nutRItIon Et PRotECtIon SoCIALE - OECD.org

13 déc. 2016 - (ébauche de 2016). Sénégal. Stratégie nationale de protection sociale 2013-17. Sierra Leone. Stratégie nationale de protection sociale (2015).
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déC 2016

32e RÉUNION ANNUELLE

nutRItIon Et PRotECtIon SoCIALE

www.food-security.net

NOTE DE CADRAGE, SESSION THÉMATIQUE ABUJA (NIGÉRIA), 13 DÉCEMBRE 2016 © CSAO/OCDE

Cette note de cadrage en appui à l’animation de la session thématique « Nutrition et protection sociale », dresse un bref aperçu de la situation nutritionnelle, de ses enjeux et des liens entre protection sociale, nutrition et résilience. En préparation du débat, la note pose quelques questions autour des préoccupations suivantes : 1.

La protection sociale : une composante essentielle du renforcement de la résilience et de la nutrition

2.

Les expériences ouestafricaines en matière de protection sociale pour la nutrition et la résilience

3.

Le financement durable de la protection sociale et de la nutrition

Elle a été élaborée avec l’appui des équipes du Service conseil en nutrition de la Commission europénne (EC-NAS, Claire Chastre et Hélène Berton) et le Service conseil en transferts sociaux (ASiST, Cécile Cherrier).

Un tiers des enfants de moins de cinq ans au Sahel et en Afrique de l’Ouest, soit environ 20 millions de jeunes enfants, est affecté par la malnutrition chronique et ne se développe pas selon son plein potentiel physique et cognitif. Cette fragilisation du capital humain s’accompagne d’importantes pertes économiques, freine le développement et compromet la résilience des populations. Comment mettre en place des mesures d’interventions efficaces pour améliorer la nutrition et la résilience des populations ? Comment les mettre en œuvre à grande échelle et comment les financer de manière durable ? la région fait face à de grandes mutations économiques et sociales en raison notamment de la forte croissance démographique. la population a été multipliée par cinq au cours des 65 dernières années et devrait atteindre 830 millions en 2050. la croissance démographique est également un facteur clé de l'urbanisation ; les urbains représentant désormais près de 50 % de la population de la région. Ces dynamiques ont un impact important sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Ces tendances peuvent être sources de croissance, de diversification économique et de développement pour la région, mais présentent également de nouveaux défis, notamment en termes d’alimentation, d’éducation, de santé et de protection sociale. au cours de la dernière décennie, la succession de crises alimentaires a affaibli la capacité de résilience des populations et contribué à fragiliser le tissu social : des éléments déstabilisants pour la région. aussi est-il essentiel de redonner de l’espoir aux jeunes et de construire un projet de société plus équitable, misant sur le développement humain.

UEMOA

les crises alimentaires et nutritionnelles sont générées par des facteurs conjoncturels (climatiques, économiques, et liés aux conflits) mais également par des facteurs structurels qui font glisser la partie la plus pauvre de la population dans une « crise permanente ». la grande pauvreté d’une partie des populations les expose à une forte vulnérabilité alimentaire et nutritionnelle. S’attaquer à la malnutrition et construire la résilience demandent une réponse holistique et un engagement sur le long terme. les pays de la région l’ont bien compris, notamment en scellant, en décembre 2012, l’alliance globale pour la résilience (aGir) et en démontrant une volonté de sortir du cercle vicieux des crises en adoptant une approche plus préventive et d’anticipation. la protection sociale et la nutrition sont les deux premiers piliers de l’alliance. en effet, la protection sociale apparaît de plus en plus comme un outil indispensable contribuant à réduire le nombre de barrières économiques à une alimentation appropriée et à l’accès aux services de base.

La nutrition : un défi majeur pour le Sahel et l'Afrique de l'Ouest A. Étendue du problème et tendances Le Sahel et l’Afrique de l’Ouest sont particulièrement touchés par les malnutritions et leurs effets dévastateurs. La région doit non seulement faire face aux sous-nutritions mais aussi à l’accroissement rapide des problèmes de surpoids/obésités et maladies liées. Parmi les sous-nutritions, le retard de croissance touchait entre 19 et 21 millions d’enfants de moins de cinq ans en 2015 dans la région, selon les estimations1. Ce nombre est en augmentation et pourrait dépasser 22 millions d’enfants d’ici à 2025. Si la tendance actuelle se maintient, la région n’atteindra pas la cible de l’Assemblée mondiale de la santé, à savoir une réduction de 40 % du nombre d’enfants présentant un retard de croissance d’ici 2025 (Encadré 2). Parmi les 17 pays que comptent le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, quatre pays (Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) enregistrent des prévalences de malnutrition aiguë globale supérieures à 10 %, c'est-à-dire supérieures aux seuils d'alerte ; c’est notamment le cas du Tchad. La cible 6 de l’Assemblée mondiale de la santé est de « Réduire et maintenir au-dessous de 5 % l’émaciation chez l’enfant ». Trois pays disposant d’enquêtes récentes (Ghana, Libéria et Sierra Leone) étaient en-dessous de ce seuil. 1 Rapport mondial sur la nutrition 2016 et outils de calculs pour la réduction des enfants en retard de croissance, DEVCO/UE.

