines, à mobiliser leur enthousiasme, la participation. Ce modèle et ceux qui lui sont similaires plaident la nécessité de valeurs au profit des parties prenantes, de la diversité par la capacité de l’organisation à créer et à fournir de la valeur à toutes les parties prenantes, pour le dirigeant et la haute direction, la nécessité de jouer des rôles de leaders modèles et d’appui permettant à l’organisation toute entière de donner la pleine mesure de son potentiel. On est alors au cœur du leadership qui suppose stratégie et planification, par ailleurs une gestion du développement des ressources humaines, des partenariats consentis, la gestion des processus et du changement. Mais le changement est dur et dès lors, l’une des dimensions du leadership devient alors le courage, la résolution et la confiance en soi.

- 18 Leadership, vision et communication constituent ainsi les trois mamelles de la mobilisation des énergies, des aiguillons qui stimulent la créativité et l’innovation. Leadership

Orientation vers les ressources humaines excellentes

Management par l’exemple

Communiquer avec les gens

Construire la confiance des gens en eux-mêmes Se rendre accessible et visibles les performants

visible, rendre gens

Au total, la grande question est la capacité du leadership à généraliser, à divers niveaux, l’adhésion à un projet commun et partagé d’excellence, quasi-impossible, sinon tout à fait impossible :  sans un management par l’exemple qui accrédite que « le temps de la récréation est finie » et qui consolide la confiance en soi, aux autres, à la vision, au projet, aux leaders ;  sans une alliance avec des ressources humaines capables d’excellence et de résultats ;  sans un engagement constant et estimé irréversible à assumer le changement, ses contraintes et ses épreuves, car à un instant donné, tous n’ont pas intérêt au changement. Mais, en Afrique, la personnalisation occulte, parfois ou presque partout, en tout cas pour le moment, tout effort, en ce sens. Le « leader » ne construit pas fortement la confiance des gens en euxmêmes, ne rend pas forcément visibles les élites performantes. Il veut rester seul au-devant de la scène. Il ne construit pas cette confiance, car il veut le rester, et lui seul, de telle sorte que la vision, à supposer qu’elle soit définie, n’est jamais totalement comprise, voire partagée. En fait, le leader performant doit pousser les gens au-delà de leurs capacités latentes ou potentielles. Mais à un moment donné, les gens exigent les preuves effectives du changement, car beaucoup de gens

- 19 ne croient qu’à ce qu’ils voient ; et quand les preuves sont évidentes et ainsi quasi-incontestables, le grand lot des sceptiques rejoint le mouvement. Mais alors les bois morts et tous ceux qui n’y ont pas intérêt, ces irrécupérables continueront de maintenir le statu-quo tant qu’ils pourront ; en fait seuls des innovateurs et des précoces adhèrent au début, et de façon décisive, au mouvement et à la gestion du changement. Cette voie qui consiste à fortifier l’adhésion à un projet est plus difficile ; elle suppose de passer d’une approche strictement technocratique axée sur les processus, voire sur les intrants, à la responsabilisation, à un pari sur l’obligation de rendre compte et à des partenariats sur l’Excellence, à admettre que sans appropriation tout sera difficile. La question centrale, c’est alors le leadership, divers partenariats pour l’excellence, la performance, les résultats, la qualité. Leadership Culture organisationnelle

Appropriation

Restitution de l’information sur les performances

Processus

R E S U L T A T S

Impacts

Mise en œuvre - Action

Mais alors, comment élargir le réseau partenarial, exploiter les synergies, réveiller les talents et les gisements de productivité ? Assurément, une incontournable !

question

importante

et

difficile,

mais

- 20 I.3. Elargir et renforcer le réseau de partenarial Une des dimensions des modèles d’excellence est le partenariat. L’ACDI8, en définissant la gestion axée sur les résultats, rappelait quelques grands principes et éléments dont « le Partenariat qui suppose la participation des intervenants (approche bottom-up9 et top-down). En se référant à la définition de l’excellence donnée par la Fondation Européenne de Management de la Qualité, « l’excellence est une pratique remarquable de management d’une organisation et de réalisation des résultats … qui se fonde sur (…) des partenariats basés sur des avantages réciproques, la responsabilité sociale de l’entreprise10. » Sur le terrain, une découverte, c’est l’efficacité et l’efficience de l’élargissement et du renforcement d’un réseau partenarial, prix de l’innovation et de l’apprentissage endogène, qui libère, fait assumer progressivement son destin, par : - la mise en place de consortium, dans certaines zones, par des bailleurs de fonds et des projets locaux qui regroupent les services régionaux, des ONG, des GIE, des groupements villageois pour la gestion d’une ou de plusieurs composantes, soit agricoles ou hydrauliques, soit d’autopromotion rurale, permettant aux services régionaux classiques de reconquérir une légitimité perdue que les riches projets financés par les bailleurs avaient obérée11 ; - la prise en compte de l’intervention des services locaux qui ont ainsi apporté leur savoir-faire aux comités inter villageois, fortifiant ainsi le réseau de solidarité entre les agences et les projets encadrés par les bailleurs et les services classiques en régie ;

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Agence Canadienne de Développement International. Approche qu’on peut traduire mot à mot “de bas en haut, et de haut en bas”, en somme une combinaison de l’approche ascendante et descendante… 10 CF. Glossaire de la Fondation Européenne pour le Management de la Qualité. 11 La gestion par projet a enlevé toute légitimité à certains services publics, ce qui pose l’urgence de l’appui ou de dotations budgétaires, lesquels commandent la restructuration vers le « small government », la construction et la consolidation d’un système de management, de contrôle de gestion, de gestion axée sur les performances, de contrôle interne, d’un partenariat pour l’Excellence, la Qualité, les Résultats, l’Ethique et la Transparence, avant toute allocation budgétaire en ce sens, par l’Etat, les donateurs et bailleurs de fonds… 9

- 21 - la délégation d’activités aux organisations de base renforçant la gestion participative, en leur confiant des tâches rémunérées de maintenance d’ouvrages, de démultiplication des semences, de gestion de paquets technologiques, de travaux d’intérêt public, d’aménagements, etc., tout en donnant aux populations concernées la possibilité d’effectuer des évaluations périodiques, par exemple, au niveau de comités villageois ou autres, habilités, à cet effet. Au total, les stratégies ci-dessus, lorsqu’elles ont été résolument appliquées, ont permis de démultiplier la synergie des efforts, d’informer et de responsabiliser les acteurs qui désormais concourent à la réalisation d’un même but, qui les concernent. Car après tout, ce qui importe, ce sont les résultats et l’impact, et à cet égard, l’art de la stratégie, c’est aussi d’exploiter les synergies entre éléments en interrelation. Elles ont aussi permis d’utiliser, voire de mobiliser des ressources humaines, lesquelles, autrement, seraient léthargiques, en marge de stratégies, de politiques et des projets définis au sommet, par des technocrates, bailleurs ou donateurs face à la pénurie de moyens. Le revers, source d’inefficience, d’inefficacité, c’est la non pérennisation de projets qui disparaissent, remplacés au besoin par d’autres, sans pour autant que les problèmes que lesdits projets étaient censés résoudre ne disparaissent à jamais, situation en partie due à l’absence ou à l’insuffisance de stratégie de proximité et d’implication. Dilemme de l’après-projet qui suppose des capacités endogènes de se prendre en charge ou à défaut la reconduction d’autres projets. Mais est-ce une finalité de toujours reconduire, de toujours recommencer ? En somme, l’objectif stratégique majeur, c’est l’auto-capacité qui devait être l’alpha et l’oméga des politiques publiques, des partenariats internationaux, l’impact durable et la finalité. Question impossible à résoudre, sans une stratégie audacieuse de création de richesse. Pour celui qui a bien compris ses cours de stratégie, le management à cet égard invite à exploiter les opportunités et celles-ci existent, pour parler comme quelqu’un, sous forme de gisement de productivité, d’inventivité et de créativité. A cet égard, les cadres logiques sont intéressants, mais ils ne sont que des outils de gestion ; derrière, se meuvent des êtres, dont la culture de l’excellence, des résultats et le

- 22 sens des défis, constituent les plus sûrs garants de l’excellence. La gestion par les résultats invite à « réveiller les gisement de productivité qui sommeillent en chacun d’entre nous ». Une des leçons du management des organisations, bien comprise, c’est la coexistence de systèmes, à la base des outils de gestion ou d’analyse, quasiment de façon transversale des fonctions de gestion, par-dessus et l’englobant, la stratégie. Mais pour réveiller les énergies endormies ou somnolentes, le management par l’exemple constitue un levier de crédibilité. Qui croirait à une vision, à une série de missions et d’objectifs stratégiques lorsque le manager au sommet n’est pas crédible, n’est pas engagé et ne parvient pas à donner la preuve de son intégrité ? Peu de gens. Pour un manager, stratège, il s’agit ainsi d’orienter la performance, vers les résultats, l’impact, mais en restant informé. Dubaï exploite judicieusement cette stratégie et promeut toute sorte de forums, d’autres actions telles que les visites par surprise du Sheick au niveau des grands projets de l’Etat pour contrôler les progrès réalisés, un networking avec le secteur privé, les hauts cadres dirigeants, la sphère politique, lesquels communiquent sur de grands choix vitaux pour l’avenir. Exemple de stratégie partenariale Etat Monde des Affaires

Portefeuille stratégique de croissance et de développement durable Investisseurs étrangers et internationaux

