odyssée temporelle

''Merci, mais non pour le café : si je bois une autre tasse, ça va me sortir par les ...... une couple d'heures à examiner des airs la faune et la flore locale, discutant ...
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ODYSSÉE TEMPORELLE ROMAN DE SCIENCE-FICTION

PAR MICHEL POULIN

© 1997 REVU ET CORRIGÉ EN 2013

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AVERTISSEMENT AUX LECTEURS CE ROMAN CONTIENT DES DESCRIPTIONS GRAPHIQUES DE SCÈNES DE GUERRE, DE VIOLENCE ET DE SEXE, AINSI QUE DU LANGUAGE DESTINÉ À DES LECTEURS ADULTES ET AVERTIS. BIEN QUE CE ROMAN DÉCRIT PLUSIEURS PERSONNES ET ÉVÉNEMENTS HISTORIQUES, CECI EST UNE OEUVRE DE FICTION DÉCRIVANT EN FAIT UN MONDE ALTERNATIF. LES ACTIONS ET PAROLES ATTRIBUÉES DANS CE ROMAN À DES PERSONNAGES AYANT EXISTÉ NE RÉFLÈTENT PAS LA RÉALITÉ HISTORIQUE TELLE QUE NOUS LA CONNAISSONS. TOUTEFOIS, LES PERSONNAGES IMPORTANTS DU NEUVIÈME SIÈCLE DÉCRITS DANS CE LIVRE ONT RÉELLEMENT EXISTÉ ET LEURS PERSONNALITÉS ONT ÉTÉ REPRODUITES DANS LA MESURE DU POSSIBLE SUR LA BASE DE RECHERCHES HISTORIQUES APPROFONDIES. AVANT-PROPOS Ceci est le premier roman écrit par moi et complété en 1997. Je l’ai par la suite revu et corrigé en janvier 2013 pour pouvoir l’éditer en ligne. Ce roman veut autant faire mieux connaître une période mal connue de l’histoire, à savoir le Haut Moyen-âge, que satisfaire les besoins de l’amateur de science-fiction.

3 INTRODUCTION L’humanité est à l’aube du cinquième millénaire de l’ère chrétienne. L’usage de ce calendrier, qui est désigné comme ‘calendrier de l’Ère commune’ par les citoyens de l’Expansion humaine, ne reflète en rien une quelconque croyance religieuse mais plutôt le fait qu’il était plus pratique de continuer avec une méthode de datation éprouvée que d’essayer d’imposer un nouveau système. En l’an 4021, donc, l’humanité s’est libérée depuis des siècles de ses querelles et guerres intestines et jouit d’un gouvernement centralisé stable et dédié au bien-être de tous.

Le gros des travaux manuels est

maintenant accompli par une multitude de robots spécialisés, laissant les humains libres d’exprimer leur imagination dans le domaine des arts, des sciences et des technologies de services.

Une économie sociale basée sur la gratuité des biens et services

essentiels a également libéré les citoyens de l’obligation de travailler juste pour survivre. Les salaires gagnés dans un emploi ou les profits d’un commerce ne servent plus maintenant qu’à s’offrir des luxes. Le temps rendu ainsi disponible permet au particulier de soigner son physique, perfectionner son intellect ou tout simplement se dédier à ses enfants. Le crime a pratiquement disparu dans la société de l’Expansion humaine, en grande partie parce que le bien-être économique général a calmé l’appât du gain et en partie à cause des techniques de sondage mental permettant de vérifier rapidement et sans risque d’erreur la culpabilité ou l’innocence d’un individu. La peine de mort a été remplacée dans la plupart des cas par l’exil sur des terres non habitées. Les crimes non-violents attirent à leurs auteurs des obligations de travail en milieu communautaire ou la saisie de leurs biens de luxe. Le domaine d’activité humaine qui a toutefois le plus influencé la société du 41ème siècle est celui de l’exploration spatiale. La découverte de la propulsion moléculaire au 32ème siècle, permettant des vitesses de loin supérieures à celle de la lumière, a finalement permis l’ouverture de nouveaux horizons pour la race humaine et a donné à la planète Terre un répit salutaire en la déchargeant de son surplus de population. Les systèmes planétaires colonisés par les humains forment maintenant une confédération nommée l’Expansion humaine.

Les meilleurs talents, ainsi que les ressources

4 disponibles après avoir satisfait aux besoins de base de la population, sont dirigés vers l’exploration et la colonisation spatiale. La seule déception majeure de l’humanité à date est la rareté des formes de vies intelligentes dans l’univers. Après plus de 900 ans d’exploration, seulement trois races intelligentes ont été découvertes par l’humanité. Deux de ces races étaient trop peu avancées techniquement et socialement pour risquer un contact aux conséquences imprévisibles.

La troisième, originaire d’Epsilon Eridani, s’est avérée d’une nature

extrêmement agressive et fut ostracisée après un incident particulièrement sanglant entre Éridaniens et marchands humains. Toutefois, la quête continue.

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TABLE DES MATIÈRES CHAPITRE 1 – CHAUDS LES COLONS........................................... 6 CHAPITRE 2 – RETOUR AU BERCAIL .......................................... 14 CHAPITRE 3 – ACCEUIL ................................................................ 17 CHAPITRE 4 – LE POIDS DU POUVOIR ....................................... 23 CHAPITRE 5 – PLAN DE BATAILLE .............................................. 27 CHAPITRE 6 – CONTACT .............................................................. 32 CHAPITRE 7 – HALLALI ................................................................. 46 CHAPITRE 8 – VIVANTS ................................................................ 53 CHAPITRE 9 – PORT D’ATTACHE ................................................ 60 CHAPITRE 10 – ÉGARÉS DANS LE TEMPS ................................. 66 CHAPITRE 11 – INTERACTION ..................................................... 71 CHAPITRE 12 – FORCE MINIMALE............................................... 88 CHAPITRE 13 – EXCURSION IMPRÉVUE..................................... 97 CHAPITRE 14 – DÉMONSTRATION DE FORCE ......................... 125 CHAPITRE 15 – NOUVEAUX VOISINS ........................................ 132 CHAPITRE 16 – RÉVEIL .............................................................. 161 CHAPITRE 17 – CONTRÔLE DE VERMINE ................................ 201 CHAPITRE 18 – RONDE DE GUET.............................................. 219 CHAPITRE 19 – RÉACTIONS ...................................................... 235 CHAPITRE 20 – COUP DE THÉÂTRE ......................................... 263 CHAPITRE 21 – VISITE PAPALE ................................................. 275 CHAPITRE 22 – RAFFUT À BAGDAD .......................................... 294 BIBLIOGRAPHIE .......................................................................... 310

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CHAPITRE 1 – CHAUDS LES COLONS 09h18 (Heure locale) 3 février, 4021 Planète Mirphak III Constellation de Persée À 637 années-lumière de la Terre Ann Shelton se retourna sur le dos, exposant sa ferme et généreuse poitrine aux rayons ultra-violets venant de Mirphak, une étoile jaune de type spectral F5.

La

troisième planète de Mirphak abritait depuis sept mois la plus récente colonie de l’Expansion humaine et se montrait à ce jour pleine de promesses. Étendue comme Ann sur une chaise longue, son amie et collègue Vyyn Drelan releva la tête et jeta un coup d’œil autour de la piscine centrale de la colonie, dont les modules d’habitation s’érigeaient à intervalles régulières dans toutes les direction. ‘Une belle journée’ était la manière normale de décrire la température sur la ceinture équatoriale de Mirphak III, qui bénéficiait de conditions climatiques idéales et de riches ressources en matières premières.

Ces conditions avaient largement mitigé les objections causées par la

distance du système, situé à 637 années-lumière de la Terre, un facteur qui aurait normalement condamné le projet de colonisation à une fin de non-recevoir devant le Concile suprême de l’Expansion. La vision d’un tel paradis avait rapidement convaincu le Concile suprême d’établir une colonie qui abriterait dans une première phase plus de 50,000 personnes. Les volontaires qui s’étaient présentés pour coloniser Mirphak III avaient été ensuite transportées avec une panoplie complète de matériaux, d’équipements et de bâtiments préfabriqués à bord du croiseur d’exploration flambant neuf MARCO POLO. Le MARCO POLO, qui avait été expressément construit pour l’établissement de nouvelles colonies et qui en était à son premier voyage interstellaire, reposait maintenant sur le petit astroport de la colonie, sa masse imposante bloquant une bonne partie de l’horizon au nord de la colonie. Vyyn Drelan, une belle grande femme svelte dont le visage aux traits asiatiques trahissait l’origine des premiers colons à s’établir sur sa planète natale d’Alpha du Centaure B-II, étendit son bras gauche et secoua légèrement l’épaule d’Ann Shelton. La

7 sociologue-historienne se contenta de tourner la tête légèrement vers sa collègue, une question muette dans son regard. La Centaurienne sourit à son amie. ‘’Désolé, Ann, mais il est l’heure de faire nos bagages, à moins que tu ne veuilles rester ici pour les trois prochaines années.’’ Un long soupir informa Vyyn que la native de Londres ne trouvait cette dernière idée si désagréable. Au bout d’un moment, Ann se redressa lentement et se mit debout près de sa chaise longue, imitée en cela par la Centaurienne. Vêtues seulement d’un cachesexe, comme tous les autres occupants de la terrasse entourant la piscine, les deux jeunes femmes se dirigèrent d’un pas lent vers un des modules d’habitation proches, une cube de verre et de métal de cinquante mètres de côté orné de fenêtres teintées. Le module, comme les autres cubes similaires autour de lui, pouvait loger plus de 500 personnes dans le plus grand confort et avait été simplement posé d’un bloc sur des fondations préparées à l’avance par l’équipage du MARCO POLO. Tous les bâtiments actuels de la colonies étaient également des ensembles préfabriqués qui avaient été transportés prêts à être posées dans les immenses cales du MARCO POLO. L’établissement de la colonie avait en fait pris moins de six jours de travaux après l’atterrissage du croiseur d’exploration et les semaines qui avaient suivies avaient été principalement

consacrées

à

l’aménagement

paysager

autour

des

modules

préfabriqués. La colonie était maintenant pleinement autosuffisante du point de vue de la production de nourriture et des nécessités de base, avec une base industrielle déjà en place. Avec la première phase de sa mission maintenant terminée, le MARCO POLO repartirait bientôt vers son port d’attache de Kyoto Alpha, dans le système d’Alpha du Centaure A. Après un court trajet en ascenseur jusqu’au troisième étage, Ann et Vyyn atteignirent la porte de leur appartement, dont le battant coulissant s’effaça après qu’Ann eut posée sa main sur le panneau de commande d’ouverture. Pendant que Vyyn se dirigeait vers la salle de bain pour prendre une douche rapide, Ann en profita pour commencer à faire ses valises. Au bout de quinze minutes, un rapide coup d’œil autour de sa chambre l’informa qu’elle n’avait apparemment rien oublié. Un mouvement dans le couloir de l’appartement lui apprit que Vyyn avait quitté la salle de bain. Se débarrassant de son cache-sexe, Ann se contempla un moment dans le miroir mural de sa chambre. Le soleil de Mirphak III avait admirablement bronzé son corps plein de courbes et s’étirant sur 185 centimètres, le tout couronné de longs cheveux noirs et

8 soyeux encadrant un visage fin orné d’immenses yeux verts. Satisfaite de ce qu’elle voyait, Ann se rendit rapidement à la luxueuse salle de bain de leur appartement et fît couler la douche. Pendant qu’elle se savonnait dans la douche, la voix de Vyyn Drelan attira son attention. ‘’Ann, j’ai réservé un taxi pour nous prendre dans 45 minutes sur le toit. Pas de problèmes avec cela?’’ ‘’Non, je serais prête bientôt!’’ La jeune femme sortit de fait de sa chambre vingt minutes plus tard, traînant deux lourdes valises sur roulettes ainsi qu’un petit sac de voyage. La jeune anglosaxonne portait maintenant comme Vyyn Drelan, qui l’attendait dans le salon, une tenue d’intérieur réglementaire bleu azur. Le sourire que la Centaurienne lui décocha mit en valeur son petit nez fin et ses grands yeux dorés en amande. Ses cheveux blonds platine auraient étonné chez une personne d’origine purement asiatique, si cela n’avait été des mutations génétiques contrôlées appliquées depuis plus de 800 ans sur les Centauriens pour aider leur adaptation à la vie sur Alpha du Centaure.

Ajouté au

bronzage des dernières semaines, l’effet total rendait fou de désir la plupart des mâles terriens, ce qu’Ann avait appris de première main via les nombreux visiteurs mâles qui se présentaient à la porte de leur appartement sous toutes sortes de prétextes depuis leur arrivée sur Mirphak III. De son côté, Ann prisait les mâles centauriens, qui alliaient en général un corps d’athlète à une douceur d’âme et un intellect raffiné. Du tout au tout, une très belle race, songea Ann. Composant un numéro sur le vidéophone du salon, elle informa le bureau central de la colonie de la nouvelle disponibilité de leur appartement avant de suivre Vyyn vers les ascenseurs. ‘’Je vais définitivement regretter ce coin de paradis.’’ Soupira Ann quand elle émergea sur le toit de leur module d’habitation, qui donnait une vue superbe des environs. ‘’Bah, tu ne perds rien pour attendre, Ann. N’oublie pas que nous reviendrons ici dans trois ans, avec le début de la deuxième phase de colonisation.’’ Après une courte attente passée à admirer une dernière fois le paysage de Mirphak III, le taxi aérien que les deux femmes avaient commandé se posa sur le toit. Ann ouvrit la portière gauche du véhicule et chargea rapidement leurs bagages dans un coin de la cabine de passagers. Comme dans tout taxi aérien standard, le pilotage était assuré par un ordinateur relié à un système centralisé de contrôle de la circulation et ne

9 comportait pas de siège pour un pilote. Prenant place sur une des banquettes, Ann se tourna vers la console de commande dès que Vyyn fut également assise à l’intérieur. ‘’Destination, sas d’arrivée pour passagers du MARCO POLO.

Départ

maintenant.’’ Le véhicule s’éleva aussitôt silencieusement du toit de l’immeuble et prit rapidement de la vitesse, cap vers le nord. Le croiseur d’exploration, dont la masse dominait déjà l’horizon, se mit à grandir encore plus dans le champ de vision des deux femmes, au point de remplir bientôt complètement le pare-brise du taxi. Bien qu’habituée à la vue du vaisseau, Ann ne pût s’empêcher de le fixer encore avec admiration. Épousant en gros la forme d’une sphère d’un diamètre de plus de trois kilomètres et entourée d’un bourrelet équatorial proéminent, le croiseur représentait la fine pointe de la technologie humaine du 41ème siècle.

Tout avait été prévu pour préparer le MARCO POLO pour ses missions

primaires : l’exploration lointaine et l’aide à la colonisation humaine. La masse et le volume énorme du vaisseau avaient été dictés principalement par le besoin d’inclure un complexe industriel capable de produire n’importe quel objet manufacturé. Une partie importante du volume intérieur était également occupée par une série de fermes agroalimentaires fournissant de la nourriture fraîche abondante aux occupants du vaisseau.

Ajouté à un système de génération de carburant capable d’extraire des

isotopes à partir de l’atmosphère de planètes géantes gazeuses, ceci rendait le MARCO POLO pratiquement indépendant de tout support extérieur pour des décennies. Le taxi se dirigeait maintenant vers une ouverture béante visible à la surface du bourrelet équatorial.

Après un court trajet le long de ce qui ressemblait à une

gigantesque caverne d’acier, le véhicule se posa au milieu d’un large cercle rouge peint sur la surface d’une plate-forme mesurant cinquante mètres de côté.

Un homme

costaud s’approcha dès l’atterrissage du taxi et s’empressa d’aider les deux passagères à débarquer leurs valises. ‘’Docteurs Drelan et Shelton? Je suis le caporal Hussein Faysal, de la sécurité. Je suis chargé de vous guider à vos quartiers et de vous faciliter votre retour à bord au meilleur de mes capacités.’’ Une paire de sourires charmeurs récompensèrent les efforts du jeune homme.

10 ‘’Nous ne réoccuperons pas notre ancien appartement au 31-10-D?’’ Demanda Vyyn, un peu surprise. Le caporal vérifia son bloc mémo électronique avant de lui répondre. ‘’Non, Docteur! Dû au fait que les colons ont libéré la majorité des appartements de l’habitat principal, une paire de suites de luxe vous a été allouée au 57-14-A et B. Si vous voulez bien me suivre.’’ Après avoir chargé les bagages des deux femmes sur une plate-forme à anti-gravité, Faysal se mit aux commandes de l’appareil tandis que Vyyn et Ann prenaient place sur les sièges arrières.

Le trio quitta ensuite la plate-forme d’atterrissage, glissant

silencieusement et sans heurts à quelques centimètres au dessus du sol métallique, et pénétra à l’intérieur d’un sas de sécurité, dont la porte extérieure se referma derrière eux avec un bruit sourd. Ann ne put s’empêcher à ce moment de regarder une des caméras de surveillance visibles à l’intérieur du sas. ‘’Est-ce qu’un tel niveau de sécurité est encore bien nécessaire ici, sur Mirphak III, Caporal?’’ Le jeune soldat haussa les épaules à cette question. ‘’Probablement pas, mais les protocoles de sécurité sont strictes et explicites et ne sont pas sujets à discussion. Je vais maintenant approcher la plate-forme de la console d’identification, pour que votre arrivée puisse être enregistrée par l’ordinateur central du vaisseau.’’ Étant déjà familières avec cette procédure, Ann et Vyyn posèrent chacune une main ouverte sur un des panneaux d’identification bio métriques fixés à une paroi près de la porte intérieure du sas. Une voix féminine douce sortit presque immédiatement du panneau. ‘’Bienvenues à bord, Docteurs Drelan et Shelton.’’ ‘’Merci, Gardien!’’ Répondit Ann. Faysal remit en route sa plate-forme dès que la porte intérieure du sas s’ouvrit, découvrant une longue et large coursive. Comme leur véhicule avançait à bonne vitesse, Ann ne pût s’empêcher de poser une question. ‘’Caporal, qui contrôle réellement l’accès au vaisseau? Un officier de sécurité ou le Gardien?’’ ‘’Cela dépend, Docteur Shelton. L’ordinateur chargé de la sécurité, celui que vous et moi appelons ‘Gardien’, surveille constamment tous les accès et points stratégiques du MARCO POLO grâce à ses caméras et détecteurs éparpillés à l’intérieur du navire. Quand le niveau d’alerte est faible, comme maintenant, le Gardien avisera un

11 officier de sécurité dès qu’il découvrira quelque chose de suspect ou une intrusion possible. Cet officier décidera alors de l’action à prendre. Toutefois, si le navire est en état d’alerte élevée, le Gardien aura l’autorité d’agir immédiatement s’il juge qu’un danger imminent menace le vaisseau. Bien que sa réaction sera alors proportionnée à la menace, le Gardien peut utiliser jusqu’à de la force létale pour défendre le navire et son équipage. Cela répond t’il à votre question, Docteur?’’ ‘’Euh, oui. Merci beaucoup, Caporal.’’ Ann, à demi rassurée, resta silencieuse durant le reste du trajet. N’ayant pas accès aux protocoles de sécurité concernant le Gardien, elle ne pouvait juger si le danger potentiel qu’un dérèglement du Gardien poserait avait été étudié avec suffisamment de soin. Le Gardien, bien qu’étant un ordinateur possédant une haute intelligence artificielle, n’était encore après tout qu’une machine capable de pannes. Après avoir emprunté un élévateur cargo, leur plate-forme anti-gravité arriva au niveau de l’habitat principal, 400 mètres plus haut que le niveau des sas d’accès. Suivant un large tunnel sur plus de 600 mètres, le trio déboucha bientôt sur ce qui paraissait être l’air libre. Le ciel de Mirphak III était visible à perte de vue, entourant les 38 hectares couverts par les installations de l’habitat principal du vaisseau. Ann et Vyyn savaient que ceci n’était qu’une illusion, une image holographique de l’extérieur étant projetée sur la surface d’un immense dôme couvrant l’habitat. L’habitat principal avait été modelé à l’image d’une île tropicale située au milieu d’un océan aux eaux d’un magnifique bleu-vert. La bande d’océan entourant l’habitat n’avait en réalité qu’une largeur de 150 mètres, mais la profondeur maximum de l’eau atteignait plus de trente mètres, ce qui avait permis l’installation de choses telles qu’un dôme sous-marin et des répliques d’épaves de vaisseaux antiques.

Une population aquatique typique de

l’Océan Pacifique complétait l’illusion. L’effet total de cette illusion ne manquait toutefois jamais d’impressionner Ann.

Faysal stationna sa plate-forme le long d’une longue

promenade en bois surplombant une plage de sable fin, ce qui permit à Ann de constater que la plage était peu utilisée en ce moment.

Cela était actuellement

prévisible quand on considérait le fait que la population de l’habitat principal était passée d’un maximum de 13,000 personnes à un nombre plus typique de 3,000 occupants durant le dernier mois. Quand à la section des quartiers auxiliaires, située 200 mètres plus bas, elle était maintenant vide après avoir logé dans un confort quand même respectable plus de 40,000 colons durant l’année nécessitée par le voyage à partir

12 d’Alpha du Centaure. Rares avaient été les colons qui avaient boudé les conditions des quartiers auxiliaires, sachant que les seules autres places restantes à bord étaient les dix millions de cellules de survie cryogéniques contenues dans une autre section du vaisseau.

Ces cellules cryogéniques avaient été ajoutées durant la conception du

MARCO POLO, avec le but de fournir une capacité d’urgence si jamais une planète devait être évacuée à cause d’une catastrophe naturelle, telle que l’impact imminent d’un astéroïde géant. Un tel scénario, bien que peu probable, constituait toutefois une des missions secondaires du MARCO POLO.

Heureusement pour l’Expansion

humaine, ce scénario n’avait jamais eu besoin d’être mis en pratique. Le caporal Faysal indiqua de la main un édifice élégant de vingt étages situé au bord de la promenade, à cent mètres sur leur gauche. ‘’Votre immeuble, le bloc 57. Si vous voulez bien emprunter ce sentier.’’ Prenant les devants tout en traînant ses deux valises à roulettes, Ann s’engagea sur un sentier pavé de pierres plates montant en pente douce vers leur immeuble, qui surplombait d’une dizaine de mètres le niveau de la plage. Sur le côté du bloc opposé à la plage, un large patio abritait une piscine de taille respectable, un bar combiné à une table à buffet, ainsi que des tables et des chaises de patio. Une centaine de personnes se détendaient présentement dans des chaises longues ou étaient assises au bar quand Ann et Vyyn arrivèrent près de l’entrée de l’édifice.

Quelques un des baigneurs

saluèrent les deux femmes comme elles allaient pénétrer dans leur immeuble, ce qui attira une remarque de Faysal. ‘’Vous paraissez être bien connues sur le MARCO POLO, mesdemoiselles.’’ Vyyn se tourna partiellement vers lui, donnant au jeune homme une vue de son profil qu’il admira d’un rapide coup d’œil. ‘’C’est normal, Caporal, vu que nous devions communiquer avec beaucoup de gens à bord pour faire notre travail.’’ Le trio entra dans un ascenseur avant que Vyyn continue son explication. ‘’En tant que sociologues-historiennes, Ann et moi devions étudier le groupe de colons que le MARCO POLO a emmené ici, avant, pendant et après leur installation sur Mirphak III. Nous sommes principalement intéressées à la manière dont les colons vont s’adapter à leur nouvel environnement, en comparaison avec des cas historiques similaires. En établissant des liens avec les exemples passés, nous espérons éviter la répétition d’erreurs précédemment commises.’’

13 ‘’Si je comprends bien, votre travail est de comparer les sociétés humaines, présentes et passées, et d’en tirer des leçons?’’ ‘’En plein dans la cible, Caporal.’’ Confirma Ann. Le trio était maintenant dans le couloir central du quatorzième étage et s’arrêta bientôt devant une porte marquée 5714-A.

Le battant s’effaça devant Ann, exposant un intérieur qui, même selon les

standards très confortables du 41ème siècle, bordait sur le luxueux. Ann hocha la tête, impressionnée. ‘’Pas mal du tout! Cet appartement est pour moi ou pour Vyyn?’’ ‘’Pour vous, Docteur Shelton. Le Docteur Drelan a l’appartement 14-B, qui est pareil au votre. J’espère que ceci fera l’affaire?’’ ‘’Parfaitement, Caporal! Merci beaucoup de votre aide.’’ Répondit Ann avant de déposer un baiser sur le front du jeune homme. Faysal, visiblement content, la salua par réflexe militaire avant de déposer les bagages qu’il avait apporté et de pivoter avant de laisser les deux jeunes femmes seules.

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CHAPITRE 2 – RETOUR AU BERCAIL 14h03 (Heure locale) 4 février, 4021 Passerelle de commandement Croiseur d’exploration MARCO POLO Le commodore Henry Ferguson jeta un coup d’œil autour de lui avant de s’installer dans le siège réservé au capitaine du MARCO POLO. Les trois plates-formes superposées formant la passerelle étaient situées au centre d’une sphère creuse de quarante mètres de diamètre, dont la surface intérieure jouait le rôle d’écran de projection holographique panoramique. Cet écran reproduisait avec une haute définition le monde à l’extérieur du vaisseau.

Superposée à cette image panoramique,

l’information captée et traitée par les détecteurs à longue portée du croiseur permettait à l’équipage de la passerelle de piloter et, si nécessaire, de défendre le vaisseau avec les armes lourdes du bord.

En ce moment, seulement vingt membres d’équipage se

tenaient sur la passerelle, l’effectif normal pour un décollage de routine. ‘’Attention à tous, ici le Capitaine! Préparez vous à l’appareillage. Chefs de section, rapport par interphone.’’ Les différents officiers supérieurs du vaisseau se rapportèrent un à un presque immédiatement, leurs visages apparaissant à tour de rôle sur le petit écran intégré au bras gauche de la chaise de commandement de Ferguson. ‘’Second au rapport. Tout le personnel est présent à bord, ainsi que tous nos appareils auxiliaires.’’ ‘’Chef mécanicien au rapport.

Le vaisseau est prêt au décollage. Tous les

systèmes fonctionnent correctement. Les génératrices sont sous tension.’’ ‘’Sécurité au rapport. Les crans de sûreté sont en place sur tout l’armement. Les sas et accès sont fermés et verrouillés. Aucun intrus ou passager imprévu détecté à bord.’’ ‘’Quartier-maître au rapport. Tout le matériel en soute est arrimé de manière sécuritaire.’’ Henry Ferguson se tourna alors vers son officier des communications, dont le siège se trouvait à sa gauche et un niveau plus bas.

15 ‘’Lieutenant Tousla, déployez les écrans de communication extérieurs sur l’arc arrière. Branchez-les sur les caméras intérieures du grand salon. ‘’ À la surface de Mirphak III, les colons s’étaient réunis sur les toits des édifices pour saluer le départ du MARCO POLO. Des exclamations de surprise fusèrent quand, à la surface inférieure du bourrelet équatorial du croiseur, trois immenses panneaux rectangulaires se déployèrent, pivotants vers le sol et découvrant des écrans de projection géants. Une image apparût bientôt sur les écrans, montrant l’intérieur d’un salon occupé par une centaine de personnes saluant avec enthousiasme.

Des

amplificateurs invisibles relayaient également les bruits venant du salon, faisant vibrer l’air de Mirphak III. Lyyna Tshin, administratrice en chef de la colonie, se tourna vers son assistant, un homme trapu d’âge mûr. ‘’Des écrans extérieurs de projection pour pouvoir envoyer des messages à des races non-technologiques? C’est une idée de génie! En aviez vous connaissance, Yevgeni?’’ ‘’Non!’’ Répondit l’urbaniste d’origine russe. ‘’If faut dire que ceux qui ont conçu les plans du MARCO POLO semblent avoir pensé à tout. Le Commodore Ferguson peut être fier de son nouveau navire.’’ Après environ une minute de projection, les panneaux de communication se replièrent dans la coque et un léger mouvement ascendant du croiseur devint évident. Prenant lentement de l’altitude dans un silence total grâce à ses champs anti-gravité, le croiseur monta jusqu’à une altitude de 5,000 mètres avant d’accélérer son mouvement ascendant, ceci dans le but d’éviter de causer des dégâts au sol en utilisant sa propulsion moléculaire à trop basse altitude. Avec tous ses feux de navigation allumés, le MARCO POLO disparut de la vue des colons après un autre dix secondes. Sur la passerelle du MARCO POLO, Ferguson surveillait attentivement chaque phase du décollage : une masse de près de 3,700,000,000 de tonnes ne se bougeait pas à la légère, quelque soit la puissance de ses machines. Une panne de propulsion au mauvais moment et le vaisseau pourrait aplatir la colonie nouvellement établie. Une fois sorti de l’atmosphère de Mirphak III, le croiseur accéléra encore plus tandis que le navigateur pointait soigneusement le vaisseau ver Alpha du Centaure. En moins de huit heures d’accélération constante, le MARCO POLO passait l’orbite de Mirphak XII, la

16 dernière planète du système, à la moitié de la vitesse de la lumière. Comme le MARCO POLO approchait le seuil de la vitesse de la lumière et allait amorcer son voyage de retour de huit mois, il passa près d’un champ d’astéroïdes, mais pas assez près toutefois pour détecter un nuage de débris métalliques. Le nuage était en fait tout ce qui restait d’une sonde courrier envoyée d’Alpha du Centaure près d’un an auparavant, son message ultra-prioritaire perdu à jamais dans le vide sidéral.

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CHAPITRE 3 – ACCEUIL 16h46 (Heure de Kyoto Alpha) 17 octobre, 4021 Passerelle de commandement Croiseur d’exploration MARCO POLO Périphérie du système Alpha du Centaure A “Attention à tous! Nous entrons maintenant dans le système Alpha du Centaure A et sommes en dessous de la vitesse de la lumière. Nous devrions arriver à l’astroport de Kyoto Alpha dans environ vingt heures. Comme discuté auparavant, les chefs de sections seront prêts à présenter un inventaire complet de leurs besoins à l’atterrissage.” Le Commodore Ferguson coupa ensuite le circuit d’interphone et contempla l’étoile jaune centrée sur l’écran de la passerelle. À la gauche et en haut d’Alpha du Centaure A, une brillante boule orange marquait la position d’Alpha du Centaure B, tandis que Proxima du Centaure se montrait comme un petit point rouge en bas de l’écran. Après quelques minutes, la voix d’un des techniciens de détecteurs le tira de ses pensées. ‘’Six navires en approche rapide, venant de trois directions différentes. Interception dans deux minutes.’’ Le Lieutenant Tousla se tourna ver Ferguson, perplexe, quelques secondes plus tard. ‘’Nous recevons un message sommant de nous identifier, Commodore. Le ton n’est pas très amical.’’ ‘’Connectez moi sur leur fréquence d’appel, Lieutenant.’’

Grogna Ferguson,

appréciant peu de telles manières, surtout considérant que le MARCO POLO était supposé être attendu à cette date à Kyoto Alpha. Henry Ferguson contempla bientôt sur son écran personnel l’image d’un jeune lieutenant de l’astronavale de l’Expansion arborant un air suspicieux. ‘’Ici le Commodore Henry Ferguson, commandant du croiseur d’exploration MARCO POLO. Nous arrivons de Mirphak III et comptons nous poser à l’astroport de Kyoto Alpha, tel que prévu par notre plan de vol pré autorisé. Pourquoi cet accueil aussi agressif, Lieutenant?’’

18 ‘’Je suis désolé, Commodore, mais le système est en état de défense et tous les navires qui approchent doivent être interceptés et reconnus visuellement.’’ ‘’En défense? Mais contre quoi?’’ La question de Ferguson sembla irriter au plus haut point son interlocuteur, qui utilisa alors un ton qui lui aurait normalement attiré une accusation de manque de respect envers un supérieur. ‘’MAIS CONTRE LES MORGS, BIEN ENTENDU!

NOUS SOMMES EN

GUERRE DEPUIS DEUX ANS ET VOUS ME POSEZ UNE QUESTION PAREILLE?’’ Tout le personnel de la passerelle du MARCO POLO se figea de surprise à cette annonce, avant de s’exclamer.

Ferguson dû réclamer le silence avant de pouvoir

continuer sa conversation. ‘’Lieutenant, nous n’avons jamais été informé de cet état de guerre. Si vous voulez bien nous laisser passer, je compte fermement avoir le fin mot de cette histoire un fois posé à Kyoto Alpha.’’ Son interlocuteur perdit alors son air hostile et baissa le ton de sa voix. ‘’Désolé de mon manque de tact, Commodore. Les deux dernières années ont été pleines de tragédies pour l’Expansion et tout le monde est à bout de nerfs dans le système. Vous pouvez continuer votre route. Fin de transmission!’’ Une fois son écran vide, Ferguson se tourna vers Tousla, une dure expression sur son visage. ‘’Lieutenant, contactez l’Amirauté à Kyoto Alpha.

Trouvez moi quelqu’un

d’autorité avec qui je puisse parler sans perdre mon temps!’’ Il se brancha ensuite sur le circuit d’interphone général est s’adressa à tous les occupants du MARCO POLO. ‘’Je vous demande votre attention à tous! Ici le Commodore Ferguson. Nous venons d’entrer dans le système d’Alpha du Centaure mais avons été intercepté par une patrouille locale, qui nous a informé que l’Expansion humaine est en guerre depuis deux ans avec une race nommée les Morgs. J’espère en savoir plus bientôt et vous tiendrais au courant au fur et à mesure que nous recevrons d’autres informations.

Pour le

moment, nos plans pour après notre arrivée à Kyoto Alpha sont annulés et toutes les permissions sont suspendues jusqu’à nouvel ordre. Préparez vous pour le pire!’’ Ferguson se mit ensuite en contact avec son officier en second.

19 ‘’Capitaine Montoya! Mettez le navire en condition orange! Que les batteries de tir soient activées et prêtes à réagir en cas d’attaque surprise. Nous ne savons rien des capacités de ces Morgs, donc nous devons nous attendre à tout.’’ ‘’Bien compris, Commodore!’’ Le klaxon d’alerte retentit deux secondes plus tard dans tout le vaisseau, tandis qu’une vingtaine de membres d’équipage supplémentaires accoururent bientôt pour garnir les postes de contrôle de tir de la passerelle. Les seize canons désintégrateurs géants qui formaient l’armement principal du croiseur avec 24 tubes lance-missiles se déployèrent hors de leurs casemates protectrices, leurs tubes de 80 mètres de long et quatre mètres de diamètre à la bouche pointant dans toutes les directions. Une grande femme aux longs cheveux noirs et d’âge mûr portant les grades de capitaine de l’astronavale s’installa dans le siège immédiatement à la droite de Ferguson. Carla Montoya était l’officier en second du MARCO POLO depuis la mise en service du croiseur, trois ans plus tôt.

Extrêmement compétente, elle montrait toutefois peu de tolérance ou de

patience envers toute négligence ou retard dans l’exécution des ordres. Bien que cela la rende impopulaire auprès de l’équipage, Ferguson savait qu’il pouvait compter pleinement sur elle dans les situations difficiles. Le Lieutenant Tousla approcha Ferguson quelques minutes après l’arrivée de Montoya sur la passerelle. ‘’Commodore, je viens d’envoyer le message contenant votre requête. Toutefois, dû à la distance avec Kyoto Alpha, nous ne pourrons au mieux recevoir une réponse avant au moins dix heures.’’ Ferguson hocha la tête en signe de compréhension et remercia Tousla avant de se tourner vers son second. ‘’Rien ne sert de rester tous les deux sur la passerelle à attendre la réponse de Kyoto Alpha. Je vais donc aller faire un somme dans ma cabine de veille. Entretemps, je veux que le navire se rende le plus vite possible à Kyoto Alpha. Réveillez moi à la moindre alerte.’’ Il se leva ensuite de son siège et s’éclipsa de la passerelle pour se rendre à sa cabine de veille, située immédiatement en dessous du bloc passerelle. Montoya tourna la tête pour regarder le pilote, assis un demi-niveau plus haut et légèrement en arrière de sa propre chaise.

20 ‘’Lieutenant, adoptez un profil d’approche à haute performance vers Kyoto Alpha. Si le centre de contrôle de la circulation du système objecte, passez les moi!’’ ‘’Avec plaisir, Capitaine!’’ Répondit le pilote, trop heureux de pouvoir faire ce que les règlements habituels interdisaient. Huit heures plus tard, Henry Ferguson était de retour sur la passerelle, reposé et ayant pris le temps de manger quelque chose, et envoya Montoya prendre un peu de repos. Trois heures plus tard, Tousla lui présenta une feuille de papier, qu’il lut de haut en bas rapidement avant de le relire soigneusement. Le papier était un court message venant du quartier général de l’amirauté à Kyoto Alpha, la capitale de la quatrième planète du système. À:

COMMODORE HENRY FERGUSON, COMMANDANT DU H.S.S.

MARCO POLO. DE:

AMIRAL AKIRO NINTSU, COMMANDANT EN CHEF, SECTEUR

D’ALPHA DU CENTAURE. SUJET : ORDRE DE MISSION 082904021. 1. LE MARCO POLO SE RENDRA AU PLUS VITE À ALPHA DU CENTAURE A-IV, POUR SE POSER DANS LE SECTEUR MILITAIRE DE L’ASTROPORT DE KYOTO ALPHA. 2. LE MARCO POLO DEVRA ÊTRE PRÊT DÈS L’ATTERRISSAGE À EMBARQUER LE MAXIMUM DE RÉFUGIÉS CIVILS EN PLUS DE TOUT LE MATÉRIEL ET LES FOURNITURES REQUISES POUR LEUR RELOCALISATION ÉVENTUELLE DANS UN AUTRE SYSTÈME. 3. UNE FOIS CHARGÉ, LE MARCO POLO SE RENDRA SOUS ESCORTE À

SOL

III

POUR

Y

PRENDRE

DES

INSTRUCTIONS

SUPPLÉMENTAIRES. 4. LE SECTEUR D’ALPHA DU CENTAURE ÉTANT MENACÉ D’UNE ATTAQUE MASSIVE IMMINENTE DE LA PART DES MORGS, LE MARCO POLO SERA PLACÉ SOUS LES ORDRES DIRECTS DU GRAND ADMINISTRATEUR DU SYSTÈME, DJAEL ANAKER, QUI A ASSUMÉ LES POUVOIRS DICTATORIAUX D’URGENCE, ET CE JUSQU’À SON APPAREILLAGE.

21 5. L’ÉTAT D’ALERTE ROUGE EST EN VIGUEUR DANS TOUT LE SYSTÈME JUSQU’À NOUVEL ORDRE. ‘’Bon sang!

C’est pire que tout ce que j’imaginais!’’

Souffla Ferguson.

Activant

fébrilement les boutons sur son panneau d’interphone, il se mit à distribuer une série d’ordres brefs à ses officiers. ‘’Pilote, je veux être à Kyoto Alpha le plus vite possible. Vous pouvez jeter les règles de navigation par dessus bord si cela peut sauver du temps…Lieutenant Tousla, émettez de façon continue un signal de droit de navigation prioritaire jusqu’à notre atterrissage… Médecin-chef Perrier! Nous devrons bientôt aider à l’évacuation de la planète A-IV.

Activez la section des cellules cryogéniques et préparez vous à la

remplir… Quartier-maître! Préparez vous à recevoir le maximum de matériel que nos soutes pourront accepter. Nous décollerons en surcharge s’il le faut. Assurez vous qu’il n’y a pas d’espace gaspillé par des conteneurs vides et préparez vous à vous en débarrasser dès que nous aurons atterri… Officier du logement! Vous devrez être prêt dès l’atterrissage à loger le maximum de réfugiés civils dans les quartiers du bord. Réorganisez l’assignation des appartements attribués aux membres d’équipage et aux passagers actuels et serrez les à deux par chambres. Utilisez aussi tous les espaces adéquats disponibles comme dortoirs de fortune mais évitez les soutes cargo : elles seront bientôt remplies à capacité. Coordonnez vos préparatifs avec le Quartier-maître et le chef de la sécurité… Sécurité! Commencez à planifier les mesures de contrôle nécessaires pour embarquer un minimum de dix millions de personnes, en plus d’une quantité massive de matériel.

Prévoyez également la possibilité que des foules en

panique tentent d’embarquer de force à bord : que vos soldats soient prêts à tout!… À tous les chefs de section, il y aura une réunion d’urgence du groupe de commandement dans la salle de conférence du complexe passerelle dans trois heures. Le sujet discuté sera l’évacuation d’urgence d’Alpha du Centaure A-IV.’’ Une fois terminé, Henry Ferguson se redressa dans son siège et regarda le petit point bleu sur l’écran qui était actuellement la quatrième planète, une sentiment de désespoir le traversant. Même si le MARCO POLO réussissait à remplir ses soutes et quartiers et partait ensuite pour la Terre, cela ne ferait que sauver une infime partie de la population de la planète.

Si l’ennemi Morg ne pouvait être arrêté et prenait le système, un

massacre innommable s’ensuivrait probablement.

Comme il tentait de chasser ces

22 pensées horribles de sa tête, un des opérateurs de détecteurs s’exclama, attirant son attention. ‘’Bon sang! Regardez moi cette file de cuirassés de ligne! Je n’en aie jamais vu autant à la fois, même durant des exercices de flottes.’’ Ferguson regarda dans la direction pointée par l’opérateur et vît un groupe de 72 gigantesques cuirassés de ligne qui s’empressait vers le cadran nord-est du système. Chacun des cuirassés avait un diamètre de 1200 mètres et mesurait plus de 1700 mètres d’un bout à l’autre, en plus d’être armé de canons désintégrateurs qui faisaient paraître ceux du MARCO POLO comme de vulgaires jouets. Le groupe de cuirassé représentait par lui-même un total de puissance difficile à imaginer.

Malgré cela,

l’amirauté était suffisamment inquiète pour ordonner à Ferguson de faire évacuer tous les civils qu’il pouvait. Ferguson ne pût s’empêcher alors de déglutir avec difficulté.

23

CHAPITRE 4 – LE POIDS DU POUVOIR 13h44 (Heure de Kyoto Alpha) 18 octobre, 4021 Bureau du Grand administrateur Kyoto Alpha Alpha du Centaure A Le vidéophone sur le bureau de Djael Anaker, Grand administrateur du système Alpha du Centaure, émit un sourd ronronnement. L’homme aux cheveux grisonnants qui étendit la main pour prendre l’appel paraissait à la limite de l’épuisement, ses yeux rougis par le manque de sommeil et soulignés de poches proéminentes. ‘’Qu’est-ce que c’est, Mademoiselle Delmas?’’ Le visage de sa fidèle secrétaire, remplissant l’écran de son vidéophone, reflétait autant la fatigue que celui de son patron.

Âgée de 35 ans, elle semblait toutefois moins

épuisée qu’Anaker, qui était son aîné de plus de trente ans. ‘’Désolé de vous déranger, monsieur, mais l’Amiral Nintsu et deux de ses officiers demandent à vous voir d’urgence.’’ Anaker grimaça d’un sourire sarcastique. ‘’Une urgence, ça c’est original! Tous ceux qui veulent me voir depuis trois jours ont des raisons urgentes. Bon, vous pouvez les laisser entrer!’’ Le Grand administrateur se leva de derrière son bureau, autant pour étirer ses muscles endoloris que par politesse envers ses visiteurs. L’Amiral Nintsu entra en premier, suivi de deux officiers de l’astronavale.

Comme Anaker, ils manquaient visiblement de

sommeil. Anaker leur serra la main à tour de rôle et leur désigna un large fauteuil. ‘’S’il vous plaît, asseyez-vous, messieurs! Voulez vous du café ou du thé?’’ Nintsu grimaça avant de répliquer. ‘’Merci, mais non pour le café : si je bois une autre tasse, ça va me sortir par les oreilles.’’ Djael Anaker ricana à cette remarque : il ne tenait lui-même debout qu’en se gorgeant de caféine. Reprenant son siège derrière le bureau en bois massif, Anaker croisa ses doigts et s’appuya au dos rembourré de sa luxueuse chaise. ‘’Que puis-je faire pour vous, Amiral?’’

24 ‘’Grand administrateur, je crois que c’est moi qui peut faire quelque chose pour vous aujourd’hui.

Pour être plus précis, le Commodore Ferguson et son croiseur

d’exploration MARCO POLO peuvent vous rendre un fier service.’’ Anaker leva les sourcils, se sentant subitement plus réveillé. ‘’Vous avez un navire supplémentaire disponible pour l’évacuation de civils?’’ ‘’Exact, monsieur. J’ai donné ordre au MARCO POLO, qui revient d’une mission lointaine, de se poser au plus vite à Kyoto Alpha et de se mettre sous vos ordres.’’ ‘’Ah, enfin, une bonne nouvelle! Combien d’évacués peut-il prendre?’’ Nintsu afficha un large sourire avant de répondre. ‘’Onze millions.’’ ‘’ONZE MILLIONS?’’ S’exclama Anaker, sautant littéralement de sa chaise, le visage déformé par la surprise. Nintsu désigna alors du doit ses deux subalternes. ‘’Le Commodore Kempten et le Capitaine de vaisseau Grant sont ici pour vous informer de tout détail pertinent à ce sujet.’’ Kempten, un homme grand et mince dans la cinquantaine se leva de son siège et extirpa d’une poche un bloc-note électronique qu’il regarda de temps en temps tout en parlant. ‘’Le MARCO POLO est le premier exemplaire d’une nouvelle classe de croiseurs d’exploration et a été mis en service il y a trois ans.

Il revient d’une mission de

colonisation dans le système de Mirphak, à 633 années-lumière d’ici. Dans le cas qui nous préoccupe présentement, le MARCO POLO est admirablement équipé pour la situation : en plus d’une section pouvant contenir dix millions de cellules cryogéniques de survie, il existe une section de quartiers temporaires à bord. En se serrant un peu, on peut y loger un autre million de personnes. Ajoutez à cela une capacité d’emport en soute de 500 millions de tonnes, ou plus si l’on décolle en surcharge.’’ Anaker ne dit mot durant un moment, ne pouvant croire à un tel cadeau à un moment aussi désespéré. ‘’Commodore, les cellules cryogéniques sur le MARCO POLO, sont-elles compatibles avec le modèle de cellule que nous utilisons en ce moment pour accommoder nos citoyens dans les abris souterrains?’’ Le second officier subalterne, le Capitaine Grant, prît sur lui de répondre à cette question.

25 ‘’Les cellules sont interchangeables, monsieur.

De fait, elles sont du même

modèle. Je faisais partie de l’équipe de conception du MARCO POLO et connaît ce navire comme ma poche. Une joie sauvage remplit aussitôt le visage du Grand administrateur. ‘’Amiral Nintsu, vous m’avez bien dit que le MARCO POLO sera sous mes ordres dès son atterrissage?’’ ‘’Et ce jusqu’à son décollage, quand la flotte d’escorte l’encadrera pour son voyage vers la Terre.’’ Confirma Nintsu. Anaker resta pensif un court instant, tout en se frottant les mains de satisfaction. Il se retourna finalement vers Nintsu et le pointa du doit. ‘’Amiral, je veux que vous informiez le Commodore Ferguson que mon bureau s’occupera de choisir et d’acheminer jusqu’à son vaisseau les passagers et le matériel à embarquer.

J’ai aussi besoin de troupes pour assurer un périmètre de sécurité,

infranchissable pour des émeutiers, autour du MARCO POLO. De plus, j’aimerais que vous contactiez l’Amiral Garth pour qu’il fournisse une flotte d’escorte adéquate pour cette opération vitale à la survie de mon peuple.’’ Nintsu se mit debout au garde-à-vous et salua Anaker. ‘’Pas de problèmes pour les troupes, monsieur : J’ai 12,000 commandos et 6,000 robots de combat qui seront mis en charge de la sécurité du MARCO POLO. Quand à l’Amiral Garth, il m’a assuré qu’il enverrait tout ce qui sera disponible.’’ ‘’Parfait! Un dernier point, Amiral. Puis-je emprunter les services du Capitaine Grant pour une période indéterminée? Je vais avoir grand besoin de ses connaissances sur le MARCO POLO.’’ Nintsu regarda Grant, qui se mit au garde-à-vous. ‘’Capitaine Grant, vous êtes à partir de maintenant détaché auprès du Grand administrateur en tant qu’officier spécial de liaison. Vous avez ma pleine autorité pour réquisitionner tout personnel ou équipement que vous jugerez indispensable pour l’opération du MARCO POLO. Avez vous des questions?’’ ‘’Non, Amiral!’’ ‘’Bien! Grand administrateur, si vous avez besoin d’autre chose, n’hésitez pas à m’appeler.’’ Anaker serra chaleureusement les mains de Nintsu et de Kempten avant de les reconduire à la porte de son bureau. Il retourna ensuite à son vidéophone et l’activa.

26 ‘’Mademoiselle Delmas, envoyez immédiatement à mon bureau tous les administrateurs-adjoints présent dans l’édifice pour une réunion d’urgence.’’ Se tournant alors vers Grant, Anaker prit un air grave. ‘’Capitaine, quinze minutes plus tôt je désespérait de sauver un seul de mes concitoyens restant encore sur cette planète.

Grâce à vous et au Commodore

Ferguson, la race centaurienne survivra même si les Morgs gagnent cette bataille.’’

27

CHAPITRE 5 – PLAN DE BATAILLE 17h39 (Heure de Kyoto Alpha) 18 octobre, 4021 Centre des opérations H.S.S. INVINCIBLE Orbite haute, Kyoto Alpha L’Amiral de la flotte Lex Garth fixa tour à tour ses commandants de flottilles, debout comme lui autour d’un écran sphérique de situation tactique d’un diamètre de deux mètres. ‘’Merci à tous d’être venus avec un préavis aussi court, messieurs. Le temps étant strictement limité, je vous demanderais de garder vos questions pour la fin. Nos patrouilles avancées viennent de nous avertir que le dernier des navires éclaireurs ennemis a été forcé de repasser dans le tunnel inter-dimensionnel formé par les Morgs aux confins du système. Le moment est maintenant propice pour déployer notre flotte pour la bataille. Vice-amiral Konovalov!’’ Le deuxième officier à la droite de Garth se raidit à l’annonce de son nom. ‘’Konovalov, vous serez en charge de la flotte d’embuscade, comprenant les deuxième et troisième flottilles de croiseurs légers, la douzième division de croiseurs lourds et les 340 intercepteurs du Contre-amiral Janata.

Vous appareillerez

immédiatement pour poster vos forces en orbite basse autour d’Alpha du Centaure A, en prenant soin de rester au dessus de la face opposée au tunnel inter-dimensionnel morg. Déployez des sondes relais pour rester en contact avec moi, mais évitez la détection à tout prix!

Vous ne sortirez de votre cachette que sur mon ordre express.

Bonne

chance!’’ Konovalov salua Garth et s’empressa ensuite de quitter le centre des opérations du navire amiral. Garth continua aussitôt son exposé sans délai. ‘’Vice-amiral Yonan! Vos 360 intercepteurs seront renforcés par les 48 frégates du Contre-amiral Jibril et formeront la force de couverture. Votre mission sera de vous concentrer dans la ceinture d’astéroïdes près de la bouche du tunnel morg et d’attendre la sortie de la flotte ennemie. Notre force principale concentrera à ce moment un feu dense de radiation synchrotron sur l’ennemi pour le forcer à masquer et protéger ses

28 détecteurs. Une fois aveuglé, vous attaquerez l’ennemi avec des passes continues dans le but de leur causer le maximum de pertes. Vous décrocherez sur mon ordre ou si les Morgs engagent une poursuite.’’ ‘’Oui, Amiral!’’ ‘’Amiral Burnside! Vos 106 cuirassés ainsi que l’INVINCIBLE constitueront la force principale, qui se placera à mi-chemin entre le tunnel morg et la quatrième planète. Votre mission sera de frapper dur l’ennemi par des tirs à longue portée, lui causer le maximum de pertes et lui bloquer à tout prix le chemin de la planète A-IV. Faites un usage libéral de vos batteries à radiation synchrotron.’’ ‘’Bien compris, Amiral!’’ ‘’Contre-amiral Juarez! Douze de vos cuirassés, ainsi que 112 intercepteurs commandés par le Commodore Akamura, formeront ma réserve.

Restez en orbite

autour de A-IV et surveillez la bataille attentivement pour déceler tout groupe ennemi qui tenterais de s’infiltrer au travers de nos lignes.’’ Le puissant homme basané à qui s’adressait Garth fronça les sourcils, apparemment confus. ‘’Et mes six autres cuirassés, où seront-ils, Amiral?’’ ‘’Ils seront détachés comme groupe d’escorte pour le croiseur d’exploration MARCO POLO, qui va bientôt se poser à Kyoto Alpha. Le MARCO POLO va tenter d’évacuer jusqu’à onze millions de Centauriens vers la Terre. Il va sans dire que cet objectif a la plus haute priorité après la défense du système.’’ Garth fixa de nouveau ses subalternes avant de continuer. ‘’Messieurs, les Morgs gagnent jusqu’à présent à cause de leur damné tunnel inter-dimensionnel, qui leur permet de concentrer instantanément leurs forces entières dans un système donné, alors que nous étions forcés de rester éparpillés au travers de l’Expansion.

Leurs succès nous ont toutefois donné un atout : après avoir perdus

presque tous les systèmes de l’Expansion un après l’autre dans ce cadran, à part de Sol et d’Alpha du Centaure, nous pouvons finalement concentrer nos forces là où une attaque morg est imminente. De plus, n’ayant pas besoin comme nous d’utiliser des systèmes propulsifs à hautes performances pour les voyages interstellaires, les vaisseaux morgs sont plus lents et moins agiles que les nôtres dans un combat à l’intérieur d’un système. Utilisez ces atouts! Restez concentrés et poussez vos navires comme jamais auparavant. Le sort de deux milliards de Centauriens est entre nos mains. Bonne chance et bonne chasse!’’

29

17h51 (Heure de Kyoto Alpha) Habitat principal du MARCO POLO ‘’ATTENTION À TOUS! NOUS ARRIVERONS A KYOTO ALPHA DANS UN PEU PLUS D’UNE HEURE.

LA RÉASSIGNATION DES QUARTIERS DOIT ÊTRE

COMPLÉTÉE D’ICI LÀ.’’ Ann Shelton poussa un soupir d’agacement en entendant l’annonce de l’interphone du bord, mais redoubla d’effort pour transporter ses biens personnels dans la chambre à coucher maîtresse de sa suite. La sonnette de la porte d’entrée l’interrompit de nouveau une minute plus tard.

La grimace qu’Ann arborait en ouvrant la porte fut toutefois

remplacée par un sourire à la vue de Vyyn Drelan. courbée sous le poids de ses valises.

Ann s’empressa d’aider Vyyn,

La Centaurienne s’excusa de son arrivée

imprévue avant de se diriger vers la chambre maîtresse à la suite d’Ann. ‘’J’aurais dû te prévenir que je devais emménager dans ton appartement, mais j’étais si occupée. En passant, sais-tu que deux autres personnes doivent également emménager ici?’’ ‘’Non, et tu m’en vois ravie! Bah, ils pourront prendre la chambre des invités.’’ La sonnette d’entrée retentit comme Ann finissait sa phrase. ‘’Quand on parle du loup…’’ Allant à la porte d’entrée, Ann l’ouvrit et se retrouva face à face avec les silhouettes massives de deux hommes dont les muscles et la carrure signalaient leur appartenance probable au corps des commandos de l’astronavale. Ann sentit son estomac s’aigrir quand elle reconnut Mark Dempster et Tony Vinelli, les deux coureurs de jupons les plus notoires et aussi les moins modestes du bord. Dempster grimaça de plaisir quand il la reconnut en retour. ‘’Ann! Que le hasard fait bien les choses! Moi et Tony avons été assignés à cet appartement, alors nous voilà!’’ Ann allait répondre avec un mot choisi quand la voix de Vyyn se fît entendre de la chambre maîtresse. ‘’Et alors, Ann, qui est-ce?’’ Vinelli arbora un air béat en l’entendant. ‘’Vyyn Drelan est ici?’’ ‘’Vyyn, j’ai deux mauvaises nouvelles!’’ Lança Ann subitement démoralisée.

30

18h10 (Heure de Kyoto Alpha) Passerelle de commandement du MARCO POLO ‘’Commodore Ferguson, ici le Capitaine Grant, attaché temporairement au bureau du Grand administrateur Anaker. J’ai été chargé de planifier et coordonner le chargement de votre vaisseau une fois au sol.’’ L’image de Grant sur l’écran personnel de Ferguson reflétait le délai de deux secondes causé par la distance entre les deux interlocuteurs. Actuellement, après des heures de préparations fébriles, Ferguson était content d’apprendre que quelqu’un sur la planète travaillait à simplifier le chargement de son navire. ‘’Capitaine Grant, votre aide est grandement appréciée, je vous assure. Présentement, mon plus gros souci est de savoir si nous allons avoir le temps de remplir nos cellules de survie cryogéniques. Comme vous devez le savoir, if faut un minimum de vingt minutes pour préparer un individu au sommeil cryogénique, charger la cellule et la vérifier avant le stockage. De plus, nous devrons séparer les très jeunes bébés, qui supportent mal le sommeil cryogénique, ainsi que leurs mères, pour qu’ils soient accommodés dans les quartiers d’habitation du vaisseau.’’ Grant sourit après deux secondes, visiblement préparé à la question de Ferguson, et saisit un bloc-note électronique. ‘’Ce problème est déjà réglé, Commodore.

Plus d’un demi-milliard de

Centauriens sont déjà en sommeil cryogénique dans les abris souterrains et le processus se poursuit en ce moment. J’ai fait transporter quinze millions de cellules chargées à proximité de l’aire d’atterrissage numéro cinq, qui est réservée au MARCO POLO. Le rassemblement des poupons et de leurs mères au terminus des passagers devrait être complété avant votre arrivée.’’ ‘’Quinze millions de cellules? Mais, notre voûte cryogénique ne peut en contenir que dix millions.’’ ‘’Correct, Commodore. Toutefois, le voyage vers la Terre devrait prendre au plus quatre jours. Chaque cellule de survie peut fonctionner deux mois sur sa propre source d’énergie, ou indéfiniment si on la branche sur le courant du bord. En conséquence, j’ai fait remplir des modules cargos avec cinq millions de cellules.

Ces modules ont

également été équipés de génératrices portatives à fusion et d’ordinateurs pour la supervision des cellules. Les modules devraient pouvoir fonctionner indépendamment

31 pendant deux ans. J’aurais préparé plus de modules cargos mais nous devions laisser de la place pour le matériel et les fournitures nécessaires pour tant de personnes.’’ ‘’Une idée excellente, Capitaine. Et si la Terre ne peut accommoder tous ces réfugiés, quelle est l’alternative?’’ ‘’Mirphak III! Le système est à l’opposé du cadran attaqué par les Morgs à date et bénéficie de conditions d’occupation idéales.

Le matériel qui était prévu pour la

deuxième phase de colonisation de Mirphak est en cours de rassemblement près de l’aire numéro cinq.’’ Ferguson poussa un soupir de soulagement : un poids énorme venait de s’enlever de ses épaules. ‘’Capitaine Grant, j’espère pouvoir vous serrer la main avant notre départ pour la Terre. Vous êtes une véritable bénédiction.’’ Coupant la transmission avec l’extérieur, Ferguson resta pensif un moment avant d’activer de nouveau son vidéophone. ‘’Maître ordinateur, ici le Commodore Ferguson. Voici mes instructions pour les opérations à venir…’’

32

CHAPITRE 6 – CONTACT 20h37 (Heure de Kyoto Alpha) 18 octobre, 4021 Passerelle du croiseur léger KARAKAN Force de couverture ‘’Nos navires sont tous en position, masqués par les astéroïdes et prêts à l’action, Amiral.’’ Le Vice-amiral Li Yonan accusa réception du rapport de son officier des opérations avant de retourner son attention vers l’écran de situation tactique. Le sentiment qu’il négligeait quelque chose le tracassait depuis que sa flotte de frégates et d’intercepteurs était arrivée dans la ceinture d’astéroïdes, à proximité de l’immense puit de lumière qui marquait la bouche du tunnel inter-dimensionnel morg. Se redressant soudain dans sa chaise de commandement, Li proféra un juron et se mit en contact avec son adjoint, le Capitaine Ahmed Jibril. ‘’Jibril, ici Yonan. Envoyez immédiatement quatre de vos frégates pour miner l’orifice de ce maudit tunnel morg. Cela aidera à occuper les Morgs dès leur arrivée dans le système et, espérons le, leur fera manquer la présence de nos navires.’’ ‘’Bien compris, Amiral.

Puis-je aviser l’Amiral Garth de la présence de mes

frégates dans leur champ de tir?’’ ‘’Bien sûr, Jibril! Évitons le plus possible les tirs fratricides.’’

20h43 (Heure de Kyoto Alpha) Passerelle de commandement Frégate CORINTHIA Force de couverture ‘’Nous larguons nos dernières mines maintenant, Commandant.’’ ‘’Parfait!

Donnez deux minutes aux autres frégates pour qu’elles puissent

s’éloigner avant d’armer les mines à distance.’’ Le Commandant Yoko Teno faisait de son mieux pour cacher sa nervosité à son équipage mais n’était pas certaine d’y réussir complètement.

La mission de miner

33 l’entrée du tunnel inter-dimensionnel morg que le Capitaine Jibril lui avait confié était extrêmement risquée, avec la flotte d’attaque morg pouvant apparaître à tout moment. Le plus tôt ses quatre frégates pourront rejoindre le reste de la force de couverture, le mieux cela sera. Un cri d’alarme venant d’un des opérateurs de détecteurs la fît alors sursauter. ‘’CONTACT!

PLUSIEURS NAVIRES VIENNENT D’APPARAÎTRE DANS

L’ORIFICE DU TUNNEL MORG. D’AUTRES NAVIRES CONTINUENT D’ARRIVER À UNE CADENCE RAPIDE.’’ ‘’MAX, ALERTEZ LA FLOTTE!’’ Riposta Teno. ‘’PILOTE, SORTEZ NOUS D’ICI AU PLUS VITE! CONTRÔLE DE TIR, FEU À VOLONTÉ SUR LES NAVIRES MORGS LES PLUS PROCHES!’’ Son second, Borel Karpan, la regarda alors avec un air horrifié. ‘’Commandant, les mines : nous sommes encore dans leur champ d’action! Si nous attendons avant de les armer, les Morgs pourront passer sans pertes.’’ Teno sentit son sang se glacer à ces mots : Karpan avait raison mais, si elle donnait l’ordre d’armer les mines maintenant, ses frégates seraient probablement détruites par les mines qu’ils venaient de semer. Yoko fut incapable de parler pendant quelques secondes. Elle réussit finalement à se dominer et donna un ordre d’une voix ferme. ‘’ARMEZ LES MINES MAINTENANT!’’ Plus de 300 cylindres noirs flottant dans l’espace à l’entrée du tunnel morg se mirent subitement en mouvement, accélérant à un rythme fulgurant vers les navires à portée de leurs détecteurs. Conçues pour être extrêmement difficiles à détecter, chaque mine était armée d’une charge thermonucléaire de cinq mégatonnes et étaient presque impossibles à éviter une fois activées. En moins de trente secondes, 57 navires lourds morgs et trois frégates humaines s’évaporèrent dans une série d’éclairs fulgurants. Neuf autres navires morgs et une frégate humaine souffrirent de détonations nucléaires proches, tandis que quatre navires morgs réussirent à passer indemnes.

20h46 (Heure de Kyoto Alpha) Passerelle de la frégate CORINTHIA L’ouragan causé par la décompression explosive se calma subitement, tout l’air de la passerelle ayant été aspiré dans le vide sidéral. Borel Karpan fixa péniblement

34 son panneau de contrôle. Sa vision était floue et il maîtrisait avec peine l’envie de vomir à l’intérieur de sa combinaison spatiale. La raison de son malaise devint apparente à la lecture de son compteur de radiations. ‘’Commandant Teno, nous…nous avons reçu une dose interne de 570 grays. Nous devons évacuer le navire.’’ Ne recevant pas de réponse de Teno, il se tourna vers le siège du commandant et ravala sa salive : Yoko Teno gisait inerte dans son siège, un large fragment métallique transperçant sa combinaison spatiale à la hauteur du ventre.

20h49 (Heure de Kyoto Alpha) Passerelle du croiseur léger KARAKAN ‘’Aucune réponse du CORINTHIA, Amiral. Le navire est à la dérive et aucune de ses chaloupes de sauvetage ne s’est détachée.’’ Le cœur de Li Yonan se serra à ces mots : près de 240 hommes et femmes venaient de payer de leur vie sa décision de faire miner l’ouverture du tunnel morg. Il lui incombait maintenant de s’assurer que leur sacrifice n’avait pas été en vain. ‘’Jibril, prenez vos frégates et détruisez les quatre navires morgs qui ont réussi à se faufiler au travers du champ de mine. Détection, quel est le statut de nos mines?’’ ‘’Sur 315 mines larguées, 72 ont détoné, Amiral.

263 mines sont encore

opérationnelles…correction, sept autres mines viennent de détoner contre de nouveaux arrivants morgs. Il y a présentement 32 navires lourds morgs intacts à la sortie du tunnel inter-dimensionnel et ce nombre croît rapidement.’’ ‘’Merci!

Contrôle tactique, ici Yonan!

Que les intercepteurs commencent à

attaquer les Morges près de l’embouchure du tunnel. Procédez par vagues successives de division, espacées de trente secondes. Qu’ils tirent le quart de leurs missiles par attaque mais qu’ils fassent certain de rester hors du champ d’action de nos mines!’’

20h54 (Heure de Kyoto Alpha) Intercepteur AC3027 Force de couverture

35 La voix de leur chef de division, Iegi Minamoto, résonna dans les écouteurs de casque de l’équipage de l’intercepteur de cent mètres de long qui se précipitait maintenant à l’attaque. ‘’Division 27, course en zigzag et accélération maximum maintenant!

Tir de

missiles à portée maximale, suivi d’un tir concentré de division avec les canons désintégrateurs sur le vaisseau de premier rang morg directement dans notre trajectoire de vol.

Redressez à mon signal, ou au plus tard avant de pénétrer la formation

ennemie. Notre force principale devrait ouvrir le feu bientôt. Bonne chance à tous!’’ L’intercepteur, ainsi que les 17 autres appareils de sa division, était armé de deux batteries d’armes lourdes à l’extrémité de son empennage cruciforme, ainsi que de tubes lance-missiles. Sous le contrôle de l’ordinateur tactique, une salve de dix missiles quitta les tubes, secouant les huit membres d’équipages dans leurs combinaisons spatiales.

Presque aussitôt après, des traits violets aveuglants encadrèrent

l’intercepteur. ‘’Trois cuirassés morgs nous arrosent au canon à anti-matière!’’ Annonça Jorge Canseco, l’officier de tir de l’intercepteur. ‘’Je passe en manuel!’’ Répliqua le pilote, Robert Busson, qui se mit à ballotter son appareil à un rythme endiablé tout en restant dans la ligne de vol du reste de la division. À son soulagement, les jets d’anti-matière devinrent moins serrés autour de son intercepteur. ‘’Nous sommes à portée de désintégrateur!’’

S’exclama Canseco avant de

presser son bouton de tir. ‘’Tir continu, c’est gratuit!’’ Deux rayons bleus fusèrent de leurs canons, auxquels s’ajoutèrent les décharges de désintégrateurs des 17 autres intercepteurs. Un cuirassé morg fut atteint après une seconde de tir, un rayon vaporisant une large bande de sa coque extérieure. D’autres rayons se joignirent bientôt au premier, causant plus de dégâts extérieurs avant de se frayer un chemin jusqu’au cœur du navire. Un éclair éblouissant annonça la fin du cuirassé morg après quatre secondes de tir. Juste comme le commandant de division ordonnait de briser le contact et que Busson redressait brutalement son appareil, un éclair aveuglant couvrit tout l’hémisphère droit de l’écran holographique du poste d’équipage. ‘’Sommes nous touchés?’’ Demanda Busson, inquiet. Dyy Jonan, l’ingénieur du bord, secoua la tête.

36 ‘’Négatif!

Nous avons juste quelques détecteurs temporairement aveuglés.

L’explosion venait d’un autre intercepteur.’’ Le cœur battant, les huit humains contemplèrent leurs écrans comme ils s’éloignaient rapidement de la flotte ennemie pour laisser le champ libre à une seconde vague d’attaque d’intercepteurs. Un rapport radio de Minamoto à l’Amiral Yonan les renseigna bientôt sur les résultats de leur attaque. ‘’Division 27 à KARAKAN.

Nous avons brisé le contact et retournons en

formation. Huit cuirassés morgs détruits, plus trois autres endommagés. Nous avons perdu la AC3014.’’ ‘’JACK, NON!’’ Busson tourna sa tête vers Sylvia Morgan, une des préposés aux détecteurs, et la vît en train de sangloter dans son siège. Busson serra les poings mais ne dit rien et se concentra sur le pilotage de son appareil. Ils auraient certainement à pleurer beaucoup plus de pertes avant la fin de cette bataille.

21h04 (Heure de Kyoto Alpha) Passerelle du cuirassé DUC DE FER Force principale ‘’Amiral, l’Amiral Yonan rapporte qu’il engage l’ennemi depuis neuf minutes. À date, 88 vaisseaux ennemis ont été détruits et douze autres endommagés. Il a luimême perdu six frégates et deux intercepteurs.’’ Sam Burnside se contenta de hocher la tête, l’air impassible, pendant qu’il continuait de regarder les écrans. L’officier aux cheveux grisonnants était un partisan de la vieille école : un chef calme et posé était le meilleur remède selon lui pour les nerfs de ses subalternes en temps de crises. Intérieurement, toutefois, Burnside était content des résultats obtenus par la force de couverture. Il était maintenant temps de fournir à Li Yonan un support bien mérité. ‘’À tous les navires de la force principale, ouvrez le feu avec les canons synchrotrons! Tir continu à puissance maximum sur la flotte morg!’’ Un rayon mauve d’un diamètre de quatre mètres surgit de la bouche d’un gigantesque canon installé en casemate dans la proue du cuirassé, imité par 105 autres cuirassés et par le navire-amiral, l’INVINCIBLE. Ce dernier, un astéroïde convertit en vaisseau de six kilomètres de long par un diamètre maximum de quatre kilomètres, était équipé de

37 cinq canons synchrotrons géants dont la puissance égalait presque l’énergie totale délivrée par les 106 cuirassés de l’Amiral Burnside. Plus de 900 térawatts/seconde de radiations pénétrantes commencèrent à arroser la flotte morg.

21h05 (Heure de Kyoto Alpha) Poste de commandement Navire-amiral morg Le Maître-pilote morg n’aimait pas du tout le déroulement de cette bataille. L’effet de surprise escompté avait été complètement raté : jamais l’Empire morg n’avait fait face à une flotte ennemie aussi puissante. De plus, les damnés engins explosifs automatisés des Humains avaient semé la confusion dans l’armada, confusion que la vermine humaine utilisait avec beaucoup trop d’adresse à son goût.

Toutefois, la

victoire ne faisait aucun doute : les Humains étaient toujours écrasés par l’avantage numérique des Morgs, qui était de quinze contre un. Le Maître-pilote morg, ressemblant à une araignée géante couverte d’une épaisse fourrure grise, tira une longue langue rugueuse et activa un contact sur sa litière de commandement. Un sifflement aigu l’interrompit avant qu’il put s’adresser à ses subalternes, le faisant grogner avec irritation. ‘’L’alarme? Que se passe t’il encore?’’ Un de ses huit yeux remarqua alors sur ses écrans que l’espace entourant l’armada était maintenant baigné d’une lueur mauve.

L’écran d’observation avant se remplit de

parasites et cessa de fonctionner presque aussitôt. ‘’Conducteur tactique, rapport, immédiatement!’’ Le Morg désigné s’empressa vers la litière du maître-pilote, reposant son ventre velu sur le plancher en signe de respect. ‘’Maître-pilote, les Humains nous bombardent avec des radiations concentrées d’une intensité jamais vue auparavant. Nos détecteurs commencent à flancher en série et j’ai dû en conséquence faire ausculter les récepteurs avant.

Au rythme actuel

d’exposition, nos navires les moins protégés, les transports de troupes, seront fatalement irradiés d’ici peu.’’ ‘’D’où vient ce bombardement? astéroïdes?’’

Du groupe d’Humains caché dans les

38 ‘’Non, Maître-pilote! Il vient des unités lourdes ennemies qui nous bloquent la route directe vers la quatrième planète. Quels sont vos ordres?’’ ‘’Nous ne pouvons risquer de perdre nos troupes d’invasion pour si peu. Que les transports et les navires de bombardement, escortés par la moitié de nos unités légères, quittent la formation immédiatement. Ils contourneront le flanc droit de la flotte lourde ennemie et attaquerons la quatrième planète.

L’autre moitié de nos unités légères

dispersera l’ennemi qui se trouve dans le champ d’astéroïdes. Tous nos navires de premier rang engagerons les navires lourds ennemis. Exécution!’’

21h06 (Heure de Kyoto Alpha) Passerelle du croiseur léger KARAKAN Force de couverture ‘’À toutes les unités, ici Yonan! Avancez immédiatement jusqu’à la périphérie du cône de radiations baignant la flotte morg et ouvrez le feu à volonté au désintégrateur. Ne tirez pas de missiles : leur électronique ne résisterait pas aux radiations.’’ L’occasion était trop belle pour ne pas en profiter, songea Li. L’ennemi était pour le moment pratiquement aveugle et dans l’incapacité de tirer avec la moindre précision sur ses navires.

Il regarda l’officier des détecteurs, assise un niveau plus bas sur le

complexe passerelle. ‘’Quelle est l’intensité du champ de radiations qui baigne la flotte ennemie, Lieutenant Egberd?’’ Frida Egberd effectua un calcul rapide avant de lui répondre. ‘’Environ six grays par mètre carré par seconde, Amiral. Leurs navires légers ne pourront pas supporter cela très longtemps.’’ ‘’Parfait! Soyons prêts à les accueillir si jamais ils tentent de sortir du champ de radiation.’’ Quatre cent frégates et intercepteurs se mirent rapidement en position sur le flanc droit de la flotte morg et commencèrent à tirer sans relâche avec leurs canons désintégrateurs. La riposte des Morgs s’avéra furieuse mais manqua totalement de précision. Toutefois, un simple frôlement de la part d’un jet d’anti-matière morg suffisait pour détruire totalement le navire humain touché, tandis que les désintégrateurs prenaient de précieuses secondes pour pénétrer le blindage des navires morgs et

39 causer des dégâts significatifs.

Li Yonan suivit avec une impatience grandissante

l’échange de tir durant plus de deux minutes avant d’entrer en contact radio avec la force principale. ‘’Amiral Burnside, ici Yonan.

J’aurais besoin que vous coupiez le tir de vos

canons synchrotrons pendant quinze secondes, pour me permettre de tirer une salve massive de missiles à bout portant au cœur même de la flotte morg.’’ ‘’Ce serait risqué, Yonan : cela permettrait aux Morgs d’ajuster leur tir contre vous.’’ ‘’Le risque est raisonnable, Amiral : leurs détecteurs doivent être à moitié grillés maintenant.’’ ‘’Hum… D’accord! Soyez prêt à tirer vos missiles dans une minute.’’ Après avoir coupé le contact avec Burnside, Yonan n’eut que le temps de passer ses instructions à ses subordonnés avant que la pluie de radiation ne s’interrompe. Vingt milles missiles s’élancèrent aussitôt vers l’ennemi. Ce dernier prît quelques précieuses secondes avant de constater l’arrêt du tir des canons synchrotrons et de démasquer ses détecteurs primaires.

Cinq autres secondes furent nécessaires aux Morgs pour

recalculer leurs plans de tir et mettre en batteries leurs défenses anti-missiles. Les Morgs n’eurent en tout que trois secondes pour délivrer un tir efficace avant l’impact des missiles des Humains. Les trois secondes suivantes signèrent l’anéantissement de plus de 5,000 vaisseaux lourds morgs dans une orgie d’explosions nucléaires. Les trois secondes de tir par 7,000 navires morgs suffirent toutefois pour évaporer 346 des navires du Vice-amiral Yonan.

Seul le recommencement du tir par les canons

synchrotrons de la force principale empêcha l’élimination complète de la force de couverture.

21h11 (Heure de Kyoto Alpha) Centre des opérations H.S.S. INVINCIBLE Force principale Lex Garth serra les poings de rage comme il contemplait le déroulement de la bataille sur son écran tactique. La flotte morg avait été éviscéré, mais au prix de plus de 4,000 morts, dont Li Yonan.

Seul 34 intercepteurs et six frégates, tous à court de

40 munitions, avaient échappé au carnage final. Se tournant vers un de ses aides, Garth lui enjoignit de prendre des notes. ‘’Renvoyez les survivants de la flotte de couverture vers notre flottille de support logistique en orbite autour de A-IV. Qu’ils se réarment et se réapprovisionnent au plus vite avant de joindre les six cuirassés de Juarez désignés comme escorte pour le MARCO POLO. Préparez aussi un message codé via sonde relais pour le Vice-amiral Konovalov : nous détectons ce qui semble être la force d’assaut amphibie ennemie se détacher du reste de la flotte morg. Qu’il reste caché pour le moment mais qu’il soit prêt à les accueillir. Je vais faire semblant d’être trop occupé avec les cuirassés morgs pour leur barrer le chemin. S’il rate son coup, A-IV est cuite!’’ Comme son aide s’éloignait pour faire passer ses directives, Garth se remit à étudier l’écran tactique. L’INVINCIBLE et les 106 cuirassés de Burnside étaient encore aux poignes avec près de mille vaisseaux lourds morgs. Trois milles autres navires ennemis amorçaient maintenant un large mouvement tournant vers le flanc droit. Un, puis deux points marquant des cuirassés humains disparurent alors en quelques secondes de l’écran tactique. Garth jura : l’ennemi semblait avoir trouvé le moyen d’ajuster son tir malgré le feu continu des canons synchrotrons. Garth pensa amèrement qu’après tout il pourrait réellement être bientôt trop occupé pour pouvoir bloquer la route de la force d’assaut ennemie.

21h48 (Heure de Kyoto Alpha) Passerelle du croiseur lourd KATANA Force d’embuscade ‘’Amiral, pouvez-vous venir examiner l’écran de transmission de données? Quelque chose de curieux se passe chez les Morgs.’’ Andrei Konovalov se dépêcha de joindre son officier des opérations, une petite femme délicate dans la trentaine, craignant une mauvaise surprise de la part de l’ennemi. Il examina un écran holographique montrant l’avance de la flotte d’assaut amphibie morg, qui était maintenant près du soleil jaune à l’opposé duquel se cachait la flotte de Konovalov. Une autre heure et la flotte ennemie serait dans les arrières de la force principale de l’Amiral Garth. À première vue, Konovalov ne vît rien de particulier. ‘’Que dois-je regarder, Capitaine Kenotsu?’’

41 ‘’Le mouvement individuel des navires morgs est bizarre, erratique, Amiral. Deux transports de troupes morgs viennent juste d’entrer en collision! C’est comme si on regardait un groupe d’ivrognes tenter de marcher en cadence.’’ Konovalov resta perplexe un moment, examinant attentivement le mouvement des points rouges dénotant les vaisseaux morgs sur l’écran. Une lueur de plaisir s’alluma soudain dans ses yeux. ‘’Ce ne sont pas les Morgs qui sont soûls, Capitaine Kenotsu : ce sont leurs ordinateurs qui sont ivres de radiations!’’ ‘’Mais alors, leurs ordinateurs de contrôle de tir devraient être incapables de pointer leurs armes correctement, non?’’ ‘’Exact! De plus, si leurs ordinateurs, qui sont normalement bien protégés contre les radiations, ont été affectés par nos canons synchrotrons, alors les équipages morgs doivent être mourants.’’ ‘’Les Morgs essaient de nous bluffer, Amiral?’’ Souffla Kenotsu, ne croyant pas leur bonne fortune. ‘’Pas tant nous bluffer qu’essayer de retarder l’inévitable. Les Morgs, maintenant incapables de saisir notre système solaire avec des troupes à l’article de la mort, vont probablement tenter de se venger en atomisant nos planètes.

Mettez-moi en ligne

immédiatement avec l’Amiral Garth!’’

21h58 (Heure de Kyoto Alpha) Centre des opérations H.S.S. INVINCIBLE Toute la structure du navire fut secouée violemment pendant deux secondes. Une fois le grondement de l’explosion dissipé, Garth reprit sa conversation avec le Grand administrateur du système, dont l’image sur l’écran holographique reflétait l’état d’épuisement physique. ‘’Désolé pour l’interruption, monsieur. Les Morgs tirent presque à bout portant maintenant. Comme je disais, le MARCO POLO devrait appareiller le plus tôt possible : nous ne pourrons pas contenir l’ennemi beaucoup plus longtemps.’’ ‘’Le dernier rapport du Commodore Ferguson déclarait qu’il serait prêt à décoller dans un peu moins de trois heures. Le Capitaine Grant m’assure qu’on ne peut aller

42 plus vite. Quelles sont les chances de ma planète et de mes concitoyens dans les abris souterrains de survivre à un bombardement morg, Amiral?’’ ‘’Malheureusement nulles, monsieur!

Les armes à anti-matière morgs vont

littéralement fendre la planète en mille morceaux, surtout maintenant qu’ils ont perdu l’espoir de l’occuper.’’ Anaker baissa tristement la tête et sa voix ne devint qu’un souffle. ‘’Le MARCO POLO est donc maintenant le dernier espoir du peuple centaurien. Transmettez mon admiration sincère à vos équipages pour leur courage et leur dévotion. Bonne chance, Amiral Garth!’’ ‘’Bonne chance, Grand administrateur Anaker!’’ Garth regarda un moment l’écran maintenant vide, puis se tourna vers son aide. ‘’Envoyez le signal d’attaque maintenant au Vice-amiral Konovalov. Sa cible : la flotte d’assaut amphibie ennemie.’’

22h00 (Heure de Kyoto Alpha) Orbite intérieure d’Alpha du Centaure A-I Soixante-douze croiseurs humains, fonçant à pleine accélération de derrière leur soleil, apparurent soudainement sur les arrières de la flotte d’assaut morg, la coinçant entre la force de l’Amiral Garth et les nouveaux venus. Après un moment de stupeur, le commandant des navires d’escorte morgs ordonna à la majorité de ses croiseurs de faire face aux navires humain. Toutefois, handicapés par leurs ordinateurs défectueux et leurs équipages malades de radiations, les Morgs se défendirent mal contre la vague massive de missile tirée par les croiseurs de Konovalov.

Plus des deux tiers des

vaisseaux de combat morgs s’évaporèrent avant d’avoir pu riposter, avec les survivants se retrouvant rapidement au milieu d’un combat rapproché féroce. Le commandant de la force amphibie morg, croyant avoir gagné un répit suffisant pour atteindre et dévaster la quatrième planète, augmenta de vitesse vers son objectif, creusant un écart de plus en plus grand entre ses transports de troupes et leurs navires d’escorte. Les 54 croiseurs restants de Konovalov, accompagnés de 340 intercepteurs, surgirent alors de derrière Alpha du Centaure A et tombèrent à bras raccourcis sur les 1,700 transports de troupes morgs et la poignée de croiseurs qui les défendaient encore.

Complètement surclassés dans un combat contre d’autres navires et

43 gravement affectés par les radiations, les transports de troupes furent massacrés sans pitié en moins de six minutes. Seize millions de soldats morgs disparurent dans une multitude d’explosions thermonucléaires. Une fois la flotte amphibie morg totalement éliminée au prix de pertes très légères, les croiseurs et intercepteurs humains victorieux joignirent leur force avec celle des croiseurs combattant les navires d’escorte morgs. Le dernier vaisseau de la force amphibie morg explosa douze minutes plus tard.

22h28 (Heure de Kyoto Alpha) Passerelle du croiseur lourd KATANA Force d’embuscade ‘’Confirmez qu’il ne reste aucun vaisseau morg dans le secteur!’’ ‘’Confirmé, Amiral! Il ne reste que des débris.’’ La réponse de Kenotsu fut suivie d’une série de rapports de pertes et de dommages. Konovalov se sentit beaucoup mieux après la réception de ces rapports : il n’avait perdu que huit croiseurs et onze intercepteurs contre la destruction de près de 3,000 vaisseaux morgs. Se tournant vers un écran montrant le déroulement de la bataille entre les unités lourdes morgs et la flotte principale de l’Amiral Garth, il ne put s’empêcher de faire la grimace : Garth ne disposait plus que de 43 cuirassés et de l’INVINCIBLE, tandis que les Morgs l’acculaient encore avec plus de 300 navires de premier rang. Les canons synchrotrons humains ne tiraient qu’occasionnellement et contre des cibles individuelles, tandis que les missiles et les canons désintégrateurs faisaient le gros du travail. Les cuirassés humains semblaient également presque à court de missiles. Il fallait faire quelque chose au plus vite. ‘’Force d’embuscade, ici l’Amiral Konovalov! Nous allons maintenant attaquer le flanc gauche de la flotte de cuirassés morgs et essayer de soulager la pression sur nos cuirassés. Adoptez une formation dispersée en disque à plat, les intercepteurs à la périphérie! Préparez-vous à tirer la moitié de vos missiles restants en une salve de flotte!‘’ Les navires lourds morgs, avec les mains déjà pleines à détruire les tenaces cuirassés de la flotte principale humaine et avec une proportion importante de leurs détecteurs endommagée par les fortes doses de radiation reçues précédemment, eurent du mal à faire face à la force de Konovalov. Plus du tiers des cuirassés morgs furent

44 détruits par la salve de missiles venant de la force d’embuscade avant même de pouvoir commencer à retourner le tir. Ayant vu le sort fait à la force de couverture de Li Yonan, Konovalov n’avait aucun goût pour disputer un échange de tirs à longue portée avec l’ennemi.

S’engouffrant à pleine accélération au travers des rangs ennemis, ses

intercepteurs multiplièrent les passes rapides, volant en zigzag comme des déments entre les vaisseaux morgs. L’arme humaine de choix à ce stade de la bataille était le canon à impulsion, une arme normalement réservée aux combats à l’intérieur de l’atmosphère d’une planète. Tirant des projectiles à des vitesses à la bouche de plus de trente kilomètres par seconde, le canon à impulsion permettait d’utiliser des obus explosifs ou à anti-protons, avec le dernier type de projectile capable de détruire un navire en un coup.

La relativement faible vitesse d’éjection des projectiles était

compensée par la cadence de tir ultra-rapide des canons à impulsion et par les distances très courtes auxquels ils étaient maintenant des vaisseaux ennemis.

Le

combat ressembla rapidement à un ballet mortel entre des ours et des abeilles, illuminé à courtes intervalles par la détonation de projectiles, l’explosion de navires et même par des collisions entre vaisseaux, le tout d’une confusion extrême. Le combat dura plus de quarante minutes et s’arrêta seulement faute de combattants morgs. Dans l’immense nuage de débris flottant maintenant dans l’espace au large de la planète A-IV, seuls restaient intacts ou endommagés 68 navires humains : 19 cuirassés, deux croiseurs lourds, neufs croiseurs légers et 34 intercepteurs. Les restes de l’INVINCIBLE flottaient au milieu des autres débris. Les survivants, épuisés et choqués par la férocité de la bataille, célébrèrent leur victoire par un court échange de poignées de main et d’accolade. Konovalov, à bord d’un KATANA troué comme une passoire, se retrouva être l’officier survivant de plus haut rang.

Il ordonna

immédiatement le réarmement de ses navires survivants, spécialement préoccupé par le manque de missiles. Quatre transports de munition envoyés par la flotte de support logistique rejoignirent sa flottille quarante minutes plus tard et s’empressèrent immédiatement à transférer leurs précieux missiles aux navires de combat.

Le

réarmement était encore en cours quand, deux heures plus tard, un message du Contreamiral Juarez, toujours en orbite autour de la quatrième planète avec sa flotte de réserve, atteignit Konovalov.

45 ‘’Vice-amiral Konovalov, ici Juarez. J’ai peur d’avoir de mauvaises nouvelles pour vous : nos stations orbitales détectent une deuxième armada morg qui commence à émerger du tunnel inter-dimensionnel.’’

46

CHAPITRE 7 – HALLALI 00h35 (Heure de Kyoto Alpha) 19 octobre, 4021 Passerelle de commandement Croiseur d’exploration MARCO POLO Astroport de Kyoto Alpha Planète Alpha du Centaure A-IV ‘’Capitaine Montoya, quel est le dernier estimé de l’heure d’arrivée en orbite de la flotte morg?’’ ‘’Une heure et dix minutes, Commodore. Ce qui reste de notre flotte pourra à peine retarder l’ennemi.’’ ‘’Je le sais trop bien. Où en sommes nous avec l’embarquement?’’ ‘’Nous pourrons commencer à fermer les sas d’accès dans vingt minutes, Commodore.’’ Remerciant son second, Henry Ferguson se tassa dans son siège de commandement. Il ne se souvenait pas d’avoir jamais été aussi fatigué. Composant un code d’appel sur son écran personnel, Ferguson contacta le Capitaine Grant, qui avait établi un poste de contrôle au pied d’une des rampes d’accès principales du MARCO POLO. Le visage de Grant apparût bientôt sur son écran, reflétant également l’épuisement. ‘’Oui, Commodore?’’ ‘’Capitaine Grant, j’aimerais vous remercier pour tout ce que vous avez fait aujourd’hui pour nous et les Centauriens.’’ Grant réussit à former un sourire malgré sa fatigue. ‘’N’en parlons pas, Commodore. Je n’aie fait que mon devoir, après tout. À ce sujet, aimeriez vous un résumé de ce qui remplit maintenant votre vaisseau?’’ Sur la réponse affirmative de Ferguson, Grant se concentra avec difficulté pour lire sur son bloc-note électronique. ‘’En plus des 15,173,520 personnes en sommeil cryogénique transportées à bord, nous avons pu entasser dans les quartiers du navire 1,005,312 autres personnes, dont 603,188 bébés et enfants en bas âge. Cela fait un total de 16,178,832 réfugiés civils embarqués.

Ajoutez à cela 12,680 commandos, qui sont en train d’achever

47 l’embarquement de leur équipement lourd, de leurs stocks de munitions ainsi que leurs 163 canonnières d’assaut. Du point de vue du matériel, nous avons chargé à bord du MARCO POLO 689 millions de tonnes d’équipement, de fournitures et de nourriture. Ceci inclus les modules d’habitation, les matériaux de construction et la machinerie lourde qui étaient prévus pour la phase deux de la colonisation de Mirphak III, ce qui est suffisant pour établir rapidement une ville d’un demi million d’habitants.’’ Grant sembla soudain amusé par un détail inscrit dans son bloc-note. ‘’Une assistante du Grand administrateur m’a heureusement rappelé de faire embarquer des stocks suffisants de couches et autres produits pour bébés. J’imagine la situation future sur le MARCO POLO si elle n’y avait pas pensé.’’ Ferguson se tapa le front avec la paume de sa main gauche, réalisant les conséquences potentielles d’un tel oubli. ‘’Embrassez-la pour moi, Capitaine! Je n’y aurais pas songé moi-même.’’ Réalisant soudain que ni Grant, ni l’assistante d’Anaker ne survivraient aux prochaines heures, Ferguson reprit son sérieux. ‘’Capitaine Grant, je vais faire l’impossible pour que tout ceci ne soit pas en vain. Bonne chance!’’ Grant sembla soudain au bord des larmes et eut de la difficulté à contrôler sa voix. ‘’Je n’ai qu’une seule faveur à vous demander, Commodore. Ma…ma famille est maintenant à bord. Trouvez leur un bon refuge! Adieu!’’