Carte 1 Enfants de moins de cinq ans souffrant de retard de croissance 2000-06

Mauritanie 35 %

Mali 38 %

Sénégal 16 % Gambie Burkina Faso 22 % 35 % GuinéeGuinée Bénin Bissau 35 % 38 % 41 % Sierra Leone Côte Togo Ghana 24 % d’Ivoire 40 % 22 % Libéria 34 % 39 %

Niger 50 %

Tchad 41 %

Nigéria 38 %

2015

Mauritanie 22 %

Mali 38.5 %

Sénégal 19.4 % Gambie 24.5 % Burkina Faso 32.9 % GuinéeGuinée Bénin Bissau 31.3 % 34 % 27.6 % Sierra Leone Côte Togo Ghana d’Ivoire 27.5 % 37.9 % Libéria 29.6 % 18.8 % 32.1%

Niger 43 %

Tchad 38.7 %

Nigéria 32.9 %

< 20 % 20 < 30 % 30 < 40 %

Encadré 1

Formes de malnutrition •





Le retard de croissance ou malnutrition chronique chez l’enfant de moins de 5 ans se caractérise par une faible taille par rapport à l’âge. Le retard de croissance est la résultante de carences chroniques et de conditions qui ne permettent pas une croissance physique et un développement mental optimaux ; le retard de croissance peut commencer dès le stade fœtal et perdurer jusqu’à l’âge adulte. Chez une femme enceinte ayant été confrontée à ce phénomène, le risque pour son bébé est plus élevé. Il est donc essentiel d’intervenir pendant la grossesse et avant les deux ans de l’enfant (période dite des « 1 000 jours ») pour assurer un développement optimal de l’enfant et mettre fin à la perpétuation de la sous-nutrition d’une génération à l’autre. L’émaciation chez l’enfant de moins de 5 ans (faible poids par rapport à la taille) ainsi que les cas d’œdèmes bilatéraux (kwashiorkor) constituent ensemble la malnutrition aiguë. Celle-ci provient d’une perte de poids rapide ou une incapacité à prendre du poids. Elle est associée à un risque accru de mortalité à court terme. L’anémie, maladie du sang, due notamment à une carence en fer chez la femme en âge de procréer et l’enfant. L'anémie sévère entraîne un risque élevé de mortalité maternelle et infantile.

≥ 40 % Source : UNICEF, OMS (2013) ; UNICEF, OMS, Banque mondiale  (2016) ; Rapport mondial de la nutrition 2016

Graphique 1 Proportion de la population sous-alimentée 2008–10 2000–02 1990–92

Mali Nigéria Ghana Mauritanie Afrique de l’Ouest

11 % = moyenne pondérée de l’Afrique de l’Ouest

hors Cabo Verde

Niger Gambie Bénin Côte d’Ivoire Sénégal Guinée Togo Burkina Faso Guinée-Bissau Sierra Leone Libéria Tchad 10

20

Sources : FAO (2015) ; OCDE/CSAO (2015)

30

40

50

60

en %

B. Conséquences et coûts des sous-nutritions

Encadré 2 Engagements internationaux

Second objectif de développement durable (oDD2) « Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable »

les sous-nutritions ont des conséquences dévastatrices multiples, de grande ampleur, à court et long terme. elles sont impliquées dans 45 % des décès d’enfants de moins de cinq ans et 35 % de leurs maladies. 20 % de la mortalité maternelle est liée à l’anémie par carence en fer. l’anémie atteint des niveaux record dans la région (Graphique 2). Selon le rapport mondial sur la nutrition 2016, parmi les 17 pays de la région, 15 font partie des 25 pays avec les plus fortes prévalences dans le monde. Graphique 2 anémie de la femme en âge de procréer Progrès insuffisants ou absence de progrès