Secteurs financiers, nationaux, entrepreneurs nationaux

- 23 Au cours des pérégrinations, il est apparu que lorsque les stratégies de proximité ou d’implications étaient inexistantes ou insuffisamment définies, en tout cas pour certains projets étudiés, la gestion s’enlisait dans une approche bureautique et technocratique. Elle devenait lourde et coûteuse ; elle privilégiait les tâches, les processus et les fonctions en régie. Planifier devenait un calvaire. Elle ne prenait pas en compte la possibilité de sous-traiter, de fairefaire au lieu de faire soi-même ; elle négligeait les avantages liés aux coûts d’opportunité. La culture ambiante risquait de s’enliser dans le « patrimonialisme », pour parler comme Medar12. Alors, l’on découvre que parfois, il faut savoir faire faire aux autres et par ce biais, l’on focalise plus facilement sa pensée et son action sur la stratégie, sur les objectifs stratégiques, sur l’évaluation et le contrôle. Mais faut-il aussi disposer d’hommes compétents capables d’anticiper, de faire et d’agir pour ne pas déléguer au chef l’action opérationnelle, pour ne pas toujours gérer la routine, pour ne pas s’enlier dans le quotidien. Très souvent aussi, à défaut de tels principes, le manager africain avait constamment l’impression que le projet, la vision, la performance et les impacts posaient une grande équation ; il passait alors son temps à se demander: « pourquoi ces gens qui m’entourent ont des difficultés à se concentrer sur des objectifs jusqu’au bout ? » Et on lui rétorquait : « ton management n’est pas africain ». On lui rappelait les cent alibis: « On n’y arrivera jamais, d’autres avant nous ont essayé et ça n’a pas marché, la loi ne l’a pas prévu, etc. » Est-ce vraiment là le lot du manager qui peut obtenir des résultats tangibles, fiables, vérifiables ? Faut-il se résoudre à la loi de Bennis Warren cet éminent professeur dont la littérature managériale consacre le terme de « pseudodynamisme » qui décrit ces gens qui font semblant de travailler… Ou aux conclusions du sociologue Diagne13 comme quoi il existe un dilemme entre « modernisation et modernité. » 12

Médar traite de la question du patrimonialisme …. CF. Article du Professeur Diagne dans la Revue Sciences Administratives et Management Public de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal : « Modernisation et modernité… » Paix et salut à son âme. 13

- 24 I.4. L’impératif du faire-faire En management, la prise en compte de l’alternative, de l’externalisation, du calcul des coûts d’opportunité est connue, depuis bien des années. La doctrine de la prise de décision rationnelle, celle des scenarii en management stratégique et opérationnel et la comptabilité analytique offrent aussi à cet égard bien des illustrations. Une leçon majeure, c’est la nécessité de prestations individualisables en direction des cibles et l’obligation pour le projet d’apprendre aux gens à faire eux-mêmes ou de les laisser faire lorsqu’ils en ont la capacité ou même lorsqu’ils n’en ont pas encore la capacité, car bien des leçons du management consacrent la vertu de l’apprentissage par l’erreur, et d’apporter des solutions originales aux problèmes de synergie. « Practice makes better », disent les anglophones ; « c’est en forgeant qu’on devient forgeron », renchérissent les francophones. Au cœur de ces voyages au sein des services publics et des projets, ceux qui étaient les plus performants avaient mis en place un système de gestion obligeant à de fréquentes réunions avec les partenaires, les organisations paysannes, les groupements d’intérêt économique, les services, par un réajustement constant des orientations, des programmes et des plans d’actions. Par ce processus itératif, d’ajustement stratégique et organisationnel, les gestionnaires acquerraient une légitimité, acceptaient d’apprendre de leurs véritables mandants, ceux pour qui et pour quoi ils existent et travaillent et de recevoir leurs approches critiques et d’écouter, quitte à arbitrer souverainement. Cette option n’est pas toujours facile à réaliser, par exemple en Afrique, lorsque : - le leader s’érige comme la seule référence, personnalise son pouvoir, sélectionne des « affidés » et mise sur la stratégie d’alliance pour une meilleure maîtrise du pouvoir, lequel devient ainsi la seule finalité ; - le projet n’est finalement qu’une extension de l’agence de développement qui l’organise en fonction de ses exigences de

- 25 système d’information, des activités des coordonnateurs, chargés et directeurs de programmes ; - les managers eux-mêmes n’ont pas intériorisé les valeurs et le code de conduite de la haute performance, des capacités suffisantes d’analyse stratégique ; lorsque rien ne les différencie des leaders précités, avec les mêmes comportements d’alliances, d’accaparement ; - le personnel d’appui attend des ordres et ne dispose pas des ressorts psychologiques pour s’auto-responsabiliser, participer aux initiatives, proposer, assumer et partager un projet, des objectifs, une vision. L’alliance stratégique précitée dont il est cas n’est pas facilement réalisable, par exemple dans le contexte africain de compétition politique où des dysfonctionnements sont possibles, si la conquête du pouvoir s’accommode de bien des compromis, l’essentiel étant d’arriver à ses propres fins, l’accès ou le maintien au pouvoir, aux privilèges, aux facilités. La grande question est alors le possible déploiement d’un leadership qui fortifie l’adhésion à un projet partagé d’excellence, à un certain nombre de valeurs centrales sur la république, au déploiement d’un réseau partenarial, à la délégation assortie de l’obligation de rendre compte. I.5. Pérégrinations à travers la stratégie d’image En fait, tout ce que vient d’exposer notre Auditeur n’est pas sans rappeler ce qui se passe au niveau international, avec des pratiques et des critères dominants de bonne gouvernance, lesquels tournent autour d’options stratégiques, de critères et de sous-critères plus ou moins résumés ici et que les Etats et les administrations publiques s’efforcent de mettre en œuvre. Un premier objectif est sans doute la recherche de la qualité de la gestion publique. Pourtant, en pratique, c’était souvent l’image d’institutions et d’établissements peu attrayants et vétustes, soumettant les usagers à des délais d’attente, parfois à des queues interminables. On se plaignait aussi des groupes électrogènes qui ne marchaient pas, épiphénomènes des réformes qu’il fallait mener, car l’Auditeur doit distinguer et comprendre les symptômes, les causes et les conséquences qui donnent l’illusion

- 26 d’avoir compris un problème. Fréquenter certains d’entre eux, était une épreuve à laquelle l’usager devait à contrecoeur se soumettre. L’on est loin de la théorie de Herzberg lorsqu’il distingue les facteurs de démotivation tels que les facteurs d’hygiène non satisfaits et de ceux ayant trait à la motivation, par exemple la responsabilisation, les conditions de travail, etc. L’on est loin aussi de ce que Dubaï considère comme un impératif stratégique de performance, en optant pour des travailleurs dits « happy people », par une stratégie de valorisation des employés. C’est aussi le cas à Singapour, avec le PS21, encore à Dubaï, avec les centres d’excellence, au Botswana avec la réforme des services publics axée sur le renforcement des capacités de leadership, etc. Pour l’auditeur, au-delà des symptômes et des épiphénomènes, il fallait une reconquête d’une légitimité perdue, comme la doctrine le soutenait, aux premières lueurs du management public, à la recherche de sa voie, lors de ses premiers balbutiements : légitimité perdue, crédibilité à reconquérir, par exemple au niveau de la qualité de vie à l’hôpital, de ses modes d’organisation, de l’accueil, de tout élément qui valorise et humanise l’institution et son image de marque. Légitimité, crédibilité et image de marque vont de pair, dut-il se résoudre à admettre. Cette option requérrait le volontarisme qui pouvait aller jusqu’à la prise de mesure d’aménagement paysager, l’amélioration du cadre de vie au travail, des mesures de retour aux sources des doctrines de gestion des ressources humaines, avec l’apparition des écoles sociales et de celles des relations humaines, un meilleur zonage des propriétés et infrastructures, etc. Volontarisme ! Lui vint en mémoire les conditions de mobilisation des énergies et de consolidation du volontarisme : une vision partagée, un projet mobilisateur, un management orienté vers les résultats et la performance, la planification stratégique, en ces temps-là, concepts nouveaux et contestés dans cet univers du secteur public. L’auditeur eut alors à se poser certaines questions qui lui parurent pertinentes. Peut-on réaliser une telle stratégie de légitimité et d’image sans mobilisation des travailleurs investis d’objectifs explicites ? Peut-on y parvenir sans susciter la proximité de l’hôpital par rapport aux malades ? Sans assurer leur insertion harmonieuse, leur donner les sentiments d’appartenance et de réalisation d’eux-

- 27 mêmes, dont parlait Abraham MASLOW, par des conseils appropriés, des visites conviviales ? Le constat, c’était la césure entre la fonction d’accueil, de sécurité, d’insertion des malades, l’usager pouvant perdre la perception d’évoluer dans un espace humanisé où l’on s’efforce de maîtriser le degré de satisfaction. Le management s’y intéressait, en impulsant la méthode de l’analyse des parties prenantes, en prônant l’analyse des perceptions et besoins, le marketing social, etc. Aussi, pensait-il, il fallait accorder une urgence prioritaire : - à la mise en place de services sociaux, lorsqu’ils n’existaient pas, à des enquêtes auprès d’un échantillon de patients et d’usagers, notamment par des questionnaires simples, dans les chambres, à l’accueil ; - sur cette base notamment, à la consolidation d’un système d’information de gestion publique hospitalière. C’était en ce moment la conviction que la stratégie d’image, qui est aussi stratégie de satisfaction des usagers, constituait, à ses yeux, un levier, un pari sur l’efficacité et la crédibilité s’il était retenu des objectifs pertinents en matière d’accueil et de traitement des besoins, soutenus par des mesures adéquates d’investissement en :  apportant des réponses appropriées aux contraintes d’hygiène, de sécurité des personnes et des biens, d’efficacité dans le travail et de satisfaction des usagers - citoyens ;  ancrant dans l’imagerie populaire l’effectivité d’un service public moderne, proche de ses usagers ;  créant des services de maintenance, en développement à l’époque, mais en les responsabilisant davantage, au niveau des procédures, du choix du matériel, des acquisitions et réceptions des équipements ;  dépassant le stade de la maintenance curative pour une maintenance préventive, selon un échéancier prévisionnel formalisé à l’avance ;

- 28  plus globalement, en encourageant le développement en amont et en aval, d’entreprises locales de maintenance hospitalière et la vente des pièces détachées. En réalité, tout ceci n’est pas simplement valable pour l’hôpital, mais aussi pour les politiques et programmes publics, et les financements. La stratégie d’image, c’était en l’occurrence, en terme de « marketing- management », ce concept du célèbre professeur Kotler, un marketing différencié, une orientation vers les cibles, avec au besoin des tarifs différenciés, et notamment une gamme plus large et plus profonde. Au-delà, elle s’insère dans une stratégie de gestion de la qualité.