00h59 (Heure de Kyoto Alpha) Aire d’atterrissage numéro cinq Astroport de Kyoto Alpha ‘’À TOUT LE PERSONNEL DE LA 58ÈME DIVISION D’ASSAUT ENCORE À TERRE, EMBARQUEMENT IMMÉDIAT!’’ L’annonce venant des haut-parleurs du navire précipita une frénésie de mouvement autour du MARCO POLO. Les quelque 3,000 commandos gardant encore les rampes d’accès grimpèrent à bord au pas de course, formant de longues lignes disciplinées dans les sas et les couloirs menant à l’intérieur du vaisseau. Un groupe de trois officiers de l’astronavale, resté au pied d’une rampe d’accès, s’assura qu’aucun commando n’était encore à terre avant que l’un d’eux activa un petit poste radio portatif. ‘’MARCO POLO, l’aire d’atterrissage est vide. Fermez vos sas et bon voyage!’’

48 Grant se tourna ensuite vers ses deux assistants et pointa du doigt une voiture stationné tout près. ‘’Dépêchons nous d’évacuer le terrain!

Le MARCO POLO ne doit pas être

retardé à cause de nous.’’ Les rampes d’accès massives du vaisseau commencèrent à se rétracter lentement comme le véhicule démarrait. Même à pleine vitesse, la voiture prit plus d’une minute pour atteindre les abords du terrain, s’arrêtant à côté d’édifice bas en béton. Mettant pied à terre, Grant et ses deux compagnons contemplèrent l’immense masse du croiseur d’exploration comme il commençait à s’élever. Lourdement chargé, le MARCO POLO prit plus de deux minutes pour grimper jusqu’à l’altitude de sécurité nécessaire avant de pouvoir engager son système de propulsion principal. Le croiseur accéléra alors hors de vue en moins de vingt seconds, ses feux de navigation brillants dans le ciel nocturne un moment avant d’être coupés par mesure de sécurité. ‘’Adieu Helen! Adieu petit David!’’ Murmura Grant, ses yeux remplis de larmes, tout en fixant le ciel maintenant vide.

01h12 (Heure de Kyoto Alpha) Vaisseau de commandement Deuxième armada morg ‘’Maître-pilote! Un vaisseau humain vient de décoller de la quatrième planète. Une cinquantaine d’autres navires ennemis semblent attendre en orbite pour l’escorter.’’ ‘’Quel type de navire?’’ Demanda le maître de la seconde armada, envoyée d’urgence par l’Empereur à la suite de l’échec honteux de la première armada. ‘’Inconnu, Maître-pilote, mais énorme. Répondit le responsable des détecteurs.

Diamètre minimum de 2,800 drams.’’

Mreg-Hel digéra l’information en silence

pendant quelques secondes. L’incompétence grossière du commandant de la première armada, résultant en l’anéantissement de plus de la moitié des navires que possédait l’empire, avait complètement bousculé les plans stratégiques morgs. Au lieu d’attaquer le système d’origine de la vermine humaine comme prévu après la prise de ce système triple, Mreg-Hel avait reçu ordre directement de l’empereur de finir le travail. Inclus dans son armada était un navire équipé d’une arme expérimentale qui, espérait-il, faciliterait la tâche. Si un vaisseau solitaire semblait mériter la protection d’autant de navires

49 humains, c’est qu’il devait être vital pour l’ennemi. Mreg-Hel se tourna finalement vers son officier des opérations. ‘’Détachez la dixième flotte ainsi que l’arme Xanta. Qu’ils interceptent ce navire humain et le détruise à tout prix!’’

01h22 (Heure de Kyoto Alpha) Croiseur expérimental morg ‘’Un autre groupe de navires ennemis s’est joint au vaisseau cible, chefsuperviseur. Le groupe est composé de 19 gros navires de soutient non armés.’’ ‘’Pilote, pouvons nous nous approcher à distance de tir conventionnel avant que les humains dépassent la vitesse de la lumière?’’ Pendant que son subalterne effectuait un rapide calcul, le chef-superviseur maudit discrètement l’infériorité technique de ses navires, plus lents que les vaisseaux humains. Une fois la vitesse de la lumière franchie, les humains seraient effectivement hors de portée, les navires morgs étant incapables de vitesses supérieures à celle de la lumière sans l’appoint d’un tunnel inter-dimensionnel.

La réponse de son pilote ne fît que

grandir sa frustration. ‘’Négatif, Chef-superviseur! L’ennemi est trop rapide et la distance encore trop grande. La distance ne fera que croître à partir de maintenant.’’ ‘’Tant pis! Mettez l’arme Xanta sous tension!’’ À peine cet ordre transmit, l’image de Kron-Tegad, l’expert responsable de l’arme Xanta, apparut sur l’écran du chef-superviseur. ‘’Tag-Dohr, je déconseille l’usage de l’arme Xanta : nous n’avons pas encore maîtrisé les fluctuations de résonance du rayon. Tirer maintenant pourrait endommager l’arme ou mëme détruire notre navire.’’ ‘’Kron-Tegad, êtes vous prêt à dire à l’Empereur que les Humains nous ont échappé parce ce que votre arme, qui a coûté autant d’efforts à l’Empire, n’était pas prête?’’ Les huit yeux du savant clignotèrent alors rapidement, un signe d’agitation extrême chez un Morg. ‘’Je vais faire de mon mieux, Tag-Dohr.’’

50 ‘’Je l’espère pour vous, Kron-Tegad! Maintenant, réglez l’arme Xanta sur champ large : je veux que la flotte ennemie entière soit détruite avant qu’elle puisse franchir la vitesse de la lumière.’’ ‘’Bien compris, Tag-Dohr!’’ Le vaisseau morg se mit bientôt à vibrer à une fréquence ultra-rapide, le signe annonçant une décharge prochaine de l’arme Xanta. Toutefois, au lieu de diminuer juste avant le tir, comme prévu normalement, les vibrations augmentèrent soudain dramatiquement, secouant violemment les membrures du croiseur. Un aveuglant arc d’énergie jaillit soudain de la bouche de l’arme Xanta.

La décharge d’énergie,

s’étendant constamment comme elle se dirigeait vers la flottille du MARCO POLO, fut suivie par l’explosion du croiseur expérimental morg. Six secondes après le tir, le halo d’énergie Xanta enveloppa les navires humains, qui disparurent tous aussitôt dans une série d’éclairs bleuâtres.

01h25 (Heure de Kyoto Alpha) Passerelle du cuirassé UXMAL Flotte humaine Le Vice-amiral Konovalov resta figé devant l’écran tactique, un mélange d’horreur et de rage sur son visage. Avec la perte du MARCO POLO et de ses seize millions de réfugiés, le destin de la race centaurienne était maintenant scellé : jamais il ne pourrait avec les restes dérisoires de sa flotte protéger la planète A-IV. Il lui était toutefois impensable de laisser les Morgs évaporer la planète sans réagir. Regardant autour de la passerelle de son nouveau navire-amiral, Konovalov vit la même expression sur les visages de ses subordonnés : vengeance!

Ouvrant le circuit de

communication de la flotte, il parla alors d’une voix froide et posée. ‘’Attention à tous, ici votre amiral qui vous parle! Le MARCO POLO et sa flotte d’escorte vient d’être détruit et nos chances d’arrêter les Morgs sont nulles. Le système d’Alpha du Centaure est condamné. En conséquence, la flotte va se lancer dans un ultime assaut contre l’ennemi. Notre cible prioritaire sera le vaisseau-amiral morg. Je suis confiant que vous ferez votre devoir jusqu’au bout. Tout navire morg détruit sera un autre navire morg qui ne sera pas disponible pour attaquer la Terre. Maintenant, tapons dur dans le tas!’’

51 01h34 (Heure de Kyoto Alpha) Intercepteur AC2943 Les éclairs mauves des décharges d’anti-matière morgs encadraient de près l’intercepteur malgré les mouvements désordonnés de sa trajectoire.

Le Lieutenant

Kaprayon sourit quand un navire morg qui tentait de l’atteindre toucha par inadvertance un autre vaisseau morg, qui disparut dans une explosion éblouissante. L’intercepteur volait maintenant en plein milieu de la flotte morg, tirant continuellement de toutes ses armes et poussant sa propulsion moléculaire à la limite. Le cœur de Kaprayon se serra quand le dernier des intercepteurs qui l’accompagnait dans cette charge suicide explosa devant lui.

Son intercepteur et le cuirassé UXMAL, qui le suivait de près, étaient

maintenant les deux derniers navires humains intacts. La voix de Diana Uniko, l’officier de tir de l’intercepteur, résonna soudain dans ses écouteurs de casque. ‘’J’AI LE NAVIRE-AMIRAL MORG DANS MON VISEUR, DROIT DEVANT ET À NEUF SECONDES DE VOL!’’ Cette annonce fût suivie immédiatement d’une exclamation horrifiée venant de son observateur arrière. ‘’Mon dieu! L’UXMAL vient d’exploser! Nous sommes seuls!’’ ‘’TIR CONTINU, ON VA L’AVOIR!’’ Cria Kaprayon. La surface du vaisseauamiral morg, un gigantesque disque bardé de batteries de canons à anti-matière, était maintenant ravagé systématiquement par les rayons désintégrateurs et les projectiles des canons à impulsion de l’intercepteur.

Un rayon laser frappa soudain le petit

appareil, pénétrant jusqu’au poste d’équipage. Kaprayon eut le temps de sentir sa combinaison spatiale se gonfler comme le poste se décompressait et de voir du coin de l’œil la forme décapitée et calcinée de Diana Uniko s’affaisser avant que son intercepteur entre en collision avec le vaisseau-amiral morg. Le disque de 1,500 mètres de diamètre fut pulvérisé par l’impact des 5,000 tonnes de l’intercepteur arrivant à une vitesse d’approche combinée de plus de 27 kilomètres par seconde. Un vaisseau morg qui suivait de trop près heurta un des débris qui s’éparpillaient et explosa à son tour. Les 3,640 navires morgs restants n’eurent besoin que de moins d’une heure après cela pour faire taire les quelques canons défensifs situés sur la surface de la planète et sur les stations orbitales autour de la planète. Une volée de missiles lourds à charge d’anti-matière frappa ensuite la surface, pénétrant en profondeur avant

52 d’exploser.

L’écorce se déchira partout sous la pression des gaz, laissant jaillir le

magma en fusion en de gigantesques éruptions. L’eau des océans s’évapora en masse au contact de la lave et les nuages de vapeur qui enveloppèrent la planète furent aussitôt contaminés par la deuxième vague de missiles morgs, armés de charges nucléaires à forte retombées radioactives. Après avoir détruit la quatrième planète, la flotte morg se divisa en plusieurs groupes qui prirent chacun à partie soit une lune, soit une planète du système. Rien n’échappa à leur fureur destructrice. Aucun Humain ne survécut dans le système d’Alpha du Centaure en cette journée fatidique du 19 octobre 4021.

53

CHAPITRE 8 – VIVANTS 01h25 (Heure de Kyoto Alpha) 19 octobre, 4021 Passerelle de commandement Croiseur d’exploration MARCO POLO L’éclair bleu de la décharge ennemie se dissipa sur les écrans en quelques secondes. Bien que le choc qui avait accompagné l’éclair initial ne semble pas avoir causé de dégâts à première vue, Henry Ferguson ne prit pas de chance et ordonna une inspection rapide de tous les systèmes. Seulement après avoir donné une courte série d’ordres remarqua-t-il un changement majeur sur l’écran holographique sphérique : les trois étoiles d’Alpha du Centaure n’étaient plus visibles! Le navigateur s’exclama avant qu’il pût faire de remarques ou poser une question. ‘’COMMODORE! ALPHA DU CENTAURE EST MAINTENANT À PLUS D’UNE ANNÉE-LUMIÈRE DE NOUS!’’ ‘’Mais c’est impossible! Confirmez notre position!’’ Pendant que le navigateur et son assistant s’affairaient, les rapports des chefs de section du navire commencèrent à parvenir à Ferguson, tous rapportant une absence apparente de dégâts.

Les autres vaisseaux accompagnant le MARCO POLO

commencèrent également à rapporter leur état. Trois minutes plus tard, Ferguson était informé que tous les vaisseaux de sa flotte d’accompagnement et d’escorte étaient présents et en bon état, tandis que le MARCO POLO semblait en parfait état. Maintenant confus et perplexe, Ferguson regarda sévèrement le navigateur. ‘’Alors, Commandant Rollings, où sommes nous?’’ Rollings hésita avant de lui répondre, apparemment incapable de croire ses instruments. ‘’Commodore, nos instruments optiques confirment qu’Alpha du Centaure A est maintenant à 1.3 années-lumière de nous.

De plus, nous semblons avoir dévié

sérieusement de notre trajectoire prévue : toutes les étoiles autour de nous sont à la mauvaise place et l’ordinateur de navigation a un mal fou à s’y retrouver. Le Système Solaire est toutefois aisément identifiable et est pleinement visible sur nos écrans, à trois années-lumière de distance.’’

54 Ferguson prît quelques secondes à digérer cette information et à donner un nouvel ordre. ‘’Dans ce cas, recalculez le cap vers la Terre et transmettez aux autres navires notre nouvelle route. Procédez à accélération maximum!’’ ‘’Oui, Commodore!’’ Ferguson se tourna ensuite vers son second. ‘’Capitaine Montoya, il semble que cette arme ennemie inconnue n’a fait rien de mieux que de nous donner un magistral coup de pied au derrière et à nous propulser instantanément loin d’Alpha du Centaure. Voyez vous d’autres possibilités?’’ ‘’Aucune pour le moment, Commodore. Cette arme morg affecte probablement la fabrique même de l’espace, ce qui expliquerait notre déplacement imprévu. Personnellement, si cela est le seul effet de cette arme, je ne m’en plaindrais pas.’’ ‘’Moi non plus! Nous étudierons plus en profondeur ce qui s’est exactement passé, mais plus tard. Pour le moment, nous avons des réfugiés à emmener à bon port. Vu qu’il semble que l’ennemi est maintenant à plus d’une année-lumière de nous, je crois que nous pouvons sans danger annuler l’état d’alerte.

Passez la consigne

suivante à toute la flotte : nous allons faire route ensemble à vitesse maximum vers la Terre. Que tous les navires passent en quart de veille réduit, pour permettre à nos équipages de se reposer le plus possible avant notre arrivée sur la Terre. Il y aura une téléconférence de flotte le 22 octobre à 09h00 heures, temps universel, pour faire le point sur notre situation. Je vais entre-temps aller me reposer. Un fois mes ordres transmis, allez vous reposer également! Le Lieutenant Bosango prendra alors le quart sur la passerelle.’’ ‘’Le Lieutenant Bosango, Commodore? Mais, elle est notre officier de quart la moins expérimentée.’’ Ferguson sourit à cette remarque. ‘’Raison de plus pour lui donner une chance de prendre de l’expérience. Qu’on me réveille en cas d’urgence seulement.’’ ‘’Bien, Commodore.’’ Carla Montoya prît quelques minutes à passer les ordres de Ferguson après son départ de la passerelle. Elle appela ensuite le Lieutenant Bosango à son poste. La jeune femme noire était légèrement nerveuse quand elle se présenta devant Montoya, qui lui parla avec son expression sérieuse habituelle.

55 ‘’Lieutenant, vous avez le contrôle du navire pour les prochaines huit heures, ou jusqu’au moment ou je vais remettre les pieds sur la passerelle. Si des problèmes non critiques se présentent, utilisez votre bon sens et mon autorité.

Avez vous des

questions?’’ La jeune beauté africaine hésita un moment avant de répondre que non. Montoya se leva alors de son siège de commandement et invita Bosango à prendre sa place, montrant un rare sourire. ‘’Il est tout à vous.

Considérez ceci comme un avant-goût de ce que vous

pouvez espérer comme futur capitaine de vaisseau.’’ Sur ce, Montoya se dirigea d’un pas fatigué vers sa cabine, laissant une Lieutenant Bosango se demander nerveusement quelle serait la première tuile à lui tomber sur la tête.

03h25 (Heure de Kyoto Alpha) Passerelle du MARCO POLO Winny Bosango sursauta quand le signal d’appel du vidéophone intégré au bras gauche du siège de commandement se fit entendre. Jusqu’ici, tout avait été tranquille, à son grand soulagement.

Activant l’écran du vidéophone, elle se détendit en

reconnaissant le visage d’Ann Shelton, une bonne amie de longue date. ‘’Ann, ça me fait plaisir de te voir. Que puis-je faire pour toi?’’ ‘’Winny? Ils t’ont mise en charge de la baraque?’’ ‘’Eh oui!

Heureusement, rien ne s’est produit à date.

Alors, quel est ton

problème, si problème il y a?’’ ‘’J’ai effectivement un problème, et de taille.

Je suis dans la section des

quartiers auxiliaires, où sont les mères centauriennes et leurs bébés. On m’a bombardé officier de coordination des services pour bébés au départ de Kyoto Alpha et mon travail devient de plus en plus impossible. Pour résumer la situation, les mères sont à bout de nerfs en plus d’être épuisées et j’ai plus d’un demi million de poupons qui pleurent à l’unisson. Tu vois le tableau!’’ ‘’Aie! Je ne t’envie pas. Je suppose que tu as besoin de renforts?’’ ‘’Oui, beaucoup de renforts!

Je veux organiser un système de garderies

collectives pour laisser une chance aux mères de récupérer, mais ça risque de

56 nécessiter pas mal de monde. Malheureusement, la plupart de l’équipage est en ce moment en repos forcé.’’ Winny resta pensive un moment. L’équipage normal du MARCO POLO ne comptait que 4,000 membres au plus, supplémentés par une armée de robots d’entretien et de manutention de types divers. Toutefois, un robot ferait un bien piètre gardien d’enfant dans le meilleur des cas. S’occuper d’un demi-million de bébés représentait une tâche colossale. Une idée vint soudainement à l’esprit de Winny. ‘’Ann, j’ai une idée! Les 12,000 commandos que nous avons embarqués à Kyoto Alpha se tournent les pouces dans les hangars. Est-ce que cela ferait l’affaire?’’ Ann Shelton arbora un sourire diabolique avant de répondre. ‘’Winny, tu es géniale! Pourrais tu m’affecter également la deuxième compagnie de l’unité de commandos du MARCO POLO?’’ ‘’Un instant, je vérifie.’’ Winny consulta rapidement le registre des tâches du bord, puis, une vague soupçon dans son esprit, la liste des membres de la deuxième compagnie. ‘’La deuxième compagnie est disponible, Ann.

Est-ce que le fait que Mark

Dempster et Tony Vinelli appartiennent à la deuxième compagnie aurait motivé ton choix, par hasard?’’ Ann prit alors un faux air offusqué. ‘’Moi, être mesquine à ce point? Voyons, tu me connais mieux que ça!’’ ‘’Exactement, Ann! Requête accordée! Je vais contacter le Colonel Gungor et le Major Arntern à l’instant.’’ ‘’Merci, Winny! Je te dois une fière chandelle.’’

06h57 (Heure de Kyoto Alpha) Quartiers auxiliaires du MARCO POLO Mark Dempster commençait à souffrir d’un mal de tête lancinant. La petite fille de trois mois qu’il essayait de calmer depuis vingt minutes venait à peine de s’endormir dans ses bras quand un des quatorze autres bébés occupant la cabine servant de pouponnière improvisée se mit à pleurer à fendre l’âme. La fillette sursauta, ouvrit ses yeux et se mit elle aussi à pleurer.

Jurant intérieurement, le grand et costaux

commando tourna la tête vers Tony Vinelli, occupé à jeter une couche souillée dans une poubelle portative, le nez pincé et une expression de dégoût sur son visage.

57 ‘’Eh, Tony! Lance moi un biberon dès que tu seras libre!’’ ‘’Libre? C’est un travail d’esclave si tu veux mon opinion!’’ ‘’Ce n’est pas ton opinion que je veux : c’est un biberon!’’ ‘’Bon, bon…attrape!’’ Lancé comme une grenade amorcée, le biberon fut attrapé en vol par Dempster, qui s’empressa d’en offrir la tétine à la fillette dans ses bras. Djiri, c’était le nom que la mère épuisée avait passé à Dempster avant d’aller dormir, se mit à téter aussitôt et ne tarda pas à se rendormir, au grand soulagement de Mark. Comme il contemplait le petit visage maintenant paisible de la fillette, une main minuscule agrippa le petit doit de sa main tenant le biberon. Une curieuse sensation envahit alors le commando. ‘’Au moins,’’ murmura Mark à lui même tout en regardant tendrement le bébé, ‘’cette expérience n’est pas totalement désagréable.’’

09h00 (Temps universel) 22 octobre, 4021 Salle de conférence de commandement du MARCO POLO Henry Ferguson prit un siège à une des extrémités de l’immense table ovale en bois poli de la salle de conférence de commandement, située directement sous la passerelle. Le Colonel Gungor, commandant de la 58ème Division d’assaut, s’assit près de lui, imité par le Capitaine Montoya et une Centaurienne d’âge mûr nommée Lynn Tsu, qui était jusqu’à récemment gouverneur de Kyoto Alpha et représentait maintenant les réfugiés centauriens à bord. Vingt capitaines de navires participaient également à la conférence, grâce à la retransmission de leurs images holographique en trois dimensions autour de la table. Les visages de 45 autres officiers apparaissaient sur des écrans périphériques posés sur les murs de la salle.

À neuf heures précisément,

Ferguson appela la conférence à l’ordre. Après les politesses d’usage, il se tourna vers Lynn Tsu. ‘’Madame Tsu ici présente représente les seize millions de réfugiés civils à bord du MARCO POLO. Pour son bénéfice, je vais récapituler la composition de notre flotte.’’ Activant un écran géant situé derrière son siège, Ferguson projeta les images à l’échelle des divers vaisseaux comme in égrenait la liste sur son écran personnel. ‘’En plus du MARCO POLO, qui est le navire-amiral de notre flottille, 75 navires de taille diverse sont divisés entre un groupe d’escorte et un groupe de soutien. Le

58 groupe d’escorte compte six cuirassés de ligne ainsi que six frégates, en plus de 34 intercepteurs volants en formation et de 54 autres intercepteurs entreposés dans les hangars du MARCO POLO. Pour sa part, le groupe de soutien compte un navire calesèche géant, le NEWPORT NEWS, deux navires ateliers, un navire hôpital, quatre navires de ravitaillement en munitions, quatre cargos lourds, six navires citernes de carburant et, finalement, un remorqueur de flotte. Pour revenir à notre navire hôpital, l’HUMANITÉ, qui compte 2,400 lits, il transporte actuellement 471 blessés graves, des membres de l’astronavale victimes de la récente bataille autour d’Alpha du Centaure.’’ La mention des blessés fit baisser la tête à la plupart des participants à la conférence. Plus de deux milliards de Centauriens étaient maintenant morts, ainsi que près de 180,000 hommes et femmes représentants la crème de la flotte de l’Expansion humaine. Ferguson reprit son exposé pour le bénéfice de Lynn Tsu après un court silence. ‘’À part nos navires d’escorte et de soutien, le MARCO POLO possède une flottille d’appareils embarqués comprenant 110 corvettes, 286 navettes lourdes pour passagers, quinze navettes lourdes cargos, 24 grues volantes et plus de 2,300 divers véhicules aériens plus petits. De plus, nous avons embarqué à Kyoto Alpha la 58ème Division d’assaut avec tout son matériel. Colonel Gungor?’’ Ce dernier, un militaire grisonnant à l’air sévère et arborant une moustache, enchaîna aussitôt d’une voix de basse impressionnante. ‘’La 58ème Division d’assaut compte 12,680 commandos équipés d’armures de combat avec multiplicateurs de force, 6,000 robots de combat, 163 canonnières d’assaut et 800 chars de combat. Nous avons de plus embarqué des éléments de fortification préfabriqués et 36 tours mobiles de défense.

Ma division avait originalement pour

mission d’aider à défendre Kyoto Alpha contre un assaut amphibie morg. Toutefois, le Grand administrateur Anaker m’a confié la tâche d’assurer la sécurité des réfugiés à leur port de débarquement, quel qu’il soit.’’ ‘’Ce qui nous amène au sujet principal de cette conférence.’’ reprenant la conversation.

Dit Ferguson,

‘’Madame Tsu, j’ai reçu des ordres clairs du Grand

administrateur Anaker d’amener en sécurité nos réfugiés jusqu’à la Terre et de les aider à se réinstaller.

Si pour une raison ou une autre le Système Solaire prouve être

inutilisable pour nos réfugiés, nous devrons alors trouver un autre système à la fois propice à la colonisation et loin de la menace morg. Une option envisagée est Mirphak III, qui abrite déjà une colonie naissante. Nous avons toutefois besoin d’autres options

59 comme points de destination possibles.

Mesdames et messieurs, j’attends vos

suggestions!’’ Il se passa quelques secondes avant qu’une main se lève. ‘’Allez-y, Capitaine Montoya.’’ ‘’Commodore, je crois qu’il n’y a pas d’alternative valable à Mirphak III si la Terre prouve être impraticable.

Tous nos autres systèmes sont relativement proches du

Système Solaire et donc vulnérables à l’avance morg.

Mirphak III se situe à 633

années-lumière de la Terre, à l’opposé du cadran d’où sont apparus les Morgs, et présente des conditions de vie exceptionnelles.’’ Ferguson regarda autour de la table mais ne vît personne d’autre prêt à fournir une autre suggestion. Il regarda donc de nouveau Lynn Tsu. ‘’Madame Tsu, approuvez vous Mirphak III comme alternative à la Terre pour vos réfugiés?’’ Pâle et toujours dépassée par ses nouvelles responsabilités écrasantes, Lynn Tsu ne pût que hocher de la tête. ‘’J’appuie le choix de Mirphak III comme site alternatif pour mes concitoyens. J’aimerais toutefois votre opinion franche sur la question suivante : avons nous ce qu’il faut pour réinstaller seize millions de personnes sur une planète pratiquement vierge?‘’ Ferguson hocha la tête, une expression ferme sur son visage. ‘’Madame Tsu, avec ce que j’ai présentement à ma disposition, je suis prêt à coloniser même l’enfer!’’

60

CHAPITRE 9 – PORT D’ATTACHE 01h14 (Temps universel calculé) 23 octobre, 4021 (Date vaisseau) Passerelle de commandement du MARCO POLO Henry Ferguson était maintenant fermement sanglé dans son siège de commandement et le Système Solaire était clairement visible sur les écrans. Le Soleil apparaissait comme une lumière jaune de la grosseur d’une bille et la flotte approchait de l’orbite de Pluton. ‘’Pilote, rapport de position, s’il vous plaît!’’ ‘’Notre vitesse est maintenant descendue à 0.57 lux1. Distance approximative du Soleil : 40 unités astronomiques2. Nous croiserons l’orbite de Pluton dans six minutes et devrions entrer en orbite terrestre dans environ cinq heures.’’ ‘’Très bien!’’ Répondit Ferguson avant de se brancher ensuite sur la fréquence de flotte.

‘’Commodore Ferguson à tous les navires.

Passez en alerte renforcée!

Gardez le silence électronique à partir de maintenant!’’ Trois heures tendues passèrent : Ferguson n’avait aucun moyen de savoir si l’ennemi s’était déjà présenté dans le Système Solaire. La vitesse de sa flotte n’était maintenant plus que 0.07 lux, ou sept pour cent de la vitesse de la lumière, permettant des observations avec le minimum de distorsions. ‘’Commodore, ici le navigateur!’’ ‘’Allez-y, Commandant Rollings!’’ ‘’Commodore, l’ordinateur de navigation à encore beaucoup de problèmes à calculer notre position. Je navigue donc à vue en ce moment. L’étoile devant nous est définitivement le Soleil, mais les autres étoiles du ciel, bien que reconnaissables par leur spectre lumineux, ne sont pas à leur place prévue.’’ Ferguson resta perplexe un long moment. Une idée lui vint alors à la tête. ‘’Commandant Rollings, l’arme morg qui nous a frappé aurait-elle pu affecter nos banques de données?’’ 1 2

Lux : vitesse du vaisseau comparé à la vitesse de la lumière. Unité astronomique (UA) : distance moyenne entre la Terre et le Soleil (149,597,870 km)

61 ‘’C’est une possibilité, Commodore. Je vais garder un œil sur ça.’’ ‘’Merci!

Ferguson à tous les postes de détecteurs!

Avez-vous quelques

anomalies que ce soit dans vos observations? Rapport dans deux minutes!’’ Après une courte attente, Ferguson reçut le rapport qu’il avait demandé. ‘’Commodore, ici le Lieutenant Slovic, à la détection. Quelque chose ne tourne pas rond dans nos observations. Rien de frappant mais plutôt une suite de détails curieux. Premièrement, les fréquences sont vides : personne n’émet dans le système, du moins pas en omnidirectionnel. Cela pourrait toutefois être expliqué par un état d’alerte rouge dans le système. Il y a plus.’’ ‘’Continuez, Lieutenant. Vous m’intéressez.’’ ‘’Nous venons de croiser Jupiter in y a sept minutes.

Le poste avancé sur

Europa aurait dû être visible, mais nous n’avons pas pu le détecter. Il aurait pu avoir été camouflé en anticipation d’une attaque morg. Finalement, nos télescopes optiques ne décèlent aucune lumière artificielle sur la Terre, comme si un couvre-feu avait été décrété. C’est tout pour le moment, Commodore.’’ ‘’C’est plus que suffisant pour moi, Lieutenant. Merci et gardez l’œil bien ouvert! Attention à tous! Postes de combat! Nous passons en alerte rouge! Lieutenant Tousla, arrangez un appel-conférence entre capitaines mais n’utilisez que des liens lasers étroitement concentrés pour éviter qu’on nous détecte à distance.’’ ‘’Entendu, Commodore!’’ Après environ une minute, l’écran de vidéophone de Ferguson se subdivisa en 32 images, chacune montrant le visage d’un capitaine au dessus d’une bande donnant le nom de son navire. Ferguson parla alors d’un ton grave. ‘’Mesdames et messieurs, les détecteurs du MARCO POLO captent des anomalies qui me portent à penser qu’une attaque morg contre le Système Solaire est imminente. Je décrète donc l’alerte rouge pour toute la flotte, et ce jusqu’à nouvel ordre.’’ ‘’Mes détecteurs en font également état, Commodore.’’ Répliqua Ray Shelby, du cuirassé KONGO.

‘’Toutefois, aussi pénible soit-elle, il y a une autre explication

possible pour ce que nous voyons : nous pourrions être arrivés après les Morgs.’’ La poitrine de Ferguson se serra à la pensée que Shelby pouvait avoir raison. Ole Messente, de la frégate ORAN, s’exprima à son tour.

62 ‘’J’ai peur que le Capitaine Shelby ait raison, Commodore. Si le Système Solaire se préparait vraiment contre une attaque morg, nous aurions déjà eu la moitié de la flotte locale sur le dos pour nous identifier. De plus, les armes morgs à anti-matière ne laissent aucune radiation résiduelle. Seule une reconnaissance à courte portée pourrait constater le gâchis laissé sur leur passage.’’ ‘’Suggestions, mesdames et messieurs?’’

Dit Ferguson, un goût amer à la

bouche. La première personne à répondre fut Nina Perez, commandant de la division d’intercepteurs. ‘’Commodore, la flotte devrait adopter une position d’attente dans la ceinture d’astéroïdes, pendant que mes intercepteurs iront jeter un coup d’œil de plus près. Nous sommes les plus rapides de la flotte et cela laisserait le MARCO POLO et le groupe de soutien à l’écart d’une embuscade possible.’’ Voyant que les autres capitaines semblaient approuver cette idée, Ferguson hocha la tête. ‘’Excellente idée, Capitaine Perez.

Divisez vos intercepteurs entre Mars, la

Terre, Vénus et Mercure. Vérifiez également si la face cachée du Soleil ne dissimule pas une flotte morg. immédiatement.

Relayez les données de vos détecteurs au MARCO POLO

Si vous êtes attaqués, retraitez immédiatement.

Bonne chance,

Capitaine!’’ ‘’Merci, Commodore!’’ ‘’Pour les frégates MACAO, ORAN et MADRID, explorez respectivement les zones de Jupiter, Saturne et Uranus. Le NEW YORK et le SANTIAGO se partageront la ceinture d’astéroïdes, tandis que le SIDNEY adoptera une position de blocage à michemin entre Mars et la ceinture. Les cuirassés resteront en formation autour du groupe de soutien et du MARCO POLO. Exécution!’’ Ferguson contacta ensuite son second. ‘’Capitaine Montoya, brassez nos fainéants de pilotes d’intercepteurs qui se la coulent douce dans les hangars. Qu’ils se déploient en un globe défensif autour de la flotte.’’ ‘’Je vais faire claquer mon fouet à l’instant, Commodore.’’ Une fois ses ordres passés, Ferguson se tassa dans son siège, le cœur battant, se demandant s’il n’avait rien oublié. Il décida finalement qu’il ne pouvait rien faire de plus, excepté attendre.

63 05h48 (Temps universel calculé) Intercepteur AC3027 En approche rapide de la Terre ‘’AC3051, ici AC3027, couvrez moi à partir d’une orbite basse : je vais pénétrer l’atmosphère terrestre dans trente secondes.’’ Robert Busson fît ensuite décélérer brutalement son intercepteur avant de plonger dans l’atmosphère de la Terre. La bulle de force moléculaire qui propulsait son appareil le protégea également du frottement avec l’air raréfié de la troposphère, qui aurait normalement chauffé la coque passé son point de fusion. Busson pointa le nez de son appareil vers la côte est de l’Amérique du nord, son premier objectif. L’intercepteur pénétra l’atmosphère à une vitesse de plus de quatre kilomètres par seconde, descendant à une allure foudroyante jusqu’à une altitude de 3,000 mètres avant de redresser. Busson réduisit alors sa vitesse à mille kilomètres/heure. La voix de Sylvia Morgan, qui opérait les détecteurs, se fit entendre dans son casque. ‘’Une fois la côte franchie, vire plein nord. Nous devrions alors survoler New York après moins de deux minutes. Un virage au nord-est nous emmènera ensuite au dessus de Boston en cinq minutes.’’ La voix de la jeune technicienne ne trahissait aucune nervosité, au soulagement de Robert. Sylvia avait dû être mise au repos forcé après la désastreuse bataille pour Alpha du Centaure, souffrant d’un choc nerveux. Voir son mari se faire tuer devant ses yeux était une expérience horrible, pensa Robert, qui n’avait pas tenu cette défaillance contre Sylvia, bien au contraire. Franchissant la côte à basse altitude et à vitesse subsonique, Robert vira brutalement son intercepteur vers le nord, suivant la côte de près. ‘’Sylvia, assure toi que nos détecteurs relaient leurs observations vers le MARCO POLO via la AC3051.’’ ‘’C’est déjà fait, Robert.’’ ‘’Eh!’’ S’exclama Jorge Canseco, au poste de contrôle de tir. ‘’Où est la route côtière et la ligne de monorail New-York/Atlantic City?’’ ‘’Maintenant que tu le mentionnes,’’ ajouta Dyy Jonan, l’ingénieur du bord, ‘’je n’ai vu aucune habitation ou structure artificielle jusqu’à présent.’’ Un signal d’alarme se déclencha alors dans la tête de Robert.

64 ‘’Ça n’a pas de sens! Même si les Morgs avaient tout détruit, le terrain serait couvert de cratères et de débris. Or, il n’y a rien à voir, la végétation est intacte. C’est comme si toute l’infrastructure de la région n’avait jamais existée.’’ ‘’Nous en saurons plus bientôt : nous approchons de New-York.’’

Rétorqua

Sylvia. Huit paires d’yeux se concentrèrent vers l’horizon. ‘’Tu est certaine?’’ Demanda Robert au bout de quelques secondes. ‘’Sûre! Tiens, voilà l’embouchure de la rivière Hudson et l’île de Manhattan.’’ Jorge Canseco jura violemment comme il examinait le terrain vierge qu’ils survolaient à présent. ‘’Rien! Absolument rien! Pas d’édifices, ni de routes ou de ponts et pas de débris ou de traces de bombardements. Mais qu’est-ce qui se passe ici, bon dieu?’’ ‘’Je pousse vers Boston.

On verra bien là-bas.’’ Répliqua Robert avant de

changer de cap. Il ne savait plus quoi penser maintenant. L’équipage de l’intercepteur resta silencieux durant le court vol vers Boston, écrasé par une réalité impossible à accepter. Tout espoir qu’ils nourrissaient encore s’évapora quand Boston se révéla aussi immatérielle que New-York. Une hypothèse fantastique commença à germer dans l’esprit de Robert. Virant subitement plein est, il accéléra jusqu’à dix fois la vitesse du son et prit de l’altitude. ‘’Sylvia, donne moi un cap pour Paris!’’ ‘’Paris? Mais…ce n’est pas notre prochain objectif planifié!’’ ‘’Je m’en fous! Je suis né à Paris. Disons que j’ai le mal du pays.’’ ‘’Bon, comme tu veux. Prend le cap 086.’’ ‘’Merci! Si ce que je pense se vérifie, Paris devrait nous fournir des indices sur ce qui se passe sur la Terre.’’ Vingt minutes plus tard, la côte française apparût à l’horizon. Robert décéléra alors sous la vitesse du son et descendit jusqu’à mille mètres d’altitude. Au bout d’une autre minute, Sylvia s’exclama d’un ton excité. ‘’DES HABITATIONS, À DEUX HEURES!’’ ‘’Je les vois!’’ Répliqua Robert, freinant encore plus la course de son appareil et virant vers la droite. Sa manœuvre les mena à la verticale d’un petit groupe d’édifices minuscules à l’apparence minable. Une douzaine d’humains affolés s’empressèrent de s’abriter dans leurs demeures à la vue de l’intercepteur. actuellement de vulgaires cabanes en bois et chaume.

Les maisons étaient

65 ‘’Que c’est primitif, tout cela!’’ S’exclama Dyy Jonan. ‘’Comme

je

m’y

attendais!’’

Répliqua

Robert,

sentant

un

immense

découragement l’envahir. ‘’Je remets le cap sur Paris. Nous en apprendrons plus là bas.’’ L’intercepteur croisa le cours de la Seine seize minutes plus tard et commença à suivre le fleuve vers Paris, qui apparût bientôt à l’horizon. Dyy fit la moue à la vue de l’agglomération concentrée sur un petit îlot dans le milieu du fleuve, relié aux deux rives par des ponts en bois primitifs. ‘’C’est ça la fameuse Paris?’’ Robert lui décocha un regard résigné, sachant maintenant ce à quoi ils faisaient face. ‘’L’expression correcte en ce moment serait ‘C’était ça, Paris’, Dyy.’’ Les autres membres de l’équipage le regardèrent avec des yeux arrondis de stupeur comme il continuait. ‘’Nous n’avons pas trouvé New-York et Boston parce qu’elles ne sont pas encore construites. Si je me rappelle bien mon histoire de Paris, que mon père a insisté que j’apprenne par cœur quand j’étais petit, l’absence de la cathédrale NotreDames et l’enceinte limitée à l’Île de la Cité indique que nous sommes retournés loin dans le passé, au moins jusqu’au Haut Moyen-Âge et peut-être jusqu’à l’époque de l’empire romain. La damnée arme morg qui nous a frappé à Alpha du Centaure nous a transportés dans le passé!’’ Les compagnons de Robert restèrent figés de surprise et d’horreur un long moment avant de reprendre leurs sens. Même si l’hypothèse de Robert était fantasmagorique, trop d’indices concordaient pour lui donner raison. Encore hébété, Jorge pointa du doit une flottille de petits bateaux échoués sur la rive gauche en aval de la ville. ‘’Regardez ces embarcations : elles sont à voile et à rame. En reconnais-tu le type, Robert?’’ Robert examina en détail les coques de bois aux lignes fines et allongées avant de se mettre à jurer. ‘’Des dreki3 scandinaves! Nous sommes tombés en plein neuvième siècle de l’ère chrétienne!’’

3

Dreki : Navire long utilisé par les Vikings pour les raids et les combats en mer durant le Haut MoyenÂge. Le terme incorrect ‘drakkar’ est souvent utilisé pour décrire un dreki.

66

CHAPITRE 10 – ÉGARÉS DANS LE TEMPS 07h26 (Temps universel calculé) Date inconnue Centre d’analyse de l’imagerie Croiseur d’exploration MARCO POLO Ferguson écouta les deux spécialistes en imagerie se contredire l’un l’autre pendant quelques minutes avant de leur couper la parole d’un geste excédé. Se levant du siège qu’il occupait depuis vingt minutes dans le centre d’analyse de l’imagerie, il s’avança devant l’écran où s’affichaient encore diverses photos de la surface terrestre retransmises par l’intercepteur AC3027. En plus de nombre de spécialistes en imagerie et de Ferguson, la plupart des chefs de section du MARCO POLO ainsi que Lynn Tsu assistaient à cette conférence. ‘’Je crois que cette présentation est dans une impasse.’’ Prononça Ferguson, visiblement insatisfait. ‘’Je n’ai personnellement plus aucun doute que notre flotte a été projetée dans le passé, probablement jusqu’au neuvième siècle, par l’arme morg qui nous a frappé dans Alpha du Centaure.

La question maintenant est à quelle date

sommes-nous exactement? Je crois que seule une reconnaissance directe sur le terrain permettra de nous donner une réponse précise à cela. Une autre question primordiale est de décider ce que nous allons faire avec nos millions de réfugiés. Toutefois, je crois que toute décision à ce sujet serait prématurée sans une meilleure compréhension de cette période de l’histoire.

Professeur Douglas, pouvez nous nous éclairer sur la

question?’’ Le directeur de la section d’histoire du MARCO POLO se leva de son siège mais ne s’avança pas vers le podium occupé par Ferguson. ‘’Commodore, si cela vous convient, je vais laisser le podium à une de mes collègues plus qualifiée que moi sur cette période historique. Le docteur Shelton, en plus de ses doctorats en histoire et en sociologie humaine, est l’auteur d’une thèse sur le Haut Moyen-Âge, dont elle en a fait sa spécialité en histoire.’’ Ferguson hocha la tête avec satisfaction. ‘’Docteur Shelton, je vous prie.’’

67 Ann Shelton remplaça Ferguson derrière le podium, se sentant au début nerveuse mais se détendant au fur et à mesure qu’elle parlait sur son domaine favori. ‘’Mesdames et messieurs, on ne pourrait difficilement trouver une période de l’histoire plus dissemblable à notre concept de la société humaine que le Haut MoyenÂge. Au neuvième siècle en particulier, l’esclavage à grande échelle et l’intolérance religieuse sont encore monnaie courante. Une multitude de langues, la plupart mortes au 41ème siècle, sont utilisées et la méfiance, sinon l’hostilité ouverte envers les étrangers, est courante. Les conditions de vie sont en général abominables, l’hygiène publique inexistante et la technologie primitive, quand elle n’est pas considérée comme une manifestation de sorcellerie ou de magie. Dans les pays chrétiens, pour donner un exemple du niveau moyen des connaissances, on croit encore que la Terre est plate et qu’elle est le centre de l’univers. Prétendre publiquement le contraire vous mènera devant un tribunal religieux pour hérésie, ensuite sur un bûcher, pour y être brûlé vif, normalement après avoir été horriblement torturé pour vous faire confesser.’’ Des regards horrifiés et des murmures accueillirent les paroles d’Ann, qui continua après une brève pause. ‘’Comme bons points, du moins pour nous, nos combinaisons spatiales standards devraient résister à la plupart des armes de cette époque, tandis que la densité moyenne de population sur la Terre est très faible. Certaines terres favorables à l’occupation humaine sont encore complètement inhabitées, comme la NouvelleZélande, qui ne verra arriver les premiers Polynésiens qu’au dixième siècle. D’autres sont grossièrement sous-peuplées, telles que les Îles Canaries et l’Australie, qui abritent seulement des tribus dispersées d’indigènes primitifs vivants encore à l’âge de pierre.’’ Les yeux de Lynn Tsu et d’Henry Ferguson brillèrent soudain d’intérêt à ces mots. Le Colonel Gungor fut le premier à poser une question. ‘’Docteur Shelton, dans l’hypothèse que nous occuperions ces terres, quelles sont les possibilités que des voyageurs du Moyen-Âge les atteignent et interfèrent avec nos installations?’’ ‘’Dans les cas de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie, la menace est quasi nulle, Colonel. Seules les Îles Canaries sont à portée des bateaux typiques de l’époque, et ce au prix d’un voyage incertain.’’ ‘’Pour en revenir à ces…Vikings, signalés près de Paris par notre intercepteur, doit-on les considérer comme un danger possible?’’

68 ‘’Définitivement, Colonel!

Les Vikings sont probablement les marins les plus

hardis de l’époque et ont une réputation de férocité bien méritée. Des civils non-armés seraient des proies faciles pour eux et nos installations représenteraient un butin potentiel irrésistible.

Ces pirates scandinaves mettent présentement l’Europe du

neuvième siècle littéralement à feu et à sang. Il ne faudrait toutefois surtout pas penser que les autres peuples ou dirigeants de ce siècle sont mieux que les Vikings. Certains rois n’hésitent pas à les soudoyer pour qu’ils aillent piller les terres de leurs voisins ou rivaux.’’ ‘’Je vois que nous sommes en bonne compagnie.’’

Railla le Major Arntern,

commandant du bataillon de commandos affecté au MARCO POLO, et chef de la sécurité à bord. Ann approuva de la tête. ‘’Personnellement, je conseillerais fortement que toute installation à portée de gens armés du Moyen-Âge soit étroitement gardée contre des infiltrations par mer ou par terre, Major.’’ ‘’Y aurait-il des dirigeants actuels en qui nous pourrions faire confiance, Docteur?’’ Demanda Lynn Tsu, profondément curieuse au sujet de ces humains si différents de sa propre société. Ann fît une moue avant de répondre. ‘’Ils seraient définitivement dans la minorité, Madame Tsu. Comprenez que la situation géopolitique du neuvième siècle est très confuse et fluide. Il n’existe pas de gouvernements à l’échelle continentale sur la Terre actuelle et la notion d’état nation comme nous la connaissons est encore inconnue. Les peuples sont morcelés en des centaines et même des milliers de royaumes et de fiefs qui se combattent un l’autre ou forment des alliances temporaires de manière opportune. La notion de démocratie est inexistante et la plupart des entités sont gouvernées par des chefs issus le plus souvent de lignes héréditaires, ou qui ont conquis leur trône par la force des armes. Il y a toutefois de rares individus dénotés par l’histoire pour leur sagesse et leur tolérance et avec qui nous pourrions initier des contacts si besoin est. J’aurais besoin toutefois de relire nos données historiques sur ce siècle et de connaître la date exacte où nous sommes maintenant avant de pouvoir en nommer avec certitude.’’ À ces derniers mots, Lynn Tsu jeta un regard interrogateur à Henry Ferguson. ‘’Commodore, planifiez vous une mission de reconnaissance au sol pour établir la date exacte où nous sommes?’’ Ferguson, qui semblait penser fiévreusement à quelque chose, hésita un moment avant de lui répondre.

69 ‘’J’ai effectivement l’intention d’envoyer une telle mission bientôt, Madame Tsu. Je suis d’accord avec le Docteur Shelton sur l’importance d’établir cette date avec précision.’’ ‘’Dans ce cas, je conseille de ne pas retarder trop cette mission, Commodore : mes concitoyens entassés dans les quartiers auxiliaires commencent à avoir hâte de retrouver une seconde demeure sur une planète.’’ ‘’Et l’option de Mirphak III, qu’en fait-on?’’ Demanda le Colonel Gungor. La vitesse de Ferguson à répondre à cela le surprit. ‘’Je commence à croire que cette option n’est plus notre meilleure option, Colonel. Premièrement, notre colonie sur Mirphak III n’existera que dans plus de 3,000 ans, si nous nous trouvons encore dans le même univers que celui que nous avons connu et non un univers parallèle. Deuxièmement, malgré toute l’attention qui a pu être dédiée au chargement du MARCO POLO pendant nos quelques heures sur Kyoto Alpha, les réserves de fournitures et de nourriture spécialisée pour bébés embarquées à bord sont largement insuffisantes pour envisager un voyage de huit mois dans l’espace sans mettre à risque la santé de nos bébés. Troisièmement, je réalise maintenant que nous établir sur Mirphak III ne résoudra pas le problème à long terme que représentent les Morgs. D’un autre côté, si nous établissons nos réfugiés sur la Terre du neuvième siècle, qui semble plus que capable de les accueillir, nous pourrons éventuellement rebâtir une race humaine forte, capable d’aller tuer dans l’œuf la menace Morg dans une génération ou deux.’’ Tous les participants à la réunion furent frappés par cette idée. Gungor et Lynn Tsu en particulier semblèrent apprécier cette suggestion. Après un échange de murmures et de commentaires entre les participants, Lynn Tsu regarda fermement Ferguson. ‘’Commodore, autant l’avenir immédiat de mes concitoyens m’est à cœur, autant l’est l’élimination de cette menace morg qui pèse sur toutes nos têtes. De toute façon, je m’opposerais à un long voyage qui mettrait en danger les bébés à bord.

Je suis

d’opinion de coloniser la Terre d’aujourd’hui dès que possible, pour pouvoir reconstruire notre société.’’ ‘’Euh, avant d’aller trop loin sur ce sujet,’’ interrompît poliment Carla Montoya, ‘’avons nous exploré la possibilité de tenter de retourner à notre époque originale?’’ Ferguson hocha la tête à cette question. ‘’J’en ai déjà parlé avec nos physiciens, Capitaine Montoya.

Nous ne

connaissons malheureusement rien sur comment voyager de manière pratique dans le

70 temps. L’effet de l’arme morg semble de plus avoir été accidentel plutôt que voulu et il est probable que même les Morgs ne savent rien sur le voyage au travers du temps. Même si nous apprendrions éventuellement à effectuer de tels voyages temporels, les recherches nécessaires pour atteindre un tel but prendraient des années, sinon des décennies…ou l’éternité. Nous n’avons pas le luxe de perdre du temps sur cette option. Chefs de sections, prenez notes! La prochaine phase de notre mission, qui tournera autour de l’établissement de nos réfugiés sur la Terre du neuvième siècle, comportera les volets suivants : Premièrement, le Docteur Shelton, accompagnée de spécialistes de son choix et d’une escorte de commandos, se rendra sur Terre pour établir avec précision la date où nous sommes. Elle aura toute autorité pour agir comme bon lui semble et pour faciliter toute installation future de nos gens sur la Terre. Deuxièmement, les sections de géologie et d’agriculture formeront des équipes conjointes escortées par des commandos pour évaluer en détail le potentiel de colonisation des sites mentionnés par le Docteur Shelton. La section de production industrielle se basera sur leurs rapports pour établir les plans et devis des installations à construire dans les plus brefs délais possibles. Troisièmement, la section de production alimentaire va porter immédiatement sa production à pleine capacité et se préparera à aménager des centres agroalimentaires sur la Terre. Quatrièmement, la section des matières brutes recensera les ressources minérales disponibles dans le Système Solaire. Le remorqueur MANÃNA sera utilisé pour insérer en orbite synchrone terrestre tout astéroïde jugé de valeur pour nos besoins et des équipes minières volantes seront expédiées pour commencer à bâtir nos stocks de matières premières. Cinquièmement, le centre d’imagerie établira une veille serrée de toute la surface terrestre. Je veux des cartes détaillées et à jour le plus tôt possible ainsi qu’un réseau de satellites de surveillance, de communications et d’aide à la navigation en place. Je veux savoir en temps réel se qui se passe sur cette planète! Colonel Gungor et Major Arntern! Vos troupes fourniront toute aide ou protection requise par les chefs de sections et d’équipes d’exploration. Vous pouvez laisser tomber les tâches de gardiennage. Un dernier point pour tous, et une auquel j’attache beaucoup d’importance : nous sommes des nouveaux venus à cette époque, et non des conquérants.

Nous ne ferons rien qui portera

préjudice aux gens du neuvième siècle simplement pour satisfaire nos besoins. Nous tenterons le plus possible de conclure des ententes à l’amiable et ne prendront pas de force des territoires habités. Je déclare maintenant cette réunion terminée. Bonne chance à tous dans vos nouvelles tâches!’’

71

CHAPITRE 11 – INTERACTION 20h34 (Heure de Paris) Date inconnue Ville de Toulouse Comté de Toulouse Royaume de Francie Ann Shelton se posa silencieusement au milieu d’une ruelle étroite et coupa la propulsion moléculaire de sa combinaison spatiale. Dix autres silhouettes la rejoignirent bientôt dans un recoin obscur entre deux maisons en bois de deux étages à l’aspect misérable, comme le reste de la ruelle. La nuit venait de tomber et pas un passant n’était visible.

Toutefois, des voix étaient audibles au travers des volets en bois

couvrant les fenêtres des maisons avoisinantes, parlant l’Occitan, la langue en usage dans le Sud de la France durant le Haut Moyen-Âge. Ann et ses compagnons avaient appris l’Occitan avant leur mission, utilisant pour cela des sièges d’assimilation mnémotroniques, une technique connue dans l’Expansion humaine depuis des siècles. Quand à elle, Ann connaissait déjà en plus le Latin et le Grec grâce à ses études en histoire. Le Sergent Mark Dempster, qui faisait partie de l’escorte, releva la visière blindée du casque de son armure de combat mais la referma aussitôt tout en ayant un violent haut-le-cœur. Le Major Hans Arntern, en charge des commandos escortant l’équipe scientifique d’Ann Shelton, lui demanda, inquiet, s’il allait bien. ‘’Ça va aller, Major. Je vous déconseille toutefois de respirer l’air extérieur : c’est d’une puanteur intolérable!’’ ‘’C’était à prévoir.’’ Interjeta Ann. ‘’Au Moyen-Âge, les rues servent d’égouts à ciel ouvert. Il faudra assumer que tout ce que l’on touchera sera une source possible d’infection ou de maladie.’’ ‘’Une chance que nous avons tous reçu une série de vaccins supplémentaires avant de descendre.’’ Murmura Djéa Renak, le jeune infirmier affecté au groupe. ‘’Et moi qui était heureuse de revoir ma France natale!’’ Dit d’une voix penaude la Caporale Diane Champagne, une femme commando spécialisée en informatique.

72 ‘’Ne soyons pas trop durs avec cet endroit, mes amis.’’

Rétorqua Ann

doucement. ‘’Nous avons choisi Toulouse comme premier point de contact parce qu’elle est une des villes réputées les plus éclairées intellectuellement et les plus tolérantes de l’Europe à l’époque présente.

De plus, les Comtes de Toulouse ont une longue

réputation d’hospitalité et d’ouverture d’esprit, supportant une foule de lettrés et d’artistes malgré l’intolérance de l’église chrétienne actuelle.’’ Ann regarda ensuite vers chaque extrémité de la ruelle, s’orientant rapidement avant de pointer un doit vers la gauche. ‘’Ce que je crois avoir identifié comme une auberge du haut des airs devrait être à moins de 200 mètres dans cette direction. Mettons nos déguisements maintenant.’’ Le Caporal Baya Makwando, un commando gigantesque mesurant 210 centimètres sans armure, ouvrit un sac qu’il portait en bandoulière et distribua de longues capes amples à capuchon que les membres de la patrouille s’empressèrent de revêtir. Ann savait pertinemment que ce déguisement était plus que rudimentaire, la haute taille des membres de son équipe étant suffisante pour les rendre distinctifs, mais c’était le mieux qu’ils pouvaient faire dans les circonstances actuelles. Ann prît alors la tête de son groupe, le menant au travers des ruelles sombres de Toulouse et évitant grâce aux indications d’une sonde volante de surveillance les rares piétons et patrouilles de gens d’armes.

20h51 (Heure de Paris) Auberge de Saint-Sernin Toulouse Jean de Chambriand aimait bien son apprenti, Bernard le Gaucher. Il souhaitait seulement qu’il fasse preuve de plus de maturité, spécialement avec les filles. Dernièrement, il avait dû rabrouer Bernard nombre de fois parce qu’il passait son temps à lorgner Marie, la jeune servante de la maison, au lieu de se concentrer sur son travail ou ses études. En désespoir de cause, Jean avait amené son apprenti prendre une bière à l’auberge, hors de vue de Marie, pour lui parler tranquillement et essayer de lui mettre du plomb dans la tête. Après deux bières et plus d’une heure de conversation, Jean se demandait s’il allait aboutir à un autre résultat que simplement saouler le jeune adolescent.

73 L’auberge était presque vide à cette heure. L’annonce de l’arrivée prochaine d’une flotte de pillards vikings remontant la Garonne avait fait fuir hors de la ville plusieurs des clients réguliers de l’établissement, tandis que d’autres se barricadaient chez eux une fois la nuit tombée. Seuls deux autres hommes, en plus de l’aubergiste et de sa serveuse, occupaient la salle au plafond bas. Le feu brûlant dans le vaste foyer central en brique suffisait à peine à chasser la pénombre régnant dans l’auberge, tandis que le plafond en grossières poutres de bois était presque complètement caché par la fumée du foyer, mal évacuée par la hotte trop petite. Un coup violent secoua soudainement toute la structure de l’auberge, faisant pleuvoir de la poussière du plafond. Recouvrant en hâte son gobelet avec une main, Jean de Chambriand se retourna vers la porte d’entrée, d’où était venu le coup. Il sentit immédiatement la peur l’envahir à la vue d’un géant habillé d’une ample cape qui se tortillait pour tenter de passer le cadre de la porte, qu’il remplissait de sa silhouette massive.

Le géant réussit finalement à pénétrer dans l’auberge, pour se cogner

immédiatement la tête au plafond quand il tenta de se redresser, faisant tomber plus de poussière. Lançant un juron sonore dans une langue inconnue, l’arrivant courba le dos et s’avança vers le foyer. Tous les occupants de la salle étaient maintenant figés de peur et d’ébahissement : l’inconnu mesurait facilement une pleine tête de plus que l’aubergiste, qui était quand même un homme de bonne taille. De plus, il portait sous sa cape une sorte d’armure d’apparence compliquée, le marquant comme étant probablement un guerrier. ‘’Jean, penses-tu que c’est un Viking?’’ Bégaya avec peine Bernard. Ce dernier ravala soudain sa salive quand six autres inconnus portant des capes pénétrèrent dans l’auberge : tous avaient eu besoin de se courber pour passer dans la porte d’entrée. Comme sur un signal inaudible, les six derniers arrivants baissèrent leurs capuchons et enlevèrent ce qui semblait être des casques d’armures, tandis que le géant debout près du foyer se contentait d’ouvrir la visière de son casque. Le géant ainsi que trois des autres inconnus étaient des hommes aux visages rasés de très près. Les trois autres étaient des femmes d’une rare beauté. ‘’Crois-tu que les Vikings emmènent leurs femmes durant leurs expéditions de pillage?’’ Dit d’une voix basse Jean à son apprenti. ‘’De plus, tous les témoignages sur les Vikings parlent de guerriers à la barbe hirsute. Hors, j’aimerais bien savoir comment

74 ces gens peuvent se raser d’aussi près. Mon meilleur scalpel ne pourrait pas faire un travail aussi net.’’ ‘’C’est bien vrai, Jean. De toute façon, ils n’ont pas l’air hostiles.’’ Jean constata du coin de l’œil que son apprenti dévisageait sans vergogne les trois étrangères. Il devait lui-même avouer qu’elles valaient le coup d’œil. Deux d’entre elles avaient de longs cheveux noirs luisants, tandis que la troisième, une beauté exotique bronzée, avait des cheveux blonds pâles presque blancs. Tous les nouveaux venus respiraient la santé et la pleine forme physique.

Les sept inconnus s’avancèrent

soudain vers la table où étaient assis Jean et Bernard, ce dernier resta alors à sa place seulement grâce à la ferme poigne de son mentor. Au grand soulagement des deux Toulousains, les quatre hommes et trois femmes se contentèrent de s’asseoir à la table voisine, à la gauche de Jean de Chambriand, faisant craquer les bancs sous leur poids. Après un moment de silence tendu, une des deux femmes aux cheveux noirs se tourna vers la jeune serveuse, blottie dans un coin de la salle. ‘’Serveuse, sept bières s’il vous plaît!’’ L’ordre avait été exprimé calmement d’une voix mélodieuse et dans un Occitan teinté d’un curieux accent. Un des deux autres clients originaux de l’auberge, un homme frustre et grossier nommé Gawen, ricana d’un ton suffisant. ‘’Eh, Pierre, tu entends ça? Ils laissent leurs femmes commander dans une auberge!’’ Le rire des deux compères s’étrangla toutefois quand le géant qui avait pénétré en premier les regarda d’un œil mauvais, saisit un tabouret de bois et en broya une des pattes d’une seule main gantée de fer, sans effort apparent. La mâchoire de Bernard le Gaucher en resta béante. Quand la même femme qui avait commandé paya Jehanne, la jeune serveuse, personne n’osa faire de commentaires. Comme la serveuse passait à proximité de sa table, Jean l’arrêta et prétendit commander une autre bière, en même temps qu’il lui soufflait dans l’oreille. ‘’Vite, montre moi discrètement la monnaie que ces gens utilisent.’’ Jehanne, dépassée par tout ceci, n’hésita que brièvement avant d’accepter d’échanger une des pièces reçues de l’inconnues contre deux deniers d’argent sortis de la bourse de Jean. Ce dernier examina ensuite avec intérêt la pièce luisante cachée dans le creux de sa main.

75 ‘’Curieux! C’est un denier à l’effigie de l’Empereur Charlemagne, mais il est tout neuf.’’ ‘’Et alors?’’ Rétorqua à voix basse Bernard, ne voyant pas ce que cela signifiait. ‘’Alors? On ne frappe plus de monnaie à l’effigie de Charlemagne depuis près de cinquante ans. Hors, cette pièce n’a pas une égratignure et n’a dû être produite que très récemment.’’ ‘’Les étrangers paient avec de la fausse monnaie?’’ ‘’Oui…et non! Oui parce que cette pièce n’a pas été frappée dans un atelier monétaire reconnu. Non, parce que le contenu en argent de ce denier semble satisfaire aisément au cours légal. De fait, je n’ai jamais vu une monnaie d’une frappe d’aussi haute qualité. Qui qu’ils soient, ces gens en connaissent un bout sur les métaux.’’ Le jeune Bernard, relevant la tête, faillit soudain sauter par dessus la table : l’inconnue qui avait payé la serveuse se tenait debout près de leur table. L’excitation de l’apprenti sembla amuser la grande femme, qui sourit de son saisissement.

Qu’elle a un

magnifique sourire, pensa Jean de Chambriand avant de faire signe à Bernard de venir s’asseoir à côté de lui et de retourner le sourire de l’étrangère. ‘’S’il vous plaît, gente dame, prenez place à ma table et laissez moi vous commander du vin.’’ ‘’Avec plaisir, messire!’’ La jeune femme, qui semblait dans la vingtaine, s’assit face à Jean, le laissant admirer son visage fin et ses cheveux soyeux.

En plus de sa beauté et de sa stature

remarquable, ses immenses yeux verts rayonnaient d’une intelligence vive. Le cœur de Jean se mit à battre plus rapidement comme il la regardait.

Il prît le temps de

commander un gobelet du meilleur vin de l’auberge à la serveuse pour l’inconnue avant de lui refaire face, un sourire aimable aux lèvres. ‘’Permettez moi de me présenter, gente dame : Jean de Chambriand, barbierchirurgien, alchimiste, apothicaire et astrologue, à votre service. Voici mon apprenti, Bernard le Gaucher.’’ La jeune femme décocha un bref sourire à Bernard, dont les joues rougirent de timidité, avant de fixer de nouveau Jean. ‘’Et mon nom est Ann Shelton. Puis-je vous poser une question en apparence bizarre?’’ ‘’Mais certainement, Dame Shelton!’’

76 ‘’Merci! Voyez vous, moi et mes compagnons arrivons de l’Est après un long voyage et j’ai peur que nous ne sommes plus très certains de la date. Pourriez vous nous éclairer à ce propos?’’ ‘’Mais rien de plus facile, Dame Shelton! Je comprends très bien votre problème, actuellement : durant un récent voyage de retour de Florence, j’ai quitté cette merveilleuse cité en l’an de grâce 860. Je suis arrivé à Pise en l’an 862, selon le calendrier en vigueur dans cette ville, ensuite en Provence en l’an 861, pour finalement arriver à Toulouse en l’an 860. Et tout ça durant un voyage de six semaines! Pour répondre à votre question, nous sommes aujourd’hui le 23 septembre de l’an de grâce 861 et cet incapable de Charles II est encore Roi de Francie.’’ Ann Shelton sembla frappée profondément par cette information mais se reprit toutefois rapidement.

Jean profita de sa confusion pour sortir le denier d’argent obtenu de

Jehanne et le mettre sur la table devant Ann. La jeune femme regarda gravement la pièce un moment avant de la repousser vers Jean. ‘’Gardez cette pièce, messire de Chambriand. Elle est la preuve qu’on ne peut pas tout prévoir, comme tomber sur un homme à l’esprit aussi vif que le vôtre.’’ Jean accepta le compliment d’un salut de la tête. ‘’Dites moi, Dame Shelton, pourquoi avez vous fait produire ces pièces si vous aviez le métal brut disponible pour échanger contre de la monnaie légale?’’ ‘’Jean, je peux vous appeler Jean, n’est-ce pas?’’ Jean fit signe que oui. Ann baissa alors la voix, pour ne pas être entendue des autres clients de l’auberge. ‘’J’aimerais bien vous expliquer le problème que moi et mes compagnons affrontons, mais je préférerais mieux vous connaître avant d’en dire plus. Cette auberge n’est également pas l’endroit le plus propice pour parler en confidence.’’ Jean ricana à ces derniers mots avant de pointer discrètement le ruffian qui avait rît d’Ann et de ses compagnons. ‘’Je dois agréer avec vous que Gawen, là-bas, a les oreilles distendues et la langue bien pendue. Puis-je vous offrir l’hospitalité de ma maison pour la nuit? Je suppose que vous n’avez pas encore pris de chambres dans une auberge?’’ ‘’Effectivement non, Jean. J’accepte votre hospitalité avec plaisir. Je dois vous avouer qu’une partie de mon escorte est restée dans la ruelle. Vous avez pu constater comment leur chef a eu de la difficulté à pénétrer dans cette auberge.’’

77 ‘’Oh que oui! Au moins, avec une escorte aussi impressionnante, vous devriez faire peur même aux Vikings, qui devraient arriver ici bientôt.’’ Sa boutade rendit Ann sérieuse de nouveau. ‘’Les Vikings… Nous n’avons pas encore décidé comment réagir envers eux.’’ ‘’Personne ne vous blâmerait de courir loin d’eux, Dame Shelton.’’ Interjeta en manière de plaisanterie le jeune Bernard. ‘’Tout le monde se sauve habituellement devant eux.’’ Ann lui décocha un curieux regard avant de fixer de nouveau Jean, sa voix toujours basse. ‘’Est-ce que Toulouse a une chance de repousser les Vikings, Jean?’’ L’astrologue secoua tristement la tête. ‘’Une bien mince chance, Dame Shelton. Ils ont déjà ravagé les rives de la Garonne entre Bordeaux et Toulouse et le Comte Raymond, bien qu’un homme vaillant, ne dispose que de bien peu de gens d’armes. On a bien réparé la vieille enceinte romaine du mieux que l’on pouvait, mais cela n’arrêtera pas les Vikings. La moitié de la population de la ville s’est déjà enfuie vers les montagnes ou la Provence.’’ ‘’Et le Comte de Toulouse?’’ ‘’Le Comte Raymond est toujours à son manoir en ville, avec sa famille. Il tente encore de rassembler le plus d’hommes d’armes qu’il peut pour défendre la ville.’’ Ann hocha la tête avec approbation : cela correspondait au portrait historique du Comte Raymond de Toulouse qu’elle avait lu sur le MARCO POLO avant de partir en mission. Elle se leva de table et alla parler brièvement au Major Arntern avant de revenir à la table de Jean. Ce dernier et Bernard suivirent des yeux Arntern comme il se leva et sortit de l’auberge. La voix d’Ann reprit alors l’attention de Jean. ‘’Jean, pensez vous que le Comte Raymond serait prêt à accepter l’aide de parfaits inconnus contre les Vikings?’’ ‘’Vous plaisantez, Dame Shelton? Le Comte acceptera l’aide de n’importe qui dans les circonstances actuelles. Combien de soldats avez vous précisément avec vous, si je puis me permettre de demander?’’ ‘’Cinq, incluant leur chef, qui vient de sortir dehors. Cela pourrait sembler peu, mais ils sont tous équipés d’armures très solides et sont bien armés.’’ Jean ne pût s’empêcher de détailler le costume bleu que portait Ann sous sa cape. Il ne ressemblait à rien que Jean aie vu auparavant et semblait fait d’une matière qu’il n’arrivait pas à identifier.

78 ‘’Parlant d’armures, de quoi est faite votre tenue, Dame Shelton?’’ En guise de réponse, Ann posa son avant-bras gauche sur la table pour laisser Jean le toucher. ‘’D’une matière extrêmement résistante appelée Mikar, une sorte de fibre synthétique.’’ ‘’Mikar? Fibre synthétique? Dame Shelton, je suis un alchimiste et je n’ai jamais entendu parler de telles choses. Et quelles sont ces petites boîtes de fer qui parsèment votre tenue?’’ ‘’Ces boîtes servent diverses fonctions, mais j’ai peur qu’expliquer leur fonctionnement prendrait beaucoup de temps et pourrait même vous faire penser que nous utilisons de la magie.’’ Ann avait dit ses derniers mots en sachant qu’ils pourraient inquiéter Jean ou même le rendre hostile. Elle tenait toutefois à voir si l’impression qu’elle avait de lui était correcte. La réaction de Jean l’étonna tout de même : il ricana avant de lui répondre. ‘’De la magie? Je ne crois pas à ces choses ou à la sorcellerie, ces épouvantails que l’église utilise pour affermir son pouvoir sur les masses ignorantes. J’ai déjà été accusé de sorcellerie par l’église à la suite de mes expériences en alchimie. Heureusement, le Comte Raymond a prit ma défense et a réussit à me tirer de ce mauvais pas. Je crois en la connaissance, pas en l’obscurantisme, Dame Shelton.’’ ‘’Jean,’’ répliqua Ann avec un large sourire, ‘’vous ne pouvez pas savoir combien cela me met à l’aise. Je dois remercier la bonne étoile qui a mis un homme de votre calibre sur mon chemin.’’ ‘’Un homme de mon calibre? Chère Dame Shelton, vous me flattez bien trop!’’ ‘’Pas du tout, Jean! Vous êtes une rareté à cette époque.’’ Dit très sérieusement Ann. Le Major Arntern entra alors de nouveau dans l’auberge et vint murmurer dans l’oreille d’Ann, qui sourit avec satisfaction avant de s’adresser à Jean. ‘’Bonne nouvelle, Jean : mon escorte pourra aider à la défense de Toulouse contre les Vikings.’’ ‘’Et à qui le chef de votre escorte a t’il été demander la permission? Y a t’il quelqu’un de plus haut rang dehors?’’ ‘’D’une certaine manière.’’ Rétorqua Ann, un sourire malicieux sur son visage. Ce Jean de Chambriand prouvait être décidément un homme très perspicace. ‘’Pourquoi ne pas aller maintenant à votre maison, où nous pourrons parler à loisir?’’ ‘’Bonne idée, Dame Shelton.’’

79

21h43 (Heure de Paris) Quartier Ouest de Toulouse Jean de Chambriand s’arrêta devant la porte d’une maison de trois étages construite en bois et en brique. Tout comme le reste du quartier, l’ensemble donnait une impression de décrépitude et l’odeur du sol de terre battue couvrant la ruelle était aussi insupportable qu’aux environs de l’auberge de Saint-Sernin. Bernard resta aux côtés de Jean comme celui-ci cognait à la porte, étant encore seulement à moitié rassuré au sujet des gigantesques étrangers. Pour leur part, Ann et ses compagnons restèrent enlignés le long de la façade, derrière Jean, comme ce dernier frappait à la porte. ‘’Judith! Judith! Ouvres donc, c’est moi, Jean!’’ Après un moment d’attente, des verrous furent tirés de l’intérieur et la porte s’ouvrit devant Jean, qui se dépêcha d’entrer, suivit de Bernard et des autres.

Jean parla

doucement à sa vieille servante, qui regardait passer les onze géants étrangers avec des yeux plein d’effroi. ‘’N’aie pas peur, Judith. Ces gens ont été invités par moi à passer la nuit ici. Ils sont prêts à aider le Comte Raymond à aider à défendre Toulouse contre les Vikings.’’ ‘’Mais, ils sont si grands, messire! Qu’est-ce qui vous dit qu’ils ne sont pas des Vikings?’’ ‘’Avec trois femmes?’’ Répliqua Jean avec un sourire qui finit par rassurer la vieille femme.

Un porte-chandelle à la main, Judith referma et verrouilla la porte

d’entrée et accompagna son maître et les onze étrangers au travers d’une petite pièce tenant lieu d’atelier, ensuite dans une salle plus vaste mais au plafond bas. Le centre de la pièce, maintenant bondée, était occupé par un foyer où brûlait un bon feu. Quelques bougies accrochées aux murs aidaient le feu à illuminer pauvrement la pièce, dont le plancher était fait de planches mal équarries. Une jeune fille pauvrement vêtue se leva à leur arrivée et décocha un sourire forcé aux étrangers tout en faisant une révérence. Jean de Chambriand fît alors les présentations. ‘’Dame Shelton, bienvenue dans ma modeste demeure, ainsi que vos compagnons.

Je vous présente Judith, ma gouvernante et cuisinière, et Marie, ma

jeune servante.’’ ‘’Je vous remercie de votre hospitalité, Jean.’’ Répondit Ann. ‘’Avant tout, je crois bon de rassurer de suite vos servantes. Nous allons donc nous débarrasser de

80 nos combinaisons et armures. Avez vous une objection à ce que nous les mettions dans votre atelier?’’ ‘’Je n’y vois aucun problème, Dame Shelton.’’ Les cinq commandos du groupe disparurent alors dans l’atelier, laissant Ann et ses cinq spécialistes plus à l’aise pour commencer à enlever leurs combinaisons. Jean, Bernard et les deux servantes regardèrent avec une intense curiosité comme les étrangers sortirent de leurs combinaisons bizarres. Même Jean faillit s’exclamer quand ils purent examiner les onze étrangers en détail : ils portaient tous des habits moulants deux pièces identiques d’une coupe jamais vue auparavant à Toulouse et avaient des corps athlétiques. Les tenues d’Ann et des trois autres femmes en particulier auraient été qualifiées de scabreuses par la plupart des Toulousains : en plus de mouler de près leurs corps, leurs vêtements identiques à ceux des hommes constituaient une atteinte sérieuse aux lois de l’église, qui interdisait aux femmes de porter des vêtements d’hommes sous peine de châtiment sévère. Jean remarqua alors que les étrangers avaient bouclé de larges ceintures portant une variété de pochettes, mais aucune lame ou arme visible. Les cinq guerriers du groupe avaient toutefois passé en bandoulière des sortes de tubes courts et épais que Jean ne reconnaissait pas. Il prît une seconde avant de réaliser qu’une jeune femme faisait partie du groupe de guerriers et regarda Ann avec incompréhension. Ann le devança en levant une main et en lui coupant la parole d’avance. ‘’Avant que vous puissiez le demander, Jean, oui, le Caporal Diane Champagne fait partie de mon escorte et se battra contre les Vikings.’’ ‘’Mais, elle va se faire tailler en pièces! Et où sont leurs armes?’’ ‘’Sur mes guerriers.’’ Répondit simplement Ann avant de désigner l’escalier en bois menant à l’étage. ‘’Je crois qu’il est temps de vous parler sérieusement en privé, mon cher Jean.’’ ‘’Je crois que vous avez raison, Dame Shelton.’’ Comme Ann et Jean empruntaient l’escalier, Bernard regarda nerveusement les étrangers restants qui lui faisaient face ainsi qu’à Judith et Marie. La femme exotique aux cheveux blonds lui décocha un sourire désarmant et parla d’une voix mélodieuse. ‘’Je crois que moi et mes compagnons ne nous sommes pas encore présentés proprement. Je suis Vyyn Drelan. Avec moi, de gauche à droite, sont Djéa Renak, Tanya Gorash, Misha Gouskov et Fernando Vasquez. Nos guerriers sont Hans Arntern, leur chef, Mark Dempster, Baya Makwando, Diane Champagne et Tony Vinelli.’’

81 ‘’Euh, ravis de vous connaître.’’ Dit avec peu de conviction Bernard. ‘’Qu’est-te vous exactement, des marchands, des mercenaires?’’ ‘’Des explorateurs. Nous revenons d’un lointain voyage à l’Est. Cela me fait penser : nous avons avec nous une boisson qui se nomme le thé. Aimeriez vous la goûter pendant que Jean et Ann parlent en haut?’’ ‘’Pourquoi pas?’’

Répondit Bernard, un semblant de sourire revenant à son

visage : il aimait toujours essayer de nouvelles choses, habitué en cela par les voyages effectués avec Jean. Jean de Chambriand avait emménagé le grenier de sa maison en observatoire astronomique rudimentaire, quatre lucarnes couvertes par des panneaux de bois faisant office de postes d’observation à chaque point cardinal. Jean s’assit à une table de travail couverte de parchemins et offrit un tabouret à Ann.

Ils s’observèrent alors

mutuellement en silence pendant un moment. Ann trouvait un charme certain dans le jeune homme mince, qui devait être dans la vingtaine avancée et portait des cheveux noirs tombants aux épaules. Ce qui l’attirait le plus dans Jean était toutefois son esprit. Pour un homme du neuvième siècle, il démontrait une ouverture d’esprit étonnante, en plus d’être apparemment très intelligent. ‘’Jean, je crois que je peux aller directement au cœur de la question avec vous. Vous semblez être un homme raisonnable et compréhensif et je déteste tourner autour du pot.’’ ‘’Comme moi, Dame Shelton.’’ ‘’S’il vous plaît, appelez moi simplement Ann, Jean : je ne suis pas une noble et n’aie aucune envie d’être traitée comme telle.’’ ‘’Va pour Ann. Je suis toute ouie.’’ Ann hocha la tête et pensa un moment au choix de mots qu’elle allait utiliser, ensuite parla d’une voix calme et posée. ‘’Jean, moi et mes compagnons sommes des explorateurs venant de très, très loin. Malheureusement, au retour de notre dernier voyage, nous avons retrouvé notre patrie envahie par des hordes barbares et avons eu à peine le temps d’embarquer le plus de réfugiés possibles sur notre navire avant de fuir. Maintenant, nous sommes également des réfugiés en quête d’une nouvelle demeure. Le capitaine de notre navire m’a envoyé, moi et mon groupe, prendre contact avec les gens de Toulouse, pour voir si nous pouvions en arriver à un pacte d’assistance mutuelle. L’offre que je veux donner

82 au Comte Raymond demain est notre aide pour chasser les Vikings, en échange d’un bout de terre qui pourrait aider à loger au moins une partie de nos réfugiés. Nous savons que le Comte Raymond a la réputation d’être un homme raisonnable et honnête, contrairement à beaucoup des dirigeants en Francie.’’ ‘’Le Comte Raymond est effectivement un homme bon qui a le bien-être de son peuple à cœur, une chose trop rare malheureusement en cette triste époque. Si vous pouvez réellement l’aider à sauver Toulouse des Vikings, je suis certain qu’il ne se montrera pas un ingrat. Dite moi, Ann : où se trouve votre patrie? Comment s’appelle t’elle?’’ ‘’Elle s’appelle l’Expansion humaine. Quand à sa position, venez à cette lucarne et je vais vous montrer.’’ Accompagné par Jean, Ann se leva et se rendit à la lucarne faisant face au Sud, l’ouvrant et mettant en place le bâton prévu pour garder la lucarne ouverte. Ann refit face à Jean, qui se tenait maintenant tout près d’elle. ‘’Jean, que sont pour vous ces étoiles que vous étudiez dans le ciel?’’ Le jeune homme surprit Ann en souriant alors d’un air sarcastique. ‘’Si vous ne seriez pas une femme, je me demanderais si vous n’êtes pas quelqu’un envoyé par l’église pour me piéger avec des questions délicates, Ann.’’ ‘’Elle peut aller se promener, l’église et ses foutaises!’’

Rétorqua Ann,

s’échauffant sur un aspect de l’histoire qui l’avait toujours irrité. ‘’Je veux savoir ce que vous pensez, Jean, pas ce que l’église veuille que vous pensiez.’’ ‘’Avec plaisir, Ann. Je crois que les étoiles sont comme notre soleil, mais plus loin. Quand à ce qu’elles sont exactement, je ne peux honnêtement pas répondre à cela, bien que j’aimerais l’apprendre de tout cœur. Pour en revenir à votre patrie, où est-elle, Ann?’’ Ann pointa l’horizon vers le Sud. ‘’Nous ne pouvons pas la voir de cette latitude, mais elle se trouve dans la constellation du Centaure.

Moi et mes compagnons venons de l’étoile d’Alpha du

Centaure.’’ S’étant résolument jetée à l’eau avec cette révélation, Ann examina attentivement les réactions de Jean, espérant vivement qu’il serait capable d’accepter son explication. Jean la regardait maintenant avec stupeur, incapable de parler. Cela prît un bon dix secondes avant qu’il puisse parler d’une voix étranglée.

83 ‘’Venant de toute autre personne, Ann, je croirais à une mauvaise plaisanterie. Vous et vos compagnons sont toutefois trop étranges et différents et je me posais des questions sur vous dès le premier moment où je vous aie vus. J’aimerais quand même avoir des preuves de ce que vous dites avant d’aller voir le comte demain.’’ ‘’C’est de bonne guerre!’’

Répliqua en Occitan Ann avant d’activer son

vidéophone de poignet et de parler en Nouvel-Anglais, la langue de l’Expansion humaine. ‘’Frégate MACAO, ici équipe au sol! J’aurais besoin que vous fassiez un passage à basse altitude au dessus de Toulouse, avec tous vos feux de navigation allumés : je dois convaincre quelqu’un que je suis sérieuse. Faites un survol d’Est en Ouest au Sud de la ville.’’ ‘’Bien compris, équipe au sol.

Nous survolerons la ville dans une minute.

Terminé!’’ Jean l’avait regardé avec incompréhension pendant qu’elle parlait à la petite boîte à son poignet mais sauta par en arrière quand il entendit une voix d’homme sortir de la boîte. ‘’Co…comment avez vous fait ça?’’ ‘’Avec l’aide d’une science très avancée, Jean.’’ Dit doucement Ann. ‘’Dans moins d’une minute, un de nos navires de l’espace va survoler la ville d’Est en Ouest. Gardez l’œil vers le Sud et vous verrez bientôt que je ne plaisante pas.’’ Clairement secoué par les paroles d’Ann, Jean prît quand même position à la lucarne et attendit tout en scrutant le ciel nocturne. Un sourd grondement de faible volume le fît bientôt tourner la tête vers le Sud-est, à temps pour voir approcher une sorte de boule gigantesque dans le ciel.

Sentant ses genoux mollir, Jean contempla la boule, qui

devait mesurer plus de 300 pas de diamètre et arborait un bon nombre de lumières clignotantes de diverses couleurs, passer à basse altitude juste au Sud de Toulouse, filant à la vitesse du vent. La boule volante géante remonta ensuite en chandelle vers le ciel, accélérant à un rythme vertigineux et disparaissant de sa vue après moins de vingt secondes. Le visage maintenant presque blanc, Jean se tourna lentement vers Ann, qui le regardait avec un air grave. ‘’Jean, ceci n’était qu’un de nos navires et non le plus gros. Pour les gens de votre époque, la puissance de notre flotte serait totalement inimaginable.’’ ‘’Mais, si vous êtes si puissants, pourquoi ne prenez vous pas simplement ce que vous voulez? Et pourquoi avez vous dit ‘pour les gens de mon époque’?’’ ‘’Premièrement, Jean, nos valeurs sont très différentes de celles qui ont cours en Francie. Nous ne prenons jamais rien de force. Nous n’utilisons la force que pour nous

84 défendre ou pour défendre nos amis et alliés. Toute vie humaine est précieuse pour nous, sans égard au rang social, à la race, à la religion ou au sexe. Deuxièmement, la raison pour le choix de mes mots est simple : moi et mes compagnons arrivons du lointain futur, du 41ème siècle, plus précisément. Malheureusement, notre voyage dans le temps a été bien involontaire et nous n’avons aucun moyen de revenir à notre époque d’origine.

Notre flotte, qui transporte seize millions de réfugiés, est maintenant

prisonnière de ce siècle et a un besoin désespéré de trouver de nouvelles terres d’accueil pour ses citoyens.’’ En ayant probablement trop entendu à la fois, les jambes de Jean cédèrent et il tomba sur son derrière, des sueurs froides au front. Ann se dépêcha de l’aider doucement à se relever. L’astrologue, alchimiste, barbier-chirurgien et apothicaire fixa Ann tout en se remettant péniblement debout. ‘’Seize millions de réfugiés? Toute la Francie ne serait pas suffisante pour loger et nourrir tant de monde, Ann. Quand au Comte Raymond, il ne pourra au plus que vous donner quelques parcelles de terres ou de forêts inoccupées.’’ ‘’Tout ce que nous souhaitons ici est une surface suffisante pour construire une petite agglomération, Jean.

D’autres terres ailleurs, désertes celles là, serviront à

reloger le gros de nos réfugiés. Nous tenons également à gagner l’amitié du Comte Raymond.’’ ‘’Et comment comptez vous le convaincre que ce que vous dites n’est pas un tissus de sornettes et de mensonges, ou de la pure sorcellerie? Je me targue d’avoir l’esprit ouvert et pourtant ce que je viens de voir m’est difficile à accepter.’’ Ann fît la moue à ces mots. ‘’Vous avez là un bon point, Jean. Je dois encore trouver une réponse à cela. Comment vous sentez vous maintenant?’’ ‘’Mieux!’’ Répondit Jean. Ann pouvait effectivement voir des couleurs revenir à son visage. Elle devait avouer que ce qu’elle lui avait demandé de croire représentait beaucoup à la fois. La plupart des gens du Moyen-Âge auraient fuit à pleine jambe ou l’aurait immédiatement accusée de sorcellerie. Ce Jean de Chambriand était réellement un homme spécial pour cette époque. Jean dit alors quelque chose qui la surprit une nouvelle fois. ‘’Ann, j’ai une confidence à vous faire. Depuis des années, je rêvais du jour où des gens puissants et justes viendraient pour rétablir la justice envers le petit peuple. Je suis venu m’établir à Toulouse parce que le Comte Raymond avait la réputation d’être

85 un seigneur juste et honnête. En cela il ne m’a jamais déçu et j’aurais vécu parfaitement heureux à Toulouse si ce n’avait été de l’intolérance de l’église à l’égard de mes expériences en alchimie.

Maintenant, avec des gens comme vous ici, je vois la

possibilité que mon rêve s’étende au monde entier.’’ Ann sourit à ses paroles et lui posa un tendre baiser sur le front. ‘’Un visionnaire et un idéaliste en plus d’un homme intelligent et tolérant. Décidément, vous me plaisez de plus en plus, mon cher Jean.

Êtes vous prêt à

redescendre à votre salle commune maintenant?’’ ‘’Oui!

Je crois de toute façon que je doive aller parler à Bernard et à mes

servantes pour les rassurer à votre sujet.’’ ‘’Soyez prudent, Jean. Si vous leur dites tout ce que je vous aie dit, un d’eux pourrait bien aller courir vous dénoncer comme suppôt du Diable.’’ Jean lui décocha alors un regard curieux avant de parler d’une voix basse, presque un murmure. ‘’Pas eux, Ann. Je vais maintenant vous confier un secret que personne d’autre ne connaît à Toulouse. Bernard, mon apprenti, était auparavant le fils d’un alchimiste de Narbonne que je connaissais bien.

Cet alchimiste a été arrêté par l’église pour

sorcellerie il y a six ans, torturé et finalement brûlé vif. Sa femme et son fils ont alors été obligés de fuir Narbonne pour échapper à l’église. La femme de cet alchimiste est Judith, ma cuisinière et gouvernante. Quand à Marie, ma jeune servante, je lui aie donné refuge alors qu’elle tentait de se cacher de l’église : une mauvaise mégère jalouse de sa beauté l’avait accusée injustement de sorcellerie à Carcassonne.’’ Ann resta silencieuse un moment, ne s’étant pas attendue à de telles révélations. ‘’Je vois que je vais maintenant devoir rajouter le courage et la charité à vos autres qualités, Jean.’’ Au lieu de paraître flatté par ces mots, Jean baissa les yeux, son visage plein d’amertume. ‘’Moi, courageux? Je ne fais que cacher mes vraies pensées de tous depuis des années, Ann, pour éviter l’attention malsaine de l’église. courage, bien au contraire.

Je n’appelle pas cela du

Le mari de Judith a eu le courage de se défendre

publiquement, mais il a payé un prix exorbitant pour cela. Pas moi!’’ ‘’Jean,’’ dit doucement Ann, plus émue qu’elle ne le laissait paraître, ‘’vous aviez des innocents à protéger. Finir sur un bûcher ne les aurait pas aidés. Ne soyez pas si dur avec vous même.’’

86 Après un autre moment de silence, Jean releva la tête et regarda Ann dans les yeux, l’implorant presque. ‘’Ann, quoi qu’il m’arrive, je me sentirais mieux si vos gens promettaient leur protection à Bernard, Judith et Marie. Pouvez vous arranger cela?’’ ‘’Ils l’ont déjà, ainsi que vous-même.’’

Répliqua Ann sans hésitation.

Jean

hocha gravement la tête en réponse. ‘’Merci, Ann. Je vais vous devoir une fière chandelle, à vous et à vos gens.’’ ‘’C’est nous qui vous devons beaucoup, Jean. Je crois qu’il serait temps de redescendre maintenant.’’ Quand Jean redescendit dans la salle commune, suivit d’Ann, son visage montrait une expression grave qui inquiéta Bernard le Gaucher. Posant le gobelet qu’il tenait et laissant Marie dans le coin où il était assit avec elle, l’adolescent se porta à la rencontre de son maître pendant qu’Ann Shelton allait parler discrètement avec le Major Arntern. ‘’Jean, ça va? Qu’y a t’il?’’ ‘’Rien de mauvais, au contraire, Bernard. Va dans le coin avec Marie. Toi aussi, Judith : j’ai à vous parler.’’ Le groupe d’Ann Shelton se rassembla alors dans le coin opposé pour laisser un peu d’intimité à Jean pendant qu’il s’adressait à ses concitoyens. L’astrologue prit les mains de Judith et de Marie avant de chuchoter d’une voix douce. ‘’Mes amis, je viens d’apprendre des choses extraordinaires qu’il vous sera probablement difficile de croire. Ce sont toutefois de bonnes nouvelles. Premièrement, les étrangers vont aider à défendre Toulouse contre les Vikings et, d’après ce que Dame Shelton m’a montré, ils les battront facilement.