Pour améliorer la nutrition chez la mère, le nourrisson le jeune enfant Pouretaméliorer la nutrition chez la mère,

le nourrisson et le jeune enfant

1

1

2

3

4

RÉDUIRE DE 50% L’ANÉMIE CHEZ LES FEMMES EN ÂGE DE PROCRÉER

RÉDUIRE DE 30% L’INSUFFISANCE PONDÉRALE À LA NAISSANCE

PAS D’AUGMENTATION DU POURCENTAGE D’ENFANTS EN SURPOIDS

PORTER LES TAUX D’ALLAITEMENT EXCLUSIF AU SEIN AU COURS DES SIX PREMIERS MOIS DE LA VIE À AU MOINS 50%

5

5 6

PORTER LES TAUX D’ALLAITEMENT EXCLUSIF AU SEIN AU COURS DES SIX PREMIERS MOIS DE LA VIE RÉDUIRE ET MAINTENIR À AU MOINS 50% AU-DESSOUS DE 5% L’ÉMACIATION CHEZ L’ENFANT

6

RÉDUIRE ET MAINTENIR AU-DESSOUS DE 5% L’ÉMACIATION CHEZ L’ENFANT

Tableau 1 Estimations du Pib additionnel total associé à une accélération des investissements pour l’atteinte de la cible 1, 2035-60 en millions de dollars US

Bénin

1 571

Mali

2 814 5 553

Nigéria

29 274

Sénégal

1 723

Tchad

3 718

Togo

49

49

49

50

50

53

56

56

39

40

20

CINQ ANS PRÉSENTANT UN RETARD DE CROISSANCE

PAS D’AUGMENTATION DU POURCENTAGE D’ENFANTS EN SURPOIDS

4

Niger

45

48

l r ia e e e e e e a a o o u li n d ni s a on bi ige ha iné gér oir éri Fas éni og Ma an éga rd T Ve r i t a - B i s L e B Tc Gu Ni am N Gh Sén ’ Iv Lib na o G d a u i e r b te rk Ma iné ie r Ca S Cô Bu Gu

Source : estimations (2011), adapté de la présentation de prével, Gnr 2015

RÉDUIRE DE 30% L’INSUFFISANCE PONDÉRALE À LA NAISSANCE

3

Pays

45

47

RÉDUIRE DE 40% LE NOMBRE D'ENFANTS DE MOINS DE CINQ ANS PRÉSENTANT RÉDUIRE DEUN40% LE NOMBRE RETARD DE D'ENFANTS CROISSANCEDE MOINS DE

RÉDUIRE DE 50% L’ANÉMIE CHEZ LES FEMMES EN ÂGE DE PROCRÉER

2

45 38

47

% 58 60

842

Source : hoddinott, j (2016) : « l’économie de la réduction de la malnutrition en afrique subsaharienne », panel mondial sur l’agriculture et les systèmes alimentaires pour la nutrition.

Le retard de croissance compromet le développement physique et cognitif des enfants, et ce, de manière largement irréversible après l’âge de deux ans. par conséquent, il diminue les capacités des individus et contribue à maintenir dans la pauvreté des sociétés entières. menées sous le leadership de l’union africaine (ua), de la Commission économique pour l’afrique (Cea) et du programme alimentaire mondial (pam), des études sur le coût de la faim au Burkina faso, au Ghana et au tchad ont montré qu’en 2012, le coût associé à la malnutrition infantile, était équivalent respectivement à 6.4 %, 7.7 % et 9.6 % du piB, soit un montant total d’environ 3.9 milliards d’euros pour ces trois pays. une bonne nutrition contribue au développement économique et permet de générer des ressources supplémentaires (tableau 1). Selon le professeur hoddinott, « les interventions qui préviennent la malnutrition sont d’excellents investissements. Pour un pays africain typique, chaque dollar investi dans la réduction de la sous-nutrition chronique de l’enfant génère 16 dollars uS en retour ».

0

1

La ProtEction sociaLE : une CompoSante eSSentielle . du renforCement de la réSilienCe et de la nutrition Encadré 3