- 29 II. S’en sortir par de nouveaux défis stratégiques et organisationnels II.1. S’en sortir par la planification et la gestion axée sur les résultats, les centres de performance, la culture de qualité, de résultats et d’impact En arpentant les bois des services publics et des projets, l’on finit toujours et quelque part, par s’interroger sur l’efficacité des partenariats de l’ordre international et la prise en compte endogène des services publics d’Etat, en l’occurrence les projets, la vision existante, les agences de développement, les services hospitaliers et de santé. Certes, sur cette efficacité, chacun à sa manière en disserte, la communauté internationale, les experts des Etats adeptes du nouveau management public, les donateurs, des bailleurs et des Auditeurs d’Etat et l’on parle alors de réformes axées sur la qualité, l’efficacité et l’efficience du service public. Les objectifs sousjacents sont multiples et commandent une démarche structurée qui n’est efficace que si celle-ci s’appuie sur un processus efficient et formalisé de planification stratégique. II.1.1. Un impératif majeur et structurant – Une planification stratégique adéquate, mais au-delà axée sur les impacts Très souvent, la littérature mise sur la pertinence des réformes de la fonction publique et le développement des capacités, comme les vecteurs de la bonne gouvernance dite efficace ou caractérisée autrement. L’on met alors en évidence « l’impératif de bonnes capacités de gestion, d’influence, les aptitudes du gouvernement à formuler et à mettre en œuvre des politiques incluant la gestion du changement et à s’acquitter des fonctions qui leur incombent… » Sur le terrain, les découvertes ont plus de sens et de profondeur que ces formulations, intéressantes en soi, mais difficiles à opérationnaliser au-delà de strictes considérations doctrinales. L’une des leçons est l’impératif d’une planification stratégique adéquate orientée vers le succès, la vision et la mobilisation des énergies. Mais l’on a peur de l’impact et par des artifices, on lui substitue les résultats immédiats parfois appelés outputs ou extrants.

- 30 Cette planification stratégique remonte à des temps maintenant bien anciens. A cet égard, on a pu dire de la stratégie qu’elle est « l’art de la guerre », qu’elle consiste « à savoir où aller et comment y aller ». Ramenée à la sphère des organisations, il apparaît bien qu’elle décline une vision. La question centrale, sous l’angle du management des organisations publiques, qui se pose en termes de résultats et d’impacts, c’est celle du rôle d’un Etat et d’organisations publiques stratèges, capables d’influencer la sphère et l’environnement socioéconomiques. Dans le contexte de certains pays, en particulier de l’Afrique, pour le moment, l’Etat est le stratège des mutations, ce qui ne signifie pas d’ailleurs que concomitamment des acteurs, des innovateurs du secteur privé et de la société civile entrepreneuriale n’existent pas et n'aient pas leurs rôles à jouer. Mais l’efficience d’une croissance planifiée, en phase avec les mutations technologiques, scientifiques ou autres, commande une alliance stratégique, sous la conduite de l’Etat. En fait, les constats et les leçons apprises correspondent à un mouvement résolu au niveau international. En effet, le monde de la gestion publique a profondément évolué, depuis les années 80-90, avec:  en 1993, aux Etats-Unis, le développement de la gestion gouvernementale axée sur les performances et les résultats (le Government Performance Results Act14 ) ;  l’audacieuse réforme de Margaret Thatcher en GrandeBretagne lorsqu’elle se décida à réformer les services publics, en consacrant la politique appelée « Next Step »15 ;  le développement de la méthode des centres de responsabilité qu’avait expérimentée Michel Rocard, dans le cadre de la politique de modernisation de l’administration ;  l’expérimentation des agences autonomes au Canada, avec les ajustements ultérieurs relatifs aux politiques et aux pratiques de gestion axée sur les résultats au Canada ; Loi sur la Performance et les Résultats à l’échelon gouvernemental Ces réformes sont largement et décrites en détail dans mon ouvrage « Gouvernance entrepreneuriale et Modernisation des Etats » - Manuscrit.com 14 15

- 31  bien des expériences similaires, en Nouvelle - Zélande, à Singapour, à Dubaï, au Botswana, en Australie, etc. Pour nous, africains, plus que des outputs, nous avons besoin d’impacts.  Lever les avatars et assumer les défis de la gestion stratégique, prospective et opérationnelle Un modèle intégré demeure possible par une approche qui s’appuie sur la séquence Mission X Vision X Stratégie, plus ou moins formalisé ci-après.

Mission

Vision

Stratégie

Planification Stratégique Opérationnelle Organisationnelle

Gestion et optimisation des ressources

Objectifs

Initiatives

Système d’information de gestion des performances

Actions Ressources

Lever les défis de la gestion stratégique, prospective et opérationnelle se justifie à maints égards, et l’on ne peut s’empêcher de penser à la sagesse chinoise : « il n’y a pas de vision sans stratégie, la stratégie sans l’action est inutile… » Assumer les défis de la gestion stratégique, prospective et opérationnelle, c’est le prix à payer pour plus d’efficacité et d’efficience…

- 32  Assumer les défis de la planification et du management stratégique Il s’agit d’allier la planification stratégique globale et celle locale, un peu, comme disait quelqu’un : « penser globalement et agir localement ». Désormais, pour avancer, il faudra utiliser des outils d’analyse comme le PEST, le benchmarking, les cadres logiques, la planification stratégique, etc. Mais en fait, la question centrale est en effet celle des buts et des finalités, qui doivent être explicités et affirmés, dès le début du processus de gouvernance et des réformes. Or, ceci requiert une série de diagnostics plus professionnels, sous forme d’audits stratégiques, de la culture du secteur public, organisationnels, des processus et de l’optimisation des ressources, etc. Ce dont il s’agit, c’est de décliner une stratégie, communément définie comme « la trajectoire ou l’art qui consiste à savoir où aller et comment y arriver. ». La méthode de la concertation participative est utile, voire incontournable, mais elle a besoin d’être enrichie par des travaux d’experts et de professionnels. Par la gestion stratégique résumée ci-dessus, le processus déclinerait alors : - une nouvelle vision endogène globale de la gouvernance et des réformes, mais une vision partagée, intériorisée, des valeurs majeures, par exemple sous forme de chartes ; - la démarche stratégique requise, le format des plans stratégiques, communément intitulés plans de modernisation, projets stratégiques, voire projets organisationnels, etc.  De la planification organisationnelle

stratégique

à

la

gestion

Elaborer et arrêter une stratégie n’est qu’une étape, car celle-ci doit se poursuivre en tirant les leçons des ajustements organisationnels que requièrent les contours et les objectifs de la nouvelle stratégie. Le management des organisations offre plusieurs outils : le réenginiering, les matrices de responsabilités, la mise à niveau des processus, l’audit organisationnel, les systèmes d’information et de suivi, etc. Ce défi organisationnel pose la question des outils et des méthodes que le bon gouvernement, efficace et entrepreneurial, qui

- 33 produit des résultats tangibles, devrait utiliser, dans une optique de rationalisation et de déconcentration, pour fortifier la confiance des citoyens et des agents publics à mettre eux même en œuvre les plans, les objectifs et à agir. Il s’agit donc de rendre disponibles un savoirfaire, un savoir-être, en somme des habiletés et des compétences, pour lever les défis liés aux politiques et aux stratégies de modernisation. Penser de façon stratégique, formaliser la vision et les objectifs et instituer des méthodes, cela ne suffit guère, il faut aussi l’action.  Planification et gestion opérationnelles, pour l’action, les résultats et l’impact Penser, oui, agir aussi, faire des résultats, amener les actions jusqu’au niveau des cibles et des parties prenantes ! Très souvent des projets consomment la quasi-totalité des ressources sans qu’elles n’atteignent de façon durable et effective les cibles. La contrepartie obtenue par le contribuable, le citoyen, le pauvre, n’est que fiction. Que de projets pensés et financés qui en Afrique n’ont pas atteint les cibles, avec des ressources et des consommations intermédiaires lourdes, ne laissant que des résidus aux bénéficiaires. Autant de défis de la planification opérationnelle. Or, jusqu’ici, les mesures ont consisté en des idées générales, très peu ou pas toujours opérationnelles. A travers les bois touffu de la gestion de projets, ce qui est également en suspens, c’est bien un management opérationnel de mise en œuvre. Pour ces raisons l’audit de type Value for money, pour identifier la contrepartie obtenue en fonction d’un franc investi est nécessaire. Pourtant, en tirant les leçons des expérimentations et expériences internationales crédibles, on peut reconstituer une logique applicable :  la nécessité d’une approche décentralisée et déconcentrée, ce qui n’exclut pas la coordination et l’animation par une structure compétente;  des programmes sectoriels ou spécifiques aux entités du secteur public, par exemple dans le cadre de programmes pluriannuels de modernisation (Cas de la France), de Plans stratégiques des opérations de modernisation (Canada, Etats-Unis),

- 34 un processus de gestion de la performance (Cas des Etats-Unis – Government Performance and Results Act), un mouvement de déconcentration assorti de la délégation des pouvoirs (GrandeBretagne – Civil Service Reform, en 1978). Penser, s’organiser, agir, mais aussi maîtriser l’information sur les performances et l’action !  Système d’information de gestion, tableaux de bord opérationnels de suivi et d’évaluation Penser globalement, mais agir localement. Certes, mais il faudra aussi, évaluer, contrôler, s’auto-évaluer. Or, il est évident que bien des gens refusent les contrôles et les évaluations, s’ils n’ont pas confiance en eux ou se tournent les pouces, parce que le système n’offre pas une vision et des défis enthousiasmants. Une culture de gestion de la performance et de ses propres performances, quel enjeu pour l’Afrique ! Pour avancer, des efforts soutenus sont nécessaires pour mettre au point un système délocalisé de gestion de la performance, notamment orienté vers les résultats, en synergie avec les objectifs stratégiques et opérationnels. Globalement, un processus contemporain devrait ainsi, par divers outils déjà cités, décliner un système de gestion et de compte-rendu des performances, avec ses indicateurs. Un défi majeur, c’est la mise en place d’une vision systémique et cohérente. Une série d’impératifs doit aboutir à déconcentrer la mise en œuvre des programmes de gouvernance, à définir des objectifs opérationnels de mise en œuvre, à renforcer la maîtrise des meilleurs outils et pratiques de la gouvernance stratégique et du management public contemporain. C’est le seul moyen d’aller vite, dans un laps de temps raisonnable, sinon, sans passer par cette voie, le processus pourrait durer bien des décennies, à supposer qu’il soit parachevé.