Deuxièmement, je suis maintenant

convaincu que les étrangers sont des gens bons et tolérants. Dame Shelton vient de me promettre sa protection à nous tous contre l’église.’’ ‘’Mais, Jean, vous ne lui avez quand même pas dit…’’ Commença à protester Judith, soudain anxieuse. Jean lui coupa la parole d’un geste rassurant de la main. ‘’Oui, et Dame Shelton a immédiatement offerte la protection de ses gens. Mes amis, ces étrangers sont beaucoup plus que de simples voyageurs venant de loin : ils arrivent des étoiles…et du futur!’’

87 Jean dût alors soutenir Judith, qui chancela à ces mots. L’aidant à s’asseoir sur un tabouret, Jean attendit qu’elle reprenne ses esprits pour continuer, la regardant ainsi que les deux autres membres de sa maisonnée. ‘’Judith, Marie, Bernard, je crois que les étrangers, en plus de nous protéger des Vikings, vont nous offrir un avenir meilleur à tous. Je vous demande simplement de leur faire confiance et de garder tout ceci pour vous pour le moment. La journée de demain sera probablement pleine d’émotions, alors je vous conseille d’aller vous coucher tôt.’’ Après avoir posé un baiser sur le front de Marie et de Judith, Jean escorta le trio vers l’étage et alla se coucher avec eux, chacun dans sa chambre respective. Une fois dans son lit, il prît un long moment avant de s’endormir, rêvant à ce qui pourrait arriver dans les prochains jours.

88

CHAPITRE 12 – FORCE MINIMALE Prime (environ 06h00, heure de Paris) Samedi, 24 septembre, 861 Maison de Jean de Chambriand Toulouse, Royaume de Francie Jean de Chambriand se réveilla au son des cloches de l’église voisine annonçant le Prime. Se levant de sa paillasse, il alla ouvrir tout grand les volets de bois occultant la seule fenêtre de sa chambre et respira une bouffée d’air frais tout en contemplant le ciel, présentement dégagé à part pour quelques nuages dispersés.

Il se vêtit ensuite,

enfilant un pantalon bouffant qu’il couvrit partiellement de sa meilleure tunique, pour finalement lacer des chausses en cuir souple sur ses pieds. Quittant sa chambre, il se rendit à la chambre voisine, où il secoua son apprenti, qui dormait encore comme une souche. ‘’Eh, Bernard, réveilles toi! Le Prime vient d’être sonné.’’ Maugréant, l’adolescent se roula dans sa paillasse mais se leva quand même, évitant le coup de pied que Jean était prêt à lui administrer doucement s’il aurait resté au lit. ‘’Ça vas, Jean : je me lève!’’ ‘’Bien!

Tu me rejoindras en bas dans la salle commune dès que tu seras

habillé.’’ Descendant l’escalier et arrivant à la salle commune au rez-de-chaussée, Jean y rencontra Judith, qui cuisait du pain frais dans le four à pain situé dans un coin. ‘’Est-ce que les étrangers sont debout, Judith?’’ ‘’Oh que oui, Jean! Ils étaient tous levés avant moi et Marie. Un d’eux garde la porte d’entrée et le reste est avec Marie dans votre atelier. Marie leur apporte de l’eau pour se laver.’’ ‘’Ils se lavent tous ensembles, hommes et femmes?’’ Demanda Jean, un peu scandalisé par de telles mœurs. Judith lui sourit, découvrant ses dents partiellement noircies par le manque d’hygiène dentaire.

89 ‘’Je dois dire que je ne m’y suis pas opposée : ils sont de sacrés beaux hommes, ces guerriers étrangers. Marie est justement en train de se pâmer sur le plus jeune homme du lot, celui avec les yeux étirés.’’ Jean sourit à ces derniers mots. Marie, qui avait quatorze ans et était plus que jolie, était déjà dans l’âge considéré idéal en Francie pour se marier. ‘’Et…les étrangères?’’ La timide question de Jean fît ricaner la vieille femme. ‘’J’aimerais bien avoir leur apparence, en vérité. Elles rendraient fou n’importe quel homme en ville.

La guerrière du lot, la Diane, à pour sa part des muscles

étonnants pour une femme, en plus d’être une géante.’’ Jean ne commenta pas sur cela, fixant plutôt un pot en fer accroché au dessus du feu couvant dans le foyer central. Le pot était rempli d’eau et contenait également des sortes de petits sacs en métal brillants. ‘’Judith, que sont ces sacs dans le pot d’eau sur le feu?’’ ‘’La nourriture des étrangers. Selon eux, il suffit de les chauffer un moment dans de l’eau bouillante. Ensuite, il suffit de les ouvrir et de manger leur contenu. Ils ont mis assez de sacs pour tous, incluant nous.’’ ‘’Mmm, intéressant! Je suis curieux d’y goûter.’’ Jean alla s’asseoir à la table à manger et attendit, ne voulant pas briser l’intimité des étrangères pendant qu’elles se lavaient. Un des hommes, Mark Dempster, sortit bientôt de l’atelier, portant une tenue moulante grise, et vérifia les sacs dans le pot d’eau bouillante. ‘’C’est prêt!’’ Annonça t’il avant de décrocher le pot et de le déposer sur une pierre plate à côté du foyer. Il enfila une paire de gants minces avant d’extraire les sacs un par un et de les mettre sur la table, en posant un devant Jean. ‘’Pour vous, Jean. Déchirez le sac le long de cette ligne pointillée et prenez ensuite une cuillère pour manger le contenu.’’ ‘’Et quel est le contenu, exactement?’’ ‘’Une omelette au jambon.’’ Jean, maintenant franchement curieux, alla prendre une cuillère dans le buffet et retourna à la table. Le sac métallique se révéla étonnamment facile à déchirer et, une fois ouvert, laissa flotter une odeur appétissante. Comme il commençait à manger avec

90 délice son omelette, Dempster posa devant lui un gobelet en terre cuite rempli d’un liquide brun et fumant, que Jean regarda avec curiosité. ‘’Quel est ce breuvage?’’ ‘’Du café, avec du lait et du sucre pour adoucir son goût naturellement amer. Le café est un stimulant et aide à vous réveiller le matin, en plus d’avoir bon goût. Faites attention : c’est chaud!’’ Jean prît une gorgée avec précaution et aima instantanément cette nouvelle boisson chaude.

Il avait mangé la moitié de son omelette et bu le tiers de son gobelet,

accompagné de Marie et de quatre des étrangers, quand Bernard descendit finalement l’escalier et renifla. ‘’Ça sent bon ici!’’ ‘’Prenez place à la table et venez déjeuner avec nous, Bernard.’’ Dit d’un ton amiable Diane Champagne, invitant d’une main le garçon de quinze ans. Bernard ne se fît pas prier et se retrouva bientôt en train d’avaler avec appétit le contenu d’un sac, accompagné d’un gobelet de café et d’une épaisse tranche de pain frais du four. ‘’Euh, où sont les autres?’’ Demanda l’adolescent, la bouche pleine. Diane pointa un pouce vers l’atelier. ‘’Dans l’atelier. Nous sommes trop nombreux pour manger tous à cette table en même temps. Le Docteur Shelton doit de toute façon discuter certaines choses avec le Major Arntern.’’ ‘’Le Docteur Shelton?’’ Demanda Jean. ‘’Ann est médecin?’’ ‘’Non, une historienne! Elle possède un doctorat en histoire et en sociologie, comme le Docteur Drelan.

Misha Gouskov, à ma droite, est un ingénieur et un

géologue, tandis que Fernando Vasquez est un métallurgiste et un chimiste. Tanya Gorash est pour sa part docteur en médecine. Elle fera un examen complet de vos gens pendant que vous et Ann Shelton vous rendrez chez le Comte de Toulouse.’’ Ces mots portèrent Bernard à regarder Jean, une question dans ses yeux. ‘’Euh, Jean, comment compte tu convaincre le Comte Raymond de faire confiance à ces gens?’’ ‘’Je ne sais pas encore, Bernard. Tout dépendra de ce que dira Ann.’’ Comme si prononcer son nom l’avait attirée, Ann entra à ce moment dans la salle commune, portant sa combinaison protectrice et sa cape, et sourit à jean. ‘’Bientôt prêt à rendre visite au Comte Raymond, Jean?’’

91 ‘’Donnez moi juste un moment, mon amie.’’ Répondit Jean, qui s’empressa de finir son omelette avant de se lever de table et d’aller saisir une ample cape en laine grossière. ‘’Je suis prêt, Ann.’’ ‘’Alors, allons y et prions que le Comte soit d’une humeur réceptive ce matin.’’ Répondit Ann, cachant sa nervosité.

Beaucoup de choses allaient dépendre de

comment elle s’en tirerait dans la prochaine heure ou deux.

Entre Prime et Tierce (environ 07h30, heure de Paris) Manoir comtal de Toulouse Situé près de la rive de la Garonne et avoisinant le dôme du monastère de Sainte-Marie La Dorée, le manoir du Comte Raymond 1er était un édifice à deux étages construit en briques roses et au toit recouvert de tuiles en terre cuite. Un mur de brique bas entourait une petite cour à l’intérieur de laquelle s’ouvrait l’entrée principale du manoir. Deux gardes accueillirent Jean et Ann d’un ton poli devant la porte en bois massive donnant accès au manoir. Les deux hommes hirsutes, portant des vestes cuirassées et des casques coniques, se contentèrent de croiser leurs lances devant les deux arrivants, avec un des gardes adressant Jean poliment tout en admirant discrètement Ann. ‘’Messire Jean, quel bon vent vous amène?’’ ‘’Salut à toi, Adélard! Je viens solliciter une audience auprès du Comte pour moi et ma compagne, Dame Shelton.’’ ‘’Le Comte est très occupé à préparer la défense de la ville, messire. Toutefois, si vous me certifiez que c’est pour une affaire d’importance, je verrai s’il peut vous recevoir.’’ Jean glissa une pièce d’argent dans la main du garde avant de lui répondre. ‘’Dit lui que j’ai trouvé de l’aide pour la défense de Toulouse : ça devrait l’intéresser.’’ Le garde hocha la tête avant de pénétrer dans le manoir d’un pas pressé. L’attente ne dura que trois minutes, que Jean passa à discuter de choses anodines avec le garde restant, un homme court mais puissant nommé Marcelus. Adélard apparut bientôt dans le seuil de la porte et fit signe à Jean et Ann de le suivre. Le trio traversa un petit vestibule avant de pénétrer dans une grande salle au plafond haut et entourée au

92 niveau de l’étage supérieur d’une galerie en bois reliée à la salle par un escalier. Une douzaine de gens d’armes se tenaient debout au fond de la salle, encadrant un homme barbu dans la trentaine avancée et assis sur une chaise en bois sculpté. Debout à la droite du Comte était un homme portant la robe et la tonsure d’un prêtre. Jean chuchota à l’oreille d’Ann tout en gardant un œil sur l’homme d’église. ‘’L’homme assis sur la chaise est le Comte Raymond. Le prêtre debout à sa droite est son confesseur, le Père Thomas, quelqu’un qui ne m’aime pas particulièrement. Il sera probablement notre plus gros problème. Laissez moi parler en premier.’’ Avec la plupart des yeux fixés sur Ann, qui avait la tête à découvert et portait son casque protecteur accroché sous sa cape, le duo s’avança jusqu’à cinq pas du Comte Raymond, s’arrêtant et mettant un genou à terre devant lui tout en baissant la tête brièvement. Le Comte salua Jean d’une voix de basse au ton amical. ‘’Que puis-je faire pour mon barbier personnel aujourd’hui?’’ ‘’Comte Raymond, j’aimerais vous présenter ma compagne, Dame Ann Shelton, qui est arrivée hier à Toulouse. Dame Shelton a avec sa suite cinq guerriers en armure qu’elle offre pour vous aider à défendre la ville contre les Vikings.’’ Le visage du comte s’illumina aussitôt à ces mots. ‘’Toute aide contre ces maudits Vikings est la bienvenue. Et d’où venez vous ainsi, ma gente dame?’’ ‘’De très loin, Comte.’’ Répondit Ann, imitant Jean et se remettant debout devant Raymond de Toulouse. ‘’Mon navire a accosté au Sud et m’a débarqué avec ma petite troupe.

J’ai comme mission de mon chef de vous proposer un pacte d’entraide

mutuelle.’’ Le prêtre debout au côté du comte fît une moue de dérision. ‘’Votre chef a envoyé une femme pour traiter avec le Comte Raymond? Est-il si ignorant de nos coutumes ou voulait t’il délibérément l’insulter?’’ Ann fusilla du regard le prêtre tout en laissant tomber sa cape, dévoilant sa combinaison spatiale et attirant des murmures et exclamations des hommes du comte. ‘’Père Thomas, sachez que, d’où je viens, les femmes ont le même statut social et politique que les hommes. Mon chef m’a envoyé parce que je suis la personne connaissant le mieux la Francie dans son entourage.’’ Le prêtre allait répliquer à Ann mais Raymond de Toulouse lui fît signe de se taire, ensuite adressa Ann tout en la fixant d’un regard perçant.

93 ‘’Dame Shelton, pardonnez moi de paraître brusque avec vous mais mon temps est précieux ce matin. Qui êtes vous exactement et que voulez vous?’’ ‘’Comte Raymond, je suis le Docteur Ann Shelton, spécialiste en histoire à bord du navire d’exploration MARCO POLO.’’ Répondit d’un ton ferme Ann. ‘’Mon chef, dont la flotte compte plus de 70 navires, est prêt à vous débarrasser des Vikings en échange d’un pacte d’aide mutuelle.’’ ‘’Et qu’espère votre chef en échange de son aide? De l’or? Des terres?’’ ‘’Idéalement des terres, mais en surface très limitée. Sinon, votre amitié nous suffira.’’ Raymond ne pût s’empêcher de sourire à ce moment. ‘’Vous n’êtes pas très demandants à comparer à la plupart des gens avec qui je fais affaire. Sachez toutefois que les terres que je contrôle m’ont été données par le Roi Charles II et que je ne suis pas libre d’en disposer comme je le veux.’’ ‘’Puis-je vous demander ce que le Roi Charles a fait ces dernières années pour protéger votre comté, ainsi que le reste de son royaume, contre les Vikings, Comte Raymond?’’ Le ton assuré d’Ann ainsi que ses mots enragèrent le Père Thomas, qui protesta aussitôt à son seigneur. ‘’Comte, ne voyez vous pas que cette femme est venue ici pour semer la discorde contre le Roi Charles. Qui nous dit qu’elle n’est pas une femme Viking? Elle avoue d’elle-même être venue en bateau.’’ ‘’EST-CE QUE LES VIKINGS SAVENT VOLER, PÈRE THOMAS?’’ Ann, ayant décidé de couper court cette perte de temps, venait d’activer l’unité de propulsion moléculaire de sa combinaison et flotta jusqu’à une hauteur de deux mètres au dessus du plancher de la salle. Les Francs présents restèrent cloués de stupeur pendant un bon moment, qu’Ann utilisa pour parler au comte, figé sur sa chaise. ‘’Comte Raymond, ce que vous voyez maintenant est le fait d’une haute science, et non de la magie. Les navires de ma flotte sont en fait des navires de l’espace et nous venons d’une autre étoile. Mon offre tient encore, si vous êtes prêt à discuter avec moi, sans autre interruption.’’ Le Père Thomas fît le signe de croix avant de crier aux hommes d’armes debout derrière le comte. ‘’C’EST UNE SORCIÈRE! SAISISSEZ LA!’’

94 Comme les soldats francs commençaient à sortir leurs épées de leurs fourreaux, le Comte Raymond se leva et leur fît face, son visage reflétant la colère. ‘’RESTEZ TOUS OÙ VOUS ÊTES!’’ Il se tourna ensuite pour faire face au Père Thomas et le pointa de l’index tout en le fixant droit dans les yeux. ‘’C’EST MOI QUI COMMANDE DANS TOULOUSE, ET NON L’ÉGLISE! SOUVENEZ VOUS EN, PÈRE THOMAS!’’ ‘’Mais, messire, je…’’ ‘’PLUS UN MOT!’’ Respirant profondément pour chasser sa colère, Raymond de Toulouse pivota pour refaire face à Ann et Jean. Ann redescendit doucement jusqu’à ce que ses bottes touchent de nouveau au plancher et parla d’une voix calme et polie. ‘’Comte Raymond, je jure avoir dit la vérité à date. Moi et mes gens sommes des voyageurs venants des étoiles. Nous somme de plus du futur, du 41ème siècle plus précisément. Je suis prête à vous fournir les preuves de ce que j’avance.’’ ‘’Dame Shelton, bien que je sois très curieux à votre sujet, les Vikings peuvent arriver d’un moment à l’autre à Toulouse et je n’aie pas le temps maintenant pour de longues discussions. Le fait que vous vous êtes présentée avec mon bon ami Jean de Chambriand me porte à vous traiter avec égard pour le moment, mais je compte voir vos preuves dès que cette crise sera passée.’’ ‘’Cela est raisonnable, Comte. Toutefois, ne vous en faites pas trop au sujet des Vikings : mes cinq guerriers s’occupent d’eux en ce moment même.’’ Tous les Francs, incluant Jean, regardèrent Ann avec incrédulité et incompréhension. ‘’Cinq gens d’armes contre les Vikings?

Ils vont se faire tailler en pièces!’’

S’exclama Raymond de Toulouse. Ann lui répondit d’un ton assuré tout en souriant. ‘’Les Vikings? Sans aucun doute! Voulez vous monter sur les murs de la ville avec moi pour voir le spectacle?’’

07h43 (Heure de Paris) Rive droite de la Garonne Trois kilomètres au nord-ouest de Toulouse ‘’ALLEZ, BANDE DE FAINÉANTS, GROUILLEZ VOUS!

PLUS VITE NOUS

SERONT EN ROUTE, PLUS VITE NOUS POURRONS PILLER TOULOUSE!’’

95 Motivés par les invectives de leur chef, Sven Longue Épée, les quelques 700 guerriers vikings s’activèrent de plus belle pour démonter leurs tentes et remettre dans leurs 32 navires leurs bagages. Comme Sven allait donner l’ordre d’embarquer à bord des dreki, un des Vikings montants la garde autour du camp improvisé poussa un cri d’alarme. ‘’ALERTE!

CINQ GUERRIERS EN ARMURE VIENNENT DE SORTIR DES

BOIS!’’ Comme ses hommes s’empressaient de saisir leurs armes et leurs boucliers, Sven regarda dans la direction indiquée par sa sentinelle et vît effectivement cinq guerriers d’une taille imposante, tous recouverts de la tête au pied d’armures d’un type qu’il n’avait jamais vu auparavant. Les cinq intrus tenaient des sortes de tubes courts et s’avançaient résolument en ligne étendue vers Sven et ses hommes. Sven ricana avant de crier aux inconnus en Occitan, une langue qu’il avait apprit avec l’aide d’une esclave franque qu’il possédait. ‘’VOUS ÊTES BRAVES, MAIS ÉGALEMENT STUPIDES, POUR VENIR NOUS DÉFIER AINSI, À CINQ!’’ La réponse qu’il obtint de l’homme au centre de la ligne de cinq gens d’armes prît Sven par surprise. ‘’RENDEZ VOUS MAINTENANT ET VOUS AUREZ LA VIE SAUVE. REFUSEZ ET VOUS MOURREZ JUSQU’AU DERNIER.’’ Sven éclata de rire à ces mots avant de les traduire pour le bénéfice de ses hommes, qui se mirent également à rire. Les cinq guerriers étaient maintenant immobiles à moins de trente pas des Vikings. Sven se tourna pour regarder ses hommes, brandissant haut sa hache de guerre. ‘’DONNONS LEUR UNE RÉPONSE DE VIKING!

TAILLEZ LES EN

MORCEAUX!’’ Sven se rua alors au pas de charge vers le guerrier inconnu qui avait parlé, hurlant un cri de guerre et tenant haut sa hache, suivi de ses hommes. Le tube pointé par le guerrier faisant face à Sven cracha soudain un éclair bleu fulgurant avec un craquement sec. L’éclair frappa Sven en pleine poitrine, creusant un trou béant dans son torse et le tuant instantanément.

Les quatre autres guerriers se mirent également à tirer des

éclairs bleus à un rythme rapide, désintégrant les Vikings par douzaines. Les Vikings survivants freinèrent leur charge aussitôt, saisis de terreur face à ces armes crachant la foudre, et tournèrent les talons, fuyants vers leurs navires. Les cinq guerriers inconnus continuèrent de tirer sans répit tout en avançant d’un pas délibéré, ne montrant aucune

96 pitié pour les fuyards. Seuls quatre dreki eurent le temps d’être poussés à l’eau mais ils furent coulés aussitôt à coup de désintégrateur, tandis que les derniers survivants de la flottille viking mourraient soit noyés, soit désintégrés. Les cinq guerriers en armure firent ensuite le tour du camp, achevant tout Viking encore vivant mais laissant intacts les dreki qui n’avaient pas été touchés. Le Major Arntern ouvrit la visière blindée de son armure de combat et contempla la scène de massacre qui l’entourait. ‘’C’était décidément trop facile. La prochaine fois, nous utiliserons nos épées courtes.’’ ‘’Bonne idée, Major!’’ Approuva Diane Champagne avant de retourner d’un coup de pied les restes fumants d’un Viking.

97

CHAPITRE 13 – EXCURSION IMPRÉVUE 08h16 (Heure de Paris) Samedi, 24 septembre, 861 Porte Lascrosses, enceinte de Toulouse Raymond de Toulouse, accompagné de ses hommes d’armes, du Père Thomas, de Jean de Chambriand et d’Ann Shelton, avait grimpé sur les remparts du côté nord de la ville à temps pour voir et entendre à distance les décharges multiples de désintégrateurs. Bien qu’il ne puisse pas bien voir ce qui se passait dans le camp viking, il ne manqua pas la destruction des quatre dreki poussés à l’eau et ensuite coulés par des éclairs bleus. Faisant le signe de croix, comme la plupart des Francs l’entourant, il regarda Ann avec un mélange de peur et de curiosité. ‘’Quelle sorte d’arme du Diable vos guerriers emploient-ils?’’ ‘’Ce ne sont pas des armes du Diable ou de Dieu, Comte Raymond, mais seulement des armes du futur, basées sur des connaissances de loin supérieures à celle de cette époque. Nous avons d’autres armes bien plus puissantes encore que celles de mes gardes.

La chose qui importe maintenant est que les Vikings sont

éliminés en tant que menace envers Toulouse, Comte Raymond.’’ Raymond hésita un moment, ensuite cria à un écuyer qui se tenait en bas de l’escalier menant aux remparts. ‘’FAIT AMENER ICI NOS CHEVAUX : NOUS ALLONS FAIRE UNE SORTIE PAR LA PORTE LASCROSSES.’’ Il fixa ensuite de nouveau Ann d’un air résolu. ‘’Si vous voulez bien nous accompagner, Dame Shelton, nous allons chevaucher jusqu’au camp viking pour y voir de nos propres yeux ce qui s’y est passé.’’ Ann lui décocha un sourire désarmant avant de lui répondre. ‘’J’aimerais bien, mais je ne sais pas monter à cheval, Comte.’’ ‘’Dans ce cas, je me ferais un plaisir de vous laisser une place sur la croupe de mon cheval.’’ Répliqua Raymond, souriant à son tour. Ann approuva de la tête. ‘’C’est de bonne guerre, tant que votre femme n’en soit pas jalouse.’’ ‘’Bah, j’invite tous les jours de belles jeunes femmes à monter avec moi.’’

98 Les soldats du comte s’esclaffèrent de rire avec Raymond de sa plaisanterie grivoise, avant de descendre des remparts avec lui, Ann et Jean. Le Père Thomas déclina l’offre du comte de chevaucher avec lui quand des écuyers s’approchèrent en traînant une douzaine de chevaux, prétextant le besoin de prier pour la sécurité du comte. Ann devina toutefois la vraie raison pour son refus en voyant son expression : l’homme avait tout simplement peur.

Raymond de Toulouse sembla également penser la même

chose, à juger la moue qu’il fît en entendant l’excuse du Père Thomas. ‘’Soit! Montons!’’ Raymond monta sur son cheval, qui était équipé d’une selle et d’étriers, et invita Ann à monter derrière lui.

L’écuyer du comte mît un genou à terre à côté du cheval de

Raymond et se pencha, offrant à Ann son dos pour l’aider à grimper à cheval. Sachant qu’une telle servilité était commune et attendue d’une personne de rang social inférieur au Moyen-Âge, Ann ne s’en indigna pas et grimpa sur le dos de l’écuyer, pour ensuite s’asseoir derrière le comte et entourer sa taille avec ses bras. De son côté, Jean de Chambriand prenait place de manière similaire sur la croupe du cheval d’un des chevaliers du comte. Raymond de Toulouse fît alors un signe du bras et cria un ordre avant de lancer son cheval au trot. ‘’AU CAMP VIKING!’’ Ann, dont s’était la première fois qu’elle montait à cheval, trouva l’expérience exaltante, la sensation étant totalement différente de celle de voyager dans un véhicule. De devoir s’agripper à un homme en plus ajoutait du piment à l’expérience. Le comte, qui était visiblement un cavalier aguerri, mena son cheval avec adresse le long d’un étroit sentier boisé suivant la berge de la Garonne, faisant sauter son cheval par dessus les quelques creux rencontrés en chemin.

Ayant poussé son cheval à une bonne

vitesse au début, Raymond de Toulouse ralentit sa monture juste avant d’arriver au campement viking et dégaina son épée. Ann, voyant cela, parla dans l’oreille droite du comte d’une voix rassurante. ‘’Une telle précaution n’est pas nécessaire, Comte : mes guerriers ont tué les Vikings jusqu’au dernier.’’ Raymond tourna la tête pour la regarder, une certaine méfiance encore visible dans ses yeux. ‘’Et comment savez vous cela, Dame Shelton? Vous n’avez pas encore eu la chance de vous entretenir avec vos gardes.’’

99 ‘’Au contraire, Comte.

Nous possédons des mécanismes qui permettent de

communiquer à distance et le chef de mes gardes m’a déjà envoyé son rapport. Vous aurez la chance bientôt d’examiner ces mécanismes et constater qu’il n’y a pas de magie impliquée dans notre science.’’ ‘’J’ai décidément de plus en plus hâte de voir vos preuves, Dame Shelton.’’ Répondit Raymond d’un ton neutre. Ann pouvait toutefois détecter l’incertitude dans sa voix. Ce qu’elle lui disait allait après tout à l’encontre de tout ce qu’il avait appris et Ann pouvait comprendre facilement les hésitations du comte à la croire. Raymond rengaina son épée après une dernière hésitation et ordonna à ses hommes de faire de même, au soulagement d’Ann. Continuant au petit trot, Raymond mena sa troupe de quatorze cavaliers au travers du reste de la forêt et émergea une minute plus tard dans la clairière qui avait servi de camp aux Vikings. Le spectacle qui l’accueillit, lui et ses hommes, le laissa bouche bée : des corps calcinés gisaient partout, entourant une trentaine de navires longs vikings, ces derniers pour la plupart intacts. Les armes et vêtements des morts ne laissaient aucun doute sur leur identité.

Cinq guerriers d’une taille

impressionnante et recouverts d’armures élaborées se tenaient debout, impassibles, au milieu de la scène de carnage. Comme Raymond continuait de regarder autour de lui, Ann sauta en bas de son cheval et marcha à la rencontre du Major Arntern, qui avait ouvert la visière blindée de son casque. Faisant de son mieux pour ignorer le spectacle macabre l’entourant, Ann parla en Occitan à Arntern et d’une voix assez forte pour être entendue du Comte Raymond. ‘’Pas de problèmes avec les Vikings, Major Arntern?’’ ‘’Aucun! C’était presque trop facile, actuellement.’’ ‘’TROP FACILE?’’ S’exclama Raymond de Toulouse, abasourdi en entendant ces mots. Il fît approcher son cheval d’Ann et d’Arntern et les regarda avec incrédulité. ‘’Les Vikings mettent la Francie et les autres pays voisins à feu et à sang depuis des années et vous trouvez que les vaincre est trop facile?’’ Arntern prit sur lui de répondre au comte, tapotant le désintégrateur qu’il portait en bandoulière. ‘’Je m’excuse si mes paroles ont paru être une insulte à vos hommes d’armes, Comte.

Nos armes et armures ont fait la différence.

démonstration de mon désintégrateur?’’ Raymond n’hésita qu’une seconde avant de hocher la tête.

Voulez vous voir une

100 ‘’J’aimerais effectivement voir ce que vos armes sont capables de faire, Messire Arntern.’’ ‘’Dans ce cas, je conseille à vous et à vos hommes de descendre de vos chevaux et de tenir solidement leurs brides : le bruit de mon arme pourrait les effaroucher.’’ Raymond descendit de cheval, imité par ses hommes et par Jean de Chambriand, et saisit fermement la bride de son cheval avant de refaire face à Arntern. ‘’Allez y, messire : je suis prêt à tout.’’ Arntern hocha la tête avant de saisir son fusil désintégrateur et de viser un des navires vikings qui était déjà endommagé. Il tira un seul coup, vaporisant la figure de proue du dreki dans un éclair bleu qui claqua comme la foudre et qui figea les Francs de stupeur et d’effroi.

Comme Raymond luttait pour regagner son assurance, Arntern prit une

décision rapide et lui tendit son fusil désintégrateur. ‘’Essayez vous même cette arme, Comte Raymond, et vous verrez que n’importe qui peut l’utiliser, contrairement à un instrument magique. Vous n’avez qu’à pointer le fusil à l’aide de ce télescope et à presser cette gâchette doucement. Je vais vous demander toutefois d’éviter de pointer cette arme vers une autre personne et de faire attention, car la gâchette est sensible. Vous pouvez tirer sur le même navire que je viens de toucher.’’ Ann se tendit comme un ressort comme le comte prenait avec hésitation l’arme offerte par Arntern. Un accident avec une telle arme pourrait avoir des conséquences graves, tandis que le comte pouvait également être tenté de tuer Arntern et ses soldats. Ann comprenait toutefois les raisons d’Arntern d’agir ainsi et était prête à courir ce risque pour convaincre un allié potentiel précieux.

Imitant du mieux qu’il pouvait la façon

qu’Arntern avait utilisé son désintégrateur, Raymond de Toulouse pointa le fusil vers le dreki viking et toucha la gâchette. La sensibilité de la gâchette le prit par surprise, le coup partant avant qu’il s’y attende. Son tir toucha malgré tout la coque du navire, y creusant un trou fumant de près d’un mètre de diamètre. Raymond faillit laisser tomber le fusil à cause de la surprise et de la peur et contempla l’arme qu’il tenait dans les mains, fasciné par sa puissance destructrice. ‘’Par Dieu, je n’ai jamais vu chose aussi terrifiante! Je comprends maintenant comment vous avez pu vaincre les Vikings si facilement. Et vous dites que vous avez d’autres armes encore plus terribles, Dame Shelton?’’

101 Ann répondit d’une voix calme comme Arntern reprenait poliment son désintégrateur des mains du comte. ‘’Effectivement, Comte Raymond. Nos navires ont des armes similaires mais beaucoup plus grosses et donc d’une puissance quasi inimaginable.’’ ‘’Mais, alors, vous pourriez débarrasser la Francie entière des Vikings, non?’’ Demanda Raymond, un air de révélation apparaissant sur son visage. Ann hocha la tête à cette question. ‘’Nous pourrions effectivement le faire facilement…si mon chef décidait de le faire. Le problème est que ce que nous savons du Roi Charles II ne nous encourage pas à nous allier avec lui. Il s’est à date montré plus enclin à lutter contre ses frères pour une couronne impériale vide de signification réelle qu’à défendre la Francie contre les Vikings. Mon chef est toutefois prêt à vous proposer un pacte d’entraide mutuelle, si vous êtes intéressé, bien entendu.’’ Raymond réfléchit alors pendant quelques secondes, soupesant l’offre d’Ann. Plusieurs facteurs compliquaient sa décision, dont le fait qu’il tenait ses titres et terres du Roi Charles II, qui pouvait en théorie les lui reprendre comme bon lui semblait.

Les

étrangers venaient toutefois de sauver son comté, et possiblement sa vie, en tuant les Vikings. ‘’Dame Shelton, je suis prêt à parler à votre chef quand il le voudra.

Vous

pourrez alors me présenter les preuves de vos dires et démontrer que vous n’êtes pas des sorciers.’’ ‘’Dans ce cas, aimeriez vous visiter en même temps notre navire-amiral avec votre famille et déjeuner avec mon chef, le Commodore Ferguson, ce midi?’’ ‘’Si nous pouvons nous rendre à temps à votre navire, pourquoi pas? Est-il beaucoup plus gros qu’un de ces navires vikings?’’ Ann ne pût s’empêcher de rire brièvement à cette question, répondant avec un large sourire. ‘’Mon cher Comte Raymond, le MARCO POLO est plus grand que la ville de Toulouse. Je vous promets que votre visite sera mémorable.’’

08h49 (Heure de Paris) Manoir comtal de Toulouse

102 Des cris de joie et des acclamations attirèrent Berthe vers une des fenêtres donnant sur la cour intérieure du manoir. Habillée d’une robe en soie brodée, comme il seyait à une comtesse, Berthe paraissait plus âgée que ses 32 ans, le résultat de cinq grossesses et de la vie rude d’une femme du Moyen-Âge. Elle se comptait toutefois chanceuse d’avoir été choisie par un homme bon et compréhensif qui l’avait traité avec égard, comme il avait traité leurs six enfants: Bernard, Fulgaud, Eudes, Aribert et Jeanne. Berthe se pencha à la fenêtre comme Raymond entrait à cheval dans la cour à la tête de ses cavaliers et entouré de Toulousains fous de joie. La jeune étrangère que Berthe avait entrevue plus tôt était assise sur la croupe du cheval de Raymond, tandis que cinq gigantesques guerriers en armure suivaient à pied.

Raymond stoppa son

cheval au milieu de la cour et, voyant Berthe à la fenêtre, lui cria d’une voix joyeuse. ‘’LES ÉTRANGERS NOUS ONT DÉBARRASSÉ DES VIKINGS!

CES

BARBARES SONT TOUS MORTS!’’ Berthe applaudit à cette nouvelle, attirant à la fenêtre ses deux plus jeunes enfants, Aribert, douze ans, et Jeanne, neuf ans. Quand à Bernard, Fulgaud et Eudes, les trois adolescents étaient déjà dans la cour. La petite Jeanne, arrivant à peine à regarder d’elle même par dessus le rebord de la fenêtre, pointa de l’index les étrangers en armure. ‘’Maman, est-ce que ce sont des Vikings?’’ ‘’Non, Jeanne! Ces gens d’armes étrangers ont actuellement tué les Vikings, selon ton père.’’ ‘’Peut-on aller les voir?’’ Demanda Jeanne, sa crainte soudainement remplacée par de la curiosité. Berthe lui sourit gentiment. ‘’Si ton père le veux bien, oui. Allons en bas.’’ Après avoir descendu l’escalier du grand hall avec Aribert et Jeanne, Berthe sortit du manoir et se porta à la rencontre de son mari, qui avait entre-temps descendu de son cheval et échangeait des accolades avec ses fils. Raymond, en la voyant, regarda Ann Shelton et pointa Berthe de la main. ‘’Dame Shelton, puis-je vous présenter ma femme, Berthe, mon plus jeune fils Aribert et ma fille Jeanne?’’ Comme Ann la baisait sur la joue, Berthe réalisa combien elle était grande pour une femme. Quand aux guerriers étrangers, ils étaient de vrais géants. ‘’C’est un plaisir de vous rencontrer, Comtesse, ainsi que vos charmants enfants.’’

103 ‘’Merci, Dame Shelton.’’ ‘’S’il vous plaît, appelez moi simplement Ann, Comtesse.

Mes gens sont

relativement informels. J’ai invité votre mari à venir visiter le navire de mon chef avec vous et vos enfants. Vous êtes tous bienvenus à déjeuner à la même occasion.’’ Berthe regarda son mari, qui hocha de la tête tout en souriant. ‘’J’ai accepté l’offre de Dame Shelton, qui me permettra en même temps de parler sérieusement avec son chef. Habille les enfants de leurs meilleurs atours : nous partirons bientôt.’’ ‘’Et comment allons nous à ce navire?’’ Ann Shelton répondit à cette question, que Raymond ne lui avait pas encore demandé. ‘’Une navette viendra de notre navire-amiral pour nous prendre tous, Comtesse.’’ ‘’Dans ce cas, je vais m’empresser de préparer notre famille.’’ Comme Berthe et ses

enfants entraient dans le manoir, Raymond aperçut

soudainement cinq nouveaux étrangers entrer dans la cour, tous vêtus de la même sorte de tenue protectrice qu’Ann Shelton. ‘’Dame Shelton, qui sont ces gens?’’ ‘’Le reste de ma troupe, Comte Raymond. Ils ont passé la nuit comme moi dans la maison de Messire Jean de Chambriand.

Ce sont des spécialistes, et non des

guerriers. Je croix qu’il est actuellement grand temps de vous présenter formellement ma troupe.’’ Assemblant sa troupe à ses côtés, Ann les présenta à tour de rôle après qu’ils eurent ouvert la visière de leur casque. Raymond fût passablement ébranlé de voir qu’une femme faisait partie des guerriers, tandis qu’il fixa avec délice la belle et exotique Vyyn Drelan. Il remarqua toutefois la façon dont les étrangers semblaient tous être affectés par les odeurs de la cour du manoir et regarda Ann d’un air curieux. ‘’L’odeur des ruelles de Toulouse semble incommoder vos compagnons, Dame Shelton. Vous n’avez pas d’animaux sur vos navires?’’ ‘’Nous en avons, Comte, mais nous avons des systèmes sanitaires qui éliminent les déchets et les mauvaises odeurs.’’ Répondit Ann, tentant d’être la plus diplomatique possible. ‘’Je ne veux pas vous offenser, mais je vais demander à vous et à votre famille d’enlever vos souliers ou de les laver à grande eau avant d’embarquer sur notre navire.’’ À son grand soulagement, Raymond se contenta de sourire largement à ces mots.

104 ‘’Pourquoi serais-je offensé par cela?

Pourquoi pensez-vous que la Bible

mentionne si souvent la coutume de recevoir des invités en leur lavant les pieds? Mes cochons se promènent en liberté dans ma cour, mais certainement pas à l’intérieur de mon manoir! Vous devriez sentir les gens de Paris qui, contrairement aux gens de mon comté, sont rarement portés à se baigner.’’ ‘’Non merci, Comte!’’ Raymond.

Répliqua Ann avec un faible sourire, faisant ricaner

Ce dernier redevint toutefois sérieux quand il aperçut le Père Thomas

s’approcher de lui. Ann, pour sa part, fixa le prêtre d’un regard froid comme ce dernier stoppait deux pas en avant de Raymond. ‘’Comte, je viens d’apprendre que vous avez accepté l’invitation de ces gens. Je dois vous avertir que vous risquez grandement de tomber dans un piège en vous exposant de la sorte avec votre famille. Qui vous dit que les étrangers ne vous tuerons pas et ne prendront pas ensuite le contrôle de Toulouse?’’ ‘’Le fait que ces étrangers auraient pu facilement me tuer avec mes hommes au camp des Vikings, qui est maintenant un charnier.’’ Répliqua d’un ton acerbe Raymond. ‘’Ils ont sauvé Toulouse d’un massacre presque assuré et je trouve de bonne guerre d’au moins accepter une invitation à manger avec leur chef et de parler avec lui. Vous étiez trop couard pour m’accompagner jusqu’au camp viking avec Dame Shelton, Père Thomas. Vous n’êtes donc pas en bonne position pour dénigrer ces étrangers, ou me conseiller sur la manière dont je devrais traiter avec eux. Vous resterez au manoir durant mon absence et vous vous abstiendrez de véhiculer de mauvaises rumeurs sur eux. Est-ce bien compris?’’ Thomas ne pût que s’incliner et répondre d’un ton poli, sachant que son poste de confesseur ne tenait qu’à un fil. ‘’J’ai bien compris, Comte, et vous obéirais.’’ Raymond, comme Ann, suivit des yeux le prêtre comme il s’éloignait et secoua la tête. ‘’Père Thomas est décidément bien frustrant, spécialement depuis l’arrivée de l’Évêque Helisachar il y a deux ans. Je crois que je vais devoir me chercher bientôt un nouveau confesseur avec un esprit un peu plus ouvert.’’ ‘’Il n’y a effectivement pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, Comte Raymond. Cet évêque, vous est-il particulièrement hostile?’’ ‘’Pas ouvertement, bien que je le soupçonne de tenir le Pape informé de tout ce que je fasse et qu’il juge contraire à l’église. Il ne se gêne toutefois pas pour critiquer le choix de gens que je reçois à ma cour, comme notre ami commun, Jean de

105 Chambriand. Il vous critiquerait très probablement et vous désignerais comme sorcière si ce n’était du fait qu’il s’est sauvé de Toulouse à l’approche des Vikings. En vérité, il est encore plus pleutre que le Père Thomas. Un bel exemple en vérité que l’église donne aux gens de Toulouse.’’ Raymond fixa alors Ann, pensif. ‘’Parlant d’église, Dame Shelton, je ne vous aie pas vu prier avec nous sur la plage quand j’ai remercié Dieu pour m’avoir fourni votre aide.’’ Ann retourna son regard, un air grave sur son visage. ‘’Je n’aie pas prié parce que moi et mes gens sommes athées, Comte. J’espère que vous ne tiendrez pas cela contre nous.’’ Le noble franc hésita seulement une seconde avant de répliquer d’une voix posée. ‘’Dame Shelton, j’ai dans le passé fait affaire avec des Mauresques, des Juifs, des Nestoriens et même des païens, et mon âme ne s’en aie pas senti plus trouble pour cela. Même si vous ne croyez pas en Dieu, vous devez croire en quelque chose, n’estce pas?’’ ‘’Effectivement, Comte. Moi et mes gens croyons à la simple décence humaine, à la tolérance, à la compassion et à la bonté. Nous avons à cœur le bien de tous et je peux vous jurer que nous ne sommes pas ici simplement pour prendre le pouvoir en Francie, même si nous pourrions le faire aisément. Notre but principal en ce moment est de trouver un nouveau foyer pour les réfugiés entassés sur nos navires et de subvenir à leurs besoins.’’ ‘’Tout cela me semble bien bon, même si vous ne ressemblez à rien de ce que j’ai rencontré auparavant, Dame Shelton.’’ ‘’S’il vous plaît, appelez moi simplement Ann, Comte.’’ ‘’D’accord, Ann, mais seulement si vous m’appelez Raymond! Où embarquerons nous sur votre navette?’’ ‘’Ici même, mon cher Raymond! Notre navette vole.’’ Comme le comte faisait involontairement un pas en arrière à cause de la surprise, Ann décocha un doux sourire à Jean de Chambriand, qui se tenait près de Raymond. ‘’Tu es également invité, Jean, bien entendu.’’ ‘’Merci de tout cœur, Ann.’’ Répondit Jean, ayant secrètement espéré une telle invitation. ‘’Où se trouve exactement votre navire?’’ Ann pointa le ciel sans dire un mot, faisant pâlir Raymond de Toulouse. ‘’Euh, je crois que je vais aller me changer. Si vous voulez bien m’excuser.’’

106 Ann sourit gentiment comme elle regardait Raymond s’éloigner. ‘’Pauvre homme! Il n’a pas fini d’avoir des émotions fortes aujourd’hui.’’ Elle se tourna ensuite pour faire face à Jean, le regardant droit dans les yeux. ‘’Quand à toi, Jean, j’ai quelques projets te concernant. Ton intelligence et ton ouverture d’esprit sont choses trop rares ici pour être ignorées. Si les pourparlers avec le Comte Raymond aboutissent à une entente, j’aimerais pouvoir t’utiliser comme assistant dans ce comté. Aimerais tu celas?’’ ‘’Oui, de tout cœur!’’ Répondit Jean sans hésitation, subjugué par la beauté et l’intelligence de cette jeune femme si différente de celles de sa propre époque. Comme il la fixait encore, Ann parla brièvement dans une langue qu’il ne connaissait pas dans une petite boîte fixée à son poignet gauche. Elle sourit ensuite à Jean. ‘’Je viens de demander à notre navette de se mettre en route. Elle sera ici bientôt. Nerveux?’’ ‘’Euh, oui, un peu. Pouvoir voler est un des plus vieux rêves de l’homme. Je n’arrive pas encore à croire à ma chance.’’ ‘’Jean, tu as amplement mérité d’avoir de la chance. Profite pleinement des moments à venir.’’ Ils restèrent silencieux après cela, scrutant le ciel de temps en temps. Un petit point apparut quelques minutes plus tard haut dans le ciel, pour ensuite grandir rapidement. Ann dût élever la voix pour tenter de rassurer les Francs autour d’elle et éviter un début de panique dans la cour comme la navette, un appareil d’une vingtaine de mètres de long, amorçait son approche finale. ‘’RESTEZ CALMES! N’AYEZ PAS PEUR! CECI N’A RIEN À VOIR AVEC DE LA MAGIE!’’ Ses efforts prouvèrent sans grand succès, la plupart des Francs se réfugiant à la course dans les diverses annexes du manoir.

Le Major Arntern s’approcha alors d’Ann et

tapota son épaule. ‘’Ne t’en fais pas, Ann : ils s’habitueront bien assez vite. D’un autre côté, la cour est maintenant vide, ce qui permettra à la navette d’atterrir sans problème.’’ ‘’Je dois dire que je n’avais pas pensé à cet aspect de la situation.’’ Reconnu Ann d’un ton piteux, faisant sourire Arntern. Ann et son groupe restèrent en bordure de la cour pendant l’atterrissage de la navette, qui se posa silencieusement et en douceur sur le sol de terre battue. Les gardes et servants du manoir émergèrent graduellement

107 de leurs cachettes comme la rampe d’embarquement arrière de l’appareil descendait. À la surprise d’Ann et d’Arntern, une vieille servante se présenta presque aussitôt au pied de la rampe avec un seau d’eau et une brosse. Son sourire forcé montra une double rangée de dents noircies. ‘’Gente dame, le comte m’envoie pour laver et brosser vos bottes avant que vous montiez dans cette…chose.’’ ‘’Le comte est un homme prévoyant, madame.’’

Répliqua amicalement Ann

avant de regarder les membres de sa troupe. ‘’Mettez vous en file indienne pour faire laver vos bottes avant d’embarquer.’’ Les cinq spécialistes du groupe passèrent en premier, suivis de Jean, d’Arntern et de ses quatre commandos. La vieille servante resta perplexe un moment en voyant de près les bottes blindées des commandos et leurs armures massives. ‘’Y faut vraiment vouloir pour se promener ainsi avec autant de fer autour des pieds!’’ Marmonna-t-elle. Quand elle eut fini de laver et frotter les bottes d’Ann, cette dernière sortit quatre pièces d’argent d’une poche et les lui donna. ‘’Merci pour vos services, madame.’’ ‘’Vous me donnez quatre deniers pour si peu? Mais, cela représente presque une semaine de salaire!’’ ‘’Et cela représente bien peu pour moi, madame. Ne vous sentez pas mal de les accepter.’’ ‘’Merci! Merci beaucoup, gente dame!’’ Dit la servante tout en se courbant. Quelques instants plus tard, le comte et sa famille s’approchèrent de la rampe et regardèrent à l’intérieur avec précaution. Après un moment d’hésitation, Raymond de Toulouse encouragea sa femme et ses enfants à mettre les pieds sur la rampe, où la vieille servante s’empressa de leur laver leurs chaussures. Ann prît alors en charge Berthe et ses cinq enfants, les conduisant à l’intérieur de la navette et jusqu’à leurs sièges, tandis qu’Arntern escortait le comte.

Raymond de Toulouse, regardant

avidement autour de lui, fut agréablement surprit du confort offert par le siège rembourré dans lequel il s’assit. ‘’Par Dieu, je devrais commander des nouvelles chaises à l’artisan qui a fait ce siège! Je ne m’attendais pas à un tel confort dans cette…chose.’’ ‘’Cette chose est une navette pour passagers, Raymond.’’ Expliqua doucement Ann. ‘’Elle va bientôt s’envoler pour nous emmener au navire-amiral de notre chef, le Commodore Henry Ferguson.’’

108 ‘’Commodore… Je ne connais pas ce titre. Est-ce un titre de noblesse chez vous, Ann?’’ ‘’La noblesse n’existe plus depuis des siècles dans notre société, mon cher Raymond.

Commodore est un rang militaire utilisé dans notre marine, que nous

appelons en passant ‘astronavale’.’’ La fermeture de la rampe d’accès eu l’effet de distraire Raymond à ce moment, l’empêchant de commenter la réponse d’Ann. Le décollage en douceur qui s’ensuivit le fît contempler avec émotion le paysage extérieur par le hublot de son siège. Les deux plus jeunes enfants du comte surmontèrent leur peur initiale plus vite que leurs parents, montrant rapidement de l’excitation comme la navette grimpait rapidement vers les nuages. Quand à Jean de Chambriand, il paraissait comme en extase divine. Une minute après le décollage, alors que la navette grimpait toujours et que Toulouse n’était plus qu’une petite tache au sol, Raymond regarda Ann avec des yeux pleins d’émerveillement. ‘’Si quelqu’un m’aurait décrit un tel voyage, j’aurais conclu à de la sorcellerie, mais ceci est totalement différent…et indescriptible.

Je me souviendrais de cette

expérience toute ma vie.’’ ‘’Mon cher Raymond, si vous concluez un pacte avec nous, vous aurez alors probablement bien d’autres occasions pour voler dans un de nos navires. Notre navette va monter très haut, pour vous permettre de voir notre flotte. Elle redescendra ensuite pour rejoindre notre navire-amiral, le MARCO POLO, qui se trouve présentement au dessus d’un pays très éloigné de la Francie.’’ ‘’Et que fait votre navire à cet endroit?’’ Demanda Raymond, un rien de soupçon dans sa voie. Ann se dépêcha de le rassurer. ‘’Le MARCO POLO est présentement occupé à déposer des éléments de construction, pour bâtir une ville destinée à loger une partie de nos réfugiés sur une terre encore inhabitée. Bien que cette terre servira comme un des points principaux de relocation de nos réfugiés, tout ce que vous pourrez nous offrir dans votre comté sera d’un grand secours pour nous. Une des choses que nous espérons pouvoir faire dans votre comté serait d’ouvrir un grand marché, où nous pourrions échanger nos produits finis contre des fruits et légumes frais et autres aliments, dont nous aurons un grand besoin pour nos réfugiés.’’

109 ‘’Un marché?’’ S’exclama Raymond tout en souriant. ‘’Pourquoi ne l’avez vous pas dit tout de suite, ma chère? Si vos produits peuvent attirer plus de marchands à Toulouse, j’en serais bien aise. Et de quelles sortes de produits finis parlons nous?’’ ‘’Euh, cela reste à décider en détail, mais nous offrirons principalement des articles en métal, que nous pouvons produire en quantités énormes.’’ Raymond hocha la tête à ces mots, visiblement intéressé. ‘’Ann, rien que dans cette navette sur laquelle nous voyageons, il y a plus de fer qu’il y en a dans tout Toulouse. Si vous pouvez offrir vos produits en fer à un coût significativement plus bas que dans le reste de la Francie, alors la fortune de Toulouse est faite.’’ Ann sourit, satisfaite du tournant de la conversation. ‘’Dans ce cas, je prédis que nous aurons bientôt un pacte entre nous, cher Raymond. Je vais maintenant vous laisser admirer la vue du dehors, qui en vaut le coup d’œil.’’ Regardant au travers de son hublot à ces mots, Raymond vit alors qu’ils étaient maintenant à une hauteur inimaginable, avec les nuages en dessous d’eux loin en bas de la navette.

L’horizon, d’un bleu magnifique, montrait également une courbure

distincte. Jean de Chambriand cria bientôt de joie, à la surprise des autres Francs. ‘’ELLE EST RONDE! JE LE SAVAIS!’’ Raymond regarda son barbier-chirurgien personnel d’un air interrogateur comme Jean manifestait sa joie. ‘’De quoi parles tu, Jean?’’ Jean pointa par le hublot de son siège la courbure de la Terre, un large sourire sur son visage. ‘’La Terre est ronde, et non plate comme le prétend l’église, Comte Raymond. Regardez comment les terres se courbent avec l’horizon.’’ Raymond regarda par son hublot pendant quelques secondes et hocha la tête. ‘’Tu as raison, Jean : elle est effectivement ronde. Je vais décidément devoir réviser beaucoup de choses apprises durant mes jeunes années sous mon précepteur.’’ ‘’Et dire qu’un de mes meilleurs amis a été brûlé sur le bûcher en partie pour avoir disputé la doctrine de l’église disant que la Terre est plate.’’ Dit Jean d’un ton amer avant de regarder Ann, assise en face de lui. ‘’Ann, la Terre tourne bien autour du Soleil, et non le contraire, n’est-ce pas?’’

110 ‘’Effectivement, Jean. Comme dans tous les autres systèmes planétaires connus de nous, les planètes tournent autour de leur soleil, n’en déplaise à l’église. Notre civilisation voyage au travers des étoiles depuis près de mille ans et je peux t’assurer que la Terre n’est pas le centre de l’Univers, loin de là. En fait, la Terre n’est qu’un grain de poussière dans l’espace et n’est pas la seule à arborer des formes de vie intelligentes. Apprendre à connaître l’Univers est en vérité une leçon en humilité. Je sais que ce que je dis serait considéré comme hérésie par l’église mais, pour être brutalement franche, l’église actuelle sur Terre est obscurantiste, intolérante et ignorante. Comte Raymond, je dois vous avertir d’avance que nous ignorerons tout ce que l’église pourra dire sur notre compte. De plus, si l’église tente de s’opposer à nos projets humanitaires et éducatifs, elle se fera remettre à sa place fermement. Mes chefs n’ont pas de temps à perdre avec les balivernes et superstitions de l’église.’’ Bien que secoué par les paroles d’Ann, Raymond fût secrètement satisfait de l’entendre déclarer ouvertement ses opinions et croyances : la franchise était malheureusement une chose trop rare en Francie de ces jours. Sa femme Berthe l’étonna alors en posant une question timide à Ann. ‘’Dame Shelton, vous avez mentionnée des projets humanitaires et éducatifs. Pouvez vous expliquer ce que ces projets impliquent?’’ ‘’Avec bonne grâce, Comtesse. Avant même de partir pour Toulouse avec ma troupe, mes chefs ont formulé des politiques générales concernant notre conduite sur cette Terre. Une de ces politiques est que nous suivrons la constitution politique de notre peuple, qui dicte entre autre l’obligation de remplir les besoins essentiels de tous et d’aider ceux dans le besoin. L’humanisme est une qualité prisée de notre peuple et qui est beaucoup plus qu’un simple vœu pieux pour nous. Si nous établissons un centre d’activité dans votre comté, nous ferons alors de notre mieux pour aider votre peuple, en fournissant des soins médicaux, de l’éducation et des programmes d’aide, et ce gratuitement.’’ ‘’Gratuitement?’’

Demanda Raymond, abasourdi.

‘’Mais, de tels projets

charitables, bien qu’admirables, vous coûteraient une fortune.’’ Ann regarda Raymond avec une expression sobre mais ferme. ‘’Nous n’en avons cure, Comte.

Notre société est basée sur le principe de

partage et d’entraide pour tous, et non sur l’enrichissement à outrance aux dépens des autres. Chez nous, l’esclavage est une abomination punissable de mort et la faim est un mal du passé. Même dans notre situation actuelle, avec notre monde d’origine détruit

111 par une race ennemie et nos navires bourrés de réfugiés, nous continuerons à respecter nos convictions de base.’’ Raymond et Berthe échangèrent un long regard, prenant ensemble une décision silencieuse avant de refaire face à Ann. Raymond parla ensuite d’une voix teintée d’émotion. ‘’Ann, si moi et votre chef en arrivent à un accord, je vous promets d’appuyer vos projets dans mon comté, même si l’église ou le Roi Charles objectent à ces projets. Je dois vous avertir toutefois que vous devrez vous attendre à des réactions hostiles de plusieurs à vos idées révolutionnaires.

Les autres nobles autour de mon comté

pourraient craindre que vos projets puissent pousser leurs propres paysans à en demander autant.

Quand à l’église, elle s’opposera très probablement à tout

programme éducatif qui contredirait son enseignement.’’ ‘’J’en suis trop consciente et aie déjà averti le Commodore Ferguson de s’attendre à de tels obstacles. Je vous remercie de tout cœur de votre appui, Comte et Comtesse.’’ Jean de Chambriand, qui était témoin de tout cela, senti le sang lui monter à la tête en réalisant l’énormité de ce qu’un tel pacte pourrait signifier pour l’avenir de Toulouse, et peut-être pour le reste de la Francie. Gardant le silence, il se remit à admirer la vue au travers de son hublot, imité en cela par le comte et sa famille. Une dizaine de minutes plus tard, Ann attira l’attention des Francs sur un petit point maintenant visible en orbite. ‘’Nous approchons maintenant de notre flotte. Je dois vous avertir d’avance que la plupart de nos navires sont d’une taille colossale. émotions fortes.

Préparez vous donc à des

Nous allons voir en premier le cuirassé JEAN LANNE, qui mène

l’escorte pour notre flottille de soutien.’’ Les Francs, maintenant regroupés autour du hublot près du siège d’Ann, regardèrent avec une stupeur grandissante comme un énorme vaisseau sphérique bardé de batteries d’armes lourdes s’approchait de la navette. ‘’Par le Diable, il est vraiment plus gros que Toulouse!’’ S’exclama Raymond. ‘’Et ces tubes sur les côtés, ils ressemblent en plus gros aux armes de vos guerriers, Ann.’’

112 ‘’Ce sont effectivement des canons désintégrateurs lourds, chacun capable de vaporiser une ville comme Toulouse en quelques salves. Nos cuirassés, dont nous en possédons six, représentent notre principale puissance de feu.’’ ‘’Et quelle puissance en vérité!’’ Ajouta Raymond, examinant le navire géant comme il passait à tribord de la navette. ‘’Personne en Francie ne pourrait s’opposer à une telle puissance.’’ ‘’Comte, nous espérons sincèrement que nous n’aurons pas à nous servir de notre puissance de feu. Notre but est d’aider l’humanité, pas la subjuguer de force.’’ ‘’Un bien souhaitable vœu pieux, Ann. Vous aurez probablement à au moins démontrer votre puissance malgré tout, pour calmer les têtes chaudes et les idiots.’’ Ann hocha la tête à ces mots, satisfaite de voir que Raymond prouvait de nouveau être un homme réaliste et intelligent. Le prochain navire à croiser la navette attira une remarque excitée de Jean. ‘’Eh, ce navire est semblable à celui qui a survolé Toulouse la nuit dernière!’’ Raymond regarda Jean, intrigué autant que contrarié. ‘’Un navire volant a passé au dessus de Toulouse cette nuit et personne ne m’en a averti? Je vais devoir parler à mes gardes!’’ ‘’Ne leur en voulez pas trop, Raymond.’’ Dit Ann tout en souriant. ‘’Ils étaient probablement trop occupés à surveiller l’horizon au nord-ouest, d’où les Vikings étaient attendus. Effectivement, Jean, ceci est une de nos frégates, similaire à celle que tu as vu cette nuit. Bien que beaucoup plus petite que nos cuirassés, elle possède quand même une puissance appréciable.’’ Une deuxième frégate suivit bientôt la première. Un navire aux formes angulaires et d’une taille gigantesque arriva ensuite en vue de la navette. ‘’Quel monstre!’’ S’exclama Raymond à sa vue. ‘’Il est encore plus gros que votre cuirassé.’’ ‘’Ceci est le navire cale-sèche NEWPORT NEWS, spécialisé dans les réparations majeures de navires. Il mesure près de 7,000 pas de longueur, 2,200 pas de largeur et 2,500 pas de hauteur. Un de nos cuirassés peut y entrer si nécessaire pour s’y faire réparer.

Au vu de notre situation actuelle, le NEWPORT NEWS

représente pour nous une ressource précieuse.’’ ‘’Par Dieu, je n’aie jamais vu autant de fer!’’

113 ‘’Nos navires sont actuellement construits en acier, mon cher Raymond, pas en fer. Comme vous pouvez l’imaginer maintenant, produire des clous, des charnières et des outils représente bien peu pour nous.’’ Raymond sourit à lui même tout en imaginant les profits qu’un marché tenu par les étrangers pourrait apporter à son comté…et à ses coffres. Plus il en voyait, plus un pacte avec les étrangers lui semblait une bonne idée, et pas seulement pour le bénéfice de sa bourse. Jean demanda alors une question à Ann qu’il n’avait pas osé demander lui-même. ‘’Ann, je ne vois pas de mode visible de déplacement sur vos navires, comme s’ils ne faisaient que flotter d’eux-mêmes. Comment faites vous pour faire bouger de telles masses?’’ Ann prît un profond respire tout en tentant de trouver une manière compréhensible pour les Francs d’expliquer un sujet aussi technique.

Elle tenta alors de décrire le plus

simplement possible le principe de la gravité et de la force électromagnétique, parlant pendant près de quinze minutes. Tandis que Jean l’écoutait religieusement, Raymond tenta de la comprendre pendant une ou deux minutes mais perdit rapidement le fil de ses explications. Tout en continuant à l’écouter d’une oreille discrète, il se concentra sur l’observation de la flotte des étrangers au travers du hublot. Malgré le fait qu’il n’avait pas compris grand chose des explications d’Ann quand elle arrêta de parler, Raymond en avait entendu et vu assez pour en arriver à deux opinions fermes. Premièrement, il était évident pour lui que personne en Francie, ou même ailleurs dans le monde, ne serait capable de s’opposer par la force aux étrangers et à leurs navires gigantesques. Deuxièmement, même si nébuleuses pour lui, les explications d’Ann n’avaient rien des élucubrations d’une sorcière ou d’une magicienne. Plutôt, elle lui rappelait un savant mauresque qui avait visité une fois sa cour et avait discuté des vieilles sciences grecques et romaines avec lui. Maintenant fermement décidé à conclure un marché avec le chef d’Ann, Raymond se concentra à admirer la vue fantastique de l’extérieur à partir de son hublot. Peut-être dix minutes plus tard, ayant dépassé tous les navires en orbite de la flotte, la navette commença à perdre de l’altitude et amorça une réentrée atmosphérique tout en se dirigeant vers la Nouvelle-Zélande. Un autre dix minutes et la navette crevait la couche de nuages et arrivait en vue de la côte néo-zélandaise, illuminée par le soleil

114 couchant. Les Francs poussèrent collectivement une exclamation d’admiration à la vue de la beauté des terres qui approchaient. ‘’Par Dieu que ce pays est beau!’’ Dit Raymond tout en gardant ses yeux sur la côte. ‘’La terre y semble également riche.’’ ‘’La Nouvelle-Zélande, comme s’appellera cette terre dans le futur, est effectivement un très beau pays qui jouit d’un climat presque parfait. Elle a également pour nous l’avantage d’être totalement inoccupée.’’ ‘’Comment une telle terre pourrait ne pas avoir déjà attiré d’autres gens? Bien des rois tueraient pour se saisir d’un pays comme celui-ci.’’ ‘’Très probablement, Raymond, mais nous ne le ferions pas et n’auront pas non plus le besoin de le faire. Cette terre est inoccupée parce que loin de tout autre pays habité et donc encore inconnue de tous excepté pour nous. Les premiers hommes de la région arriveront par bateau dans seulement un siècle. La Nouvelle-Zélande a pour ces raisons été choisie comme terre privilégiée pour commencer à reloger nos réfugiés. Le MARCO POLO est présentement occupé à déposer des éléments préfabriqués sur le site du chantier de notre première ville planifiée.’’ Raymond regarda alors Ann, une expression étrange sur son visage. ‘’Ann, après tout ce que je viens de voir, je commence à me demander sérieusement si votre chef a réellement besoin de moi ou de toute autre personne de mon époque.’’ Ann arbora un sourire désarmant avant de répondre, tout en caressant la tête de la jeune Jeanne. ‘’Raymond, vous pensez comme un homme du Moyen-Âge. Il vous est donc difficile de croire que quelqu’un peut respecter et même traiter en égal une autre personne beaucoup moins puissante ou riche. Toutefois, dans notre société, tous les gens sont également importants et respectés. Nous ne prenons rien de force ni ne causons de torts à d’autres, excepté en cas de légitime défense.

Vous êtes le

possesseur légitime actuel du comté de Toulouse et serez traité comme tel. Si vous décidez de vous opposer à nos projets concernant votre comté, nous plierons bagage et partirons.

Toutefois, un noble indigne qui exploite et abuse ses citoyens sans les

défendre contre les menaces extérieures, comme le Roi Charles, risque de ne pas être traité aussi courtoisement par nous.’’ ‘’Beaucoup de nobles de ma connaissance pourraient trouver vos idées politiques naïves, si vous voulez bien m’excuser d’utiliser cette expression, ma chère.’’

115 ‘’Pour le Moyen-Âge, effectivement, une telle ligne de conduite politique aboutirait probablement à la fin rapide et brutale du noble qui l’adopterait. Rien ne sert d’être le seul mouton au milieu d’une horde de loups. Toutefois, un noble qui saurait prendre l’intérêt de ses sujets à cœur tout en faisant preuve de poigne envers ceux qui l’attaquent jouirait d’une grande popularité. Et bien, nous avons la poigne, donc nous pouvons nous permettre d’être bienveillants.’’ ‘’Pour la poigne, vos gens sont effectivement surdoués, je dois le reconnaître. Quand au type de noble idéal que vous venez de décrire, je crois en connaître au moins un, dont on chante les louanges dans toute la Francie et qui ne cesse de courir sus à l’envahisseur viking : Robert le Fort, Comte de Tours.’’ ‘’Robert le Fort!’’ Dit Ann d’un ton rêveur. ‘’L’histoire lui a effectivement fait une réputation enviable. Quelle sorte d’homme est-il vraiment?’’ ‘’Physiquement, il est beaucoup plus petit que vous, Ann, mais est bâti tout en muscles. Il est un chef né et est imbattable en combat singulier. Le petit peuple le vénère mais certains nobles ne peuvent le sentir. Quand au Roi Charles, il a confié la lutte contre les Vikings en Francie à Robert parce qu’il est le seul homme capable de le faire, mais il s’en méfie en réalité.’’ Raymond hésita ensuite avant de poser une question d’une voix basse. ‘’Excusez ma curiosité, Ann, mais savez vous ce que votre histoire dit de moi et de ma famille?’’ Raymond n’aima pas l’expression de tristesse qui apparût alors sur le visage d’Ann. ‘’Connaissez vous un certain Humfrid, Comte de Barcelone et de Narbonne?’’ ‘’Cette brute épaisse? Je le connais actuellement trop bien, lui et son ambition sans mesure. Le Roi Charles aurait dû le chasser il y a longtemps.’’ ‘’Le Roi Charles agira trop tard et avec trop de mollesse, comme à son habitude. Dans l’histoire que je connais, Humfrid envahira votre comté dans deux ans et vous en chassera. Vous serez alors tué un an plus tard. Votre fils aîné Bernard réussira à reconquérir le comté de Toulouse quelques années plus tard.’’ Voyant les visages maintenant pâles de Raymond et de sa famille, Ann se dépêcha de tapoter gentiment l’épaule du comte. ‘’Ne vous en faites pas, mon cher : l’histoire ne sera plus la même maintenant que nous sommes ici. Nous ne laisseront certainement personne envahir le comté de Toulouse.’’

116 ‘’Merci, Ann! Vous me soulagez beaucoup.’’ Répondit doucement Raymond, maintenant plus décidé que jamais à s’allier aux étrangers du futur. Le Soleil était presque couché quand la navette pénétra dans un des sas d’accueil du MARCO POLO, qui était posé au sol à proximité d’un vaste chantier de construction situé au bord d’une large baie. Les Francs regardèrent par les hublots avec de grands yeux pendant que la navette passait successivement au travers de deux portes blindées géantes ouvertes, pour ensuite voler le long d’un large tunnel formant une boucle fermée autour du noyau central du vaisseau.

Les portes blindées de

centaines de hangars individuels tapissaient les parois des deux côtés du tunnel. La navette pénétra finalement dans un hangar dont la porte s’était ouverte, pour se poser en douceur sur le pont métallique du hangar. Ann se leva alors de son siège, imitée par ses compagnons, et sourit à Raymond. ‘’Nous sommes arrivés à destination, Comte. Si vous voulez me suivre avec votre famille et Jean de Chambriand, le Commodore Ferguson nous attend.’’ Se sentant plus qu’un peu nerveux, Raymond suivit Ann hors de la navette et se retrouva face à une double haie d’honneur formée par 200 commandos en armure. Un officier des commandos cria alors un ordre, faisant exécuter par ses soldats un présentez armes impeccable. Ce spectacle martial impressionna Raymond, qui se mit à l’attention et porta son poing droit à la poitrine en guise de salut. Un groupe d’officiers en uniformes bleu et or s’avança alors vers Raymond, un homme dans la cinquantaine se présentant à lui dans un Occitan de bonne qualité mais teinté du même accent que celui d’Ann. ‘’Comte Raymond de Toulouse, bienvenue à bord du MARCO POLO. Je suis le Commodore Henry Ferguson. Puis-je vous présenter les membres de mon état-major?’’ ‘’Avec plaisir, Commodore!’’ Répliqua Raymond. Un échange de présentations s’ensuivit, Raymond présentant sa femme et ses enfants après que Ferguson aie fini de présenter ses officiers, dont plusieurs femmes faisaient partie. Jean de Chambriand fut le dernier à se présenter, suite à quoi Ferguson fît inspecter la garde d’honneur par Raymond. Une fois ces formalités complétées, Ferguson invita les Francs et Ann à monter dans une limousine à anti-gravité, qui se mit ensuite en mouvement silencieusement et sortit du hangar, empruntant un long tunnel métallique. Après avoir emprunté un élévateur cargo qui la déposa 46 niveaux plus haut, la limousine arriva à une double porte blindée gardée par deux commandos et s’arrêta, suivie de près par le

117 véhicule transportant l’état-major de Ferguson. Maintenant totalement dépassé par tant de technologie et de moyens, Raymond sortit en hésitant de la limousine et aida sa femme et ses enfants avant de refaire face à Ferguson, qui avait attendu patiemment près du véhicule. ‘’Comment voulez vous procéder avec ces pourparlers, Commodore?’’ ‘’Nous allons maintenant entrer dans le centre des opérations du MARCO POLO, où je serais plus facilement capable de vous décrire ce que j’aie en tête. Préféreriez vous que votre famille reste avec vous ou voudriez vous que le Docteur Shelton les accompagne sur un tour rapide du vaisseau?’’ Un coup d’œil à sa femme et ses enfants fut suffisant pour décider Raymond, qui refit face à Ferguson. ‘’Je crois qu’ils apprécieraient visiter votre navire pendant que nous parlons, Commodore.’’ Ferguson hocha la tête et demanda à Ann d’escorter la famille du comte et Jean avant d’inviter Raymond à entrer dans le centre des opérations. Raymond se sentit pénétrer dans un autre monde dès qu’il fut à l’intérieur de la grande salle bondée de tables tactiques et de postes de contrôle, avec des dizaines d’officiers et de spécialistes affairés à diverses tâches. Son confesseur, Père Thomas, aurait assurément crié à la sorcellerie à la vue des écrans holographiques tapissant les murs de la salle.

Se

sentant maintenant très humble, Raymond accompagna Ferguson à une table de visualisation où il reconnut une image aérienne détaillée de son comté. Ferguson resta silencieux un moment, laissant la chance au comte d’examiner la carte aérienne avant de lui parler d’un ton poli. ‘’Le Docteur Shelton m’a déjà avisé que vous êtes enclin à discuter d’un pacte d’entraide mutuelle avec nous. Est-ce exact, Comte Raymond?’’ ‘’Effectivement, Commodore.’’ Dit Raymond, impressionné par la politesse de Ferguson envers lui.

‘’Je crois comprendre que vous avez un besoin urgent de

nouvelles terres pour aider à reloger vos réfugiés, ainsi que le désir d’ouvrir un marché dans mon comté.’’ ‘’Exact, Comte.

En échange de votre coopération et assistance, nous nous

engageons à défendre votre comté et à mettre en train des mesures pour améliorer la vie de vos citoyens.’’

118 ‘’Cela me semble un marché juste, Commodore.

Soyez avisé toutefois que

beaucoup de gens autour de mon comté risquent de prendre ombrage de votre arrivée, soit par jalousie, soit par simple superstition.’’ Ferguson hocha la tête gravement à ces mots. ‘’Le Docteur Shelton m’a déjà averti de m’attendre à de tels problèmes. J’ai toutefois confiance que nous réussirons rapidement à nous faire accepter, idéalement sans usage de force. Une manière possible de réussir cela serait de construire un complexe qui impressionnerait favorablement tous les visiteurs de votre comté et les attirerait vers notre marché pour qu’ils y fassent affaires.’’ ‘’Une bonne idée, Commodore. Je crois que j’aie le bout de terrain idéal pour vos projets.’’ Regardant l’image sur la table de visualisation, Raymond pointa la Garonne juste en amont de Toulouse. ‘’Vous voyez ces îles en amont de Toulouse? La plus grande est l’Île du Ramier, couronnée en aval de quatre petits îlots proches.

Elles font partie de mes terres

domaniales mais, pour être honnête avec vous, ne m’apportent que très peu de revenus et n’abritent que quelques cabanes de pêcheurs. N’ayant pas de ponts pour les relier à la ville et étant sujettes à des inondations de temps en temps, elles sont vierges et couvertes d’une forêt touffue.

Je n’aie jamais eu les moyens ni le temps pour les

exploiter de manière adéquate mais, si vous vous en sentez capables, vous êtes le bienvenu pour vous y installer avec vos gens, Commodore.’’ Ferguson examina d’un œil critique les îlots en question, touchant un bouton pour faire afficher leur relief et leur niveau au dessus de la Garonne. L’Île du Ramier, qui formait le gros du groupe, était une île de dimensions appréciables, longue de près de quatre kilomètres et d’une largeur moyenne de 500 mètres. Les quatre îlots à la pointe aval de l’île couvraient quand à eux entre un et quatre hectares chacun. Ferguson jeta un coup d’œil à un officier du génie qui se tenait avec lui autour de la table de visualisation. ‘’Qu’en pensez vous, Commandant Chu-Son? Voyez vous des problèmes à aménager ces îles pour nos besoins?’’ ‘’Pas vraiment, Commodore.

Leur niveau est un peu bas, ce qui les rend

effectivement vulnérables aux crues de la Garonne, mais nous pourrions construire des digues sur leur pourtour, en plus de drainer les terres les plus basses. Selon ce que nous connaissons de la géologie du sol de cette région, la construction de bâtiments majeurs sur l’île principale ne devrait pas poser de problèmes, à mon avis.’’

119 ‘’Parfait!’’ Dit Ferguson, visiblement satisfait, avant de regarder Raymond. ‘’Je suis prêt à accepter votre offre, Comte. Combien voulez vous pour ces îles?’’ ‘’Mais, rien!’’ Répondit avec un franc sourire Raymond. ‘’Vos soldats m’ont déjà débarrassé des Vikings qui s’apprêtaient à mettre Toulouse à feu et à sang. Prenez ces îles et nous serons quitte, Commodore.’’ Ferguson sourit à son tour et tendit sa main droite, que Raymond serra vigoureusement. ‘’Comte, je crois que nous allons nous entendre à merveille. Avant d’aller plus loin, je crois que vous faire apprendre notre langue rendra plus aisées nos conversations avec mes spécialistes et officiers.’’ ‘’Apprendre votre langue? Mais, je ne peux me permettre d’être absent plusieurs mois de mon comté, ou d’attendre pour continuer ces négociations.’’ ‘’Qui parle de mois, mon cher Comte? Nous utilisons depuis des siècles un procédé qui permet d’assimiler en quelques minutes des connaissances qui prendraient normalement des mois à apprendre. Le Docteur Shelton et son groupe ont utilisé ce procédé, que nous appelons le mnémotron, pour apprendre l’Occitan avant de vous visiter. J’ai moi-même utilisé le mnémotron pour apprendre l’Occitan et pouvoir discuter avec vous.’’ ‘’Euh, dans ce cas, j’accepte.’’ Répondit sans enthousiasme Raymond.

21h48 (Heure de Nouvelle-Zélande) / 10h48 (Heure de Toulouse) Laboratoire mnémotronique du MARCO POLO Raymond, suivant Ferguson de près, regarda avec méfiance autour de lui après être entré dans le laboratoire mnémotronique : la salle où il se tenait maintenant était remplie de rangées de sièges étranges qui lui rappelaient des instruments de torture. Chaque chaise longue pouvait s’incliner en position quasi couchée et comportait une sorte de serre-tête métallique et d’autres instruments qu’il ne pouvait identifier.

Un

technicien s’approcha de lui et de Ferguson et parla brièvement en Nouvel Anglais avec ce dernier. Ferguson se tourna vers Raymond pour l’inviter à prendre place dans une des chaises mais détecta les réticences de son invité et tapota amicalement le bras gauche du Franc. ‘’Ne vous en faites pas, cher Comte : il n’y a aucune sorcellerie dans ce procédé. Si cela peut vous rassurer, je vais également m’asseoir et me prêter à une session.’’ ‘’Vous feriez cela?’’

120 ‘’Pour vous prouver ma bonne foi je suis prêt à tout, Comte Raymond. Dites moi, quelle langue de votre époque jugeriez vous être utile à apprendre pour moi?’’ ‘’Le Latin!’’ Répondit sans hésitation Raymond. ‘’C’est la langue universelle de l’église et des lettrés et est connue de plusieurs grands nobles.’’ ‘’Le Latin ce sera alors.’’ Répliqua Ferguson avant de parler encore avec le technicien.

Il alla ensuite s’asseoir dans une des chaises, où le technicien ajusta

l’anneau métallique autour de sa tête avant de positionner un petit écran tenu par un bras flexible devant les yeux de Ferguson. Marchant rapidement vers une console de contrôle, le technicien poussa quelques boutons, activant la chaise de Ferguson et faisant apparaître une image hypnotique sur le petit écran du siège.

Raymond vit

Ferguson se détendre rapidement, pour finalement s’endormir après quelques secondes.

Le technicien fît alors comprendre par des gestes à Raymond d’aller

s’asseoir dans le siège voisin de celui de Ferguson. Se sentant un peu plus rassuré maintenant, Raymond obéit au technicien et s’allongea sur la chaise désignée. Son anxiété grimpa de nouveau quand l’écran devant ses yeux s’activa, mais il s’endormit rapidement, envoûté par les tourbillons de couleur visibles sur l’écran. Quand Raymond se réveilla, il vît Ferguson et le technicien penchés au dessus de lui, en train de le regarder. Ferguson parla aussitôt d’une voix amicale. ‘’Comment vous sentez vous, Comte Raymond?’’ Raymond allait lui répondre quand il réalisa avec un choc que Ferguson lui avait parlé en Nouvel Anglais et qu’il l’avait compris sans problèmes. Tout à la fois dépassé et émerveillé par ceci, il répondit en Nouvel Anglais après une courte hésitation. ‘’Je me sens bien, merci. Ce procédé est incroyable, Commodore. La plupart de mes gens le qualifierait de magique.’’ ‘’Il n’y a rien de magique dans nos machines, cher Comte, seulement une science très avancée.’’ Le technicien enleva alors l’anneau métallique et l’écran et l’aida à se remettre debout. Voulant éliminer tout doute de son esprit, Raymond s’adressa en Latin à Ferguson. ‘’Combien de temps ai-je dormi, Commodore?’’ Ferguson sourit avant de répondre, également en Latin. ‘’Un peu moins d’une demi-heure, Comte. Je vois que vous avez de la suite dans les idées. J’apprécie cela chez mes amis et alliés. Je crois que nous pouvons

121 maintenant discuter sérieusement de plusieurs choses avec mes officiers et mes spécialistes.’’ ‘’Je le crois également, Commodore.’’ Dit Raymond d’une voix sobre avant de le suivre et de quitter le laboratoire.

23h09 (Heure de Nouvelle-Zélande) / 12h09 (Heure de Toulouse) Quartiers auxiliaires du MARCO POLO En contraste avec l’euphorie et l’émerveillement qu’elle avait vécu durant sa visite dans les autres sections du gigantesque navire, Berthe ressentait maintenant de la tristesse et de la compassion comme Ann la guidait au travers d’un salon aménagé en dortoir de fortune : une centaine de jeunes femmes et près de 150 bébés et bambins s’y entassaient, dormant sur des lits de camps ou passant le temps comme ils pouvaient. Bien que l’ameublement original du salon démontre le même degré de confort et de luxe que ce qu’elle avait vu dans le reste du navire, Berthe pouvait voir et sentir la détresse et le chagrin des femmes occupants le salon. Ann lui avait déjà expliqué, ainsi qu’à ses enfants et à Jean de Chambriand, le désastre qui avait frappé le monde d’origine de ces réfugiés. Berthe comprenait malheureusement trop bien ce que cela impliquait : des colonnes de réfugiés des comtés avoisinants Toulouse et fuyant les pillards vikings avaient passé au travers de Toulouse à plusieurs reprises dans le passé, implorant les habitants pour de quoi manger ou pour un toit pour la nuit. Bien qu’ils bénéficient de conditions bien meilleures que celles des réfugiés Francs qu’elle avait vu à Toulouse, Berthe sympathisait sincèrement avec ces malheureux du futur. Ann attendit que son groupe au complet soit sorti du salon, dans le but de ne pas réveiller un des poupons, avant de parler aux Francs. ‘’Comtesse, nous allons maintenant nous rendre à la cafétéria utilisée par le personnel de l’état-major du vaisseau. Il est maintenant passé midi selon l’heure de Toulouse et vous devez commencer à avoir faim.’’ ‘’Avec plaisir, Ann. Toutes ces émotions m’ont effectivement creusé l’appétit.’’ ‘’Dans ce cas, suivez moi!’’ Guidant son groupe vers un élévateur proche, Ann se rendit avec eux une cinquantaine de niveaux plus haut, à l’étage occupé par les divers services pour le personnel du vaisseau. Sortant de l’élévateur et empruntant un corridor pendant une centaine de

122 mètres, Ann et son groupe entrèrent finalement dans la cafétéria de l’état-major. La grande salle était presque pleine malgré l’heure tardive, reflétant le surpeuplement du vaisseau. Menant les Francs vers les comptoirs de service, Ann joignit avec eux la queue d’officiers et spécialistes de l’astronavale qui attendaient déjà leur tour pour être servis. Regardant la progression lente de la file, Berthe chuchota ensuite dans l’oreille d’Ann. ‘’Vous ne vous faites pas servir directement à une table par un serviteur?’’ ‘’Non, Comtesse! Tous à bord, incluant le Commodore Ferguson, se servent eux mêmes et mangent la même nourriture que le reste de l’équipage. Nous sommes une société très égalitaire au niveau social.’’ Berthe hocha lentement la tête à ces mots, tentant de s’imaginer le Roi Charles attendre en ligne avec des serviteurs pour manger. Conseillée par Ann, elle saisit un plateau et des ustensiles et arriva bientôt au comptoir de service, où un homme debout derrière le comptoir lui demanda une question qu’elle ne comprit pas, ne connaissant pas la langue des étrangers du futur. Ann lui vint en aide en traduisant pour elle. ‘’Il demande si vous voulez du poisson ou du porc, Comtesse.’’ Berthe regarda les bacs chauffés à la vapeur et contenant une variété appréciable de mets divers et pointa le bac contenant des rôtis de porc. ‘’Je vais prendre du porc, avec cette sauce, des carottes et du choux.’’ Après qu’Ann eu traduit sa réponse, l’homme remplit une assiette et l’offrit à Berthe, qui dit alors à ses enfants de prendre le même menu dans le but de simplifier le service. Elle prit un verre de lait frais et du pain plus loin le long du comptoir et alla s’asseoir avec Ann et ses enfants à une table libre. Ann décrivit les condiments sur la table et fit ensuite une remarque qui étonna Berthe. ‘’Je m’excuse si le menu est quelque peu limité, Comtesse, mais notre flotte est sous ration en ce moment, et ce jusqu’à ce que nous puissions avoir accès à plus d’aliments frais.’’ ‘’Limité? Que dites vous là, Ann? En Francie, la plupart des paysans sont heureux s’ils réussissent à avoir assez de pain pour manger à leur faim. Ce que j’ai vu à votre comptoir de nourriture était aussi fourni qu’à la table de la plupart des nobles de petit et moyen niveau. Et vous donnez la même chose à tous. Vous n’avez pas à vous excuser, ma chère, au contraire. Si c’est à cela que le petit peuple de Toulouse peut s’attendre avec vos programmes, votre popularité sera instantanée.’’

123 Comme Ann baissait la tête, embarrassée, Berthe hésita et désigna la fourchette qu’Ann lui avait fait ramasser au comptoir. ‘’Euh, à quoi sert cette chose, Ann?’’ ‘’Oh, c’est une fourchette.

Nous l’utilisons pour porter la nourriture à notre

bouche. Je vais vous faire une démonstration.’’ Ann s’exécuta, bientôt imitée par les Francs. Bernard, le fils aîné de Berthe, perdit toutefois patience après deux tentatives et, sortant la dague porté à sa ceinture, piqua un morceau de viande et l’avala, attirant quelques regards de la part d’occupants de tables autour de lui. Ann faillit rire à ce moment mais réussit tout de même à se retenir. Ann et ses invités en étaient à la moitié de leurs assiettes, avec les Francs complimentant la qualité de la nourriture, quand le Commodore Ferguson et le Comte Raymond les rejoignirent, chacun portant un plateau de nourriture. Raymond baisa sa femme avant de s’asseoir près d’elle, apparemment content. ‘’Berthe, je crois que de grandes choses attendent notre comté.

Selon le

Commodore Ferguson, les Vikings ne seront bientôt plus un problème en Francie. De plus, un marché ainsi qu’une petite ville seront construits sur l’Île du Ramier, que j’ai donné aux gens du Commodore comme récompense pour avoir tué les Vikings menaçant Toulouse.

Les marchands et acheteurs afflueront bientôt en masse à

Toulouse et feront prospérer notre comté.’’ ‘’Et le Roi Charles?’’ Demanda en hésitant Berthe, craignant d’aigrir la bonne humeur de son mari. ‘’Que penses tu qu’il va faire en apprenant la venue des gens du commodore?

Il voudra certainement prendre sa part en impôt de ces nouvelles

affaires.’’ Le sourire de Raymond disparut effectivement, remplacé par une moue incertaine. ‘’Moi et le commodore en avons discuté. Malheureusement, la réaction du Roi Charles est difficile à prédire.

Je suis toutefois résolu à faire ce qui sera le plus

bénéfique pour les gens de notre comté.’’ ‘’Mais, Père, et notre serment de vasselage au Roi?’’

Dit le fils aîné de

Raymond, Bernard, un solide adolescent de 17 ans portant déjà l’épée.

Raymond

hocha la tête et répondit à son fils d’une voix calme. ‘’Un bon point, Bernard, et un qui te fait honneur. Sache toutefois que le serment d’allégeance que j’ai fait au Roi Charles était accompagné en retour d’une promesse du roi de me défendre ainsi que mes gens, ses vassaux. As tu vu les troupes du Roi

124 Charles venir au secours de notre comté, ou des autres comtés de l’Aquitaine, pendant que les Vikings allaient où bon leur semblait et pillaient et tuaient à loisir?’’ ‘’Euh, non, Père.’’ Dit Bernard, embarrassé. Raymond lui tapota amicalement l’épaule. ‘’Prend cela comme une leçon en politique, fils : un pacte ne veut rien dire si seulement un des deux côtés en respecte les termes. Si le Roi Charles ose venir demander sa part de notre nouvelle fortune, je lui rappellerais alors comment il brillait par son absence pendant les raids vikings.’’ ‘’Et s’il essaie d’imposer de nouvelles taxes par la force, Père?’’ ‘’Pour qu’il puisse gaspiller cet argent dans sa poursuite élusive d’une couronne impériale qui ne signifie rien?’’ Rétorqua Raymond, s’échauffant quelque peu. ‘’Je lui dirais alors d’aller se promener! Je ne chercherais pas la guerre avec le Roi Charles, mais le Commodore Ferguson m’a promit son appui et je ne laisserais pas Charles soutirer encore plus d’argent de mon comté sans rien fournir en échange.’’ ‘’Sommes nous donc maintenant des vassaux du Commodore Ferguson?’’ ‘’Non, fils! Nous sommes simplement des alliés et partenaires à part égale.’’ Bernard ne put s’empêcher de regarder Ferguson à ces derniers mots. ‘’À part égale? Mais, avec vos navires et vos armes, vous pourriez écraser n’importe qui facilement.’’ ‘’Effectivement, jeune homme, mais cela n’est pas notre manière de faire.’’ Répondit poliment Ferguson. ‘’Chez nous, la force ne donne aucun droit à abuser des autres. Votre père et moi en avons arrivé à une entente selon laquelle mes navires et soldats défendront le comté de Toulouse de toute attaque, et ce en échange de pouvoir mener à bien plusieurs projets d’aménagement et de commerce dans le comté. Votre comté s’enrichira, tandis que nous pourrons reloger une partie de nos gens dans les îles gracieusement données par votre père.’’ ‘’Si tout va bien, fils,’’ dit Raymond, un sourire de retour sur son visage, ‘’tu pourras hériter dans le futur du comté le plus prospère de Francie.’’ Bernard hocha la tête gravement, comprenant maintenant mieux l’enjeu de ce qui se préparait.

125

CHAPITRE 14 – DÉMONSTRATION DE FORCE 03h50 (Heure de Nouvelle-Zélande) / 14h50 (Heure de Toulouse) Dimanche, 25 septembre 861 / Samedi, 24 septembre 861 Centre des opérations du MARCO POLO Futur site d’Auckland, Nouvelle-Zélande Le Colonel Gungor fit pivoter son siège pour faire face au Commodore Ferguson. Ce dernier, accompagné du Comte Raymond et de sa femme, d’Ann Shelton et de Jean de Chambriand, avait pris place dans un des sièges réservés aux officiers supérieurs. Une trentaine d’officiers et de techniciens s’affairaient dans le centre bourdonnant d’activité, avec les enfants du comte observant ce qui se passait à partir de sièges plus en retrait.

Tous les Francs avaient maintenant assimilé le Nouvel Anglais, ce qui

facilitait beaucoup les choses entre eux et l’équipage. Gungor donna en premier un court rapport de situation à Ferguson. ‘’Mes troupes sont en place, Commodore. Les canonnières et les intercepteurs ont leurs cibles en vue et les cuirassés JEAN LANNE, ANDROMÈDE, GILGAMESH et NUSASHI sont prêts à ouvrir le feu.’’ Ferguson jeta un coup d’œil sur les écrans tactiques, où apparaissaient les cibles de la flotte. Quatre camps de base scandinaves près de Bordeaux, Noirmoutier, Rouen et Dorestat étaient visés, en plus des armées vikings autour de Paris et dans les régions de Tours, Cologne et Londres. Douze intercepteurs tournaient également autour de flottilles de pillards dans la Mer du Nord et près de la côte italienne. ‘’Vous pouvez procéder, Colonel.’’ ‘’Bien, Commodore.’’ Répondit Gungor avant de se brancher sur le circuit de commandement de ses troupes. ‘’À toutes les unités de l’Opération RAGNARÖK4 : passez à l’attaque!’’ Raymond pointa un des écrans, qui montrait une cinquantaine de drekis qui s’approchaient de la côte ouest de l’Italie, et chuchota une question à Ann. ‘’Je ne savais pas que les Vikings s’aventuraient jusqu’en Italie.’’ ‘’En fait, Comte Raymond, les Scandinaves du siècle présent et du prochain siècle ont mis leur marque sur un très vaste territoire. En plus de mettre à sac l’Europe 4

Ragnarök : Jour du jugement dernier dans la mythologie viking.