parmi les mesures de protection sociale, les transferts sociaux non contributifs (filets sociaux) ont montré de bons résultats sur la résilience des ménages et la nutrition. Ceux-ci peuvent agir sur les trois niveaux de cause présentés dans le cadre conceptuel des malnutritions (Graphique 3). au niveau des causes fondamentales et sous-jacentes, les transferts sociaux (non contributifs en faveur des plus vulnérables) peuvent pallier au manque de ressources et contribuer à réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaire et augmenter le pouvoir d’achat. Ceci peut se traduire par un meilleur accès aux services de santé, une plus grande capacité à prendre soin des jeunes enfants et une amélioration du régime alimentaire des individus, et finalement un meilleur état nutritionnel. au niveau des causes immédiates, les transferts sociaux peuvent agir plus directement sur l’alimentation des individus, à travers, par exemple, la fourniture de suppléments alimentaires adaptés. parmi les transferts sociaux, certains ont plus de potentiel pour réduire les sous-nutritions. les ventes d’aliments subventionnés qui visent à améliorer l’accès des ménages à la nourriture (en augmentant leur pouvoir d’achat) montrent souvent peu de résultats en termes d’alimentation et de nutrition. en effet, elles bénéficient rarement aux ménages les plus pauvres. en outre, dans une étude menée en afrique de l’ouest, elles présentaient un rapport coût-efficacité inférieur aux transferts monétaires ciblés. les transferts monétaires présentent fréquemment un meilleur rapport coût-efficacité que les distributions de vivres classiques et sont souvent plus efficaces1. de manière générale, ils ont montré de meilleurs résultats lorsqu’ils incluent ou sont couplés à des mesures spécifiques en faveur de la nutrition comme, par exemple, les suppléments alimentaires, la communication pour le changement des comportements, ou l’obligation de visite dans des structures sanitaires performantes 2. dans le cas de transferts sociaux à visée nutritionnelle, l’éligibilité doit refléter les populations ou zones les plus touchées et les 1 alderman, h. (2015), Leveraging social protection programs for improved nutrition, Summary of evidence prepared for the global forum on nutritionsensitive social protection programmes, Banque mondiale ; jayasinghe, d & al. (2012), A chance to grow – How social protection can tackle child malnutrition and promote economic opportunities, Save the Children uK ; Gentilini, u. (2016), The Revival of the ‘Cash Versus Food’ Debate: New Evidence for an Old Quandary?, Banque mondiale. 2 alderman, h. (2015), idem ; jayasinghe, d., idem ; Bailey, S. & K. hedlund (2012), The impact of cash transfers on nutrition in emergency and transitional contexts - A review of evidence, odi et premand, p. & al (2016), Transferts monétaires, valeur ajoutée de mesures d’accompagnement comportemental et développement de la petite enfance. rapport descriptif de l’évaluation d’impact à court terme du projet filets sociaux au niger, Banque mondiale.

Protection sociale la protection sociale est « un ensemble de transferts et de services non contributifs (appui aux plus vulnérables) ainsi que d’autres assistances sociales contributives (pensions/ retraites, assurance chômage, etc.). elle vise la promotion des moyens d’existence, la prévention des risques, la protection des plus vulnérables ainsi que la transformation structurelle des facteurs vulnérabilité. » Agence régionale pour l'agriculture et l'alimentation (ARAA/CEDEAO) Graphique 3 cadre conceptuel des malnutritions MALNUTRITION ET CONSÉQUENCES Apports alimentaires inadéquats

Insécurité alimentaire du ménage

Maladies

Insuffissance des pratiques de soin

CAUSES IMMÉDIATES

Faible hygiène du milieu et services de santé inadéquat

PAUVRETÉ

Manque de ressources naturelles, financières, humaines et institutionnelles

CAUSES SOUS-JACENTES

CAUSES FONDAMENTALES

Contexte social, économique et politique

groupes les plus vulnérables. il peut s’agir des femmes enceintes et enfants de moins de deux ans, ou plus largement des jeunes enfants et des femmes en âge de procréer, ou encore d’une région avec des prévalences ou nombres d’enfants touchés particulièrement élevés3. outre le ciblage, la taille, la durée et la fréquence des transferts, ainsi que la couverture du programme, sont des facteurs déterminants de l’impact d’un programme de transferts sociaux à visée nutritionnelle. il s’agit de fournir des transferts d’un montant conséquent, suffisamment fréquents, réguliers et prévisibles, placés sous le contrôle des femmes et couplés à des mesures d’accompagnement pour la nutrition4. 3 alderman, idem ; freeland, n. & C. Cherrier (2015), Social Protection and Nutrition – Guidance Note, dfat. 4 jayasinghe, d., Crosby, l. & n. hypher (2012), A chance to grow – How social protection can tackle child malnutrition and promote economic opportunities, Save the Children uK ; freeland, n. & Cherrier, C. (2015), idem.

PAnEL 1 : LIEn EntRE PRotECtIon SoCIALE Et nutRItIon • • • •

par quels leviers la protection sociale peut-elle contribuer à l’amélioration de la nutrition ? quels sont les mécanismes de protection sociale les plus prometteurs pour l’amélioration de la nutrition et de la résilience ? quels instruments les acteurs de la protection sociale et de la nutrition ont-ils en commun ? quelles synergies entre ces secteurs apparaissent importantes à développer pour améliorer la nutrition ?

?