- 35 II.1.2. – De la légitimité de la conduite des programmes et de la maîtrise d’œuvre stratégique et du pilotage du changement, des programmes et projets La légitimité est l’une des mamelles du succès. Et alors, il est très peu probable que des experts ou dirigeants ne soient des sources d’impact si au demeurant ne sont pas résolues les questions de leadership et de la légitimité, deux facettes d’une même médaille. Alors, un grand défi, c’est ainsi d’instituer une maîtrise d’œuvre du changement escompté par des instances appropriées et légitimes, capables de définir les scénarios des évolutions escomptés. De toute façon, sans instruments stratégiques, organisationnels et/ou opérationnels de pilotage, un programme pourrait s’avérer vain, sans extrants palpables, à terme. Ceci suppose l’acquisition et la disponibilité d’une expertise par la formation, certes, mais aussi par la normalisation, ce qui assurera l’effectivité d’outils appropriés et la codification des bonnes pratiques. En outre, il est plus réaliste, pour avoir une chance de réaliser, dans un horizon temporel, par exemple 5 ou 10 ans, de transférer ce savoir-faire aux administrations, pour en faire les véritables pilotes des composantes qui les intéressent, si elles ne l’ont déjà. Un problème demeure la légitimité de la conduite du programme, décision politique, à prendre au plus haut niveau de l’Etat. Mais bien plus, peut-être que pour nous pays africains, il s’agit de faire la synthèse de telles options. Enfin de compte, la question est la suivante : l’Afrique peut-elle vraiment réussir un projet d’ambition commune en ce sens ? Le processus de réformes, dans une perspective de modernisation, n’y a pas pu disposer ou y a rarement disposé d’outils de mise en œuvre, de manuels de gestion des processus et d’un cadre stratégique et opérationnel, à cet effet. Il prévaut l’impression d’un processus toujours recommencé qui n’a pas irrigué l’ensemble de la sphère administrative et ses composantes sans l’implication desquelles une nouvelle politique ne peut pas réussir : les agents publics et les unités administratives, les clients, les parties prenantes (bénéficiaires, citoyens-usagers.) Un projet d’adhésion à une ambition commune est l’un des plus grands obstacles. Par ailleurs, des questions importantes ne sont pas encore résolues, car la preuve n’est pas établie que l’on se réfère à

- 36 des critères opérationnels de mise en œuvre. Très souvent, il y a eu trop d’études, alors qu’il s’agit maintenant d’aller vers l’action localisée et ciblée, en somme vers la mise en œuvre. Encore, faudraitil confier cette mise en œuvre à des gens qui sont capables de l’effectuer et de les laisser travailler, sans embûches ni entraves. Qu’ils soient choisis parce-qu’ils sont capables de mener de tels projets à terme. Le problème demeure beaucoup plus complexe dans certains pays qui n’ont pas progressivement intériorisé une culture républicaine, formé une élite administrative à cet effet, réajusté les écoles d’administration ou les instituts supérieurs de management public aux enjeux de l’heure. Les difficultés susvisées sont tout aussi poignantes lorsque dans certains pays la culture partisane ou ethnique constitue un levier de nomination, de promotion, de négociation. Déjà, la Res publica y demeure une sorte d’illusion. Est-il alors possible de viser les enjeux d’une gouvernance similaire à celle décrite ici ? Par ailleurs, à l’échelon d’un pays, les méthodes stratégiques inventoriées peuvent s’avérer importantes et décisives, pour savoir où le pays en est, et sur cette base, savoir où aller ou que faire, à l’instar de pays comme Dubaï, Singapour… Par elles, on est parvenu, grâce à un leadership avisé, à créer et à instaurer les bases de l’émergence et de la croissance accélérée et rapide, incluant :  la maîtrise des secteurs et des positions stratégiques, leurs synergies potentielles ou réelles, à cet égard, la détermination d’une stratégie équilibrée de portefeuille, à court, moyen et long terme ;  un management par l’exemple, des valeurs d’intégrité, des stimulants qui récompensent et sanctionnent, une stratégie de visibilité des innovateurs et des précoces ou des gens excellents tout court, qui réussissent de bonnes choses, créent de la valeur ajoutée et de la richesse.

- 37 Quelques éléments de stratégie en vigueur à Dubaï Secteurs, projets en phase de naissance ou entrepreneuriale Question stratégique importante : Quels sont les créneaux pertinents et les niches sur lesquels miser, au niveau desquels le pays possède une compétence distinctive, qui ont des effets d’entraînement économique? Un savoir-faire qui peut transformer le pays en acteur qui ne subit plus ou pas les règles du jeu ? Sans lesquels l’innovation et la créativité ne mettent pas fin au statu-quo ? - Décoller coûte que coûte, créer à cet effet de la richesse à haute valeur ajoutée, les actifs et le patrimoine économique nécessaires. Libérer les secteurs qui ont un potentiel de développement, identifier les niches et les opportunités « porteurs » ou à compétence distinctive avérée. Sélection judicieuse des actifs et du patrimoine à haute valeur ajoutée, susceptible de croissance dynamique. Capacité des actifs et du patrimoine à se diversifier techniquement, au plan des services, au niveau géographique et à l’international. Stratégie de levée des contraintes infrastructurelles d’accompagnement (Routes, aéroports, ports, etc.). Créer les bases de départ ou d’émergence d’une infrastructure d’accompagnement de classe internationale. - Alléger - Débureaucratiser, simplifier les procédures, les structures, les circuits et les formalités. Créer et renforcer la culture entrepreneuriale, celle-ci doit être dopée et mobilisée autour d’un projet partagé. Créer une alliance stratégique entre l’Etat, les entrepreneurs, les épargnants et les financiers. Stratégie de croissance dynamique - Accélérer la croissance et le développement par la diversification technique, géographique, l’expansion, la rentabilisation, la compétitivité interne et internationale. Stimuler les actifs et le patrimoine national à haute valeur ajoutée. Stratégie diversifiée de portefeuille de produits, tout en se positionnant sur les créneaux du futur, pour ne pas tout le temps mettre en œuvre une stratégie de suiviste. Réseautage, ouverture au monde, hospitalité, internationalisation. Par une stratégie d’alliance, se positionner sur les créneaux d’avenir (économie du savoir, technologies, biotechnologies). Optimisation du réseautage, des partenariats. Consolider l’environnement pour un pays reconnu comme place financière internationale. Capacité à investir à l’international, avec les stratégies de rachat, de fusion, d’acquisition, etc. Atouts en termes de qualité et de coûts. - Renforcer la culture d’ouverture aux idées, à la science, à l’international, un environnement économique et socioculturel attractif et hospitalier. Débureaucratiser, simplifier les procédures, les structures, les circuits et les formalités. Rendre visibles et récompenser les personnels et les structures publiques et privées qui réussissent et apportent de la valeur ajoutée. Stratégie de maturité - Réinventer, Redresser, Réinvestir, Du sang neuf Secteurs en phase de maturité ou en déclin

- 38 Cadre de gestion stratégique et opérationnelle de la gouvernance Sous-système de gouvernance et de management des processus de gestion stratégique Vision et Projet de société

Plan stratégique de développement pluriannuel

Mise en œuvre de la vision, du projet et du Plan stratégique global

Agenda chiffré et daté

Séminaires au niveau du gouvernement

Système de gestion orienté vers les résultats et les performances

Conseils interministériels, présidentiels, etc.

Sous-système de gouvernance tactique et organisationnelle Intervenants : structures d’Audit et de Management du Processus. Fonds de Réforme d’Etat. Comité de Simplification des procédures, etc. Centres de performance et de responsabilités administratives. Plate-forme Gouvernance électronique Outils de gestion pour la mise en oeuvre - Manuels et guides de planification, de gestion, de contrôle, d’audit, d’évaluation, d’autoévaluation : stratégiques, organisationnels, opérationnels, des indicateurs de qualité et de performances, d’optimisation des ressources. Code de déontologie. Chartes de valeurs

Modules de formation pré-requis : Management public, Gouvernance et réformes administratives Management, suiviévaluation de projet… Leadership stratégique Management de projet

Sous-système opérationnel de mise en œuvre de la gouvernance stratégique Plans stratégiques ministériels de modernisation

Projets sectoriels de Gouvernance

Plans d’action et tableaux de bord

Coordination Séminaire annuel

Sous-système de suivi-évaluation - Monitoring, audit élargi intégré, etc. Structure d’audit et de management du Gouvernement Bilan annuel

Bilans périodiques, y compris devant le Parlement

Audits des performances

Post Evaluation

Méritocratie -Récompenser publiquement, par exemple, Prix de l’innovation et la recherche en gouvernance, centres d’excellences, awards, etc.

- 39 -

Au total, le credo de notre méthode repose sur les :  6A : Analyser, Agir, Atteindre, Apprécier, Aiguillonner Ajuster. 

5E : Efficacité, Efficience, Economie, Equité, Ethique.