126 de l’Ouest, ils vont traverser l’Europe du Nord-Ouest, écumer la Mer Noire, se vendre comme mercenaires à Byzance et faire compétition aux Arabes en Méditerranée. La flottille viking que vous voyez approcher de l’Italie est celle d’Hasting, en route pour s’emparer de la ville de Luna.’’ ‘’Hasting5!

Ce traître sanguinaire!

Ce sera bon de le voir crever!’’

Cracha

Raymond. ‘’Dans ce cas, surveillez l’écran numéro trois. Il n’en a plus pour longtemps à vivre.’’ De fait, le dreki de tête de la flottille d’Hasting était maintenant fermement centré dans le collimateur de tir d’un intercepteur qui piquait sur sa proie à toute allure. Un trait bleu éblouissant frappa soudain le dreki, qui se volatilisa dans un nuage de vapeur d’eau. Frappant à une cadence furieuse, les canons désintégrateurs de six intercepteurs ne prirent qu’une minute au plus pour détruire complètement les bateaux d’Hasting. ‘’Cible KILO anéantie!’’ Annonça un officier de tir, faisant prendre une respiration profonde aux Francs présents, impressionnés par cette victoire rapide et facile. ‘’Les intercepteurs ne voient que quelques survivants s’accrochant à des débris.’’ ‘’Que le groupe d’action KILO aille appuyer le groupe ALPHA!’’

Ordonna

Gungor. ‘’Où en est l’encerclement de la cible GOLF?’’ ‘’Une des colonnes de chars a repéré un groupe non-identifié d’environ cent cavaliers à proximité de la cible et se détourne pour l’intercepter. Les autres colonnes sont prêtes à l’attaque.’’ ‘’Centrez ces cavaliers sur l’écran numéro onze! Résolution visuelle maximale!’’ Gungor se tourna ensuite vers Ann et Raymond. ‘’Docteur Shelton, Comte Raymond, pouvez vous examiner attentivement l’écran numéro onze pour voir si vous pouvez identifier un groupe de cavaliers suivant la colonne Viking près de Tours.’’ N’étant pas une spécialiste en imagerie ni une militaire, Ann prit quelque temps avant de discerner la troupe de cavaliers en question, qui se cachaient dans un bois bordant les champs au milieu desquels avançait une armée de plus de 1,500 guerriers scandinaves. Raymond s’exclama soudain d’un ton urgent. ‘’NE TIREZ PAS SUR EUX! CE SONT DES FRANCS! Ce que nous voyons dans ce bois est un cunei6 de scolas7, des cavaliers cuirassés.’’ 5

Hasting : chef Viking d’une force légendaire et à la réputation terrible, il aurait été un paysan d’Aquitaine avant d’aller au Danemark pour y devenir un chef de guerre. 6 Cunei : unité de cavalerie franque comptant entre cinquante et cent hommes. 7 Scolas : Cavalier lourd franc.

127 Gungor se tourna aussitôt vers l’officier de tir. ‘’Que notre colonne de chars à l’ouest de la cible GOLF évite tout contact avec ces cavaliers. Ils doivent être considérés comme non hostiles.’’ ‘’Je me demande qui pourrait être assez téméraire pour suivre une armée viking quinze fois plus nombreuse.’’ Se demanda Ann à voix haute. Raymond réfléchit un moment, un rictus féroce se formant sur son visage comme la réponse lui venait à l’esprit. ‘’Il n’y a qu’un homme capable de tant de hardiesse en Francie.’’

15h03 (Heure de Toulouse) Région de Tours, Francie Le noble carolingien caché dans un bosquet à l’orée du bois était tellement concentré à surveiller les Vikings se déplaçant à moins de mille mètres de lui qu’il ne remarqua pas tout de suite une vibration sous ses pieds. Son écuyer lui tira la manche de sa broigne8 et pointa le sol. ‘’Messire, je ne sais pas ce que c’est, mais quelque chose approche.’’ Intrigué, le noble colla son oreille sur le sol. ‘’Curieux! Cela n’est pas le bruit de sabots, mais plutôt celui d’une chaîne de fer que l’on traînerait sur des pavés.’’ Un guerrier franc portant casque et broigne arriva alors en courant, visiblement inquiet. ‘’Messire, quelque chose fracasse son chemin au travers des arbres, venant vers nous!’’ ‘’Voyons, Guillaume!

Qui peut jeter bas des arbres comme cela?

C’est

impossible!’’ ‘’Je vous l’assure, Comte Robert!

Écoutez vous-même!’’

Insista l’homme,

maintenant au bord de la panique. Le noble dû bientôt donner raison à son vassal : quelque chose avançait vraiment à grand fracas au travers de la forêt. ‘’Hé! Ho! Ça vient maintenant de deux côtés : nous sommes encerclés!’’ Dit l’écuyer de Robert, effrayé. Robert le fixa fermement des yeux, tentant de le rassurer. ‘’Ne panique pas, Jehan! Au moins, ça ne peut être les Vikings : même eux ne peuvent pas jeter bas des arbres comme cela.

8

Broigne : veste protectrice en cuir bardée de plaquettes de fer.

Guillaume, cours avertir les autres

128 d’attacher solidement les chevaux à des arbres. Je ne veux pas perdre nos montures si près des Vikings si jamais ce bruit les fait paniquer.’’ Guillaume repartit immédiatement à la course pour passer la consigne de Robert. Le sol tremblait maintenant sous les pieds des Francs et le fracas d’arbres arrachés rendait toute conversation à voix basse difficile. L’écuyer de Robert pointa soudain le rideau d’arbre sur leur gauche. ‘’Messire Robert, regardez!’’ ‘’Par la Vierge Marie, quelle est cette diablerie?’’ Souffla le comte. Écrasant et culbutant tout sur son chemin, une énorme chose métallique surgit d’entre les arbres et s’immobilisa à environ cinquante pas du comte et de son écuyer. Robert, figé de peur malgré sa bravoure légendaire, remarqua que la chose avançait grâce à deux rubans de métal enroulés autour de sa masse et supportés par une série de roues en fer. Une sorte de tour, également en fer, couronnait la masse en forme de caisse au devant pointu et supportait une série de tubes métalliques. De la manière dont le sol tremblait quand elle se déplaçait, la chose devait peser un poids prodigieux. Robert en conclut que la cuirasse protégeant cette chose devait être impénétrable. ‘’Messire, une autre bête de fer, sur notre droite!’’ Robert réalisa soudain que d’autres bêtes métalliques surgissaient maintenant de partout, entourant les champs où se trouvait la colonne scandinave.

Un flottement

devint apparent dans les rangs vikings, qui avaient également aperçu le cercle de bêtes de fer autour d’eux. Une sensation d’intense soulagement envahit soudain le Comte Robert, qui cria à ses hommes pour les calmer. ‘’CES CHOSES EN ONT CONTRE LES VIKINGS, PAS CONTRE NOUS!’’ Le hurlement d’un projectile énorme passant au dessus de sa tête le figea alors sur place.

Presque immédiatement, une explosion assourdissante accompagnée d’une

violente vague de choc le projeta sur le sol. Il eut à peine le temps de jeter un coup d’œil vers les champs et de voir un énorme nuage de poussière couvrant la colonne scandinave avant d’entendre le hurlement terrifiant d’autres projectiles passer au dessus de lui. Se couvrant la tête de ses deux bras et restant collé au sol, Robert le Fort fut littéralement ballotté en tous sens par les explosions et couvert de débris de toutes sortes retombant du ciel. Les dix secondes que dura le tir furent les plus longues et les plus terrifiantes de sa vie. Comme la tempête de feu et de fer se calmait et qu’il osa finalement lever la tête, les bêtes de fer se mirent en mouvement d’un commun accord, fonçant au travers des champs. Lançant de temps en temps des traits de foudre bleus à

129 grand fracas, les mastodontes s’entrecroisèrent à vive allure au milieu de la fumée couvrant les champs pendant près de deux minutes, pour finalement se reformer en colonne et disparaître par une trouée dans les bois. Hébété et tremblant encore d’effroi, Robert le Fort se remit debout et secoua la terre et la poussière qui le couvrait. Un coup d’œil autour de lui l’informa que ses hommes, apparemment au moins aussi ébranlés que lui, étaient sains et saufs. Examinant ensuite les champs ravagés encore partiellement obscurcis par de la fumée et de la poussière, il ne vit aucun mouvement ou autre signe de vie. ‘’Eh ben! Quelle dégelée ils ont pris, ces Vikings!’’ Reprenant bientôt son plein contrôle, il regarda ses hommes, qui s’assemblaient maintenant autour de lui. ‘’Récupérons nos chevaux et allons voir ce qui reste des Vikings. S’il en reste encore vivants, tuez les! Je ne veux pas qu’aucun de ces barbares puissent ensuite attaquer des paysans isolés de la région.’’ ‘’Et…et les bêtes de fer, Messire Robert?’’ Demanda un de ses chevaliers d’une voix tremblotante. Robert lui lança un regard sarcastique. ‘’Si tu veux leur courir sus, Régimbald, libre à toi. Personnellement, il me suffit que ces bêtes de fer en voulait aux Vikings plutôt qu’à nous. À cheval!’’

16h55 (Heure de Toulouse) Manoir comtal de Toulouse Comme dans le cas de son premier atterrissage dans la cour du manoir comtal, l’enceinte se vida en panique au retour de la navette. Raymond de Toulouse débarqua le premier, descendant la rampe d’accès arrière d’un pas énergique avant de stopper et regarder autour de lui, les poings sur la hanche. ‘’ET ALORS, BANDE DE FROUSSARDS?

CE N’EST QUE MOI, VOTRE

COMTE! SUIS-JE SI LAID À FAIRE PEUR?’’ La première personne à sortir de sa cachette fût la vieille servante qui avait lavé les bottes du comte avant son départ. Courant le plus vite qu’elle pouvait, elle s’arrêta et s’agenouilla devant Raymond, ses mains jointes comme pour prier. ‘’Béni soit Dieu : vous êtes revenu sain et sauf, messire.’’ Raymond la regarda avec un sourire bienveillant avant de l’aider à se relever.

130 ‘’Bénit plutôt la générosité et la bonté des étrangers du futur, ma fidèle Marthe. Grâce à eux, je vais pouvoir me permettre de doubler le salaire de toi et de mes autres serviteurs.’’ ‘’Doubler, messire?’’ Dit la vieille femme, ses yeux ouvrant tout grand. ‘’Exact! Maintenant, va aux cuisines et avertit les cuisiniers que je suis de retour avec ma famille et huit invités. Je veux un bon souper pour fêter la conclusion d’une bonne affaire.’’ ‘’Tout de suite, messire!’’ Répondit Marthe avant de courir vers le manoir et disparaître à l’intérieur. La prochaine personne à se présenter au comte fût Gérard, le chef de ses gardes. Il salua poliment de la tête la comtesse et les enfants du comte, qui descendaient maintenant la rampe de la navette, avant de faire face bien droit à Raymond. ‘’Comment a été votre voyage, messire?’’ ‘’Mon voyage a été excellent, mon cher Gérard!’’ Répondit Raymond avec un large sourire. ‘’J’ai vu bien des merveilles, en plus de recevoir de bonnes nouvelles. Pendant que je visitais le navire-amiral des étrangers, j’ai pu assister au massacre systématique de toutes les armées viking en Francie et dans le reste de l’Europe.’’ ‘’Toutes, messire? Mais, comment…’’ Balbutia le chef des gardes, incrédule. Raymond le regarda alors d’un air sobre. ‘’Gérard, la puissance des étrangers, qui en passant n’a rien à voir avec de la magie ou de la sorcellerie, est simplement inimaginable. Ils pourraient s’ils le voudraient transformer la Francie entière en champs de ruines fumantes en quelques heures. J’ai vu de mes propres yeux la puissance des armes de leurs navires et j’en aie eu peur. Malgré cela, ils se sont montrés courtois, respectueux et honnêtes avec moi et ma famille durant nos pourparlers. Je crois fermement qu’ils sont de bonnes gens et qu’ils n’ont que le bien commun à cœur. Sache que je leur aie donné l’Île du Ramier ainsi que les quatre îlots qui s’y rattachent en gage de récompense pour avoir exterminé les Vikings qui nous menaçaient. Ils arriveront bientôt avec leurs navires pour commencer à construire une petite ville ainsi qu’un marché public sur ces îles.’’ Gérard hocha la tête, pensif, à ces mots. ‘’L’Île du Ramier contre les Vikings… Une bien bonne affaire que vous avez faite, messire. Je dois toutefois vous avertir que votre confesseur, le Père Thomas, a pris ses jambes à son cou après votre départ et s’est rendu à la Basilique Sainte-Marie. Il n’est pas encore de retour, messire.’’

131 Raymond poussa un soupir de frustration, irrité par cette nouvelle. ‘’Je lui avais pourtant ordonné de rester au manoir jusqu’à mon retour. Tant pis pour lui : je le chasse en tant que mon confesseur. S’il se présente plus tard, fait le renvoyer par tes gardes, après lui avoir laissé emballer ses choses. S’il insiste pour me parler, refuse! Je ne veux plus le revoir. En attendant, passe le mot que les étrangers doivent être traités comme mes invités, avec égard et politesse.’’ ‘’Vos consignes seront passées, messire.’’ Dit respectueusement Gérard avant de s’éloigner vers le portail de la cour, pour aller parler aux deux gardes qui s’y tenaient. Ann Shelton, qui attendait patiemment avec six de ses compagnons et Jean de Chambriand derrière le comte, des sacs de voyage à la main, lui parla alors. ‘’Comte Raymond, nous devons libérer le centre de la cour, pour permettre à notre navette de décoller en sécurité.’’ ‘’Bien sûr, ma chère. Entrons dans mon manoir.’’ Raymond observa le décollage de la navette du pas de sa porte avant d’entrer avec Ann et son groupe. Appelant auprès de lui un homme mince et barbu dans la quarantaine, Raymond lui pointa Ann et ses six compagnons. ‘’Jacques, arrange des chambres pour ces sept invités : ils resteront ici quelques jours.’’ ‘’Et Messire de Chambriand, messire?’’ Demanda Jacques poliment. ‘’Il restera à souper mais passera la nuit dans sa maison de Toulouse.’’ ‘’Bien, messire.’’

Répliqua le chambellan avant de faire face à Ann et son

groupe. ‘’Si vous voulez bien me suivre, gentes dames et gentilshommes, je vais vous montrer vos chambres, pour que vous puissiez y laisser vos bagages.’’ ‘’Avec plaisir, Messire Jacques.’’ Dit Ann avec un sourire. Comme son groupe se rendait avec Jacques à l’étage supérieur, Berthe approcha son mari et lui prît doucement la main droite, un regard plein d’espoir dans ses yeux. ‘’Je ne peux encore croire à notre chance, Raymond. La venue de ces étrangers est comme un miracle que nous n’attendions pas.’’ ‘’Mais ils sont venus, Berthe, et nous en tirerons le plus de bien possible, pour nous et nos gens.’’ Répondit Raymond avant de poser un baiser sur ses lèvres.

132

CHAPITRE 15 – NOUVEAUX VOISINS 05h20 (Heure de Toulouse) Dimanche, 25 septembre 861 Pointe nord de l’Île du Ramier, en amont de Toulouse Royaume de Francie Une légère vibration du sol de terre battue de la hutte familiale réveilla le jeune Jehan, étendu près de sa grande sœur sur un tas de paille. Étant curieux comme une belette, le garçon de sept ans se leva silencieusement pour ne pas réveiller sa famille et sortit de la hutte pour voir ce qui pouvait causer les vibrations du sol. À première vue il ne remarqua rien, un rideau dense d’arbres lui coupant la vue du reste de l’île, excepté pour le bout de rive où la chaloupe de pêche de son père était amarrée. Jehan se figea soudain et regarda vers le ciel encore obscur, ayant réalisé du coin de l’œil que quelque chose d’énorme planait au dessus de l’île. L’effroi l’envahit pour quelques secondes comme il fixait la masse qui couvrait littéralement le ciel sur des lieux. Une multitude de lumières de diverses couleurs étaient visibles à la surface de la chose, qui lui fît penser en terme de forme au dessous d’un plat rond gigantesque. Un rectangle lumineux apparut soudain à la surface de la chose, comme si une porte ou une fenêtre venait d’être ouverte. Ce rectangle devait toutefois être énorme, à en juger par la hauteur de la chose volante. La mâchoire de Jehan s’ouvrit béante quand ce qui ressemblait à une araignée volante géante portant une caisse dans ses pattes sortit par le rectangle de lumière. Toujours figé sur place devant la hutte familiale, il suivit des yeux l’araignée volante, qui ne faisait aucun bruit, comme elle allait déposer la caisse qu’elle portait plus au sud sur l’île. Soudain résolu à en voir plus, Jehan se mît à courir au travers des arbres vers le sud. Malgré l’aube à peine naissante et l’obscurité de la forêt, Jehan n’avait pas peur de se perdre, connaissant tous les recoins de l’île à fond. Il savait également qu’il n’y avait pas de loups ou d’autres animaux dangereux sur l’île, ces derniers ayant été chassés jusqu’au dernier depuis des années, l’île étant un territoire de chasse occasionnel du Comte Raymond. Il n’avait donc pas grand chose à craindre en partant ainsi à l’aventure, à part peut-être une fessée de son père une fois que ce dernier aura réalisé qu’il était parti sans permission de la cabane familiale.

133 Comme Jehan suivait approximativement le contour de la rive faisant face à la ville de Toulouse, il remarqua soudain des lumières à la surface de l’îlot situé dans la Garonne entre la pointe nord de l’Île du Ramier, où il se trouvait, et la rive droite, où était bâtie Toulouse. Ralentissant sa course, il alla se poster derrière un arbre près de la rive droite et examina les lumières. Elles ne tremblaient pas comme le ferait la lumière de torches et étaient figées mais brillantes.

Les lumières formaient actuellement un

rectangle couvrant plus de la moitié de l’îlot. Une douzaine d’objets volants, chacun de la taille d’une charrette, survolèrent silencieusement la cachette de Jehan, le faisant s’accroupir derrière son arbre pour mieux se cacher. Les objets volants ne semblèrent pas le remarquer et continuèrent leur vol vers l’îlot, se posant finalement à l’intérieur du rectangle marqué par les lumières. Quelques minutes plus tard, le bruit continu de scies coupant des arbres commença à se faire entendre.

Jehan entendit également des

bruits similaires venant des profondeurs de la forêt où il se cachait : quelqu’un coupait des arbres sur l’Île du Ramier même! Maintenant décidé à en voir plus, Jehan se remit à courir au travers de la forêt, se guidant au bruit vers les bûcherons inconnus. Après avoir couvert peut-être 400 mètres, Jehan dût s’arrêter et se cacher à nouveau quand il vit des formes bouger entre les arbres un peu plus loin.

Caché

derrière un bosquet, il réalisa avec un choc que la forêt devant lui, qui était encore dense hier, avait déjà été défrichée sur plusieurs hectares de surface, avec encore plus d’arbres tombant à chaque minute. Des choses volantes étaient occupées à ramasser les arbres coupés, les soulevant comme s’ils ne pesaient presque rien et les empilant ensuite en d’énormes tas, libérant ainsi le centre de la clairière grandissante. Dans la lumière grandissante de l’aube, Jehan vît alors la caisse géante transportée plus tôt par l’araignée volante : elle était posée sur une série de pattes dans un coin de la clairière. Pouvant maintenant mieux voir, Jehan réalisa alors que la caisse, ainsi que les choses qui coupaient et soulevaient les arbres, étaient faites en métal et que leurs formes n’avaient rien d’humaines ou d’animales. Il en conclut alors qu’elles devaient avoir été fabriquées par quelqu’un.

Mais par qui? Des magiciens? Des sorciers? Aucune

personne normale ne pouvait faire des choses volantes. Des anges peut-être? Jehan rejeta cette dernière idée aussitôt : pourquoi des anges feraient-ils couper des arbres? La forêt représentait la vie, et Dieu chérissait la vie.

134 Comme Jehan regardait encore les machines de métal travailler, il vît du coin de l’œil une petite forme bouger lentement un peu plus loin, se déplaçant entre deux bosquets. Il sourit avec malice quand il reconnut la personne vêtue comme lui d’une simple tunique de laine rude : c’était Isabelle, la fille de neuf ans d’une autre famille de pêcheurs habitant l’île. Il jouait souvent avec elle et étaient bons amis. Comme Jehan, Isabelle était curieuse et espiègle, ce qui lui attirait souvent des fessées de ses parents, qui avaient déjà assez de problèmes pour faire vivre leur famille avec le peu que des esclaves pouvaient espérer de la vie. En cela ils étaient chanceux, comme les parents de Jehan, d’appartenir à un homme bon comme le Comte Raymond. Le comte les laissait en gros vivre comme ils le voulaient sur l’île, ‘oubliant’ d’exiger une part de leurs maigres revenus de pêcheurs, comme la coutume et la loi lui permettrait de prendre. Le comte invitait également à chaque nouvel an les trois familles d’esclaves vivants sur l’île à venir partager un festin avec ses servants et les pauvres de Toulouse.

Sifflant

discrètement à Isabelle, Jehan l’attira vers sa cachette, où elle se rendit à quatre pattes. La jeune fille sourit quand elle le reconnut. ‘’Jehan? Tu as également été réveillé par ces choses?’’ Chuchota Isabelle. ‘’Oui! Que penses tu de ces choses?’’ ‘’Euh, je ne sais pas vraiment ce qu’elles peuvent être mais j’ai vu deux hommes un peu plus tôt, qui semblaient superviser le travail de ces choses.’’ ‘’Des hommes? Où sont-ils maintenant?’’ Demanda Jehan, intéressé par cela. ‘’Ils sont entrés par un escalier dans la grande caisse de fer dans le coin là-bas.’’ Une idée vint alors immédiatement à l’esprit de Jehan, qui sourit à son amie. ‘’Isabelle, veux tu venir avec moi? Je vais essayer d’entrer dans la caisse pour y voir ce qui s’y passe.’’ ‘’Oh oui!’’ Répondit avec enthousiasme la jeune fille. ‘’Je t’accompagne!’’ ‘’Dans ce cas, il va nous falloir faire un large détour dans la forêt pour éviter les machines coupeuses d’arbres. Vient!’’ Prenant leur temps pour ne pas se faire voir, les deux enfants arrivèrent finalement à proximité de la caisse de métal et prirent position derrière un bosquet à l’orée de la clairière pour l’examiner de plus près. La caisse était gigantesque, mesurant plus de cent mètres de longueur et 80 mètres de largeur et de hauteur. Elle était posée sur des pattes de métal de plus de dix mètres de hauteur et comportait plusieurs grandes portes à ses extrémités. Jehan et Isabelle regardèrent, fascinés, comme une

135 machine volante saisit avec ses énormes pinces un arbre coupé et, le soulevant de sa pile, la transporta au dessus de la caisse, où la machine laissa tomber l’arbre au travers d’un trou dans le toit de la caisse. Des bruits de scies se firent ensuite entendre de l’intérieur. Un autre arbre suivit le premier après moins d’une minute. Quelques minutes plus tard, une des portes à l’extrémité de la caisse la plus proche des deux enfants s’ouvrit et une sorte de poutre de métal en sortit, supportant un gros paquet rectangulaire de bois coupé. Un palan monté sur la poutre déposa le paquet, qui était pratiquement de la taille d’une maison, sur le sol près de la caisse. Un deuxième paquet de bois, ainsi qu’un troisième, suivit en quelques minutes. Jehan échangea un regard incrédule avec Isabelle. ‘’Comment peuvent-ils travailler aussi vite? Les bûcherons du comte prennent plus d’une journée pour équarrir un arbre de cette taille.’’ Isabelle pointa alors un escalier métallique sur le côté de la caisse. ‘’Les deux hommes que j’aie vu sont montés par cet escalier. On pourrait peutêtre aller voir comment ils font, non?’’ ‘’Bonne idée!’’ Répondit Jehan tout en se mettant sur ses pieds. ‘’Tu me suis?’’ ‘’Qu’est-ce que tu pense?’’ Répliqua Isabelle, se levant également. Les deux enfants coururent jusqu’au pied de l’escalier et, ne semblant pas avoir été vus, grimpèrent avec précaution les marches métalliques. Un problème se présenta après qu’ils arrivèrent en haut de l’escalier, pour mettre pied sur un palier donnant sur une porte métallique : la porte refusa de s’ouvrir quand Jehan tira la poignée. Comme Jehan s’efforçait une deuxième fois d’ouvrir la porte, Isabelle s’approcha d’une sorte de petite boîte fixée au mur près de la porte. Des boutons avec des chiffres et des symboles étaient visibles sur la surface de la boîte. ‘’Zut! Je crois qu’il faut composer un mot magique pour ouvrir la porte mais je ne sais pas lire ou écrire. Et toi, Jehan?’’ ‘’Moi? Tu veux rire? Essaie quand même quelques uns des boutons : on sera peut-être chanceux.’’ Faisant une courte prière pour s’attirer de la chance, Isabelle poussa quelques boutons sans ordre précis et regarda Jehan. ‘’Essaie maintenant!’’ Jehan s’exécuta mais la porte ne s’ouvrit pas.

Isabelle essaya ensuite plusieurs

combinaisons une après l’autre, avec Jehan tirant la poignée à chaque fois, toujours sans succès. Les deux enfants allaient abandonner, déçus de voir leur aventure coupée

136 court de cette manière, quand un déclic métallique se fit entendre, suivi par l’ouverture de la porte. Les deux enfants poussèrent un cri d’effroi étouffé mais restèrent sur le palier, ne pouvant s’empêcher de regarder à l’intérieur, qui était illuminé. Isabelle se décida la première et jeta un coup d’œil prudent par la porte. Elle vît que la porte donnait sur un long couloir qui longeait le côté de la caisse, avec des portes visibles à intervalles le long du mur intérieur. ‘’Viens, il n’y a personne en vue.’’ Dit Isabelle, pénétrant à l’intérieur tout en encourageant Jehan de la main. Après une courte hésitation, Jehan mit pied dans le couloir et regarda autour de lui. ‘’Dans quelle direction allons-nous maintenant?’’ ‘’Par là!’’ Répondit Isabelle, pointant l’extrémité la plus proche du couloir, où une large porte était visible. Elle marcha aussitôt dans cette direction, suivie de près par un Jehan moins assuré qu’il ne le laissait paraître. La porte extérieure se referma alors avec un son métallique. Les deux enfants se précipitèrent vers la porte pour tenter de l’ouvrir, sans succès. Maintenant terrifiés, Isabelle et Jehan sautèrent quasiment d’effroi quand une voix de femme retentit dans leur dos. ‘’N’ayez pas peur, les enfants : nous ne vous ferons aucun mal.’’ Se retournant d’un coup sec, les petits francs virent qu’une femme dans la trentaine habillée d’une sorte de tenue moulante de couleur bleue se tenait maintenant dans le cadre de la porte qu’ils pensaient utiliser il y a quelques secondes. L’inconnue leur sourit avec un mélange de tendresse et d’amusement tout en s’avançant lentement, les deux mains levées en signe de paix. ‘’Vous êtes braves pour avoir approché ainsi de notre scierie…braves et curieux.’’ ‘’Qui…qui êtes vous, madame?’’

Demanda d’une voix tremblotante Isabelle,

avec Jehan restant caché derrière elle. ‘’Je fais partie du group d’étrangers qui ont tué hier les Vikings qui s’approchaient de Toulouse. Le Comte Raymond de Toulouse nous a donné en récompense ces îles, pour que nous puissions y bâtir un grand marché public ainsi qu’une nouvelle ville.’’ ‘’Est-ce que cela veut dire que nos familles vous appartiennent également?’’ La question d’Isabelle sembla choquer l’inconnue, qui garda toutefois un ton doux. ‘’Nous appartenir? Je ne comprends pas.’’

137 ‘’Mais, c’est pourtant simple! Nos parents sont des esclaves, comme moi et Jehan, et nous appartenions au Comte Raymond, comme ces îles. S’il vous a donné ces îles, il a alors dû vous donner possession de nous en même temps.’’ À la surprise des deux enfants, des larmes apparurent aux yeux de l’inconnue, qui s’approcha d’eux et s’agenouilla devant eux avant de prendre doucement leurs mains. ‘’Mes pauvres enfants! Chez nous, l’esclavage est interdit : vous êtes libres, ainsi que vos familles.’’ ‘’Nous sommes libres?’’

Demanda Jehan, n’en croyant pas ses oreilles.

L’inconnue hocha la tête tout en essuyant ses larmes. ‘’Oui, mon petit garçon.’’ Elle regarda alors les corps maigres des deux enfants, qui démontraient des signes de malnutrition, et leur sourit avec encouragement. ‘’Avez-vous faim, mes petits? Notre scierie mobile bénéficie de tous les conforts, incluant une petite cuisine et une salle à manger.’’ Jehan et Isabelle hochèrent la tête d’un commun accord et sans hésitation à la mention de nourriture. L’inconnue allait se remettre debout quand elle renifla et fît une moue. ‘’Euh, je crois que vous auriez bien besoin de vous laver avant de manger. Venez avec moi, mes enfants.’’ Prenant les deux enfants par la main, la femme les mena au travers de la porte d’où elle était venue, montant ensuite des escaliers pour arriver deux étages plus haut dans une salle de contrôle occupée par trois hommes. Ces derniers, assis à des stations de contrôle, regardèrent les enfants avec de la curiosité bienveillante. La femme parla avec eux dans une langue inconnue de Jehan et Isabelle avant de regarder les enfants et de parler en Occitan. ‘’Ces hommes sont mes compagnons de travail. Vous pourrez parler avec eux après vous être lavés et avoir mangé. Suivez moi!’’ ‘’Comment doit-on vous appeler, madame?’’

Demanda timidement Isabelle

pendant que la femme les emmenait deux pièces plus loin dans un vestiaire adjoignant des salles de douches et de toilettes. ‘’Appelle moi simplement Tina, petite. Et toi?’’ ‘’Isabelle. Mon ami s’appelle Jehan.’’ ‘’Enchantée de vous connaître tous les deux. Nous y voilà! Déshabillez-vous ici pendant que je vais chercher des serviettes.’’

138 Isabelle et Jehan enlevèrent sans hésiter leurs tuniques crassées, qui constituaient leurs seuls vêtements, pour se tenir nus dans le vestiaire. En tant qu’enfants de paysans pauvres, ils étaient habitués à la nudité, même avec des adultes, que la vie en commun dans des cabanes surpeuplées rendait naturelle. Tina revint moins d’une minute plus tard avec des serviettes sur son bras gauche ainsi que deux camisoles à manches courtes de taille adulte. ‘’Vous pourrez porter ces camisoles pendant que vous mangerez.

Cela me

permettra de laver vos vêtements et de les sécher entre-temps.’’ Tina les mena ensuite à un des cabinets de douche et fit couler un jet d’eau tiède avant d’encourager les deux enfants à se mettre sous le jet d’eau. Isabelle et Jehan adorèrent immédiatement l’expérience et se mirent à jouer sous la douche. Tina prit l’occasion pour aller mettre leurs tuniques sales dans une machine à laver et de commencer le cycle de lavage, ensuite retourna à la salle de douche pour savonner les deux enfants et leur laver également les cheveux avec du shampoing. Vingt minutes plus tard, Isabelle et Jehan, frottés, séchés et portant les camisoles dont le bas leur tombait quasiment aux pieds, s’asseyaient à la table d’une cuisinette adjacente à la salle de contrôle. Ils regardèrent avec intense curiosité comme Tina chauffait deux menus pour déjeuner dans des fours à micro-ondes et leur versait deux verres de lait frais. Comme Tina les servait, Isabelle ne put s’empêcher de poser timidement une question. ‘’Tina, quelles sont ces choses de fer qui travaillent dehors?’’ ‘’Ces choses sont des machines spécialisées dans la coupe et le ramassage du bois. Vous êtes présentement à l’intérieur d’une des scieries mobiles de notre flotte.’’ ‘’Et…la chose énorme qui vole au dessus de nous?’’ ‘’Ça, c’est notre navire-amiral, le MARCO POLO. Après que vous aurez mangé, j’irais voir vos parents avec vous pour parler de votre futur.’’ ‘’Notre futur?’’ ‘’Oui, votre futur à tous.’’

Dit doucement Tina, souriant.

‘’Si nous devons

occuper cette île et construire une ville, il est impensable que vous continueriez à vivre dans de simples cabanes.

Allez, savourez votre repas.

Entre-temps, je vais aller

discuter avec quelqu’un de certains détails.’’ Jehan attendit que Tina soit sortie de la cuisinette avant de chuchoter à Isabelle. ‘’Penses tu qu’ils soient des sorciers ou des magiciens?’’

139 ‘’Euh, je ne sais pas, mais ils semblent être gentils. Ils nous nourrissent bien, en tout cas.’’ ‘’Ça c’est vrai!’’ Répondit Jehan tout en avalant un morceau de jambon avec délice. ‘’Je mangerais bien avec eux tous les jours.’’ Tina revint dans la cuisinette quelques minutes plus tard et s’assit face aux deux enfants, un sourire aux lèvres. ‘’Bonne nouvelle, les petits : mon chef est d’accord pour que nous aidions vos familles. Savez-vous s’il y a beaucoup d’habitants sur cette île?’’ ‘’Il n’y a qu’une autre famille à part les nôtres sur l’île, Tina.’’ Répondit Isabelle. ‘’La cabane de mes parents est sur la rive ouest, tandis que la cabane de Jehan est sur la pointe nord. La cabane de Charles se situe près de la pointe sud de l’île.’’ ‘’Merci du renseignement. Je visiterais ce Charles après vous avoir reconduit chez vos parents.’’ ‘’Faites attention quand vous irez voir Charles.’’ Dit alors Isabelle, surprenant Tina. ‘’Il est très possessif et pense que ceux qui approchent sa cabane viennent pour le voler. Mon père s’est déjà battu avec lui quand Charles l’a accusé de venir pêcher dans le coin qu’il considère réservé pour lui.’’ ‘’Hum, je vois! Je prendrais mes précautions, dans ce cas.’’ Une demi-heure plus tard, le ventre plein et portant leurs tuniques lavées et séchées, Isabelle et Jehan quittèrent la cuisinette avec Tina. Cette dernière toutefois prit le temps de leur offrir un tour rapide du module scierie avant de sortir dehors avec eux et de se mettre en marche vers la cabane d’Isabelle, qui était la plus proche du chantier. Avant même d’y arriver, le groupe entendit la voix d’un homme qui criait avec force. ‘’ISABELLE! ISABELLE! OÙ TE CACHES TU, BON SANG?’’ Isabelle pâlit en entendant la voix. ‘’Doux Jésus, c’est mon père!

Il va me battre pour m’être éloignée sans

permission.’’ ‘’Pas si je peux l’en dissuader.’’ Dit Tina, son visage se durcissant. Elle prit les devants le long du sentier qu’ils suivaient et tomba bientôt face-à-face avec un homme barbu vêtu d’une simple tunique et tenant un bâton.

L’homme eut un air de

soulagement en voyant Isabelle, mais regarda Tina avec méfiance. ‘’Qui êtes vous? Que faites vous avec ma fille?’’

140 ‘’Calmez vous, monsieur!’’ Dit Tina d’une voix posée, s’arrêtant à dix pas de l’homme et gardant sa main droite à la hanche, près de la crosse de son pistolet neuronique. ‘’Mon nom est Tina Deloran et je suis contremaître du chantier proche où votre fille et son petit ami Jehan sont venus nous payer une visite. Nous leur avons offert à déjeuner et je les raccompagnais maintenant à leurs demeures respectives.’’ Le Franc nota la grande taille de Tina et ses vêtements étranges et raffermit la mainmise sur son bâton. ‘’Vous êtes sur une des terres du Comte Raymond et vous n’êtes pas d’ici. Qui vous a donné le droit d’établir un chantier sur cette île?’’ ‘’Le Comte Raymond, justement.

Cette île et les îlots adjacents nous

appartiennent maintenant en gage de remerciement pour avoir éliminé la flottille viking qui s’apprêtait à saccager Toulouse. La chose que vous voyez au dessus de votre tête est notre navire-amiral. Nous ne sommes toutefois pas des sorciers ou des magiciens. Nous sommes des voyageurs venant des étoiles et nous allons bâtir une ville sur cette île. Vous n’avez pas besoin de ce bâton, je vous assure, monsieur : nous ne voulons que du bien aux gens de Toulouse.’’ Le père d’Isabelle sembla ne pas la croire au début mais un coup d’œil vers le ciel et la masse écrasante du MARCO POLO le convainquit finalement de jeter son bâton. Isabelle courut alors et se jeta dans ses bras, qu’il ouvrit pour elle. ‘’Je m’excuse, Père : j’aurais dû te demander permission avant d’aller voir ce qui se passait dans la forêt.’’ L’homme la regarda sévèrement, la tenant toujours dans ses bras, et agita son index devant son visage. ‘’Cette fois-ci ça ira, Isabelle, mais ne refait plus une telle fugue, où tu goûteras de ma canne.’’ ‘’Oui, Père.’’ Dit Isabelle, penaude. Tina parla alors à l’homme. ‘’Monsieur, votre fille m’a informé que vous étiez esclaves du Comte Raymond. Toutefois, cette île nous appartient maintenant et le comte a renoncé à ses titres de possession sur vous et tout autre esclave qui y vit. En retour, nous n’acceptons pas l’esclavage dans notre société. Vous et votre famille êtes donc libres. De plus, en tant qu’habitants de notre île, vous aurez le droit de bénéficier de diverses mesures sociales que nous appliquons à tous nos citoyens.’’ L’homme, n’en croyant pas ses oreilles, remit sa fille à terre avant de regarder Tina d’un air ébahi.

141 ‘’Nous…nous sommes libres? Et quelles sont ces mesures sociales que vous venez de mentionner?’’ ‘’Premièrement, vos enfants pourrons aller gratuitement à la même école que nos propres enfants. Deuxièmement, vous et votre famille auront droit à des soins médicaux gratuits. Troisièmement, vous serez assurés d’une nourriture suffisante pour vous tenir en santé. Toutes ces choses sont des droits acquis pour tous nos citoyens. En retour, notre société s’attend à ce que vous travaillez de manière honnête tant que vous en serez apte physiquement et mentalement. Nous vous demanderons également de respecter nos lois et coutumes et de ne pas faire usage de violence sur autrui à moins de légitime défense.’’ ‘’Et les lois et coutumes du royaume, elles ne s’appliquent plus ici?’’ ‘’Non! Le Comte Raymond continuera de faire respecter ses lois en dehors de cette île mais seules nos lois s’appliqueront ici. Même le Roi Charles n’aura pas autorité ici.’’ ‘’Mais, vos lois…je ne les connais pas!’’ ‘’Elles sont actuellement simples et se résument à peu de choses. Sachez pour le moment que l’esclavage est pour nous un crime puni de mort, que les punitions corporelles sont interdites, ainsi que tout autres actes de cruauté, et qu’il est interdit de discriminer contre quelqu’un basé sur sa race, son sexe ou ses croyances. La violence contre les enfants, même venant d’un parent, est également mal vue chez nous.’’ Le père d’Isabelle prit un long moment à digérer tout cela. Après un regard à sa fille, il refit face à Tina. ‘’Cela me semble bel et bon, madame.

Qu’attendez vous de moi pour le

moment?’’ ‘’Rien!’’

Répondit Tina avec un sourire.

‘’Vous pouvez continuer à pêcher

comme vous le faisiez avant, mais n’aurez pas besoin de nous payer de redevances ou de loyer.

Vous serez le bienvenu à venir vendre votre poisson une fois que notre

marché public sera ouvert. Bâtir notre ville prendra toutefois un certain temps mais, une fois achevée, vos enfants seront invités à venir à notre école. En passant, l’éducation est obligatoire pour tous les enfants dans notre société mais nous fournissons également le repas du midi aux élèves.’’ Jehan et Isabelle échangèrent des airs joyeux à ces derniers mots : ils allaient bientôt avoir de nouveaux camarades de jeu, en plus de manger à leur faim.

142 16h12 (Heure de Toulouse) Mardi, 27 septembre 861 Manoir comtal de Toulouse Raymond de Toulouse, se tenant avec sa femme Berthe sur le balcon de leur chambre qui faisait face à la Garonne, secoua la tête avec incrédulité. Les gens du futur n’avaient reçu possession des îles de la Garonne que trois jours auparavant mais l’avancement des travaux sur leurs chantiers était déjà impressionnant.

Un mur

encerclant l’intérieur de l’Île du Ramier et destiné à prévenir les crûes occasionnelles de la Garonne de l’inonder était presque achevé, tandis que les fondations du principal bâtiment de la future ville étaient déjà en place, un large monticule de terre en marquant l’emplacement. Une vaste surface avait également été défrichée et aplanie pour le futur marché public, dont Raymond attendait beaucoup pour attirer les marchands et acheteurs dans son comté.

Et tout ça en moins de trois jours.

Les activités de

construction et le va-et-vient presque constant de navires volants avaient fait des îles de la Garonne le centre de l’attention des habitants de Toulouse et une cause majeure de distraction. Toutefois, la manière dont les gens du futur conduisaient leurs travaux de manière ouverte, ainsi que leur promptitude à s’expliquer et à essayer de faire comprendre à tous ce qu’ils faisaient avait beaucoup fait pour atténuer les peurs de la population concernant de la possible sorcellerie.

La distribution quotidienne aux

pauvres de Toulouse des restants de nourritures venant des cuisines du MARCO POLO avait également aidé les gens du futur à gagner de la bonne volonté auprès de la population. Quelqu’un cogna à la porte de la chambre, faisant Raymond se retourner et crier. ‘’ENTREZ!’’ Raymond sourit quand Ann Shelton ouvrit la porte et entra : elle était facilement une des plus belles femmes qu’il avait vues dans sa vie. Le fait qu’elle était très intelligente et d’une personnalité agréable ne gâtait rien. ‘’Que puis-je faire pour vous, ma chère?’’ Ann salua de la tête Berthe avant de répondre à Raymond d’un ton amical. ‘’Je voulais simplement vous informer que nous commencerons dans quelques jours la construction d’une route pavée entre Toulouse et Carcassonne, route qui suivra le tracé de la vieille voie romaine.

Cette route devrait grandement encourager les

143 marchands venant de Narbonne et des autres ports de la côte méditerranéenne à venir faire affaire à Toulouse.’’ ‘’Effectivement!’’ Dit Raymond, réjouit par cette nouvelle. ‘’Je crois que je vais bientôt devoir payer une visite au Comte de Rodez, pour voir s’il vous laisserait rallonger votre route au travers de son comté.’’ ‘’Cela laisserait quand même Humfrid, Comte de Barcelone et de Narbonne, en possession du dernier tronçon de route menant à la côte.’’ ‘’Mouais!’’

Répondit Raymond, son enthousiasme quelque peu refroidit à

l’énoncé du nom de son pire ennemi dans la région. ‘’Il n’y a vraiment pas moyen de trouver une excuse pour nous débarrasser de cette brute épaisse, Ann?’’ ‘’Pas tant qu’il ne commettra pas la stupidité de vous attaquer.’’ Dit calmement Ann. ‘’Je soupçonne toutefois que nous verrons bientôt des réactions à notre arrivée à Toulouse venant des nobles de la région. Quand à savoir quelles sortes de réactions ils auront, je ne peux qu’espérer qu’ils ne feront rien de regrettable. Nous sommes prêts à défendre Toulouse mais nous espérons toujours utiliser la force le moins possible.’’ ‘’Vos scrupules vous honorent, ma chère.

La plupart de ces nobles n’y

penseraient pas à deux fois avant de m’attaquer s’ils pensaient pouvoir le faire en toute impunité.’’ ‘’Et le Roi Charles?

Avez vous eu vent de ses réactions possibles à notre

présence?’’ ‘’Je n’aie encore rien entendu de son côté. Les nouvelles prennent toutefois du temps à se propager…excepté pour vos gens, bien entendu. Je ne m’attends pas à une réaction de Charles avant au moins deux semaines au minimum.’’ ‘’En parlant de réaction, avez vous revu votre ancien confesseur, le Père Thomas?’’ ‘’Non, et cela m’inquiète.

Pas pour lui, mais plutôt concernant une réaction

possible de l’église. Le Père Thomas est parti du monastère samedi et n’a plus été revu depuis. Je soupçonne qu’il a quitté Toulouse pour aller alerter le Pape à votre sujet.’’ ‘’Nous pourrions donc nous attendre à recevoir durant les prochaines semaines la visite d’espions à la solde de divers nobles, du roi ou de l’église.’’ Dit Ann d’une voix sobre. ‘’Bien que nous n’ayons rien à cacher, je m’inquiète d’attaques possibles contre nos citoyens non armés. Nous devrons être prudents.’’ ‘’En parlant de vos citoyens, quand pensez vous que votre ville sera complétée et occupée, ma chère?’’

144 Ann eut un large sourire avant de répondre. ‘’Plus tôt que vous pensez, mon cher comte.’’

05h56 (Heure de Toulouse) Mercredi, 28 septembre 861 Manoir comtal de Toulouse Des cris et des exclamations dans et autour du manoir réveillèrent Raymond un peu avant l’aube. Maugréant mais tout de même inquiet en cas que cela s’avérait être les signes d’une attaque contre son manoir, il sauta en bas de son lit et saisit son épée, appuyée contre le mur près de son lit. Il marcha ensuite rapidement à son balcon pour voir se qui se passait. La vision qui l’accueillit le laissa tellement ébahi qu’il en tomba par terre sur son postérieur : une tour gigantesque faite d’acier et de verre était maintenant en place sur le monticule construit sur l’Île du Ramier, montant pratiquement jusqu’aux nuages.

La tour était illuminée de l’intérieur et présentait un spectacle

grandiose dans la pénombre de la nuit qui s’achevait. Raymond essaya d’évaluer la hauteur de la tour et jugea finalement qu’elle devait atteindre près d’un quart de lieu, soit environ mille pas. La tour était de section triangulaire courbe et sa base avait une largeur d’environ 300 pas, largeur qui diminuait graduellement en montant, ce qui donnait à la tour une forme gracieuse et élancée. Le sommet de la tour était coiffé d’une énorme coupole illuminée et une colonne intense de lumière blanche montait du sommet de la tour vers le ciel. Raymond fût bientôt rejoint sur son balcon par Berthe, qui fît le signe de croix à la vue de la tour monumentale. ‘’Par la Vierge, une telle chose est impossible.’’ Raymond se remit péniblement debout et passa son bras gauche autour des épaules de sa femme tout en fixant la tour. ‘’Pas si tu pense au navire que nous avons visité avec Ann, Berthe. Ces gens du futur sont apparemment des maîtres dans la construction de choses gigantesques.’’ ‘’Oui, mais si vite? Il n’y avait rien d’autre qu’un monticule de terre hier soir. Est tu certain que ces gens ne sont pas des magiciens, Raymond?’’ ‘’Pour être franc, en ce moment, non. Je suis toutefois certain que notre amie Ann pourra nous expliquer ce miracle apparent.’’ ‘’Miracle ou non, cette tour fera jaser, et pas seulement à Toulouse. Avec cette lumière au sommet, elle doit être visible de nuit jusqu’à Narbonne et même Bordeaux.’’

145 Le couple resta ensuite silencieux un long moment, examinant les autres changements apparents sur l’Île du Ramier qu’ils avaient négligé sur le coup à la vue de la tour géante. Un pont enjambait maintenant la Garonne et liait l’île avec la rive droite près de la tour, tandis qu’un deuxième pont était visible plus en aval, reliant les deux rives de la Garonne.

Un bon nombre de structures rectangulaires étaient dispersées sur le

pourtour de la place de marché, qui semblait prête à faire affaires, tandis que des travaux continuaient sur divers autres sites dans l’île. L’œil de Raymond fut soudain attiré par quatre tours identiques postées aux quatre points cardinaux de l’île, avec une des tours située à proximité du pont reliant l’île et la rive droite près de la ville. Bien que minuscules à comparer à la tour principale des gens du futur, chacune de ces tours mesuraient un bon cinquante pas de hauteur et avait un diamètre à la base d’environ quarante pas. Quatre sortes de boules avec des tubes métalliques étaient distribuées sur le pourtour du sommet de chaque tour, qui était couronné d’une autre boule de plus grand diamètre supportant un long tube.

Raymond pointa la tour la plus proche à

Berthe. ‘’Si je ne me trompe pas, je crois que les gens d’Ann ont déjà mis en place leurs fortifications. Regarde cette tour : elle supporte les mêmes sortes de tubes qui servent d’armes aux étrangers. Quand au mur anti-inondation qui fait le tour de l’île, il est assez solide pour servir de mur de défense.

Quiconque attaquant l’Île du Ramier risque

maintenant de le regretter.’’ Berthe frissonna en constatant le vrai dans les paroles de son mari. ‘’Je souhaite par Dieu qu’ils n’auront jamais besoin d’utiliser encore leurs armes ici à Toulouse. Ces gens sont bien bons mais leurs armes me font peur.’’ ‘’Je suis certain qu’ils ne les utiliseront pas à moins d’y être forcés, ma tendre Berthe.’’ Dit doucement Raymond avant d’embrasser sa femme. ‘’Je crois que nous ferions mieux de nous habiller rapidement : je soupçonne que cette journée sera fertile en émotions.’’ ‘’Tu as bien raison, mon bon Raymond.’’ Appelant leurs servantes pour les aider à s’habiller, Raymond et Berthe se vêtirent de leurs plus beaux atours, conscients de l’importance potentielle de cette journée.

Descendants aux cuisines pour y déjeuner, ils y apprirent qu’Ann et ses

compagnons avaient quitté le manoir un peu plus tôt, mais sans leurs bagages, ce qui démontrait qu’ils pensaient revenir. Quand à savoir où ils s’étaient rendus, la réponse

146 était trop évidente. Raymond décida alors de se rendre avec sa famille visiter l’Île du Ramier, raisonnant qu’il ne pouvait y être que bienvenu. Dans le cas contraire, il aurait alors une meilleure idée des sentiments réels des gens du futur à son égard.

07h51 (Heure de Toulouse) Porte du Château Narbonnais Toulouse Le comte et sa famille, à dos de cheval dans le cas de Raymond et de ses fils et dans un chariot dans le cas de sa femme et de sa fille, sortirent de la ville par la Porte du Château Narbonnais avec une escorte de six cavaliers armés et de six gens d’armes à pied. La première surprise de Raymond fut de constater qu’une large route pavée d’une sorte de mortier blanc et dur s’allongeait maintenant vers le sud, en direction de Carcassonne. Sa deuxième surprise fut de trouver un groupe de moines et de prêtres assemblé près du pont reliant la rive droite à l’Île du Ramier, avec une foule grandissantes de Toulousains entourant les religieux et écoutant un ecclésiastique gras et richement vêtu qui semblait conduire une sorte de cérémonie religieuse. Raymond fît une moue de dédain en reconnaissant l’ecclésiastique : c’était nul autre que l’évêque de Toulouse, un homme qu’il tenait en bien peu d’estime. Donnant un ordre bref à ses gardes, Raymond fît avancer son petit cortège au petit pas vers le pont et la foule. Les Toulousains entourant les religieux s’écartèrent respectueusement à son passage mais l’évêque, qui se tenait à l’entrée du pont et le bloquait avec sa suite, ne bougea point et se contenta de suspendre ce qu’il faisait à l’approche de Raymond. Ce dernier jeta un regard froid du haut de son cheval à l’évêque. ‘’Monseigneur Hélisachar, vous êtes de retour à Toulouse, à ce que je vois.’’ L’évêque, portant une robe de soie et sa mitre, lui répondit d’un ton pompeux et assez fort pour être entendu de tous. ‘’Oui, et juste à temps, Comte Raymond. Des choses diaboliques se passent dans notre comté depuis quelques jours et je compte bien y mettre fin.’’ Raymond comprit immédiatement le danger qu’Hélisachar pourrait représenter pour ses projets et ceux des gens du futur. Bien que ne disposant pas de forces militaires, l’évêque pouvait utiliser le pouvoir de l’église pour tourner le peuple de Toulouse contre lui ou même le menacer d’excommunication s’il persistait à collaborer avec Ann et ses

147 gens. Il se devait toutefois d’être prudent dans sa manière de contrer Hélisachar s’il ne voulait pas jouer le jeu de l’évêque. ‘’Monseigneur, ce qui s’est passé dans mon comté est que des gens puissants et bienveillants sont venus au secours de Toulouse et nous ont débarrassé des Vikings qui s’apprêtaient à mettre la ville à feu et à sang. J’ai rencontré ces gens et ils n’y a rien de diabolique dans leur nature, bien au contraire.’’ Le silence régnait maintenant autour des deux hommes se faisant face, avec les citoyens de la ville écoutant l’échange religieusement. Hélisachar bomba alors le torse et haussa le volume de sa voix. ‘’Rien de diabolique dans leur nature? Comment pouvez-vous dire cela, Comte? Comment appelez vous des gens qui volent et qui font apparaître de telles choses comme par magie?’’ ‘’Je les appelle des gens du futur, monseigneur.

Ces gens possèdent une

science et des connaissances ayant plus de 3,000 ans d’avance sur nous.

Ils ont

débarrassé la Francie entière des Vikings qui la pillaient à loisir et maintenant ils vont aider le comté à prospérer en attirant du commerce à nous.’’ ‘’Un tel commerce ne peut être que du commerce avec le Diable! Je compte bien les exorciser et les chasser de notre pays.’’ Répliqua l’évêque avant de crier aux Toulousains autour de lui. ‘’JE, EN TANT QU’ÉVÊQUE ET REPRÉSENTANT DU PAPE, DÉCLARE CES ÉTRANGERS COMME DES CRÉATURES DU DIABLE ET DES ENVAHISSEURS DÉGUISÉS

EN

SAUVEURS!

REFUSEZ

D’ÉCOUTER

LEURS

FAUSSES

PROMESSES OU CEUX QUI COLLABORENT AVEC EUX! SUIVEZ LES ET VOUS SEREZ EXCOMMUNIÉS!’’ Maintenant livide de colère, Raymond eu du mal à se retenir de ne pas tirer son épée du fourreau. Attaquer l’évêque maintenant aurait toutefois été la pire chose à faire. Il décida plutôt de contrer les mots d’Hélisachar par ses propres mots. ‘’GENS DE TOULOUSE, VOUS VIVIEZ IL Y A À PEINE QUATRE JOURS DE CELA DANS LA TERREUR DE VOIR LES VIKINGS VENIR VOUS TUER ET PILLER VOS BIENS.

LES GENS DU FUTUR SONT ALORS VENUS ET, SANS RIEN

DEMANDER, ONT MASSACRÉ LES VIKINGS QUI NOUS MENAÇAIENT. JE LEUR AIE ALORS DONNÉ EN GAGE DE RECONNAISSANCE L’ÎLE DU RAMIER. DEPUIS, LES GENS DU FUTUR ONT AIDÉ À NOURRIR NOS PAUVRES ET SOIGNER NOS MALADES. PRATIQUEMENT CHACUN DE VOUS A PU BÉNÉFICIER À DATE DE

148 LEUR GÉNÉROSITÉ ET DE LEUR COMPASSION ET AVEZ PU CONSTATER QU’IL N’Y A PAS DE MAL DANS LEURS CŒURS.

JE VOUS DEMANDE SEULEMENT

D’ÊTRE COMPRÉHENSIFS ET TOLÉRANTS ENVERS EUX ET DE LEUR DONNER LA CHANCE DE PROUVER QU’ILS NE VOUS VEULENT QUE DU BIEN. NE LAISSEZ PAS L’IGNORANCE OU L’INTOLÉRANCE VOUS FAIRE REJETER CES GENS SIMPLEMENT À CAUSE D’ACCUSATIONS FAUSSES ET NON PROUVÉES! MOI, COMTE RAYMOND, ME PORTE GARAND DES GENS DU FUTUR ET VOUS ENJOINT DE LES ACCEPTER COMME LES GENS DE BONNE VOLONTÉ QU’ILS SONT! DONNEZ LEURS LA CHANCE DE POUVOIR NOUS AIDER TOUS ENCORE PLUS QU’ILS NE L’ONT DÉJÀ FAIT!’’ Les derniers mots de Raymond frappèrent profondément les Toulousains assemblés près du pont. Ils étaient habitués à une vie dure et précaire et les diverses actions charitables des gens du futur dans les derniers jours n’étaient pas passées inaperçues, loin de là.

L’idée d’encore plus d’aide était alléchante, spécialement pour les plus

pauvres de la ville. De plus, le Comte Raymond bénéficiait d’une réputation autrement plus flatteuse que celle de l’évêque, un homme connu dans tout le comté pour son goût du luxe et son hypocrisie. Sentant que la foule commençait à prendre le parti du comte, Hélisachar cria de nouveau d’un ton accusateur. ‘’N’ÉCOUTEZ PAS CES FAUSSES PROMESSES! SUIVEZ LA VOIX DE DIEU PLUTÔT QUE CELLE DU DIABLE!’’ La foule, ainsi que Raymond et sa suite, qui faisait face à l’entrée du pont, aperçut soudain une silhouette solitaire courant vers eux et empruntant le pont.

Raymond

reconnu avec un pincement de cœur Ann Shelton, vêtue d’une simple tenue d’été moulante et apparemment sans armes. Hélisachar, voyant les regards se braquer vers le pont, se retourna pour regarder et pointa presque immédiatement un index accusateur vers Ann, qui continuait de courir vers lui. ‘’VOYEZ CETTE SORCIÈRE QUI VIENT S’EMPRESSER DE NOUS SERVIR SES MENSONGES! REJETEZ LÀ COMME ELLE LE MÉRITE, AVEC DES PIERRES!’’ À la consternation de l’évêque, la majorité des Toulousains présents refusèrent de ramasser des pierres et de les lancer contre Ann, qui était maintenant à cinquante mètres de l’attroupement et ralentissait du pas de course au pas de marche. Les rares personnes à ramasser des pierres furent alors confrontées par le Comte Raymond, qui fît avancer son cheval pour se mettre entre la foule et Ann.

149 ‘’GARDES, À MES CÔTÉS!’’

Cria Raymond avant de fusiller ses sujets du

regard tout en dégainant son épée. ‘’LE PREMIER IDIOT QUI OSE LANCER UNE PIERRE GOÛTERA AU PLAT DE MON ÉPÉE.

MAINTENANT, RENTREZ CHEZ

VOUS ET ALLEZ MÉDITER SUR LE SENS DU MOT RECONNAISSANCE.’’ Voyant la situation lui échapper, Hélisachar utilisa sa dernière carte et donna un ordre aux moines et prêtres l’entourant. ‘’HOMMES DE DIEU, PRENEZ LA JUSTICE DIVINE DANS VOS MAINS ET LAPIDEZ CETTE SORCIÈRE!’’ Contrairement aux bourgeois et artisans qui avaient refusé de l’écouter, les quelques quarante hommes en soutane de sa suite s’empressèrent de ramasser des cailloux et commencèrent à les lancer vers Ann Shelton. Lançant un juron sonore, Raymond fît déployer ses gardes à cheval en ligne étendue, leurs boucliers face aux ecclésiastiques, pour bloquer leurs tirs. Un des prêtres, que Raymond reconnu comme étant le Père Thomas, visa alors le comte, l’atteignant à la poitrine et lui faisant pousser un cri de douleur. ‘’LAPIDEZ CET ALLIÉ DE SATAN, MES FRÈRES!’’

Cria Thomas tout en

s’apprêtant à lancer une seconde pierre contre Raymond. Au désarroi de l’évêque, qui n’avait pas planifié aller aussi loin qu’attaquer physiquement le comte, ses moines concentrèrent leurs tirs contre Raymond. Atteint de plusieurs pierres, dont une à la tête, Raymond tomba à bas de son cheval. Enragés à la vue de cette scène, les fils et les gardes du comte foncèrent dans le groupe de prêtres et de moines, les culbutant tout en taillant à grands coups d’épée. Le tout aurait tourné au massacre pur et simple si une voix de femme n’avait pas crié à tue-tête. ‘’ARRÊTEZ! CESSEZ CETTE VIOLENCE INSENSÉE!’’ Les têtes se tournèrent vers Ann Shelton, qui était maintenant agenouillée près du Comte Raymond et lui tenait doucement la tête. Se remettant debout, Ann s’approcha lentement des Francs, les mains levées en signe de paix. ‘’GENS

DE

TOULOUSE,

JE

SUIS

LE

DOCTEUR

ANN

SHELTON,

SPÉCIALISTE EN HISTOIRE ET CONSEILLÈRE DE MON CHEF POUR LE COMTÉ DE TOULOUSE. MOI ET MES GENS SOMMES VENUS EN PAIX À TOULOUSE ET NOUS NE VOULONT QUE VOTRE BIEN. VOUS N’AVEZ RIEN À CRAINDRE DE NOUS, À MOINS DE NOUS ATTAQUER. VOTRE ÉVÊQUE VOUS A ÉCHAUFFÉ LE SANG AVEC DES ACCUSATIONS FABRIQUÉES DE TOUTES PIÈCES ET BASÉES SUR L’IGNORANCE ET L’INTOLÉRANCE.

VOUS A T-IL SAUVÉ DES VIKINGS?

150 NON! DE FAIT, IL S’ÉTAIT SAUVÉ DE LA VILLE, VOUS LAISSANT À VOTRE SORT. VOUS AVEZ PEUR DE NOUS ET DE NOS MACHINES DU FUTUR? DANS CE CAS, VOUS ÊTES LES BIENVENUS POUR NOUS VISITER : NOUS N’AVONS RIEN À CACHER.

CEUX QUI VEULENT CONSTATER DE LEURS PROPRES YEUX QUI

NOUS SOMMES VRAIMENT PEUVENT EMPRUNTER CE PONT MAINTENANT, MAIS LAISSEZ VOTRE VIOLENCE ICI!’’ Les paroles et l’attitude pacifique mais résolue d’Ann réussirent à calmer la foule et paralyser les ecclésiastiques, qui avaient suspendu leurs jets de pierres. Ann retourna alors s’agenouiller aux côtés du Comte Raymond, qui saignait de la tempe gauche et était encore à moitié inconscient. Sortant un mouchoir d’une poche, elle l’appliqua sur la blessure et parla d’une voix douce. ‘’Nous allons prendre soin de vous, mon ami. Ne bougez pas et attendez qu’on vous apporte à notre infirmerie.’’ Voyant Ann se porter à l’aide de son comte et maître, un des artisans toulousains qui se trouvait dans la foule des spectateurs jeta un regard noir à la suite de l’évêque Hélisachar avant d’adresser ses amis et compagnons de travail. ‘’Notre comte a besoin de notre aide. Venez avec moi, les gars!’’ Cinq hommes solides le suivirent et entourèrent le comte et Ann. Cette dernière les regarda avec gratitude. ‘’Merci de votre aide, bonnes gens. Prenez le comte et soulevez le doucement pendant que je lui tiens la tête.’’ Les Francs s’exécutèrent et allaient commencer à traverser le pont quand une ambulance atterrit en silence près d’eux. Deux infirmiers, dont le jeune Djéa Renak, en sortirent avec une civière. Les Francs, habitués depuis plus de trois jours à voir circuler des véhicules aériens au dessus et autour de Toulouse, gardèrent leur calme à l’arrivée du véhicule et posèrent le comte sur la civière. Comme Raymond allait être mis dans l’ambulance, Ann tapota l’épaule de Djéa. ‘’Une fois en route, appelle d’autres ambulances : il y a plus de blessés à s’occuper. Je vais rester ici pour coordonner les secours.’’ ‘’Compris, Ann. Je m’en occupe.’’ Comme Djéa allait fermer la portière arrière de l’ambulance, la Comtesse Berthe accourut, sa fille Jeanne à sa suite. Son visage reflétant l’inquiétude, elle regarda son mari à l’intérieur de l’ambulance avant de regarder Ann. ‘’Puis-je rester avec mon mari, Dame Shelton?’’

151 Après un court coup d’œil à Djéa, Ann hocha la tête. ‘’Montez à bord avec votre fille, Comtesse. Je vous rejoindrais bientôt.’’ Berthe ne se le fit pas dire deux fois et embarqua avec Jeanne dans le véhicule. Ann recula alors, imité par les six hommes qui avaient aidé le comte, pour laisser l’ambulance décoller. Une fois cette dernière partie, Ann se dirigea vers l’attroupement qui était toujours à l’entrée du pont. L’évêque et sa suite étaient maintenant gardés par les gardes du comte, tandis que les citoyens de Toulouse contemplaient la situation avec un mélange de curiosité et d’appréhension, s’attendant à des punitions suite à l’attaque contre leur comte. À la surprise de tous, Ann s’agenouilla auprès d’un moine étendu à terre et saignant d’une blessure à la poitrine. Rassemblant ses souvenirs sur les cours de premiers soins qu’elle avait suivi il y a des années, elle déchira le bas de la soutane du moine et s’en servit comme pansement pour le presser doucement sur la blessure et ralentir l’hémorragie.

Le moine lui jeta un regard mêlé de haine et de

surprise. ‘’Qu’essayez vous de faire, sorcière?’’ ‘’Vous aider!’’ Répliqua Ann, préoccupée par le sérieux de l’hémorragie. ‘’Le Christ prêchait la compassion et la tolérance, non? Vous serez bientôt emmené à notre infirmerie pour y être traité.’’ Gérard, le chef des gardes du comte, regarda cette scène avant de fixer avec mépris l’évêque Hélisachar, entouré des prêtres et moines de sa suite encore intacts. ‘’Il semble que Dame Shelton pourrait vous donner des leçons sur la bonne charité chrétienne, Monseigneur.’’ Gérard pointa alors son épée vers le Père Thomas et s’avança vers lui. ‘’TOI! Tu as été le premier à lancer une pierre au comte et a encouragé les autres à t’imiter. Attends-toi à payer pour ce geste. MARCELUS, SAISIT MOI CE GREDIN ET VAS LE JETER DANS UNE CELLULE!’’ ‘’Avec plaisir!’’ Répondit le garde, qui tira sans ménagement le prêtre par sa soutane et commença à le mener de force vers la porte de la ville. Hélisachar tenta alors de recouvrer un peu de son autorité, sérieusement malmenée par cet incident. ‘’ARRÊTEZ!

VOUS NE POUVEZ PAS JETER EN PRISON UN HOMME

D’ÉGLISE!’’ Gérard lui lança un regard de glace tout en faisant signe à Marcelus de continuer son chemin.

152 ‘’Cet homme a attaqué le comte, qui représente le roi dans ce comté. Il fera face à la justice, comme tout autre habitant de Toulouse dans le même cas. Ramenez donc vos fiers-à-bras en soutane dans leur monastère, Monseigneur, avant que je les jette tous en prison.’’ Voyant que Gérard était prêt à accomplir sa menace, l’évêque s’empressa d’ordonner à sa suite de ramasser leurs blessés et de retourner en ville. Hélisachar n’attendit même pas que les moines blessés soient ramassés avant de s’enfuir dans sa chaise à porteur, soutirant une remarque méprisante de Bernard, le fils aîné du comte, à Gérard. ‘’Un bien bel évêque que nous avons là, Gérard.’’ ‘’Effectivement, Messire Bernard.’’ L’adolescent regarda autour de lui et vît Ann Shelton empêcher les moines de soulever le moine qu’elle traitait, plaidant que ce dernier était trop gravement blessé pour être transporté ailleurs qu’à l’infirmerie de la tour. ‘’Décidément, mon père a bien jugé ces gens du futur. Ils ne prient pas comme de bons chrétiens mais ils connaissent certainement le vrai sens du mot ‘compassion’.’’ ‘’Vous avez bien raison, messire. Que faisons-nous maintenant? Le comte, la comtesse et leurs filles sont partis vers cette tour géante.’’ ‘’Nous allons nous y rendre également, Gérard. Prend charge de notre suite tandis que je m’occupe d’un dernier détail.’’ À la surprise de Gérard et même d’Ann Shelton, le jeune Bernard se rendit face à la foule de Toulousains encore sur la scène et les adressa d’une voix forte. ‘’GENS DE TOULOUSE!

MON PÈRE ÉTAIT EN ROUTE POUR ALLER

VISITER LA TOUR DES GENS DU FUTUR. DAME SHELTON VOUS A ENSUITE INVITÉS À EN FAIRE DE MÊME. SUIVEZ MOI ET VENEZ CONSTATER PAR VOUS MÊME LA VÉRITÉ.’’ La foule, qui comptait maintenant plus de 300 personnes, exprima son accord et commença à suivre le fils de leur comte, qui emprunta le pont menant à l’Île du Ramier. Une ambulance avait entre-temps atterri près d’Ann et deux infirmiers s’occupaient de mettre le moine blessé dans leur véhicule comme Bernard, de retour en selle, passait à leur hauteur, la foule de Toulousains à sa suite. Ann se pressa de rejoindre Bernard et ses gardes, marchant aux côtés de son cheval mais refusant l’offre de l’adolescent de prendre place en croupe. ‘’Merci, Bernard, mais je préfère marcher. Merci d’avoir plaidé notre cause avec les gens de Toulouse.’’

153 ‘’C’était le moins que je puisse faire, Dame Shelton. Plus tôt les Toulousains seront rassurés à votre sujet, plus facile ce sera de mener à bien nos projets communs.’’ ‘’Je vois que votre père vous a bien appris, Bernard. Vous ferez un bon comte dans le futur.’’ Bernard hocha la tête à ces mots mais ne répondit pas.

Au moins, Ann semblait

prendre pour acquis que l’office de comte à Toulouse continuerait d’exister, ce qui le soulageait grandement sur son propre futur. La troupe disparate traversa en quelques minutes le pont qui menait à l’Île du Ramier et qui formait un coude, avec la portion centrale supportée par des piliers reposant sur un petit îlot adjacent. Bernard examina d’un œil critique la tour couronnée de tourelles qui avait été placée sur l’îlot. ‘’Ces tubes en haut de cette tour, ce sont bien des armes, Dame Shelton?’’ ‘’Effectivement, mon cher Bernard. Cette tour à elle seule pourrait détruire à distance toute nouvelle flotte Viking en quelques instants à peine. Aucun envahisseur ne pourra maintenant attaquer Toulouse sans en payer le prix. Nous espérons toutefois ne jamais avoir à nous en servir.’’ Bernard mesura ces mots en silence tout en continuant son chemin.

Après avoir

couvert près de 400 mètres, la troupe prît pied sur l’Île du Ramier et emprunta un large rond-point auquel deux routes pavées se joignaient. Ann guida le groupe le long de la route qui longeait la rive gauche de l’île et qui passait à proximité d’une vaste place publique bordée de bâtiments préfabriqués. Elle fît ensuite entrer la troupe sur la place même et les rassembla près d’un petit bâtiment situé avec trois autres structures similaires le long de la ligne médiane de la place, qui formait un gigantesque ‘L’ mesurant 300 mètres par 200 mètres. ‘’ÉCOUTEZ MOI TOUS, S’IL VOUS PLAÎT! NOUS SOMMES MAINTENANT AU MILIEU DE LA PLACE DU MARCHÉ DE NOTRE ÎLE.

TRÈS BIENTÔT, VOUS

POURREZ Y VENIR À LOISIR POUR ACHETER ET VENDRE TOUTES SORTES DE CHOSES.

POUR NOTRE PART, MES GENS VENDRONT ENTRE-AUTRES DES

ARTICLES EN MÉTAL ET DU BOIS COUPÉ ET ACHÈTERONS DES PRODUITS ALIMENTAIRES QUI NOUS AIDERONT À NOURRIR NOS GENS À BORD DE NOTRE FLOTTE. JE SERAIS DISPONIBLE ICI DEMAIN POUR RÉPONDRE EN DÉTAIL AUX QUESTIONS DES REPRÉSENTANTS DE GUILDES ET AUX MARCHANDS INTÉRESSÉS À FAIRE AFFAIRES DANS CE MARCHÉ. AVANT DE CONTINUER CE

154 TOUR GUIDÉ, JE DOIS VOUS INSTRUIRE SUR UN POINT D’HYGIÈNE. VOUS ÊTES HABITUÉS À UTILISER DES POTS DE CHAMBRES OU À VOUS SOULAGER DANS UN COIN QUELCONQUE QUAND EN DEHORS DE VOS MAISONS. QUAND À MES GENS ET MOI, NOUS UTILISONS DES SORTES DE CHAISES PERCÉES CONNECTÉES À UN SYSTÈME D’ÉGOÛTS. LE BÂTIMENT EN ARRIÈRE DE MOI CONTIENT DES SALLES DE TOILETTES PUBLIQUES QUE VOUS DEVREZ UTILISER PENDANT VOS VISITES À CE MARCHÉ.

NOS AUTRES BÂTIMENTS

CONTIENNENT ÉGALEMENT DE TELLES TOILETTES. JE VOUS PRIE D’UTILISER CES TOILETTES SI BESOIN EST ET DE NE PAS VOUS SOULAGER EN TOUT AUTRE ENDROIT SUR CETTE ÎLE, CAR NOUS DONNONS UNE GRANDE IMPORTANCE À L’HYGIÈNE PUBLIQUE. JE VAIS MAINTENANT VOUS EXPLIQUER COMMENT UTILISER CES TOILETTES.’’ Ann passa ensuite une bonne dizaine de minutes à faire visiter les toilettes et expliquer leur fonctionnement. Bien qu’anodin pour plusieurs, ce point était plus important qu’il paraissait à prime abord : les gens de Toulouse allaient bientôt fréquenter cette place et même visiter la tour principale de l’île.

Ann souhaitait éviter des frictions inutiles

causées par ce qui serait considéré par ses compatriotes comme un manque grossier de savoir-vivre.

De leur côté, les Francs furent impressionnés par la propreté des

toilettes et par l’absence de mauvaises odeurs. Le jeune Fulgaud lança une remarque qui fît rigoler Ann comme il regardait l’eau dans une toilette être aspirée avant d’être remplacée par de l’eau limpide. ‘’Eh ben! Je ne pourrais plus regarder un pot de chambre de la même manière après avoir vu ceci, Dame Shelton. Pensez vous équiper notre manoir de telles toilettes dans le futur?’’ ‘’Nous avons effectivement des plans pour équiper votre manoir ainsi que le reste de Toulouse avec des toilettes publiques, qui rendront les rues de la ville bien plus agréables à traverser. Je crois que nous pouvons maintenant continuer notre visite.’’ Rassemblant de nouveau la foule de Francs derrière elle, Ann marcha le long de la vaste surface vide de la place du marché, se dirigeant vers l’énorme tour qui dominait Toulouse. Empruntant un sentier pavé pour piétons qui reliait la place du marché et la terrasse faisant office de base pour la tour, Ann s’arrêta finalement devant une des entrées principale de l’édifice et fit face aux Francs, dont la plupart avaient le nez levé et contemplaient avec ébahissement la hauteur incroyable de la tour.

155 ‘’MESDAMES

ET

MESSIEURS,

JE

VOUS

PRÉSENTE

LA

TOUR

TOULOUSAINE, LA FUTURE DEMEURE DE 32,000 DE MES CONCITOYENS. SELON VOS UNITÉS DE MESURE, ELLE S’ÉLÈVE À PLUS DE 800 PAS DE HAUTEUR ET SA BASE TRIANGULAIRE MESURE 330 PAS PAR 270 PAS. LA TOUR TOULOUSAINE COMPTE 150 ÉTAGES AU DESSUS DU SOL, PLUS DOUZE AUTRES NIVEAUX SOUTERRAINS. CETTE TOUR A ÉTÉ PRÉFABRIQUÉE DANS NOTRE ANCIENNE PATRIE DANS LE BUT DE POUVOIR ÊTRE RAPIDEMENT ASSEMBLÉE UNE FOIS SES PARTIES TRANSPORTÉES SUR PLACE. BIEN QUE SON ASSEMBLAGE A ÉTÉ ACCOMPLI EN MOINS D’UNE JOURNÉE, LA CONSTRUCTION

DE

SES

ÉLÉMENTS

MODULAIRES

A

ACTUELLEMENT

NECÉSSITÉ PLUS DE NEUF MOIS DE TRAVAIL DANS DES CHANTIERS SPÉCIALISÉS.

ELLE

N’EST

DONC

PAS

LE

PRODUIT

D’UN

MIRACLE

QUELCONQUE MAIS PLUTÔT D’UN LONG EFFORT PLANIFIÉ DE LONGUE DATE. MALHEUREUSEMENT, LA COLONIE OÙ CETTE TOUR DEVAIT ÊTRE ÉRIGÉE NOUS EST MAINTENANT INACCESSIBLE.’’ Ces informations firent hocher la tête à plusieurs des Francs, incluant Bernard : l’aspect apparemment magique de la tour devenait maintenant plus compréhensible pour eux. Ils continuèrent toutefois à écouter religieusement Ann. ‘’LA TOUR TOULOUSAINE, EN PLUS DE COMPTER PRÈS DE 10,800 APPARTEMENTS DE TAILLES VARIÉES, COMPREND PLUSIEURS FACILITÉS ET ÉTABLISSEMENTS COMMUNAUX OU PUBLICS, TEL QU’UN HÔTEL, DES RESTAURANTS, DES ÉCOLES, UN HÔPITAL, UN CENTRE COMMERCIAL ET UN CENTRE SPORTIF.

UNE FOIS LA TOUR OCCUPÉE, TOUS CES SERVICES

SERONT DISPONIBLES AUX HABITANTS DE TOULOUSE, COMME À NOS PROPRES CITOYENS.’’ Un remous passa dans la foule de Francs à ces mots, suivi d’un échange de remarques à voix basse entre les Francs, dont l’intérêt montant diminuait à l’inverse leur méfiance initiale. Vyyn Drelan, Fernando Vasquez et une trentaine de commandos en tenues de sécurité légères sortirent alors par l’entrée de l’édifice pour joindre Ann. Cette dernière divisa ensuite la foule des Francs en trois groupes égaux. Prenant le contrôle du groupe incluant le Bernard et ses frères cadets Fulgaud et Eudes, Ann les guida à l’intérieur d’un vaste foyer d’accueil dont le plafond s’élevait à plus de dix mètres. Le plancher en pierre polie et l’architecture grandiose du foyer, qui faisait un usage libéral du verre teinté, du laiton et du chrome, attira des murmures admiratifs des Francs.

156 ‘’Tout ça a dû coûter une fortune, messire.’’ Dit Gérard à Bernard. ‘’Regardez moi la quantité de verre qu’il y a ici! Ces gens ne trouveraient aucun intérêt à piller Toulouse : ils sont trop riches pour cela.’’ Bernard hocha la tête tout en admirant les vitrines des boutiques bordant le pourtour du foyer. En Francie, un simple gobelet en verre coûtait une fortune, tandis que la quantité de métal utilisée dans la construction de la tour géante à elle seule était simplement inimaginable pour un Franc. ‘’Tu as bien raison, Gérard. Ces gens n’ont rien à gagner à tenter de nous voler. Le contraire serait plus vrai.’’ Il écouta alors comme les autres comme Ann Shelton donnait des informations supplémentaires. ‘’NOUS SOMMES MAINTENANT DANS LE FOYER DE RÉCEPTION DE LA TOUR TOULOUSAINE. LE COMPTOIR CENTRAL QUE VOUS VOYEZ DERRIÈRE MOI EST LE CENTRE D’INFORMATIONS PUBLIC DE LA TOUR. SI VOUS AVEZ DES QUESTIONS DURANT DES VISITES FUTURES, ALLEZ À CE COMPTOIR ET LES PRÉPOSÉS SE FERONT UN PLAISIR DE VOUS RÉPONDRE. AUTOUR DU FOYER, VOUS POUVEZ VOIR DES DOUZAINES DE BOUTIQUES. ELLES SONT POUR LE MOMENT INOCCUPÉES MAIS CELA CHANGERA BIENTÔT ET VOUS POURREZ LES VISITER DANS LES JOURS QUI VIENNENT, COMME LES BOUTIQUES DE LA PLACE DU MARCHÉ.

NOUS ALLONS MAINTENANT MONTER AU NIVEAU

QUATRE, QUI CONTIENT DES ÉCOLES ET DES SALLES DE CLASSES.

POUR

CELA, NOUS ALLONS MAINTENANT EMPRUNTER CE QUE NOUS APPELONS UN ASCENSEUR. N’AYEZ PAS PEUR ET SUIVEZ MOI.’’ Allant à un des ascenseurs pour cargo, qui était assez grand pour contenir la centaine de Francs la suivant, Ann les fît entrer tous et ferma le double battant derrière eux avant de mettre l’élévateur en marche.

La cabine vitrée, qui donnait vue sur

l’extérieur de la tour, monta en quelques secondes seulement au niveau quatre, faisant s’exclamer d’émotion la plupart des Francs. Le groupe sortit de la cabine derrière Ann, qui leur fît alors visiter rapidement le complexe éducatif occupant le niveau. Les salles de jeux pour jeunes enfants, avec leurs modules de jeux colorés et leurs étagères remplies de jouets, attirèrent plus d’une remarque attendrie de la part de femmes franques, ce qui fît discrètement sourire Ann de satisfaction : une des raisons principales

157 de fournir une telle visite aux Toulousains était de montrer ses compatriotes comme étant de simples humains ordinaires. ‘’MESDAMES ET MESSIEURS, POUR VOTRE INFORMATION, NOUS PLANIFIONS D’INVITER LES ENFANTS DE TOULOUSE ET DE LA RÉGION À VENIR S’ÉDUQUER GRATUITEMENT À LA TOUR TOULOUSAINE. ILS Y BÉNÉFICIERONT ÉGALEMENT DE DEUX REPAS GRATUITS PAR JOUR ET ÉTUDIERONS CÔTE-ÀCÔTE AVEC NOS PROPRES ENFANTS.

UN PROGRAMME D’ÉDUCATION

PUBLIQUE SERA BIENTÔT FINALISÉ À CETTE FIN ET ENSUITE PUBLIÉ DANS LE COMTÉ.’’ Plus que l’offre d’éducation gratuite, la promesse que leurs enfants puissent jouir de deux repas gratuits par jour impressionna les Francs, dont les plus pauvres luttaient constamment pour éviter la faim à leurs familles. Le fait de ne plus devoir se préoccuper de devoir trouver de la nourriture pour leurs enfants pour la plupart des repas soulagerait de beaucoup leurs soucis matériels. Bernard ne manqua pas ce point, ainsi que la réaction du petit peuple qui l’entourait. À ce rythme, les sinistres accusations de l’Évêque Hélisachar allaient probablement être bientôt oubliées ou carrément rejetées par les Toulousains, qui commençaient à voir de quel côté était leur profit. Bernard souhaita discrètement toutefois que les promesses d’Ann Shelton se réalisent dans un délai raisonnable, sinon la réaction du peuple pourrait être violente. Reprenant place dans l’ascenseur cargo avec ses suiveurs, Ann Shelton les fît monter jusqu’à passé la mi-hauteur de la tour, à une altitude de 480 mètres. Plus d’un Franc se sentit alors mal, souffrant de la peur des hauteurs, mais la plupart admirèrent la vue fantastique qu’ils avaient maintenant de leur ville et de la région environnante. Une fois le groupe hors de l’élévateur, Ann rassembla les Francs autour d’elle. ‘’NOUS SOMMES MAINTENANT AU NIVEAU 110, QUI CONTIENT DES APPARTEMENTS DE TAILLES DIVERSES. VOUS ALLEZ POUVOIR MAINTENANT VISITER QUELQUES-UNS DE CES APPARTEMENTS, QUI SONT TYPIQUES DU NIVEAU

DE

RÉSIDENCE

STANDARD

DE

MES

COMPATRIOTES.

CES

APPARTEMENTS SONT ENCORE INOCCUPÉS ET LA PLUPART DES MEUBLES SONT ENCORE DANS LEUR EMBALLAGE DE TRANSPORT. SOYEZ HONNÊTES ET NE PRENEZ RIEN DURANT CETTE VISITE.’’ Ann, qui n’était pas si naïve, dispersa à l’avance la dizaine de commandos qui l’accompagnait à l’intérieur des cinq appartements qu’elle voulait faire visiter. La visite

158 collective prît un bon quinze minutes, mais acheva d’impressionner les Francs sur le luxueux niveau de vie apparent des géants du futur. Bernard, à part de se rendre compte avec un choc que la moyenne des compatriotes d’Ann Shelton vivait plus luxueusement que lui, un fils de comte, était maintenant convaincu que les gens du futur n’auraient aucun intérêt à piller Toulouse. Sa ville natale, dont il était fier, ne supportait tout simplement pas la comparaison avec la civilisation des gens d’Ann Shelton. Un troisième voyage dans l’élévateur cargo emmena Ann et son groupe dans la coupole géante qui couronnait la tour et qui contenait les restaurants, cafétérias, clubs et salons de l’édifice. La vue panoramique qui s’offrit aux Francs en fît signer plus d’un : même la ville d’Albi, distante de quelque 70 kilomètres, était visible à l’horizon. Bernard, après avoir admiré la vue pendant une minute, regarda ensuite vers le comptoir de service de la cafétéria où ils se trouvaient. Une dizaine d’hommes et de femmes du futur semblaient travailler à déballer et mettre en place des articles et ustensiles de cuisine derrière le comptoir. S’approchant d’eux avec Gérard et Eudes, il les regarda faire pendant quelques secondes avant de poser une question en Nouvel Anglais à une des femmes. ‘’Excusez moi, chère dame, mais puis-je examiner les ustensiles que vous avez là?’’ La femme, qui devait avoir environ 35 ans, hésita seulement un instant avant de lui sourire et de lui tendre par dessus le comptoir le bac d’ustensiles qu’elle se préparait à mettre de côté. ‘’Voici, monsieur. Je vais seulement vous demander de ne pas remettre les ustensiles que vous toucherez dans le bac : ils sont présentement stériles et je vais devoir les relaver avant de les entreposer.’’ ‘’Stériles? Je ne comprends pas ce mot.’’ ‘’Stérile veut dire qu’ils ont été traités pour tuer toute bactérie sur leur surface. C’est une mesure d’hygiène publique standard dans toutes nos cuisines et restaurants et aide à empêcher la propagation des maladies.’’ ‘’Euh, je vois.’’ Dit Bernard, qui n’avait pas vraiment compris ces explications. Il se contenta toutefois de regarder les ustensiles dans leur bac, sans les toucher. ‘’Ces ustensiles sont vraiment d’une qualité supérieure, n’est-ce pas, Gérard? Je me demande si les gens de Dame Shelton en offriront à vendre dans leur nouveau marché. Si oui, j’en achèterais bien quelques-uns.’’

159 ‘’Ces gens sont définitivement des maîtres dans le travail du métal, messire.’’ Approuva Gérard à voix basse. ‘’Je me demande s’ils offriront des épées à vendre.’’ ‘’J’en doute fort, mon cher Gérard : leurs armes n’ont rien de commun avec les nôtres. S’ils en vendent, toutefois, ils trouveraient certainement preneurs.’’ Redonnant le bac d’ustensiles à la femme, Bernard se dirigea ensuite vers Ann, qui lui décocha un sourire à son approche. ‘’Et alors, Messire Bernard, comment trouvez vous notre tour?’’ ‘’Impressionnante en tous points, Dame Shelton. Serait-il possible d’aller visiter mon père pour voir comment il se sent maintenant?’’ Ann lui répondit sans hésitation, son visage devenant sérieux. ‘’Parfaitement, Bernard : je tiens moi-même à voir comment le Comte Raymond se porte. Un de mes gardes se chargera de guider le reste du groupe hors de la tour. Donnez moi juste un moment.’’ Ann alla alors parler brièvement avec un des commandos avant de revenir vers Bernard, Fulgaud, Eudes, Aribert et Gérard et les conduire vers un ascenseur pour passagers. La vitesse de la descente, qui était rendue plus apparente par la vue extérieure qu’offrait la surface vitrée de la cabine, rendit Bernard presque malade. ‘’Par Dieu! On pourrait mourir de peur dans vos cabines magiques!’’ ‘’Nos cabines n’ont rien de magique, Bernard.’’ Répliqua Ann immédiatement. ‘’Elles sont simplement le produit d’une science très avancée, comme nos armes et nos navires. Vous vous y habituerez rapidement, vous verrez.’’ La cabine s’arrêta 124 niveaux plus bas et quinze secondes plus tard au Niveau Six, où le petit groupe quitta l’ascenseur pour se retrouver dans une salle de réception d’une propreté immaculée. Ann se rendit au comptoir de réception, où une infirmière en tenue d’hôpital blanche l’accueillit. ‘’Que puis-je faire pour vous, Mademoiselle Shelton?’’ ‘’Nous sommes venus voir comment va le Comte Raymond, ainsi que le moine qui a été emmené ici en même temps.’’ ‘’Le comte vient de sortir de la section d’imagerie médicale et est maintenant avec sa femme et ses filles dans une chambre privée, la 31. Vous pouvez aller le visiter sans problèmes. Quand au moine, il est dans la salle d’opération numéro sept. Vous pouvez le voir sur un des écrans de la salle d’attente.’’ ‘’Merci, mademoiselle.’’

160 Ann traversa ensuite avec les Francs la salle d’attente, s’arrêtant un moment pour regarder l’écran vidéo où on pouvait voir le moine, étendu inconscient sur une table d’opération et entouré d’une équipe chirurgicale occupée à fermer sa longue plaie au ventre. Voyant Gérard faire le signe de croix à cette vue, Ann tenta de le rassurer. ‘’Ce moine est entre bonnes mains, Messire Gérard. Nos médecins peuvent réaliser ce que vous qualifieriez probablement de miracles. Toutefois, tout ce que nous faisons peut s’expliquer de manière logique et scientifique.’’ ‘’Je veux bien vous croire, Dame Shelton, mais tout ceci est tellement fantastique et différent.’’ ‘’Je peux comprendre facilement vos sentiments et ne m’en offusque point. Allons voir le Comte Raymond.’’ Entrant dans un couloir blanc immaculé, le trio arriva bientôt à la chambre 31, où ils trouvèrent Raymond de Toulouse alité, un large bandage autour de la tête et avec sa femme et sa fille assises près de son lit. Raymond sourit à la vue de ses fils et leur fît signe de s’approcher. ‘’Venez, mes fils! Vous n’avez pas à vous en faire pour moi : le médecin n’a rien trouvé de sérieux à ma blessure. Il insiste toutefois pour que je reste ici jusqu’à demain, pour s’assurer que je ne souffre pas d’effets secondaires.’’ ‘’Pourrons nous rester avec vous, Père?’’ Demanda le jeune Aribert. Ann prît sur elle de répondre à cela. ‘’Je vais réserver des chambres pour vous à l’hôtel de la tour. Nous n’avons pas encore commencé à amener nos citoyens qui occuperont cette tour, donc la place ne manque pas en ce moment.’’ ‘’Et quand vos citoyens commenceront-ils à arriver, Dame Shelton?’’ Demanda la Comtesse Berthe. La question rendit Ann pensive. ‘’Réveiller nos citoyens de leur sommeil artificiel est un procédé long et délicat, Comtesse. Nous avons toutefois déjà commencé à réveiller des membres sélectionnés de notre communauté, qui devraient arriver ici demain.’’