2

Les expériences ouest-africaines en matière de . protection sociale pour la résilience et la nutrition

A. Expansion de la protection sociale non contributive Au cours de la dernière décennie, la plupart des pays de la région se sont dotés d’une politique ou stratégie nationale de protection sociale. La CEDEAO a par ailleurs exprimé un intérêt à élaborer une stratégie régionale de protection sociale. Depuis 2012, la CEDEAO s’est dotée d’une Convention générale de sécurité sociale, visant à coordonner les systèmes des différents États de la CEDEAO en la matière en vue de permettre à tout migrant retraité, une fois de retour dans son pays d'origine, de pouvoir bénéficier de tous ses droits à la retraite et de toutes les prestations y afférentes. Au travers de son Agence régionale pour l’agriculture et l’alimentation (ARAA) et la Direction des Affaires sociales et humanitaires, la CEDEAO appuie également la mise en place d’un mécanisme régional visant à renforcer l’expertise en matière de transferts sociaux. Parmi les mesures de protection sociale, il faut mentionner la gratuité des soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans au Burkina Faso, au Niger, au Sénégal et au Tchad. Plusieurs pays de la région travaillent à mettre en place une couverture maladie universelle (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Niger et Sénégal). On constate également un développement des programmes nationaux de transferts sociaux monétaires (par exemple, au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Sénégal), parfois sous forme de programmes de travaux publics (Ghana, Sierra Leone). Malgré ce développement souvent rapide, la couverture de ces programmes demeure encore limitée. Par exemple, au Sénégal, en 2016, 180 000 ménages (soit environ 7.5 % de la population totale) étaient couverts par le Programme national de bourses de sécurité familiale (PNSBF). Conditionnées à des critères de revenus, d’inscription et d’assiduité à l’école des enfants, ces bourses visent à « combattre les injustices sociales et les inégalités pour une meilleure répartition des richesses nationales ». Par ailleurs, les programmes restent pour la plupart largement financés par des fonds externes. L’accroissement progressif de la part supportée par les États reste un défi majeur pour assurer la pérennité de ces initiatives prometteuses. Outre les contraintes financières, le développement de ces systèmes est confronté à des défis techniques, notamment sur la question du ciblage qui est une question essentielle dans un contexte où les ressources sont limitées. Toutefois, la pertinence d’un ciblage étroit se pose dans cette région où les défis de nutrition et de résilience sont très vastes. Pour aider au ciblage en général, des registres nationaux uniques de personnes vulnérables sont mis en place au Bénin et au Sénégal et plusieurs autres pays ont commencé des réflexions dans ce sens (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad).

Tableau 2 Politiques et stratégies nationales de protection sociale Bénin

Politique holistique de protection sociale (2014)

Burkina Faso

Politique nationale de protection sociale (2012)

Côte d'Ivoire

Stratégie nationale de protection sociale (2013)

Ghana

Stratégie nationale de protection sociale (2007)

Guinée

Politique nationale de protection sociale (2016)

Libéria

Politique/stratégie nationale de protection sociale (2013)

Mali

Politique nationale de protection sociale (2002) Plan d’actions national d’extension de la protection sociale 2011-15

Mauritanie

Stratégie nationale de protection sociale (2014)

Niger

Stratégie nationale de protection sociale (2011)

Nigéria

Politique nationale de protection sociale (ébauche de 2016)

Sénégal

Stratégie nationale de protection sociale 2013-17

Sierra Leone

Stratégie nationale de protection sociale (2015)

Tchad

Stratégie nationale de protection sociale (2015)

Togo

Stratégie nationale de protection sociale (2015)

B. Systèmes nationaux de prévention et de gestion des crises et transferts sociaux Pour faire face aux crises alimentaires et nutritionnelles dans la région, depuis 2012, la plupart des pays du Sahel développent quasiment chaque année un plan national de riposte (ou plan de réponse à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle) sur la base des résultats du Cadre harmonisé. Ces plans comprennent des transferts sociaux d’urgence. Les outils de réponse aux crises, traditionnellement basés sur des distributions en vivres plus ou moins ciblées et des ventes de céréales subventionnées, sont de plus en plus diversifiés et ciblés. Parmi ceux-ci, les transferts monétaires sont de plus en plus utilisés. Ces nouvelles pratiques, ainsi que l’émergence de programmes de transferts sociaux à long terme et de systèmes d’assurance tel que l’ARC (Africa Risk Capacity, une mutuelle panafricaine de gestion des risques), offrent des perspectives très intéressantes pour le renforcement de la résilience et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans la région. Elles appellent à une évolution des dispositifs nationaux et régionaux de réponse. Certains pays ont d’ores et déjà engagé des réformes ou une redynamisation de leur système de réponse aux crises (Mali, Niger et Sénégal notamment) afin d’améliorer le ciblage des plus vulnérables et de renforcer les liens entre réponses d’urgence et réponses à plus long terme.