 5 R : Ressources matérielles, Ressources humaines, Ressources financières, la Ressource Temps, Ressources informationnelles. Introduire et généraliser de telles réformes en Afrique n’est pas toujours évident, eu égard aux expériences vécues sur le terrain et aux arguments des sceptiques : « on n’était pas en occident », disaient-il. Mais sur ce terrain, l’Auditeur du secteur public qui ne conçoit pas son métier comme seulement un exercice d’évaluation, mais aussi un moment de recherche-action et au besoin de benchmarking, pourrait bien être amené à penser à la fameuse pensée de Léopold Sédar Senghor : « penser par nous-même et s’ouvrir aux apports fécondants de l’extérieur…, participer au banquet de la civilisation de l’Universel… » Prémonition avant l’heure ? En fait, le problème n’est pas d’acquérir des connaissances des autres, ni d’initier une attitude de suiviste, sur cette base, ni de se référer à un catéchisme, mais la capacité à les retraiter pour en faire un produit tangible, opérationnel, adapté. Et alors, seul l’africain peut le faire pour l’Afrique. L’évidence du benchmarking, c’est que depuis quelques années auparavant, l’on s’orientait vers presque partout vers:  la déclinaison d’une vision partagée, donnant un sens et une orientation concrète à la planification stratégique, opérationnelle, organisationnelle et une gestion axée sur l’optimisation des ressources, pour sortir du credo actuel d’un management basé sur des décisions ad hoc, tout au plus ancrées dans le court terme ;  la fixation d’objectifs de performance et de résultats, notamment par des contrats de performance, le renforcement de l’autonomie d’action des managers du secteur public, mais assortie

- 40 de l’obligation de rendre compte, notamment au moyen d’indicateurs et de système d’information de gestion des performances ce que faisaient déjà et bien avant les services publics non personnalisés, les projets audités;  un concept de ressources, pas seulement financières, axé sur les comptes et les finances publiques, mais aussi orienté vers l’optimisation des ressources humaines matérielles, financières et de la ressource Temps et corrélativement un ajustement de l’audit à ces évolutions, dont souvent de grands bureaux de vérificateurs, comme le Government Accountabilty Office16, ont été les précurseurs. En fait, ces évolutions affectaient, depuis 1951, l’audit dans le secteur public, en tout cas aux Etats-Unis, lorsque l’ex General Accounting Office, embourbé dans les pièces justificatives d’audit des comptes, décida de se réformer et publia son premier manuel d’audit intégré (Comprehensive Audit), suivi en cela par les canadiens. En outre sur le terrain, à l’intérieur des projets excellents auscultés, mais aussi en visitant les Etat qui réalisent une haute et rapide croissance17, l’on découvre des tendances similaires : toute la documentation de gestion était élaborée a priori, par exemple le plan stratégique de développement, des manuels de gestion et de procédures, le leadership était accepté et formalisé comme levier de performance, on pratiquait la gestion et l’évaluation axées sur les résultats… Bien souvent, les agents avaient compris, intériorisé et appliqué divers outils et méthodes de planification par les objectifs, de participation, voire de démarche itérative de résolution des problèmes et de prise de décision, de consolidation de la transparence au niveau de l’analyse et des processus de décision et de gestion.

Ex General Accounting Office dont l’évolution du nom traduit bien l’évolution des pratiques. 17 Voir l’excellent ouvrage de Jeffrey Sampler et Saeb Eigner – Du sable à la silicone. Réussir la croissance rapide. Leçons apprises de Dubaï. Editions Profile. 16

- 41 II.1.4. Une grande équation – Pour un impact durable, la nécessité de l’allocation prioritaire et efficience des ressources en direction des cibles



Le défi de la gestion financière axée sur les résultats et l’impact Dans la littérature, une question centrale est celle la transparence, de l’imputabilité du secteur public et des évaluations financières. En arpentant les bois de la gestion publique, l’Auditeur perspicace peut être amené à penser souvent que la tentation est grande de simplifier les problèmes, de les traiter par bouts, isolément. Mais s’il se réfère aux acquis de la science administrative et du management des organisations, il est censé prendre en compte le paradigme que la réalité est systémique. En fait, il est utile d’admettre cette démarche englobante qui postule qu’on ne peut traiter les ressources qualifiées d’intrants, vouloir les optimiser et obtenir la meilleure contrepartie possible en fonction d’un franc dépensé, sans miser sur cette approche. L’argent n’est pas ainsi la seule catégorie ressources : l’information, le matériel, les hommes le sont tout aussi autant. La ressource soumise à un traitement, une séquence, disent certains, débouche sur des résultats, des extrants, des produits, autant de termes voisins, presque similaires, pour la satisfaction d’un client, d’un usager, d’un citoyen. L’une des lacunes de la littérature sur la gouvernance, c’est l’approche non systémique des ressources, avec la primauté quasi-unilatérale de la ressource financière. Le visionnaire a en fait un esprit systémique, une rationalité englobante de synthèse, de prospective… Au cours des pérégrinations d’auditeur d’Etat, il apparaît, en ce qui concerne la gestion des ressources, que lorsqu’un projet de développement, censé résoudre un problème, néglige la participation et la concertation, il court toujours le risque d’une gestion coûteuse, d’une structure lourde, difficile à manier, de sureffectifs, de surinvestissements et de pertes d’énergie. Apparaissent alors, comme c’est souvent le cas, des projets aux programmes variés, qui veulent tout réaliser en régie, en s’appuyant sur leurs compétences internes. Ils acquièrent des gestionnaires, des administratifs, des planificateurs,

- 42 des services logistiques, des techniciens agricoles, hydrauliques, en horticulture, etc., des conseillers en gestion, des enquêteurs, des alphabétiseurs, des salles de dessins, des parcs de camion et de tracteurs, des magasins de pièces détachées, d’engrais et bien d’autres choses encore… C’est, dans ce parcours d’auditeur, sur le terrain, que l’on découvre ces effets de masse qui consomment les ressources, avec le risque que celles-ci n’arrivent pas aux destinataires finals : les bénéficiaires du projet. La planification devient exigeante, les taux de décaissement s’amoncellent et réaliser le planning dans les délais initiaux devient impossible. Ces options conduisent à négliger les règles et les pratiques d’une gestion structurelle, prévisionnelle du personnel, corrélée aux charges de travail et aux objectifs de programme. Aussi, naissent-ils des gaspillage, des agents qui utilisent la salle de dessin pour faire des plans sur décalque au profit de clients privés, de pièces détachées qui disparaissent ou qui ne seront jamais utilisées, des engrais qui pourrissent au dehors, au gré des intempéries, des moteurs de tracteurs ou de véhicules longtemps garés, en panne, etc. Certes, dans bien des cas, nos amis les bailleurs et donateurs ont aussi pris des mesures adéquates en terme d’extrants, mais inadéquates, en terme d’impact, de partenariats pour l’excellence, puisque une bonne portion des ressources est consacrée à des effets de structure, de dépenses d’études ou autres non affectables directement aux bénéficiaires, puisqu’un Chargé de programme se substitue au bénéficiaires sans être un expert des différents métiers de l’entité. Or, il y a une corrélation entre métiers et vision, lesquels doivent présider au déploiement des objectifs de l’apprentissage organisationnel, des résultats et des impacts. Par ailleurs, par une stratégie inverse, des projets ont pu aplatir les structures, les fonctions d’animation, de vulgarisation, de sensibilisation, par l’externalisation aux populations et aux bénéficiaires, à des agences et experts. L’on constate ce choix au niveau de certains Etats, avec ce qui est appelé « Small government ou lean government », à Dubaï, Singapour, au Botswana, etc. Au cœur des pérégrinations, l’on peut ainsi découvrir que des gestionnaires intelligents ont compris qu’une telle stratégie des effets de masse induit l’inflation des coûts et des structures, alourdit la vision et la visibilité des projets et des programmes, engendre un

- 43 système de planification complexe, pas évident à manier, la nécessité d’importants budgets de fonctionnement, de ressources humaines, matérielles, la difficulté de contrôler la productivité, lesquels obèrent la contrepartie obtenue en fonction d’une unité monétaire dépensée. Le Value For Money prôné par le National Audit Office de GrandeBretagne et l’optimisation des ressources deviennent des objectifs impossibles à atteindre. Et alors, tel Sisyphe, enjambant sans fin la montagne, le gestionnaire s’acharne à obtenir un impact qui s’est amenuisé tout au long du cycle de projet. Mais ce que constatait l’évaluateur d’Etat, c’était des services de maintenance, nés très souvent du constat d’un taux important d’immobilisation d’équipements médicaux. Par la suite, on s’était efforcé de leur donner une existence juridique et fonctionnelle, des budgets et progressivement, ils étaient apparus, dirigés par des ingénieurs et des techniciens supérieurs. Malgré ces progrès, des faiblesses subsistaient : - leurs budgets demeuraient faibles, absorbés par quelques interventions d’envergure, à la suite d’une grosse panne ou à la suite du remplacement d’une seule pièce coûteuse ; - le niveau des effectifs restait insuffisant par rapport aux enjeux de la qualité et du professionnalisme ; - des outils de gestion, non encore finalisés, étaient encore en expérimentation ; - la non implication dans la prise de décision, dans l’élaboration des cahiers de charge, la réception des équipements dont pourtant ils sont chargés d’assurer la maintenance. Les entités audités racontaient, qu’au moment de l’indépendance, cette fonction de maintenance disposait de corps de métiers spécialisés, par exemple des plombiers, des menuisiers, des électriciens, sans compter quelques techniciens supérieurs. Au fil du temps, des restrictions budgétaires, du gel des recrutements, des ajustements structurels, le niveau des effectifs et l’âge élevé des reliquats de personnels en activité, avaient fini par figer ces structures dans la démotivation et un amas de matériels en panne ou vétuste. Mais, lui rappelait-on, la maintenance était devenue plus

- 44 professionnelle, plus complexe, sous l’effet des évolutions technologiques. Il écoutait, apprenait des autres. Le mot audit ne venait-il pas du terme « audire » qui signifie écouter, entendre ? Il dut retenir, qu’à moyen et long terme, ce qui apparaissait, c’était le besoin d’une approche systémique, stratégique et globale, volontariste et soucieuse d’agir au moyen d’outils de gestion prévisionnelle des investissements et du renouvellement des équipements. En fait, la contrainte n’était pas seulement au niveau des ressources matérielles, mais aussi au niveau de l’efficience de la gestion des ressources humaines, du fait notamment de l’insuffisante disponibilité quantitative et qualitative d’agents. Elle était aussi dans la capacité à maintenir durablement les acquis pour ne pas toujours recommencer un processus apparemment jamais achevé. On est alors loin de la sagesse du philosophe chinois Lao Tseu « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours. » En ces temps-là, l’Auditeur découvrait la pénurie et la disparité de main-d’œuvre, affectant la motivation. Le chaînon manquant lui parut alors une stratégie de redéploiement en fonction des niveaux d’activité et des contraintes économiques et sociales des régions. Pourquoi ne procédait-on pas, à intervalles réguliers, à des évaluations pertinentes de l’allocation des ressources humaines ? L’idée d’une gestion prévisionnelle équitable lui revint en mémoire, car la gestion des ressources supposait de mettre fin à la disparité, en tenant compte des taux de fréquentation, de l’ampleur des phénomènes épidémiologiques ou autres. Elle imposait aussi de mettre au point des plans pluriannuels de renouvellement, dans le cadre d’une gestion par objectifs, fortement corrélée aux plans d’action et aux budgets. Au-delà des ressources matérielles, en arpentant par exemple les services publics hospitaliers, l’Auditeur finit par découvrir le dilemme et les contraintes de la gestion des ressources financières, des modes et des outils de gestion peu adaptés au contexte de services efficaces et efficients, aux besoins de productivité et d’impact. Les paradigmes du colbertisme, de la primauté d’une vision « taylorisante », de la bureaucratie wébérienne prévalaient,