161

CHAPITRE 16 – RÉVEIL 10h44 (Heure de Toulouse) Mercredi, 28 Septembre 861 Salle de réveil, Section des cellules cryogéniques Croiseur d’exploration MARCO POLO Orbite basse autour de la Terre Pham Tarang ouvrit lentement les yeux, son corps ressentant encore une lourde lassitude. Une lumière douce aida sa vision à revenir graduellement à la normale. Il vit alors qu’il était étendu sur un lit d’hôpital et était nu sous un drap de lit. Se souvenant de sa famille, qui avait été endormie avec lui sur Alpha du Centaure A-IV, il regarda autour de lui et fût soulagé à la vue de sa femme, Dinh, et de ses deux enfants, Vinka et Duon, également étendus dans des lits. Près d’une quarantaine d’autres personnes occupait des lits dans la grande salle où il se trouvait, tandis qu’une dizaine d’infirmiers et de médecins circulait entre les lit. Une jeune infirmière ne prit que quelques secondes avant de venir aux côtés de Pham et lui parler d’une voix douce. ‘’Ne tentez pas de bouger ou de parler pour le moment, monsieur. Vous venez à peine d’être sorti de votre sommeil cryogénique et avez besoin de vous reposer encore une heure ou deux avant de quitter votre lit.’’ ‘’Où…où suis-je?

Est-ce que les Morgs ont été repoussés d’Alpha du

Centaure?’’ Un regard attristé passa sur le visage de l’infirmière, une Centaurienne comme Pham et sa famille. ‘’Vous êtes sur le croiseur d’exploration MARCO POLO, en orbite autour de la Terre. Alpha du Centaure a été perdue et a probablement été détruite par les Morgs. Seize millions de nos concitoyens, dont vous et votre famille, ont pût être sauvés grâce au MARCO POLO, qui revenait d’une mission de colonisation au moment de l’attaque morg. Maintenant, reposez vous, monsieur. Un officier vous donnera des explications plus détaillées quand vous serez hors de votre lit.’’ L’infirmière le quitta alors pour aller voir un autre patient plus loin. Voyant que sa femme et ses enfants dormaient encore, Pham utilisa les prochaines minutes pour refléter avec tristesse et amertume sur sa situation. À 44 ans, il venait de passer de grossiste en

162 produits alimentaires et commerçant prospère à réfugié démuni de tout, excepté quelques vêtements et effets personnels qu’il avait put garder avec lui au moment d’être mis en hibernation à Kyoto Alpha. La réalisation qu’il ne verrait jamais plus sa planète natale ainsi que la plupart de ses amis et connaissances lui apporta des larmes aux yeux. Après quelques minutes, son chagrin fît place au désespoir, quand il réalisa que la Terre pouvait bientôt subir le même sort qu’Alpha du Centaure et que sa famille périrait alors probablement avec le reste de la race humaine. L’injustice d’un tel sort amena alors de la colère chez l’homme d’âge mûr. Il avait toujours été un pacifiste et un homme tranquille mais, si on voulait bien de lui comme soldat ou membre d’équipage, il serait prêt à se battre pour défendre sa famille et sa race contre ces monstrueux Morgs. Sa femme, Dinh, se réveilla dix minutes plus tard, suivie de près par leur fils de onze ans, Duon, et de leur fille de quinze ans, Vinka. Comme pour Pham, une infirmière alla les voir à leur réveil pour les rassurer et leur dire de se reposer. À la nouvelle de la perte d’Alpha du Centaure, Dinh se mît à sangloter, poussant Pham à lui parler à partir de son lit. ‘’Dinh, nous sommes encore ensembles : tout n’est pas encore perdu.’’ ‘’Tu le crois réellement, Pham?’’ Demanda Dinh, le doute évident dans sa voix. ‘’S’il te plaît, Dinh! Nous devons nous montrer forts, pour nos enfants.’’ Sa femme ne répondit pas, se contentant de hocher la tête d’une manière lasse. Un infirmier vint voir Pham une demi-heure plus tard, pour lui faire exercer avec précaution ses muscles avant de l’aider à s’asseoir sur le bord de son lit. Il lui donna une robe de chambre et des pantoufles et escorta alors Pham jusqu’au lit de sa femme et lui donna une chaise pour s’asseoir entre Dinh et Duon. Une autre demi-heure plus tard, avec sa femme et ses enfants également debout, Pham reçut la visite d’un officier d’âge mûr de l’astronavale. L’officier consulta rapidement un bloc-note électronique dans ses mains avant de serrer la main de Pham. ‘’Monsieur Pham Tarang? Je suis le Commandant Tcherkov, psychologue à bord du MARCO POLO. Si vous voulez bien me suivre avec votre famille, je vais vous informer plus en détail sur votre situation.’’ Pham se mit debout et aida sa femme à se mettre sur ses pieds avant de suivre Tcherkov avec ses deux enfants jusqu’à un petit bureau adjacent à la salle de réveil. Tcherkov leur offrit des sièges avant de regarder gravement la petite famille centaurienne, s’asseyant directement sur le bureau de la pièce.

163 ‘’Monsieur et Madame Tarang, on vous a déjà dit que nous avons perdu Alpha du Centaure et que vous êtes maintenant en orbite autour de la Terre, sur le croiseur MARCO POLO. J’ai peur toutefois que les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là. Le MARCO POLO, ainsi que sa flotte d’escorte, est arrivé dans le Système Solaire il y a un peu plus de quatre jours, pour constater que les effets d’une arme morg inconnue nous ont projetés dans un lointain passé. Nous sommes maintenant au 9ème Siècle, en l’an 861, sans espoir de pouvoir retourner à notre époque originale.’’ Les quatre centauriens s’entreregardèrent avec stupeur avant que Pham ne parle d’une voix hésitante. ‘’Vous…vous êtes sûr de cela?’’ ‘’Certain, Monsieur Tarang. Nous avons envoyé des patrouilles au sol, qui ont confirmé la date actuelle. Nous sommes aujourd’hui le mercredi, 28 septembre 861. Quand à revenir dans le futur, nos scientifiques sont catégoriques : nous sommes coincés à cette époque. Ce désastre a toutefois un bon côté : la menace morg est maintenant plus de 3,000 ans dans le futur et nous sommes donc à l’abri d’autres attaques. Cela va nous permettre de reloger nos seize millions de réfugiés sur la Terre sans crainte des Morgs.’’ ‘’Mais… et les habitants actuels de la Terre, qu’en est-il?’’ Demanda Dinh après avoir avalé cette information. Tcherkov la surprit en souriant gentiment à sa question. ‘’Disons qu’ils sont techniquement et socialement très primitifs par rapport à l’Expansion Humaine. Nous avons toutefois commencé à occuper et aménager des terres encore vierges et avons de plus réussi à lier des contacts amicaux avec au moins un groupe local sur Terre. Vous avez été réveillés en priorité parce que votre mari pourrait jouer un rôle critique dans le succès à court terme de notre installation sur Terre.’’ ‘’Moi?’’ Demanda Pham, totalement surpris. ‘’Mais…je ne suis qu’un simple grossiste en produits alimentaires et un commerçant, pas un urbaniste ou un ingénieur.’’ ‘’Ce qui est la raison pourquoi vous avez été sélectionné pour réveil, monsieur. Nous avons précisément besoin d’une personne expérimentée dans votre domaine. Un de nos plus gros problèmes à court terme sera de trouver ou produire assez de nourriture pour les réfugiés qui vont graduellement sortir d’hibernation. Votre travail, si vous l’acceptez, sera de négocier avec divers commerçants et fournisseurs locaux sur Terre la sélection et l’achat de produits alimentaires en grosses quantités. Votre dossier

164 personnel mentionne que vous avez déjà détenu un permis en tant qu’inspecteur qualifié de produits alimentaires. Est-ce exact, monsieur?’’ ‘’Euh, oui. De fait, mon permis est encore valide : cela me permettait d’inspecter moi-même les produits que je commandais à Kyoto Alpha. Je voyageais souvent autour de la planète et même dans d’autres systèmes pour trouver de nouveaux fournisseurs en produits exotiques.’’ ‘’Parfait!’’

S’exclama Tcherkov, visiblement satisfait.

‘’Vous devriez remplir

parfaitement la position ouverte maintenant à Toulouse.’’ ‘’Toulouse? Où est-ce?’’ ‘’Dans le sud de ce qui deviendrait la France mais qui se nomme présentement la Francie. Nous avons commencé à y aménager un point d’échange, qui compte une tour d’habitation maintenant en place. Acceptez vous la position à Toulouse, Monsieur Tarang?’’ Pham échangea un regard avec sa femme et ses enfants avant de répondre. ‘’Si l’on juge que je peux y être utile, je l’accepte, Commandant.

Quand

partirions nous pour Toulouse, moi et ma famille?’’ ‘’Dans environ trois heures, monsieur, le temps de rassembler d’autres familles prêtes à s’installer à Toulouse et y travailler. Cela vous donnera le temps à vous quatre de passer une session d’assimilation au mnémotron, pour apprendre une couple de langues locales. Vous serez informés en détail sur votre travail et les conditions de vie locales une fois à Toulouse. Si vous voulez aller récupérer vos affaires personnelles et vous changer, je vais entre-temps donner des instructions spécifiques à un membre d’équipage qui vous guidera au laboratoire mnémotronique du bord et s’assurera que vous recevrez toute l’aide disponible avant votre départ pour Toulouse.’’ Tcherkov se leva ensuite, imité par Pham et sa famille, et leur serra la main à tour de rôle. ‘’Bonne chance dans vos nouvelles vies.’’ ‘’Merci, Commandant.’’ Répondit Pham avant de sortir du bureau avec sa famille et de retourner à son lit, sous lequel se trouvait le sac de voyage qui contenait ses affaires, ainsi qu’un large sac en plastique transparent contenant les vêtements qu’il portait avait de prendre place dans sa cellule cryogénique. Les quatre membres de la famille Tarang se changèrent ensuite dans des alvéoles prévues à cet effet. Maintenant vêtus proprement et transportant tout ce qu’ils possédaient maintenant dans ce monde,

165 les Tarang s’entreregardèrent comme une jeune membre d’équipage se dirigeait vers eux. ‘’Avec un peu de chance, nous pourrons avoir une vie décente.’’ Dit d’une voix étranglée Pham, causant sa femme et ses enfants à se joindre à lui dans une accolade intime. ‘’Nous sommes tous ensembles, Pham.

C’est ce qui est le plus important.’’

Répondit sa femme.

14h18 (Heure de Toulouse) Aire d’atterrissage ‘B’, Tour Toulousaine Enclave de l’Expansion Humaine Toulouse, Royaume de Francie Les Tarang, accompagnés d’une soixantaine d’autres passagers, sortirent de la navette pour passagers par sa rampe arrière, prenant pied sur la surface de l’aire d’atterrissage située sur le sommet de la Tour Toulousaine et regardant autour d’eux. Une belle femme centaurienne s’avança immédiatement vers le groupe avant de s’adresser à eux. ‘’Bienvenus à la Tour Toulousaine!

Mon nom est Vyyn Drelan et je suis

l’Administratrice adjointe de notre enclave de Toulouse. Je vais faire mon maximum pour vous aider à vous établir ici et vous rendre la vie le plus agréable possible. Si vous voulez me suivre à l’intérieur, je vais maintenant vous conduire à vos appartements respectifs.’’ Les passagers de la navette la suivirent vers une structure basse au centre de la plateforme et empruntèrent avec elle un élévateur cargo qui descendit de plusieurs niveaux avant de s’arrêter. Les 68 personnes se retrouvèrent dans un petit foyer communiquant avec un large corridor formant une boucle le long de la surface de leur niveau. Empruntant le corridor vers la droite, Vyyn Drelan s’arrêta après cinquante mètres devant une des portes donnant sur le corridor et fît face au groupe d’arrivants tout en consultant un bloc-note électronique. ‘’Nous sommes maintenant devant l’appartement 17, niveau 102.

Je

demanderais à la famille de Monsieur Xam Brenthal de prendre possession de l’appartement 17. Prenez le temps de ranger vos choses et retournez ensuite au foyer

166 de l’ascenseur qui nous a amené à ce niveau, où nous reformerons votre groupe avant de vous conduire à une séance d’information générale.’’ Une fois les Brenthal dans leur nouvel appartement, Vyyn Drelan avança à la prochaine porte et appela le nom de ses occupants. Elle répéta cette procédure jusqu’à ce que tous les nouveaux arrivants aient été placés avant de retourner vers l’appartement 25, maintenant occupé par les Tarang. Elle cogna à la porte et attendit que Pham Tarang l’ouvrit. ‘’Monsieur Tarang, puis-je vous parler une minute?’’ ‘’Euh, certainement, Mademoiselle Drelan. Nous n’avions pas grand chose à mettre de côté de toute façon. Entrez!’’ Passant le court vestibule de l’appartement et entrant dans le salon, Vyyn vît les deux adolescents de la famille regarder par les larges fenêtres la ville de Toulouse et ses environs, tandis que la femme de Pham Tarang finissait d’inspecter la cuisinette de leur appartement.

Vyyn prît place dans une chaise face à un sofa que Pham et Dinh

occupèrent. Vinka s’assit également pour écouter la conversation, tandis que le jeune Duon restait devant les fenêtres pour contempler le paysage. Vyyn choisit ses mots avant de parler d’un ton calme. ‘’Monsieur Tarang, trouver des sources suffisantes de nourriture pour nos gens est présentement notre plus haute priorité.

Nos réserves d’aliments et de rations

d’urgence seront rapidement épuisées dès que nous commencerons à réveiller en nombres significatifs nos seize millions de citoyens présentement en hibernation. D’un autre côté, nous avons à bord du MARCO POLO un million de jeunes mères, bébés et enfants en bas âge entassés dans les quartiers auxiliaires du vaisseau dans des conditions éprouvantes. Réveiller les autres membres de leurs familles pour les réunir impliquerait toutefois de devoir trouver des logements, de la nourriture et autres objets de première nécessité pour près de trois millions de personnes. Nous n’avons tout simplement pas les ressources nécessaires pour cela en ce moment. Plus que tout, nous avons besoin de sources additionnelles de nourriture. Moi et l’administratrice de l’enclave de Toulouse comptons énormément sur votre expérience et vos qualifications pour trouver ces sources additionnelles au plus tôt. D’un autre côté, cela signifierais que vous commenceriez à travailler immédiatement, beaucoup plus tôt que la plupart des autres réfugiés.

Toutefois, vous seriez parfaitement en droit de demander un délai

raisonnable dans le but d’aider votre famille à surmonter le choc des derniers

167 événements. Je vous demande maintenant si vous seriez prêt à accepter de travailler dès ce soir.’’ Pham échangea un long regard avec Dinh avant de refaire face à Vyyn Drelan. ‘’Mademoiselle, si je peux aider à éviter une famine au sein de mes concitoyens, je ne peux qu’accepter votre demande. Nous avons déjà trop perdu sans devoir en plus laisser la misère affliger les nôtres par simple paresse ou égoïsme. Quand pourrais-je commencer exactement?’’ ‘’Après le souper ce soir à la cafétéria.

Merci beaucoup d’avoir accepté,

Monsieur Tarang.’’ ‘’Mademoiselle,’’ dit soudain Dinh avant que Vyyn se lève de sa chaise, ‘’je travaillais comme administratrice de rang senior dans l’administration locale de Kyoto Alpha. Je suis prête à aider également une fois que je saurais que des arrangements sont en place pour permettre à nos enfants de retourner aux études, ce qui me libérerait pour les heures normales de travail.’’ Vyyn sourit à la dame d’âge mûr, encouragée par son esprit de civisme. ‘’Nous pouvons définitivement utiliser vos compétences, Madame Tarang. Les écoles de la tour devraient être capables d’ouvrir d’ici une semaine environ. Si vous voulez bien me suivre tous les quatre, nous allons maintenant rejoindre le reste de votre groupe.’’ Vyyn et les Tarang quittèrent l’appartement pour se rendre au foyer donnant sur les ascenseurs de l’axe central de la tour, y rejoignant le reste des nouveaux arrivants. Reprenant place dans l’ascenseur cargo, le groupe remonta au niveau de la coupole panoramique.

Vyyn guida ensuite son groupe vers un des clubs de danse,

communément appelés ‘musicothèques’ dans l’Expansion Humaine. Ils y trouvèrent Ann Shelton et un autre groupe de citoyens de l’Expansion arrivés plus tôt cet aprèsmidi. Faisant asseoir son groupe face à Ann, Vyyn rejoignit cette dernière, qui se tenait debout près d’un écran holographique mural normalement utilisé pour fournir des images d’accompagnement à la musique jouée dans la musicothèque. Une fois tous les nouveaux arrivants assis, Ann Shelton leur décocha un sourire de bienvenue et commença sa présentation d’une voix claire. ‘’Bienvenus à tous à notre enclave de Toulouse. Mon nom est Ann Shelton, Docteur en histoire et sociologie et Administratrice en chef de l’enclave de Toulouse. Cette tour où nous sommes, ainsi que les installations autour, ont commencé d’être

168 construites il y a à peine quatre jours et il nous faudra encore plusieurs jours avant de compléter les travaux de base dans l’enclave, pour ensuite mettre la main à la finition des parterres et jardins. Vous êtes notre premier groupe important d’occupants civils de cette tour et vous serez donc cruciaux pour l’ouverture de la plupart des services de base de l’enclave, dont les services d’éducation, d’alimentation, d’administration et de divertissements, sans parler du secteur des boutiques et du marché public extérieur. En tant que groupe précurseur, chacun de vous a été choisi à cause de vos différentes spécialités et expériences personnelles, qui nous aiderons à démarrer pleinement les activités de l’enclave avant l’arrivée du gros des futurs occupants de la tour. Maintenant, concernant notre situation actuelle.’’ Une ombre de chagrin passa sur le visage d’Ann, qui hésita un court moment avant de continuer. ‘’Comme vous le savez trop bien maintenant, nous avons perdu le système d’Alpha du Centaure, avec presque tous ses habitants excepté seize millions de Centauriens, qui sont en sommeil cryogénique à bord du MARCO POLO. Nous avons également perdu dans la bataille pour Alpha du Centaure des centaines de navires, ainsi que des dizaines de milliers d’hommes et de femmes de l’Astronavale. Le MARCO POLO et sa flottille d’escorte s’est ensuite rendu dans le Système Solaire, qui constituait après cela un des derniers bastions de l’Expansion Humaine.

Toutefois, après les

pertes énormes que nous avons subis dans Alpha du Centaure, notre espoir de pouvoir tenir le Système Solaire contre les Morgs était faible, et nous étions prêts à aller encore plus loin, pour nous réfugier éventuellement dans notre nouvelle colonie sur Mirphak III. Maintenant que nous savons que nous avons été projetés dans le lointain passé par une arme morg inconnue et que nous ne pouvons pas revenir au 41ème Siècle, le Commodore Henry Ferguson, commandant du MARCO POLO, a décidé que nous allions nous établir sur la Terre du Neuvième Siècle. D’un côté, nous n’avons plus à craindre la venue des Morgs, du moins pas pour les prochains 3,000 ans. D’un autre côté, la Terre d’aujourd’hui est un monde violent, brutal, souvent cruel et certainement primitif à tous les égards en comparaison à l’Expansion Humaine. Vous devrez vous adapter à ce nouveau monde et faire tous preuve d’extrême prudence quand en dehors de notre enclave. Le Comte Raymond de Toulouse, qui représente le Roi Charles le Chauve de Francie et est l’autorité locale pour le comté environnant, a toutefois prouvé être un homme intelligent et compréhensif et a accepté de nous aider, notamment en nous faisant don des îles sur lesquelles notre enclave est construite. En échange, nous

169 sommes résolus à porter assistance aux gens du comté de Toulouse, en fournissant notamment de l’aide médicale et humanitaire. Avant de pouvoir faire cela, nous devons toutefois mettre sur pied les pleins services de l’enclave, ce qui sera votre rôle. Maintenant que nous sommes coupés définitivement du reste de l’Expansion Humaine, le Commodore Ferguson a décidé que notre flottille et nos seize millions de réfugiés reconstruiront une nouvelle société sur Terre, société qui aura sa propre monnaie et son propre gouvernement, mais qui continueras d’obéir aux lois et principes fondamentaux de l’Expansion Humaine. Nous pourrions facilement conquérir la Terre entière avec nos navires, mais le Commodore Ferguson a décidé, suivant mes conseils et ceux de mon amie Vyyn Drelan, d’interférer au minimum avec les divers gouvernements actuels de la Terre.’’ Ann activa alors l’écran holographique à ses côtés, faisant apparaître une carte mondiale. Utilisant un pointeur laser, elle désigna l’Australie et la Nouvelle-Zélande. ‘’Le gros de nos réfugiés commencera à être relogé sur des territoires vierges encore inoccupés par des humains, notamment en Australie et plus particulièrement en Nouvelle-Zélande.

Nous avons également négocié une entente de cohabitation

pacifique avec les habitants primitifs des Îles Canaries, au large de la côte de l’Afrique, dans l’Atlantique, ainsi que dans les Açores. Ces terres nous donnerons amplement d’espace habitable pour reloger tous nos citoyens survivants, une fois que nous aurons construit les infrastructures nécessaires.

Notre enclave de Toulouse, qui abritera

éventuellement environ 32,000 de nos concitoyens, servira principalement comme avant-poste commercial et point d’échange de marchandises avec les peuples du reste de l’Europe.

Notre rôle sera crucial pour tous nos citoyens, car nous serons

responsables de procurer la plupart des produits alimentaires frais et des produits bruts dont notre nouvelle société aura besoin. Nous achèterons ou échangerons ces produits avec des objets manufacturés ou avec de l’argent sonnant. Ce qui m’amène à notre situation financière.’’ Ann saisit et montra à la foule de près de 200 personnes une pièce de monnaie reluisante. ‘’Ceci est à partir de maintenant notre monnaie commune, le Crédit d’argent. Il a été produit pour conformer avec le taux d’argent officiel du Denier franc, qui est la monnaie courante utilisée à Toulouse et dans le reste de la Francie. Le Crédit d’argent et le Denier ont donc un cours légal similaire, du moins dans le comté de Toulouse. Le Crédit sera produit en pièces d’argent de un, cinq, dix et cinquante crédits, ainsi qu’en

170 pièces d’or de cent, 500 et mille crédits. Des pièces en cuivre seront utilisées pour les valeurs de un, cinq, dix et cinquante centimes. Nos équipes volantes d’extraction ont commencé à exploiter plusieurs gros astéroïdes dans le système et nous avons maintenant accès à d’importantes quantités d’argent, d’or et de cuivre, qui nous servirons à établir notre base monétaire. La monnaie de papier auquel nous étions habitués ne sera pas utilisée ici, car elle ne serait pas acceptée dans la plupart des pays du monde. Toutefois, le crédit électronique aura toujours cours à l’intérieur de nos installations.

Les services sociaux et de base que vous étiez habitués à recevoir

gratuitement, tels que l’alimentation, le logement, l’éducation et les services médicaux, continuerons d’être fournis gratuitement aux citoyens de l’Expansion tels que vous. De plus, et au vu du fait que la plupart d’entre vous ont tout perdu, chaque citoyen recevra à son réveil une somme de départ en crédits d’argent pour l’aider à s’établir dans sa nouvelle vie. Chaque adulte recevra une somme de départ de mille crédits et chaque enfant en bas de 18 ans recevra une somme de cent crédits, versés à ses parents. Ceci peut vous sembler bien peu en comparaison de ce que vous receviez en salaires ou profits à Alpha du Centaure, mais sachez que mille deniers représentent une fortune pour le citoyen moyen de Toulouse. À titre de comparaison, dites vous qu’un travailleur manuel de Toulouse peut espérer un salaire de deux ou trois deniers par jour, s’il est chanceux.

Toutefois, notre économie prendra du temps à se stabiliser.

Je vous

conseille donc d’utiliser votre argent avec parcimonie pour les prochains mois, tant que tous nos citoyens n’auront pas été réveillés et relogés. En tant qu’administratrice en chef de l’enclave, je ferais tout ce qui est possible pour vous aider à vous installer et vous adapter à votre nouveau milieu.’’ Ann fît une pause pour boire un peu d’eau avant de faire apparaître une série d’images qui fît s’exclamer d’horreur les gens dans la salle. ‘’Ceci est ce qui restait d’un village franc juste après le passage d’une troupe de pillards nordique appelés ‘Vikings’. Nos navires et soldats ont depuis massacré ces Vikings, ce qui a motivé le Comte Raymond de Toulouse à nous octroyer les îles que nous occupons maintenant sur la Garonne.

Je tiens à ce que vous compreniez

clairement que vous ne pouvez pas vous comporter ici comme dans vos vies passées sur Alpha du Centaure. Bien que la plupart des habitants de Toulouse soient des gens foncièrement bons, les manières sont rudes et la vie précaire à l’époque actuelle. Le peuple est en général ignorant, illettré et facilement influencé par la moindre rumeur. L’église chrétienne locale nous tient déjà pour des démons ou des sorciers et a tenté

171 juste ce matin d’inciter le peuple de Toulouse contre nous. Le Comte Raymond de Toulouse, un homme d’honneur et tolérant, s’est alors interposé mais a été légèrement blessé dans l’échauffourée qui a suivit, avant que ses soldats ramènent les religieux à l’ordre. Tout ceci est pour répéter mon mot d’avertissement concernant toute sortie en dehors de notre enclave.

Vous êtes libres et même bienvenus de circuler dans

Toulouse mais évitez d’y aller seul et restez vigilants contre les voleurs et les videpoches. Nos soldats vont bientôt commencer à patrouiller la ville de Toulouse avec les soldats du Comte Raymond, pour les aider à lutter contre la violence et les crimes divers, mais évitez pour le moment les quartiers mal famés, surtout la nuit.’’ ‘’Et comment pourrons nous savoir quels quartiers sont à éviter, Docteur Shelton?’’

Demanda une femme dans l’assistance, attirant un sourire sarcastique

d’Ann. ‘’Facilement, madame : si les regards que l’on vous jette vous font peur, vous êtes dans le mauvais quartier. L’hygiène publique est également une chose encore inconnue à Toulouse et en Francie et vous risquez de trouver les rues de Toulouse nauséabondes et littéralement couvertes de déchets et de matières fécales. Tant que nous n’auront pas installé un système d’égouts moderne dans Toulouse, les Toulousains continueront d’utiliser des pots de chambre pour se soulager, pots qu’ils vident alors par leurs fenêtres, souvent sans regarder.’’ Vyyn se retint alors pour ne pas pouffer de rire à la vue des expressions que la remarque d’Ann attira dans l’assistance. Vinka Tarang leva alors une main pour poser une question. ‘’Et nous, les filles? À quoi pouvons nous nous attendre en ville?’’ Le sourire d’Ann fît alors place à une expression sérieuse. ‘’Comprenez une chose sur la société humaine actuelle : les femmes sont en général considérées comme citoyennes de deuxième classe et soumises à l’autorité des hommes.

Une femme ou fille se promenant en tenue jugée légère ou provocante

s’attirera probablement des regards ou même des gestes malsains, spécialement si elle se promène seule. Dans votre cas, mademoiselle, le mieux pour vous serait de vous promener en groupe, ou au minimum avec un homme ou un adolescent, et de porter des tenues amples couvrant pleinement les jambes et le torse. Si vous utilisez une bicyclette dans vos déplacements, assurez vous de mettre en place une chaîne avec cadenas quand vous la stationnez.’’

172 Vinka hocha la tête, intimidée par la réponse franche d’Ann. Elle comptait justement sortir en ville à bicyclette le lendemain, ce moyen de transport étant très populaire pour les courtes distances dans l’Expansion Humaine à cause de sa nature non-polluante et de l’exercice physique qu’il procurait. Ann Shelton jeta un regard autour de l’assistance. ‘’Y a t’il d’autres questions? Sinon, je vais maintenant distribuer des brochures d’information qui vous fourniront plus de détails sur la société humaine actuelle, les environs de Toulouse et les facilités disponibles dans notre enclave. Monsieur Poissant, notre comptable, vous distribuera alors les fonds de départ auxquels vous avez droit. Nous nous réunirons ensuite de nouveau ici demain matin, à neuf heures, pour une assignation détaillée de vos postes et emplois respectifs.

Entre-temps, des

documentaires seront diffusés continuellement sur notre canal d’infovision local, le Canal Deux, pour vous aider à apprendre sur votre nouvel environnement. Également, les repas seront servis à la cafétéria principale, un niveau en dessous de cette salle. Merci de votre attention, mesdames et messieurs.’’ Ann, aidée par Vyyn Drelan, prît alors quelques minutes pour distribuer une série de brochures produites spécialement pour les nouveaux arrivants à Toulouse et laissa ensuite Jean Poissant et deux secrétaires distribuer l’argent dû aux arrivants. Dès que les Tarang eurent touché leurs allocations de départ, Ann s’approcha avec Vyyn de Pham Tarang et échangea une poignée de main avec lui. ‘’Monsieur Tarang, je suis contente de pouvoir faire votre connaissance.’’ ‘’Moi de même, Docteur Shelton.’’ Répliqua poliment Pham avant de présenter rapidement les membres de sa famille. Une fois cela fait, Ann demanda à Pham si elle pouvait lui parler en privé, ce qu’il accepta. S’excusant avec sa famille, Pham suivit ensuite Ann et Vyyn jusqu’aux bureaux administratifs de la tour, situés au niveau 141. Introduisant Pham dans son bureau, Ann l’invita à s’asseoir en face d’elle, avec Vyyn à sa droite, avant de s’asseoir derrière son bureau de travail et de fixer le marchand avec sérieux. ‘’Monsieur Tarang, vous ne savez pas à quel point votre rôle risque d’être critique pour nous tous durant les prochains mois.’’ ‘’S’il vous plaît, Docteur Shelton,’’ protesta poliment Pham, ‘’je ne me sens pas si exceptionnel que cela : je ne suis après tout qu’un grossiste en produits alimentaires, un métier qui est loin d’être prestigieux.’’

173 ‘’Peut-être, Monsieur Tarang, mais vous pourriez bien faire la différence entre l’aisance et la famine pour notre société. Même sans réveiller tous nos seize millions de réfugiés, nous serons obligés de réveiller bientôt les membres des familles des mères et bébés vivants à bord du MARCO POLO, ce qui représente un total de presque trois millions de personnes. Nous devons donc trouver des sources fiables et durables de nourriture fraîche pour ce nombre de personnes dans les prochaines semaines.’’ Pham baissa la tête, intimidé par une telle responsabilité et par la triste réalité qu’elle reflétait. ‘’J’ai vu durant votre exposé qu’il y avait une large majorité de familles avec bébés ou très jeunes enfants dans l’assistance.

Je suppose que vous avez déjà

commencé à réveiller les familles en question?’’ ‘’Un partie du moins. Le MARCO POLO, avant de quitter Kyoto Alpha, a pu embarquer assez de modules préfabriqués, d’équipements et de fournitures pour établir rapidement des centres urbains et industriels pouvant accommoder presque 600,000 personnes. Ces centres sont présentement en cours de construction en Australie et en Nouvelle-Zélande et seront bientôt achevés, ce qui nous permettra de soulager de beaucoup l’encombrement actuel à bord du MARCO POLO. Il restera toutefois à nourrir ces personnes, ce qui m’amène à votre rôle exact ici à Toulouse. Je suis une experte en histoire de l’Antiquité et du Moyen-âge et possède beaucoup d’information de base sur les réseaux de commerce et de transport de cette époque. Toutefois, je ne suis pas une commerçante, loin de là, et me ferais probablement avoir dans toute discussion d’affaire avec un gros marchand local. Je ne suis pas non plus experte en contrôle de qualité des aliments, une spécialité qui est malheureusement très peu représentée au travers de notre population de réfugiés.’’ Pham ne pût s’empêcher de la regarder avec incrédulité à ces dernières paroles. ‘’Vous n’allez pas me dire que, au travers de seize millions de réfugiés en hibernation, j’étais le seul grossiste en alimentation?’’ Ann eut un sourire d’embarras avant de répondre. ‘’Presque! Il n’y a de fait que trois autres personnes aussi qualifiées que vous dans le domaine alimentaire et commercial au travers de nos réfugiés. Comprenez que, quand les cellules cryogéniques en place dans les abris de Kyoto Alpha ont commencé à être transférées à bord du MARCO POLO, il n’y avait pas de temps pour faire un choix sélectif des passagers. De plus, la plupart des cellules sont venues de Kyoto Alpha même, avec seulement une minorité venant des communautés environnantes.

Le

174 résultat est que notre population de réfugiés compte beaucoup d’administrateurs, de techniciens, de scientistes et de spécialistes des industries de service, mais peu de gens qualifiés dans la production et la distribution des aliments. Même dans ce groupe, la plupart des personnes maintenant sur le MARCO POLO sont des travailleurs de bas niveaux. Que vous le vouliez ou non, Monsieur Tarang, vous êtes maintenant une perle rare.’’ Pham ricana brièvement à ces mots. ‘’C’est bien la première fois que l’on me qualifie ainsi, mademoiselle.

Mes

concurrents et mes fournisseurs me qualifiaient plutôt d’homme difficile à satisfaire et de machine à calculer. Au moins, personne ne m’a jamais accusé d’être malhonnête.’’ ‘’Tous des points qui nous seront utiles, monsieur.’’ Répliqua Ann. ‘’Votre travail ici sera d’autant plus exigeant au vu des conditions d’hygiène abominables qui règnent à cette époque. Vous aurez beaucoup de décisions difficiles à prendre et de choix à faire concernant quelles sources d’aliments nous pourrons utiliser. Vous aurez également à évaluer et donner des conseils sur les mesures de désinfection à prendre pour rendre ces produits sécuritaires pour notre consommation.’’ Pham hocha gravement la tête, son visage empreint de sérieux. ‘’Je réalise pleinement les responsabilités d’un tel poste, mademoiselle. Je suis toutefois prêt à l’assumer à l’instant. Avant de pouvoir commencer effectivement mon travail, j’aurais besoin d’avoir accès aux informations que vous avez sur cette époque en général et sur les réseaux commerciaux et de transport en particulier.

J’aurais

également besoin de savoir ce que notre flotte a apporté avec elle, pour pouvoir juger quels produits seront nécessités de la manière la plus urgente. J’ai déjà des idées à ce sujet mais j’aimerais quand même confirmer nos besoins prioritaires. Pour travailler, j’aurais également besoin d’un ordinateur, préférablement portable, et d’un bureau.’’ Ann sourit et poussa une mallette posée sur son bureau vers Pham. ‘’Pour ce qui est de l’ordinateur, le voici. C’est le modèle le plus performant disponible dans l’Expansion Humaine et il a déjà été programmé avec toutes les données historiques qui pourraient vous être utiles.

J’ai personnellement organisé

l’information qu’il contient et aie ajouté une courte évaluation concernant nos meilleures possibilités en tant que sources de nourritures. Quand à votre bureau, il est juste à côté, à gauche en entrant dans mon bureau. Monsieur Tarang, je dois vous avertir en toute honnêteté que votre travail risque d’être dangereux.

Vous et Vyyn devrez visiter

plusieurs villes différentes sur la Terre pendant vos recherches. Nous ne sommes pas

175 encore connus en dehors de Toulouse et les gens de l’époque actuelle sont en général méfiants envers les étrangers. Il se peut donc fortement que certains réagissent à vous avec hostilité.

Vous serez toutefois escortés par des commandos pendant vos

voyages.’’ ‘’Dans ce cas, je n’aie pas grand chose à craindre, Docteur Shelton.’’ Répliqua avec un sourire Pham. ‘’Si une belle jeune femme comme Mademoiselle Drelan peut se risquer dans ces conditions, pourquoi pas un homme bien ordinaire comme moi?’’ Vyyn sourit à ce compliment : Pham Taran, bien que visiblement dans la quarantaine, était un homme en apparente bonne forme physique et était d’une constitution robuste, mesurant facilement 180 centimètres, une taille moyenne pour un homme d’Alpha du Centaure.

Il portait ses cheveux blonds coupés court et ses yeux gris pétillaient

d’intelligence. S’il n’aurait pas été marié, il aurait fait un compagnon intéressant, pensa Vyyn. Ann sourit également avant de continuer. ‘’Merci de votre confiance, Monsieur Tarang. Votre salaire mensuel sera de 5,000 crédits, le taux standard pour un administrateur de niveau intermédiaire. Quand pensez vous pouvoir me présenter vos premières recommandations?’’ ‘’Après avoir pu étudier vos informations historiques. Cela devrait me prendre environ une journée ou deux, dépendant de la quantité d’information à analyser.’’ ‘’Parfait! Venez me voir dès que vous serez prêt. Vyyn Drelan vous aideras dans la mesure du possible. De fait, vous travaillerez avec elle pour ce projet.’’ Ann se leva alors pour serrer la main de Pham. ‘’Bonne chance dans votre travail, Monsieur Tarang. J’espère que votre famille aimera sa nouvelle vie ici.’’ ‘’Nous vivrons avec ce que nous aurons.’’ Répondit philosophiquement Pham tout en serrant la main d’Ann. ‘’À demain, Docteur Shelton.’’ Ann regarda Pham partir avec la mallette contenant l’ordinateur portable avant de sourire à Vyyn. ‘’Il semble un homme compétent.’’ ‘’Du moins, il est agréable.’’ Répliqua Vyyn avec un sourire. ‘’C’est un début. J’en saurais plus sur lui après ses premiers marchandages avec un commerçant local.’’

09h51 (Heure de Toulouse) Jeudi, 29 septembre 861 Halle aux poissons, Toulouse

176

Vinka commençait à sérieusement regretter d’avoir insisté pour accompagner son père durant une visite dans la ville de Toulouse. À part la saleté repoussante et la puanteur des rues, recouvertes d’immondices, les points d’intérêt visés par son père avaient définitivement un relent pour le moins désagréable. La première place visitée par Pham, le marché aux fruits et légumes près de la porte du Château Narbonnais, avait actuellement été supportable. Les choses s’étaient toutefois gâtées à partir de la deuxième location visitée, la Rue des Bouchers, où les bouchers toulousains travaillaient en plein air devant leurs échoppes, jetant directement dans la rue leurs déchets de viandes. Vinka, ainsi que sa mère Dinh et son jeune frère Duon, avait presque vomi durant l’inspection des étals de bouchers par Pham, qui s’était contenté de regarder et poser quelques questions aux artisans locaux avant de continuer son chemin. Comme Vinka pensait avoir vu et senti le pire, leur groupe était arrivé au Halle aux poissons. Les premiers relents apportés par la brise légère avaient alors suffi à rendre verts la petite famille. D’un commun accord, Pham décida d’entrer seul dans la petite place du Halle, tandis que sa famille attendait devant l’Auberge de la Pomme, en amont du vent. Ce qu’il vit dans le Halle fît presque peur à Pham, qui n’aurait jamais pu imaginer avant ce matin rencontrer de telles conditions sanitaires dans sa vie. Comme dans la Rue des Bouchers, les artisans travaillaient en plein air et étalaient leurs produits au soleil, tandis que les nombreux chats et chiens circulants au travers du Halle aux poissons se disputaient les entrailles et autres déchets de poissons jetés directement sur le sol du Halle. Positivement horrifié par cette visite, Pham rejoignit sa famille après seulement quelques minutes.

Dinh le regarda avec incompréhension

quand elle vît les trois morceaux de poissons qu’il avait achetés et scellés individuellement dans des sacs de plastique. ‘’Pham, tu n’espère quand même pas que nous allons manger ce poisson?’’ Son mari secoua la tête vigoureusement à cette question. ‘’Je ne suis pas aussi fou, Dinh! Je voulais simplement obtenir des échantillons pour pouvoir les faire analyser par un technicien de laboratoire. Je crois toutefois que mon opinion est déjà faite : nous devrons attraper et traiter nous mêmes nos viandes et poissons si nous ne voulons pas souffrir d’intoxications collectives.’’ ‘’Une sage décision, mon cher. Décidément, la vie à cette époque risque d’être, euh, intéressante. Penses tu visiter un autre marché dans la ville après ceci?’’

177 ‘’Actuellement, oui. On m’a parlé d’un marché où on vend de l’huile végétale. J’aimerais y acheter des échantillons pour les faire analyser. Avec de la chance, nous pourrions utiliser directement les huiles locales avec le minimum de traitement.’’ ‘’Va pour le marché des huiles!’’ Dit d’un ton résigné Dinh. La famille rembarqua sur leurs bicyclettes, actuellement deux vélos de montagne pour Vinka et Duon et un tricycle biplace avec panier de transport pour Pham et Dinh.

Les échantillons de

poissons rejoignirent dans le panier les échantillons de viande et de céréales et les quelques fruits et légumes frais achetés précédemment. Les Tarang pédalèrent ensuite vers le marché des huiles, observés par les Toulousains curieux intrigués par leurs vélos. La visite du marché des huiles donna actuellement un bon espoir à Pham de pouvoir acheter localement un produit sécuritaire : l’huile d’olive qu’il examina sur place ne semblait contenir aucunes particules en suspension et la couleur et la viscosité correspondaient aux normes acceptées dans l’Expansion Humaine. Après avoir discuté avec quelques marchands et acheté des échantillons, Pham guida sa petite famille vers la partie ouest de la ville, près de la rive droite de la Garonne : il tenait à au moins allier quelques points d’intérêt touristique à ses visites d’affaires, pour faire plaisir à sa famille. Consultant fréquemment son unité portable de navigation pour ne pas se perdre dans le dédale de ruelles étroites de la ville, Pham aboutit après quelques 600 mètres de pédalage à la grande Place de la Daurade, qui avoisinait la Basilique Sainte-Marie de Toulouse, connue dans le futur comme la Basilique de la Daurade. La place, comme les rues de Toulouse, était encombrée d’un trafic dense de piétons et de charrettes de toutes sortes, en plus d’être couverte par la couche d’immondices commune au reste de la ville. Seules les marches menant à l’entrée de la basilique semblaient être propres. Comme Pham et sa famille longeaient la façade principale de la basilique, admirant son architecture romane, ils remarquèrent un attroupement qui commençait à se former au milieu de la place. Intrigué, Pham guida sa famille dans cette direction mais dû s’arrêter à quelques trente mètres de la basse plate-forme en bois qui semblait être le centre d’attention de la foule qui se pressait autour.

La raison de l’attroupement devint

évidente aux Tarang quand quatre soldats locaux traînèrent de force un homme portant une robe brune en tissus grossier sur la plate-forme et lui mirent la tête et les mains dans une sorte de collier en bois massif tenu par une poutre. Une sorte d’officiel local portant une livrée colorée déroula alors un parchemin et se mit à le lire à haute voix.

178 ‘’OYEZ, OYEZ, CITOYENS DE TOULOUSE! CE MATIN, NOTRE BIEN-AIMÉ COMTE RAYMOND A PASSÉ JUGEMENT SUR UN PRÊTRE RÉNÉGAT QUI L’A ATTAQUÉ HIER À COUP DE PIERRES TOUT EN ENCOURAGEANT D’AUTRES À EN FAIRE DE MÊME.

LE DIT PRÊTRE, PÈRE THOMAS, L’A MÊME BLESSÉ

LÉGÈREMENT À LA TÊTE À CETTE OCCASION AVANT D’ÊTRE ARRÊTÉ. UNE TELLE

OFFENSE

CONTRE

LE

REPRÉSENTANT

OFFICIEL

DU

ROI

EST

NORMALLEMENT PUNISSABLE PAR CINQUANTE COUPS DE FOUET OU MÊME PAR LA MORT. TOUTEFOIS, DANS SA GRANDE CLÉMENCE ET AU VU DE LA QUALITÉ D’HOMME D’ÉGLISE DE L’ACCUSÉ, LE COMTE RAYMOND A DÉCIDÉ D’APPLIQUER LA SENTENCE LA PLUS FAIBLE DISPONIBLE SELON LA LOI. EN CONSÉQUENS, LE DIT PÈRE THOMAS RECEVRA DIX COUPS DE BÂTON ET PASSERA LE RESTE DE LA JOURNÉE AU PILORI AVANT D’ÊTRE EXILÉ DU COMTÉ DE TOULOUSE POUR TOUJOURS. GARDES, APPLIQUEZ LA SENTENCE!’’ Un des soldats saisit alors un long bâton et administra dix coups vigoureux sur le dos du Père Thomas, qui portait encore sa robe, pendant que la foule s’exclamait et se moquait de l’accusé. Voyant Vinka prête à crier son désaccord et son dégoût, Pham se dépêcha de lui saisir le bras et de lui faire signe de rester silencieuse tout en lui parlant en Nouvel Anglais. ‘’Garde tes paroles pour toi, Vinka! Nos lois ne s’appliquent pas ici en ville, seulement dans notre enclave. Le Comte Raymond aurait réellement été dans son plein droit de prononcer une sentence beaucoup plus sévère.’’ ‘’Mais, Père, ce châtiment est barbare.’’ ‘’Pas plus que le monde dans lequel nous vivons maintenant, Vinka. Pense plutôt à ce que les supérieurs de ce prêtre nous auraient fait à nous tous, incluant toi, s’ils pourraient se saisir de nous. Nous aurions probablement été torturés avant d’être tués, probablement en étant brûlés vifs sur un bûcher pour sorcellerie. Il faut regarder les deux côtés de la médaille dans tout cela, Vinka. Allons nous en discrètement.’’ Comme les Tarang faisaient demi-tour avec leurs vélos, une vieille femme édentée portant une robe crasseuse s’adressa en Occitan à Pham avec un sourire. ‘’Eh, messire, vous ne regardez pas le spectacle?’’ ‘’Euh, non, madame. Mes enfants sont trop jeunes pour cela.’’ ‘’Il faudra bien qu’ils s’y habituent bientôt, messire.’’ Répliqua la mégère avant de s’esclaffer de rire. Pham ne répondit pas à cela et continua de guider sa famille vers une sortie de la place menant vers l’enclave de l’Expansion. Il laissa sortir un soupir de

179 soulagement un fois hors de la place et regarda sa famille, qui arborait des expressions choquées. ‘’J’ai peur que cette vieille femme n’avait raison : nous n’auront pas grand choix que de nous accoutumer à de pareilles scènes dans ce monde.’’ ‘’Ne pouvons nous rien faire pour changer ces coutumes, avec tous nos navires et soldats, Père?’’ Demanda avec fougue Vinka. Pham soupira avant de répondre. ‘’Éventuellement, Vinka. Cela prendra toutefois du temps, beaucoup de temps.’’

08h06 (Heure de Toulouse) Vendredi, 30 septembre 861 Aire d’atterrissage ‘C’, sommet de la Tour Toulousaine Enclave de l’Expansion Humaine, Toulouse Pham stoppa pour quelques secondes devant la rampe d’accès de la corvette, pour examiner le vaisseau qui allait le transporter, lui et Vyyn Drelan, en plusieurs points de la Terre durant les deux prochains jours. Essentiellement un navire légèrement armé conçu pour l’exploration détaillée de systèmes planétaires, la corvette SHANDRISAR épousait la forme d’une sphère d’un diamètre de 110 mètres, avec un bourrelet équatorial qui augmentait son diamètre localement à 150 mètres. Quatre tourelles pour canons désintégrateurs légers situées le long du bourrelet constituaient le seul armement visible du navire, qui reposait en ce moment sur ses douze jambes d’atterrissage escamotables.

La corvette était peinte d’un bleu royal sur toute sa

surface, avec quelques lignes blanches et or suivant un motif décidément peu militaire. Plus d’une centaine d’autres corvettes similaires faisaient partie de la dotation normale du croiseur MARCO POLO, selon l’information qu’il avait reçu de Vyyn Drelan. Rajustant la courroie de transport de son sac de voyage sur son épaule gauche, Pham grimpa la rampe d’accès, sa mallette pour ordinateur portable tenue fermement dans sa main droite. Une Centaurienne dans la trentaine ainsi qu’un homme à la carrure et à la taille intimidante, tous deux en uniformes de l’Astronavale, l’accueillirent à l’entrée du sas du vaisseau. ‘’Monsieur Tarang,’’ dit la Centaurienne tout en lui serrant la main, ‘’je suis le Lieutenant de vaisseau Natasha Yi, capitaine du SHANDRISAR. Bienvenu à bord! Je vous présente le Sergent Otto Abetz, en charge de notre escouade embarquée de commandos.’’

180 Pham grimaça de douleur quand Abetz, un colosse mesurant près de deux mètres, lui serra la main avec vigueur. ‘’Enchanté de vous connaître.

Est-ce que Mademoiselle Drelan est déjà à

bord?’’ ‘’Elle l’est, monsieur.’’ Répondit Yi. ‘’Nous pouvons maintenant appareiller. Le Sergent Abetz vous montrera votre cabine avant de vous guider à votre siège pour le départ. Si vous voulez maintenant m’excuser, je vais retourner sur la passerelle.’’ Pendant que Yi s’éloignait, Abetz invita Pham à le suivre vers un ascenseur, qui les mena au niveau des cabines de passagers de la corvette. Comme ils marchaient ensemble le long d’un couloir formant une boucle, Abetz prît sur lui de donner quelques informations à Pham. ‘’En cas que vous ne soyez pas familier avec cette classe de navires, notre corvette a été conçue spécifiquement pour l’exploration détaillée de systèmes planétaires et n’est pas un navire de combat. À part mon escouade de commandos, l’équipage du SHANDRISAR fait partie de la flotte d’exploration de l’Expansion et vous les trouverez probablement bien peu militaires du point de vue discipline.

Ils sont

toutefois très compétents et dédiés.’’ ‘’Vous ne faites pas partie de la flotte d’exploration, Sergent?’’ Demanda Pham, qui ne connaissait pas vraiment grand chose sur l’organisation de l’Astronavale. Abetz secoua la tête. ‘’Non! Les corvettes d’exploration se font assigner une ou deux escouades de commandos, qui font partie des forces de combat, selon les besoins spécifiques de leurs missions. J’ai été assigné au SHANDRISAR après le départ du MARCO POLO de Kyoto Alpha.’’ ‘’Et…avez vous combattu les Morgs durant la guerre, Sergent?’’ ‘’J’étais sur Gliese 581-II quand les Morgs ont tenté la première fois de prendre la planète avec leurs troupes au sol. Nous leurs avons alors foutus une dégelée qui les a obligé à rembarquer en quatrième vitesse. Nous avons dû malheureusement évacuer Gliese 581 quand une flotte de renfort morg s’est pointée. Nos croiseurs ont tenus la ligne de bataille assez longtemps pour permettre à nos transports de nous évacuer, ainsi que les habitants de notre colonie.’’

181 Pham resta silencieux un moment à cette réponse, réalisant combien de morts cette bataille pour Gliese 581 pouvait avoir impliqué.

Abetz s’arrêta devant une porte et

l’ouvrit, pointant ensuite l’intérieur à Pham. ‘’Si vous voulez bien déposer vos bagages dans votre cabine, je vous mènerais ensuite à la passerelle, monsieur.’’ Entrant dans la petite mais confortable cabine et déposant son sac de voyage sur le lit inférieur d’une couchette double superposée, Pham examina rapidement son nouveau chez-soi temporaire : à part la couchette superposée, la cabine contenait une large penderie, une armoire de rangement, une table de travail avec chaise, un sofa à l’aspect très confortable et une petite salle de bain privée avec toilette, évier et douche. Sortant de la cabine mais gardant avec lui sa mallette pour ordinateur portable, il sourit au sergent des commandos. ‘’Cette cabine fera parfaitement l’affaire, Sergent.

Allons maintenant sur la

passerelle, si vous le voulez bien.’’ ‘’Alors, suivez moi, Monsieur Tarang.’’ Reprenant place dans un ascenseur proche, les deux hommes montèrent d’une douzaine de niveaux, pour sortir dans une large coursive et passer presque immédiatement une porte coulissante blindée donnant sur un court couloir.

Un

ascenseur au bout du couloir les mena ensuite directement au centre de la sphère holographique qui contenait les deux plateformes superposées de la passerelle de la corvette.

Natasha Yi, assise dans sa chaise de commandement, sourit à Pham et

pointa un siège libre sur la plate-forme inférieure. Vyyn Drelan était déjà assise dans le siège voisin. ‘’Si vous voulez bien vous attacher dans ce siège, Monsieur Tarang, nous décollerons alors pour Bruges.’’ Prenant place dans le siège en question, Pham entreposa sa mallette dans un tiroir du pupitre de son poste d’observation et sourit à Vyyn. ‘’Bonjour, Vyyn!’’ ‘’Bonjour, Pham! Prêt pour votre grande aventure?’’ ‘’Grande aventure est vite dit.’’

Répliqua Pham avec bonne humeur.

‘’Que

risquons nous avec un tel navire et des commandos d’escorte?’’ ‘’Plus que vous ne pourriez penser, Pham.’’

Dit Vyyn, devenant sérieuse.

‘’Même s’ils sont primitifs selon nos standards, les guerriers et les criminels de cette

182 époque sont des hommes endurcis et féroces. Vous devrez rester vigilant pendant nos sorties à terre, spécialement contre les voleurs et pickpockets en tout genre.’’ ‘’Euh, si tu le dis, Vyyn.’’

Répondit Pham, son enthousiasme maintenant

légèrement refroidi. Il se concentra alors à observer le décollage de la corvette, qui se dirigea ensuite vers le nord à basse altitude et à vitesse subsonique. Pham savait déjà que Vyyn comptait observer de près l’état général de la Francie, qui avait souffert énormément des invasions vikings durant les dernières années, durant leur trajet vers Bruges. Les déprédations des Vikings devinrent rapidement évidentes, même pour un observateur néophyte comme Pham. Moins de trente minutes plus tard ils survolaient la ville de Tours, sur la Loire, ou plutôt ce qui en restait. À la demande de Vyyn, la corvette effectua plusieurs larges cercles autour de la ville, descendant à une altitude de 200 mètres pour mieux voir.

Bien que des signes de reconstruction fussent visibles, la

plupart des édifices principaux, dont l’église et le palais comtal, n’étaient que des ruines noircies par le feu, tandis que des habitations de fortune s’éparpillaient autour de la ville. Les habitants qui étaient visibles coururent se cacher à l’intérieur à la vue de la corvette. Pham serra les mâchoires à la vue du nombre imposant de petites croix en bois ornant ce qui semblait être le cimetière de Tours. ‘’Bandes de salauds sanguinaires!’’ Vyyn, qui avait révisé le soir précédent les données historiques disponibles sur la Francie, hocha la tête. ‘’Tours a effectivement souffert énormément aux mains des Vikings, qui l’ont pillée et saccagée en 856 et en 857, en plus de ravager les campagnes environnantes à chaque année.

Nous allons maintenant nous diriger vers Orléans, notre prochaine

étape.’’ Après huit minutes de vol supplémentaires, le SHANDRISAR se retrouva au dessus d’Orléans et commença à voler en rond à basse altitude. La ville prouva être au moins aussi ravagée que Tours, sinon plus. Des quartiers entiers, ainsi que la plupart des villages environnants, avaient été rasés par le feu et les efforts de reconstruction semblaient avoir été minimaux à date. Ce qui semblait être un large camp de fortune pour réfugiés juste en dehors des murs d’Orléans attira alors l’attention de Vyyn.

183 ‘’Lieutenant Yi, pouvons nous ralentir et faire du sur-place au dessus de ce camp pour l’observer en détail?’’ Yi répondit par un ordre bref à son pilote. ‘’Vinka, prenez position à cent mètres d’altitudes au dessus de ce camp de tentes et de huttes.’’ Vinka Wong, une splendide jeune femme mi-centaurienne, mi-terrienne, obéit sans un mot et rapidement, démontrant une habileté de première classe pour le pilotage. Vyyn et Pham scrutèrent alors avec tristesse le camp improvisé, dont les habitants courraient aller se cacher. ‘’Pauvres gens!’’ Dit doucement Pham à la vue de la misère évidente dans le camp. ‘’Nos propres réfugiés n’ont rien à envier à ces Francs, loin de là.’’ Vyyn vît alors une femme en haillons qui, contrairement aux autres Francs, courrait à découvert et gesticulait vers la corvette. ‘’Eh, quelqu’un essaie de nous faire signe.’’ ‘’Poste optique, donnez moi un gros plan sur cette femme!’’ Ordonna sur le champ Natasha Yi. Quelques secondes plus tard, une image fortement agrandie de la femme apparut sur les écrans secondaires de la passerelle. Vyyn eut de la peine à en croire ses yeux après avoir examiné brièvement la Franque. ‘’Elle nous fait signe d’atterrir! C’est bien la première personne de cette époque que je vois réagir ainsi à nos navires.

Pouvons nous atterrir à côté de ce camp,

Lieutenant?’’ ‘’Certainement, Docteur Drelan! Vinka, atterrissez en douceur près du camp! Attention à ne pas causer de casse au sol.

Sergent Abetz, que vos commandos

prennent leurs postes d’atterrissage! Qu’ils soient prêts à repousser des attaquants si ceci se révèle être un piège.’’ ‘’Tout de suite, Lieutenant!’’ Répliqua Abetz, qui était assis dans le complexe passerelle, avant de sortir à la course. Vyyn continua d’observer la femme franque pendant que la corvette descendait doucement vers le sol. La Franque était en pleurs et visiblement désespérée. Sa douleur évidente toucha profondément Vyyn, qui se leva de son siège et se tourna vers Yi. ‘’Je vais aller descendre au sas d’accès pour parler avec cette femme.’’ ‘’Je viens avec vous!’’ Ajouta immédiatement Pham tout en se levant à son tour. Le duo quitta la passerelle ensemble, empruntant un ascenseur qui les mena au sas d’accès principal de la corvette. Deux commandos équipés de leurs armures de combat

184 avec exosquelettes de multiplication de force étaient déjà à la porte extérieure du sas, leurs fusils combinés désintégrateurs/neuroniques en main. ‘’JE VAIS PARLER À LA FEMME!’’ Cria Vyyn tout en courant vers eux. ‘’SI VOUS AVEZ À TIRER, UTILISEZ VOS ARMES NEURONIQUES SEULEMENT!’’ Le Sergent Abetz, maintenant revêtu de son armure de combat et un fusil en main, arriva dans le sas comme la large rampe d’accès se déployait. Il jeta un coup d’œil à la femme franque, qui était toujours seule dans le champ ouvert et qui regardait la rampe descendre vers elle. ‘’Elle est soit très courageuse, soit désespérée, pour venir ainsi à nous.’’ ‘’Les deux, je crois.’’ Répondit Vyyn. ‘’Je vais descendre seule en premier, pour la rassurer.’’ ‘’Êtes vous armée?’’ Demanda Abetz. Vyyn tapota la petite sacoche accrochée à sa ceinture. ‘’J’ai un pistolet neuronique compact ici.

Je ne crois pas que cette femme

constitue une menace pour nous. Restez dans le sas pour le moment.’’ Vyyn commença alors à descendre la rampe d’un pas lent, pour ne pas effrayer la Franque. Cette dernière tomba à genoux comme Vyyn s’approchait d’elle, joignant les mains comme pour l’implorer tout en parlant en langue d’Oïl, la langue prédominante dans le centre et le nord de la Francie. ‘’S’il vous plaît, ange de Dieu, aidez moi!’’ Vyyn, qui avait assimilé par mnémotron la semaine précédente la langue d’Oïl en plus de l’Occitan, de l’Arabe et du Bas Allemand, lui répondit d’une voix douce tout en la remettant debout. ‘’Nous ne sommes pas des anges, madame, seulement des hommes et des femmes comme vous. Nous vous aiderons toutefois dans la mesure du possible.’’ ‘’Vous…vous êtes bien ceux qui ont massacrés les Vikings la semaine dernière?’’ Demanda timidement la femme tout en scrutant le visage de Vyyn, qui hocha la tête. ‘’Oui, nos navires ont effectivement tués les Vikings qui ravageaient la Francie. Que puis-je faire pour vous?’’ La Franque se rejeta alors à genoux, des larmes à ses yeux, tout en agrippant le devant des jambes d’uniforme de Vyyn. ‘’Mes enfants ont été emmenés en esclavage par les Vikings il y a quatre ans. Pouvez vous les sauver et me les ramener?’’

185 Vyyn hésita avant de répondre. À moins de littéralement passer au peigne fin les camps et ports du Danemark, d’où venait la plupart des armées vikings qui avaient dévasté l’Europe, retrouver des enfants spécifiques serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin. La douleur de la femme la convainquit toutefois de lui laisser au moins un peu d’espoir. ‘’Madame, nous ferons notre possible pour réparer les dégâts causés par les Vikings. Je ne peux toutefois pas promettre que nous pourrons retrouver vos enfants en vie. Donnez moi leurs noms, ainsi que le vôtre, et je verrais ce qui pourra être fait.’’ Vyyn sortit rapidement un bloc-notes électronique et enregistra les informations de la Franque comme cette dernière lui répondait. ‘’Mon fils s’appelle Jean et il aurait dix ans maintenant. Il a les cheveux bruns et les yeux noirs. Ma fille s’appèle Marie et aurait treize ans. Elle a des cheveux noirs et des yeux gris. Mon nom est Marthe et mon mari s’appelait Gérard. Il a été tué par les Vikings en tentant de les empêcher de prendre nos enfants. Nous venons du village proche de Saran, qui a été brûlé par ces barbares. S’il vous plaît, aidez nous!’’ La Franque recommença alors à sangloter, toujours accrochée à Vyyn.

Regardant

autour d’elle, cette dernière vît quelques autres Francs commencer à sortir prudemment de leurs huttes ou tentes et à s’approcher lentement, apparemment intimidés par la masse de la corvette. Les Francs étaient presque tous en haillons et semblaient mal nourris ou même affamés. Faisant signe à Pham et à Otto de la joindre, elle attendit qu’ils soient près d’elle avant de leur parler. ‘’Sergent, avons nous à bord de la nourriture que nous pourrions donner à ces gens?’’ ‘’Euh, je vais aller voir.’’ Répondit le commando avant de remonter à la course la rampe. Abetz envoya toutefois ses deux commandos dans le sas rejoindre Vyyn pour la protéger. Remettant la Franque debout, Vyyn lui caressa les cheveux pour la rassurer. ‘’Ayez espoir, madame. Je vais contacter mes chefs immédiatement pour leur demander d’intervenir.’’ Utilisant son vidéophone-bracelet, elle appela Ann Shelton à Toulouse.

Avec une

constellation de satellites de communication et de surveillance maintenant en place autour de la Terre, son appel connecta sans problèmes et le visage d’Ann apparût sur le minuscule écran après trois secondes. ‘’Vyyn? Que puis-je faire pour toi?’’

186 ‘’Pour moi, rien. Pour une multitude de pauvres gens, beaucoup. J’ai besoin que tu intercèdes envers le Commodore Ferguson pour qu’il initie une opération militaire majeure.’’ Vyyn prît environ une minute pour expliquer la situation à Ann, qui resta pensive pour un moment avant de hocher la tête. ‘’Je suis d’accord avec ta demande, Vyyn. Je m’attendais déjà à ce que nous soyons obligés à un moment ou un autre de lancer une telle opération. Les Vikings, bien que battus en terres étrangères, peuvent encore lancer d’autres raids. La question des esclaves est également une autre chose que j’avais en tête. Je vais contacter Ferguson immédiatement et t’informerais de sa réponse le plus rapidement possible. Entretemps, je vais faire acheter de la nourriture fraîche à Toulouse et les envoyer par navette à ces réfugiés.’’ ‘’Merci, Ann. Tu es une vrai amie!’’ Répondit Vyyn avant de terminer son appel et de sourire à la Franque. ‘’Madame, quelqu’un va venir aujourd’hui dans un autre navire volant pour vous porter de la nourriture. Mes chefs sont maintenant au courant de votre détresse et j’ai confiance qu’ils vont réagir vite et de manière décisive.’’ ‘’Merci! Merci, madame! Comment pourrais-je jamais vous remercier?’’ ‘’Voir votre bonheur à la vue de vos enfants sera suffisant pour moi, madame.’’ Dit Vyyn avant de lui donner une accolade. La Franque hésita avant de lui poser une autre question comme d’autres Francs la rejoignaient timidement. ‘’Madame, d’où venez vous avec vos navires volants? Du ciel?’’ ‘’Non, madame : des étoiles! Nous venons d’établir un comptoir d’échanges à Toulouse et comptons aider le plus possible les pauvres et les infortunés comme vous. Vous en apprendrez probablement bientôt plus sur nous dans les prochaines semaines et mois.’’ Le Sergent Abetz, accompagné de quatre membres d’équipages portants des bacs en plastiques remplis de divers produits alimentaires, descendit la rampe à ce moment. Comme les membres commençaient à distribuer la nourriture aux Francs près du pied de la rampe, quelques hommes tentèrent de sauter la ligne, bousculant ou poussant des femmes et des enfants. Ils se heurtèrent rapidement à Abetz, qui saisit le premier d’entre eux par le collet avant de le rejeter violemment sur le dos. ‘’LES FEMMES ET LES ENFANTS SERONT SERVIS EN PREMIER! J’APLATIRAIS LE PREMIER QUI TENTERA DE VOLER LEUR NOURRITURE OU DE SAUTER LA LIGNE.’’

187 Le regard du colosse fût suffisant pour calmer les impatients, qui prirent place de manière penaude à la fin de la ligne.

Abetz les garda à l’œil comme les réfugiés

recevaient chacun un petit pain, un bout de fromage ou de charcuterie et un fruit frais. Personne ne se plaignit de ces portions, probablement parce qu’ils n’avaient presque rien mangé dans les derniers jours. Ce spectacle finit de briser le cœur de Vyyn, qui regarda d’un air entendu Pham. ‘’Pensez vous que nous pourrions calculer les réfugiés des Vikings dans nos besoins alimentaires, Pham?’’ Le grossiste en alimentation hocha la tête, lui-même touché par cette misère. ‘’Au vu de nos propres besoins, ajouter quelques dizaines de milliers de personnes à nos calculs ne changera pas grand chose, Vyyn. J’ai déjà quelques idées en tête comme solutions possibles.’’ Une fois la distribution complétée, Vyyn souffla quelques derniers mots d’encouragement à Marthe avant de s’adresser à la foule. ‘’ÉCOUTEZ, TOUS!

NOUS SOMMES DES CITOYENS DE L’EXPANSION

HUMAINE, UNE CIVILISATION QUI VIENT DES ÉTOILES. NOUS NE SOMMES PAS DES ANGES, PAS PLUS QUE NOUS SOMMES DES DÉMONS.

NOUS SOMME

SIMPLEMENT DES HOMMES ET FEMMES COMME VOUS, MAIS AVEC DES CONNAISSANCES ET UNE SCIENCE TRÈS AVANCÉES.

NOUS AVONS

EXTERMINÉ LES VIKINGS EN FRANCIE ET JE PEUX VOUS ASSURER QU’ILS NE REVIENDRONT PAS.

NOUS REVIENDRONS PLUS TARD AVEC PLUS D’AIDE.

ENTRE-TEMPS, AIDEZ VOUS L’UN L’AUTRE ET RESPECTEZ VOTRE PROCHAIN.’’ Comme elle se retournait pour remonter la rampe, Vyyn souffla à Pham. ‘’Si ce discours peut aider à éviter de nous faire traiter de sorciers ou de démons dans cette région, je considérerais cette halte plus que fructueuse.’’ ‘’Pensez vous que le Commodore Ferguson acceptera d’agir militairement, comme vous l’avez suggéré?’’ ‘’Je crois que oui : c’est dans l’intérêt commun, à part d’être un acte de simple décence humaine. Reprenons notre route vers Bruges.’’

09h02 (Heure de Toulouse) Bureau du Commodore Henry Ferguson Croiseur d’exploration MARCO POLO

188

‘’Vous m’avez demandé, Commodore?’’ Dit le Colonel Gungor après s’être mis à l’attention devant le bureau de travail de Ferguson.

Ce dernier hocha la tête et le

regarda calmement. ‘’Oui, Colonel. J’ai besoin que vous prépariez au plus vite une opération majeure au sol avec votre 58ème Division d’assaut. Les objectifs seront le Danemark, la Norvège et la Suède.’’ ‘’Toute ma division, Commodore?’’ ‘’Toute!’’ Répondit fermement Ferguson. ‘’Nous avons des nids de parasites à nettoyer.’’

14h21 (Heure de Toulouse) Grande place du marché de Cordoue Émirat Omeyadde de Cordoue Al-Andalus (Espagne) La foule de marchands et d’acheteurs qui remplissait la grande place du marché populaire de Cordoue se sauva à la course ou se cacha comme la navette pour passagers du SHANDRISAR effectuait son approche pour atterrir sur un des rares espaces à peu près vide en bordure du marché. Par le temps que la navette touche le dallage du marché, pratiquement personne ne restait en vue, à part quelques soldats musulmans agités courants le long des remparts du palais de l’Émir de Cordoue, situé à moins de 300 mètres du marché. Le Sergent Abetz descendit en premier de la navette, son fusil à la main et portant une armure de combat. Après un rapide coup d’œil autour de lui, il sourit à l’intérieur de son casque blindé et regarda Vyyn et Pham, qui descendaient la rampe arrière de la navette. ‘’Je ne croyais pas que j’étais aussi laid que ça, pour les faire fuir ainsi!’’ ‘’C’est parce qu’ils ne vous ont pas vu dans toute votre splendeur, Sergent.’’ Répondit d’un ton malicieux Vyyn.

‘’Je suis certaine que les femmes locales

changeraient d’opinion après un deuxième coup d’œil de plus près.’’ Le colosse soupira à fendre l’âme à ces paroles. ‘’Engagez vous et voyez des planètes et des filles, qu’ils disaient! Par où allons nous, Docteur?’’

189 ‘’Par là!’’ Répondit Vyyn, tout en pointant la direction du palais de l’Émir. ‘’Nous examinerons les produits étalés dans le marché en chemin avant d’aller payer une visite de courtoisie à l’Émir Muhammad Premier. Suivez-moi avec la Caporale Gorshkova. Vos deux autres commandos peuvent rester ici pour garder la navette.’’ Abetz hocha de la tête, ne trouvant pas d’objections à ses directives. Vyyn et Pham portaient des combinaisons protectrices et des casques qui les rendaient quasi invulnérables aux armes de l’époque. Quand à lui et à ses trois commandos, leurs armures de combat, en plus de leur permettre de voler et de multiplier leur force par dix, se riraient des projectiles et lames diverses tenant lieu d’armes aujourd’hui. De toute façon, le SHANDRISAR continuerait de tourner à basse altitude au dessus de Cordoue et se tenait prêt à réagir au moindre signe de problèmes ou de dangers. Avec la visière de son casque relevée, Vyyn se mit à marcher le long des rangées d’étals et de boutiques improvisées, s’arrêtant de temps en temps pour permettre à Pham d’examiner de plus près des fruits, légumes et autres produits alimentaires. Pham donna un sourire satisfait à Vyyn comme il mettait de côté dans un sac porté en bandoulière un échantillon d’huile d’olive qu’il venait de prélever à un étal. ‘’À date, je dirais que nous pourrions acheter ici en quantité des agrumes et de l’huile d’olive pour nos besoins. Les analyses en laboratoires nous en dirons toutefois plus une fois de retour sur le SHANDRISAR.’’ Vyyn allait lui répondre quand elle vit la tête d’un vieil homme, qui avait risqué un coup d’œil timide de l’intérieur de la tente jouxtant son étal. L’homme se cacha de nouveau quand il vît que Vyyn l’avait aperçu, mais cette dernière l’appela en Arabe sur un ton amical. ‘’Vous pouvez vous montrer, monsieur : nous sommes venus en paix et ne voulons que voir ce que nous pourrions venir acheter ici dans le proche futur.’’ Soit à cause de sa voix de femme, soit à cause de la mention de ventes possibles, le vieil homme, portant une barbe grise, une robe arabe et des sandales, sortit lentement de sa tente et s’approcha de Vyyn et Pham, tout en examinant avec circonspection les deux commandos se tenant derrière eux. Vyyn remarqua à ce moment le petit pendentif en forme d’étoile de David au cou du vieil homme, qui pencha la tête en signe de politesse. ‘’Yosef est à votre service, nobles étrangers. venez?’’

Puis-je demander d’où vous

190 ‘’De Toulouse, mon bon homme. Nous y avons ouvert un comptoir d’échange commercial il y a une semaine mais, en vérité, nous venons des étoiles, comme le prouve notre navire volant.’’ En nommant Toulouse, Vyyn faisait bien plus qu’être polie avec le marchand : elle pouvait maintenant être assurée que la présence de l’enclave à Toulouse serait connue de tous à Cordoue avant la fin de la journée, ce qui ne pourrait qu’encourager le commerce futur entre les deux villes. Le vieux marchand jeta un coup d’œil vers le ciel et la corvette avant de regarder de nouveau Vyyn. ‘’Des étoiles? Vous n’êtes pas des anges venus du ciel?’’ Vyyn sourit tout en pointant Otto Abetz. ‘’Je n’oserais pas appeler mon garde un ange, mon brave. Nous sommes des hommes et des femmes comme les gens d’ici. Mon compagnon aurait maintenant des questions sur votre huile, si vous le voulez bien.’’ Laissant Pham parler affaires avec le vieux marchand, Vyyn regarda autour d’elle et constata que quelques autres habitants de Cordoue commençaient à se montrer prudemment, encouragés par les manières pacifiques des nouveaux venus. Le vrai test serait toutefois la réaction des officiels de la ville. Leur visite précédente à Bruges avait été un peu décevante, en partie à cause de la pauvreté des produits disponibles et en partie à cause du mur de méfiance qui les y avait accueillis. La visite subséquente à Winchester, dans le sud de l’Angleterre, avait été nettement plus agréable, la ville ayant été sauvé d’une attaque Viking par les navires du Commodore Ferguson une semaine auparavant.

Quelques tonneaux de bière et des ballots de laine brute étaient

maintenant dans les soutes du SHANDRISAR, souvenirs de cette visite. La plupart des marchands et acheteurs étaient de retour dans la place du marché, quoique gardant pour la plupart leurs distances, quand Otto Abetz lança un avertissement d’une voix discrète. ‘’Le bal risque de commencer, Docteur : Une des portes d’enceinte du palais vient de s’ouvrir.’’ ‘’Mettez vos armes sur mode neuronique, Sergent. Ne tirez que si absolument nécessaire.’’ ‘’Compris, Docteur.’’ Maintenant tendue, Vyyn regarda avec ses deux gardes une troupe de plus de cinquante cavaliers armés sortir au galop du palais et s’approcher d’eux, bousculant

191 sans ménagement les marchants et passants se trouvant sur leur chemin. Vérifiant discrètement que son propre pistolet neuronique à sa ceinture était facilement accessible, Vyyn fit face aux cavaliers, qui étaient menés par un homme au turban plus décoré que celui de ses hommes et qui brandissait une épée courbe.

L’officier

musulman arrêta finalement sa troupe à environ dix mètres de Vyyn et de son groupe. Regardant Abetz, il lui parla ensuite en Arabe d’une voix forte. ‘’QUI ÊTES VOUS? QUE VENEZ VOUS FAIRE ICI À CORDOUE?’’ Abetz secoua la tête et répondit en Arabe tout en montrant Vyyn. ‘’Je ne suis pas le chef de notre groupe : elle l’est! Parlez à elle!’’ L’officier regarda Vyyn avec incrédulité, désarçonné par la réponse d’Abetz. ‘’Une femme? Votre chef?’’ ‘’C’est exact!’’

Répliqua d’une voix ferme Vyyn, irritée par la réaction de

l’homme. ‘’Je suis Vyyn Drelan, envoyée de mon chef, le Commodore Ferguson, qui commande tous les navires volants que vous avez pu voir à date. Nous sommes ici simplement pour initier des échanges commerciaux. Nous planifions de toute façon de demander audience aujourd’hui auprès de l’Émir Muhammad pour discuter de ces liens commerciaux.’’ L’officier hésita quelques secondes avant de donner une réponse, courbant la tête en signe de politesse. ‘’Dans ce cas, excusez notre réaction initiale. Je peux vous escorter à Son Excellence l’Émir maintenant, si vous le voulez.’’ Ce fût le tour de Vyyn de se courber. ‘’J’accepte votre offre avec plaisir, messire. Je demande toutefois de ne pas être séparé de mes deux gardes pendant ma visite au palais.’’ L’officier hésita de nouveau mais acquiesça de mauvaise grâce. ‘’Va pour le moment, mais le Capitaine des gardes du palais pourrait décider autrement plus tard. Suivez moi!’’ L’officier tourna son cheval vers le palais mais arrêta sa monture après quelques pas quand il vît que Vyyn ne bougeait pas. Maintenant irrité, il monta le ton. ‘’Pourquoi ne suivez vous pas?’’ ‘’Comprenez ceci, messire.’’ Répondit froidement Vyyn, ayant donné un ordre discret par radio à ses gardes ainsi qu’au SHANDRISAR. ‘’Nous pourrions facilement prendre ou détruire Cordoue si nous le voulions, mais nous ne sommes pas intéressés à entrer en guerre contre vous, au contraire. Toutefois, nous ne nous mettrons pas à

192 votre merci et ne serons pas traités en inférieurs, même par votre émir.

Si nous

discutons ensembles, ce sera d’égal à égal.’’ ‘’Une femme, traiter d’égal à égal avec mon émir? Êtes vous folle?’’ ‘’Si cela est vraiment votre réponse, dites à votre émir que nous ferons nos affaires sans lui.’’ Répondit d’un ton définitif Vyyn avant de lui tourner le dos et retourner son attention au vieux marchand, tandis qu’Abetz et Goroshkova prenaient fermement position entre Vyyn et les cavaliers, leurs fusils à la main. L’officier rougit de rage à cette vue mais nota à ce moment que le SHANDRISAR s’approchait maintenant directement du marché à basse altitude.

Donnant un ordre bref à ses hommes, il

repartit au galop vers le palais, suivi par sa troupe. Vyyn échangea un regard avec Pham, qui avait suivi l’échange avec une inquiétude grandissante. ‘’Ne vous en faites pas, Pham : je ne fais que suivre les instructions d’Ann Shelton et du Commodore Ferguson. Nous ne laisserons personne nous traiter en inférieurs, quel que soit leur rang dans ce monde. Si cet émir est allergique à traiter avec une femme de l’Expansion, dans ce cas il pourra sécher dans son palais.’’ ‘’Ma femme approuverais, je dois dire.’’ Dit Pham, un sourire aux lèvres. ‘’Et s’il décidait de tenter de montrer qu’il est le maître ici, ce qui est encore très possible?’’ ‘’Dans ce cas, nous nous défendrons, jusqu’à ce qu’il comprenne la leçon. Quoi qu’il arrive, nous mènerons nos affaires ici, avec lui ou sans lui.’’ Le vieux marchand, qui n’avait rien compris de leur échange en Nouvel Anglais, adressa Vyyn d’un ton appréhensif. ‘’Belle dame, l’émir risque de prendre mal votre refus de le voir sans vos gardes. Il a après tout le droit de vie ou de mort sur tous les gens de son royaume.

Les

Chrétiens de Cordoue l’ont appris à leurs dépends dans les dernières années, quand ils se sont rebellés et ont insulté Mahomet et l’islam.’’ Vyyn hocha la tête, sachant trop bien de quoi le vieil homme parlait. Malgré le fait que les autorités Omeyaddes avaient traité avec tolérance leurs minorités chrétiennes et juives, l’évêque de Cordoue avait commis la bêtise de tenter de raviver la foi chrétienne dans l’émirat en attaquant ouvertement l’islam et en encourageant ses disciples à la rébellion. Le résultat avait été selon l’histoire un bain de sang qui avait culminé avec l’exécution de l’évêque en question. Vyyn ne pouvait même pas blâmer l’émir dans ce cas, ce dernier ayant réagi strictement selon les normes de l’époque, sans atrocités inutiles. Les Francs sous l’Empereur Charlemagnes avaient commis bien pire il y avait

193 seulement quelques décennies, massacrant le peuple saxon dans le but inavoué de voler leur or et leurs terres, et ce sous le prétexte de les convertir au Christianisme. ‘’Je suis au courant de cette rébellion, brave homme.

Toutefois, l’Émir

Muhammad devra, comme tous les souverains actuels de ce monde, comprendre que sa puissance n’est rien à comparer à la notre. Nous ne sommes toutefois pas intéressé à conquérir personne, seulement à commercer en paix avec tous. Un autre point qu’il devra comprendre est que, dans notre société, les femmes et les hommes sont égaux en tout. Caporale Gorshkova, ouvrez votre visière pour un moment, s’il vous plaît!’’ Le vieil homme faillit avoir une faiblesse en voyant le visage souriant de la grande blonde en armure, qui le dominait de presque deux têtes. ‘’Par Yaweh! Ma femme ne me croiras pas!’’ Il retourna ensuite son regard sur Vyyn. ‘’L’émir risque toujours de prendre ombrage de votre attitude. Il pourrait aussi punir les marchands qui feront affaire avec vous sans son autorisation expresse.’’ ‘’Je réalise ce danger, mon brave, et n’aie aucun souhait de mettre votre vie à risque. J’espère encore que l’émir montrera assez d’ouverture d’esprit pour avaler un peu de sa fierté.’’ Vyyn alla ensuite avec Pham à un étal voisin pour y inspecter des oranges et parler avec le propriétaire. Vingt minutes plus tard, et comme Vyyn commençait à penser que l’émir était trop fier pour céder, une seconde troupe sortit du palais pour se diriger vers le marché. Cette fois, elle était composée d’hommes à pied plutôt que de cavaliers et escortait une chaise à porteurs dans laquelle un homme richement habillé était assis. Le marchand avec qui Vyyn et Pham conversaient à ce moment ouvrit de grands yeux avant de s’exclamer. ‘’L’Émir Muhammad! Il se déplace en personne pour vous voir!’’ Vyyn sourit à Pham en entendant cela. ‘’Il semble après tout que le bon émir soit plus raisonnable et intelligent que je pensais au début. C’est encourageant pour nous…et pour lui.’’ ‘’Tâchons alors de lui retourner la faveur, si je peux le suggérer. Nous avons encore seize millions de gens à nourrir.’’ ‘’Rassurez vous, Pham : je suis capable d’oublier les petites vexations. Allons à sa rencontre.’’

194 Les habitants présents se prosternèrent à genoux à l’approche de l’émir, tandis que Vyyn et Pham se courbèrent pour l’accueillir comme la chaise à porteurs s’arrêtait à leurs côtés. L’Émir Muhammad était un petit homme dans la trentaine, maigre et portant une courte barbe soigneusement coupée. ‘’Je suis honorée de pouvoir rencontrer l’illustre Émir de Cordoue.’’ Dit poliment Vyyn en Arabe. ‘’Mon nom est Vyyn Drelan, envoyée du Commodore Henry Ferguson, commandant de la flotte de l’Expansion Humaine.’’ ‘’Excusez mon ignorance, Dame Drelan,’’ répondit d’un ton affable l’émir, ‘’mais je ne connais pas votre, euh, Expansion Humaine. Où se situe t’elle exactement?’’ ‘’Nous venons des étoiles, Votre Excellence.’’ L’émir, comme ses officiers et conseillers présents, accusa le coup à ses paroles mais se reprit rapidement. ‘’Votre chef a un nom anglo-saxon. Est-il Chrétien par hasard?’’ Cette question déçu Vyyn mais ne la surprit pas : Cordoue venait après tout de vivre plus d’une décennie de révoltes par ses habitants chrétiens, contrées par des mesures répressives par les autorités musulmanes.

Le même Muhammad qui lui faisait

maintenant face avait projeté en 853 de vendre comme esclaves toutes les femmes chrétiennes de Cordoue pour éliminer les Chrétiens de sa ville. Heureusement, ses conseillers et ministres l’avaient dissuadé de commettre une telle monstruosité, qui aurait porté un dur coup à l’économie de la ville. Parler avec un tel homme n’était définitivement pas au goût personnel de Vyyn, mais la politique appelait souvent à des compromis. ‘’Mon chef est athée, comme moi, Votre Excellence.

Notre civilisation a

abandonné toute pratique religieuse depuis des siècles et suit à la place une philosophie humaniste, qui prône l’égalité de tous et la primauté du bien commun.’’ De perplexe, l’expression sur le visage de l’émir tourna alors à l’horreur : pour un Musulman, être athée était possiblement encore pire qu’être un infidèle. Vyyn pointa alors le SHANDRISAR, qui faisait du sur-place au dessus de la ville. ‘’Je réalise que beaucoup de choses à notre sujet pourraient vous intriguer, Votre Excellence. Pourquoi ne pas visiter mon vaisseau, où il me serait plus facile de vous expliquer qui nous sommes? Mes compagnons pourraient entre-temps rester ici dans le marché et continuer leurs affaires pendant nos discussions.

Vous avez ma parole

d’honneur que ceci ne cache aucune traîtrise : notre puissance rend inutiles de tels gestes.’’

195 Le chef des gardes de l’émir se pencha alors pour chuchoter dans l’oreille de son maître, visiblement inquiété par cette offre. L’émir secoua toutefois la tête et chuchota une réponse avant de regarder de nouveau Vyyn. ‘’Une telle expérience devrait prouver être fascinante, Dame Drelan. J’accepte votre offre. Est-ce que votre navire volant va se poser pour nous permettre d’y entrer?’’ En réponse, Vyyn regarda autour d’elle mais ne vît pas d’espace libre suffisant pour permettre au SHANDRISAR d’atterrir sans causer de dégâts à terre. ‘’J’ai peur que mon navire soit trop gros pour pouvoir atterrir à proximité. Je suis toutefois venue à bord d’une chaloupe volante plus petite que nous pourrions emprunter, si vous le voulez bien, Votre Excellence.’’ Muhammad n’hésita que brièvement avant de hocher la tête. ‘’Va pour votre chaloupe.

Vous ne verrez pas d’inconvénients à ce que

quelques-uns de mes gardes et conseillers m’accompagnent durant cette visite, Dame Drelan?’’ ‘’Pas du tout, Votre Excellence. Est-ce que vos conseillers incluraient par hasard un sage nommé Abbas Ibn Firnas?

Sa renommée en tant que penseur nous est

connue.’’ L’émir sourit pour la première fois d’une manière franche tout en regardant un homme grisonnant dans la cinquantaine faisant partie de ses suiveurs et qui ouvrait maintenant tout grand de surprise ses yeux. ‘’Vous aller flatter grandement les sentiments de mon bon Ibn Firnas, Dame Drelan. Il est effectivement ici avec moi et est probablement mon conseillé le plus indiqué pour une visite sur votre navire volant.’’ ‘’Cela me sera un plaisir de lui offrir une place sur ma chaloupe volante, Votre Excellence. Si vous voulez bien me suivre après avoir sélectionné les membres de votre escorte que vous voulez emmener avec vous. Il y a place pour un maximum de quarante personnes à bord de ma chaloupe.’’ Comme l’émir conférait brièvement avec ses aides et gardes, Vyyn décocha un sourire rassurant à Pham. ‘’Ne vous en faites pas, Pham. Avec le Sergent Abetz et la Caporale Gorshkova pour vous protéger, je ne crois pas que vous ayez à craindre une traîtrise quelconque.’’ Pham répondit avec un haussement d’épaules.

196 ‘’Cela fait mon affaire, Vyyn : je vais pouvoir continuer de parler affaires en attendant. Ces marchands s’y connaissent à merveille en marchandages. Prenez votre temps.’’ ‘’Merci! J’en aurais possiblement pour une heure ou deux. À tout à l’heure!’’ L’émir décida finalement de se faire accompagner par sept de ses gardes et quatre de ses conseillers et ministres, dont Ibn Firnas, qui trépidait de joie à la pensée de la visite à venir.

Comme Vyyn escortait l’émir et son groupe vers la navette,

Muhammad lui posa une question tout en scrutant son visage. ‘’Votre chef a un nom anglo-saxon mais vous avez des traits orientaux, bien que vos cheveux soient blonds comme ceux des hommes du Nord, Dame Drelan. Cela m’intrigue.’’ ‘’Je comprends votre perplexité, Votre Excellence : notre civilisation a colonisé plusieurs mondes au travers des étoiles et chaque groupe a évolué relativement en vase clos pendant des siècles. J’appartiens à la race centaurienne, qui a évoluée sur Alpha Centauri, aussi connue par vos savants comme Rigil Kentaurus ou Toliman.’’ ‘’Vous venez de Toliman, Dame Drelan?’’

Demanda Ibn Firnas avec une

curiosité à peine retenue. Vyyn sourit à la vue de son enthousiasme. ‘’C’est exact, mon cher Ibn Firnas. J’aurais probablement quelque chose à vous donner concernant les étoiles avant que vous quittiez mon navire plus tard.’’ Le groupe arriva alors près de la rampe arrière de la navette, qui était ouverte et gardée par deux commandos. L’émir débarqua alors de sa chaise à porteurs et, accompagné de ses gardes et conseillers sélectionnés, monta la rampe avec Vyyn. Le confort et le luxe de l’intérieur de la cabine de passagers de la navette impressionna Muhammad, qui vivait pourtant dans un palais somptueux pour l’époque. Une fois ses invités tous assis dans leurs sièges, Vyyn donna le signal au pilote de fermer la rampe et de décoller. La navette monta en douceur pour les premiers mètres d’altitude avant d’accélérer l’allure et se diriger vers le SHANDRISAR, dont le sas était grand ouvert.

Le court trajet

enthousiasma Ibn Firnas, tandis que l’émir ne pouvait que regarder par le hublot de son siège avec la bouche béante. ‘’Dame Drelan, j’avais rêvé de pouvoir voler ainsi depuis neuf ans déjà, après avoir vu l’intrépide Armen Firman se lancer en bas d’une tour de la ville tout en tenant les pans d’un énorme manteau.’’

197 ‘’J’ai lu un court passage sur cet exploit, mon bon Ibn Firnas. Est-il vrai que Firman ne subit que des blessures légères suite à sa chute?’’ ‘’Il n’a effectivement souffert que de simples égratignures, Dame Drelan. Dommage qu’il ne soit plus ici pour pouvoir vivre le rêve que je vis maintenant.’’ ‘’Vous et Son Excellence l’émir verrez beaucoup de choses fascinantes sur mon navire, cela je peux vous le promettre.’’ Natasha Yi et son second, Karel Shindo, étaient présents avec quatre commandos armés dans le hangar de la navette quand Vyyn débarqua avec ses invités. Après de courtes présentations pendant lesquelles Vyyn joua le rôle d’interprète, Yi offrit un tour rapide de son navire aux Cordouans, offre que l’émir accepta immédiatement. Le groupe passa alors plus de quarante minutes à faire le tour de la corvette, avec Vyyn répondant aux questions du mieux qu’elle pouvait. Elle vît à plusieurs reprises l’émir demander à Ibn Firnas d’éclaircir les explications de Vyyn. Malgré le fait qu’il était un génie certifié et un des plus grands savants de son époque, le pauvre Ibn Firnas n’en menait pas large, ce qui décida Vyyn à plaider en sa faveur. ‘’Votre Excellence, n’en voulez pas à votre pauvre conseiller s’il est incapable de vous expliquer no mécanismes. En vérité, notre science est en avance de plus de 3,000 ans sur la vôtre et nécessiterait des années d’études à vos meilleurs savants pour qu’ils commencent à la comprendre.’’ ‘’Trois milles ans d’avance?’’

S’exclama l’émir.