Chaque année, il est estimé qu’environ six millions de personnes ont besoin d’assistance alimentaire d’urgence dans la zone sahélienne (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad). Comme ces besoins sont en partie prévisibles et liés à des causes structurelles, des programmes nationaux de transferts sociaux réguliers seraient plus appropriés et efficaces pour le renforcement de la résilience et la nutrition, dans un tel contexte.

Que les programmes de transferts sociaux à long terme soient logés au sein des dispositifs de réponse aux crises (comme au Niger) ou au contraire que des mécanismes de réponse aux crises soient logés au sein de la structure en charge de la protection sociale (comme au Sénégal), l’articulation et la cohérence entre réponses d’urgence et programmes d’assistance sociale à long terme sont indispensables.

C. Initiatives de protection sociale visant à renforer la résilience et améliorer la nutrition Au-delà des dispositifs de réponse d’urgence, il existe des cadres nationaux faisant le lien entre protection sociale, nutrition et résilience. Il peut s’agir des « Priorités résilience pays » (PRP-AGIR), développées dans le cadre de l’Alliance globale pour la résilience (AGIR), de plan stratégique multisectoriel pour la nutrition ou de stratégies et politiques de protection sociale comprenant un pilier spécifique pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Les programmes de transferts sociaux issus de ces différents cadres commencent à donner des résultats. Sur la base des expériences de terrain, il apparaît que l’impact des transferts sur la nutrition et la résilience est plus élevé dans la région si les transferts font partie d’une approche intégrée qui s’attaque aux différentes causes de la malnutrition ou de l’insécurité alimentaire. Au Niger, les mesures d'accompagnement des transferts monétaires par un volet comportemental (nutrition, santé, stimulation psychosociale, etc.) améliorent les pratiques de l'allaitement maternel exclusif et de l'alimentation complémentaire. Elles contribuent également à améliorer la sécurité alimentaire des enfants. Des changements sont

observés dans certains comportements de soin de santé préventif mais sont plus mitigés. Des actions complémentaires sont nécessaires pour en accroître l'impact, qu’elles relèvent de la qualité des services sociaux de base, visites à domicile, augmentation et fréquences des activités, etc.1 L'évaluation du programme de transferts monétaires au Niger suggère que ces derniers peuvent avoir des effets durables sur les investissements productifs chez les plus démunis. On constate en effet des augmentations soutenues de la possession de bétail et de la participation aux tontines 18 mois après la sortie du programme des bénéficiaires2. Malgré l’importance des besoins et des résultats encourageants, la mise en place de transferts sociaux à visée nutrition et résilience progresse lentement, notamment en raison de contraintes financières.

1 Premand, P. & al (2016), Transferts monétaires, Valeur ajoutée de mesures d’accompagnement comportemental, et développement de la petite enfance. Rapport descriptif de l’évaluation d’impact à court terme du projet filets sociaux au Niger, Banque mondiale. 2 Stoeffler, Q. & al. (2016), Poor Households’ Productive Investments of Cash Transfers: Quasi-experimental Evidence from Niger, Banque mondiale.

Panel 2 : Réussites et expériences innovantes •

?

Quels sont les enjeux de la protection sociale en lien avec la nutrition, la gestion des crises et la construction de la résilience ? • Quelles sont les expériences innovantes de protection sociale à visée nutritionnelle disposant d’un fort potentiel ? • Quels enseignements tirer des expériences au Sahel et en Afrique de l’Ouest en matière de : → mesures d’accompagnement des transferts monétaires pour le renforcement de la sécurité nutritionnelle ? → modalités de collaboration et de coordination entre secteurs et entre acteurs de l’urgence et du développement ? • Existe-t-il des mesures de protection sociale et de nutrition ayant fait leur preuve dans la région ? • Dans quelles mesures (ou sous quelles conditions) pourraient-elles être mises en œuvre à grande échelle ?

3

Le financement durable de la protection . sociale pour la nutrition

Les niveaux de dépenses publiques pour la protection sociale sont particulièrement faibles en Afrique subsaharienne. Au Tchad (1.2 %), en Côte d’Ivoire (1.9 %), au Nigéria (2.8 %) et au Niger (2.7 %), par exemple, elles sont largement en-dessous de la moyenne mondiale de 8.7 % du PIB et en-dessous de la moyenne subsaharienne (4.1 %)1. De manière similaire, les investissements dans la nutrition sont dans l’ensemble trop faibles pour enrayer durablement ce fléau. Au Burkina Faso, une

récente étude a montré que les investissements du pays dans la nutrition correspondaient à seulement 0.6 % du PIB en 2014 et 20152, bien en-dessous des 3 % recommandés par la Fédération des sociétés africaines pour la nutrition. Dans le même temps, les États et leurs partenaires mobilisent chaque année des fonds conséquents pour les réponses d’urgence, fonds qui pourraient être mieux investis dans des réponses plus prévisibles, durables et de long terme.