- 45 même si déjà le management public en contestait bien des aspects. C’était un dilemme de la pensée critique, mais aussi des Etats confrontés à une demande sans cesse accrue : plus d’écoles, plus de kilomètres de routes bitumées, plus de sécurité sociale, d’emplois, etc. C’est le dilemme de la capacité de réinventer, pour sa survie, la croissance, l’émancipation créatrice de richesse. La réalité est là, ce sont la valeur et les richesses créées qui assurent la pérennité, gomme la pauvreté, et impulsent l’espoir et plus d’engagement. Dans ce contexte, l’Auditeur découvre que pour les hôpitaux, les allocations budgétaires demeurent en deçà de leurs besoins et que cela affecte la disponibilité en ressources, leurs capacités d’approvisionnement en produits pharmaceutiques, en intrants pour les laboratoires etc. Le cadre budgétaire demeure ainsi quelque peu rigide, ceci n’étant pas pour faciliter les choses, sous l’effet du sacrosaint principe de l’unité de caisse, de l’ordonnateur unique, etc. D’autres écueils demeuraient, par exemple une approche classique de comptabilité axée sur le suivi des engagements, qui excluait toute gestion des amortissements et de l’obsolescence, des modes de classification et d’imputation des dépenses qui ne permettaient guère de connaître les coûts d’activité. Il se rappela une phrase que lui avait dite un des employés de l’entité auditée : « la santé n’a pas de prix, mais elle a un coût. » Il se remémora aussi la panoplie des outils d’analyse et se décida à faire du benchmarking, cette technique d’études comparée des performances avec d’autres pays, d’autres entités et se mit à apprendre des autres. C’était là le lot d’un Auditeur contemporain et moderne du secteur public, voire même d’un manager, apprendre des autres, apprendre des meilleures pratiques, s’inspirer, se documenter, naviguer à travers Internet, rapatrier les connaissances difficiles à cacher, sous l’effet du web, décrire de façon statique et descriptive, dans une première étape, étudier de façon critique et dynamique, dans une seconde étape, résumer, rapporter. La méthode, à l’heure des nouvelles technologies, permet à l’Afrique de se libérer des modèles, des paradigmes imposés, d’inventer par la synthèse et l’esprit critique. Mais la laisse-t-on penser ? En fait, l’humanité est entrée dans une nouvelle ère de la connaissance et du savoir, tout africain spécialiste dans un domaine,

- 46 qui en a la volonté et le sérieux, peut faire jeu égal avec tout autre individu. En agissant de la sorte, l’on découvre bien des choses, que quelques pays expérimentaient ou avaient expérimenté depuis longtemps. L’on s’ouvre à la manière dont certains ou d’autres avaient résolu leurs problèmes. L’on apprend à faire sa synthèse endogène et plus appropriée que les pilules exogènes. Certains avaient mis en place une comptabilité analytique hospitalière ou un système de prix de revient des cliniques ou des prestations médicales. Il décida alors d’écrire leurs système, d’effectuer ce qu’on lui avait enseigné comme étant l’étape de la prise de connaissance préliminaire et de l’analyse descriptive. Ce qu’il découvrit, c’était le besoin de s’orienter vers la maîtrise des coûts d’activités spécifiques et vers la répartition des charges. Il n’ignora pas que ce serait à court terme une idée, un projet, à achever, à étudier en profondeur, lesquels demandaient bien des retraitements d’informations, coûteux en temps d’étude et d’apprentissage. Mais toute chose a un début, un processus, un chemin à parcourir, avant de voir le jour. La seule question qui lui parut importante était, à cet égard et à cet instant, comment avancer durablement, et :  découper l’hôpital en centres d’activités et de responsabilités ;  intégrer l’approche budgétaire et comptable, avec également une gestion orientée vers les résultats et les performances ;  mettre en place un plan comptable hospitalier pour s’y appuyer et arriver à déterminer différents prix de revient et coûts spécifiques ;  séparer sur le plan budgétaire les dépenses d’investissement et de fonctionnement ;  arriver à une approche fonctionnelle de la comptabilité et à une classification analytique des coûts, en suivant de façon pertinente les consommations d’intrants, etc. Il dut se résoudre à répondre à toutes ces questions en ayant en tête que seule l’approche systémique lui permettrait d’aboutir à une vision intégrée. Son angoisse était comment intégrer tous ces questionnements.

- 47 Les acquis du benchmarking le convainquirent que l’Etat wébérien et les sociétés futures devaient céder quelque peu des pans de leurs paradigmes, faire une concession, s’adapter et que si elles veulent progresser positivement, elles n’avaient guère le choix que de s’orienter vers la dynamique de planification stratégique, entrepreneuriale, vers une solidarité communautaire. Dès lors, les citoyens devaient participer aux efforts de financement des services publics, dans des proportions raisonnées, sinon raisonnables, miser sur une gestion compétitive des coûts au niveau international. Il avait à cet égard, découvert le concept de quasi-marchés, défendu celui de quasi-services publics qui ont des prestations individualisables. Peutêtre était-ce prématuré en ces temps-là ? Mais en fait, il faut toujours construire le futur, vendre aujourd’hui les idées de demain. Ce chemin a priori ne paraissait pas aisé, notamment pour ajuster les tarifs, sur la base d’un barème cohérent, dans un contexte culturel de service public gratuit et où officiellement ou officieusement, plusieurs praticiens étaient autorisés à générer des ressources et à les utiliser dans une certaine limite. Mais personne n’en avait évalué l’importance, à supposer que cela soit possible. En outre, cela demandait des mesures courageuses de contrôle, pour faire transiter par les hôpitaux, quel que soit le mode de répartition retenu, les honoraires dans une caisse unique et centralisatrice, quitte à inciter par la suite. La réflexion du financement se mit en branle au niveau de la gestion hospitalière et l’Auditeur découvrit, qu’en la matière, les sources de financement peuvent être variables :  des fonds des mutuelles et des coopératives de santé et d’assurance maladie, en provenance d’institutions de la société civile, d’organismes de prévoyance maladie d’entreprises ou interentreprises ;  des dons en provenance de fondations, sous l’effet par exemple d’incitations fiscales, de sponsors, voire de bailleurs, etc. Ce processus était déjà amorcé avec la parution de comités de santé ou de gestion, avec parfois l’ordonnancement des dépenses par un

- 48 représentant des populations, appuyé d’un trésorier dépositaire des fonds et ayant la charge des opérations de trésorerie. C’était pour l’auditeur une base d’argumentation. L’option de « quasi-marché » ne pouvait être que progressive et elle offrait aux hôpitaux la possibilité de se positionner sur des créneaux, non seulement traditionnels, mais aussi sur d’autres où il existe des possibilités de croissance, par exemple pour une clientèle régionale prête à se soigner sur place ou pour d’autres préférant se soigner en occident. En vivant ces réalités, l’Auditeur ne pouvait s’empêcher de se convaincre qu’une priorité, critère d’efficacité, d’efficience et d’économie, c’est comment arriver à une allocation optimale des ressources financières et matérielles à la raison d’être des projets aux cibles. Au cœur du voyage, il découvrait tout de même, des projets qui s’efforçaient de: renforcer la capacité en fonds de roulement d’organisations communautaires, en leur confiant des prestations rémunérées, par exemple en ce qui concerne les excavations, les remblais, les fouilles d’ouvrages, le ramassage, les, décapages, etc. développer et de renforcer d’une part, une certaine capacité d’épargne et de dépôt auprès d’organismes de crédits et d’autre part, la structure financière de mutuelles…

- 49 III – Demain, quelle gouvernance africaine ? III.1. Du concept de gouvernance A la lecture d’une documentation nombreuse et variée, l’on découvre plusieurs définitions et tentatives de conceptualisation, par exemple celle de Pascal LAMY, pour qui la gouvernance est « un ensemble de transactions pour lesquelles des règles collectives sont élaborées, décidées, légitimées, mises en œuvre et contrôlées ». A cet égard, LAMY précise l’ampleur du champ d’intervention et des niveaux possibles de la gouvernance, lesquels touchent aux finances, à l’environnement, au commerce, à la lutte contre le crime, la défense, etc. En ce qui concerne ses modalités, elles impliqueraient la transparence et l’obligation de rendre compte (Accountability) ainsi que l’arbitrage ente les préférences collectives. Pour CHARREAUX, 1997, la gouvernance est l’ensemble des mécanismes organisationnels qui: ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants; en conséquence gouvernent leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire. Quant à la gouvernance publique, c’est là un vaste sujet et un paradigme contemporain de la gestion de l’Etat, au sens large, au moins pour deux raisons :  d’une part, c’est une doctrine, voire une pratique en expérimentation, qui ne manque pas d’implications, en termes de choix politiques, économiques, managériaux, socioculturels, technologiques, de pouvoir;  d’autre part, son champ est si vaste qu’elle peut, selon les orientations retenues, couvrir quasiment tous les aspects en rapport avec la croissance, le développement, l’Etat de droit et l’amélioration de la qualité de vie au sein d’une nation.