‘’Et moi qui pensait être

simplement trop mal éduqué pour vous comprendre!’’ Une idée vint soudain à la tête de Vyyn, qui sourit à l’émir tout en jetant un coup d’œil à Ibn Firnas. ‘’Votre Excellence, ceci me donne une idée. Après cette visite à Cordoue, mon navire devait me transporter en Orient, au Royaume de Chine, pour une courte visite. Si vous le permettez bien, je serais prête à offrir une place à bord pour ce voyage à notre bon Ibn Firnas. Je le ramènerais au plus tard dans deux jours.’’ Comme le visage d’Ibn Firnas s’illuminait de joie à cette idée, l’émir regarda son conseiller, pensif.

L’occasion d’avoir une personne de confiance capable d’en

apprendre plus sur ces fantastiques et puissants étrangers des étoiles le convainquit finalement d’accepter l’offre de Vyyn, ce qui fît trépider le vieux savant comme un petit enfant à qui on avait promis une sucrerie. Avec la plupart de la méfiance initiale des Cordouans maintenant évaporée, Vyyn conclut rapidement le tour de la corvette et

198 conduisit ensuite ses invités dans la salle de conférence du navire, les invitants à s’asseoir autour de la grande table ovale et demandant au steward du mess d’apporter des rafraîchissements non-alcoolisés. Une fois les verres de jus de fruits ou d’eau distribués, Vyyn fixa d’un air sérieux l’émir, assis en face d’elle. ‘’Votre Excellence, je crois que la meilleure manière de bien nous entendre est de nous dire la simple vérité et de ne rien nous cacher.

Vous avez pu constater

personnellement notre niveau scientifique et nos moyens matériels. Sachez en plus que notre flotte vient du futur, d’où elle est venue totalement par accident. En vérité, nous sommes dans l’impossibilité de retourner à notre époque d’origine et sommes donc obligés de nous établir sur la Terre de cette époque. Rassurez-vous, toutefois : nous n’avons aucune intention de conquérir des terres appartenant à d’autres. De fait, nous n’en avons pas besoin : il y a suffisamment de bonnes terres vierges inoccupées sur la Terre d’aujourd’hui pour nous permettre de nous établir confortablement, et ce sans causer de préjudices à d’autres gens. Nous avons toutefois besoin de trouver des sources de nourriture fraîche, tels que fruits, légumes et viandes, jusqu’à ce que nous puissions commencer à produire nous même de la nourriture en quantités suffisantes. Ceci est la raison pourquoi nous visitions le marché de Cordoue, pour trouver des fournisseurs prêts à nous vendre des produits frais.’’ Bien que quasi assommé par les explications de Vyyn, l’émir ne manqua pas les implications financières d’un commerce possiblement lucratif avec ces gens. ‘’Et…qu’utilisez vous comme monnaie d’échange, Dame Drelan?’’ ‘’Depuis notre arrivée à votre époque, nous avons commencé à frapper des pièces en argent, en or et en cuivre pour les besoins de nos échange commerciaux, Votre Excellence. Nous pensions faire affaire directement avec vos grands marchands, mais vous seriez bien entendu libre de collecter le taux habituel de taxes sur ces transactions.’’ ‘’Cela me semble effectivement honnête, Dame Drelan.

Je ne vois pas de

problèmes à ce que nous conduisions de tels échanges commerciaux.’’ ‘’Excellent!

Cette question conclue, je voudrais maintenant aborder l’aspect

politique de notre arrivée sur Terre.’’ ‘’L’aspect politique? Je ne comprends pas.’’ Vyyn regarda l’émir dans les yeux avant de continuer, son expression grave. ‘’Votre Excellence, je ne vous aie pas menti quand je vous aie dit que nous ne voulons pas conquérir les terres de personne. Toutefois, le chaos et le sang versé qui

199 résulte des guerres et invasions sans fin au travers de ce monde nous chagrinent et nous frustrent. Mon chef a en conséquent décidé de faire cesser tout acte d’agression et de pillage par quiconque, partout, dans le but de faire régner la paix. Nous avons commencé à mettre cette règle en pratique il y a une semaine, quand nous avons détruit toutes les flottilles et armées des hommes du Nord connus sous le nom de Vikings et qui pillaient l’Europe et la Méditerranée. Les barbares nordiques qui ont pillé Algeciras et ont menacé Séville il y a deux ans ne reviendront plus, Votre Excellence.’’ Cette nouvelle rendit heureux l’émir, qui voyait ainsi un problème sérieux éliminé. Son visage se renfrogna toutefois comme il s’interrogeait sur les conséquences à long terme des actes des étrangers. ‘’Et comment votre politique de paix toucheras t‘elle mon émirat, Dame Drelan? Tout ceci semble trop beau pour être vrai.’’ ‘’Pour vous, notre politique garantit que personne n’aura la main libre pour vous attaquer, que ce soit les Idrissides, les Abbassides ou les Chrétiens. En retour, nous nous attendrons à ce que vos forces ne quittent pas le territoire de votre émirat et qu’ils cessent leurs raids côtiers contre les Francs et les Burgondes. Si vous vous en tenez à ces conditions, vous ne serez pas inquiétés. Si toutefois vos soldats continuent de mener des raids en Francie et en Italie et de capturer des Chrétiens pour les vendre en esclavage, alors nous interviendrons après un ultime avertissement. C’est aussi simple que cela, Votre Excellence, et ceci n’est pas ouvert à discussions. Si cela peut vous rassurer, tous les souverains de la Terre se feront poser les mêmes conditions. Notre peuple tient particulièrement l’esclavage et les massacres de populations civiles en horreur.’’ Le visage de l’émir maintenant de bois, il regarda intensément Vyyn avant de parler d’un ton froid. ‘’Tous les souverains de ce monde?

Ne présumez vous pas trop de votre

puissance?’’ ‘’Pas du tout, Votre Excellence. De fait, votre cher Ibn Firnas pourra vous faire à son retour un rapport détaillé de ce qu’il aura vu avec nous et qui vous aideras à vous convaincre. Un dernier point avant que nous retournions à terre : nous venons du futur, donc avons accès à des livres d’histoire détaillés. Il y aura peu de choses importantes que nous ne saurons pas déjà.’’ ‘’Je vois! Dans ce cas, j’aurais plusieurs directives et ordres à transmettre à mes fidèles dans les prochains jours.’’

200 ‘’Je vais vous reconduire de ce pas à notre chaloupe, qui vous ramèneras à terre et reprendra mes compagnons, Votre Excellence.’’ Dit Vyyn tout en se levant. L’émir et son groupe la suivit en silence jusqu’au hangar de la navette. Vyyn resta toutefois dans le hangar avec Ibn Firnas, laissant deux commandos embarquer avec les Cordouans. Ibn Firnas regarda la navette quitter la corvette par son sas principal et se tourna ensuite vers Vyyn, scrutant son beau visage bronzé et ses yeux dorés en amande. ‘’Que faisons nous maintenant, Dame Drelan?’’ ‘’Nous attendons le retour de notre chaloupe avec mes trois compagnons restés à terre, ensuite nous volerons en direction de la Chine. J’espère que le voyage vous plaira.’’ ‘’Me plaire, Dame Drelan? Je vais réaliser ainsi deux de mes plus grands rêves : voler et voir la légendaire Chine.’’

201

CHAPITRE 17 – CONTRÔLE DE VERMINE 09h53 (Heure de Greenwich) Samedi, 1 octobre 861 Terrasse des restaurants, Habitat principal Croiseur d’exploration MARCO POLO Orbite basse terrestre Abbas Ibn Firnas, vêtu d’une splendide robe en soie brodée qu’il avait achetée durant sa visite avec Vyyn Drelan au port chinois de Kouang Tchéou9, ne pût s’empêcher d’admirer discrètement une jeune femme qui passait près de sa table pour se rendre à la plage proche.

La jeune femme, une grande blonde aux formes

voluptueuses, ne portait qu’un minuscule cache-sexe et des sandales, si on oubliait la serviette de plage jetée par dessus une épaule et ses lunettes de soleil. Abbas prît une autre gorgée mesurée de son café Espresso, un breuvage que Vyyn Drelan lui avait fait découvrir après leur arrivée sur le MARCO POLO et auquel il avait immédiatement pris goût. Chassant avec difficulté la vision de la jeune blonde de son esprit, Abbas se concentra de nouveau sur sa fantastique aventure des dernières vingt heures. Après que le SHANDRISAR ait volé vers l’Ouest au travers de l’océan, il avait découvert avec un choc l’existence d’un immense continent fertile et pratiquement vide d’hommes, mais plein de vie animale. Ce continent, inconnu de tous à Cordoue et même dans le reste du monde qu’il connaissait, était appelé selon Vyyn ‘l’Amérique’. Vyyn avait toutefois refroidi son enthousiasme en lui disant que ce continent serait gardé terre interdite pour ceux venant d’Europe, dans le but de sauvegarder le mode de vie des indigènes qui vivaient présentement en Amérique. Vyyn Drelan et Pham Tarang avaient ensuite pris une couple d’heures à examiner des airs la faune et la flore locale, discutant des meilleurs moyens de l’exploiter de manière ‘écologique’, un terme qu’Abbas ne comprit pas complètement au début. Ce terme était devenu clair seulement après que Vyyn lui aie fait suivre une séance de mnémotron pour lui faire apprendre le Nouvel Anglais, le Cantonais, l’Occitan, ainsi que des notions de base d’astronomie, de physique et de mathématiques modernes. Abbas en était alors ressorti un homme pratiquement neuf,

9

Kouang Tchéou : ancien nom de Canton

202 sachant maintenant des choses qui répondaient à beaucoup des questions qu’il se posait depuis des décennies.

Après une courte nuit de sommeil à bord du

SHANDRISAR dans le but d’attendre la levée du jour à Kouang Tchéou, ils avaient volé à très haute altitude au travers du Pacifique, pour arriver en Chine comme les marchés y bourgeonnaient d’activité.

Comme à Cordoue, l’arrivée du SHANDRISAR et

l’atterrissage de sa navette sur les quais du port avaient causé tout un émoi au début parmi les marchands et acheteurs. Vyyn avait toutefois habilement utilisé son charme personnel et sa diplomatie, ce qui leur avait permis de faire une visite fructueuse avant l’arrivée précipitée du gouverneur local, qui s’était alors empressé d’inviter Vyyn, Pham et Abbas dans son palais pour une séance de thé et de discussions. Cette rencontre avait duré une bonne heure et s’était conclue de manière positive pour tous. Une des choses qui avait frappé Abbas durant sa visite dans le port de Kouang Tchéou était la présence de plusieurs navires de commerce arabes, en plus des navires indiens et autres remplissant le port. Les marchands arabes présents étaient toutefois des sujets du Calife Abbasside de Bagdad, un ennemi juré de l’Émir de Cordoue, et Abbas avait prudemment tenu ses distances avec eux. Seul le capitaine d’un navire venu du Caire s’était alors montré amical envers lui, ce qui lui avait permis d’apprendre les dernières nouvelles concernant la dynastie locale des Aghlabides, partiellement indépendante du Calife de Bagdad.

Le SHANDRISAR avait ensuite quitté Kouang Tchéou, avec

plusieurs dizaines de ballots de thé séché, des sacs d’épices diverses et des rouleaux de tissus de soie dans ses cales, pour monter en orbite et faire rendez-vous avec le MARCO POLO.

Abbas avait à cette occasion pu voir de ses yeux la flotte

impressionnante qui accompagnait le navire-amiral des étrangers. Vyyn avait à peine eu le temps de commencer à lui faire visiter l’énorme vaisseau avant d’être appelée d’urgence à une réunion avec son chef, le Commodore Ferguson. Abbas avait alors été invité à attendre le retour de Vyyn sur la terrasse des restaurants de l’Habitat principal, ce qu’il avait accepté de bonne grâce. Les quelques quarante minutes qu’il passa à attendre tout en dégustant une couple de tasses d’Espresso aidèrent beaucoup Abbas à remettre ses idées en ordre et à voir plus clair sur plusieurs choses. Chose certaine, la puissance des étrangers des étoiles ne faisait maintenant plus aucun doute dans son esprit. Un autre point était la philosophie des étrangers. Comme Vyyn lui avait affirmé, les étrangers faisaient preuve d’une ouverture d’esprit et d’un sens du bien commun totalement inconnus à Cordoue,

203 ou n’importe où dans le monde connu. Abbas était maintenant prêt à croire qu’ils iraient en guerre pour soutenir les basses classes contre ce qu’ils jugeraient comme de l’exploitation ou de l’abus grossier, un point qu’il passerait certainement à l’Émir Muhammad à son retour à Cordoue. Quelques conversations informelles avec des occupants du MARCO POLO qui passaient par la terrasse avaient démontré à Abbas à quel point la simple notion d’esclavage était révoltante aux yeux des étrangers. Il avait put également confirmer le fait que la noblesse héréditaire n’existait plus depuis des millénaires dans leur société. Abbas avait finalement appris quelque chose que Vyyn lui avait soit caché, soit oublié de manière fortuite de lui dire. Abbas sourit en voyant Vyyn s’approcher de sa table et se mit debout pour l’accueillir. ‘’Il fait bon de vous revoir, ma chère Vyyn. Comment a été votre rencontre avec votre chef?’’ Abbas remarqua alors l’expression sérieuse de son visage comme elle lui répondait. ‘’Satisfaisante, mon cher Abbas. J’ai pu obtenir sa permission pour que vous puissiez être sur la passerelle de commandement du MARCO POLO pendant une importante opération qui va commencer très bientôt.’’ Ah? Et quelle serait cette opération, si je puis me permettre de vous le demander?’’ ‘’Vous pouvez, puisque vous pourrez y assister directement.

Notre flotte de

combat au grand complet va se mettre en route autour de la Terre pour délivrer un court message aux divers grands rois et empereurs de la planète avant d’aller frapper les camps militaires et ports des Vikings en Scandinavie. Nous libérerons à ce moment les esclaves et prisonniers des Vikings et nous assureront que les Vikings ne pourront plus jamais terroriser leurs voisins.’’ Cette nouvelle frappa Abbas, qui en savait assez sur les Vikings pour comprendre l’ampleur de l’opération annoncée par Vyyn. Il se courba poliment devant elle. ‘’Merci de votre confiance, mon amie. Je suis prêt à vous suivre.’’ Le duo quitta alors la terrasse et monta au niveau du complexe passerelle, où ils pénétrèrent après avoir passé un poste de contrôle de sécurité gardé par quatre commandos et deux robots de combat. Abbas réprima un frisson de peur à la vue de ces machines intimidantes, peur qui se transforma en respect craintif après que Vyyn lui expliqua rapidement la nature et les capacités des robots. Encore un peu secoué,

204 Abbas fut invité à s’asseoir aux côtés de Vyyn à un poste d’observation inoccupé sur la troisième plate-forme inférieure de la passerelle. La vue qu’il eu de l’extérieur en entrant dans la sphère holographique contenant le bloc passerelle coupa le souffle à Abbas, qui pensait pourtant avoir tout vu déjà durant sa fantastique visite. Comme les techniciens et officiers de la passerelle s’empressaient à leurs diverses tâches, Abbas se pencha pour chuchoter à l’oreille de Vyyn. ‘’Pourquoi m’avoir caché à moi et à mon émir le fait que vous avez perdu une guerre et que votre flotte était en fuite?’’ ‘’Pour ne pas donner l’idée à votre émir que nous étions faibles, ce qui lui aurait probablement fait commettre une grave erreur de jugement. Je planifiais de toute façon vous en parler plus tard. J’espère que vous ne m’en voudrez pas pour cela.’’ ‘’Aucunement, ma chère. Vous aviez actuellement raison au sujet d’une erreur de jugement possible de mon émir : la faiblesse n’attire souvent que plus d’abus dans ce monde.’’ ‘’Merci de votre compréhension, mon ami.’’ Dit Vyyn, franchement soulagée par la réponse d’Abbas.

Elle commençait à avoir un réel respect pour le vieux sage

musulman, qui lui rappelait d’une manière Jean de Chambriand. Le Commodore Ferguson, assis dans sa chaise de commandement sur la plateforme supérieure, donna bientôt une série d’ordres brefs et la flotte se mit en branle avec le MARCO POLO. Avec Abbas qui observait tout avec une attention religieuse, un total de 72 intercepteurs, six frégates, six cuirassés et quarante corvettes escortèrent le MARCO POLO comme le croiseur d’exploration quittait son orbite et entrait dans l’atmosphère terrestre. Volant d’Est en Ouest, la flotte creva bientôt les nuages au large de la côte du Japon et ralentit à une vitesse de deux fois la vitesse du son. Malgré le fait que la propulsion moléculaire des navires de l’Expansion Humaine poussait également la couche d’air entourant directement chaque vaisseau, les remous d’air le long de leur trajectoire créaient un sourd grondement qui, s’il n’était pas aussi dérangeant qu’un classique bang supersonique, était certainement audible au sol. Le passage de la flotte massive de vaisseaux, avec les intercepteurs volants en avant de la formation dans le but de faire lever les têtes, causa tout un émoi dans les villes de Nagoya et de Kyoto. Le MARCO POLO en particulier, avec ses 4,500 mètres de diamètre au niveau de son bourrelet équatorial, frappa d’effroi les Japonais quand il les survola à une altitude de 10,000 mètres. Abbas fut surpris de voir la flotte ralentir, puis s’arrêter au dessus de

205 Kyoto, avec la masse du MARCO POLO flottant au dessus de la banlieue est de la capitale impériale nippone. Ce qu’il ne pouvait voir maintenant était le déploiement des huit écrans géants extérieurs de projection. Vyyn expliqua à Abbas ce qui se passait et brancha l’écran de leur station d’observation sur le canal utilisé par les écrans extérieurs. À la surprise du vieil astronome arabe, il vît une image de Vyyn comme elle parlait en Japonais, assise derrière un bureau et arborant un visage solennel. Vyyn lui traduisit directement comme le message était diffusé sur les écrans extérieurs. ‘’GENS DE L’EMPIRE NIPPON, ICI LA FLOTTE DE L’EXPANSION HUMAINE QUI VOUS PARLE! N’AYEZ PAS PEUR : NOUS NE FAISONS QUE PASSER EN PAIX.

SACHEZ TOUTEFOIS QU’À PARTIR DE MAINTENANT, NOUS FERONS

RÉGNER LA PAIX AU TRAVERS DU MONDE.

TOUT ACTE D’AGRESSION

DÉTECTÉ PAR NOUS CONTRE UN QUELCONQUE PAYS OU PEUPLE SERA CONTRÉ ET RÉPRIMÉ PAR NOUS, ET LES COUPABLES SÉVÈREMENT PUNIS. CONTENTEZ VOUS DE DÉFENDRE VOS FRONTIÈRES ET DE GOUVERNER AVEC JUSTICE ET VOUS NE SEREZ PAS INQUIÉTÉS. NOUS ÉTABLIRONS DE PLUS BIENTÔT DES CONTACTS DIPLOMATIQUES ET COMMERCIAUX AVEC LES DIVERS PAYS DE CE MONDE, INCLUANT LE JAPON. AU REVOIR!’’ Les écrans extérieurs se replièrent ensuite à l’intérieur de la coque, permettant au MARCO POLO et à sa flotte de reprendre leur chemin. Abbas regarda Vyyn avec un respect renouvelé. ‘’Si vous parvenez réellement à créer une paix universelle, alors vous aurez gagné même le respect du grand prophète Mohamed.’’ ‘’Gagner notre propre respect sera déjà un bon début, mon ami.’’ Répliqua d’une voix douce Vyyn, pensive, comme la flotte mettait le cap vers la Chine. ‘’Je ne me serais jamais sentie confortable à la pensée de laisser commettre toutes les atrocités connues de l’histoire alors que nous avions les moyens de les prévenir. Rendre la vie plus heureuse à tous ces millions de gens sera notre plus belle récompense.’’ Ces paroles plongèrent Abbas, un homme épris de philosophie et d’humanisme, dans ses

propres

pensées.

L’arrivée

des

étrangers

des

étoiles

représentaient

l’accomplissement possible d’un vieux rêve jusqu’à présent presque impensable : la paix et la justice universelle. Il se jura alors de les aider dans la mesure que son serment de fidélité à l’Émir Muhammad le lui permettrait, et peut-être même plus.

206 Durant les trois prochaines heures, le MARCO POLO et sa flotte d’escorte répéta la procédure utilisée au dessus du Japon, stoppant au dessus des principales villes et capitales de la Chine, de l’Inde et de la Perse et délivrant le même message dans les langues locales, culminant la première partie de son périple avec un arrêt au dessus de Bagdad.

Abbas regarda avec émotion la vue aérienne de la capitale de l’Empire

Abbasside comme un message enregistré en Arabe et produit par Vyyn résonnait autour de la ville de près d’un million d’habitants. Après l’arrêt au dessus de Bagdad, la flotte se scinda en deux, avec un peu moins de la moitié de la flotte se dirigeant vers Jérusalem et La Mecque, tandis que le MARCO POLO se dirigeait avec le reste des navires vers Damas et Constantinople. De Constantinople, le MARCO POLO paya une visite aux villes russes de Kiev et de Novgorod avant de se diriger vers la Scandinavie. La procédure changea de manière dramatique une fois au dessus des ports suédois voisins de Birka et d’Upsala.

Une trentaine de petits navires à l’aspect

intimidant, chacun environ de la taille du SHANDRISAR, quittèrent les hangars du MARCO POLO, tandis que les intercepteurs de l’escorte piquèrent sur les navires à quai ou sur les plages. Abbas constata également une nette augmentation de l’activité sur la passerelle, activité que Vyyn lui expliqua. ‘’La phase offensive de l’Opération RAGNARÖK II vient de commencer. Nos soldats vont maintenant débarquer en masse dans les divers camps et ports utilisés par les Vikings pour lancer leurs expéditions de pillage contre leurs voisins. Les navires de combat vikings vont être détruits et tout Viking qui s’opposera à nos soldats sera tué. Nos soldats passeront également au peigne fin les centres vikings pour trouver et libérer les milliers d’esclaves capturés durant les dernières années par ces barbares.’’ ‘’Et…que ferez vous de ces esclaves après cela?’’ Demanda Abbas, estomaqué par l’audace et l’ampleur de l’opération. ‘’Ils seront retournés dans leurs pays d’origines respectifs, avec une bourse d’or et d’argent remplie à partir de l’argent volé et accumulé par les vikings, en titre de compensation pour leurs souffrances.’’ Abbas ne trouva rien à redire à cela, au contraire. Un des cuirassés de la flotte ouvrit alors le feu avec ses canons désintégrateurs lourds, vaporisant en quelques secondes des douzaines de navires longs vikings ancrés à Birka. La vue d’une telle puissance destructrice coupa le souffle à Abbas, qui nota toutefois que le MARCO POLO

207 recommençait à bouger sans avoir apparemment lancé son message via les écrans extérieurs. ‘’Vous ne lancez pas de message ici, Vyyn?’’ ‘’Nos soldats se chargeront de passer notre message…en personne!

Nous

allons laisser 2,400 soldats et 1,200 robots de combat en plus de 42 navires et canonnières de tailles diverses ici à Birka et Upsala, pour se charger du nettoyage et du rassemblement des esclaves libérés. Entre-temps, le reste de la flotte va se rendre sur le prochain objectif, pour débarquer un autre groupe d’assaut. La moitié de la flotte qui nous a quitté après Bagdad est en ce moment en train de prendre d’assaut la place forte des Vikings à Dublin, en Irlande.’’ ‘’Allez vous participer à une de ces attaques, mon ami?’’

Demanda Abbas,

soudain appréhensif pour elle. Vyyn lui lança un sourire reconnaissant et hocha la tête. ‘’J’ai une promesse que je tiens à tenir envers quelqu’un. Je vais débarquer avec la force d’assaut destinée à attaquer le poste militaire viking d’Haithabu, au Danemark.’’ ‘’Puis-je venir avec vous?’’

Demanda impulsivement Abbas.

Vyyn fixa un

moment le vieil homme un moment avant de hocher lentement la tête. ‘’Seulement si vous me promettez de rester près de moi en tout temps et de faire strictement ce que je vais vous dire.’’ ‘’Marché conclu!’’ ‘’Dans ce cas, suivez moi!’’ Sentant l’excitation monter en lui, Abbas se leva de son siège et suivit Vyyn hors du complexe passerelle. Un parcours compliqué les emmena quinze minutes plus tard dans un des hangars du MARCO POLO, où une centaine de commandos et soixante robots de combat se préparaient à embarquer à bord de deux canonnières. Toutefois, avant d’entrer dans le hangar même, Vyyn guida Abbas vers un vestiaire adjacent, où quelques membres d’équipage étaient en train de s’équiper pour le combat. Demandant l’assistance d’un magasinier du quartier-maître, Vyyn obtint une combinaison protectrice qu’elle présenta à Abbas. ‘’Mettez ceci : cette combinaison vous protégera des flèches et des coups d’épée.’’ Abbas n’était pas stupide au point de refuser une précaution aussi élémentaire et se dépêcha d’enfiler la combinaison avec l’aide de Vyyn, qui portait déjà une combinaison

208 similaire.

Elle rabattit finalement le casque d’Abbas en place et poussa quelques

boutons sur sa combinaison. ‘’Je viens d’activer les microphones et haut-parleurs extérieurs de votre combinaison, ce qui vous permettra de parler et d’entendre autour de vous. L’air que vous respirerez sera automatiquement filtré, ce qui éliminera les dangers de respirer des fumées quelconques. Avez vous des questions avant d’embarquer?’’ ‘’Euh, non!’’ Répondit Abbas, qui en avait en réalité au moins une douzaine en tête. ‘’Dans ce cas, allons prendre place dans une de ces canonnières.’’ La canonnière dans laquelle ils prirent place parût à Abbas être une sorte de navire de débarquement lourdement armé.

En entrant dans la grande soute de la

canonnière, il fût confronté par quatre énormes machines déjà à bord. Chaque machine avait une paire de rubans de métal faisant le tour de leur coque et était surmontée d’une sorte de tourelle supportant de longs tubes. Vyyn guida le Cordouan vers un des sièges fixés le long de chaque côté de la soute. Un homme de forte taille aux cheveux blonds et portant une armure de combat sourit à Abbas comme lui et Vyyn s’asseyaient près de lui. ‘’Messire Ibn Firnas, Je suis honoré de pouvoir vous rencontrer. Je suis le Major Hans Arntern, un ami et collègue de Vyyn.’’ ‘’Enchanté de vous connaître, Messire Arntern.

Êtes vous le chef de ces

soldats?’’ ‘’Je le suis, effectivement. Notre mission devrait être relativement facile mais je préfère ne pas prendre de chance. Je vous demanderais donc à vous et Vyyn de rester en seconde ligne avec un robot de combat que je vous assignerez comme garde du corps.’’ ‘’Cela me convient, messire : je ne prétends pas être un soldat, loin de là. Si vous avez toutefois besoin de quelqu’un pour aider à traduire pour le bénéfice d’esclaves libérés, sachez que je parle Arabe, Latin, Grec, Occitan et Hébreu.’’ ‘’Je m’en souviendrais, Messire Ibn Firnas. Merci d’avance pour votre offre.’’ Arntern se leva alors pour aller donner quelques ordres à ses hommes, qui finissaient d’embarquer. Vyyn en profita pour abaisser et mettre en place l’armature rembourrée de sécurité du siège d’Abbas avant de faire de même pour son propre siège. Elle pointa ensuite les écrans vidéo éparpillés autour de la soute.

209 ‘’Ces écrans vont s’allumer bientôt et nous permettrons de voir ce qui se passe à l’extérieur de notre canonnière.’’ ‘’Décidément, votre science ne cessera pas de m’impressionner, mon amie.’’ ‘’Attendez que la canonnière sorte du croiseur.’’ Dit Vyyn avec un large sourire. ‘’Le vol risque alors d’être excitant.’’ ‘’Si vous le dites, ma chère.’’ Répondit Abbas, son cœur battant à un rythme accéléré. Quelques secondes plus tard la rampe de chargement arrière se referma et la canonnière commença à bouger. Comme promis par Vyyn, les écrans s’allumèrent alors, permettant à Abbas de voir à l’extérieur. Le trajet entre le hangar et le sas d’envol se fît en douceur, avec leur canonnière joignant onze autres navires identiques dans le caverneux sas comme les portes blindées extérieures s’ouvraient lentement.

Leur

canonnière s’élança alors à l’air libre et commença à tomber comme une pierre, piquant vers ce qui semblait être pour Abbas une petite ville sur le bord d’une petite baie connectée à une autre, longue baie. Au contraire d’Abbas, qui cria d’effroi pendant la chute, Vyyn, friande d’émotions fortes, cria de plaisir. La canonnière freina finalement sa chute et atterrit avec une légère secousse entre le rempart de terre entourant la ville et les premières maisons. La rampe arrière s’ouvrit immédiatement et les quatre gros véhicules embarqués dans la soute roulèrent à l’air libre avec un bruit métallique, suivis de près par le Major Arntern, ses commandos et ses robots de combat. Vyyn attendit de sortir en dernier avec Abbas et un robot, alors que des cris et des bruits de combat résonnaient déjà.

Mettant pied à terre, ils virent les commandos et leurs chars de

combat engager au désintégrateur des groupes dispersés de guerriers vikings qui réagissaient un peu tard au débarquement, tandis que les robots de combat formaient un périmètre autour de la ville, coupant toute retraite possible aux Vikings.

Abbas

regarda, fasciné, comme les flèches et autres armes des Vikings rebondissaient simplement sur les armures des commandos d’Arntern sans leur faire apparemment aucun mal.

De l’autre côté, les Vikings qui n’étaient pas incinérés par les rayons

désintégrateurs étaient littéralement découpés en morceaux par les commandos qui choisissaient d’utiliser avec une force incroyable leurs épées courtes mais massives, qu’ils portaient dans des fourreaux le long de leur jambe droite. En moins d’une minute, les Vikings survivants commencèrent à tenter de fuir, seulement pour se heurter à la ligne de robots de combat, qui les tuèrent sans merci à coup de désintégrateurs. Quelques Vikings commencèrent alors à se rendre, tandis que d’autres se réfugiaient dans quelques unes des longues maisons en bois de la ville. Les commandos les y

210 pourchassèrent, l’épée courte à la main et défonçant les portes à coups de pied comme si elles étaient faites en papier.

Quelques minutes plus tard, les commandos

commençaient à ressortir des maisons, poussant devant eux des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants terrifiés. Abbas savait trop bien qu’à un stage similaire suite à une attaque par les soldats de l’Émir Muhammad ou d’autres rois, tant Chrétiens que Musulmans, ces gens finiraient pour la plupart massacrés, avec les survivants emmenés en esclavage. En contraste, les commandos se contentèrent de rassembler les Danois survivants au milieu de la place principale de la ville et de les former en demi-cercle, face au Major Arntern. Ce dernier fît alors signe à Vyyn et Abbas de le rejoindre. Une fois à ses côtés, Arntern ouvrit la visière blindée de son casque pour leur parler en Nouvel Anglais. ‘’Nous allons encore attendre quelques minutes pour voir si mes commandos trouvent d’autres gens. Ensuite, je vous demanderais de faire successivement le même appel dans les langues que vous connaissez. L’appel est le suivant : à tous ceux qui étaient esclaves des Vikings, avancez vous pour être libérés.’’ ‘’Compris, Major.’’ Répondit Vyyn avant de faire face à Abbas. ‘’Je me charge de faire l’appel en Occitan, langue d’Oïl, Bas Allemand et Latin. Vous pouvez faire l’appel en Arabe, Grec et toute autre langue supplémentaire que vous connaissez.’’ ‘’Avec plaisir, Vyyn.’’

Répondit le savant, trop heureux de pouvoir faire une

bonne action. Voyant après quinze minutes que ses commandos ne trouvaient plus de civils, Arntern fit signe à Vyyn qu’elle pouvait commencer ses appels. Le cœur battant et espérant que les enfants qu’elle cherchait se trouvaient ici, elle lança son premier appel en langue d’Oïl.

Après une courte hésitation une, puis deux, puis trois personnes

s’avancèrent. Au bout de vingt secondes, un total de 34 personnes, surtout des jeunes femmes et des enfants, s’étaient avancés, pour être immédiatement rassemblés à part en douceur par des commandos. Vyyn répéta alors l’appel en Occitan, puis en Bas Allemand, pour finir en Latin. Près de 120 personnes étaient maintenant rassemblés à part quand Abbas lança ses appels, réussissant à ajouter 26 personnes de plus au compte. Pendant tous ces appels, Arntern et ses commandos restèrent attentifs pour tout signe qu’un Danois pourrait tenter de dissuader un esclave de s’identifier. Une femme commando aperçut un tel geste et poussa immédiatement ce qui semblait être une femme danoise et une adolescente vers Arntern, qui les mît à part pour les

211 interroger pendant que Vyyn continuait ses appels. Arntern parla en premier en Norrois à la femme d’un ton sévère. ‘’Qui est cette fille?’’ ‘’C’est ma fille!’’ Protesta la Danoise. Ne la croyant pas, Arntern lui répéta sa question en Occitan et en langue d’Oïl, que la Danoise ne comprit pas. Satisfait, Arntern s’adressa alors doucement en Occitan à l’adolescente, qui tremblait de peur. ‘’Quel est ton nom, jeune fille?’’ Il vît par un éclair dans les yeux de la fille qu’elle semblait avoir compris en partie sa question. Essayant en langue d’Oïl, il fut récompensé par une réponse timide. ‘’Mon nom est Marie, messire.’’ Avant qu’elle puisse en dire plus, la Danoise à ses côtés poussa un cri de rage et sortit de dessous son tablier un couteau pour attaquer Arntern. La femme commando qui la surveillait de près lui saisit le bras droit avant qu’elle puisse frapper Arntern au visage, serrant sans pitié avec l’aide de son gantelet blindé avec servomoteurs intégrés. La Danoise poussa un cri hideux comme les os de son avant-bras se retrouvèrent broyés en un instant. S’évanouissant sous le coup de la douleur, elle s’écroula alors au sol sous les yeux de l’adolescente, qui s’empressa de parler de nouveau en langue d’Oïl à Arntern. ‘’Cette femme me réservait pour son fils, qui est parti en expédition il y a cinq mois. Mon nom est Marie et je viens d’un petit village près d’Orléans.’’ ‘’Et mon nom est Hans Arntern. Nous te ramènerons bientôt à ton village, Marie. Pour le moment, va rejoindre les autres esclaves libérés.’’ ‘’Oui, messire.’’ Regardant aller la maigre jeune fille, Arntern se sentit content du travail accompli aujourd’hui. Il lui restait toutefois une couple de choses à faire ici avant que sa mission soit complétée. Utilisant Vyyn Drelan, qui avait finit de faire ses appels, pour poser des questions aux ex-esclaves, il se fît indiquer la maison du chef du camp et y envoya quatre commandos la fouiller. Il fît aussi récupérer les bourses portées par les Vikings tués, pour les jeter dans une solide caisse à anti-gravité, tandis que des commandos détruisaient les armes des Vikings. Après avoir donné ordre à quelques uns de ses 600 commandos de faire embarquer les ex-esclaves dans des navettes à passagers, il se tourna et dévisagea d’un air sévère les Danois survivants apeurés avant de parler en Norrois d’une voix forte.

212 ‘’ÉCOUTEZ BIEN, DANOIS!

VOS HOMMES PARTIS LE PRINTEMPS

DERNIER POUR DES EXPÉDITIONS DE PILLAGE NE REVIENDRONT PAS : ILS SONT TOUS MORTS, TUÉS PAR NOUS! QUICONQUE TENTERA DE S’ADONNER À LA PIRATERIE OU AUX PILLAGES DANS LE FUTUR CONNAÎTRA LE MÊME SORT! CONTENTEZ VOUS À PARTIR DE MAINTENANT DE VIVRE À PARTIR DE CE QUE VOTRE PROPRE PAYS VOUS DONNERAS.

SI VOUS M’ÉCOUTEZ, VOUS NE

SEREZ PLUS INQUIÉTÉS. SINON, NOUS REVIENDRONS!’’ Arntern donna alors l’ordre de rembarquer dans les canonnières. Neuf minutes plus tard, la force d’assaut d’Arntern décollait pour retourner au MARCO POLO, laissant derrière elle près de 750 Danois en état de choc et pleurants leurs morts. Le même scénario se répétait à peu près au même moment dans les autres camps et villes côtières du Danemark, de la Norvège et de la Suède, ainsi que dans les Îles Shetlands et à Dublin.

16h10 (Heure de Greenwich) Hangars du croiseur MARCO POLO Dès débarqués, Vyyn et Abbas se dépêchèrent de se rendre dans les hangars pour navettes à passagers, pour aider à trier les anciens esclaves. Ils y retrouvèrent une foule d’origine diverse, la plupart en bas de la vingtaine. Abbas se porta volontaire immédiatement pour assister les ex-esclaves parlants Arabe, tandis que Vyyn alla aider à trier les Francs, gardant l’œil ouvert pour deux enfants en particulier.

Trouvant

rapidement et gardant avec elle la jeune Marie, elle passa une autre demi-heure avant que Marie soit réunie avec son frère Jean, qui avait été trouvé dans la ville côtière danoise de Ribe. Elle leur raconta alors comment leur mère à Orléans avait plaidé pour son aide, ainsi que la promesse qu’elle avait fait en retour à Marthe. Les deux enfants, pleurants de joie, l’embrassèrent ensembles, faisant pleurer à son tour Vyyn. Avec Marie et Jean restant près d’elle à partir de ce moment, Vyyn continua pour une autre heure à trier les anciens esclaves et à faire envoyer vers l’hôpital du bord ceux qui étaient mal en point. Des boites de rations furent ensuite distribuées à tous. Vyyn se retrouva alors en train de manger avec Marie et Jean aux côtés d’un Abbas accompagné d’un jeune adolescent originaire de la région de Séville et qui était maintenant orphelin. Vyyn échangea des salutations avec le garçon de douze ans, qui se nommait Omar, et sourit à Abbas.

213 ‘’J’espère que vous avez aimé l’expérience, mon cher Abbas.’’ ‘’Aimé? Par Allah, cette journée était glorieuse entre toutes par le bienfait qui en a découlé. J’aurais des histoires passionnantes à raconter à mon retour à Cordoue. Vous et vos concitoyens sont peut-être des athées, mais vous avez quand même accompli la volonté de Dieu aujourd’hui. Si seulement plus de gens pouvaient être comme vous.’’ ‘’Ne le dites pas trop haut, mon ami : l’église chrétienne de Toulouse nous a déjà traité de démons et de sorciers et a tenté de lever le peuple contre nous.’’ Abbas fît alors une grimace qui fît rire les trois enfants. ‘’L’intolérance ne connaît décidément pas de frontières, ma chère Vyyn.’’ ‘’Bien dit, Abbas! Après que nous auront mangé, nous irons rembarquer sur le SHANDRISAR avec ces enfants, pour pouvoir les ramener chez eux.’’ ‘’Bonne idée! Quand à Omar, qui n’a plus de famille, je pense sérieusement à l’inviter à venir vivre avec moi à Cordoue, où je pourrais l’éduquer proprement.’’ Vyyn sourit avec tendresse au beau garçon au teint basané assis à la gauche d’Abbas. ‘’Il ne pourrait pas avoir meilleur tuteur, en vérité.’’ ‘’Faux, mon amie : il pourrait vous avoir comme tuteur. Vous représentez bien plus que ce que je pourrais jamais atteindre.’’ Vyyn regarda le vieux penseur d’une manière qui lui fît monter le sang à la tête et lui parla sur un ton doux. ‘’Ne vous sous-estimez pas, mon ami. Oui, je connais beaucoup de choses, mais vous avez très probablement une intelligence bien plus vive que la mienne.’’ La Centaurienne et le vieux sage Arabe se regardèrent alors en silence, voyant dans chacun d’eux de l’admiration mutuelle.

Les trois enfants assis avec eux

s’entreregardèrent de manière entendue avant de rigoler ensembles.

18h19 (Heure de Toulouse) Limites sud d’Orléans Francie occidentale La joie anticipée de Vyyn à la pensée de pouvoir ramener à une pauvre veuve ses enfants perdus s’évapora quand elle débarqua du SHANDRISAR pour trouver un groupe de réfugiés à la mine triste et piteuse assis autour d’un feu dans la pénombre grandissante. Marthe se précipita quand même pour embrasser sa fille et son fils, ses

214 yeux remplies de larmes. Le Sergent Abetz, qui accompagnait Vyyn avec Abbas et Omar, s’approcha d’un homme bossu et lui posa une question sur un ton discret mais ferme. ‘’Que s’est-il passé ici? Quelque chose ne tourne pas rond?’’ L’infirme le regarda avec de la colère qui n’était pas dirigée vers Abetz. ‘’Ça, vous pouvez le dire, messire! Après les bontés que vous et vos gens nous ont fait preuve, nous avions espoir que le pire de nos épreuves était passé. S’était sans compter avec ces damnées sangsues de nobles. Non contents de nous laisser à la merci des barbares nordiques, un de ces nobles qui passait avec sa troupe nous a pris la nourriture que vos gens nous avaient apportée hier.

Il nous a même pris les

chaudrons et ustensiles que vous nous aviez donné.’’ ‘’Quoi?’’ Ragea Abetz, se contenant de justesse de crier. ‘’Qui est ce noble? Quand cela est-ce arrivé? Dans quelle direction est-il parti?’’ ‘’Baron Gilles de Fleury est le nom du triste sire, messire : il nous l’a lancé au visage comme si c’était preuve de royauté. Il est passé par ici il y a un peu moins d’une heure avec six hommes d’armes, a reniflé notre souper et a décidé de le prendre pour lui et ses hommes. Quand il a vu la qualité de vos chaudrons d’acier, il a décidé de les prendre également. Il a pris la route de l’est, qui mène à son fief, mais pas avant de nous bousculer et de tuer un de nous, qui avait essayé de l’empêcher de voler notre nourriture.’’ Otto Abetz lança un juron sonore avant de regarder de nouveau le bossu. ‘’Montre moi la victime.’’ ‘’Par ici, messire.’’ Dit l’infirme tout en se levant. Marchant une trentaine de pas vers la forêt proche, il conduisit Otto au corps ensanglanté d’un homme aux cheveux et à la barbe grisonnante étendu sur le dos dans l’herbe, près d’un trou que deux hommes en haillons creusaient dans la terre. Le bossu regarda avec tristesse le cadavre. ‘’Pauvre Évrard! Il a survécu plus de quarante ans aux Vikings, aux famines et aux hivers, pour finir tué par un noble pour un pot de nourriture.’’ Otto sentit alors monter en lui une envie de meurtre. Se contenant avec peine, il marcha à la rencontre de Vyyn Drelan, qui parlait à voix basse avec Marthe. ‘’Docteur Drelan, je crois que nous avons justice à rendre.’’ Il lui répéta alors ce que le bossu lui avait dit et montré, faisant apparaître de la foudre dans ses beaux yeux dorés.

215 ‘’Le salaud!

Il ne s’en tirera pas aussi facilement.

On rembarque

immédiatement, direction vers l’est!’’ Avant de se diriger vers la rampe d’accès du SHANDRISAR, elle se retourna vers Marthe et ses enfants. ‘’RESTEZ

ICI :

NOUS

REVIENDRONS

BIENTÔT,

AVEC

VOTRE

NOURRITURE!’’ Abbas, qui la suivait de près avec Omar, secoua sa tête avec dégoût à la pensée de ce qui était arrivé. ‘’La justice est décidément bien difficile à trouver dans ce monde, et encore plus difficile à garder.’’ ‘’Elle ne tardera pas, la justice, croyez moi!’’ Répliqua Vyyn d’un ton furieux, montant la rampe à la course. Une fois dans le sas d’accueil, elle activa un panneau de communication et appela la passerelle. ‘’Lieutenant Yi, ici Drelan! Décollez dès que nous serons tous à bord et volez vers l’est le long de la route vers Fleury, tous feux éteints. Nous sommes à la poursuite d’une troupe de sept hommes à cheval qui devraient maintenant être à quelques kilomètres d’ici. Ces cavaliers ont tué un des réfugiés et volés la nourriture que nous avions distribuée hier.’’ ‘’Bien compris! Je ferme la rampe maintenant.’’ Comme la rampe se fermait, Vyyn regarda Abetz et pointa son fusil désintégrateur. ‘’Avez vous un autre désintégrateur que je pourrais emprunter pour quelque temps, Sergent?’’ Sans dire un mot, Abetz mena Vyyn vers le vestiaire utilisé par ses commandos pour s’équiper et extirpa un fusil désintégrateur d’un casier avant de le lui donner. ‘’J’espère que vous savez vous en servir, Docteur.’’ ‘’Je me débrouillerais, Sergent.’’ Pas très rassuré par cette réponse, Otto insista quand même pour réviser rapidement avec Vyyn les dispositifs de sécurité du désintégrateur et la manière de le manier correctement. Il eu à peine de le temps de terminer ses explications avant que la voix de Natasha Yi sorte du haut-parleur du vestiaire. ‘’Nous avons une troupe de sept cavaliers en vue, trottant vers l’est le long de la route. Nous serons au dessus d’eux dans quelques secondes.’’ Vyyn se rendit à un panneau mural pour répondre.

216 ‘’Restez en haut de mille mètres d’altitude, pour ne pas qu’ils nous voient. Nous sauterons et utiliserons les systèmes de propulsion moléculaire de nos combinaisons.’’ Au même moment, Otto mettait en état d’alerte son escouade complète, faisant arriver à la course dans le vestiaire ses neuf commandos. Comme les commandos endossaient leurs armures de combat, Vyyn décida après un court moment de réflexion d’appeler Ann Shelton à Toulouse et de lui expliquer ce qui s’était passé. Ann l’écouta pendant deux minutes, son visage se durcissant au fur et à mesure. Finalement, elle hocha la tête et parla avec un mélange de colère et de résignation dans sa voix. ‘’J’avais peur que de telles choses arrivent éventuellement et en avait parlé brièvement avec le Commodore Ferguson. J’espérais seulement que nous en arrivions à ce point beaucoup plus tard. Regarde, Vyyn, le Commodore s’est déjà mis d’accord avec moi : un meurtre est un meurtre et le fait qu’il soit excusable selon les lois de certains à cette époque n’a aucun poids selon notre jurisprudence. Essaie en premier d’appréhender intacts ces salauds.

S’ils résistent ou t’attaquent, défend toi!

Le

Commodore Ferguson et moi nous arrangerons plus tard avec les pots cassés.’’ ‘’Merci, Ann! Tu es une vrai copine.’’ ‘’Ouais! Tâche juste de ne te pas te faire tuer ce soir, Vyyn. Tu vaux bien plus qu’une sangsue comme ce Gilles de Fleury.’’ ‘’Ne t’en fait pas, je serais prudente. Je te tiendrais au courant des résultats.’’ Comme elle se retournait, elle vit Abbas, qui la fixait avec appréhension. ‘’As tu vraiment besoin de faire ceci toi même, Vyyn? Tes soldats sont mieux entraînés pour ce genre de choses.’’ Le fusil désintégrateur en bandoulière et son casque rabattu en arrière, Vyyn s’approcha du Cordouan et passa doucement la main droite sur sa joue. ‘’Certaines choses ne peuvent être laissées à d’autres, Abbas.

À toute à

l’heure!’’ Fermant son casque et vérifiant une dernière fois le système de propulsion moléculaire de sa combinaison, vyyn mena ensuite les dix commandos à l’intérieur du sas et ferma l’éclairage normal, allumant à la place les lumières rouges prévues pour les opérations nocturnes. La regardant au travers d’une vitre blindée, Abbas serra les poings quand la rampe s’ouvrit et que Vyyn sauta dans la nuit, suivie des dix commandos. ‘’Qu’est-ce qu’un vieux rêveur comme moi fait à tomber ainsi en amour avec une jeune ange comme elle?’’ Marmonna Abbas à voix basse en Arabe.

217 18h43 (Heure de Toulouse) Chemin d’Orléans – Nevers Le Baron Gilles de Fleury était de mauvaise humeur, pour plusieurs raisons. Premièrement, le mal de tête constant de sa cuite d’hier n’allait pas mieux. Deuxièmement, il allait arriver plus tard que prévu à son château et, troisièmement, le fait qu’un vil manant aie osé tenté de lui barrer le chemin un peu plus tôt n’avait qu’augmenté son mépris pour les basses classes. Tous de la graine de potence, juste bons à servir les nobles dans la mesure de leurs capacités limitées.

Tout à ses

réflexions, il ne vît pas les cinq silhouettes sombres debout en travers de la route avant qu’un de ses chevaliers, plus alerte que lui, l’avertisse. ‘’MESSIRE, DES GENS AU TRAVERS DE LA ROUTE, DEVANT NOUS!’’ ‘’PAR LE DIABLE! QUI OSE?’’ Dit le baron d’une voix courroucée tout en tirant son épée du fourreau. En cette époque, quelqu’un bloquant une route la nuit ne pouvait être qu’un brigand. Le problème pour ces brigands était que, s’ils comptaient rencontrer de simples marchands, ils allaient avoir une rude surprise, surtout que ces imbéciles étaient moins nombreux que ses hommes. Ce fût Gilles de Fleury qui fût actuellement surpris quand une voix de jeune femme lui répondit. ‘’ÊTES VOUS LE BARON GILLES DE FLEURY?’’ ‘’OUI!’’ Répondit Gilles après un court moment de stupeur. ‘’QUI ÊTES VOUS ET QUE FAITES VOUS AU TRAVERS DU CHEMIN?’’ ‘’JE SUIS LE DOCTEUR VYYN DRELAN, ADMINISTRATRICE ADJOINTE DE L’ENCLAVE DE TOULOUSE, DE L’EXPANSION HUMAINE. JE VOUS ARRÊTE POUR MEURTRE ET POUR VOL! LAISSEZ TOMBER VOS ARMES ET VOUS AUREZ LA VIE SAUVE!’’ ‘’QUELLES SONT CES BALIVERNES?

JE NE CONNAIS PAS VOTRE

EXPANSION HUMAINE. LIBÉREZ LE CHEMIN AVANT QUE MES HOMMES VOUS BALAIENT!’’ ‘’NIEZ VOUS AVOIR TUÉ UN PAYSAN CE SOIR ET AVOIR VOLÉ LA NOURRITURE D’UN GROUPE DE RÉFUGIÉS?’’ Cette question rendit Gilles fou furieux. ‘’COMMENT?

VOUS M’IMPORTUNEZ POUR DE TELLES PECCADILLES?

BALAYEZ MOI CES IMPUDENTS, MES HOMMES!’’

218 Poussant des cris de guerres, le baron et ses six cavaliers chargèrent les cinq silhouettes sombres, leurs épées tenues hautes. Des éclairs bleus jaillirent soudain de la nuit, frappant les sept francs dans des gerbes d’étincelles et les tuants nets. Les corps calcinés du baron et de ses hommes tombèrent sur l’étroit chemin, tandis que leurs chevaux étaient saisis par la bride à leur passage et stoppés par les commandos. Marchant calmement jusqu’au corps du baron comme le reste des commandos de l’escouade sortait du bois longeant la route, Vyyn s’arrêta et contempla ce qui restait de Gilles de Fleury avant de cracher dessus. ‘’Parasite! Parce qu’il est né dans une position privilégiée, il se pense supérieur aux autres. Eh bien, ce temps sera bientôt révolu.’’ Abetz, qui venait d’inspecter les chevaux des Francs, marcha vers elle avec ses bras pleins de pots et ustensiles en acier inoxydable, tandis qu’un autre commando transportait deux gros sacs pleins de victuailles. ‘’Nous avons les choses prises aux réfugiés, Docteur. Que faisons nous avec les corps?’’ ‘’Jetez les loin dans la forêt : les loups s’en occuperons. C’est tout ce que ces crapules valent dans mon esprit.’’ Otto lui jeta un regard narquois. ‘’Vous apprenez à vous endurcir sacrément vite pour une simple historienne, Docteur.’’ Vyyn secoua un index pour le corriger. ‘’Pas une simple historienne, Sergent : historienne ET sociologue.’’

219

CHAPITRE 18 – RONDE DE GUET 09h10 (Heure de Toulouse) Mardi, 4 octobre 861 Manoir comtal de Toulouse Francie occidentale Le Comte Raymond inspecta rapidement ses huit hommes d’armes alignés devant lui dans la grande salle communale de son manoir. Chacun des gardes était équipé d’un casque de fer, d’une broigne, d’une épée ainsi que d’un poignard. De par les standards coutumiers au Neuvième Siècle, ceci frisait l’extravagance pour de simples gens d’armes à pied.

Raymond voulait toutefois que ses hommes fassent

bonne impression sur les commandos du 41ème Siècle qui devaient bientôt travailler avec eux. ‘’Écoutez moi bien, mes hommes, ceci est très important. Vous allez aujourd’hui inaugurer des patrouilles de guet conjointes avec des soldats des gens du futur. Je m’attends à ce que vous vous distinguiez auprès de ces gens et que vous me fassiez honneur. N’oubliez pas toutefois qu’ils sont ici pour vous aider, pas le contraire. Ce sont MES lois et MON autorité que vous faites respecter. Soyez quand même polis et compréhensifs envers ces soldats : ils sont de formidables guerriers mais sont habitués à faire respecter un code de loi qui est beaucoup plus, euh, doux que le nôtre. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai fait proclamer dans les derniers jours des adoucissements majeurs sur les diverses peines encourues pour certaines sortes de crimes et fautes. Si vous devez tuer quelqu’un, ayez une bonne raison pour le faire, comme pour défendre votre vie, par exemple. Avez vous des questions?’’ Gérard, le chef des gardes, s’avança d’un pas. ‘’Ces gens du futur, sont-ils supposés obéir à mes ordres, ou feront-ils à leur guise?’’ ‘’Leur chef, le Major Arntern, m’assure qu’ils vous assisteront dans vos tâches. Toutefois, si vous voyez des civils qui viennent du futur et qui causent des troubles en ville, laissez les soldats du Major Arntern s’occuper d’eux : les concitoyens de Dame Shelton sont hors de ma juridiction et seront jugés par leur propre système judiciaire.’’

220 ‘’Nous n’auront probablement jamais de problèmes avec eux, messire.’’ Dit en souriant Marcelus, un des gardes. ‘’Ils sont tellement polis que je n’en aie pas encore vu un seul cracher dans la rue.’’ Raymond sourit comme ses gardes s’esclaffaient de rire à cette remarque. Il était vrai que les citoyens de l’Expansion Humaine semblaient être beaucoup plus respectueux des lois et des autres personnes que le citoyen moyen de son comté, qui était pourtant considéré un des plus paisibles et sécuritaires de Francie du point de vue du brigandage et des crimes. ‘’Bien! Si vous n’avez pas d’autres questions, je vais vous laisser. Les soldats du Major Arntern devraient vous joindre ici très bientôt.’’ Le comte quitta alors la salle, laissant ses huit hommes se demander comment leur journée allait se dérouler. Dans une autre pièce du manoir, où un poste de commandement mobile venait d’être monté, le Major Arntern demanda l’attention de ses huit commandos présents. ‘’Avant d’inaugurer les rondes de guet conjointes avec les gardes du Comte Raymond, je tiens à répéter un point primordial, à savoir que le Comte Raymond est l’autorité légale dans le comté de Toulouse, excepté pour notre enclave. N’essayez pas de faire appliquer nos lois en ville et contentez vous d’assister les hommes du comte dans leur travail. Je sais que le code légal local est très différent du nôtre mais vous devrez faire preuve de tolérance et de compréhension pour le moment. Vous avez probablement tous entendu parler de l’incident impliquant le Docteur Drelan près d’Orléans, quand elle a tué un noble franc qui avait assassiné un paysan et volé des réfugiés. Selon la loi franque, le Docteur Drelan et les commandos qui étaient avec elle auraient été accusés de meurtre et probablement exécutés si arrêtés par les Francs. Le Commodore Ferguson, en accord avec notre gouverneur, Madame Lynn Tsu, a toutefois jugé que le Docteur Drelan était dans son droit de tenter d’arrêter des hommes qui avaient attaqué des gens sous notre protection. Ces hommes, en attaquant en retour le Docteur Drelan, l’ont forcé à se défendre.’’ ‘’Et que pense le Comte Raymond au sujet de cet incident, Major?’’ Demanda le Sergent Mark Dempster, le chef de l’escouade présente. Arntern mesura ses mots avant de répondre.

221 ‘’Disons qu’il a confirmé que, selon la loi franque, le Docteur Drelan serait dans un sérieux pétrin. Personnellement, il m’a dit avoir connu le Baron Gilles de Fleury en question et être d’avis qu’il n’a eu que ce qu’il méritait.’’ ‘’Est-ce que nous nous attendons à une réaction hostile de la part du Roi Charles de Francie à ce sujet, Major?’’ Demanda la Caporale Nadia Terechkova. ‘’Le Roi Charles n’est probablement pas encore au courant de cet incident et ne l’apprendra possiblement jamais, surtout depuis que nous avons évacué ces réfugiés et leur avons donné asile et protection ici, dans notre enclave. Il est toutefois possible que la famille du dit baron porte plainte contre nous, auquel cas nous dirons au Roi Charles de se tenir tranquille et de mieux se préoccuper du bien-être de ses paysans dans le futur. Pour le moment, oubliez cet incident et concentrez vous sur vos rondes dans Toulouse. Un dernier point : les gardes du comte sont peut-être crasseux, puants et illettrés mais ils connaissent cette ville à fond. Pas vous! Profitez de leur expérience et assistez-les au mieux de vos capacités. Rompez!’’ Le bruit de pas pesants marchant en cadence concentra l’attention des gardes du comte vers la grande porte de la salle communale. Huit imposantes silhouettes entrèrent bientôt à la file indienne avant de s’arrêter dans un ensemble parfait et de pivoter pour faire face aux gardes. Le Sergent Dempster s’avança alors vers Gérard et échangea une poignée de main avec lui. ‘’Sergent Mark Dempster. Mes soldats et moi sommes à votre disposition.’’ ‘’Et je suis Gérard, chef des gardes du Comte Raymond. Vos soldats ont fière allure.’’ Ses gardes ne purent qu’être d’accord avec Gérard, s’échangeant des commentaires à voix basse. ‘’Regarde moi cet équipement! Ça doit coûter une fortune!’’ ‘’Ces gars là vont avoir des problèmes à pénétrer dans les auberges : ils sont bien trop grands.’’ ‘’Regarde mieux, Marcelus : deux de leurs ‘gars’ sont des femmes.’’ ‘’C’est pas vrai!’’

S’exclama le vétéran trapu et musclé.

Mark Dempster

commença alors à présenter les membres de son escouade à Gérard, qui les inspecta au fur et à mesure.

222 ‘’Voici mon second, le Caporal Tony Vinelli…le Caporal Baya Makwando…la Caporale Nadia Terechkova…le Soldat William McGrath…le Soldat Jor Dloran…le Soldat Nelson Morales et, finalement, le Soldat Diane Champagne.’’ Les hommes du comte scrutèrent en particulier Baya Makwando, Nadia Terechkova et Diane Champagne.

Le premier dépassait de deux têtes le plus grand des Francs

présent, tandis que les poitrails moulés des vestes blindées de Nadia et Diane ne laissaient aucun doute sur leur sexe.

Tous les commandos étaient vêtus de

combinaisons noires renforcées par des plaques moulées de blindage composite couvrants les parties vitales ou sensibles du corps. Des casques blindés multifonction complétaient leur protection passive, tandis que chaque commando était armé d’un pistolet désintégrateur, d’un pistolet neuronique ainsi que d’un bâton anti-émeute à décharge. Gérard désigna à son tour ses hommes. ‘’Voici mon bras droit, Marcelus, un vétéran qui en a vu d’autres. Mes autres gardes sont Évrard, Pierre, Beaudoin, Carloman, Jehan et Roger. Je suis certain qu’ils s’entendront tous à merveille avec vos gens. Approchez vous, les gars!’’ Beaudouin, de taille et de carrure respectable pour un Franc, alla parler avec le colossal Baya Makwando, tandis que Gérard et Mark Dempster commencèrent à discuter procédures. Quand à Marcelus, il se retrouva seul en face de Diane Champagne, qui le dominait d’une tête. Cette dernière sourit au Franc couvert de cicatrices. ‘’J’espère que cela ne vous gêne pas de patrouiller avec une femme?’’ ‘’Mais pas du tout!’’ Mentit Marcelus. Même si Diane était grande et athlétique, Marcelus était inconfortable à l’idée d’entrer avec une femme dans certaines des tavernes de Toulouse la nuit. Même pour un vétéran comme lui, certaines tavernes lui flanquaient la frousse. ‘’Connaissez vous Toulouse, Damoiselle Champagne? Sinon, nous pourrions faire une ronde de jour pour vous familiariser avec la ville avant nos rondes de nuit.’’ ‘’Une excellente idée, Marcelus! De fait, je ne connais la ville que très peu. En passant, tu peux m’appeler simplement Diane : entre compagnons d’arme, inutile d’être formels.’’ ‘’Avec plaisir, Diane. Je vais aller parler à Gérard au sujet de notre ronde de familiarisation.’’ Diane laissa échapper discrètement un soupir de soulagement comme Marcelus s’éloignait : le Franc puait la transpiration à dix pas. Ce dernier discuta un moment avec

223 Gérard et le Sergent Dempster avant de revenir vers Diane. Gérard demanda alors l’attention de tous. ‘’Écoutez, tous! Voici l’horaire pour aujourd’hui : tierce vient d’être sonné, nous prendrons donc un repas en commun un peu avant sexte. Vous ferez ensuite une ronde de jour pour familiariser vos nouveaux compagnons avec la ville. Soyez de retour pour none, pour pouvoir vous reposer avant de commencer les rondes de nuit pour compline. Pour le moment, nous allons tous aller au corps de garde, où le Sergent Dempster nous montreras l’équipement qu’il y a apporté.’’ Comme la troupe se mettait à suivre Dempster vers le corps de garde, Diane Champagne se pencha pour chuchoter à Marcelus, qui marchait à ses côtés. ‘’Sexte, none? Je ne connais pas ces unités de mesure du temps.’’ ‘’Oh, c’est très simple, vraiment.

L’heure est annoncée par les cloches des

églises selon les offices de prières suivis par les moines. Prime est le lever du soleil, tandis que sexte est midi. Tierce est à mi-chemin entre prime et sexte. Vespers marque le coucher du soleil et matins correspond à minuit. None est à mi-chemin entre sexte et vespers, tandis que compline est entre vespers et matins. Lauds est à mi-chemin entre matins et prime.’’ ‘’Oh, je vois! Les intervalles entre ces unités varient donc avec les saisons, non?’’ Marcelus lui sourit, satisfait de voir que Diane comprenait vite. ‘’Exact!’’ Le groupe entrait à ce moment dans le corps de garde, une pièce située près de l’entrée principale du manoir.

Plusieurs consoles électroniques, ainsi qu’une génératrice à

fusion portative, occupaient un coin de la salle.

Des caisses de provisions et

d’équipement, ainsi qu’un four à micro-ondes et un frigidaire, occupaient le coin opposé. Une longue table en bois et des bancs, les seuls meubles contemporains présents, occupaient le milieu de la pièce. Dempster rassembla les gardes du comte autour de lui, près des consoles de commandes. ‘’Messieurs, je n’entrerais pas dans les détails de cet équipement. Il vous suffira de savoir qu’il nous permettra de localiser en tout temps et avec précision chacune de nos patrouilles, en plus de pouvoir communiquer instantanément avec vous grâce aux casques portés par mes commandos. Tony, active ta caméra de casque, s’il te plaît.’’

224 Dempster s’assit alors devant une des consoles et poussa quelques boutons. Un des écrans de la console s’éclaira et montra une image en couleur qui fît pousser des exclamations de surprise aux Francs. ‘’Eh, c’est nous!’’ ‘’Ne pointez pas ça vers Beaudouin : vous pourriez mourir d’effroi!’’ ‘’Marcelus, tu continue comme ça et je te coupe la langue!’’ Dempster attendit que les rires se calment avant de continuer. ‘’Tu peux éteindre ta caméra, Tony. Messieurs, nous allons maintenant vous montrer l’effet de nos armes non-mortelles. J’aurais besoin d’un volontaire pour cela.’’ Gérard pointa aussitôt son garde le plus solide. ‘’Beaudouin, à toi l’honneur!’’ Malgré ses protestations, le Franc fût poussé par ses compagnons devant Dempster, qui avait saisit son bâton anti-émeute. ‘’Rassurez vous, Beaudouin : cette arme ne fait qu’immobiliser un adversaire. De plus, je l’ai réglé à sa puissance minimum. On l’utilise comme ceci.’’ Le commando étendit son bras droit, son bâton pointé vers Beaudouin. Le grand Franc poussa un cri de surprise et de douleur tout en sautant en arrière dès que le bout du bâton toucha sa jambe.

Dempster se retourna vers le reste de la troupe comme

Beaudouin massait sa jambe, dont les muscles étaient temporairement tétanisés. ‘’À sa puissance maximum, ce bâton paralysera pour plusieurs minutes l’homme le plus costaud.

De plus, nous avons des pistolets neuroniques qui assomment à

distance, ainsi que des pistolets désintégrateurs. Ces derniers sont des armes mortelles qui calcineront ou évaporeront toute chose touchée par l’éclair bleu qu’ils lancent.’’ Les Francs frissonnèrent à ces mots : ils avaient vu les effets des désintégrateurs sur les Vikings. Marcelus chuchota à Gérard le sentiment général des Francs. ‘’C’est une bonne chose que ces gens soient de notre côté.’’ ‘’Raison de plus pour ménager leurs sentiments.’’ ‘’S’il n’y a pas de questions,’’ dit alors Dempster à Gérard, ‘’ils sont tout à vous.’’ ‘’Parfait! Le repas sera bientôt servi. Mettez vous à l’aise et buvons un peu du vin que le Comte Raymond nous a donné.’’ Tandis que les Francs se débarrassaient de leurs casques et de leurs broignes, les commandos se contentèrent d’enlever leurs casques avant de s’asseoir face aux Francs à la longue table de la salle. Des servantes s’empressèrent de couvrir la table d’un drap blanc et de poser des gobelets en bois et des pichets de vin devant les soldats. Gérard

225 attendit que tous aient remplis leurs verres avant de se lever, son gobelet tenu à bout de bras. ‘’Messires, buvons à notre alliance et à la santé du Comte!’’ Comme les autres soldats, Diane Champagne poussa un cri d’approbation avant de porter son gobelet à ses lèvres. Elle dût se retenir alors pour ne pas faire la grimace : le vin rouge était amer, plein de dépôts. Un expert en vin du 41ème Siècle l’aurait qualifié poliment de mauvaise piquette. Elle observa discrètement les autres commandos et constata qu’ils réagissaient comme elle, tandis que les Francs buvaient leur vin comme si de rien n’était. Les servantes revinrent bientôt pour commencer à servir le repas. Le premier service consistait en une sorte de soupe aux légumes. Rendue prudente par son expérience avec le vin du comte, Diane goûta sa soupe et fût actuellement agréablement surprise. Quand tous les bols furent vides, les servantes posèrent devant chaque convive une épaisse tranche de pain sec, sur laquelle fût déposée une pièce de viande grillée. Cherchant instinctivement une fourchette inexistante, Diane se décida finalement à imiter Marcelus, qui avait piqué son bout de viande avec son couteau et arrachait des morceaux à pleines dents. La viande, probablement du chevreuil, était juteuse mais fade, ce qui n’était pas étonnant au vu du prix astronomique des épices à cette époque. Diane saupoudra un peu de sel sur sa viande, utilisant un bout de pain avec un creux rempli de sel qui avait été posé au milieu de la table, avant de continuer à manger. Le repas fût complété avec un fromage local à l’odeur tenace. Imitant toujours Marcelus, Diane s’essuya les mains et la bouche avec le bout de la nappe qui pendait de la table avant de se lever avec les autres. Un son de cloche venant de l’église voisine résonna alors, faisant réagir Gérard. ‘’Il est sexte : équipez vous! Rondes de familiarisation par deux et retournez pour none.’’ La troupe mixte de gardes et de commandos se sépara par paires devant le manoir, pour se disperser ensuite dans les ruelles de Toulouse. Empruntant la Rue des Couteliers vers le sud, Diane et Marcelus adoptèrent un pas mesuré qui permettait au Franc de décrire les points d’intérêt à sa compagne.

Trois choses frappèrent

particulièrement Diane : la puanteur, l’étroitesse des rues et le bruit. La puanteur venait de la couche épaisse de déchets, d’immondices et d’excréments couvrant uniformément la terre battue des rues et ruelles. La provenance d’au moins une partie des excréments devint vite évidente à la commando quand elle fût ratée de peu par le contenu d’un pot

226 de chambre qu’une servante vidait négligemment par une fenêtre d’un deuxième étage. Marcelus en profita pour imposer une amende d’un denier pour ne pas avoir regardé en bas avant de vider le pot. La plupart des rues méritaient plutôt le nom de ruelles, n’ayant en moyenne que trois ou quatre mètres de largeur au plus, tandis que ce que Marcelus appelait une ruelle était à peine assez large pour permettre à deux personnes de se croiser, souvent de justesse. Quand au bruit, il était le produit combiné des animaux domestiques se promenant à leur guise, des voisins qui s’engueulaient à qui mieux mieux et, surtout, des innombrables marchants ambulants annonçant leurs produits ou services à grands cris. Diane devint rapidement consciente qu’elle était le point de mire de l’attention populaire au cours de leur tournée. Cette attention devint franchement désagréable comme le duo approchait de la Place du Salin via la Rue de la Fonderie. La foule y était d’un gabarit peu rassurant, tandis que les regards étaient souvent ouvertement hostiles. Marcelus était maintenant nerveux, bien qu’il fasse son possible pour le cacher. Il pointa à un moment donné deux bâtiments en particulier. ‘’Ce quartier est déjà peu sûr la nuit, mais ces deux tavernes là, la Taverne du Cauchon et la Taverne de la Couronne, sont de vrais nids de gibiers de potence. Le guet ne s’y aventure pas à moins d’être en force.’’ ‘’Ah, ça m’intéresse, ça! Un instant, je ne serais pas longue.’’ Avant que Marcelus puisse protester, Diane s’avança résolument vers les deux tavernes, voisines une de l’autre. Sous les regards incrédules d’une douzaine de clients hirsutes, elle scruta attentivement les façades, notant la disposition des fenêtres et des sorties tour en enregistrant ses observations à l’aide de sa caméra de casque. Elle emprunta ensuite un étroit passage entre les deux tavernes et prît soin de localiser les sorties possibles à l’arrière avant de revenir vers la rue principale. Un groupe de cinq hommes à la mine patibulaire lui barrait maintenant le chemin, leurs couteaux bien en évidence à la ceinture. L’un deux, qui était visiblement le meneur du groupe, la regarda d’un œil moqueur. ‘’T’est bien audacieuse, ma belle! Tu devrais savoir que la curiosité est malsaine ici.’’ Diane se contenta de décrocher son bâton anti-émeute de sa ceinture et le régla à mipuissance avant d’avancer résolument vers les cinq truands. Ceux-ci, surpris par son assurance, se mirent à reculer rapidement, seulement pour sentir la pointe de l’épée de

227 Marcelus dans leur dos. Voyant que le jeu n’en valait pas la chandelle, les truands s’effacèrent du chemin de Diane et retraitèrent à l’intérieur d’une des deux tavernes, observant Diane et Marcelus par les fenêtres. Ce dernier rengaina son épée tout en regardant sa compagne d’un air irrité. ‘’Ton petit jeu aurait pus nous mettre dans le pétrin, tu sais?’’ ‘’Crois moi, Marcelus, j’avais mes raisons pour agir ainsi.’’ ‘’Comme quoi?’’ ‘’Premièrement, une des règles d’or pour contrôler toute zone quelconque est d’établir une présence visible et ferme. Deuxièmement, j’ai l’intention de revenir ici cette nuit, en force.’’ Cette dernière précision sembla calmer un peu Marcelus. ‘’Mouais! Je dois dire que ça fait longtemps que je rêve de pouvoir vider ces repaires de coupe-jarrets. Mais promet moi de te retenir durant le reste de cette ronde.’’ ‘’Juré! Je vais jouer la paisible touriste à partir de maintenant.’’ Continuant leur tour de Toulouse, Diane fût exposée à des places odorantes telles que la Rue des Bouchers, la Rue des Tanneurs ainsi que le Halle aux Poissons. Toutes avaient la particularité que les artisans qui y travaillaient jetaient leurs détritus directement dans la rue. Diane décida finalement que le Halle aux Poissons gagnait la palme du haut-le-cœur, de justesse. Elle commença à rêver à une longue douche chaude comme ils concluaient le tour de la ville. Comme ils étaient sur le chemin du retour vers le manoir comtal, une gigantesque silhouette passa à basse altitude et à basse vitesse au dessus de la ville, créant un émoi parmi la population. Marcelus, qui suivait des yeux le navire se dirigeant vers l’enclave de l’Expansion Humaine, lâcha un juron. ‘’Nom de Dieu, qu’il est énorme celui là! Quelle est cette chose, Diane?’’ ‘’Ça, c’est le navire cargo VAGABOND qui vient déposer des marchandises et des passagers pour la Tour Toulousaine.’’ ‘’Des passagers? D’où viennent-ils?’’ Un air attristé apparût sur le visage de Diane comme elle lui répondait. ‘’Ce sont les familles d’une partie des membres de notre astronavale qui étaient en poste à Kyoto Alpha et qui ont été évacuées d’urgence avant l’invasion de la planète. La plupart manquent maintenant soit un mari, soit une épouse. Ils vont vivre dans la Tour Toulousaine à partir d’aujourd’hui.’’

228 ‘’Et, ces maris et épouses, où sont-ils?’’ Demanda Marcelus, qui se doutait déjà de la réponse. ‘’Morts, avec les 230,000 membres de l’astronavale et les deux milliards de civils que nous avons perdu dans cette bataille.’’ Marcelus en resta la bouche bée, incapable de croire que des gens aussi puissants que les compatriotes de Diane puissent souffrir une défaite aussi cuisante. ‘’Euh, désolé d’avoir demandé. Je ferais une prière pour leurs âmes ce soir.’’ ‘’Merci, Marcelus.’’ Dit simplement Diane avant de continuer son chemin avec le Franc. Gérard et le Sergent Dempster accueillirent les patrouilles à leur retour au manoir comtal. Une fois tous réunis à nouveau dans le corps de garde, Dempster s’enquit des impressions de ses commandos sur leur tournée. Diane fût la dernière à formuler ses observations. ‘’Sergent, certains coins de Toulouse mériteraient une attention spéciale si nous voulons vraiment améliorer la sécurité dans la ville. Je crois que Marcelus et Gérard pourront vous en parler plus en détail. Il y a toutefois un danger menaçant dont nous devrons nous méfier particulièrement.’’ ‘’Ah! Et quel est ce danger?’’ Demanda Dempster, fronçant les sourcils, tandis que Gérard redoublait d’attention. ‘’Les pots de chambres!’’ Un concert de rire général accueillit la boutade de Diane. Gérard lui administra une tape amicale dans le dos comme il maîtrisait finalement son fou rire. ‘’Elle apprend vite, celle là! Si elle maîtrise aussi bien les armes que sa langue, elle doit être un sacré soldat.’’

20h24 (Heure de Toulouse) Manoir comtal de Toulouse ‘’Prête, ma grande?’’ ‘’Quand tu voudras, mon petit!’’ Diane et Marcelus pouffèrent de rire comme ce dernier prenait les devants pour se diriger vers la Rue des Couteliers. Ils ne s’étaient pas éloignés de plus de cinquante mètres du manoir quand une jeune femme en haillons les croisa d’un pas rapide dans la

229 noirceur, la tête couverte d’un capuchon. Diane crût l’entendre sangloter mais, comme Marcelus continuait à prendre de l’avance, elle dût laisser faire et presser l’allure pour le rejoindre. Le duo passait devant le dôme du monastère de Sainte-Marie la Dorée quand ils entendirent les pleurs d’un bébé à proximité. Diane, aidée par la caméra thermique de son casque, repéra la source des pleurs avant Marcelus. Marchant jusqu’au bas de l’escalier du monastère, elle extirpa d’un panier en osier un tout jeune bébé enroulé dans des bandes de tissus. Un vague de pitié vint à Diane comme elle tenait le bébé. ‘’Le pauvre petit, il doit avoir faim et froid!’’ Elle essaya de le consoler en lui donnant le bout de son petit doit, que le bébé se mit aussitôt à sucer. Marcelus déroula soudain les bandeaux couvrant le poupon et jeta un bref regard, pour le recouvrir ensuite sous le regard perplexe de Diane. ‘’C’est bien ce que je pensais : une pisseuse! Probablement la fille illégitime d’une jeune femme pauvre qui serait reniée pas sa famille si elle tentait de la garder. Les moines trouvent souvent de tels enfants abandonnés sur leurs marches au matin, certains morts de froid ou de privations.’’ Diane sursauta et tourna la tête dans la direction d’où ils étaient venus. ‘’La jeune femme que nous avons croisés. J’avais crû l’entendre pleurer.’’ Le vieux garde compris où elle voulait en venir et lui posa la main gauche sur son épaule, la retenant doucement sur place. ‘’Oublie là! Elle a eu dix fois le temps de disparaître dans le dédale de ruelles de ce quartier.’’ Découragée, la commando contempla le bébé dans ses bras, qui s’était remis à pleurer. ‘’Pauvre petite! Et qu’arrive t’il aux enfants secourus par les moines?’’ ‘’Ils vont à l’orphelinat, s’il y a de la place. Certains entrent au monastère ou au couvent, mais la plupart deviennent des marginaux ou des hors-la-loi vivants dans la rue : une vie dure et souvent courte.’’ Diane prît alors une décision et appela le Sergent Dempster par radio. Cinq minutes plus tard, une ambulance aérienne se posait avec précaution au milieu de la petite place. Diane fût contente de voir que l’infirmier qui débarqua du véhicule était Djéa Renak, qui avait participé comme elle à la première patrouille à avoir effectué le contact avec Toulouse. Elle donna son petit fardeau à Renak, qui offrit aussitôt un biberon de lait au bébé affamé, ce qui arrêta ses pleurs. ‘’Je l’aie découverte dans un panier, sur ces marches. C’est une petite fille abandonnée qui souffre probablement de malnutrition. Prend bien soin d’elle, Djéa.’’

230 ‘’Ne t’en fais pas, Diane. Je vais la traiter aux petits oignons.’’ La commando regarda en silence l’ambulance décoller et disparaître en direction de la Tour Toulousaine. Marcelus dût la rappeler à la réalité. ‘’Eh, nous avons des tavernes à vider, tu te rappèles?’’ ‘’Oui, bien sûr! Allons y!’’ Comme ils atteignaient la Rue de la Fonderie, une forme menue quitta un recoin obscur et s’approcha de Marcelus, qui se contenta de ralentir le pas et de la regarder venir. ‘’Les messires ont-ils besoin de compagnie cette nuit?’’ La lueur de la lune éclaira le visage aux joues creuses d’une jeune fille d’au plus treize ans. Son assurance en disait long sur son expérience professionnelle. Marcelus lui sourit, embarrassé. ‘’Pas moi, merci. Quand à ma compagne, je crois qu’elle préfère les hommes.’’ L’adolescente contempla, ahurie, la haute silhouette de Diane, réalisant seulement maintenant sa méprise, avant de s’enfuir et de disparaître dans une ruelle. Choquée par ce qu’elle venait de voir, la commando ne réagit pas assez vite pour pouvoir la retenir. De toute manière, Marcelus avait repris le pas, forçant une fois de plus Diane à le rattraper. ‘’Comment se fait-il que cette fille aie approché une patrouille du guet sans crainte apparente de se faire arrêter pour prostitution? La prostitution est bien interdite sous la loi du comté, non?’’ Marcelus répondit d’une voix penaude, sans oser la regarder directement. ‘’Euh, ben, c’est que certains d’entre nous se paient un peu de plaisir de temps en temps.’’ ‘’Marcelus, rappelle moi de te faire passer bientôt un examen médical.’’

Dit

sèchement Diane. Aucune autre parole ne fût échangée entre eux jusqu’à la Taverne du Cochon. La ruelle était totalement obscure quand Diane et Marcelus arrivèrent à proximité de la taverne. Ne voulant pas attirer l’attention en allumant la lampe frontale de son casque, la commando avait complété son approche à l’aide de sa caméra thermique, forçant Marcelus à s’accrocher à sa ceinture pour ne pas perdre contact avec elle. Le duo examinait maintenant en silence les tavernes du Cochon et de la Couronne, d’où

231 sortait une cacophonie de voix, de rires gras et d’exclamations. Les fenêtres à volets des deux établissements laissaient passer la faible lumière de lampes de suif, permettant à Diane de distinguer les silhouettes passagères des clients à l’intérieur. Blotti près d’elle dans un coin sombre face aux tavernes, Marcelus s’efforçait de voir quelque chose à l’œil nu, sans grand succès. ‘’Ça a l’air bondé, si j’en juge par le bruit. Où sont tes compagnons? Nous aurons besoin d’eux avec tous ces ruffians.’’ ‘’Ne t’en fait pas, Marcelus. Trente commandos sont déjà postés autour des tavernes, prêts à intervenir. Je viens de recevoir la permission du Sergent Dempster d’entrer à l’intérieur. Avant, j’aie besoin de savoir à quoi nous attendre là dedans.’’ ‘’Au pire, tout simplement!’’ Souffla Marcelus. ‘’La pire racaille de Toulouse s’y tient parce qu’ils s’y pensent à l’abri de la justice du Comte. Il y a des voleurs de tous les calibres, des escroqueurs et des meurtriers en fuite. On y trouve aussi à l’étage des étuves, où des putasses prétendent tenir un simple établissement de bain.’’ Diane tourna son visage vers lui et il cru y voir un sourire sarcastique comme elle parlait. ‘’Dans ce cas, je te laisserais vider les étages pendant que je m’occupe du rezde-chaussée.’’ Marcelus réprima avec peine un soupir d’exaspération. Le ton de sa voix trahit toutefois son impatience. ‘’Écoute, drôle! Pense ce que tu veux de moi. Je ne suis après tout qu’un vieux soldat de fortune illettré et sans famille. Ne t’attends pas à côtoyer un saint ou un moine.’’ Diane resta silencieuse un moment, avant d’adopter un ton conciliant. ‘’Excuse moi, Marcelus. J’avais oublié où je suis. As tu des conseils à me donner avant que nous entrions?’’ ‘’Certainement!

Premièrement, n’oublie pas que la plupart des hommes là

dedans sont capables de tuer pour un oui ou un non. Ils te violeront s’ils en ont la possibilité, avant de t’égorger ou te mutiler. Ne baisse jamais ta garde ou tourne ton dos devant eux : ça ne t’attireras qu’un couteau entre les épaules. À part ça, ça va!’’ ‘’Tu es encourageant au possible, toi.’’ ‘’Je suis simplement réaliste. Alors, on y va?’’ Diane hocha la tête en réponse et quitta le coin où ils s’étaient dissimulés, marchant résolument vers l’entrée de la Taverne du Cochon, Marcelus à ses côtés.

232 21h07 (Heure de Toulouse) Taverne du Cochon ‘’…et t’aurais dû voir comment je lui ai arrangé le pif à ce gros porc de marchand. Il s’est enfui la queue entre les jambes. Ensuite, moi et Fréjus, on s’est payé sa femme et sa fille.’’ Le dénommé Fréjus, assis en face de Jules, éclata de rire, montrant deux rangées incomplètes de dents jaunâtres cernées par une barbe hirsute et graisseuse. ‘’Mais on a été gentils avec elles : nous les avons laissé partir après...nues comme des vers!’’ Un troisième homme assis à la même table sourit comme Jules et Fréjus s’esclaffaient de nouveau. Aussi crotté que ses compagnons, sa carrure imposante ainsi que les larges battoires qui lui tenaient de main le signalaient toutefois comme quelqu’un de particulièrement redoutable, et avec raison : Rufius ne comptait plus les gens qu’il avait tué, soit pour le gain, soit pour le plaisir, rarement par nécessité. Personne n’osait le contrarier ou se mettre dans son chemin à Toulouse, même pas le guet.

Comme

Fréjus, qui faisait face à l’entrée de la taverne, levait son gobelet de vin et avalait une gorgée, ses yeux s’écartèrent de surprise et il s’étouffa, crachant son vin dans le visage de Rufius. Le colosse lâcha un juron sonore et agrippa par le collet l’homme terrorisé, le soulevant de son siège comme un simple enfant. ‘’T’EST SIPHONNÉ OU QUOI, FILS DE PUTE? J’VAIS TE TORDRE LE COU!’’ ‘’La fille…ici!’’ Gargouilla péniblement Fréjus, déjà à moitié étranglé. Tournant la tête vers la porte, Rufius desserra presque aussitôt son étreinte sous l’effet de la surprise. ‘’Par le Diable, la morveuse de ce midi, avec cette punaise de Marcelus, ici.’’ Se rassoyant face à la porte cette fois ci, Rufius regarda la géante et le soldat du comte s’asseoir à une table près de la porte et commander à boire. Comme la serveuse passait avec un cruchon et deux gobelets pour les nouveaux venus, Rufius lui saisit le bras, l’arrêtant net et manquant de peu de lui faire échapper son cruchon. ‘’Laisse, Marthe : je vais servir moi-même ces gringalets.’’ Un concert de rires gras et d’encouragements accueillit l’annonce de Rufius. Le cruchon et les gobelets à la main, il s’avança pesamment vers la géante et son compagnon. Ce dernier semblait peu sûr de lui, ce dont Rufius ne pouvait le blâmer. Quand à la grande jeune femme portant une cuirasse et un casque d’aspect insolite, elle le regarda

233 tranquillement sans sourciller.

Son audace et son aplomb rendirent Rufius furieux :

aucun homme n’avait jamais osé le narguer ainsi. Venant d’une femme, un tel toupet équivalait à une gifle au visage. Posant brutalement les gobelets sur leur table, il se pencha jusqu’à ce que son visage ne soit qu’à quelques centimètres de celui de la jeune femme. Ignorant totalement Marcelus, qui était tendu comme un ressort, Rufius grogna de sa voix la plus menaçante. ‘’T’est pas très sage de venir me narguer ici, poufiasse morveuse. Mais, si tu me suis tranquillement en haut et que tu te montre vraiment gentille avec moi, je déciderais peut-être de ne pas t’égorger, toi et ton fouille-merde.’’ La jeune femme attendit que les rires se soient tût avant de répliquer d’une voix ferme. ‘’Vous savez ce que ça coûte, menacer le guet, gros lard?’’ Poussant un cri de rage, Rufius lança le contenu du pichet de vin au visage de la femme avant de la saisir à la gorge. Surprise et aveuglée momentanément par le vin, Diane leva soudain son bâton anti-émeute et l’enfonça dans le ventre de Rufius. Une douleur foudroyante traversa le corps de la brute, tandis que ses muscles se nouèrent de façon incontrôlable. Il s’écroula au sol en se contorsionnant, à la stupeur générale. Diane en profita pour se lever et adopter une pose agressive, son bâton tenu solidement à deux mains. ‘’ÉCOUTEZ, TOUS!

VOUS ALLEZ SORTIR TRANQUILLEMENT PAR LA

PORTE DE DEVANT, UN PAR UN, MAINTENANT! QUAND À TOI, GROSSE BRUTE ÉPAISSE, JE T’ARRÊTE POUR ASSAUT ET MENACES DE MORT CONTRE UN MEMBRE DU GUET.’’ Personne ne bougea pendant un moment, les occupants de la taverne étant stupéfiés par la défaite de leur champion aux mains d’une femme. Le délai fut suffisant pour que Rufius se remette des effets de la décharge qu’il avait reçue. Se remettant debout avec un grognement, il extirpa un long coutelas de sa ceinture et le pointa vers Diane, qui lui fît face résolument. ‘’Tu commence à me les casser, sale petite roulure!’’ Il fonça alors sur elle comme un taureau, sa lame tendue devant lui. Diane attendit l’ultime moment avant de s’effacer de côté.

Son bâton décrivit deux arcs rapides,

frappant en premier le poignet droit de Rufius, pour ensuite percuter sa tempe. Le colosse lâcha son couteau et s’écrasa contre une table, qui se brisa sous son poids. Ivre de rage, Rufius se releva en titubant et fonça de nouveau sur Diane. Cette fois ci, il réussit à saisir son bâton et essaya de le lui arracher à deux mains. Diane s’agrippa à

234 son bâton et planta ses deux pieds dans le ventre de son adversaire. Déséquilibré par les 79 kilos de Diane suspendus devant lui, Rufius tomba vers l’avant et fut catapulté en l’air par une furieuse ruade de la commando, qui avait roulé sur son dos. Le colosse retomba pesamment sur une table et trois clients de la taverne, sonné pour le compte. Souple comme une panthère, Diane sauta sur ses pieds, tenant toujours son bâton. ‘’ALORS, QU’EST-CE QUE VOUS ATTENDEZ? J’AI DIT DEHORS, TOUS!’’ Encouragés par des coups du plat de l’épée de Marcelus, la foule s’empressa vers la porte. Une fois dehors, les clients de la taverne furent fermement enlignés, fouillés et menottés par les commandos du Sergent Dempster. Beaudouin et Baya Makwando, de leur côté, pénétrèrent dans l’établissement et empoignèrent sans ménagement Rufius, toujours ébranlé. Deux paires de menottes immobilisèrent les poignets de la brute, qui fut traîné dehors jurant et crachant. Maintenant seuls dans la salle dévastée, Marcelus et Diane se regardèrent. Une lueur d’admiration brillait dans les yeux du vieux soldat. ‘’Eh ben, ma grande bêtasse, tu sais vraiment comment filer des tartes, toi.’’

235

CHAPITRE 19 – RÉACTIONS 16h21 (Heure de Toulouse) Jeudi, 20 octobre 861 Moissac, rive droite de la jonction de la Garonne et de la Tarn Vieille route romaine entre Agen et Toulouse ‘’Messire, je vois le village de Moissac droit devant.’’ ‘’Enfin!’’ Grogna Robert le Fort, trempé comme une soupe par la froide pluie battante qui durait depuis des heures et rendait cette étape misérable pour lui et sa petite troupe. Pressant son cheval au petit trot, il mena ses quatre chevaliers et cinq écuyers jusque dans la cour d’une auberge du petit village de Moissac, situé sur la rive droite de la Tarn et un kilomètre en amont de la jonction avec la Garonne.

À sa

surprise, Robert trouva les écuries de l’auberge presque pleines comme il mettait pied à terre avec ses hommes. ‘’Fichtre! Il y a bien du monde ici pour une petite auberge de campagne.’’ ‘’Peut-être sont-ce des gens qui attendent d’utiliser le traversier demain, messire.’’ Proposa Jehan, son écuyer. Robert hocha la tête à cette explication, qui faisait du sens. ‘’Vrai! La Tarn est large et il n’y a pas de passages à gué, que je connaisse. Allez, les hommes, dessellons nos chevaux et donnons leurs à boire et manger avant d’entrer dans l’auberge.’’ ‘’Et s’il ne restait plus de place dans l’auberge, messire?’’ Demanda Guillaume, un de ses chevaliers. Robert lui lança un regard sarcastique. ‘’J’aimerais bien voir un aubergiste avoir le culot de dire au Marquis de Neustrie qu’il n’a pas de chambre pour lui, surtout quand le dit marquis se promène en qualité de Missi Dominici10.’’ Un garçon d’écurie de l’auberge se présenta finalement comme Robert enlevait la selle du dos de son cheval. ‘’Je vais m’occuper de nourrir et abreuver vos chevaux, messire.’’ Robert lui lança un denier d’argent, que le garçon attrapa.