1 Drouin A., BIT (2014), Un financement des socles nationaux de protection sociale réalisable à moyen terme, Conférence du Conseil économique et social pour l’Afrique francophone portant sur les socles nationaux de protection sociale.

2 RESONUT (2016), Analyse des allocations budgétaires et des dépenses annuelles du gouvernement pour les interventions spécifiques et sensibles à la nutrition.

A. Coûts de l'inaction

B. Mobiliser de nouvelles ressources et allouer les ressources existantes différemment

Investir dans la protection sociale et la nutrition est un défi dans les pays à faibles revenus. Un défi dont l’importance peut mieux être mise en évidence à travers l’évaluation des coûts sociaux, humains et économiques, beaucoup plus élevés, de l’inaction. En plus des conséquences sur la nutrition, il est reconnu que la protection sociale est autant un investissement dans l’humain que dans l’économie. Elle permet un gain de productivité et fait naître de nouveaux marchés, une demande domestique accrue qui stimule la croissance économique. Une étude portant sur sept programmes de transferts monétaires en Afrique subsaharienne a montré que tous génèrent des retombées importantes dans l’économie locale ; chaque dollar US transféré à un ménage pauvre a apporté entre 1.27 et 2.52 dollars US de revenu total dans l’économie locale1. Les petits agriculteurs et les petits commerces tendent à en tirer profit puisque c’est là que les achats des ménages pauvres bénéficiaires sont concentrés2. La protection sociale réduit également les inégalités ce qui conduit à de meilleurs résultats économiques et à une plus grande stabilité des pays. Lors de la crise économique mondiale de 2008-09, des études ont montré la nécessité d’investir dans la protection sociale, et les transferts sociaux non contributifs en particulier, pour soutenir la résilience des ménages les plus vulnérables face aux hausses des prix alimentaires en Afrique de l’Ouest3. Ces ménages souffrent en effet de manière plus marquée des chocs et, sans aide, les conséquences négatives persistent sur le long-terme (érosion du capital productif et humain et donc de la résilience). 1 Thome, K. & al., FAO (2016), The Local Economy Impacts of Social Cash Transfers: A Comparative Analysis of Seven Sub-Saharan Countries. 2 Davies, S.and J. Davey (2008), A regional multiplier approach to estimating the impact of cash transfers on the market: The case of cash transfers in rural Malawi. Development Policy Review, Vol. 26, No. 1, pp. 91-111. 3 Oxfam et Save the Children (2008), Rising food prices in the Sahel, the urgency of long-term action.

Le fait que l’investissement dans une protection sociale de base ne serait pas abordable est une idée préconçue. Dans certains pays, les budgets publics sont en mesure d’apporter un soutien suffisant pour les plus pauvres. Encadré 4

Les transferts sociaux ciblées aux plus pauvres ont un meilleur rapport coût-efficacité. 2.2 2 1.6 1.5 1.0 0.9

1

1.0 1.0

0.5 0 -0.5

-0.3

-0.3

-1 -1.5 Burkina Faso

-1.5 Cameroun

Ghana

Aucune mesure de protection sociale Subventions alimentaires Transfert de ressources monétaires aux populations pauvres

Variation simulée de l’écart de pauvreté dû à la crise mondiale et aux mesures de protection sociales alternatives coûtant 1 % du PIB, 2009

Une étude a simulé l’impact de la crise alimentaire mondiale de 2008 sur les enfants ainsi que le rapport coût-efficacité de deux types de mesures : des subventions aux produits alimentaires et des transferts monétaires ciblés aux ménages vivant sous le seuil national de pauvreté. Dans les trois cas, l’étude suggère que des transferts monétaires ciblés auraient un rapport coût-efficacité bien meilleur que celui des subventions alimentaires. Sources : Cockburn & al., (2010) ; DFID (2013).