- 50 Sous l’angle du management public stratégique et opérationnel, audelà des transactions et des mécanismes, une approche analytique de la gouvernance induit une série de sous-systèmes intégrés ou à intégrer:  celle de la gouvernance stratégique, en termes de vision et de raison-d'être, avec comme critères la « pertinence, l’exhaustivité, l’efficacité et l’efficience, l’éthique, l’équité », ce qui induit les questions dominantes ci-après : Pourquoi la gouvernance ? A t-on tenu compte des contingences historiques, du contexte de la gestion publique dans un pays donné ? Qui sert-elle ou devrait-elle servir ?  celle de la gouvernance opérationnelle, ce qui induit des questions pertinentes : Par quels procédés et modalités mettre en œuvre les stratégies et politiques publiques ? Quels acteurs et résultats ? Au-delà quels impacts ? D’une manière plus générale, le concept induit aussi différents aspects liés à la motivation, aux capacités existantes ou latentes de leadership des gouvernants, voire des agents des secteurs public et privé, aux valeurs culturelles et aux comportements organisationnels, à la maîtrise des technologies de l'information et du conflit entre les processus traditionnels antérieurs et ceux qu’appellent une nouvelle gouvernance, le management public et l’audit à instituer, en somme des heurts entre la modernisation et la modernité… Il n’est pas inutile de retourner aux lointains passés de l’homme. Et défileraient alors les images et souvenirs de Descartes, même avant lui, de Platon qui s’intéressait à la gouvernance des cités, ensuite Taylor, Fayol, Weber, l’école des relations humaines, l’approche systémique, la nouvelle école de la gouvernance entrepreneuriale… Tant de concepts ont vu le jour. Des modèles, des approches et des pratiques ont été formalisés, des leçons tirées des succès et des bonnes pratiques, des échecs et des cas patents de mismagement. L’on se souviendrait alors de Antoine-Laurent Lavoisier, car « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » L’on conclurait que le concept est pluriel, qu’il comporte désormais un riche lexique, vulgarisé notamment par la littérature des organisations internationales, bien qu’il faille rechercher son origine aux confins de l’histoire et de la pensée philosophique et religieuse. L’on verrait

- 51 aussi que selon l’encyclopédie Wiki peda, le terme « gouvernance » viendrait probablement du grecque (Kubernans), qui est passé au latin « gubernere », qu’il est devenu en français « gouverner » et dans la langue anglo-saxonne, au 19e siècle « gouvernance ». L’on verrait alors émerger l’image opportune et combien expressive des termes gouvernement, de gouvernail, laissant entrevoir ses relations de cause à effet avec le mode de gouvernement. Gouvernance qualitative, certainement, entrepreneuriale, nécessairement, pour nous africains... L’on pourrait également remonter à Platon (428 – 347 avant J.C) et à ses disciples qui parlaient d’une Cité juste, d’une certaine harmonie de la république, entre les classes sociales constituées par des gardiens de la sécurité, des dirigeants philosophes, par le groupe des paysans, des artisans et de commerçants ; en somme, les gardiens de l’ordre, du savoir et de la création de richesse. D’autres philosophes et penseurs auront aussi depuis longtemps anticipé le mouvement actuel, Aristote, Avores, le jurisconsulte et philosophe musulman, Al Ghazali. Sûrement bien d’autres que nos amis les philosophes auraient bien intérêt à remettre au goût du jour, à l’heure du paradigme dominant de la gouvernance. Gouverner, voire la gouvernance, pensait-on, en ces temps, serait mieux assurée si cela était le fait de dirigeants « philosophes, empreints de la sagesse et de la connaissance du bien qu’elle confère. Pour une cité juste, selon Platon, il faut que les philosophes gouvernent. Qui doit exercer ce pouvoir du sage ? Platon répond a contrario « pas aux ignorants (…), pas à ceux qui passent toute leur vie à se cultiver », et qu’au terme de ce processus, « restent trop étrangers à la vie de la cité ». La connaissance, l’action aussi, la sagesse mais aussi la connaissance des réalités de la société, autant de critères importants. Or qui dit philosophie, parle de vision. Le mot est lâché, il n’y a pas de bonne et entrepreneuriale gouvernance, sans vision, sans leadership, naturellement sans le bon leadership, efficace, dévoué aux impacts ; ce qui peut expliquer aussi par la suite que la stratégie, dont on disait qu’elle était le fait des militaires, rejoigne la gouvernance. Si l’on retourne à la sagesse des philosophes de l’antiquité, la leçon, pour une bonne gouvernance, est qu’il faut de la sagesse, de la vertu, un grand pragmatisme et la maîtrise du réel, du savoir, de la

- 52 discipline, des hommes d’action , pour sa mise en œuvre. Alors, l’héritage est là. Mais en Afrique tout au moins, ces questions sont importantes, et lorsqu’on est un auditeur qui a vécu à l’intérieur du système, en faisant une rétrospective, on se rend bien compte que si les choses n’avancent pas comme il faut, c’est qu’il existe des problèmes non résolus, à ces différents niveaux. En réalité, la mise en oeuvre, ainsi qu’un leadership engagé et catalyseur, sont tout aussi, sinon plus importants que la conceptualisation. III.2. Ce que je crois - Une vision africaine endogène III.2.1. L’impératif d’une entrepreneuriale et systémique

gouvernance

démocratique,

« Laissez-nous penser ! » La gouvernance qui produit des impacts et des résultats durables, capables de transformer le réel, sera entrepreneuriale ou ne sera pas. A la lumière de l’expérience, un grand problème, c’est l’égotisme, la capacité d’humilité, à s’oublier, à partager, à gommer le « moi », le « Je », à se focaliser non sur les personnes, mais sur des projets, une vision, des résultats et des impacts. C’est aussi, pour l’Afrique, ce qu’est une vraie stratégie d’excellence, comment la formaliser, la diffuser pour une appropriation à l’échelle la plus vaste possible. Alors prévaut le paradigme que la gouvernance démocratique n’a de sens que si elle tisse un lien avec une vision pertinente et orientée le leadership, les résultats et l’impact. A cet égard, les leçons de l’histoire, de la société contemporaine et de l’Etat moderne attestent qu’on est passé progressivement, sous maints aspects, d’une gouvernance hiérarchique à une gouvernance de catalyse et entrepreneuriale qui oriente, impulse et motive, en développant le partenariat, et sur cette lancée, en déconcentrant voire en décentralisant. Dans cette perspective, la gouvernance au sommet stratégique doit se focaliser sur le leadership, le contrôle stratégique et l’atteinte de performance. Evidemment, dans les situations de crise, d’indiscipline manifeste ou généralisée, en somme de management de crise, il est possible d’envisager que seul un leadership autoritaire bienveillant et équitable puisse conduire vers des objectifs de performance et d’excellence. En fait le management

- 53 des organisations intègre depuis longtemps cette question, par exemple l’Ecole de la contingence18. En somme, plus une société devient éduquée et instruite, responsable et disciplinée, professionnelle et ouverte aux apports positifs de l’extérieur, plus peut-être le leadership peut être consultatif ou participatif et miser dès le départ sur l’excellence, la qualité, les performances. Or, il existe plusieurs manières d’y arriver, le management par l’exemple, la gestion de l’excellence et de la méritocratie, le pilotage de centres de responsabilités et de performance, etc. Dans tous les cas, un problème central, c’est comment accroître la marge de manœuvre des citoyens, améliorer les modes de dévolution des pouvoirs dans les pays à faible culture démocratique ? Comment déclencher les facteurs de création de valeur ajoutée et de richesse ? Un enjeu, c’est aussi comment instaurer des Etats, des entreprises, des organisations internationales économiques et financières qui optent pour des systèmes et des stratégies à visage humain, qui savent écouter et se remettre en cause. Mais faudrait-il encore que le leadership existant garantisse l’effectivité d’un environnement adapté et fasse preuve d’un engagement sans faille, qu’il amène les citoyens à se focaliser sur des objectifs et une vision, les hommes d’affaires à être parties prenantes de l’aventure du développement et de la croissance. En effet, une vision analytique de type cartésienne, « hard thinking », conduit à confiner la démocratie aux aspects purement institutionnels, législatifs ou réglementaires, voire au phénomène de la conquête du pouvoir par les partis politiques. Certes, c’est peut-être un minimum admissible, mais cette approche conduit à occulter les modalités et les perspectives de mutations politiques dont il n’est pas toujours sûr qu’elles se déroulent de la même manière séquentielle qu’en Occident. Historiquement, le Parlement y a conquis sa marge de manœuvre et accru ses pouvoirs vis-à-vis de l’exécutif, suivi en cela par la société civile. Rien ne permet d’établir qu’en Afrique le processus démocratique suivra de façon linéaire une telle séquence. L’école du management contingent défend une idée d’un management formalisé à partir des contingences, spécificités et réalités d’une organisation. En somme, il n’y a pas de modèle figé, tout dépend du contexte. 18

- 54 A priori, le rôle prépondérant de l’Exécutif, la solidarité quasiautomatique entre l’exécutif, le parti au pouvoir et le parlement et le poids du phénomène partisan font, dans maints pays, obstacle à une évolution de cette nature. Globalement, une hypothèse n’est pas à exclure : la probabilité qu’une évolution démocratique affirmée ait lieu dans un environnement où la société civile est déterminée, mieux éduquée et où les convictions et les initiatives d’un leader éclairé, chef de l’exécutif, induisent des mutations positives en ce sens. Un grand problème est comment passer d’une gouvernance hiérarchique qui cède des pouvoirs à la gouvernance entrepreneuriale, qui privilégie l’allocation de ressources et de pouvoirs appropriés, se limite à la macro-planification, au contrôle stratégique, à la formulation d’une vision. Cette gouvernance entrepreneuriale doit être formalisée, écrite, consignée, être connue de tous, partagée, intériorisée. Arriver à un tel niveau de gouvernance et de management suppose une réflexion et des évaluations stratégiques, prospectives et évaluatives. Car la viabilité future d’une gouvernance pertinente passe par la promotion d’idéaux de partenariat et la construction d’alliances stratégiques pour les résultats, l’impact et l’excellence entre les acteurs, par exemple les pouvoirs publics, les partenaires financiers, les entrepreneurs, la société civile, les collectivités locales, etc. Ce partenariat pour l’excellence suppose des modes de gestion consultative et participative, un leadership visionnaire, une gouvernance de proximité, censée satisfaire les besoins fondamentaux des populations, en somme une gouvernance qui amène les bénéficiaires à être les véritables acteurs de leur propre développement. Par cette voie, le leadership sera plus apte à s'occuper d'autres tâches, par exemple de planification stratégique, de coordination, de contrôle et d’évaluation. Au niveau international, c’est là le futur, dans les relations avec les bailleurs et partenaires financiers qui ont intérêt, à l’heure des fonds souverains, de l’émergence d’états investisseurs motivés, comme Dubaï, la Chine, l’Inde, lesquels pourraient être suivis par d’autres pays comme Singapour, à considérer ces nouveaux impératifs stratégiques, comme facteurs de pérennité. Cela demeure conforme aux déclarations de Paris, de Monterrey et de tant d’autres intentions