10

Missi Dominici : Personne attitrée par le roi en tant qu’envoyé spécial et représentant royal.

236 ‘’Donne leur le meilleur et dit à l’aubergiste de le mettre sur mon addition, garçon.’’ ‘’Oui, messire!’’ Prenant avec lui ses sacs de selle et ses armes, Robert marcha jusqu’à l’entrée de l’auberge, suivi de ses hommes.

Leur entrée dans la salle commune enfumée et

pauvrement éclairée de l’établissement fît taire les conversations des clients présents, qui fixèrent avec appréhension les nouveaux venus lourdement armés et portant des casques et des broignes.

Robert les ignora et alla au comptoir, derrière lequel un

homme dans la trentaine se tenait. ‘’J’ai besoin d’une chambre pour moi, plus au moins deux autres chambres pour mes hommes, pour cette nuit.’’ ‘’Mais, c’est qu’il ne me reste qu’une chambre, messire, et une petite en plus.’’ Répondit l’aubergiste sur un ton embarrassé.

Robert le regarda d’un œil peu

sympathique. ‘’Dans ce cas, fais libérer des chambres! Je suis Robert le Fort, Marquis de Neustrie, en voyage officiel pour le Roi Charles. Mes hommes ne coucherons pas dans les écuries.’’ ‘’Euh, je vais arranger quelque chose de suite, messire.’’ Comme l’aubergiste s’empressait d’aller parler à un groupe de clients assis à une table, Robert examina les quelques cinquante personnes remplissant la salle commune. La majorité d’entre eux paraissaient être des marchands, mais Robert détecta ce qui paraissait être une famille de nobles de petite lignée, à en juger par leurs vêtements. Une jeune adolescente, probablement la fille du noble assis face à elle, était particulièrement belle et retint l’attention de Robert pour un moment. L’aubergiste revint alors vers Robert, tandis que huit clients s’empressaient de monter à l’étage. ‘’Bonnes nouvelles, messire : des clients ont accepté de se tasser et de libérer trois de mes chambres. J’aurais donc quatre chambres pour vous et vos hommes dans quelques minutes. Je peux vous conduire à la votre immédiatement, si vous le voulez.’’ ‘’Faites, aubergiste!’’ Répondit Robert, adoucissant son ton de voix. L’homme n’était pas après tout en faute et avait réglé le problème avec célérité.

Suivant

l’aubergiste à l’étage, Robert se fît montrer une petite chambre au mobilier frustre. ‘’Je vais la prendre.’’ Dit Robert avant de déposer ses sacs de selle, sa broigne, son casque et ses armes dans un coin, ne gardant que son épée et sa dague. Il retourna ensuite dans la salle commune, croisant ses hommes comme l’aubergiste les

237 escortait à leur tour à leurs chambres. Allant à la table occupée par la famille de nobles, il sourit avec bienveillance au couple et à leurs trois enfants, dont l’adolescente. ‘’Bonsoir, gentes dames et sires! Puis-je m’asseoir à votre table?’’ ‘’Nous en serions honorés, messire!’’ Répliqua le père de famille, un homme solide dans la trentaine avancée qui devinait que Robert devait être un personnage important, à en juger à son équipement et à sa suite. Il resta toutefois surpris quand Robert se présenta, tandis que sa femme et sa fille aînée s’inclinaient avec respect. ‘’Le valeureux Robert le Fort, à ma table? C’est un grand honneur, en vérité. Je suis Sire Jean de Bergerac, chevalier de la suite du Comte de Périgueux, et ceci est ma femme Gilberte, mes filles Judith et Marie et mes fils Enguerrand et Pierre.’’ Robert les salua à tour de rôle avant de s’asseoir aux côtés de Judith. ‘’Alors, où allez vous ainsi avec votre petite famille, Sire Jean?’’ ‘’Nous nous rendons à Toulouse, Messire Robert, pour aller y voir les merveilles dont on parle depuis quelques jours à Périgueux.’’ ‘’Ah?

Et de quelles sortes de merveilles parles t’on?’’

Demanda Robert,

instantanément intéressé. En vérité, sa mission était de voir pour le compte du Roi Charles ce qui se passait dans le comté de Toulouse et d’en faire rapport au plus vite. La belle Judith coupa la parole à son père pour répondre d’une voix enthousiaste à Robert, qui ne s’en froissa pas. ‘’Des marchands de retour de Toulouse nous ont décris une tour énorme, fantastique, avec des milliers de lumières l’illuminant la nuit, ainsi que des navires volants qui se posent régulièrement à Toulouse. On dit que les gens qui sont venus sur ces navires volants ont massacré les Vikings qui écumaient la région le mois dernier. Ces marchands ont également rapporté que l’on peut maintenant se procurer à bas prix à Toulouse bien des choses que l’on ne trouve pas ailleurs, comme des objets de verre, et des choses importées de très loin.’’ ‘’Et…ces gens qui volent, qu’en dit-on?’’ ‘’Certains, surtout des moines et des prêtres, jurent qu’ils sont des envoyés du Diable et des sorciers. D’autres les décrivent comme des gens bons et aimables mais aussi possesseurs d’un grand savoir.

En vérité, comment des gens qui nous ont

débarrassé de ces barbares de Vikings peuvent-ils être mauvais, messire?’’ Robert ne pût qu’être d’accord avec la jeune fille.

Bien que le Roi Charles fût

maintenant gravement inquiet, Robert savait qu’il était inquiet pour son pouvoir personnel, et non pour son royaume, qu’il avait négligé bien trop souvent au goût de

238 Robert dans les années passées. Personnellement, Robert avait une dette de gratitude envers les inconnus volants, qui avaient débarrassé le royaume d’un ennemi qui le saignait à blanc et avait commis bien des atrocités pendant des dizaines d’années. Pour ce qui était de l’existence des inconnus, elle ne pouvait être déniée par personne après le passage répété de leurs gigantesques navires volants au dessus de la plupart des villes de Francie. ‘’Je tendrais à agréer avec vous à ce sujet, ma jeune Judith. J’ai vu de mes propres yeux les navires et machines de guerre des inconnus, quand ils ont massacré une colonne Viking que je me préparais à attaquer près de Tours. La puissance de leurs armes m’a quasi terrorisé, et Dieu sait si je ne m’effraie pas facilement. Alors, je suppose que vous attendez de pouvoir prendre un traversier demain pour passer la Tarn et continuer votre route vers Toulouse.’’ ‘’Un traversier, messire?’’ Dit Sire Jean, apparemment confus. ‘’Vous n’avez pas entendu parler du nouveau pont qui traverse la Tarn tout près d’ici?’’ ‘’Un pont? Mais, la Tarn a une largeur minimum de quelques centaines de pas. Un tel pont prendrait des mois à construire.’’ ‘’Pourtant, messire, plusieurs marchands et voyageurs arrivant récemment de Toulouse nous ont décrit un immense pont qui aurait été bâti en quelques jours à peine au dessus de la Tarn. L’aubergiste pourrais probablement vous en dire plus à ce sujet.’’ ‘’Par le Diable! Je ne m’en priverais point, Sire Jean.’’ Dit Robert, abasourdi. ‘’Je dois moi-même me rendre à Toulouse avec ma troupe. Que diriez-vous si je vous escortais, vous et votre famille, pour le reste du trajet? Une escorte solide est toujours une bonne chose en ces temps troubles.’’ Le chevalier courba la tête avec révérence à ces mots. ‘’Être escorté par le valeureux Marquis Robert le Fort sera un grand honneur pour moi et ma famille, messire.’’ La serveuse de l’auberge se présenta à ce moment à leur table, un plateau chargé d’une bouteille et de plusieurs petits gobelets, tous en verre. Elle sourit à Robert tout en faisant une légère courbette. ‘’Messire Robert, mon maître l’aubergiste aimerais inaugurer en votre honneur un nouveau breuvage importé de Toulouse.

Un marchand nous a vendu quelques

bouteilles, ainsi que des gobelets en verre, il y a deux jours. Nous attendions d’en procurer plus avant d’en servir à nos clients mais votre passage ici se doit d’être célébré de manière appropriée. Cette bouteille est aux frais de l’auberge.’’

239 ‘’L’aubergiste est un bien brave homme.’’

Dit Robert tout en souriant à la

servante, qui déposa la bouteille et les gobelets sur la table. Robert réalisa alors que les gobelets, comme la bouteille, étaient en verre taillé. Sire Jean et sa famille fixèrent également les gobelets avec admiration : à cette époque, tout objet en verre coûtait une fortune. Souriant à leur ébahissement, la servante versa un liquide ambré dans les petits gobelets tout en parlant. ‘’Cette boisson s’appelle du brandy et je peux vous certifier qu’elle n’est pas à boire à grande gorgées : c’est très fort et peut causer toute une migraine le lendemain si bue à l’excès. Elle est toutefois parfaite pour réchauffer les voyageurs transis comme messire.’’ Saisissant un des gobelets, Robert sentit le contenu et fronça les sourcils. ‘’C’est définitivement quelque chose de nouveau pour moi, ma belle. Voyons voir!’’ Robert le Fort avala alors la moitié de son verre, comme ceux autour de lui le fixaient avec curiosité. Les yeux de Robert se croisèrent, tandis qu’il grimaçait comme le liquide coulait le long de la gorge. ‘’Ouf! Ça réchauffe où ça passe, en vérité. J’aime ça!’’ Comme la servante remplissait de nouveau son verre, Sir Jean, sa femme et ses deux enfants les plus âgés prirent une gorgée à leur tour. Sir Jean se cogna la poitrine et regarda avec respect son verre, tandis que des larmes venaient aux yeux de sa femme et de sa fille Judith. ‘’Par le Diable, c’est du feu liquide, ce brandy! Le goût est toutefois agréable, après que l’on reprenne notre souffle.’’ Voyant les hommes de sa troupe descendre à ce moment par l’escalier de l’étage, Robert leur fît signe de le joindre et regarda la servante, tout en lui donnant deux deniers d’argent. ‘’Amène neuf autres gobelets pour mes hommes, veux tu, ma belle.’’ ‘’Tout de suite, messire!’’ Robert examina de plus près la bouteille de brandy, notant l’étiquette en papier collée dessus et portant des inscriptions en quatre langues, dont l’Occitan. ‘’Liqueur produite et embouteillée à Toulouse. À boire avec modération. Ça c’est vrai!’’ Les hommes de Robert se présentèrent poliment à Sire Jean et sa famille avant de s’asseoir à une table voisine. Une fois que la servante fut de retour avec les gobelets

240 supplémentaires, Robert leur fît goûter au brandy et surveilla leurs réactions comme ils essayaient le nouveau breuvage. Guillaume, un des chevaliers, regarda son verre avec respect une fois qu’il eut récupéré son souffle. ‘’J’espère que nous allons nous procurer plus de cette boisson pendant notre visite à Toulouse, messire.’’ ‘’Oh que oui! Cela ne sera toutefois pas la seule chose que nous y prendrons.’’ Promit Robert avant de vider son verre.

15h17 (Heure de Toulouse) Samedi, 22 octobre 861 Porte Lascrosses (porte nord) Toulouse, Francie Occidentale Robert et sa troupe, ainsi que la famille de Sire Jean, restèrent silencieux un long moment, après avoir été survolés à basse altitude par un navire volant de la taille d’une montagne qui venait de décoller d’une île proche sur la Garonne. La tour fabuleuse en verre et acier qui dominait la ville était toutefois toujours là, captivants leurs regards. ‘’Que c’est beau!’’ Dit doucement Judith de Bergerac, assise en amazone sur son cheval, tout en fixant la Tour Toulousaine. Robert dû agréer avec la jeune fille que la tour, bien que gigantesque, était d’une architecture élancée et gracieuse. Plus il voyait de choses au sujet des étrangers, qu’il savait maintenant venir du futur s’il pouvait croire les nombreux marchands et voyageurs qu’ils avaient rencontré en chemin, plus Robert se rendait compte que toute tentative pour les opposer ou les attaquer serait condamnée d’avance à l’échec.

Devant un tel étalage de puissance et de

connaissances, mieux valait tirer le mieux de la situation et mettre de l’eau dans son vin. Il n’était pas sûr toutefois que le Roi Charles accepte de comprendre cette nouvelle réalité, obsédé qu’il était par son ambition et sa soif de pouvoir. Sans le dire tout haut, Robert se sentait de plus en plus prêt à abandonner ce roi qui se souciait si peu de son propre peuple. Robert avait trop souvent vu les ruines fumantes et les cadavres de paysans laissés par les Vikings sur leur passage mais, pour le Roi Charles, seuls comptaient les taxes qu’il pouvait continuer à soutirer des survivants, sans regard à la misère grandissante de la majorité du royaume. Robert se sentit lui même coupable comme il pensait à cela : après tout, il faisait partie de ceux qui vivaient des taxes tirées du peuple. À bien y penser maintenant, il réalisait que le Roi Charles n’était pas seul à

241 ne penser qu’à lui-même : la plupart des nobles d’Europe faisaient preuve du même égoïsme. Quelques années plus tôt, il n’aurait pas pensé à deux fois sur ce sujet, mais il avait trop vu de misère populaire dernièrement pour continuer à ignorer son propre rôle dans tout ceci. Au moins, se dit-il pour se consoler, il avait fait plus que sa part pour tenter de protéger le petit peuple, remplissant ainsi ses obligations de maître envers ses vassaux et sujets. Il ne pouvait en dire de même du Roi Charles et d’autres grands nobles, et de loin. Robert en était encore à ses pensées moroses quand le groupe rencontra un panneau métallique sur le rebord de la route recouverte d’une sorte de mortier blanc qu’ils suivaient depuis Moissac. Fixé sur un poteau d’acier planté à 200 pas de la porte nord de la ville de Toulouse, à une jonction de la route, le panneau montrait des pictogrammes en couleur, accompagnés d’inscriptions en quatre langues. Même sans les inscriptions, les pictogrammes étaient relativement faciles à comprendre. Jehan, l’écuyer de Robert, le regarda, indécis. ‘’Il y aurait une auberge et un marché dans cette direction, messire, mais la route contourne la ville.’’ Robert ne prît qu’une seconde à se décider. ‘’Prenons cette route vers l’auberge.

Nous avons besoin de toute façon de

trouver un gîte pour la nuit. Venez vous avec nous, Sire Jean, ou voulez vous entrer en ville?’’ ‘’Euh, je vais vous suivre, Messire Robert.’’ Répondit le chevalier, pour le moins secoué par tout ce qu’il venait de voir dans la dernière heure. C’était comme si lui et sa famille pénétrait dans un nouveau monde étrange mais fascinant. Suivre un guerrier valeureux comme Robert le Fort lui semblait la chose la plus sûre pour le moment. Le groupe emprunta donc la route contournant la ville du côté est, croisant en chemin un nombre considérable d’autres voyageurs à pied ou en chariot. À un moment donné, Robert vît approcher sur la route une jeune fille et un jeune garçon, montés sur de petits véhicules bizarres à deux roues qu’ils actionnaient avec leurs jambes.

Par leurs

vêtements, il était évident qu’ils n’étaient pas des Francs. Toute sa troupe ainsi que la famille de Jean de Bergerac fixait avec curiosité les deux adolescents quand Robert leva la main gauche et appela la jeune fille. ‘’HÉ, HO, JEUNE FILLE! QUELLE SORTE DE CHOSE MONTEZ VOUS?’’

242 La jeune fille, qui avait environ douze ans et avait des cheveux blonds et des yeux verts, arrêta sa machine à côté du cheval de Robert avant de lui décocher un sourire innocent et lui répondre en Occitan. ‘’Cela s’appelle une bicyclette, monsieur. Vous en verrez plusieurs autour de la Tour Toulousaine et de la place du marché.’’ ‘’La Tour Toulousaine? Je suppose que c’est cette énorme tour bâtie sur la Garonne.’’ ‘’Exact, monsieur.

Nous y habitons.

Vous venez pour visiter le marché, je

suppose?’’ ‘’Oui, mais nous allons prendre des chambres auparavant à l’auberge annoncée par les panneaux le long de la route. Est-ce encore loin?’’ La jeune fille échangea un regard rapide avec le garçon, probablement son frère à en juger par leur ressemblance, avant de sourire de nouveau à Robert. ‘’C’est tout près! Suivez nous : nous allons vous montrer.’’ Les deux enfants tournèrent leurs véhicules de bord et se mirent à pédaler de nouveau, se tenant à la hauteur de Robert et de sa troupe. Jehan, qui chevauchait aux côtés de Robert, souffla à ses oreilles en langue d’Oïl. ‘’Si ce sont bien des enfants du futur, ils sont bizarres mais quand même courtois.

Je m’attendais à plus d’arrogance de leur part, au vu de leur puissance,

messire.’’ ‘’Normalement, moi aussi. Il semble toutefois que ces gens soient différents de nous à bien des points de vue, incluant leurs mœurs et leur étiquette. Tu as remarqué comment ils ne se sont pas courbés devant moi : ou ils ne savent pas faire la différence entre paysans et nobles, ce qui m’étonnerait, ou ils n’en ont cure. Pourtant, ils ne m’ont pas

donné

l’impression

de

vouloir

me

manquer

de

respect.

Ils

sont

simplement…amicaux, d’une manière bien innocente.’’ ‘’Très vrai, messire.’’ Robert demanda alors une question à la jeune blonde en bicyclette. ‘’Jeune fille, quels sont ces sortes de poteaux d’acier bordant la route et portant des moulures en verre?’’ ‘’Ce sont des lampadaires, monsieur. Ils s’allument la nuit, pour illuminer la route et la rendre plus sure pour les voyageurs.’’ ‘’Ils s’allument? Avec quoi, des chandelles?’’

243 ‘’Avec de l’électricité. L’auberge du marché est équipée d’appareils électriques, ce qui vous permettra d’en apprendre plus à ce sujet, monsieur. C’est un sujet un peu compliqué à expliquer en seulement quelques minutes.’’ Robert faillit la rabrouer à ce moment mais se retint, comprenant que la fille disait simplement la vérité plutôt que de le traiter comme un idiot. Il ne parla plus jusqu’à ce que son groupe commence à voir la zone directement au sud des murs de Toulouse. Robert, comme les autres Francs avec lui, sentit sa tête tourner quand il vît les édifices de toute sorte qui s’étalaient le long de la rive droite de la Garonne, et ce sur plus de deux kilomètres. Près d’une douzaine de bâtiments et structures diverses étaient regroupés près des murs de la ville, à proximité de deux ponts enjambant la Garonne, tandis qu’un autre groupe d’édifices s’élevaient au dessus du sommet des arbres environnants à près d’un kilomètre plus loin du premier groupe. Robert pouvait également mieux voir maintenant la tour géante et les autres constructions sur l’île principale au milieu de la Garonne. Des sortes de machines et véhicules semblaient travailler à préparer des fondations pour trois édifices distincts près de la porte sud de Toulouse. ‘’Qu’est-ce que tout ceci, jeune fille? Rien de ceci m’est familier.’’ ‘’C’est compréhensible, monsieur : nous n’avons commencé à construire notre complexe industriel et nos bâtiments publics qu’il y a à peine un mois. Dans une autre semaine au plus l’école primaire, l’hospice pour vieillards et la cuisine populaire seront achevés.’’ ‘’Et…pour qui serviront ces bâtiments?’’ ‘’Mais, pour tous, bien entendu!’’ Répondit la fille, qui scruta alors plus en détail Robert.

‘’Pensiez vous que tout cela ne pouvait être pour de simple paysans,

monsieur?’’ ‘’Fais attention à ta langue, petite! Tu parles à un marquis!’’ Avertit d’une voix menaçante Guillaume du haut de son cheval. Robert lui fît signe de se tenir tranquille mais la fille avait déjà changé radicalement d’attitude, lançant un regard courroucé au chevalier de Robert. ‘’Monsieur, je crois avoir été polie avec vous à date. Comprenez toutefois qu’ici tout le monde est traité en égal, spécialement dans notre enclave. Si vous voulez jouer aux brutes ici, vous vous ferez remettre à votre place promptement. L’auberge et ses étables sont situées entre l’entrée des deux ponts. Au revoir!’’

244 Les deux adolescents s’éloignèrent alors en pédalant vers l’île, accélérant jusqu’à pratiquement atteindre la vitesse d’un cheval au galop. Guillaume les regarda aller d’un œil sanguin. ‘’Petite morveuse! Elle mériterait quelques coups de fouet à mon avis, Messire Robert.’’ ‘’Si tu veux nous faire volatiliser à coup de foudre bleue, cela serait probablement le meilleur moyen de provoquer ces gens du futur contre nous, Guillaume. Tu devras te faire à l’idée que ces gens ont des coutumes et valeurs très différentes des nôtres.’’ ‘’Si vous le dites, messire.’’ Répondit le chevalier, visiblement peu convaincu. ‘’Alors, allons à cette auberge pour y prendre des chambres, s’il en reste encore. Il semble y avoir déjà beaucoup de marchands ici, si j’en juge par le nombre de chariots à l’arrière de cette auberge.’’ Les 17 Francs trottèrent vers le large édifice désigné comme étant l’auberge par la jeune fille en bicyclette, continuant de croiser de nombreux autres voyageurs. Plus ils s’en approchaient et le détaillaient, plus Robert le Fort et sa suite en restaient bouche bée. L’auberge mesurait plus de cent pas de longueur par cinquante pas de profondeur et s’élevait sur dix étages. Ce qui frappait le plus Robert toutefois était le fait qu’elle était entièrement construite en acier et en verre, des matériaux qui valaient une fortune dans le reste de la Francie. Jehan résuma les pensées de ses compagnons en s’exclamant comme ils approchaient du porche couvert de l’auberge. ‘’Ce n’est pas une auberge, Messire Robert : c’est un palais! Regardez moi ces vitres hautes comme deux hommes! Chacune d’elles coûterait une fortune à Paris.’’ ‘’Il semble en effet que ces gens du futur produisent du verre comme nous produisons du pain, mon cher Jehan.

Au moins, nous devrions avoir un séjour

confortable pendant notre visite à Toulouse.’’ ‘’Oui, mais pouvons nous payer pour un tel luxe, Messire Robert?’’ Dit Sire Jean de Bergerac, qui n’était pas exactement riche, surtout après que les Vikings aient ravagé à répétition les terres de ses paysans dans les années et mois précédents. Robert haussa les épaules. ‘’Nous le verrons bientôt, Sire Jean.’’ Empruntant une voie menant directement sous le porche d’entrée de l’auberge, Robert aperçut un homme et plusieurs adolescents en habits francs qui attendaient près des portes d’entrée. L’homme, un individu dans la trentaine portant des vêtements de bonne

245 qualité, approcha Robert dès que ce dernier arrêta son cheval en face de l’entrée et s’adressa à lui en Occitan tout en se courbant poliment. ‘’Le bon messire désire t’il prendre des chambres pour lui et sa suite à notre auberge?’’ ‘’Si les prix ne sont pas aussi grandioses que l’aspect de ton auberge, brave homme.’’ L’homme sourit et répondit d’un ton rassurant. ‘’Je vous assure que les prix des chambres et des repas à notre auberge sont compétitifs avec n’importe quelle autre auberge décente de Francie, messire.’’ ‘’Dans ce cas, nous prendrons des chambres, moi et ma suite.’’ L’homme, qui devait être une sorte de portier, fît alors signe à six des adolescents qui attendaient près de la porte de s’approcher avant de sourire de nouveau à Robert. ‘’Ces garçons d’écurie prendront soin de conduire vos chevaux aux écuries situées à l’arrière de l’auberge, messire. Je vais également appeler des porteurs pour vos bagages.’’ Un autre signe du portier et quatre adolescents portant la livrée bleue et or de l’auberge s’avancèrent en poussant des petits chariots bas en acier à quatre roues. Comme Robert mettait pied à terre avec les autres Francs de son groupe, un des garçons d’écurie accrocha sur une des brides de son cheval une sorte de jeton orange portant un numéro en chiffres romains avant de lui donner poliment un jeton similaire portant le même numéro. ‘’Gardez bien ce jeton, messire : il vous marquera comme propriétaire légitime de votre cheval. Vous n’aurez qu’à montrer votre jeton quand vous irez aux écuries pour avoir accès à votre cheval. Ce système évite qu’un voleur puisse prendre votre cheval à votre place.’’ ‘’Recevez vous tant de voyageurs à votre auberge, garçon?’’ ‘’Depuis une semaine, le flot ne s’arrête pas, messire.’’ Prenant ses sacs de selle et ses armes, Robert laissa ensuite le garçon d’écurie emmener son cheval par la bride. Un autre garçon s’approcha alors de lui avec un chariot à bagage portant déjà quelques sacs de selle et s’inclina poliment. ‘’Si le bon sire veut que je porte ses bagages…’’ Robert accepta de bonne grâce, impressionné par un tel service, qui se comparaissait favorablement à date avec celui de la cour du roi. Une fois les chevaux pris en charge et les bagages mis sur les chariots, le portier invita Robert et sa suite à le suivre à

246 l’intérieur. Poussant des portes battantes doubles en verre, le portier les guida alors jusqu’à un long comptoir de réception, derrière lequel quatre jeunes femmes et deux jeunes hommes se tenaient. Robert, déjà frappé par le confort, le modernisme et les lumières artificielles du salon d’accueil de l’auberge, remarqua immédiatement que le personnel au comptoir de réception n’était pas Franc et chuchota discrètement à ses chevaliers. ‘’Soyez compréhensifs et polis même si on ne vous adresse pas avec les titres appropriés : ces gens sont du futur.’’ Robert s’approcha du comptoir et fît face à une des jeunes femmes, qui lui décocha un sourire éclatant et parla en Occitan. ‘’Monsieur veut-il une chambre ici?’’ ‘’Oui, gente damoiselle. J’aurais besoin d’une chambre pour moi et de cinq autres chambres avec grands lits pour les neuf hommes de ma suite. Le bon Sire Jean, qui voyage avec sa famille aura également besoin de chambres. Combien chargez vous par nuit et par chambre?’’ ‘’Nous avons deux taux différents selon le niveau de luxe des chambres, monsieur. Une chambre ordinaire coûte un denier par jour et par occupant, repas noncompris, tandis qu’une chambre de luxe coûte deux deniers par jour et par occupant, sans les repas. Toutes nos chambres ont des salles de bain et de toilette privées. Nous avons un restaurant et une taverne pour nos clients sur le dernier étage et nous avons également un service de lessive. Il y a également une charge d’un quart de denier par jour et par cheval nourri à nos écuries.’’ ‘’Cela me semble très raisonnable au vu du confort apparent de votre auberge. Je vais prendre une chambre de luxe pour moi et cinq chambres ordinaires pour mes hommes. Je pense rester pour au moins quatre nuits. Euh, y a-t-il une chapelle dans votre auberge? Demain est dimanche.’’ La jeune femme, une belle blonde aux yeux en amande, sourit tout en s’excusant. ‘’Désolé, monsieur. Nous pensions offrir un tel service mais aucun prêtre de Toulouse n’a accepté d’officier dans notre auberge.

Toulouse possède toutefois

plusieurs églises. Puis-je avoir votre nom, ainsi que celui des gens de votre suite?’’ Pas vraiment surpris par la réponse au sujet des services religieux, Robert hocha la tête. ‘’Certainement! Je suis Robert le Fort, Marquis de Neustrie, Comte de Tours, d’Angers et d’Orléans.’’

247 La jeune femme lui jeta un regard rapide en entendant ses titres avant de taper sur un clavier tout en regardant un écran. Elle enregistra ensuite les noms des chevaliers et écuyers de sa suite avant de distribuer des clés de chambres, le sourire toujours aux lèvres. ‘’Voici vos clés, messieurs. Messire Robert, vous avez notre meilleure chambre au neuvième étage, qui vous donne une bonne vue des environs, tandis que vos hommes logeront dans des chambres sur le même étage. Quelqu’un va maintenant vous escorter à vos chambres et vous expliquera également comment utiliser les diverses facilités de l’auberge. Ne prenez pas ceci comme une insulte, mais nous avons des règles d’hygiène publique très strictes, spécialement au vu que nous recevons des clients d’un peu partout et de toutes les classes sociales.’’ ‘’Vous n’avez point à vous excuser, belle dame.’’ Dit Robert, souriant à la jeune femme. ‘’Je suis un vieux soldat et en aie vu de toutes les couleurs. Je peux payer les chambres d’avance, si vous préférez.’’ ‘’C’est votre choix, Messire Robert. Vous pourrez également payer vos repas et boissons au fur et à mesure, ou en quittant l’auberge.’’ Robert choisit de payer d’avance pour les chambres et, après un dernier sourire à la belle réceptionniste, suivit ensuite les deux jeunes hommes qui poussaient les chariots portant ses bagages et ceux de ses hommes. Ce faisant, il promit au passage à Sire Jean de le rencontrer pour le souper. Le voyage en élévateur prouva être une expérience en lui même pour Robert et ses hommes, qui s’attendaient à grimper une longue série d’escaliers. Tandis qu’un des porteurs se chargeait de huit de ses hommes, le deuxième porteur ouvrit la porte de la chambre réservée pour Robert et le fit entrer avec son écuyer. ‘’Votre écuyer à une chambre communicante à la vôtre, Messire Robert.’’ Dit le porteur, un jeune Franc. Il laissa alors Robert examiner la chambre. Ce dernier fut plus que satisfait : en plus d’être de bonne taille, elle offrait une vue superbe de la Garonne et de la région au sud de Toulouse via de grandes vitres panoramiques faisant face respectivement vers l’ouest et le sud. Une porte vitrée coulissante donnait sur un petit balcon situé sur le coin sud-ouest de l’auberge. La chambre elle même contenait un grand lit à l’aspect confortable, deux tables de chevet, une longue commode avec miroir, un bureau avec chaise, un sofa en cuir, une penderie et une sorte de meuble noir avec une large vitre faisant face au lit. Le porteur montra la salle de bain de la chambre à

248 Robert et son écuyer, expliquant avec le plus de tact possible comment utiliser la toilette, le bain-douche et l’évier. Revenant dans la chambre à coucher, le porteur lui montra comment contrôler les lumières électriques et le chauffage avant de pointer un petit appareil sur une des tables de chevet. ‘’Ceci, Messire Robert, est ce que les gens du futur appellent un téléphone. Il permet d’appeler pour du service ou recevoir des appels de la réception ou d’autres chambres. La liste des numéros est collée à la base de l’appareil. Je ne sais pas moimême comment cela fonctionne réellement mais j’ai vu des artisans installer et réparer de ces téléphones et je n’ai pas vu de magie dans ceci, ni dans rien de ce que les gens du futur produisent.’’ Robert contempla le jeune homme, qui semblait intelligent et honnête. ‘’Quel est ton nom, jeune homme?’’ ‘’Denis, messire.’’ ‘’Denis, sache que je suis ici en mission pour le Roi Charles.

Que sais-tu

exactement de ces gens du futur? Comment en es tu venu à travailler pour eux?’’ Le jeune Franc n’hésita qu’un instant avant de répondre d’une voix humble. ‘’Je suis le fils d’un marchand de Toulouse et étudiait jusqu’à récemment sous un moine qui me servait de précepteur, et ce pour devenir un clerc comptable. Il y a trois semaines, une semaine après leur arrivée à Toulouse et la défaite des Vikings, les gens du futur ont annoncé en ville l’ouverture d’emplois pour jeunes gens voulant gagner de l’argent tout en étudiant gratuitement. Mon père a sauté sur l’occasion et m’a encouragé à présenter ma candidature, ce que j’ai fait. Pour un salaire d’un denier par jour, plus les pourboires, les gens du futur, qui se nomment comme citoyens de l’Expansion Humaine, m’offrent des études gratuites quatre heures par jour, plus des repas gratuits pendant mes études et mon travail. À date, les gens du futur m’ont traité, moi et mes compagnons, avec bonté et générosité et m’ont appris bien des choses.’’ ‘’Quelles sortes de choses?’’ ‘’Des bases de mathématiques, des notions de géographie, d’histoire et de sciences diverses, en plus de plusieurs langues. À ce sujet, les gens du futur possèdent des machines incroyables, qui permettent d’apprendre des langues étrangères et autres sujets en moins d’une heure. J’ai vécu cette expérience et me suis réveillé capable de parler et comprendre avec aise le Latin, la langue d’Oïl, le Grec, le Bas Allemand et l’Arabe, tout cela en deux heures.’’ ‘’Deux heures?’’ S’exclama Robert, abasourdis. Denis hocha la tête.

249 ‘’Je vous le jure, messire.

J’ai également appris de ces gens la tolérance.

Malgré le fait que l’église locale continue de les attaquer verbalement avec férocité, les gens du futur n’ont rien fait pour empêcher quiconque de pratiquer leur religion et n’ont pas tenté de nous convertir à une autre religion. En vérité, les gens du futur sont des athées, mais cela n’en fait pas d’eux des gens moins bons, au contraire.

Ce sont

facilement les gens les plus aimables et généreux que j’aie jamais rencontré, messire. De plus, ils n’ont rien à cacher, contrairement à ce que dit l’évêque de Toulouse. Voyez ce meuble noir face au lit, messire. Les gens du futur appellent cela un téléviseur. Il sert à présenter des images et des paroles sur toutes sortes de sujets. Je vais vous montrer comment l’utiliser.’’ Prenant une petite boîte noire ornée de boutons posée sur la table de chevet, Denis la pointa vers le téléviseur tout en pressant un bouton rouge, ce qui alluma l’écran. Robert, comme son écuyer, sauta en arrière, perturbé par une telle magie apparente. Denis lui décocha toutefois un sourire rassurant. ‘’Ne vous en faites pas, messire : il n’y a rien de magique dans tout ceci. J’ai pu voir l’intérieur d’un de ces téléviseurs et ils ne sont que des mécanismes très complexes, produits d’une science venant de trois mille ans dans le futur. Si vous avez des questions sur les gens du futur, le meilleur moyen pour vous d’en apprendre sur eux est de regarder le menu d’images offertes par ce téléviseur. Il y a des documentaires sur leur civilisation, leur histoire et aussi sur comment ils se sont retrouvés ici. Il y a également des histoires éducatives sur les autres pays du monde et même des comédies visuelles passablement loufoques, en plus de spectacles de danses et de musique extraordinaires. Votre téléviseur a déjà été réglé à distance par la réception de l’auberge pour diffuser ces images dans leur version en Occitan.

Voici comment

accéder au menu et choisir vos émissions.’’ Denis prît deux minutes à apprendre à un Robert le Fort fasciné comment choisir les programmes, sélectionnant finalement pour lui un documentaire spécifique et le mettant sur pause avant de saluer bas. ‘’J’espère que vous aurez un bon séjour ici, messire. Si vous avez besoin de toute autre aide, n’hésitez pas à appeler le comptoir de réception.’’ Robert lui lança deux pièces d’argent tout en répondant, le visage sérieux. ‘’Tu m’as déjà été très utile, Denis. Merci pour tes services.’’ Une fois le porteur reparti avec son chariot maintenant vide, Robert regarda son écuyer avec un air rêveur.

250 ‘’Décidément, cette mission promet d’être très intéressante. Tu peux ranger mes choses pendant que je commence à regarder ce fameux documentaire, Jehan.’’ ‘’Oui, messire.’’ S’asseyant sur le sofa face au téléviseur après avoir enlevé sa pesante broigne et son casque de fer, Robert activa la commande à distance, partant le documentaire sélectionné par le jeune porteur. L’image d’une belle femme aux longs cheveux noirs et aux yeux verts, assise derrière un bureau de travail et regardant la caméra, apparut. ‘’Bonjour et bienvenue à Toulouse, cher visiteur. Mon nom est Ann Shelton, administratrice en chef de l’enclave de l’Expansion Humaine à Toulouse. Ce que vous aller voir vous aidera, je l’espère, à mieux comprendre qui nous sommes, d’où nous venons et pourquoi nous sommes venus ici. Si vous voulez en savoir encore plus après avoir vu le documentaire qui suit et les autres documentaires disponibles au menu, il vous suffira de vous présenter à la réception de l’auberge ou à la réception de la Tour Toulousaine, où se trouve mon bureau.’’ Robert fut pris de court par ce préambule, ne s’attendant pas à une si grande transparence de la part des étrangers. Le documentaire de près d’une heure qui suivit, montrant des scènes de la vie sur Alpha du Centaure et la Terre du futur, ainsi que des scènes de la guerre avec les Morgs, secoua profondément le noble franc. Son écuyer, qui n’avait pu s’empêcher de regarder également le documentaire après avoir rangé les effets de son maître, s’exclama d’une voix étranglée à la fin. ‘’Doux Jésus! Nous ne sommes rien à côté de ces gens.’’ Robert le Fort ne répondit pas immédiatement à cela, son esprit encore en ébullition. Rien dans son éducation ou son expérience de vie ne l’avait préparé à ceci. Toutes ces images pouvaient être soit la vérité, soit une tentative habile pour cacher quelque dessin diabolique de ces gens du futur. Robert rejeta toutefois instinctivement cette dernière possibilité. Dans sa carrière mouvementée il avait rencontré toutes sortes d’hommes et de femmes. Tous agissaient pour atteindre quelque but personnel, que se soit acquérir du pouvoir, des richesses ou de la gloire, connaître des plaisirs ou de l’amour, ou apprendre de nouvelles choses. Seul un fou ou un imbécile agissait sans but. Les gens du futur avaient de toute évidence plus de pouvoir, de richesses et de connaissances que ne pouvait offrir la Francie ou même le reste du monde, et ils n’étaient certainement pas des imbéciles ou des fous.

C’était plutôt les gens du futur qui pouvaient

actuellement offrir quelque chose à la Francie. Ils n’auraient pas non plus besoin de

251 cacher leurs intentions pour la simple raison que personne ne pourrait les arrêter s’ils décidaient de s’emparer de la Francie. ‘’Que veulent donc ces gens?’’ Murmura Robert à lui-même. Retournant alors son attention vers son écuyer, il se leva et lui tapota l’épaule. ‘’Allez, mon bon Jehan, va à ta chambre te mettre à l’aise et te nettoyer. Il ne faudrait pas nous présenter à souper avec Sire Jean avec nos habits couverts de poussière et de boue. Pour ma part, je vais aller essayer cette chose appelée une douche.’’ Allant dans la salle de bain, Robert enleva ses vêtements de voyage et examina la douche, tentant de se rappeler toutes les explications que le porteur lui avait données. Les pictogrammes sur le panneau collé au mur de la douche prouvèrent utiles et il se retrouva bientôt sous un jet d’eau chaude, le rideau de douche tiré en place. Robert poussa un soupir de contentement comme l’eau chaude détendait ses muscles fatigués par les longues heures en selle. À l’âge de 43 ans, il n’était plus aussi fringant qu’avant, bien qu’il était encore un combattant redoutable et un cavalier hors pair. Espérant un jour avoir une chose comme cette douche dans son propre manoir, Robert ferma finalement le jet d’eau et se sécha avec une des serviettes fournies par l’auberge. Il utilisa ensuite la toilette avant d’aller mettre des vêtements propres. Comme il enfilait une tunique en laine fine, il alla contempler l’énorme tour visible par les fenêtres de sa chambre. La nuit avait maintenant tombé et la tour était illuminée de l’intérieur par d’innombrables lumières, créant un spectacle de toute beauté pour un homme comme lui, habitué aux rares lumières des torches et des chandelles utilisées à son époque. Robert se sentit humble comme il regardait la tour, ce qui lui fit penser de nouveau aux intentions possibles des gens du futur. Il en connaissait toutefois encore trop peu sur eux pour pouvoir juger correctement leurs buts et cessa après un moment de se torturer l’esprit, finissant plutôt de s’habiller. Récupérant son linge de voyage sale, il le mît dans le sac marqué pour le service de lessive qui pendait à un crochet sur l’intérieur de la porte de sa chambre et alla voir son écuyer par la porte contiguë entre leurs deux chambres. Il trouva Jehan déjà lavé et habillé et en train de regarder le téléviseur de sa chambre.

Robert sourit en voyant et entendant le spectacle musical qui semblait

fasciner le jeune homme : la chanteuse, ainsi que les danseuses qui l’accompagnait, était jeune, belle et très légèrement vêtue. Elle avait également une belle voix et la gamme musicale de son orchestre était impressionnante.

252 ‘’Je vois que tu apprécie pleinement le confort de cette auberge, Jehan.’’ ‘’N’est-elle pas une chanteuse magnifique, messire?’’ Répondit son écuyer avec un sourire enthousiaste. ‘’Elle l’est effectivement, je dois dire.

Décidément, ces gens du futur ont

beaucoup de choses capables de tenter nos gens. Continue de regarder ce spectacle pour le moment : je vais aller voir comment nos autres hommes se débrouillent.’’ Robert profita de sa visite à ses chevaliers et écuyers pour leur donner de l’argent pour leurs prochains repas et pour leur dire qu’ils pouvaient se considérer libres jusqu’au lendemain matin. Ses hommes le remercièrent de bon cœur, la plupart étant de toute façon trop captivés par leurs téléviseurs pour vouloir sortir de leurs chambres en ce moment. Robert ricana en voyant que la même chanteuse qui captivait Jehan faisait saliver ses autres hommes. Comme il revenait à sa chambre, il vit une femme de dos qui se préparait à cogner à sa porte. Elle était grande, belle, avait de longs cheveux noirs soyeux et portait une tenue moulant de près son corps athlétique.

Robert la

reconnu immédiatement et le battement de son cœur accéléra comme il l’approchait. ‘’Dame Shelton, je suis le Marquis Robert le Fort. Vous veniez me voir?’’ La grande femme, qui le dépassait d’une tête, lui décocha un sourire réservé et présenta sa main droite, que Robert serra. ‘’Je voulais effectivement vous parler en privé, Messire Robert. Avez vous une demi-heure à me consacrer?’’ ‘’Certainement! Entrez, Dame Shelton.’’ Robert ferma la porte derrière elle et lui offrit de s’asseoir avec lui sur le sofa, ce qu’elle accepta. Ils s’entreregardèrent en silence pendant un moment avant qu’Ann parle d’un ton poli. ‘’Messire Robert, puis-je supposer que vous avez été envoyé à Toulouse par le Roi Charles?’’ ‘’Effectivement, Dame Shelton. Disons que le roi a beaucoup de questions au sujet de vos gens, dont une des plus importantes est, que venez vous faire en Francie, à part massacrer des Vikings?’’ ‘’Une question légitime, Messire Robert. Vous avez dû voir déjà que nous ne cherchons pas à rien cacher.’’ ‘’Effectivement! Un comploteur qui agirait comme vous serait un bien stupide larron, en vérité.’’

253 Ann sourit brièvement à sa réponse et changea légèrement de position pour mieux lui faire face sur le sofa. ‘’Messire, moi et mes gens sommes venus sur cette Terre par accident, comme notre documentaire l’explique.

Nous avons commencé à reloger nos millions de

réfugiés sur des terres lointaines inhabitées et n’avons donc pas vraiment besoin de saisir les territoires de quiconque, ce que nous ne ferions jamais de toute façon. La raison que nous avons établie une enclave ici, avec la permission du Comte Raymond de Toulouse, est de pouvoir conduire des échanges commerciaux et diplomatiques avec les pays d’Europe. Nous avons besoin de sources de nourriture fraîche pour nos gens et notre enclave de Toulouse nous sert à coordonner l’achat de produits alimentaires et leur préparation. Nous venons justement d’ouvrir une usine pour produits laitiers, une usine de préparation de viandes, une poissonnerie et une usine de fertilisants sur des terres le long de la Garonne que nous avons achetées du Comte Raymond.

En

échange, nous offrons en vente libre des choses que nous pouvons produire plus facilement que vous, comme du bois coupé, des produits en verre et des outils et pièces en métal.’’ ‘’Et les viandes et poissons que vos usines ont besoin pour vos gens, où les prendrez vous? La Francie produit à peine assez pour elle-même.’’ Ann regarda Robert d’une manière sévère à ces mots. ‘’La Francie ne produit actuellement pas assez pour faire vivre décemment ses paysans parce que le roi, la noblesse et l’église saisissent la majorité de ce que les petits gens réussissent à produire de peine et de misère tandis qu’ils sont laissés à la merci des Vikings et autres parasites, Messire Robert. Ne protestez pas, messire : je sais que vous êtes un homme capable de regarder la vérité en face et vous devez savoir combien précaire est la situation de votre petit peuple.’’ Robert réalisa alors quel était le vrai intérêt des gens du futur en Francie, mais fut surpris par sa nature. ‘’Vous voulez prendre le parti des paysans contre le Roi Charles? Et que pensez vous y gagner?’’ ‘’Premièrement, nous ne voulons pas mener une quelconque révolte paysanne contre votre roi. Ce que nous aimerions voir est un gouvernement plus responsable et moins égoïste, pas seulement en Francie mais dans le reste du monde également. En vérité, votre Roi Charles me dégoûte personnellement par sa soif de pouvoir et son manque total de regard envers la misère de son peuple. Ma propre société a développé

254 au cours des siècles une philosophie et une politique d’égalitarisme et de gouvernement social pour tous, où l’individu réussit par son mérite personnel, et non par sa naissance. Nous remplissons les besoins essentiels de tous nos citoyens avant de dépenser quoi que ce soit sur des articles ou services de luxe. Prenez mon cas, par exemple. Je suis une experte en histoire et en sociologie et a été nommée à mon poste actuel d’administratrice en chef de notre enclave de Toulouse parce ce que mes supérieurs ont décidé que j’avais les compétences et le talent nécessaire pour remplir au mieux ce poste. Ma satisfaction à faire ce travail vient du bien-être et du bonheur que je peux apporter aux quelques 32,000 citoyens qui vivent maintenant dans mon enclave, ainsi que de l’aide que je peux apporter aux pauvres et aux nécessiteux dans Toulouse et autour de la Francie et de l’Europe. Mon salaire actuel équivaut au plus à trois fois le salaire minimum versé au moins nanti de nos citoyens, tandis que nos chefs au plus haut niveau ne peuvent légalement recevoir plus que cinq fois le salaire minimum. Nous servons pour le bien de tous, pas pour notre bien personnel, et j’en suis fière et plus que satisfaite. Voir des sangsues comme le Roi Charles écraser de taxes ses paysans tandis qu’il reste à l’abri des Vikings me chauffe le sang, Messire Robert. Vous êtes un haut noble et, en tant que tel, profitez du système actuel en Francie pour vivre dans un luxe relatif, mais au moins vous dépensez de votre personne et défendez le petit peuple contre les Vikings et autres envahisseurs. Je vous admire pour cela, mais j’espère également que vous pourrez voir les injustices flagrantes et la cruauté infligées sur le peuple de Francie.’’ Robert, choqué par la véhémence de ses arguments, la regarda en silence un moment avant de répliquer sur un ton ferme. ‘’Et que feriez vous si je vous disais que ce qui se passe en Francie n’est que l’affaire du Roi Charles et nullement la vôtre?’’ ‘’Je dirais que je ne crois pas que vous appuyez personnellement ce point de vue, Messire Robert. Vous avez dans le passé lutté à plusieurs reprises contre le Roi Charles parce que vous lui reprochiez sa faiblesse envers les Vikings et son incompétence à gouverner. Vous avez été nommé marquis par Charles quand il n’a pas trouvé une autre personne aussi courageuse et compétente que vous pour lutter contre les Vikings et protéger du même coup ses précieuses sources de revenus. Est ce que j’ai tort à ce sujet, Messire Robert?’’ ‘’Non!’’ Répondit Robert après une hésitation, adoptant un ton plus conciliant. ‘’C’est vrai que le Roi Charles est vaniteux et incompétent, mais il reste le souverain

255 légitime de Francie et je lui aie juré serment de vasselage. De fait, le Comte Raymond est dans la même situation que moi et doit toujours respect et obéissance au roi. Qu’en est-il de lui en ce moment?’’ ‘’Le Comte Raymond est présentement dans son manoir et est très satisfait des revenus additionnels que notre nouveau marché et nos industries apportent à son comté.

Il est également un homme plus que décent qui appuie nos projets d’aide

humanitaire à son peuple et qui a prouvé être bien plus tolérant et compréhensif que les obscurantistes hypocrites qui représentent l’église à Toulouse. Votre roi n’a pas besoin d’avoir crainte pour ses revenus venant de Toulouse : le Comte Raymond lui enverra sa part légale dans les délais prévus.’’ ‘’Je vais devoir rencontrer le Comte Raymond demain de toute façon, Dame Shelton. J’ai pour ordre de le ramener avec moi pour qu’il soit reçu par le Roi Charles.’’ Ces paroles firent bondir du sofa Ann, qui fusilla Robert du regard. ‘’Si c’est pour arrêter le Comte Raymond que vous êtes venu ici, dans ce cas vous seriez mieux de repartir immédiatement, Messire Robert. Le Comte Raymond est sous notre protection depuis que nous avons sauvé Toulouse des Vikings le mois dernier.’’ ‘’Je ne suis pas venu l’arrêter, comme vous le dites : je suis venu lui porter une convocation à paraître devant le roi, ce qui est différent.’’ Se défendit Robert, n’aimant pas du tout le rôle que le roi lui avait donné dans cette affaire. Ann secoua la tête lentement, fixant toujours Robert. ‘’Ne me prenez pas pour une idiote, messire. J’en sais assez sur le Roi Charles pour deviner qu’il n’aura aucun scrupule à faire jeter en prison le Comte Raymond après l’avoir interrogé. Si le Comte Raymond va voir le roi, ce sera de son plein gré et pas autrement. De plus, même à Paris ou ailleurs, il restera sous notre protection, contre quiconque voudra lui porter atteinte.’’ Robert comprit immédiatement au ton d’Ann qu’elle ne bluffait pas. Il tenta alors de détourner la conversation. ‘’Oublions le Comte Raymond pour le moment. Vous ne m’avez pas encore répondu à ma question du début, à savoir, quels sont vos buts réels en Francie?’’ ‘’Nos buts réels sont actuellement faciles à discerner, pour ceux qui veulent bien voir autre chose que leurs hantises personnelles, messire. Nous voulons simplement que la paix règne partout et que les injustices les plus criantes disparaissent. Si le Roi Charles ne trouve pas cela encore assez clair pour lui, voici des points précis qu’il devra

256 comprendre, sous peine de se faire mettre à sa juste place. Premièrement, nous nous attendons que les divers souverains et hauts nobles d’Europe cessent leurs guerres de conquêtes et leurs disputes de pouvoir mesquines. Dans le cas du Roi Charles, qu’il oublie sa damnée couronne impériale vide de sens et qu’il commence à gouverner avec le bien de son peuple comme but. Notre flotte a lancé un avertissement clair quand elle a passé au dessus de Paris il y a trois semaines et nous ne le répéterons pas. Deuxièmement, nous ne laisserons personne interférer avec nos opérations humanitaires. Si quelqu’un punit des paysans ou des réfugiés pour avoir accepté de l’aide ou de la nourriture de nous, ce quelqu’un le regrettera très vite. Saisir ce que nous aurons donné à des pauvres sera également un acte puni par nous.’’ Ce fut au tour de Robert de bondir du sofa et de faire face à Ann. ‘’Dame Shelton, dois-je vous rappeler que la Francie ne vous appartient pas et que vos gens n’y font pas la loi?’’ Ann secoua lentement la tête, déçue mais pas vraiment surprise par la réaction de Robert. ‘’Messire Robert, j’avais espoir qu’un homme valeureux comme vous aurais été capable de prendre l’intérêt de son petit peuple à cœur. Je vois malheureusement que vous êtes trop ancré dans vos privilèges d’aristocrate pour accepter une nouvelle réalité, à savoir que nous sommes ici dans ce monde pour y rester. Promenez vous à loisir dans Toulouse et même dans notre enclave, amassez l’information que vous avez besoin pour votre rapport au Roi Charles et ensuite partez, sans le Comte Raymond. Il se rendra de lui même au palais du Roi Charles…avec moi. De fait, où se cache votre bon roi de ces temps-ci?’’ ‘’Sa cour est présentement à Senlis.’’ Répondit Robert, ignorant le sarcasme dans la voix d’Ann.

‘’Si vous ne voyez pas d’objections, je dois aller souper avec

quelqu’un.’’ ‘’Dans ce cas, je ne prendrais pas plus de votre temps, messire. N’oubliez pas de répéter mes mots au roi.’’ ‘’Je ne m’en priverais pas, Dame Shelton.’’

Dit Robert d’un ton froid.

Il la

regarda sortir de sa chambre et fermer la porte derrière elle avant de lâcher un soupir de frustration.

257 08h40 (Heure de Toulouse) Dimanche, 23 octobre 861 Manoir comtal de Toulouse Le court trajet entre la porte sud de la ville et le manoir comtal fut suffisant pour surprendre Robert le Fort et les hommes de sa suite à bien des égards. Premièrement, les rues de Toulouse étaient propres, libres des tas d’immondices rencontrés dans les autres villes du royaume. Deuxièmement, les rues principales étaient pavées avec le même mortier blanc dur qui couvrait la route Moissac-Toulouse ainsi que les routes s’étendant vers Carcassonne et Albi. Troisièmement, un système d’égouts souterrains semblait avoir été installé, à en juger par les grilles en fer situées à intervalles réguliers sur les bords des rues, qui comprenaient également des trottoirs en mortier blanc. Quatrièmement, des cabines de toilettes publiques, visiblement construites par les gens du futur, étaient visibles un peu partout, ainsi que des lampadaires et des abreuvoirs publics.

La population, à en juger par les expressions des passants, semblaient

s’accommoder très bien de ces nouveautés, ce qui ralluma un débat intérieur dans la tête de Robert le Fort. Il pensait encore aux paroles d’Ann Shelton quand il pénétra dans la cour du manoir comtal, salué par les deux gardes à l’entrée.

Le Comte

Raymond, sa femme et ses enfants étaient en train de prendre place dans une sorte de chariot à quatre roues tiré par deux chevaux, probablement pour se rendre à l’église pour la messe du dimanche. Le Comte Raymond, en voyant l’arrivée de Robert, fît signe à ses enfants d’embarquer dans le chariot couvert avant de venir à la rencontre de Robert, toujours sur son cheval. Il le salua poliment de la tête avant de lui parler d’un ton amical. ‘’Bienvenu à Toulouse, cher Marquis!

Dame Shelton m’a informé de votre

arrivée tard hier soir.’’ ‘’Et que vous a t’elle dit de plus, Comte Raymond?’’ ‘’Que vous apportiez une convocation royale pour moi, Messire Robert.’’ Répondit Raymond sans montrer trace de nervosité. Robert sortit alors de sa tunique une lettre scellée et la tendit à Raymond, qui la saisit. ‘’Voici la dite convocation, Comte Raymond. Sachez que, personnellement, je comprends vos raisons pour vous allier aux gens du futur et que je souhaite que tout ceci finisse de manière paisible pour tous. Je dois toutefois remplir mes devoirs envers mon roi.’’

258 Raymond lui décocha un regard narquois après avoir lu la courte missive du roi. ‘’Et je dois signaler que le roi n’a pas rempli ses obligations envers ses sujets et vassaux, messire, ce qui m’a obligé au début à m’allier aux gens du futur dans le but de défendre la ville contre les Vikings. Depuis, je n’ai pas trouvé de raisons pour regretter cette alliance, bien au contraire. Mes gens sont mieux nourris, plus prospères et mieux préparés pour l’hiver que jamais. Si c’est cela que le roi me reproche, je n’hésiterais pas à aller m’expliquer devant lui. Je compte toutefois voyager avec Dame Shelton, qui peut me fournir un moyen de transport autrement plus rapide qu’un cheval.’’ Réalisant qu’Ann Shelton avait conféré en détail avec Raymond hier soir, Robert cacha sa frustration et regarda le chariot, dans lequel la femme de Raymond suivait avec inquiétude la conversation. Robert se sentit soudain coupable en voyant son regard : Raymond avait agi avec le bien de ses gens en vue et n’avait pas à strictement parler commis aucune trahison ou acte de félonie envers le Roi Charles. Robert ne se plaisait décidément pas du tout dans son rôle actuel. ‘’Parlant de moyen de transport, voilà un bien particulier chariot que le vôtre, Comte.’’ Raymond ne pût s’empêcher de sourire de fierté à ces mots et pointa le chariot. ‘’Si vous en voulez un similaire, Messire Robert, des copies de ce modèle sont en vente libre au marché de l’Île du Ramier, près de la Tour Toulousaine, au prix de huit sous.’’ ‘’HUIT SOUS?’’ S’exclama Robert, estomaqué par un si bas prix. ‘’Comment est-ce possible?’’ ‘’Ils sont fabriqués localement dans les ateliers de la Tour Toulousaine, par des étudiants qui y apprennent divers métiers, messire. Ce type de chariot, mieux appelé un carrosse, est très confortable et comporte une suspension à ressort qui rend les voyages bien moins pénibles. Étant couvert, avec des portes vitrées, il peut même permettre de longs voyages en hiver. Mais le temps de la messe approche. Nous pourrions parler plus en longueur après la célébration, Messire Robert.’’ ‘’Euh, bien sûr, Comte Raymond. Je vais suivre votre chariot jusqu’à l’église.’’ Suivant le carrosse du Comte Raymond avec sa troupe de chevaliers et d’écuyers, Robert arriva quelques minutes plus tard à la vieille église de Saint-Sernin, actuellement un vieux temple romain converti et réaménagé en église chrétienne. Respectueux des lieux de prière, Robert et ses hommes laissèrent leurs armes avec

259 leurs chevaux sous la garde d’un écuyer avant d’entrer dans l’église avec le comte et sa famille.

L’assistance, venant de toutes les classes sociales de Toulouse, était

nombreuse et apparemment dévote. Toutefois, Robert trouva le sermon donné par le prêtre pendant la messe singulièrement anodin. Il s’était attendu à entendre le prêtre damner les gens du futur à l’enfer, ou quelque chose du genre, mais il n’y eut pas une seule mention des gens du futur pendant la messe complète. À la fin de la messe, Robert ne put s’empêcher de mentionner ce fait au Comte Raymond, qui lui lança un sourire malicieux. ‘’Disons que la dernière fois que le prêtre, qui a été remplacé depuis, a damné les gens du futur dans son sermon, les paniers d’offrandes sont revenus quasi vides. Les Toulousains savent où se trouve leur profit, Messire Robert.’’ Digérant ces paroles, Robert remonta sur son cheval et raccompagna le comte et sa famille jusqu’à son manoir, où il alla s’enfermer seul à seul avec Raymond dans le bureau privé de ce dernier. Les deux hommes se jaugèrent en silence un moment avant que Robert prenne la parole. ‘’Comte Raymond, je crois comprendre vos raisons pour vous allier aux gens du futur et je dois dire que je suis moi même tenté de faire de même. Nous avons toutefois prêté serment de vasselage au Roi Charles, qui nous a attribué nos fiefs respectifs. Il est donc en droit de s’attendre à avoir notre obéissance. De plus, les actions des gens de Dame Shelton risquent de pousser les paysans du royaume à la révolte, pas seulement contre le roi, mais aussi contre tous les nobles. Avez vous pensé à cela?’’ ‘’Plus qu’une fois, Messire Robert. Toutefois, vous lisez mal les intentions des gens du futur et votre peur d’une révolte populaire est mal fondée. Premièrement, les gens du futur ne sont pas stupides et n’allumerons pas une révolte populaire parce qu’ils savent que cela finirait dans un bain de sang, ce qu’ils n’ont aucun désir de voir se produire. Deuxièmement, la préoccupation principale des gens de Dame Shelton est de nourrir leurs propres réfugiés, qui sont plus nombreux que la population totale de la Francie.

Leurs œuvres de charité ici ne sont que cela, de la charité.

Quand au

massacre des Vikings, je ne vois vraiment pas comment n’importe qui pourrait leur trouver faute pour nous avoir débarrassé d’eux. Dame Shelton vous a expliqué ses projets et ses objectifs et vous a donné une opportunité de pouvoir apporter la paix et la prospérité aux gens de vos fiefs, mais vous avez choisi plutôt de rester avec le Roi, un roi qui a fait bien peu pour protéger son peuple des Vikings et qui s’est contenté de protéger ses biens et ceux de l’église, au détriment des petits. Vous avez pu circuler en

260 ville et avez pu voir ses citoyens. Vous avez certainement constaté qu’ils sont heureux de leur sort, prospères et confiants de leur futur. En retour, ma charge de comte en est devenue bien plus aisée, avec des revenus qui grimpent continuellement grâce au commerce accru dans le comté et grâce au fait que le peuple est heureux et travaille de bon gré plutôt que sous la pression et les menaces. Savez vous ce qui est une de mes plus grandes récompenses en ce moment pour m’être allié aux gens du futur, Messire Robert? Mes gens sourient! Oui, ils sourient, parce qu’ils ont finalement la chance de vraiment vivre, plutôt que de simplement survivre de peine et de misère. Dans moins d’une semaine, les gens de Dame Shelton vont ouvrir un hospice pour vieillards, où de pauvres gens qui seraient normalement condamnés à mourir dans le besoin et la maladie pourront finir leurs jours de manière décente. Ils ouvriront aussi une soupe populaire, où les miséreux pourront aller manger des repas chauds et trouver un gîte en hiver, plutôt que de mourir de froid et de faim. Une école primaire ouvrira également la semaine prochaine, une école où tous les enfants du comté pourront apprendre à lire, écrire et compter tout en bénéficiant de repas gratuits. Le mois prochain, les gens du futur ouvriront une clinique médicale qui fournira des soins gratuits à tous, tandis qu’un orphelinat prendra en charge les petits malheureux qui ont perdu leurs parents à cause soit des Vikings, soit des suites de maladies ou de famines. Et savez vous ce que tout cela coûtera à moi et à mes vassaux et sujets, Messire Robert? Rien! Malgré cela, l’église persiste à les traiter de démons et de suppôts du Diable.’’ Assommé par tout cela, Robert le Fort alla s’asseoir sur un siège proche avant de regarder de nouveau Raymond, un doute grandissant dans ses yeux. ‘’Mais, pourquoi font-ils tout cela? Cela doit leur coûter une fortune.’’ ‘’Effectivement, Messire Robert.

Toutes ces ressources et ses choses qu’ils

construisent pour le bien de mes gens auraient pu les aider à accélérer le relogement de leurs propres gens, réfugiés d’une guerre horrible et dévastatrice. J’ai demandé à Ann Shelton la même question que vous venez de me demander. Elle m’a répondu qu’ils faisaient tout cela pour pouvoir voir sourire des enfants, les entendre rire et les voir s’amuser pendant qu’ils grandissent dans la paix et la prospérité.

Ils le font pour

permettre à de pauvres gens de vivre avec dignité, plutôt que de les voir traités comme des animaux. Ces gens sont peut-être des athées, mais pour moi et bien des gens de ce comté, ils sont des saints, quoi qu’en dise l’église.’’

261 Robert le Fort baissa la tête, penaud, sous l’harangue de Raymond, n’ayant rien à répliquer à tout cela. Raymond ne dit rien de plus, lui laissant le temps de penser. Robert releva finalement la tête après un long moment. ‘’Et si je m’alliais comme vous à ces gens, est-ce que mes gens pourraient espérer les mêmes bénéfices que les vôtres?’’ ‘’Pas avant quelques mois, messire. J’ai vu le calendrier de production des gens de Dame Shelton et, malgré leurs moyens de production énormes, les listes de besoins pour leurs gens sont longues. Ils sont présentement occupés à établir des ateliers et centres de production pour l’infinité de produits et choses que leur mode de vie et leurs machines complexes requièrent. Ce qui a été produit à date pour Toulouse ou qui suivra dans les trois prochains mois représente le peu de jeu qui leur restait dans leur plan de production.

Toutefois, la chose que les gens du futur peuvent garantir

maintenant est leur protection contre des envahisseurs ou des pillards. Pour le reste, vous devrez en parler avec Dame Shelton.’’ Une idée vint alors à l’esprit de Raymond comme il finissait de parler. S’approchant de Robert, il lui tapota amicalement l’épaule. ‘’Que diriez vous de voir quelques choses qui pourraient vous aider à vous faire une idée, Messire Robert?’’ ‘’Comme quoi, par exemple?’’ ‘’L’enclave des gens du futur : j’y aie plein accès.

Prenons nos chevaux et

allons-y, juste nous deux. Vos hommes pourrons se reposer entre-temps dans mon manoir.’’ ‘’Pourquoi pas?’’ Répondit Robert après une courte hésitation. ‘’Allons-y!’’

17h31 (Heure de Toulouse) Aire d’atterrissage ‘B’, sommet de la Tour Toulousaine Enclave de l’Expansion Humaine Toulouse Ayant juste débarqué avec Raymond de Toulouse et Ann Shelton de la navette de passagers qui venait de le ramener de Nouvelle-Zélande, où il avait rencontré le Commodore Henry Ferguson et la Gouverneur Lynn Tsu, Robert le Fort admira un moment la vue splendide qu’il avait du haut des 150 étages de la Tour Toulousaine. Il

262 se tourna ensuite pour faire face à Ann Shelton, dont les longs cheveux noirs battaient au vent. ‘’Quand voulez vous que nous nous rendions ensemble voir le roi, Ann?’’ La belle grande femme lui sourit tout en répondant. ‘’Le roi vous avait dit de revenir avant le 15 novembre, jour où il tiendra une réunion du conseil royal pour décider quoi faire à notre sujet. Tous les grands nobles du royaume seront là, n’est-ce pas?’’ ‘’Effectivement. De plus, il est coutumier de la cour royale de se réunir pour l’hiver avec le roi, justement à partir de la mi-novembre, avant les premières tombées de neige dans le nord du royaume.’’ ‘’Parfait! Nous arriverons donc à Senlis le matin du 15 novembre, avec toute la cour pour observer notre arrivée.’’ ‘’Pourquoi si tard?’’ Demanda Raymond de Toulouse, intrigué. Ann sourit de nouveau. ‘’Pour pouvoir offrir au bon marquis et à sa famille une petite vacance ici aux frais de mon administration…ainsi qu’un refuge sécuritaire en cas que le roi veuille prendre votre famille en otage.’’ Le sourire d’Ann avait disparu comme elle prononçait la seconde moitié de sa phrase, attirant un regard inquiet de Robert le Fort. ‘’Vous pensez qu’il pourrait s’attaquer à ma famille?’’ ‘’Franchement, je ne suis pas certaine de ce qu’il ferait s’il doutait de votre loyauté. Il vaut toujours mieux prévenir que guérir, mon cher Robert.’’

263

CHAPITRE 20 – COUP DE THÉÂTRE 08h03 (Heure de Paris) Mardi, 15 novembre 861 Palais de Senlis (60 kilomètres au Nord-nord-est de Paris) ‘’Toujours pas de nouvelles de Robert le Fort?’’ ‘’Rien encore, Votre Majesté.’’

Répondit le clerc personnel de Charles II,

marchant à ses côtés. ‘’Peut-être qu’il a été tué par ces gens des navires volants, Votre Majesté.’’ Charles II grogna de frustration à cette réponse. Robert le Fort s’était déjà révolté contre lui une fois et était justement reconnu comme une tête forte. La possibilité qu’il l’aie de nouveau trahi trottait depuis des semaines dans sa tête, lui causant plus d’une nuit blanche. ‘’J’aurais dû faire mettre sa famille sous garde dans un de mes palais après son départ, pour m’assurer de sa fidélité. Maintenant, il est trop tard pour cela. Tu peux aller!’’ Le clerc s’éloigna sans un mot comme le roi continuait de marcher vers la salle du conseil de son palais de Senlis. À 38 ans, Charles II portait une barbe courte et une moustache, ainsi que de longs cheveux noirs. Son surnom de Charles ‘le Chauve’ ne viendrait que bien plus tard, un peu avant sa mort en 877, quand il se raserait la tête en signe de soumission à l’église. En ce moment même, malgré l’élimination de la menace Viking par les étrangers volants, il avait encore plus d’un souci à s’inquiéter, ainsi que beaucoup de projets pour agrandir son pouvoir. Charles II allait entrer dans la salle du conseil, dont la porte était gardée par deux soldats, quand son chancelier, Louis le Rorgonide, courut à sa rencontre, le visage agité. ‘’Votre Majesté, on annonce l’arrivée du Marquis Robert par la porte sud de la ville! Dois-je l’introduire directement dans la salle du conseil à son arrivée?’’ ‘’Est-il seul?’’ ‘’Je n’ai pas d’autres détails, Votre Majesté.’’ Charles II pensa pour un moment avant de pointer un index vers son chancelier.

264 ‘’Mène le plutôt à mes appartements privés. S’il est avec le Comte de Toulouse, fait attendre ce dernier dans l’antichambre, sous bonne garde. Je veux vingt gardes solides prêts à intervenir immédiatement en cas de grabuge.’’ ‘’Vingt, Sire?’’ Charles lança un regard méprisant à son gras chancelier. ‘’Je sais que toi et ta famille détestent Robert le Fort, mais donne lui au moins le crédit d’être un guerrier redoutable, Louis. Je ne l’aie pas envoyé combattre les Vikings pour rien et je ne vais pas prendre de chances maintenant avec un tel homme.’’ ‘’Euh, oui Votre Majesté!’’ Laissant à plus tard son entrée dans la salle du conseil, où l’attendaient les grands nobles du royaume réunis, il tourna les talons et retourna vers ses appartements. Deux minutes plus tard, un carrosse peint bleu et blanc et tiré par deux chevaux s’arrêta dans la cour du vieux palais d’origine mérovingienne qui servait de résidence royale à Charles II à Senlis.

Comme des curieux s’attroupaient pour examiner le

singulier véhicule, la portière droite s’ouvrit et Robert le Fort en descendit, portant sa meilleure tunique de soie couverte par une cape en laine et fourrure pour combattre le froid humide de novembre. Il se retourna alors et offrit sa main pour aider Ann Shelton à descendre à son tour, avec Raymond de Toulouse à sa suite. Alors que Raymond était habillé de manière similaire à Robert, Ann avait choisi de porter pour cette occasion son plus bel ensemble de sortie, qui lui avait coûté une semaine de salaire sur Kyoto Alpha, recouvert d’un court manteau brun en Suède. Les soldats et serviteurs francs présents restèrent bouche bée comme ils admiraient son corps moulé dans un ensemble ajusté deux-pièces en soie brodée vert, rouge et or, ainsi que ses longues bottes en cuir brun. Sa taille pour une femme en étonna également plusieurs. Ignorant les curieux, Robert le Fort guida Ann et Raymond vers l’entrée principale du vieux palais, qui était actuellement de dimensions relativement modestes, laissant son écuyer en charge du carrosse. Le chancelier du roi, un homme dont Robert se méfiait profondément, les accueillit au haut des marches du palais avec un sourire suave. L’homme ne réussit toutefois pas à cacher complètement son désarroi à la vue d’Ann. ‘’Je vois que vous êtes revenus sain et sauf de votre voyage à Toulouse, Messire Robert. Puis-je vous demander qui est la belle dame qui vous accompagne avec le Comte Raymond?’’

265 ‘’Vous pouvez, Messire Louis!’’ Répondit Robert avec un sourire forcé. ‘’Je vous présente le Docteur Ann Shelton, représentante de l’Expansion Humaine pour la Francie.’’ Le chancelier se pencha en retour. ‘’Bienvenu au palais de sa Majesté Charles II, gente dame. Je suis Louis Le Rorgonide, Chancelier du Roi. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous conduire de ce pas au Roi.’’ Comme ils pénétraient à l’intérieur d’un foyer et commençaient à suivre un couloir, Robert demanda négligemment une question au chancelier. ‘’Dites moi, est-ce que le conseil royal a commencé à siéger, Messire Louis?’’ ‘’Pas encore mais très bientôt, Messire Robert. Le Roi espérait encore votre arrivée avant de parler au conseil. Avez vous eu des empêchements en chemin?’’ ‘’Pas vraiment. Il se trouve seulement que Toulouse est loin de Senlis.’’ Louis n’insista pas sur ce sujet et continua de marcher, arrivant après moins d’une minute à une antichambre où quatre gardes royaux montaient la garde devant une large porte. Cognant à la porte, Louis passa la tête à l’intérieur après avoir entendu une réponse. ‘’Votre Majesté, le Marquis Robert le Fort est ici, ainsi que le Comte Raymond de Toulouse et une représentante des étrangers volants, Dame Ann Shelton.’’ ‘’Fais entrer le Marquis Robert en premier!’’ Ce dernier, entendant cela, jeta un regard inquiet à Ann, qui hocha la tête. ‘’Allez-y, Messire Robert : un peu d’attente ne me fera pas de mal.’’ Toujours peu rassuré pour elle, Robert s’inclina et entra dans les appartements du Roi, où il trouva Charles II assis à une table, deux soldats derrière lui. Le Roi lui décocha un sourire de bienvenue qui ne trompa pas Robert. ‘’S’il vous plaît, mon cher Robert, prenez un siège et discutons de votre voyage à Toulouse.’’ Une fois Robert assis, le Roi le dévisagea un moment avant de parler, gardant un ton bas. ‘’Qu’avez vous trouvé à Toulouse finalement, Messire Robert?’’ ‘’Bien des choses extraordinaires, Votre Majesté.’’ Répondit Robert, qui décrit alors avec franchise ce qu’il avait vu à Toulouse. Il répéta ensuite les avertissements pour Charles II qu’Ann lui avait donné. Ces avertissements n’eurent pas l’air de plaire au Roi.

266 ‘’Décidément, ces gens sont bien prétentieux.’’ ‘’Votre Majesté, au vu de leur puissance, je crois qu’il ne faudrait pas prendre leurs avertissements à la légère.’’ ‘’Et nous devrions leur abdiquer le pouvoir dans mon propre royaume, Messire Robert? Ces gens prétendent aider les paysans contre nous les nobles, ce qui n’est rien de moins qu’un appel à la révolte populaire. Déjà, le petit peuple murmure parce que ces gens ont réussi en deux semaines ce que vous et moi n’avons pas réussi en des années, à savoir, chasser les Vikings de Francie. Non! Je continuerais de conduire les affaires de mon royaume comme il me plaît. Et le Comte Raymond, qu’est-il dans tout cela?’’ ‘’Le Comte Raymond a fait du mieux qu’il pouvait dans des circonstances difficiles, Votre Majesté : face à la menace d’une armée Viking qui avançait sur Toulouse, il a accepté de former une alliance avec les gens du futur et leur a donné des îles sur la Garonne pour les récompenser d’avoir massacré les Vikings.’’ ‘’Hum! Revenons sur ces gens du futur un moment, Messire Robert. Vous avez vu leurs installations à Toulouse en détail, me dites vous. Avez vous vu des faiblesses dans leurs défenses?’’ Robert regarda le Roi comme s’il était devenu fou. ‘’Votre Majesté, toute attaque contre ces gens seraient de la démence! Nos soldats seraient massacrés en quelques instants à peine, comme les Vikings.’’ ‘’Dans une attaque frontale, probablement. Nous pourrions toutefois prétendre venir en ambassade à Toulouse et prendre ensuite par surprise leur tour géante, qui est pleine de civils non armés selon vous. Avec ces civils en otage, nous pourrions alors forcer les gens du futur à quitter la Francie.’’ Dégoûté par un tel mélange de duplicité et de stupidité, Robert se leva brusquement de son siège et haussa le ton. ‘’Je ne serais jamais partie à une telle félonie, Votre Majesté! Trouvez vous un autre homme pour ce projet, qui ne fera que causer la chute de votre royaume.’’ ‘’Soit! GARDES!’’ Dix soldats entrèrent immédiatement à la course par une porte secondaire, se joignant aux deux soldats déjà dans les appartements du roi et entourant Robert avec leurs épées pointés. Robert fut promptement désarmé et ses mains ligotées dans le dos, tandis que Raymond de Toulouse et Ann Shelton étaient poussés dans les appartements à la pointe de l’épée par d’autres soldats et enlignés face à Charles II. Ce

267 dernier examina avec un sourire mauvais Ann de la tête au pied avant de venir lui parler presque nez à nez. ‘’J’entends que vous avez eu l’impudence de prétendre vouloir dicter ma conduite, Dame Shelton. Sachez que je ne prends pas d’ordres d’une femme, combien belle elle soit.’’ Ann, qui avait les mains liés dans le dos comme Robert et Raymond, regarda Charles avec une moue de dégoût. ‘’Vous êtes décidément encore plus stupide que l’histoire en fait cas, Roi Charles. Sachez que vous venez juste de signer la fin de votre règne.’’ ‘’Je crois que vous bluffez, ma chère. Si vous seriez réellement importante pour vos chefs, ils vous auraient envoyé par navire volant, plutôt que vous laisser perdre des semaines sur les routes. Messire Robert n’a pas voulu me décrire les faiblesses de vos défenses à Toulouse et briser un tel homme prendrait du temps. Vous, par contre, vous parlerez rapidement, j’en suis sûr.’’ Raymond de Toulouse se tortilla furieusement à ces mots, retenu sur place avec peine par les soldats qui le tenaient. ‘’Vous tortureriez une envoyée diplomatique et une femme en plus? Vous n’êtes pas digne du titre de roi, ou même de celui de noble!’’ Sur un signe du Roi, un des gardes frappa brutalement Raymond sur la tête avec le manche de son poignard, l’assommant. ‘’SALAUD!’’ Cria Ann, furieuse à la vue de ce spectacle. Charles la gifla alors avec force du dos de sa main gantée, la faisant saigner des lèvres. ‘’SILENCE! TU AURAS BIENTÔT L’OCCASION DE PARLER À LOISIR…OU DE CRIER! EMMENEZ LES TOUS LES TROIS DANS LES CACHOTS! PRÉPAREZ ÉGALEMENT CETTE FEMME POUR LE BOURREAU!’’ Les gardes du roi eurent à peine le temps de commencer à pousser ou porter leurs trois prisonniers hors des appartements du roi avant que plus de vingt commandos en armures de combat leur tombent dessus, ayant approché silencieusement en volant le long des couloirs après avoir pénétré par les toits.

Une salve nourrie de rayons

neuroniques assommèrent les gardes avant qu’ils puissent réagir, laissant le Roi Charles isolé et pris en souricière face aux commandos. Ses liens coupés promptement par un commando, Ann se précipita aussitôt pour examiner Raymond de Toulouse, toujours inconscient. À son grand soulagement, elle trouva son pouls régulier, comme sa respiration. Se redressant, elle marcha vers le Roi Charles, qui portait maintenant

268 des menottes et semblait terrifié. Le saisissant solidement à deux mains par le collet, Ann le contempla avec haine. ‘’Vous pensiez que j’étais assez stupide pour venir voir un salaud comme vous sans avoir de soldats prêts à intervenir? Sachez que torturer quelqu’un est un crime capital dans notre société, comme l’esclavage. Vous ne commanderez plus jamais rien nulle part après aujourd’hui, Charles…si vous survivez à cette journée!’’ ‘’Tu peux le lâcher, Ann.’’ Dit le Major Arntern, qui venait d’arriver dans les appartements royaux avec le Commodore Ferguson, la Gouverneur Lynn Tsu et Vyyn Drelan. ‘’Je vais m’occuper de lui.’’ Ann relâcha sa prise sur Charles et laissa Arntern le traîner dehors sans ménagement. Vyyn s’approcha ensuite et échangea une accolade avec son amie. ‘’Ann, j’aie eu peur pour toi!’’ ‘’Ne t’en fais plus, Vyyn : tout vas bien maintenant.’’ Henry Ferguson, qui s’était également approché d’Ann avec Lynn Tsu, lui parla d’un ton sérieux. ‘’Vous avez joué un rôle bien dangereux pour une civile, Docteur Shelton, mais vous vous en êtes tiré avec brio…et courage.’’ ‘’Merci, Commodore.

Mes deux compagnons ont toutefois risqué au moins

autant que moi ce matin.’’ ‘’Et je leur en sais gré, Docteur Shelton.

Comment va le pauvre Comte

Raymond?’’ L’infirmier qui était venu avec Ferguson et son groupe et qui examinait Raymond, répondit d’un ton rassurant. ‘’Il s’en tirera avec une mauvaise bosse et un mal de tête passager, Commodore.’’ Raymond, qui revenait à lui à ce moment, gémit avant de faire une remarque sarcastique qui fît sourire Ferguson et Tsu. ‘’Décidément, m’allier avec vous semble m’attirer des coups à la tête, Messire Ferguson.’’ ‘’Nous vous donnerons un casque solide après ceci, Comte Raymond.’’ Plaisanta Ferguson avant de redevenir sérieux et de faire face à Ann et Robert. ‘’Nos autres invités de marque sont en train d’être débarqués dans la cour. Je crois qu’il est temps d’aller parler au conseil royal.’’

269 ‘’Puis-je demander ce qu’il arrivera au Roi Charles, Messire Ferguson?’’ Demanda rapidement Robert. Ferguson échangea un coup d’œil avec Lynn Tsu, qui se chargea de répondre. ‘’Marquis Robert, sachez que les crimes qui peuvent attirer la peine de mort dans notre société sont rares. Les actes d’extrême cruauté, tels que torturer quelqu’un ou, dans ce cas ci, condamner quelqu’un à la torture, font partie de ces crimes. Nous n’appliquons la peine de mort que dans les pires cas, mais nous avons amplement de preuves contre le Roi Charles, preuves que j’ai vu personnellement avec le Commodore Ferguson et plusieurs officiers. Son intention d’utiliser nombre de nos citoyens civils comme otages n’a pas aidé sa cause non plus.

J’ai donc autorisé son exécution

publique et immédiate.’’ Robert le Fort hocha lentement la tête en entendant cela. Les gens du futur étaient peut-être bons et généreux, mais cela ne les empêchait pas d’agir avec énergie et célérité selon les besoins, quelque chose qu’il appréciait personnellement. Charles avait de toute façon plus que mérité la mort à ses yeux par sa traîtrise et sa monstrueuse ambition, qui avait causé tant de misères en Francie. Dans la cour du palais, où la navette pour passagers qui l’avait apporté avec d’autres venait d’atterrir, Louis II Le Germanique, Roi de Francie Orientale, débarqua par la rampe arrière de l’appareil et reconnu tout de suite le palais de Senlis de son demi-frère Charles. Il vivait depuis tôt ce matin une sorte de cauchemar fantastique, ayant été enlevé dans son lit par des hommes en armures et ensuite transporté dans une machine volante. Il avait également rejoint d’autres prisonniers illustres, dont son neveu Louis II Le Jeune, présent Empereur d’Occident, ainsi que le frère cadet de ce dernier, Lothaire II, Roi de Lotharingie. Une collection de rois, ducs et comtes d’Europe Occidentale complétaient la liste des passagers de la navette. Leurs protestations et leurs questions avaient été ignorées par les géants en armure qui les escortaient. Ces derniers les avaient toutefois traités avec décence et sans brutalités inutiles, ce qui avait un peu rassuré Louis Le Germanique.

Maintenant qu’il se retrouvait à Senlis, il

commençait à comprendre pourquoi les gens du futur l’avaient capturé et emmené ici avec tous les autres.

Ils voulaient probablement forcer une sorte de rencontre au

sommet, possiblement pour dicter leurs conditions ou proclamer leur prise de pouvoir en Europe.

270 Plusieurs dizaines de servants et servantes du palais se tenaient dans la cour avec des gardes royaux désarmés, apeurés et incertains de leur sort, comme Louis Le Germanique et les autres étaient dirigés vers l’entrée du palais. Un groupe de trois géants en armure sortirent à ce moment du palais, traînants de force un Roi Charles II menotté et qui n’en menait pas large.

Louis, qui détestait son demi-frère et avait

souvent souhaité sa mort, eut un sourire féroce en voyant cette scène, comme le Roi Salomon de Bretagne.

Louis, qui s’était arrêté pour regarder sortir Charles, ne

s’attendait toutefois pas à ce qui suivit. Charles, malgré ses protestations répétées et ses appels à l’aide à ses gardes maintenant impuissants, fut poussé contre un mur, toujours menotté, par deux des géants. Le troisième géant leva alors son arme, qui cracha un éclair bleu avec un craquement sec. Frappé en pleine poitrine par le rayon, Charles tomba sur le sol, mort, la moitié de son torse calciné et un grand trou noir à la place du cœur. Il y eu un moment de silence stupéfait autour de la cour avant que Louis Le Germanique crache une oraison funèbre pour son demi-frère. ‘’Il était bien temps!’’ ‘’Il n’est même pas mort comme un homme!’’ Rajouta Salomon de Bretagne avec dédain.

Un commando le poussa alors légèrement avec la pointe de son

désintégrateur pour qu’il reprenne sa marche. ‘’Allez, à l’intérieur vous tous! Le spectacle est terminé.’’ Les quelques vingt hauts nobles furent dirigés jusqu’à la salle du conseil royal, où ils se retrouvèrent face à face avec la crème des vassaux de Charles, assis penauds autour de la grande table. Les deux groupes s’échangèrent des regards peu amicaux mais un avertissement sec en langue d’Oïl venant d’un des géants en armure claqua dans la salle. ‘’LE PREMIER QUI DÉGAINE SON ÉPÉE OU SON POIGNARD EST UN HOMME MORT! FAITES SILENCE ET ÉCOUTEZ!’’ Une femme d’âge mûr habillé d’une robe au style inconnu pour Louis Le Germanique prit alors la parole, également en langue d’Oïl. ‘’Messieurs, laissez moi me présenter en premier. Je suis la Gouverneur Lynn Tsu, Administratrice en chef des citoyens de l’Expansion Humaine sur cette Terre. À ma droite se trouve le Commodore Henry Ferguson, commandant de notre flotte, tandis qu’à ma gauche se trouve le Docteur Ann Shelton, Administratrice en chef de notre enclave de Toulouse, ainsi que son assistante, le Docteur Vyyn Drelan. Vous avez été tous réunis ici pour être informés de changements majeurs dans la manière dont

271 l’Europe sera gouvernée. Premièrement, pour ceux qui ne le savent pas encore, le Roi Charles II vient d’être exécuté pour avoir ordonné que l’on torture mon envoyée et représentante en Francie, le Docteur Shelton, qui était venue lui parler. Le Roi Charles a scellé son sort par sa propre stupidité et son ambition sans borne. Sachez que vos propres actions déciderons des actions que je prendrais concernant chacun de vous.’’ Les nobles francs faisant face à Tsu se raidirent, sachant trop bien qu’il serait facile aux étrangers de les exécuter en masse sur le champ s’ils le voulaient. Ayant maintenant leur pleine attention, Tsu continua, le visage sévère. ‘’À part de rares exceptions, la majorité de vous avez prouvé n’avoir que vos origines héréditaires pour justifier vos titres et pouvoirs. Vous avez également démontré en général un manque total de souci à l’égard de la misère et des souffrances de vos peuples, extorquant taxes par dessus taxes tout en laissant les Vikings piller et massacrer vos gens. Et bien, la grande vie est finie pour vous, messieurs, à moins que vous puissiez prouver que vous êtes capables d’administrer avec justice et compétence vos sujets. Plusieurs d’entre vous sont déjà considérés par moi comme sans potentiel réel pour justifier leurs postes et seront remplacés dès aujourd’hui, pour être envoyés à la retraite, où ils ne pourront plus causer de mal.

D’autres recevront une seconde

chance, tandis que ceux d’entre vous qui ont mérité recevront une promotion.’’ Lynn Tsu laissa pendre cette épée de Damoclès un moment au dessus de la tête des nobles francs avant de continuer d’une voix ferme mais calme. ‘’Sachez que mon but est simplement de pouvoir offrir une vie meilleure à vos peuples par le biais d’une administration efficace, compétente et juste.

À partir de

maintenant, les besoins de vos populations vont primer, et non votre profit personnel. Pour notre part, nous garantirons la sécurité de vos territoires en décourageant ou éliminant toute tentative d’invasion ou de pillage. Nous avons déjà éliminé la menace viking en Europe et avons également pris des mesures pour arrêter les actes d’agression et de piraterie par les Musulmans autour de la Méditerranée. Pour ce qui est de la Francie Occidentale, j’ai décidé que le Roi Charles ne sera pas remplacé. Son administration n’était pas grand chose de plus qu’un prétexte pour ajouter un poids supplémentaire de taxes sur les épaules du peuple, sans presque rien fournir en retour aux petits gens.’’ Louis Le Bègue, fils de Charles II, ne pût se retenir plus longtemps après ces mots, voyant ses chances de devenir roi s’envoler pour toujours.

272 ‘’TOUT

CECI

EST

IN…INIQUE!

J’AI

PL…PLEIN

DROIT

À

LA

COU…COURONNE DE MON PÈRE MAINTENANT QU’IL EST M…MORT, GRÂCE À VOUS!’’ Tsu le fixa froidement sans une graine de sympathie dans son regard. ‘’Messire Louis, vous avez seulement réussi à prouver à date dans votre vie que vous n’êtes pas capable d’administrer ou de défendre correctement une simple ville, encore moins un comté ou un royaume, et je ne met pas en cause votre bégaiement, dont je ne vous tiens pas en mal. Vous n’avez que votre naissance, qui ne signifie rien dans notre société. Le titre de Roi de Francie Occidentale meurt à partir d’aujourd’hui. Les taxes et impôts perçus au nom du Roi sont donc abolis dès maintenant. Quiconque prétendra continuer à imposer ces taxes pour leur profit personnel sera puni sévèrement et chassé de son poste. Chaque comte et marquis encore en poste demain continuera d’administrer son fief actuel de manière indépendante, ne percevant que les taxes coutumières dues à son niveau et utilisant ces revenus pour faire prospérer leurs fiefs et améliorer la vie de tous.

Pour ce qui est des choses que le Roi Charles II aurait

normalement dû s’occuper à fournir à son peuple, comme des routes, des ponts, de l’aide en cas de famines ou de catastrophes et ainsi de suite, nous nous en chargerons. Nous avons des machines qui peuvent faire le travail de milliers d’hommes, sans aucun coût ou presque pour nous.’’ ‘’MAIS QUEL EST VOTRE PROFIT DANS TOUT CELA? POURQUOI UN TEL RENVERSEMENT DE POUVOIR?’’ Demanda avec force Louis Le Germanique. Lynn Tsu ne sembla pas s’offusquer de ses questions et lui répondit d’un ton poli. ‘’Quel est notre profit? Pour moi, personnellement, le rire d’un enfant heureux est tout le profit que je cherche, Messire Louis. Pensez vous réellement que ce palais froid et humide m’intéresse, ou n’importe quel autre palais appartenant à Charles II? De l’or ou des bijoux? Je n’en aie cure! J’ai le respect de mes concitoyens parce que j’ai prouvé ma compétence et parce que j’ai fait de mon mieux pour améliorer leurs vies. Ce respect me suffit amplement. Si j’abuserais de mon poste comme beaucoup d’entre vous ici l’ont fait, j’aurais été congédié par vote populaire, et possiblement pourchassé en justice pour abus de pouvoir et corruption. Quand au renversement de pouvoir que vous mentionnez, il a été rendu nécessaire par votre corruption et votre incompétence générale, ajoutés à votre insensibilité envers les malheurs et la misère de vos sujets. Le Docteur Shelton va maintenant lire une liste de noms.

Ceux qui seront nommés

sortiront alors de cette salle et seront reconduits chez eux, où ils auront une semaine

273 pour quitter leurs postes respectifs et prendre leur retraite selon des conditions fixées par nous. Ne comptez donc pas vider les trésors de vos fiefs avant de quitter vos postes.