➔ la mauritanie, par exemple, a financé à partir de ses propres recettes 84 % du coût de ses programmes d’assistance sociale (y compris les subventions générales sur les produits énergétiques)1. les subventions aux carburants ont également cours au Cameroun et en Sierra leone. or, les subventions généralisées (alimentaires, énergétiques) sont des mécanismes coûteux et souvent inadéquats pour atteindre les pauvres2. la rationalisation des programmes et des subventions peut permettre d’augmenter les ressources budgétaires disponibles pour des programmes de transferts sociaux plus efficaces à destination des plus vulnérables. dans les pays où les taux de pauvreté sont élevés et les revenus de l’état faibles, il demeure essentiel à court et moyen termes d’attirer les financements des bailleurs de fonds pour assurer la mise en place de programmes de protection sociale de base dans une perspective de prise de relais ultérieure par les états . 1 dickinson, t. (2013), République Islamique de Mauritanie, programmes de filets sociaux, Banque mondiale. 2 monchuk, V. (2014), Réduire la pauvreté et investir dans le capital humain : le nouveau rôle des filets sociaux en Afrique, études de cas dans 22 pays, Banque mondiale.

Selon la Banque mondiale, les bailleurs de fonds assurent actuellement 80 % du financement des filets sociaux au Burkina faso, 60 % au mali et près de 70 % au niger3. l’aide des donateurs reste essentielle dans ces pays, notamment dans la phase de démarrage des programmes nationaux de transferts sociaux car cette étape est coûteuse. dans tous les pays, il existe des sources de financement qui peuvent être mobilisées au niveau national pour financer la protection sociale et la nutrition de manière spécifique et durable. en parallèle de la réallocation des subventions à l’alimentation et à l’énergie, plusieurs autres sources peuvent être exploitées telles que l’augmentation des recettes fiscales dans de nouveaux secteurs (téléphonie ou ressources minières). au niger par exemple, les seules exportations en uranium et en pétrole ont augmenté de près de 400 millions d’euros depuis 20064. la lutte contre la fraude ou encore la restructuration de la dette publique constitue d’autres options à explorer pour augmenter les recettes budgétaires. 3 Stührenberg, l. & V. pelon (2014), Les obstacles à la protection sociale contre la faim : vrais défis et faux problèmes, inter-réseaux. 4 idem

C. Avantage comparatif de la protection sociale par rapport aux réponses d’urgence Chaque année, selon oCha, plus d’un milliard de dollars uS est mobilisé par les donateurs pour la réponse humanitaire au Sahel (1.16 milliard uSd en 2012, 1,04 milliard uSd en 2013 et 1.24 milliard uSd en 2014). Ces chiffres ne comprennent pas la contribution des états qui n’est pas négligeable même si non documentée au niveau régional. Cet investissement est mobilisé pour faire face à des défis humanitaires de plus en plus complexes, notamment du fait des récents conflits, ainsi que de répondre aux besoins alimentaires et nutritionnels des populations en situation de vulnérabilité structurelle. Ces besoins sont liés à une insécurité alimentaire et nutritionnelle saisonnière sévère mais en réalité chronique ; des besoins très souvent non couverts par les programmes de développement. malgré ces budgets colossaux, il est important de noter chaque année que l’intégralité des besoins d’aide humanitaire identifiés n’est jamais couverte. annuellement, environ 3 millions de personnes nécessitant une assistance alimentaire ne la reçoivent pas.

La majorité des personnes en insécurité alimentaire et nutritionnelle dans la région le sont de manière structurelle et récurrente. dans ce contexte, la mise en place de programmes de transferts sociaux prévisibles présente de nombreux avantages comparativement à l’aide humanitaire dont les ressources restent aléatoires et imprévisibles. les transferts sociaux prévisibles permettent d’éviter la mise en place de mécanismes de survie néfastes et de garantir une alimentation et un accès aux services de base minimum dans le pic de soudure. la régularité des transferts donne également une sécurité aux ménages les plus vulnérables leur permettant de s’investir plus facilement dans l’avenir. enfin, à moyen terme, la proportion du budget consacrée aux coûts administratifs des programmes gouvernementaux de transferts sociaux diminuent au fur et à mesure que le programme est mis à l’échelle. ils deviennent alors beaucoup moins coûteux que les programmes humanitaires d’assistance alimentaire qui génèrent souvent d’importants frais de fonctionnement.

PAnEL 3 : FInAnCEMEnt DuRABLE DES PoLItIQuES DE PRotECtIon SoCIALE •





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existe-t-il des estimations comparatives des coûts : systèmes de protection sociale à visée nutritionnelle et résilience (y compris leur mise à l'échelle) et de construction de la résilience versus coûts sociaux, humains et économiques de non mise en œuvre de tels systèmes ? Comment les initiatives actuelles en matière de protection sociale en faveur des plus vulnérables sont-elles financées ? quelles sont les mesures mises en place (ou envisagées) pour assurer un financement durable et souverain à moyen ou long terme ? quelles sont les expériences innovantes en matière de financement durable et souverain (mécanismes assurantiels, recettes fiscales) ayant fait leur preuve dans la région ? quelles sont les conditions pour une réplication à grande échelle ?

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