- 55 non encore effectives. Et l’Afrique doit défendre âprement et sans complexe ses propres intérêts. III.2.2. Relecture des doctrines Plusieurs conceptions doctrinales foisonnent au niveau des sciences administratives et du management public. La littérature consacre encore les termes de bonne gouvernance, de bon gouvernement, de gouvernance efficace ou de saine gestion des affaires publiques. Au cœur des voyages de l’auditeur africain, conseiller et enquêteur du secteur public, il se mit à préférer le terme de gouvernance entrepreneuriale ; car l’une des leçons apprises est l’impact du leadership sur toute évolution efficace de la société, vers un mieuxêtre, une croissance rapide et un développement économique. C’est là une question de priorité. Au coeur de la gouvernance et du management public, l’Auditeur se pavanait souvent, avec de multiples questions angoissantes. Dans la salle de classe, lui qui avait repris ses études, au Centre Africain d’Etudes Supérieures en Gestion, bien que fonctionnaire, écoutait les professeurs parler du management, avec toujours une référence : l’entreprise. Pourtant se disait-il, « pourquoi n’ont-ils que cette référence à la bouche ? Là d’où je viens, d’une administration publique, certains concepts et méthodes qu’ils préconisent semblent bien applicables ! » Progressivement se fortifiaient les premières convictions. Le droit de réinventer, de ne pas réciter, de ne pas être un suiviste ! La stratégie de suiviste est rarement gagnante et amène à toujours rester derrière, elle transforme ses adeptes en consommateurs passifs, gèle l’existant, obère la créativité et l’innovation et impose toujours la position défensive. La gouvernance entrepreneuriale et le management entrepreneurial constituent les deux facettes d’une même médaille. A cet égard, c’est lorsque la société aura misé sur des managers, des entrepreneurs et créateurs de richesses, des inventeurs et des innovateurs, des créateurs d’idées et de pensée, des hommes d’action, que la gouvernance donnera la pleine mesure de sa portée. En faisant le point, l’Auditeur du secteur public se remémore ces temps anciens et plusieurs de ses questionnements, ses recherches

- 56 documentaires, avec très peu de succès, sinon quelques articles vagues sur le management public, la théorie de la convergence entre secteurs public et privé développée au Canada et la révélation d’un professeur sur la vérification intégrée du Bureau du Vérificateur général du Canada. La conceptualisation s’est progressivement fortifiée, par la recherche de la synergie entre l’approche systémique et entrepreneuriale du management, de la gouvernance et l’audit élargi. Ces domaines pouvaient s’appuyer sur les mêmes outils ; ce n’était pas une question de secteur public ou privé, mais d’adaptation, de réinvention… Ce qui apparaît au cours de ce parcours, c’est l’équation du défi permanent de la culture d’impact; chaque fois que des performances significatives ont été atteintes, la haute direction avait crée un environnement propice à une culture de résultats, en instituant des centres de performances et un système d’information de gestion et de restitution critique des résultats aux agents et aux cibles. Elle avait explicité les écarts de performance, sur la base des plans d’action antérieurement élaborés. Elle avait aussi compris que c’était important de récompenser le mérite et qu’à défaut elle récompensait la médiocratie. Il est aussi apparu que le succès de certains projets et de certaines agences de développement s’expliquait par un système de planification stratégique adéquat. Par une méthodologie exhaustive, ils parvenaient à asseoir une planification conceptuelle de toute la durée de vie du projet, en cernant les stratégies à mettre en œuvre, les modes d’organisation structurelle requis, le système d’information nécessaire, les modalités de suivi-évaluation. Ce que l’Auditeur avait découvert, avant l’heure, allait se consolider plus tard par l’apparition et la généralisation de modèles tels que le système du GPRA aux Etats-Unis, du cadre de gestion des résultats au Canada, des modèles d’excellence et de la qualité… Il découvrit aussi, dans divers travaux de benchmarking que les études et les évaluations, par exemple du GAO, de la National Performance

- 57 Review19 avaient constaté que les meilleures pratiques et les facteurs de succès pour les organisations excellentes, demeurent axés sur :  le leadership, la communication, un processus de planification bien pensé, structuré et cohérent, la capacité à transformer la stratégie en action ;  la définition de la mission, la fixation d’objectifs et une orientation vers les résultats désirés par les clients et un système d’allocation des ressources qui privilégie des résultats;  la fixation de méthodes de mesure de la performance pour s’assurer que l’on se dirige vers des buts et des objectifs précis, considérés comme vitaux pour suivre les progrès réalisés, obtenir l’information cruciale et mettre en place un socle de motivation et de mobilisation des énergies pouvant influencer les comportements des individus. A cela s’ajoutaient plusieurs thématiques et expérimentations :  le benchmarking de ses propres progrès par rapport à ceux accomplis par d’autres;  les enquêtes sur la clientèle, comme composantes du système de mesure des performances, en prenant en compte leurs points de vue et leurs perceptions, leur degré de satisfaction;  le système de gestion du personnel, avec la notion de résultats, par le biais de contrats de performance, voire de système de rémunération corrélé aux performance ;  l’évaluation des programmes par le biais d’audits de performance; de rapports sur les résultats et l’utilisation des résultats pour procéder à des améliorations continues. En fait, l’une des leçons apprises, ce qu’il n’y a pas de gouvernance qualitative et entrepreneuriale, sans une orientation vers les résultats, l’impact, la qualité et l’éthique, sans vision stratégique, 19

Une étude de la National Performance Review “Reaching public goals: managing for results, A ressource guide », publié en octobre 1996, après la revue des meilleures pratiques au niveau fédéral.

- 58 sans leadership éthique et mobilisateur des énergies latentes ou réelles, sans méritocratie, sans cette capacité à optimiser les talents, la productivité, à user de l’inventivité pour exploiter les opportunités et les niches aptes à doper la création de richesses intellectuelles et matérielles. Car, au cours de l’histoire humaine, tout commençait toujours par là, dans bien de cités émergentes, quand le savoir et ses détenteurs, les pouvoirs et gouvernants, les marchands et les créateurs de richesses acquéraient cette liberté de penser, d’agir, de créer, de faire des compromis, mais aussi quand se consolidait cette obligation de se conformer à des lois, des règlements et à des valeurs éthiques. Il n’y a pas de gouvernance qualitative et entrepreneuriale sans éthique, sans équité, sans discipline et respect des autres, sans transparence, sans responsabilité, sans obligation de rendre compte et sans la restitution des performances confiées. Alors prévaut un modèle de 5 E d’efficacité, d’efficience, d’économie, d’éthique, d’équité, alors qu’au début de l’ère du nouveau management publique, l’on ne parlait que des trois premiers. Au-delà, prévaut aussi un modèle des 6 A : Analyser, Agir, Atteindre, Apprécier, Aiguillonner, Ajuster. Pour l’Afrique, il n’y a plus lieu d’attendre et il n’est guère étonnant que les Etats avisés, les entreprises, les organisations nationales ou internationales, publiques ou privées, gouvernementales ou non gouvernementales, eurent à adopter le credo, sinon le paradigme, de la pensée stratégique, premier socle de la planification stratégique : « penser stratégiquement, pour mieux anticiper, pour mieux agir, mieux atteindre, mieux apprécier et mieux ajuster ». Sur ce chemin, les difficultés de mise en œuvre d’un processus amorcé ne manquent pas. Il n’est pas évident, pour le secteur public africain d’essence latine, de lever avec aisance le défi majeur d’une gestion stratégique, organisationnelle, informationnelle et opérationnelle qui tire profit des acquis du management public contemporain, ni non plus que soit largement intériorisée ou en tout cas vulgarisée une culture orientée vers la performance, seule gage d’alignement sur les nouveaux enjeux de la compétitivité internationale et d’une stratégie de croissance accélérée. Que de lenteurs pour achever un projet, des discussions interminables

- 59 conduisant à oublier la finalité qui est l’action, une valeur ajoutée. Au fond, ce qui se passe, est l’illustration même de la thèse de Peters dans le « Prix de l’excellence » par laquelle il rappelle cette dichotomie entre les lents et les rapides. Il faut agir, plus résolument, plus vite. Il faut que cesse ce complexe d’appartenance qui pousse certains à se référer exclusivement ou quasi-uniquement à un modèle français ou anglo-saxon, soit à un expert dit international dont peut être c’était la première découverte de l’Afrique. L’avantage et l’avenir de l’Afrique, c’est de pouvoir faire la synthèse de modèles aussi divers les uns que les autres, c’est cette potentialité latente à réinventer… C’est l’Afrique, avant tout, par les africains. Citoyens du monde, nous ne sommes ni anglais, ni français. Notre intérêt stratégique, c’est à la limite d’être plurilingue. Citoyens du monde, nous devons nous inspirer des meilleurs systèmes, adapter, élaguer, innover et recréer, sur cette base, s’il y a lieu. Ce sont là de grands défis de l’avenir. Dans les bois du service public et des Etats d’Afrique, je me suis pavané pour apprendre et vous rapporter l’histoire que je viens de vous raconter. Abdou Karim Gueye Achevé à Djibouti, en juin 2008

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L’auteur

Abdou Karim GUEYE, Inspecteur général d’Etat et ancien directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal, publie un troisième essai sur la problématique du management public et de la gouvernance, en Afrique. L’auteur, Juriste, est aussi diplômé en administration publique et en management des organisations, avec une spécialisation post-universitaire en audit et contrôle de gestion. Il cherche, à travers ses ouvrages qui paraissent progressivement, une jonction qu’il appelle vision systémique entre le droit, le management et la science administrative. Théoricien de la gouvernance entrepreneuriale, M. Guèye est également auteur de deux essais intitulés l’un « Gouvernance entrepreneuriale et modernisation des Etats », chez manuscrit.com et l’autre «Inspections générales d’Etat. Réalités, enjeux et perspectives », chez The BookEdition, également disponible sur ses sites web. Il est auteur de deux recueils de poésie dont l’un intitulé « le Temps des épines » publié aux Nouvelles Editions Africaines du Sénégal et l’autre, « Les piroguiers aux millions de rames », aux éditions manuscrit.com en France.