Nous vous laisserons toutefois suffisamment de moyens et revenus pour

pouvoir vivre décemment.’’ La tension dans la pièce, déjà élevée, monta alors de plusieurs crans, avec les commandos présents tenant leurs armes prêtes, tandis que les nobles francs se tendaient comme des barres de fer. Ann Shelton ajouta à la tension en prenant son temps pour déplier calmement une feuille de papier avant de lire d’une voix posée. ‘’Les gens qui seront nommés laisseront sur la table leurs armes et suivront les soldats qui attendront à la porte. Toute résistance sera punie de mort immédiate. Louis II Le Bègue! Charles dit l’Enfant, Roi d’Aquitaine! Louis II Le Germanique! Lothaire II de Lotharingie! Salomon de Bretagne!…’’ Salomon réagit à l’appel de son nom en criant de rage et en dégainant son poignard, qu’il saisit par la lame avec l’intention de le lancer vers Lynn Tsu. désintégrateur le décapita toutefois avant qu’il put lancer son poignard.

Un trait de Les autres

nobles regardèrent avec horreur et terreur son corps fumant tomber sur le sol de pierre de la salle. Cachant ses propres émotions, Ann continua alors de lire sa liste comme si de rien n’était, tandis que ceux déjà nommés s’empressaient de se lever et d’aller à la porte, sans armes, pour être escortés dehors. ‘’Comte Humfrid de Barcelone! Comte Boson de Lorraine! Comte Rorgon II du Maine! Messire Gausfrid du Maine! Chancelier Louis Le Rorgonide!’’ Gausfrid du Maine, un homme déjà âgé mais toujours costaud, s’avança d’un pas rageur, poussant deux commandos à pointer leurs désintégrateurs sur lui. ‘’CECI N’EST QU’UN COMPLOT POUR CHASSER MA FAMILLE DU MAINE! VOUS ÊTES DE MÈCHE AVEC ROBERT LE FORT, AVOUEZ LE!’’ Ann regarda Gausfrid avec un dédain frisant le dégoût. ‘’Non, messire, ceci n’est pas un complot tramé par Messire Robert le Fort. Ceci est un jugement rendu sur la manière dont votre famille a trahi à plusieurs reprises la Francie en complotant avec le Roi Salomon contre le Roi Charles, tout en soudoyant les Vikings pour qu’ils aillent attaquer les territoires de Robert le Fort et d’Adalard Le Sénéchal, Marquis de Neustrie, plutôt que vos possessions du Maine.

Maintenant,

sortez!’’ Plusieurs nobles francs présents, dont Adalard le Sénéchal, regardèrent Gausfrid avec haine, tandis que ce dernier serrait les dents avant de laisser son épée sur la table et

274 partir, s’attendant à être exécuté sur place. Ann reprit sa lecture, nommant un grand total de 33 noms avant de s’arrêter, faisant soupirer de soulagement ceux qui restaient. Louis II Le Jeune, Empereur d’Occident, était de ceux qui étaient encore dans la salle. Il regarda Lynn Tsu avec amertume. ‘’Maintenant que vous avez chassé la moitié des grands nobles ici présent, par qui comptez vous les remplacer? Qui administrera leurs terres?’’ Ann Shelton chuchota dans l’oreille de Tsu, qui hocha la tête et laissa Ann répondre. ‘’Les mêmes gens qui font actuellement le travail dans leurs domaines, Messire Louis. Voulez vous me faire croire que tous ces nobles qui viennent d’être expulsés faisaient eux même la comptabilité de leurs revenus et de leurs dépenses, ou planifiaient en détail les travaux des champs? Ils utilisaient des professionnels, des hommes d’expérience qui pouvaient faire le vrai travail et ainsi leur permettre de passer le clair de leur temps à chasser, s’amuser et s’empiffrer. Ces professionnels recevront des salaires reflétant plus justement leurs compétences, tandis que les domaines deviendront propriétés nationales, plutôt que d’être des propriétés personnelles. En retour, les profits et surplus produits par ces propriétés nationales profiteront à tous, et non plus à seulement une petite classe de nobles.’’ ‘’Mais, ce que vous décrivez là n’est rien de moins qu’une révolution!’’ S’exclama Louis II Le Jeune, s’attirant un regard peu sympathique d’Ann. ‘’Exactement, Messire Louis, et elle ne vient pas un jour trop tôt.’’

275

CHAPITRE 21 – VISITE PAPALE 07h58 (Heure de Rome) Vendredi, 9 décembre 861 Limousine aérienne de l’Expansion Humaine Côte Ouest de l’Italie, près de Rome ‘’Nous allons bientôt survoler la côte italienne, mademoiselle Drelan.’’ Vyyn Drelan, lisant ses notes et assise sur la banquette arrière de la limousine aérienne, releva la tête et regarda par sa fenêtre la côte qui approchait avant de répondre au conducteur de la limousine. ‘’Merci, Min!’’ Vyyn ferma son bloc-notes électronique pour se concentrer sur le paysage qu’ils allaient survoler. En tant qu’historienne, l’idée de pouvoir voir de près la vieille ville de Rome l’excitait. Dommage qu’elle devait en cette occasion se limiter à une courte visite bien spécifique. L’agent de l’ordre centaurien qui lui servait de garde du corps aujourd’hui se tortilla dans son siège, visiblement nerveux, attirant un sourire compréhensif de Vyyn. ‘’Ne vous en faites pas, Monsieur Jong : ceci devrait être une visite sans histoire.’’ ‘’Euh, si vous le dites, Docteur.’’ Répondit Xia Jong. À 26 ans, il avait six ans d’expérience comme agent de l’ordre avec le service de sécurité publique de Kyoto Alpha et avait eu affaire dans le passé avec une variété de crimes et d’incidents, incluant des batailles dans des bars et des confrontations avec des dérangés mentaux violents, mais ceci était la première fois qu’il sortait de l’enclave de Toulouse depuis son arrivée avec sa famille en octobre.

Il se savait toutefois bien entraîné dans les

confrontations au corps à corps et portait le casque et la veste protectrice qui avait été la tenue standard du service de sécurité publique de Kyoto Alpha. Il portait également à la ceinture un bâton anti-émeute et un pistolet neuronique, tandis que Vyyn Drelan portait elle même un pistolet neuronique compact. Il tenta donc de se relaxer du mieux qu’il pouvait en contemplant comme elle le paysage. La limousine aérienne arriva bientôt au dessus de Rome et se dirigea vers le district de l’Esquilin, dans la partie est de la ville. Vyyn examina des airs le terrain avant

276 de pointer à son conducteur un palais bordé de jardins et situé en rebord d’un escarpement, juste à l’intérieur des murs de Rome. ‘’Voilà le palais de Latran!

Posez vous sur l’esplanade voisine du palais et

laissez moi descendre avec Monsieur Jong avant de décoller et de nous attendre à basse altitude.’’ ‘’Bien, Docteur Drelan.’’ Le conducteur amorça alors sa descente et se posa en douceur sur l’esplanade quelques instants plus tard, ignorant les quelques passants qui s’enfuyaient maintenant, effrayés par l’arrivée de cette machine volante. Vyyn et Xia débarquèrent tranquillement de la limousine et la regardèrent décoller avant de se diriger d’un pas mesuré vers le palais pontifical. En chemin, Vyyn ne se priva pas d’admirer la multitude de monuments historiques qui étaient visibles autour d’elle. ‘’Monsieur Jong, vous ne pouvez pas savoir comment je rêvais d’une telle visite depuis des mois.’’ ‘’À chacun ses intérêts particuliers, Docteur.’’ Répondit Xia, qui ne voyait pour le moment que le caractère primitif et potentiellement dangereux de l’endroit. De fait, son attention était actuellement concentrée sur deux hommes armés de lances et d’épées et tenant des boucliers, qui venaient en courant de la direction des marches menant en bas de l’escarpement. Il s’assura que son pistolet neuronique était facile d’accès avant d’avertir à voix basse Vyyn. ‘’Docteur, deux soldats s’approchent de nous à la course.’’ Vyyn tourna la tête immédiatement et examina les deux hommes avant de crier en Latin. ‘’NE VOUS ÉNERVEZ PAS! NOUS SOMMES ICI POUR RENCONTRER LE PAPE ET N’AVONS PAS D’INTENTIONS HOSTILES.’’ Les deux gardes pontificaux ralentirent leur course et adoptèrent un pas régulier, mais continuèrent à suivre à distance Vyyn et Xia. Ce dernier surveilla du coin de l’œil les deux soldats comme il arrivait avec Vyyn au pied des marches du palais de Latran. Montant les marches du grandiose édifice romain, ils se présentèrent à la grande porte principale, gardée par quatre gardes similaires à ceux qui les suivaient. Vyyn inclina poliment la tête pour saluer celui qui paraissait en charge des gardes et lui parla en Latin. ‘’Bonjour, brave homme!

Je suis le Docteur Vyyn Drelan, de l’Expansion

Humaine, et je viens demander audience à Sa Sainteté le Pape.’’ L’officier des gardes retourna son salut, son visage impassible.

277 ‘’Je vais voir si Sa Sainteté peux vous recevoir. Attendez ici!’’ L’officier entrouvrit un des deux battants et disparut à l’intérieur, laissant Vyyn et Xia seuls avec cinq gardes armés les fixant nerveusement. Xia chuchota à Vyyn en Nouvel Anglais. ‘’Je n’aime pas cela, Docteur : ces gardes sont trop nerveux à mon goût et pourraient paniquer facilement.’’ ‘’Raison de plus pour garder notre propre calme, Monsieur Jong.’’ Chuchota en retour Vyyn.

Elle attendit alors un bon six minutes avant que l’officier des gardes

revienne, accompagné d’un homme d’âge mûr en soutane rouge qui fusilla du regard Vyyn avant de lui parler durement en Latin. ‘’Allez vous-en! Le Pape ne donneras pas d’audience à une femme, surtout une comme vous portant des vêtements d’homme.’’ Vyyn rougit de colère à ces mots mais réussit à ne pas hausser le ton. ‘’Ce que je porte est une tenue féminine courante dans ma société. Qui êtes vous donc pour refuser une entrevue à une représentante de l’Expansion Humaine? Réalisez vous bien à qui vous parlez?’’ ‘’Je suis le Cardinal Fraolo, Premier Secrétaire de Sa Sainteté, et je décide qui voit le Pape.

Que votre chef envoie un représentant crédible la prochaine fois.

Maintenant, partez ou je vous ferais chasser!’’ Xia, sa main droite sur la crosse de son pistolet neuronique, toucha le bras droit de Vyyn tout en parlant en Nouvel Anglais et gardant ses yeux sur les gardes, qui brandissaient maintenant leurs lances. ‘’Je crois qu’il vaut mieux partir maintenant avant que les choses ne se gâtent, Docteur.’’ Vyyn hocha lentement la tête tout en fixant le cardinal dans les yeux. ‘’Je crois que vous avez raison, Monsieur Jong.’’ Dit-elle en Nouvel Anglais avant de continuer en Latin, adressant le cardinal. ‘’Vous pourrez dire au Pape que vous venez de ruiner toute chance qu’il avait de pouvoir gagner notre coopération en bien des choses, Cardinal Fraolo.

Nous

n’enverrons pas d’autres envoyés juste pour satisfaire vos stupides réactions misogynes.’’ Elle leva alors le bras gauche pour activer son appareil radio et rappeler sa limousine. Un des gardes, tendu comme un ressort et interprétant cela comme un prélude à une attaque contre son cardinal, frappa alors avec sa lance, empalant le bras gauche de

278 Vyyn juste en dessous de l’épaule et la faisant crier de douleur. Xia réagit à la vitesse de l’éclair, dégainant son pistolet neuronique et tirant en une fraction de seconde sur le garde qui avait attaqué Vyyn. Comme le garde s’écroulait, inconscient, Xia tira Vyyn par en arrière et s’interposa entre elle et les cinq gardes restants, juste à temps pour arrêter avec sa veste protectrice les pointes acérées de trois lances. Tirant en continu, il balaya le groupe de gardes et le Cardinal Fraolo avec son pistolet neuronique, les culbutant avant qu’ils puissent frapper de nouveau. Il ne tira toutefois pas sur un moine qui se préparait à entrer à l’intérieur du palais avec une pile de manuscrits dans ses bras et qui s’était immobilisé à quelques pas d’eux à la vue de la confrontation. Soutenant une Vyyn grimaçant de douleur et se tenant le bras gauche, il descendit les marches le plus vite que Vyyn le pouvait tout en activant sa radio de casque. ‘’MIN, ATTERRISSEZ IMMÉDIATEMENT DEVANT LES MARCHES DU PALAIS! NOUS AVONS ÉTÉ ATTAQUÉS ET LE DOCTEUR DRELAN EST BLESSÉE!’’ ‘’Bon sang! J’arrive!’’ Min tint parole, atterrissant en catastrophe vingt secondes plus tard à quelques mètres devant Xia et Vyyn. Formant toujours un bouclier humain pour elle, Xia fît entrer Vyyn en premier dans la limousine et allait lui-même embarquer à l’intérieur quand une volée de flèches et de lances tomba autour de lui. Deux flèches se plantèrent sans causer de mal dans sa veste protectrice, mais une troisième flèche se planta dans le haut de sa cuisse droite. Criant de douleur sur le coup, Xia serra les dents et sauta à l’intérieur de la limousine, couvrant de son corps Vyyn. Une autre flèche l’atteignit, cette fois à la fesse gauche, avant qu’il puisse fermer la portière du véhicule, le faisant crier de nouveau. ‘’AARG! DÉCOLLE, MAINTENANT!’’ Min ne se fît pas prier deux fois et décolla à pleine accélération, juste à temps pour éviter une autre volée de projectiles. Comme il grimpait à toute vitesse, il activa sa radio, qui était réglée sur la fréquence du centre de contrôle aérien de l’astroport de Toulouse. ‘’CONTRÔLE TOULOUSE, ICI LIMOUSINE 0673! MES DEUX PASSAGERS ONT ÉTÉ ATTAQUÉS ET BLESSÉS PENDANT UNE VISITE DIPLOMATIQUE À ROME. JE DEMANDE UN RENDEZ-VOUS URGENT AVEC TOUT NAVIRE POUVANT FOURNIR DE L’AIDE MÉDICALE IMMÉDIATE.’’ Une réponse de Toulouse arriva en moins de trois secondes.

279 ‘’Limousine 0673, ici Contrôle Toulouse. Activez votre transpondeur d’urgence et donnez moi votre position.’’ Le conducteur pressa un bouton sur sa console de pilotage avant de parler. ‘’Contrôle Toulouse, nous sommes à la verticale de Rome et nous nous dirigeons maintenant plein ouest. Avez vous un navire proche de nous?’’ ‘’Affirmatif, Limousine 0673!

La frégate SIDNEY opérait au dessus de la

Méditerranée et se déroute vers vous. Prenez le cap 255 pour aller à sa rencontre.’’ ‘’Cap 255, compris! Mes deux passagers ont été blessés par armes blanches et semblent saigner abondamment.’’ ‘’Le SIDNEY sera là dans moins de trois minutes, Limousine 0673. Tenez bon!’’ Min tourna alors la tête pour regarder avec inquiétude ses passagers sur la banquette arrière. ‘’La frégate SIDNEY doit faire rendez-vous avec nous dans moins de trois minutes. Comment est le Docteur Drelan, Monsieur Jong?’’ ‘’Elle a été atteinte au bras gauche par une lance.’’ Répondit Xia, maîtrisant sa propre douleur. ‘’Je suis en train de poser un pansement.’’ Min regarda alors les deux flèches encore plantées dans Xia et serra les dents : les blessures de l’agent saignaient à un rythme alarmant. Prenant une décision, Min mit la limousine sur pilote automatique et quitta son siège, allant dans la section pour passagers et prenant un pansement de la trousse de premiers soins ouverte par Xia, avant de l’appliquer avec précaution autour de la flèche plantée dans sa cuisse droite. ‘’J’ai peur que votre artère fémorale aie été touchée. Le sang pisse comme un torrent!’’ ‘’M’en fout!’’ Répondit Xia d’une voix qui faiblissait comme sa tête commençait à tourner. ‘’Le Docteur Drelan est plus importante.’’ Des larmes de douleur aux yeux, Vyyn tourna la tête vers Xia. ‘’Mon bras peut attendre. Pas vous! Cessez de bouger et laissez Min vous traiter!’’ ‘’Non! Je ne suis pas si mal en po…’’ Tenta de répondre Xia avant de tomber sans connaissance à cause de sa perte de sang. Vyyn se pencha alors par dessus lui et saisit le pansement tenu par Min. ‘’Je m’occupe de lui. Retourne à ton siège et prépare toi à entrer dans le sas du SIDNEY, Min.’’ ‘’Euh, oui, Docteur!’’

280 Min eut juste le temps de retourner à ses commandes avant qu’un point apparaisse droit devant, grandissant rapidement. ‘’Enfin!’’ Dit avec soulagement Min tout en reprenant le contrôle manuel de son véhicule. La frégate de 250 mètres de long ralentit brutalement dès qu’elle fut à moins d’un kilomètre de distance et tourna sur place, présentant son sas arrière ouvert à la limousine. Min pilota son véhicule à l’intérieur du vaisseau et le posa sur le pont du sas. Les portes extérieures étaient à peine fermées que six infirmiers et un docteur se précipitaient avec deux brancards à anti-gravité vers la limousine. Xia fut extrait en premier et posé sur un des brancards, qui fut transporté immédiatement vers l’infirmerie du bord, le docteur à sa suite. Vyyn fut extraite en deuxième et couchée sur le second brancard comme Min sortait de son véhicule et allait la voir, son visage reflétant son inquiétude. Vyyn lui décocha un faible sourire. ‘’Ne t’en fait pas, Min : ma blessure n’est pas critique.’’ Un officier de l’Astronavale qui venait d’entrer dans le sas se pencha à son tour pour regarder Vyyn avec préoccupation. ‘’Que s’est-il passé à Rome, Docteur Drelan?’’ Faisant signe aux infirmiers d’attendre un peu avant de bouger son brancard, Vyyn prit une minute pour raconter rapidement ce qui s’était passé. L’officier, un lieutenant de vaisseau, hocha la tête. ‘’Je vois! Allez-y les gars! Vous pouvez l’emmener à l’infirmerie.’’ Comme les infirmiers poussaient le brancard à anti-gravité vers la sortie du sas, l’officier alla examiner la limousine et grimaça : quatre flèches et une lance étaient encore plantées dans les tôles d’aluminium de la carrosserie, tandis que la banquette et le tapis de la section pour passagers étaient imbibés de sang. ‘’Quelqu’un en haut lieu va sauter un plomb à cause de ceci.’’

08h48 (Heure de Rome) Appartements privés du Pape Nicolas 1er Palais pontifical de Latran, Rome Nicolas 1er écouta en silence le Cardinal Fraolo raconter comment l’incident avec les étrangers du futur s’était déroulé, cachant sa frustration grandissante. Une fois que Fraolo eut finit, le Pape tourna la tête vers une porte secondaire de son bureau privé. ‘’FRÈRE ANGELO, VOUS POUVEZ ENTRER!’’

281 Comme Fraolo regardait avec surprise et confusion le moine entrer, Nicolas 1er fusilla le cardinal du regard tout en posant une question à son copiste personnel. ‘’Redites moi ce que vous avez vu, Frère Angelo. Qui a attaqué qui en premier?’’ Le moine obéit comme Fraolo pâlissait visiblement. ‘’Votre Sainteté, je m’apprêtais à entrer par la porte principale quand j’ai dû arrêter sur place comme le Cardinal Fraolo et six gardes faisaient face aux deux étrangers. Le Cardinal Fraolo a refusé la requête de la femme étrangère pour être reçue en audience par vous et a ensuite ordonné aux étrangers de partir. La femme l’a alors avertit que ses chefs n’enverraient pas d’autres représentants. Elle a ensuite levé le bras gauche pour toucher une sorte de serre-tête qu’elle portait. C’est à ce moment qu’un des gardes lui planta sa lance dans son bras gauche. L’homme qui accompagnait la femme, et qui m’est paru être un garde du corps, a alors tiré une fois, assommant avec une sorte de foudre jaune le garde qui avait atteint la femme. Nos autres gardes ont ensuite tenté de tuer cet homme à coups de lances mais ce dernier portait une sorte d’armure qui l’a protégé. L’homme a assommé nos gardes restants et le cardinal avant de retraiter en aidant la femme.

Il aurait facilement pu m’atteindre avec son arme

diabolique, mais il n’a pas tenté de m’attaquer. Comme les étrangers rembarquaient dans leur chariot volant, d’autres gardes les ont atteints avec des flèches. Les étrangers ont réussi à s’envoler et partir mais ils semblaient tous les deux blessés sérieusement.’’ ‘’Merci, mon bon Angelo. Tu peux sortir maintenant.’’ ‘’Oui, Votre Sainteté!’’ Le Pape attendit que le moine soit ressorti avant de se lever de son siège et de faire deux pas rapides pour dévisager avec colère le cardinal, qui n’en menait pas large maintenant. ‘’Pourquoi m’as tu menti ainsi? Que cherchais-tu à accomplir en chassant cette envoyée des gens du futur? AS TU LA MOINDRE IDÉE DES DÉGÂTS QUE TU VIENS DE CAUSER, SOMBRE IMBÉCILE?’’ ‘’Mais, Votre Sainteté,’’ balbutia Fraolo, ‘’je ne pouvais introduire en audience devant vous une femme, qui de plus portait des vêtements d’homme. Je…’’ ‘’JE ME FOUS DE TES EXPLICATIONS!

TU M’AS MENTI, EN PLUS DE

PRENDRE SUR TOI UNE DÉCISION QUI ME REVENAIT DE PRENDRE. VAS-T’EN! RETOURNE À RAVENNE ET RESTE-Y! SECRÉTAIRE PERSONNEL!’’

JE NE VEUX PLUS DE TOI COMME

282 Le cardinal, réalisant que ceci lui coûterait son titre et ses privilèges, en plus de sa position à Rome, s’inclina avant de sortir, pâle comme un cadavre. Nicolas 1 er frappa d’un poing rageur le bras de sa chaise, encore furieux. Fraolo venait possiblement d’attirer une attaque future sur son palais par des étrangers qui avaient déjà massacré les Vikings, anéanti les flottilles de pillards arabes dans la Méditerranée et fait tomber le Roi Charles II de Francie ainsi que la moitié de ses hauts nobles. Il devait faire quelque chose pour réparer les dégâts, et vite! Pensant furieusement pendant une minute, il finit par prendre une décision et alla à sa porte pour l’ouvrir et crier un ordre au clerc occupant l’antichambre. ‘’FAITES PRÉPARER UNE GALÈRE RAPIDE IMMÉDIATEMENT! JE VAIS EN FRANCIE!’’ Le Pape se rendit ensuite à sa chambre à coucher pour rassembler ce qu’il aurait besoin pour son voyage. Il pensa avec amertume qu’il aurait besoin surtout de beaucoup de chance, et peut-être même d’un miracle, pour sauver son règne spirituel, sinon sa vie.

06h50 (Heure de Toulouse) Jeudi, 15 décembre 861 Port de Narbonne Francie Occidentale La galère pontificale entra dans le bras de mer menant au port de Narbonne alors qu’il manquait encore une heure avant le lever du soleil. Comme le capitaine de la galère faisait réduire la vitesse et carguer la voile pour procéder à la seule force des rames, Nicolas 1er monta sur le pont, incapable de dormir plus. Ne portant pour le moment qu’une simple robe rouge, il alla se poster à la proue pour regarder la ville de Narbonne au loin. Seul quelques lumières, probablement des torches, étaient visibles avec difficulté. Une lumière qu’il n’eut aucune peine à voir était beaucoup plus loin au nord-ouest et consistait d’un mince mais brillant faisceau de lumière blanche qui s’élevait à la verticale et perçait les nuages. Nicolas 1er avait déjà entendu parler de cette lumière dans des rapports de voyageurs revenant de Francie et savait qu’elle venait du sommet d’une tour de verre et d’acier gigantesque construite par les gens du futur à Toulouse. De pouvoir voir ce pinceau de lumière d’une distance de près de 200 kilomètres était impressionnant. Si l’intention des gens du futur était de marquer le chemin vers Toulouse, ils y avaient pleinement réussi.

283

Le capitaine rejoignit le pape à la proue après quelques minutes, le saluant avec respect avant de contempler avec lui le pinceau de lumière vertical. ‘’Un capitaine de ma connaissance a voyagé jusqu’à Toulouse le mois dernier et a vu la tour sur laquelle cette lumière brille. Ce qu’il m’en a dit était fantasmagorique, Votre Sainteté.’’ ‘’J’ai également entendu des rapports d’hommes d’église qui ont été à Toulouse, Capitaine. Ce qu’ils ont dit des gens du futur a effectivement stimulé ma curiosité.’’ ‘’Quoi qu’il en soit de ces gens, je leur dois une fière chandelle, maintenant qu’ils ont vidé la Méditerranée de ses pirates vikings et arabes. La navigation est maintenant beaucoup moins dangereuse. Un autre capitaine de ma connaissance m’a de plus raconté comment lui et son équipage ont été sauvés de justesse de la noyade par un navire volant, alors que leur navire venait de s’éventrer sur des rochers près de la Sicile.’’ ‘’Oh! Cela m’intéresse. Que vous a t-il dit à ce sujet? A t-il vu des gens du futur?’’ ‘’Oui, Votre Sainteté! La chose qui l’a frappé en premier au sujet de ces gens est que leurs femmes occupent les mêmes rôles que leurs hommes et semblent jouir d’une complète égalité entre les deux sexes. Une femme commandait de fait le navire volant qui a repêché mon ami et son équipage. L’autre remarque qu’il m’a faite à leur sujet était concernant leur attitude. Malgré leur puissance et leurs pouvoirs incroyables, les gens du futur n’ont fait montre d’aucune arrogance ou sentiment de supériorité envers nos marins. Ils les ont traités avec égard et célérité, leur fournissant un repas chaud et des vêtements secs avant de les déposer à leur port de destination en Italie. Tout le monde me dit qu’ils sont athées mais ils semblent agir malgré cela comme de bons Chrétiens.’’ Nicolas 1er hocha la tête à ces mots : ce que lui disait le capitaine ne faisait que confirmer d’autres histoires qu’il avait entendu sur les gens du futur. Nicolas 1er aurait approché ces gens avec plus d’enthousiasme si ce n’était du fait qu’ils avaient déjà publiquement contredit plusieurs points fondamentaux de la doctrine chrétienne, comme la création de l’Univers par Dieu en six jours, l’histoire d’Adam et Ève et la place de la Terre dans l’Univers. Ces déclarations avaient en retour encouragé d’innombrables hérésies qui lui causaient beaucoup de soucis. Nicolas 1er lui-même, sans l’avoir avoué à personne, avait commencé à douter de certains points. Si les gens du futur venaient

284 vraiment des étoiles, ils devraient logiquement en savoir plus sur le Soleil et la Terre que d’autres qui ne savaient pas encore voler. Il était de plus en plus convaincu qu’un conclave devrait être réuni bientôt pour discuter de ce contentieux. Rencontrer les gens du futur avant un tel conclave pour pouvoir discuter en détail de ces points de doctrine serait toutefois de bonne politique, pour éviter d’autres heurts théologiques dans le futur. Nicolas 1er soupira en pensant à l’occasion manquée de pouvoir discuter avec les gens du futur dans son propre palais. Il était de plus en plus convaincu que Fraolo, un partisan de la ligne pure et dure, avait agi de la manière qu’il avait fait dans le but délibéré de saboter toute possibilité de voir des amendements apportés à la doctrine de l’église. Les histoires de plus en plus fréquentes rapportées par des marchands et voyageurs revenant de la région de Toulouse ne faisaient toutefois que grandir la réputation des gens du futur comme des gens généreux et d’un grand savoir, qui prenaient le parti du petit peuple. Cette réputation stimulait en retour les demandes du peuple pour un meilleur traitement, en plus de faire poser bien des questions gênantes pour plusieurs, dont l’église. Les nobles de l’Italie devenaient de plus en plus nerveux devant ces remous populaires et se demandaient quand leur tour à se faire expulser du pouvoir par les gens du futur viendrait. La galère pontificale approcha finalement d’un des quais du port de Narbonne comme le Soleil se levait. Nicolas 1er entendit le capitaine jurer comme ils s’amarraient à un quai vide entre deux autres navires, des voiliers de commerce. Ne connaissant pas grand chose sur les navires, il alla voir le capitaine pour lui demander quel était le problème. Le marin pointa alors successivement les deux navires voisins. ‘’J’aurais dû m’amarrer à une autre quai, Votre Sainteté : nous sommes maintenant coincés entre un navire byzantin et un navire mauresque.’’ Nicolas 1er regarda avec un choc les deux navires à leurs côtés et dû se rendre à l’évidence en voyant leurs pavillons et en entendant leurs équipages parler respectivement Grec et Arabe.

De leur côté, leurs voisins examinaient la galère

pontificale avec un intérêt mêlé d’hostilité. Les autorités du port semblaient toutefois avoir agi rapidement pour éviter toute bagarre entre les équipages adverses, à en juger par la présence d’une douzaine d’hommes d’arme vigilants sur les quais. Nicolas 1er ne pût s’empêcher de sourire d’amusement. ‘’Il semble actuellement que le bon Dieu a fait que nous puissions prêcher la paix entre ces deux groupes.’’

285 ‘’Ouais!’’ Dit le capitaine, pas très convaincu. ‘’Espérons qu’ils ne s’allient pas ensemble pour nous attaquer.’’ Nicolas 1er dû reconnaître que le capitaine n’avait pas tort de s’inquiéter: tant les Arabes que les Byzantins étaient des ennemis de longue date de la papauté de Rome, en plus de s’attaquer mutuellement de manière constante. ‘’Le Christ notre sauveur préservera la paix pendant notre séjour, Capitaine. Je vais aller dire à ma suite de se préparer à débarquer.’’ Le cortège papal, consistant de quarante gardes pontificaux escortant la chaise à porteurs de Nicolas 1er, portée par vingt moines, ainsi qu’un train de mules chargés de bagages, débarqua de la galère une demi-heure plus tard, précédée par deux prêtres portant les étendards pontificaux et de l’officier à cheval en charge de l’escorte. Les hommes d’armes présents sur les quais mirent un genou à terre et inclinèrent la tête au passage du pape, qui les bénit du haut de sa chaise à porteurs. Une foule grandissante se tenait maintenant près des quais pour voir passer le Pape, dont la procession prit la direction de la Via Aquitania, la vieille route romaine reliant Narbonne à Toulouse et Bordeaux. À la surprise du pape et de sa suite, ils trouvèrent une large route pavée de mortier blanc et bordant la vieille route romaine, qui était en bien mauvais état et semblait n’être plus utilisée. Au centre du rond-point d’où la nouvelle route partait et par où passait également la Via Domitia, allant de l’Italie à l’Espagne, se tenait une sorte d’obélisque de cinq mètres de hauteur. Une pointe noire en une matière que Nicolas ne connaissait pas coiffait l’obélisque, tandis que des écriteaux en quatre langues étaient fixés sur chaque face de l’obélisque. Des noms et des flèches, ainsi que la distance en miles romains, indiquaient où chaque route allait. Regardant un marchand qui passait en charrette et semblait venir de Toulouse, Nicolas lui demanda de s’approcher, ce que l’homme fît avec un respect ému avant de s’agenouiller. ‘’Que puis-je faire pour Votre Sainteté?’’ ‘’Dis moi, brave homme, depuis quand cette route as t-elle été construite, et par qui?’’ ‘’Les gens du futur l’ont achevé il y a un peu plus d’une semaine, Votre Sainteté, avec force machines magiques.

La route se rend jusqu’à Bordeaux et connecte

également avec des routes similaires qui vont vers Albi et Tours.’’ ‘’Merci. Allez en paix, mon fils.’’ Nicolas 1er donna alors un ordre au commandant de son escorte.

286 ‘’PRENONS CETTE ROUTE VERS TOULOUSE!’’ L’officier obéit et commença à emprunter la nouvelle route, que les porteurs du Pape apprécièrent rapidement pour sa surface plate, contrairement aux moellons usés de la vieille route romaine, sur lesquels il était facile de se fouler une cheville. Nicolas 1 er constata après quelques minutes combien le trafic était dense sur cette route à comparer à ce qu’il était accoutumé de voir sur les routes d’Italie. Toulouse semblait décidément attirer les marchands et les voyageurs comme du miel pour les abeilles. Nicolas pouvait voir de tout, incluant de lourds chariots chargés de barriques, des carrioles et chariots revenant de Toulouse avec une variété de caisses et même des planches de bois équarries d’un fini qu’il n’avait jamais vu auparavant. À un moment donné, sa procession doubla lentement une petite charrette déglinguée qu’un homme en haillons poussait et sur laquelle gisait une femme recouverte jusqu’au coup avec une couverture de laine grossière. Nicolas 1er fît stopper un moment sa chaise à porteur et s’adressa à l’homme en haillons, qui avait enlevé son vieux chapeaux à la vue du Pape. ‘’Où emmène tu cette femme, mon fils? Elle semble bien mal.’’ ‘’J’emmène ma femme, qui est malade, à Toulouse pour y être soignée, Votre Sainteté.’’ ‘’Mais, n’y a t-il pas de médecins ici à Narbonne, mon brave homme?’’ L’homme tortilla son chapeau avant de répondre, semblant avoir peur de l’offusquer. ‘’C’est que, Votre Sainteté, le médecin que j’ai vu ici a vidé ma bourse par ses honoraires, en plus de faire empirer l’état de ma femme. On dit que les gens venant du futur prennent gratuitement les patients pauvres dans leur hospice de Toulouse et qu’ils y font des miracles, si le bon Saint Père m’excuse l’expression.’’ ‘’N’aie pas peur, brave homme : je ne m’offusque point de tes paroles. Tiens, pour aider ton voyage!’’ Nicolas donna par l’entremise d’un de ses moines dix deniers d’argent et bénit ensuite l’homme et sa femme avant d’ordonner à sa procession de continuer. Cette rencontre en somme toute bien anodin fit réfléchir le Pape comme sa chaise se remettait à se balancer au rythme des moines qui la portait. Il devenait de plus en plus clair pour lui que traiter les gens du futur de sorciers ou de créatures du Diable, comme le faisaient nombre de ses cardinaux, archevêques et évêques, ne faisait plus que discréditer l’église aux yeux du petit peuple, qui bénéficiait de la protection et de la générosité des étrangers. Nicolas 1er se demandait si cette générosité était réelle

287 ou seulement une manière de s’attirer la sympathie du petit peuple quand un cri du commandant de son escorte lui fit lever la tête. ‘’VOTRE SAINTETÉ, QUELQUE CHOSE S’APPROCHE DANS LE CIEL!’’ Nicolas 1er vît presque aussitôt l’objet en question, qui semblait descendre vers sa procession. Voyant que ses moines étaient près de paniquer, le pape leur ordonna de déposer sa chaise, pour éviter de se retrouver face contre terre s’ils la laissaient échapper par peur. À la surprise du pape le véhicule volant, qui était peint en blanc et était relativement petit, passa au ralenti au dessus de lui avant d’aller se poser sur le côté de la route à la hauteur du pauvre homme poussant sa femme sur une charrette. Le Pape nota les sortes de lumières rouges tournoyantes sur le toit du véhicule comme deux hommes et une femme en débarquaient avec une sorte de civière et des sacoches de cuir. Intrigué au début, Nicolas 1er réalisa alors avec un choc mêlé d’indignation que les gens du futur étaient venu ici pour la femme malade, et non pour lui. Son indignation fut toutefois de courte durée et il se fustigea mentalement pour son égoïsme et sa vanité, qui lui avait fait passer un moment son titre avant la vie de cette pauvre femme. Comme la femme malade était mise sur la civière et emmenée à l’intérieur du véhicule volant, suivie par son mari, un troisième homme sortit du véhicule, pour se diriger à pas pressés vers le Pape et sa procession. Nicolas 1er leva les bras et cria immédiatement un ordre à ses gardes, qui commençaient à pointer leurs lances vers l’étranger. ‘’BAISSEZ VOS ARMES! QUE PERSONNE NE MENACE CET HOMME!’’ Au soulagement du Pape, ses gardes obéirent sans trop hésiter, laissant l’étranger libre d’approcher jusqu’à quelques pas de la chaise de Nicolas 1er.

L’homme inclina

brièvement la tête pour le saluer avant de lui parler en un bon Latin. ‘’Je dois partir maintenant pour transporter cette femme à notre hôpital de Toulouse mais un autre véhicule aérien viendra vous prendre bientôt avec votre cortège, Votre Honneur.

Vous n’avez qu’à attendre ici son arrivée, qui devrait être dans

quelques minutes.’’ Nicolas 1er ignora le fait que l’homme avait utilisé un terme incorrect pour l’adresser et posa une question à la place. ‘’Comment saviez vous que je sois ici, ou que cette homme transportait sa femme malade vers Toulouse?’’ L’étranger sourit mais son ton resta poli. ‘’Disons que nous avons de très bon moyens de surveillance, Votre Honneur. On voit de loin à partir des airs.’’

288 ‘’Hum, effectivement.

Je vais attendre ici votre autre machine volante.

En

passant, la manière correcte de m’adresser est ‘Votre Sainteté’.’’ L’homme hocha la tête, apparemment peu impressionné. ‘’Je m’en rappellerais pour la prochaine fois, Votre Sainteté.’’ Il tourna alors les talons et retourna à la course à son véhicule, qui décolla quelques secondes plus tard et disparût vers le nord-ouest à une vitesse époustouflante. Nicolas 1er, rendu humble par cette démonstration de prouesse technologique, s’assit dans sa chaise et dit à sa suite de se reposer jusqu’à l’arrivée du prochain navire volant. Un deuxième véhicule volant, beaucoup plus gros que le premier, atterrit près du cortège du Pape quelques minutes plus tard, comme promis par l’étranger. Nicolas 1er nota immédiatement les formes angulaires et agressives du navire volant, ainsi que les nombreuses tourelles dispersées autour de sa coque. Également, ce navire était peint avec un motif vert et brun qui le rendait difficile à voir une fois au sol, contrairement au premier véhicule, qui était peint blanc et rouge et se voyait de loin. Une large rampe arrière se déploya presque aussitôt et quatre géants en armures mirent pied à terre, pour se diriger vers le Pape. Maintenant aussi nerveux que ses gardes, Nicolas 1er poussa un discret soupir de soulagement quand le géant menant les trois autres s’inclina avec respect devant lui. ‘’Votre Sainteté, je suis le Major Hans Arntern, chef de la sécurité pour l’enclave de l’Expansion Humaine à Toulouse.

Si vous voulez bien monter à bord de mon

appareil avec votre escorte, nous vous transporteront en quelques minutes à Toulouse, où l’administrateur de l’enclave vous attend pour vous recevoir.’’ ‘’Votre offre est acceptée avec plaisir, mon fils.’’ Répondit le Pape avant de donner quelques ordres à sa suite pour les faire embarquer dans le navire volant, qui était plus grand que la galère pontificale qui les avaient emmené à Narbonne. La soute caverneuse goba facilement la procession au complet avant que la rampe se relève et que le navire décolle. Une fois les premières émotions de ce vol initial furent passées, Nicolas 1er nota d’étranges machines de la taille d’hommes corpulents enlignés le long d’une des parois de la soute et les pointa du doit à Hans Arntern, qui avait relevé sa visière blindée et se tenait à ses côtés. ‘’Dites moi, Major Arntern, quelles sont ces choses?’’ ‘’Ce sont des robots de combat, Votre Sainteté. Ces robots sont essentiellement des machines dotées d’une intelligence artificielle rudimentaire et construites strictement

289 pour le combat et les tâches concernant la sécurité. Ils sont invulnérables aux armes de votre époque et peuvent voler pour sauter des obstacles, ou se déplacer au sol sur leurs deux chenilles. Un seul de ces robots serait suffisant pour arrêter sec une charge par des Vikings et les massacrer. Tant que nous sommes sur ce sujet, Votre Sainteté, vous comprendrez que nous sommes sensibles à la présence d’hommes armés dans notre enclave, spécialement quand ces hommes pourraient réagir instinctivement et avec violence à la vue de choses fantasmagoriques pour eux. Je vous demanderais donc que vos gardes laissent au moins leurs lances, arcs et boucliers de côté pendant leur visite à Toulouse. Je ne vois pas de problèmes à ce qu’ils gardent leurs épées et poignards, tant que vous me répondez de leur conduite à Toulouse.’’ Le pape hocha la tête, comprenant trop bien les inquiétudes d’Arntern après l’incident du palais de Latran. ‘’Je vais parler au commandant de mes gardes de ce pas, Major. Vous avez déjà ma parole que les gens de ma suite respecterons vos lois et règlements à Toulouse.’’ ‘’Merci, Votre Sainteté.’’ Le temps que Nicolas 1er aille passer ses directives à ses gardes et revienne à sa chaise, les écrans d’observation montraient que le navire approchait de Toulouse, tout en prenant de l’altitude. Malgré le fait qu’il avait entendu toutes sortes d’histoires sur la tour des gens du futur, la taille de la gigantesque tour qui dominait de sa masse la ville avoisinante remplit de stupeur le Pape, ainsi que les membres de sa suite, qui se signèrent collectivement. Arntern fît de son mieux pour les rassurer. ‘’Votre Sainteté, je vous présente la Tour Toulousaine, demeure de près de 32,000 de mes compatriotes et centre d’activités de notre enclave. Elle comporte 150 niveaux au dessus du sol, plus douze niveaux souterrains, et constitue une petite ville autonome en elle même.

Des chambres ont été réservées pour votre entourage à

l’hôtel de la tour, en plus d’une suite de luxe pour votre usage personnel. Des employés de l’hôtel seront à votre disposition pour vous décrire les diverses facilités disponibles et vous aurez accès libre à tous les niveaux. J’aimerais toutefois vous avertir que les mœurs de mes concitoyens sont beaucoup plus libérales que celles connues à Rome. Si vos gens voient ce qu’ils jugent une femme trop légèrement vêtue, qu’ils ne s’en offusquent pas et, surtout, qu’ils n’en déduisent pas que cette femme est une fille facile ouverte au harcèlement. Aussi, j’apprécierais si vos gardes laissent leurs armes dans

290 leurs chambres avant d’aller boire à une des tavernes de la tour, pour éviter des rixes armés possibles sous l’influence de l’alcool. En contrepartie, je peux vous annoncer que le Docteur Shelton, l’administrateur en chef de notre enclave, a autorisé la distribution de cinquante crédits d’argent pour chaque membre de votre cortège, pour leur permettre de pleinement jouir des facilités de la tour. Vos chambres et repas seront gratuits, ce qui ne laissera que vos boissons alcoolisées et achats d’objets de luxe comme dépenses personnelles.’’ La partie concernant la distribution d’argent amena des sourires sur les visages des gardes du Pape. Le Pape lui-même inclina la tête, satisfait par les paroles d’Arntern, avant de chuchoter des instructions supplémentaires au chef de ses gardes. Le navire était maintenant tout près de la tour et un peu en haut du niveau des aires d’atterrissage au sommet. L’atterrissage se fit en douceur et le Pape reprit place dans sa chaise comme la rampe arrière se déployait. Escortée par Arntern et ses trois commandos, la procession papale, moins ses mules de bât et le cheval de l’officier des gardes, prit pied sur la surface bétonnée de l’aire d’atterrissage et alla à la rencontre d’un groupe de quatre personnes, qui attendaient près de la structure centrale logeant les ascenseurs et la tour de contrôle du trafic aérien.

Les quatre personnes, deux hommes et deux

femmes, saluèrent de la tête comme le Pape débarquait de sa chaise à porteur devant eux. La plus grande des femmes adressa alors Nicolas 1er sur un ton formel. ‘’Bienvenu à Toulouse, Votre Sainteté. Administratrice en chef de l’enclave.

Je suis le Docteur Ann Shelton,

À ma droite se trouve mes deux assistants

principaux, le Docteur Vyyn Drelan et Messire Jean de Chambriand, tandis qu’à ma gauche se trouve Monsieur Jean Poissant, Chef Comptable de l’enclave.’’ Le Pape nota immédiatement le bras gauche de Vyyn Drelan, tenu en place par une sorte d’écharpe. Il remarqua également que Jean de Chambriand était habillé à la mode franque, plutôt qu’à la mode décidément quasi scandaleuse des gens du futur, du moins en ce qui concernait la tenue de leurs femmes. ‘’Merci de votre accueil chaleureux, Docteur Shelton.

Je suppose que votre

assistante est une des personnes qui a malencontreusement été blessée à la porte de mon palais à Rome. Pour cette attaque inexcusable contre elle et son garde du corps, je ne peux que présenter mes plus humbles excuses. Le Cardinal Fraolo a agit à cette occasion de son propre chef et a grossièrement outrepassé son autorité, en plus d’agir sans m’en avertir. Je l’ai depuis chassé de Rome.’’ ‘’Dans ce cas, considérez cet incident comme clos, Votre Sainteté.’’

291 Nicolas 1er cacha son soulagement à ces mots et sourit aimablement à Vyyn Drelan. ‘’J’espère que vous ne souffrirez pas de séquelles suite à ce malheureux incident, Docteur Drelan.’’ Vyyn répondit sur un ton réservé, encore amère de son expérience, qui avait faillit lui coûter cher. ‘’Non, grâce à notre science médicale, qui a pu réparer le nerf coupé dans mon bras gauche. Sinon, j’aurais perdu l’usage de mon bras. Quand à mon compagnon, il a été sauvé de justesse comme il arrivait au bout de son sang.’’ Le Pape la regarda gravement, réalisant ce qui aurait pu suivre la mort possible du garde du corps.

Comprenant qu’un autre incident de ce genre lui apporterait

probablement des conséquences graves, Nicolas 1er s’inclina de nouveau. ‘’Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa! Pourrais-je visiter votre compagnon plus tard, pour lui présenter mes excuses personnelles?’’ ‘’Certainement, Votre Sainteté.’’ Ann Shelton prit alors la parole, désignant la structure centrale derrière elle. ‘’Si vous le voulez bien, Votre Sainteté, nous allons entrer à l’intérieur et vous mener à votre suite. Messire de Chambriand conduira de son côté les membres de votre escorte à leurs chambres.’’ ‘’Dans ce cas, montrez le chemin, Docteur Shelton.’’ La procession pontificale se scinda bientôt en deux, le Pape prenant place avec son copiste personnel, Ann Shelton et Vyyn Drelan dans un ascenseur, tandis que les gardes et moines prenaient place dans un élévateur cargo avec Jean de Chambriand et Jean Poissant. Sortants au niveau de la réception de l’hôtel de la tour, Ann collecta les clés pour le Pape et son copiste avant de les mener à une suite de luxe, qui laissa Nicolas 1er pantois comme il examinait les meubles rembourrés, les surfaces de bois poli et les garnitures en laiton. ‘’Doux Jésus, je n’espérais pas tant de luxe, Docteur Shelton! En comparaison, mon palais semblerait minable.’’ ‘’Vous trouverez probablement le standard du niveau de vie de ma civilisation très élevé, Votre Sainteté, et cela pour tous nos citoyens. Notre société est centrée sur le concept fondamental de satisfaire tous les besoins de base de ses citoyens via le partage des ressources et des revenus.’’ Le pape scruta gravement le visage d’Ann à ces mots.

292 ‘’Je suppose que vous réalisez pleinement à quel point ce concept diffère de l’ordre habituel des choses dans ce monde, Docteur Shelton?’’ ‘’Oh que oui, Votre Sainteté! C’est pourquoi nous avons agi pour stopper les abus scandaleux et les injustices faites à l’encontre du peuple de Francie par la collection de nobles corrompus et sans cœur qui gouvernait le pays auparavant.’’ ‘’Et…qui gouverne la Francie maintenant?’’ ‘’Les nobles qui ont prouvé leur compétence et leur responsabilité dans le passé gouvernent leurs fiefs respectifs, suivant des lignes de conduite générale décidées par nous.

Les fiefs des nobles qui ont été chassés pour abus ou incompétence sont

maintenant administrés par les divers clercs, contremaîtres et autres professionnels qui faisaient pour une pitance dans le passé le travail que ces nobles auraient dû accomplir. Ces professionnels sont en retour supervisés périodiquement par des gens de confiance qui se rapportent directement à moi.’’ La mâchoire de Nicolas 1er faillit se décrocher quand il comprit l’implication de ces mots. ‘’Vous…vous voulez dire que vous êtes le pouvoir ultime dans la Francie occidentale et la Francie orientale?’’ ‘’Vous pouvez ajouter à cela la Francie centrale, la Bretagne et la Provence, Votre Sainteté.’’

Répondit Ann d’une voix calme.

‘’En plus de fixer les lignes de

conduite pour l’administration de ces territoires, nous assurons la sécurité générale et la défense contre les invasions et les pillages, et ce grâce à nos navires et troupes de combat. Notre but ultime est d’établir la paix universelle dans le monde, ainsi que la justice et la décence. Ceci peut sembler un but très ambitieux mais nous croyons que nous pourrons y arriver. Plus important, nous croyons qu’il est dans notre obligation de faire notre maximum pour atteindre ce but.

Personnellement, la vue de toutes les

injustices et cruautés de ce monde me brise le cœur. Mon assistante, Vyyn Drelan, était venue vous voir pour obtenir votre aide pour atteindre ces buts.’’ ‘’Mon aide? Mais, vous êtes beaucoup plus puissante que je le suis, Docteur Shelton!’’ ‘’Oui, mais vous possédez une autorité morale et spirituelle importante dans ce monde, Votre Sainteté.

Vos décrets pourraient faire une différence cruciale pour

atteindre certains de nos buts.’’ ‘’Et de quels buts parlez vous exactement, Docteur?’’ ‘’L’abolition de l’esclavage ainsi que de l’usage judiciaire de la torture comme moyen d’obtenir des aveux.

Une proclamation de votre part qui déclarerait

293 publiquement que nous ne sommes ni des démons ni des sorciers aiderait également beaucoup notre cause. Une fois que vous serez installé dans votre suite, j’ai l’intention de vous donner le grand tour de notre enclave, pour vous convaincre de la pureté de nos intentions.’’ Nicolas 1er et Ann se regardèrent gravement en silence un moment. L’abolition de la torture était un projet de longue date de Nicolas 1er mais, jusqu’à maintenant, un décret pontifical sur ce sujet aurait resté lettre morte pour la plupart des nobles de la Chrétienté, faute de moyens pour forcer son application. Avec l’arrivée des gens du futur, il avait maintenant le moyen de faire respecter un tel décret. Le Pape hocha alors la tête et répliqua d’un ton doux. ‘’Dans ces choses, je peux déjà vous promettre mon plein appui, Docteur Shelton.’’

294

CHAPITRE 22 – RAFFUT À BAGDAD 09h25 (Heure de Bagdad) Jeudi, 16 février 862 Marché aux esclaves, Faubourg d’Al-Kahr Bagdad, Califat Abbasside Abbas Ibn Firnas contempla la foule dense d’acheteurs et de curieux remplissant le marché aux esclaves de Bagdad et jura à voix basse : les informations concernant la date d’arrivée de la caravane d’esclaves venant des pays slaves étaient visiblement erronées, puisque que la vente de ces infortunés était déjà en cours.

Il n’avait

maintenant pas le choix, lui et les commandos déguisés qui l’accompagnaient, d’agir au plus tôt, au lieu de simplement faire une reconnaissance des lieux. Heureusement, Vyyn lui avait confié une quantité considérable d’or et d’argent, portée présentement par le gigantesque Baya Makwando, qui jouait le rôle d’un esclave nubien lui appartenant. Abbas se tourna à moitié vers le Capitaine Lars Nierman, jouant le rôle d’un mercenaire et garde du corps viking, pour lui chuchoter en Nouvel Anglais. ‘’Nous allons devoir tenter d’acheter ces esclaves sur place, sinon ils seront dispersés aux quatre vents et presque impossibles à retrouver plus tard.’’ ‘’Je suis d’accord! Nous aurons toutefois plus de succès si nous séparerions notre groupe en deux. Moi et Makwando resteront avec vous, tandis que le Lieutenant Labnan prendra le Caporal Faysal et le Soldat Barangida avec lui.’’ Nierman ordonna alors à Makwando de donner discrètement à Labnan la moitié des bourses contenues dans sa besace. Comme les trois autres commandos s’éloignaient pour aller vers une des plates-formes de vente, Nierman et Makwando suivirent de près Abbas vers une autre plate-forme.

Nierman n’avait pas au début été très chaud à

prendre le vieux savant maure avec lui pour ses opérations anti-esclavagistes. Il s’était toutefois rapidement rendu compte que les connaissances intimes d’Ibn Firnas sur les mœurs musulmanes et les pratiques courantes à l’époque lui étaient indispensables. Abbas avait depuis également prouvé qu’il était un homme courageux au grand cœur et qui prenait une grande satisfaction à participer à la libération d’esclaves.

Nierman

comprenait maintenant mieux pourquoi une belle jeune femme comme Vyyn Drelan avait été attirée par cet homme grisonnant du 9ème Siècle.

295

Abbas et ses deux suiveurs arrivèrent près de la plate-forme de vente comme le vendeur se préparait à exposer un groupe de jeunes filles slaves et saxonnes, gardées nues et enchaînées. Abbas eut un serrement de cœur en voyant la tristesse et le désespoir évidents sur le visage des jeunes filles. La caravane qu’ils avaient compté intercepter était réputée contenir plusieurs dizaines de ces malheureuses, dont les familles avaient pour la plupart été massacrées par les pillards vikings il y avait plusieurs mois, avant d’être envoyées à marche forcée sur le long voyage vers Bagdad. Leur détresse fit Abbas penser à son jeune fils adoptif Omar, qui avait été délivré des Danois en octobre dernier. Se positionnant au deuxième rang des acheteurs éventuels debout aux pieds de la plate-forme, il scruta la foule, tentant de repérer ceux qui pourraient s’avérer ses adversaires les plus acharnés pour la vente aux enchères. Il ne prit pas de temps à remarquer un homme barbu richement vêtu et escorté par deux gardes du Calife. Abbas chuchota à Nierman tout en pointant l’homme discrètement. ‘’Je crois que cet homme est un envoyé du Calife, chargé de trouver de nouvelles filles pour le harem de son maître. Il est probablement chargé d’or et pourrait nous causer des problèmes si nous vidons l’inventaire de ce marchand.’’ ‘’Allez-y quand même à fond, Abbas.’’ Répondit Lars tout en examinant du coin de l’œil l’homme et ses gardes. ‘’Nous nous chargerons de lui s’il tente d’user de la manière forte.’’ Se tournant ensuite vers Baya Makwando comme pour lui parler, il activa discrètement son microphone radio, caché par le casque viking qu’il portait, et parla en Nouvel Anglais. ‘’Canonnière 28, ici Bagdad Un. La vente d’esclave se tient plus tôt que prévu et nous allons tenter d’acheter les esclaves que nous pourrons. Soyez prêts à réagir avec force dans un court délai.’’ ‘’Canonnière 28 bien compris!

Nous sommes à une minute de temps de

réaction.’’ ‘’Excellent!

Si je donne le mot d’ordre ‘Ouragan’, mettez alors le paquet!

Appelez également des renforts maintenant, en cas que la situation dégénère trop rapidement. Bagdad Un, terminé!’’ Lars se concentra ensuite sur la vente, qui venait de commencer.

296 La première heure de transaction s’avéra fructueuse pour Abbas, qui réussit à acheter à prix d’or 29 jeunes filles, trois jeunes femmes et douze garçons. Les autres acheteurs éventuels, frustrés par la bourse apparemment sans fond d’Abbas, commencèrent bientôt à se décourager et à quitter le marché, ce qui ne fit que faciliter les choses pour Abbas.

Quelques-uns, à la bourse particulièrement bien garnie,

durcirent leurs positions et concentrèrent leurs dinars sur les morceaux de choix. Un de ces acheteurs aisés, ayant juste perdu les enchères pour une jeune fille blonde que l’on amenait maintenant vers Abbas, apostropha ce dernier, de l’exaspération dans sa voix. ‘’HÉ, VIEILLE HOMME, TU NE POURRAIS PAS EN LAISSER QUELQUES UNES AUX AUTRES?

QU’AS-TU DONC BESOIN DE TANT DE FILLES ET DE

GARÇONS? TU RISQUE DE TOMBER RAIDE MORT AVANT D’AVOIR FINI AVEC LA PREMIÈRE!’’ Comme des rires éclataient autour de la foule, Abbas répliqua avec un malicieux sourire, appréciant pleinement ce moment. ‘’NE TE FIE PAS AUX APPARENCES! ET TOI, EST TU CAPABLE ENCORE DE VOIR TA VIRILITÉ, CACHÉE COMME ELLE EST PAR TA PANSE?’’ Les rires redoublèrent comme le gros homme regardait Abbas avec de grands yeux, incapable de trouver une réplique adéquate. Fier de lui-même, Abbas entra alors en compétition avec l’envoyé du Calife pour l’achat de la dernière esclave disponible sur la plate-forme, une jeune saxonne de onze ans au dos marqué par le fouet. Le marchand d’esclaves, ayant vu le reste de son stock vendu rapidement à des prix gonflés, ne crû pas sa chance devant ce duel entre Crésus. L’enchère pour la jeune fille blonde monta rapidement à 310 dinars, point où l’envoyé du Calife perdit finalement patience et vida sa bourse sur la table de change du marchand. ‘’Voici 350 dinars, marchand! Le Calife m’a ordonné de renouveler son harem mais ce vieil homme ainsi qu’un autre homme ont déjà tout raflé et il ne reste que cette jeune fille. Si le Calife apprend que tu l’as frustré, il fera probablement fermer ton commerce.’’ Ayant espéré une contre-offre substantielle d’Abbas, le marchand prit avec regret l’or de l’envoyé du Calife après s’être excusé auprès d’Abbas et enleva les chaînes entravant les pieds de la jeune saxonne. Comme l’envoyé allait emmener l’esclave, Lars prit une chance et parla en Bas Allemand à la fille. ‘’Quel est ton nom, jeune fille?’’

297 L’enfant sembla le comprendre seulement en partie et secoua la tête tout en répondant en Saxon, une langue que Lars avait assimilé dans les mois passés. ‘’Désolé, mais je ne parle pas votre langue.’’ ‘’Je parle Saxon, jeune fille.’’ Répondit rapidement Lars comme l’envoyé du Calife lui lançait un regard chargé de soupçons et se préparait à pousser la jeune fille. ‘’Mon nom est Lars Nierman. Et toi?’’ ‘’Ilse! Je viens du village de Ruthvern.’’ ‘’Silence, jeune fille!’’ S’exclama en Arabe l’envoyé du palais, faisant avancer de force la fille tandis que ses deux gardes s’interposaient. Lars cria quelques mots ultimes à la fille en Saxon. ‘’JE REVIENDRAIS POUR TOI, ILSE, JE TE LE PROMETS!’’ Maintenant confrontés par le gigantesque Baya Makwando, qui les dominait de deux têtes et avait sa main droite sur la poignée de son large cimeterre, en plus de faire face à Lars, lui-même un colosse protégé par une cotte de mailles, les deux gardes du Calife optèrent pour une prudente retraite. Comme ils s’éloignaient, Abbas toucha le bras de Lars et parla doucement en Nouvel Anglais. ‘’Vous avez commis une erreur en parlant avec cette fille, Capitaine. L’envoyé du Calife aura maintenant des soupçons à notre sujet.’’ ‘’Mais, je me devais de donner de l’espoir à cette pauvre fille.’’ Protesta Lars. Abbas le regarda dans les yeux avec compréhension. ‘’Je sais! Vous êtes un homme bon, mais vous oubliez que cette époque est cruelle et sans pitié. Cette fille risque maintenant d’être interrogée, peut-être même torturée, pour lui faire avouer ce que vous lui avez dit en Saxon.’’ Abbas vît un éclair de fureur apparaître dans les yeux de l’officier des commandos, un homme dans le début de la trentaine qui avait perdu sa famille dans le désastre d’Alpha du Centaure. ‘’Si ces salauds touchent à un cheveu de cette fille…’’ ‘’Capitaine, nous devons maintenant agir rapidement, car je m’attends à ce que le Calife réagisse immédiatement dès qu’il recevra le rapport de son envoyé. Nous avons avec nous des enfants et des jeunes femmes vulnérables que nous devons mettre en lieu sûr.’’ Lars ferma les yeux un moment, tentant d’effacer de son esprit l’image de la jeune saxonne qui ressemblait tant à sa fille, qu’il avait perdu dans la guerre contre les Morgs.

298 ‘’D’accord, Abbas. Vous avez raison. Rassemblons nos esclaves et partons de Bagdad.’’ À la limite du marché aux esclaves, le chambellan du Calife, traînant Ilse par le bras et encadré de ses deux gardes, attendit d’être hors de vue des étrangers et souffla dans l’oreille d’un des gardes. ‘’Ces étrangers sont probablement des espions. Va avertir au plus vite le Sahib Ash-Shurta11 de venir avec une troupe importante pour arrêter et interroger les géants. Reste ensuite avec lui pour l’aider à identifier les étrangers.’’ ‘’Oui, Excellence!’’

Répondit le garde avant de disparaître à la course.

Le

chambellan regarda ensuite sans sympathie la jeune fille blonde qu’il tenait. Depuis les premières apparitions des navires volants, les choses dans le califat avaient graduellement tourné au vinaigre. Plusieurs armées du Calife avaient été dispersées par les navires volants alors qu’elles se préparaient à affronter les Byzantins en Anatolie et dans la Méditerranée. De plus, le commerce des esclaves au travers du califat était sérieusement perturbé depuis deux mois par des séries de raids et de rafles par les soldats du futur. Les deux hommes qui escortaient le vieil Arabe ayant acheté tous ces esclaves ressemblaient furieusement aux soldats du futur, qui étaient en général des géants. Le chambellan ne connaissait toutefois pas la langue de la jeune esclave qu’il avait acheté et cette dernière ne semblait pas comprendre l’Arabe. Il ne pouvait donc pas lui demander ce que l’étranger blond lui avait dit. Résolu à régler ce mystère au plus vite, il reprit sa marche rapide vers le palais avec la fille et son garde restant. Lars, Abbas et leurs compagnons s’étaient rassemblés avec leur précieuse cargaison humaine dans un coin du marché pour distribuer des robes et des sandales aux ex-esclaves nus. Lars donna ensuite l’ordre de se mettre en route vers la porte sud de la ville. La troupe disparate avança lentement, la plupart des esclaves ayant les pieds meurtris par leur longue marche forcée jusqu’à Bagdad.

Certaines des filles

arrivaient à peine à tenir debout. Après quinze minutes d’avance à pas de tortue, la porte d’enceinte sud était encore à plus de 500 mètres du groupe. Des exclamations en Arabe firent se retourner Lars, qui assurait l’arrière-garde. Bousculant brutalement sur leur passage les piétons trop lents à s’écarter, une cinquantaine de gardes musulmans couraient vers eux, leurs épées à la main. Lars nota également avec inquiétude que 11

Sahib Ash-Shurta : Préfet de police de Bagdad sous le Califat.

299 plusieurs des gardes possédaient des arcs.

Son premier réflexe fut d’appeler des

renforts par radio à haute voix, alertant en même temps les commandos de sa troupe. ‘’BAGDAD UN À CANONNIÈRE 28 : OURAGAN! OURAGAN! NOUS SOMMES À 500 MÈTRES DE LA PORTE SUD ET DES GARDES NOUS COURENT APRÈS! JE DEMANDE UNE EXTRACTION D’URGENCE!’’ Il pressa ensuite les esclaves à accélérer le pas tout en sortant son pistolet neuronique de dessous sa cotte de mailles. ‘’BAYA, ABBAS, CONTINUEZ VERS LA PORTE LE PLUS VITE POSSIBLE AVEC LES ESCLAVES! COMMANDOS, FEU À VOLONTÉ!’’ Ses quatre hommes réagirent avec célérité, formant une ligne défensive entre les esclaves et les gardes tout en adoptant le meilleur couvert possible le long des boutiques bordant la rue.

La première salve de rayons neuroniques assomma les

gardes les plus proches, en plus de créer un début de panique dans la foule de passants et de marchands. Une volée de flèches dirigée contre Lars et ses commandos suivit, criblant les devantures qu’ils utilisaient comme couvert.

Une ombre énorme

passa soudain en coup de vent au dessus du boulevard, accompagnée d’une onde de choc supersonique. Dans la confusion qui suivit, Lars fît replier ses hommes vers la porte d’enceinte tout en continuant un tir nourri. La situation s’empira d’un coup quand une volée de flèches tirées vers le ciel s’abattit au milieu de la troupe d’esclaves, en blessant plusieurs. ‘’CANONNIÈRE 28, OÙ ÊTES VOUS? LA SITUATION DEVIENT CRITIQUE ICI ET J’AI DES BLESSÉS!’’ ‘’BAGDAD UN, ICI ZOMBIE UN : ÉCARTEZ-VOUS DE LA PORTE SUD!’’ Cinq secondes après cet avertissement, la porte sud ainsi que la tour d’enceinte qui la couronnait volèrent en éclats, une énorme masse d’acier enfonçant son chemin à pleine vitesse au travers des débris et de la poussière. Le char de 180 tonnes dépassa les commandos et leurs protégés avant de s’arrêter brutalement tout en tirant une salve avec son canon désintégrateur lourd vers les gardes terrorisés.

Les commandos,

portant dans leurs bras les esclaves blessés et poussant les autres devant eux, gravirent avec Abbas la rampe arrière du char, qui venait de s’abaisser. Une fois qu’il fut certain que toute sa troupe et leurs ex-esclaves étaient à l’intérieur, Lars ordonna la retraite.

Le char remonta sa rampe et pivota ensuite sur place sur ses chenilles,

balayant au passage la devanture de plusieurs boutiques, avant de repasser le mur d’enceinte, ou plutôt ce qui en restait. Deux cent mètres à l’extérieur de la ville les

300 attendaient la soute béante de la canonnière 28, ainsi qu’un autre char prêt à les couvrir. Une fois les deux chars de retour dans sa soute, la canonnière décolla en catastrophe et monta à la verticale sous les yeux apeurés des habitants de Bagdad. À l’intérieur de la canonnière, Lars se pressa pour examiner les ex-esclaves blessés et leur faire donner les premiers soins. Les flèches des gardes avaient causé deux blessés graves, plus cinq blessés non-critiques, mais pas de morts, par chance. Il trouva Abbas en train d’appliquer une compresse propre sur la plaie peu profonde mais saignant abondamment qu’un garçon avait sur le côté gauche de la tête. ‘’Comment va t-il, Abbas?’’ ‘’Il a eu peur mais il a été chanceux.’’ Répondit le vieux savant maure, pensif, avant de lever la tête et regarder Lars. ‘’Si vous tenez vraiment à aider cette jeune fille, Capitaine Nierman, faites le bientôt, avant qu’il ne soit trop tard pour elle. Pour le Calife et ses conseillers, elle ne représentera soit qu’une cause de problèmes à long terme, soit un moyen de monter un piège contre vous et vos hommes. Plus vite vous agirez, mieux cela sera pour elle.’’ Lars hocha la tête, impressionné encore une fois par le sens logique démontré par Abbas. ‘’Je suis pleinement d’accord avec vous, mais cette décision n’est pas mienne à prendre. Je vais toutefois appeler le Major Arntern à l’instant.’’ Lars se rendit ensuite sur la passerelle de la canonnière pour appeler son supérieur, qui répondit presque immédiatement. Après avoir décrit le déroulement de l’opération à Bagdad et ses résultats, il présenta sa requête pour monter une opération de secours immédiate. Arntern, qui le connaissait bien et était au courant de la perte de la famille de Lars sur Alpha du Centaure, resta silencieux un moment, jaugeant la situation. ‘’Je suis d’accord que cette fille est en danger imminent, Lars, mais nous n’avions pas prévu devoir agir directement contre le Calife de Bagdad pour au moins quelques mois encore.’’ ‘’Et qu’attendons nous donc, précisément, Major?’’ Demanda sur un ton agressif Lars. ‘’Que ce salaud aille faire piller d’autres villes pour satisfaire ses besoins en jeunes filles? Il a déjà passé outre deux fois à nos avertissements en envoyant des armées en Anatolie et en Crête. Nous parlons d’une enfant d’environ dix ou onze ans qui pourrait être torturée en ce moment même.’’

301 ‘’Calmez vous, Lars!’’ Répliqua Arntern, montant le ton. ‘’Je sais trop bien ce qu’elle risque.

Toutefois, si nous éliminons le Calife de Bagdad, le chaos pourrait

s’installer dans de vastes régions, à moins de trouver rapidement quelqu’un pour gouverner à sa place. Je sympathise avec vous et comprend votre anxiété mais je dois passer cette requête plus haut avant d’agir. En attendant, revenez à Toulouse au plus vite pour permettre de soigner rapidement vos blessés. Nous parlerons à votre retour.’’ Arntern coupa alors la communication, laissant un Lars frustré contempler un écran noir.

12h55 (Heure de Bagdad) Dar-Al-Hilafa (palais du Calife) Bagdad Mohamed Al-Muntasir contempla un moment en silence le Sahib Ash-Shurta, prosterné en bas des marches menant à son trône. ‘’Tu peux te remettre debout, Saleh. Donc, si j’ai bien compris, ces géants du futur voulaient à tout prix sauvegarder ces esclaves qu’ils venaient d’acheter sans regard aux dépenses?’’ ‘’Oui, Votre Altesse! Tout ceci semble n’avoir eu pour but que simplement libérer des esclaves. Cela correspond en tous points avec l’obsession apparente de ces gens du futur d’éliminer l’esclavage.’’ ‘’Mais pourquoi font-ils cela?’’

Explosa Al-Muntasir, frustré par l’illogisme

apparent des actions de ces gens du futur. ‘’Qu’espèrent-ils en tirer?’’ Saleh, un homme intelligent et éduqué qui avait étudié les philosophies orientales, pesa prudemment ses mots avant de répondre : un ordre du Calife serait suffisant pour lui faire trancher la tête. ‘’Votre Altesse, je crois que les motifs des gens du futur ont plus à voir avec la philosophie qu’avec toute soif de pouvoir ou de richesses. Tout ce qu’ils ont fait à date, et c’est déjà beaucoup, visait à aider le petit peuple, les défavorisés et les infortunés. D’un autre côté, ils ont démontré du dédain, voir même du dégoût envers les nobles qui détenaient auparavant le pouvoir en Francie. Les nobles francs encore en place suivent bon gré mal gré leurs directives, qui pourraient être qualifiées de révolutionnaires par plusieurs. Ces gens semblent pour moi être des idéalistes qui tentent de créer une sorte de société idéale sur Terre.

Ils s’attaquent à l’esclavage probablement parce que

l’existence même de cette institution les dégoûtent.’’

302 Al-Muntasir poussa un soupir de frustration. ‘’Des idéalistes! Et que suis-je supposé faire? Abandonner mon trône? Me prosterner devant ces gens? Je suis le chef des croyants et le protecteur de l’Islam! Que me conseilles tu, Saleh?’’ Le préfet de police se mit à suer à cette question et pensa furieusement aux solutions possibles. Les options qu’il pouvait voir seraient toutefois peu attirantes pour le Calife. Il se risqua tout de même, tendu comme un ressort et s’attendant à mourir dans les instants suivants. ‘’Votre Altesse, les gens du futur ont amplement prouvé qu’ils sont assez puissants pour déposer facilement n’importe quel souverain ou dirigeant de ce monde. Tous ceux qui ont osé s’opposer à eux ou qui leur ont déplus à date sont morts ou ont été exilés dans quelque fief insignifiant. Dans de telles circonstances, plier comme un roseau sous le vent serait probablement plus sage que rester inflexible et risquer de se briser comme une poutre de bois.

Cette jeune fille ne vaut pas votre trône, Votre

Altesse.’’ Le Calife fît une moue à ces mots. L’avis de Saleh était actuellement judicieux et il était tenté de le suivre. Un point continuait à l’irriter, toutefois. ‘’Et s’ils continuent d’exiger d’autres concessions, Saleh? Que devrais-je faire s’ils exigent la libération de tous les esclaves de mon royaume? Une telle libération en masse apporteraient le chaos populaire et la révolte de mes vassaux, qui possèdent tous nombre d’esclaves.’’ ‘’Je n’ai malheureusement pas la réponse à cela, Votre Altesse.

Je devrais

discuter avec un de ces géants du futur avant pour voir ce qu’ils veulent précisément.’’ ‘’Une ambassade.’’ Dit pensivement Al-Muntasir. ‘’J’aurais dû leur envoyer une ambassade après avoir pris le pouvoir ici. Malheureusement, Il est probablement trop tard maintenant pour cela.’’ ‘’Il n’est jamais trop tard pour discuter d’un problème, Votre Altesse, surtout si l’alternative est une bataille.’’ Le Calife et Saleh, ainsi que les gardes présents dans la salle d’audience, sursautèrent et tournèrent la tête en direction d’un des balcons de la salle, dont l’entrée était voilée par des rideaux en soie. Le sang monta à la tête du Calife à la vue des quatre géants en armure qui encadraient une jeune femme blonde aux yeux en amande et un homme grisonnant portant une robe arabe et un turban. immédiatement, signalant à ses gardes de ne pas bouger.

Al-Muntasir leva la main

303 ‘’Restez sur place et n’attaquez pas ces étrangers sans mon ordre express.’’ ‘’Merci d’être raisonnable, Votre Altesse.’’ Dit le vieil homme, qui devait être dans la cinquantaine.

‘’Je suis Abbas Ibn Firnas et mon amie est Vyyn Drelan,

Assistante administratrice de l’enclave de l’Expansion Humaine à Toulouse. Sachez en premier que nous ne sommes pas venus pour vous tuer…à moins bien sûr que vous donniez l’ordre à vos gardes de nous attaquer.’’ Al-Muntasir, un homme encore jeune et vigoureux, respira profondément et prît une décision que beaucoup auraient qualifié de téméraire. Faisant une autre geste de la main, il regarda ses gardes. ‘’Laissez moi seuls avec les étrangers. Saleh, reste!’’ Les gardes turcs hésitèrent un moment avant de quitter la salle d’un pas incertain. Vyyn Drelan hocha la tête avec approbation et s’approcha du trône avec Abbas, prenant position aux côtés de Saleh, qui n’en menait pas large. Vyyn lui sourit pour le détendre. ‘’J’ai entendu vos conseils au Calife, Saleh. Vous semblez être un homme sensé et logique.’’ ‘’Merci, belle dame.’’ Répondit Saleh tout en s’inclinant poliment, se sentant un peu mieux à ces mots. Vyyn regarda ensuite le Calife, rigide sur son trône. ‘’Je ne ferais pas de longs discours ou ferait perdre beaucoup de votre temps, Votre Altesse. Nous sommes ici pour trois choses essentiellement. La première est pour répéter une dernière fois notre avertissement passé de ne pas lancer d’armées en dehors de vos frontières actuelles. Vous et votre prédécesseur avez déjà passé outre deux fois à cet avertissement.

Dans les deux cas, nous nous sommes contentés

d’assommer vos soldats et de les désarmer avant de les retourner vers Bagdad. La prochaine fois, ils seront purement et simplement massacrés sur place. Si vous avez des disputes territoriales avec un autre souverain, envoyez nous une ambassade et nous nous ferons un plaisir de remplir le rôle de médiateur.’’ ‘’Je crois avoir compris la leçon, Dame Drelan. Et vos deux autres points?’’ ‘’Mon deuxième point est l’élimination pure et simple de l’esclavage, partout dans votre royaume. Nous réalisons que beaucoup de propriétaires seront furieux de perdre ainsi des sommes importantes, mais leur alternative s’ils décident de persister à garder des esclaves sera la libération par la force des dits esclaves ou, si un propriétaire se venge en tuant ses esclaves, la mort! Nous ne nous attendons pas à ce que ceci soit réalisé demain, Votre Altesse. Ceci peut être exécuté par étapes successives. La première étape et la plus facile serait de déclarer le commerce et la vente d’esclaves

304 illégaux, comme ils le sont maintenant en Europe. Je crois de toute façon que la plupart des commerçants d’esclaves seront d’accord pour dire que les affaires deviennent de plus en plus, euh, brûlantes pour eux dernièrement.’’ Saleh ne pût se retenir de faire une grimace à ces mots. Plus d’un gros marchand d’esclave de Bagdad avait fait faillite dernièrement après avoir perdu caravane après caravane ou même des navires pleins aux mains des gens du futur. Cette magnifique jeune femme passerait définitivement un très mauvais quart d’heure si elle tombait jamais dans les mains d’un de ces marchands maintenant ruinés.

Vyyn continuait

toutefois, gardant un ton calme mais ferme. ‘’Un bénéfice à moyen terme de la libération de vos esclaves, Votre Altesse, sera possiblement une baisse du chômage chez vos citoyens et une meilleure productivité générale. Comme l’a démontré l’histoire de l’Empire romain, une économie basée sur l’emploi massif d’esclaves ne peut que mener à long terme à son écroulement, spécialement dans le domaine de l’agriculture. Pour ce qui est de collectionner des esclaves pour but de gagner du prestige, un homme mort ne jouit pas de grand prestige, Votre Altesse.’’ Al-Muntasir ravala sa salive, comprenant trop bien qui cette dernière remarque visait. ‘’Et les esclaves libérés, qu’en ferais-je ensuite?’’ ‘’Nous nous chargerons de les rapatrier chez eux, Votre Altesse. Dans le cas ou leur ancienne patrie aurait été réduite en ruines, nous les aiderons à rebâtir leurs maisons et cultiver de nouveau leurs champs.’’ ‘’Et…votre troisième point, Dame Drelan?’’ ‘’Il concerne en partie mon deuxième point, Votre Altesse. Je crois que vous possédez un harem qu’on dit bien fourni. Étant moi-même une femme, je ne vois pas beaucoup de jeunes femmes ou de filles pouvoir vouloir volontairement entrer dans un harem et y rester. Un vieux dicton dit qu’il faut prêcher par l’exemple. J’aimerais donc vous accompagner jusqu’à votre harem, où vous pourrez annoncer à vos concubines qu’elles sont maintenant libres de partir avec moi si elles le veulent, pour pouvoir commencer une nouvelle vie décente de leur choix. J’en profiterais en même temps pour aller y chercher une jeune saxonne nommée Ilse, que votre chambellan a acheté ce matin.’’ Tandis qu’Al-Muntasir rougissait de colère à cette suite d’affronts, Saleh fit des efforts héroïques pour ne pas pouffer de rire, amusé par le ton et le choix de mots de Vyyn. Le Calife se dégonfla toutefois rapidement, comprenant qu’il n’avait pas le choix de suivre à

305 la lettre les directives et ‘suggestions’ de Vyyn Drelan. La mort dans l’âme, il se leva lentement de son trône et descendit les quatre marches, pour s’arrêter finalement face à Vyyn, qui le dominait d’une demi-tête. Le regard qu’il lui décocha était loin d’être amical. ‘’Soit, Dame Drelan. Suivez-moi! Toutefois, aucun homme à part moi ou un de mes eunuques ne peut entrer dans le harem. Étant une femme, vous ne violerez pas cette règle mais vous ne pourrez pas y emmener vos compagnons.’’ ‘’C’est de bonne guerre, Votre Altesse. Sachez toutefois que mes paroles sont écoutées à distance et que la moindre traîtrise de votre part causera l’invasion immédiate de votre palais. Si vous allez voir au balcon avant de m’emmener vers le harem, vous verrez que nous sommes venus en force à Bagdad.’’ Suivi de Saleh, Al-Muntasir se rendit d’un pas hésitant au balcon et regarda vers le ciel. Sa mâchoire s’ouvrit grand à la vue des trois immenses navires volants flottant au dessus de la ville, leurs canons braqués sur son palais. Des dizaines de navires plus petits et de formes diverses flottaient également au dessus de Bagdad. Des gouttes de sueurs froides sur son front, il retourna aux côtés de Vyyn et lui indiqua une porte visible derrière son trône. ‘’Si vous voulez bien me suivre, Dame Drelan.’’ Montrant le chemin, le Calife monta les marches menant à son trône et passa le rideau couvrant la porte. Il fît involontairement un saut en arrière quand il se retrouva face à deux machines d’acier stationnées le long du couloir menant au harem. Vyyn le rassura toute fois immédiatement. ‘’N’ayez pas peur, Votre Altesse. Ces machines sont des robots de combat, dotées d’une intelligence rudimentaire. Ils font d’excellents gardes du corps et troupes de choc.

N’étant pas vivants, ils ne briseront pas les règles de votre harem en

m’escortant pendant ma visite.’’ Vyyn mit alors une main sur l’épaule d’Al-Muntasir pour le rassurer. ‘’Votre Altesse, je n’ai personnellement rien contre vous, je vous assure. Vous n’êtes pas pire que la moyenne des nobles que j’ai rencontrés à date et n’avez connu que ce style de vie. D’un autre côté, vous avez fait cesser les persécutions contre les Chiites, les Juifs et les Chrétiens que votre père, Al-Mutawakkil, avait initiées. Vous avez donc prouvé avoir du potentiel pour être un bon calife. Pour ce qui est de votre harem, je sais qu’il n’est pas peuplé seulement d’esclaves, loin de là. Beaucoup sont des filles de vos vassaux, qui les envoient à votre harem en marque de soumission. Ces filles seraient probablement rejetées par leurs familles si je les extirpaient de force

306 de votre harem, ou même tuées. Je ne veux pas cela. Je me contenterais d’offrir la liberté à celles qui ont été emmenées de force et vendues en tant qu’esclave. Je sais que votre propre mère est une esclave grecque nommée Habchiyya. Est-elle encore en vie?’’ ‘’Oui!’’ Répondit Al-Muntasir, ne sachant plus quoi penser. Il semblait que Saleh avait été correct sur le fait que les gens du futur étaient des idéalistes. Vyyn n’avait pas fini, toutefois, le regardant droit dans les yeux. ‘’Votre Altesse, je peux vous donner maintenant une promesse solennelle venant de mes supérieurs.

Nous ne persécuterons pas l’Islam, tout comme nous ne

persécutons aucune religion qui ne prêche pas la haine ou la violence. Nous sommes des athées mais nous croyons en la liberté d’expression. Faites de même, prenez soin de votre peuple, évitez les abus et vous ne serez pas inquiété. Nous pourrions même ouvrir une ambassade ici, à Bagdad, une fois que cet incident se sera calmé.’’ Se sentant mieux maintenant, Al-Muntasir s’inclina. ‘’Vos gens sont décidément raisonnables, Dame Drelan. Je ferais de mon mieux pour mériter mon trône aux yeux de mon peuple. Suivez moi, le harem n’est pas loin.’’ Même en tant qu’historienne bien informée, Vyyn fut impressionnée par la taille et le luxe du harem du Calife. Vivants dans des alvéoles ou des chambres dispersées le long des salles à colonnades de l’annexe abritant le harem, plus de 300 femmes et filles occupaient le harem, gardé par des dizaines d’eunuques noirs. Vyyn laissa le Calife faire rassembler par ses eunuques toutes les occupantes du harem autour d’une fontaine dans les jardins de l’annexe.

Fixée avec anxiété par les femmes et filles

assises autour d’elle, Vyyn prît alors la parole, un sourire bienveillant sur son visage. ‘’Bonjour à toutes et que la paix soit avec vous! Mon nom est Vyyn Drelan et je suis l’Assistante administratrice de l’enclave de l’Expansion Humaine à Toulouse. Comme vous avez pu le voir par nos navires au dessus de Bagdad, nous sommes venus ici en force. Toutefois, notre intention n’est pas de raser Bagdad, ou même ce palais. Nous sommes simplement venus mettre fin à l’esclavage et libérer les esclaves pour les retourner chez eux, comme nous l’avons fait récemment en Europe chrétienne. Nous aideront ces ex-esclaves à rebâtir leurs vies et, si besoin est, leur trouver des familles qui les accueillerons avec chaleur et bonté. Je vais maintenant demander à celles d’entre vous qui ont été forcées à joindre ce harem en tant qu’esclave et qui veulent partir de se mettre debout.’’

307 Vyyn répéta ensuite une version abrégée de son message dans les autres langues anciennes qu’elle connaissait. Elle fut récompensée quand plus de soixante pour cent des femmes et filles se mirent debout une après l’autre. Regardant autour d’elle, elle appela ensuite un nom en Saxon, espérant que celle qu’elle cherchait était ici. ‘’Ilse, du village de Ruthvern en Saxe, viens à moi!’’ À son soulagement, une petite fille blonde portant un ensemble vaporeux digne des Mille et Une Nuits s’avança timidement au travers de la foule. S’accroupissant, Vyyn l’embrassa avant de partager une accolade avec Ilse, qui pleurait de soulagement. Ayant elle-même des larmes aux yeux, Vyyn se redressa ensuite et prît la main de la jeune fille avant de s’adresser aux autres qui s’étaient mis debout. ‘’Allez ramasser les vêtements et autres choses qui vous appartiennent et revenez ici. Je vais vous attendre ici.’’ Le Calife l’aida alors en levant les mains et en s’adressant à ses concubines et esclaves. ‘’Obéissez lui, mes anges. Mon cœur saignera à votre départ mais vous êtes libres de partir.’’ Maintenant rassurées que ceci n’était pas une sorte de piège, les femmes et filles se dispersèrent au travers du harem, pour revenir quelques minutes plus tard, portant chacune un ballot formé d’un drap noué aux quatre coins. Une fois la foule reformée, Vyyn les guida hors du harem en une longue file, tenant la main d’Ilse et avec un robot fermant la marche. La procession émergea bientôt dans une large cour du palais où une navette de passagers attendait, avec d’autres navettes flottant en position d’attente autour de la cour.

Abbas Ibn Firnas et Lars Nierman, ainsi qu’une vingtaine de

commandos en armure attendaient près de la rampe arrière de la navette. Lars se précipita vers Ilse à sa vue, pour s’accroupir devant elle tout en relevant la visière blindée de son casque. Il offrit sa main à la jeune fille tout en lui souriant, des larmes aux yeux. ‘’Je suis revenu pour toi, Ilse, comme promis. Viens, je vais te conduire à ton siège.’’ ‘’Et que m’arriveras t-il ensuite?’’ Demanda timidement Ilse. ‘’Ce que tu voudras, Ilse. As tu encore de la famille en Saxonie?’’ L’enfant secoua la tête en réponse. ‘’Non! Mon village au complet a été massacré par les Vikings. Je n’aie plus personne.’’

308 ‘’Dans ce cas, veux tu venir avec moi et devenir ma fille?’’ ‘’Oui!’’ Répondit l’enfant sans hésitation avant de se coller à Lars. Ce dernier la souleva délicatement dans ses bras et regarda Vyyn, les yeux encore humides. ‘’Merci pour ton aide dans tout ceci, Vyyn. Tu es une fille épatante.’’ Vyyn le regarda s’éloigner avec Ilse vers la navette et prît tendrement la main d’Abbas. ‘’Ce sont des jours comme aujourd’hui qui font que la vie en vaut la peine, mon doux Abbas.’’ ‘’Allah doit effectivement sourire à la vue d’un tel bienfait, mon ange.’’ Répondit le vieux penseur avant de l’embrasser tendrement.

16h21 (Heure de Toulouse) Appartement 17, niveau 139 Tour Toulousaine Enclave de l’Expansion Humaine Toulouse Encore intimidée par toutes les choses fantastiques qu’elle avait vues dans les dernières heures, Ilse entra lentement dans l’appartement de Lars. Elle regarda autour de l’unité pour célibataire comme Lars fermait la porte derrière eux. L’appartement, bien que confortable et de bonnes dimensions, ne comportait qu’un coin de rangement, une salle de bain, un coin repas et un grand espace ouvert servant à la fois de salon, chambre à coucher et bureau. ‘’Et alors, Ilse, comment trouves tu mon chez-moi?’’ Demanda Lars tout en caressant gentiment sa tête. Ilse leva la tête, un sourire gêné aux lèvres. ‘’C’est plus petit que je m’y attendais, Lars.’’ ‘’C’est parce que je n’avais pas besoin de plus, jusqu’à présent. Demain, je verrais si je ne peux pas obtenir à la place un appartement avec une chambre privée pour toi.’’ Ilse, qui arrivait à peine plus haut que la ceinture du commando, se tourna pour se coller le long de ses jambes tout en le fixant dans les yeux. ‘’Lars, quand tu as dit que tu voulais être mon nouveau père, tu disais vrai? Tu ne veux pas que je sois plus pour toi?’’ Perturbé par ce que cette époque avait fait à une si jeune fille, Lars s’accroupit devant elle et prît gentiment sa tête entre ses mains.

309 ‘’Ilse, je ne suis pas comme les mauvais hommes qui t’ont pris et vendue, ou comme le Calife, qui est habitué de coucher avec des jeunes filles. Dans notre société, un homme de mon âge qui coucherait avec une jeune fille comme toi serait justement accusé de l’abuser. Je t’aie pris pour que tu puisses finalement connaître les vraies joies de l’enfance, grandir dans la paix et la sécurité, te faire de nouveaux amis et t’éduquer avant de devenir une adulte. Viens, je vais te montrer quelque chose.’’ Se redressant et allant à son bureau de travail, situé près des grandes vitres panoramiques donnant une vue du reste de l’enclave et de la chaîne des Pyrénées au loin, Lars montra un petit cadre double articulé contenant les photos d’une belle femme et d’une jeune fille, toutes deux blondes, comme Lars. ‘’Ma femme, Frida, et ma fille, Agneta. Je les aie perdues il y a cinq mois, quand les Morgs ont envahi Alpha du Centaure. Agneta avait ton âge quand je l’aie perdue.’’ Ilse examina les deux photos en silence, voyant qu’Agneta lui ressemblait actuellement beaucoup. ‘’Elles étaient toutes deux très belles. Tu as dû les pleurer longtemps.’’ ‘’Je les pleure encore et je ne les oublierais jamais, Ilse.’’ Dit tristement Lars, poussant Ilse à se coller de nouveau à lui. ‘’Je suis désolé pour toi. Perdre ma propre famille a été très dur pour moi aussi.’’ ‘’Je n’en doute pas, Ilse. La vie peut souvent être très cruelle.’’ Ilse se décolla de lui et alla aux vitres panoramiques pour admirer la vue qu’ils avaient du haut de la tour. Lars l’y rejoignit, pour s’asseoir ensuite sur le tapis à côté d’elle. ‘’Lars, qu’est-ce que je vais faire maintenant?’’ ‘’Demain, je t’inscrirais à l’école de la tour, pour que tu puisses t’éduquer correctement et aussi rencontrer de nouveaux amis.

Peut-être rencontreras tu un

garçon gentil qui te plairas à l’école.’’ ‘’Et toi, que feras tu, Lars?’’ ‘’J’ai obtenu deux semaines de vacance, que j’utiliserais pour apprendre à mieux te connaître et t’aider à t’adapter à ta nouvelle vie.

Ensuite, je reprendrais le

commandement de mon unité et aiderais à libérer plus d’infortunés comme toi.’’ ‘’Et…tu penses faire cela pour plusieurs années encore, Lars?’’ Demanda Ilse, de l’inquiétude dans sa voix comme elle le regardait. Lars passa alors un bras autour d’elle pour la réconforter. ‘’Tant qu’il y aura des opprimés sur cette terre, Ilse.’’

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