Montreal2015/final 150124 foba 1 specificite psycho spyrituel


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Diplôme en accompagnement spirituel Module 1 – 24 et 25 janvier 2015

Prof. Lytta Basset Spécificité de l’accompagnement psycho-spirituel Descriptif Bien qu’il puisse s’apparenter à une psychothérapie ou à une psychanalyse – d’où l’adjectif « psycho-spirituel » utilisé pour ce module -, l’accompagnement spirituel garde toute sa spécificité : il s’inscrit, en Occident chrétien, dans la ligne d’une longue tradition soucieuse de donner des balises aux humains en quête d’une vie spirituelle plus libre et plus féconde. Que demande-t-on aujourd’hui à un-e accompagnant-e spirituel-le ? Pourquoi ne s’adresse-t-on pas à un-e « psy », à un-e coach, à un-e art-thérapeute, etc ? Quels pièges et dérapages guettent ce type particulier d’accompagnement ? Comment nommer cet Autre qui se tient entre l’accompagnant-e et la personne accompagnée ? Nous travaillerons entre autres sur des textes bibliques, mais le « spirituel » sera pris au sens large évoqué en Jean (3,8) : « L’Esprit – ou plutôt le souffle – souffle où il veut ».

Plan du cours Introduction : ce que l’accompagnement spirituel n’est pas I) Psy et Spi : points communs et spécificités 1) Les problèmes et les outils 2) La règle première 3) La visée de l’accompagnement spirituel II) Les pratiques propres à l’accompagnent spirituel III) Qu’est-ce qu’un-e accompagnant-e spirituel-le ? IV) Qui est le Tiers entre l’accompagnant-e et la personne accompagnée ?

Bibliographie AULENBACHER Christine & MOLDO Robert, Ni coach, ni thérapeute, ni gourou ! L’accompagnateur spirituel, un guide fraternel… Un manuel de l’accompagnateur, Paris, Ed. Mediaspaul, 2010 [NETH TP ca 276]. BASSET Lytta (dir.), S’initier à l’accompagnement spirituel : treize expériences en milieu professionnel, en collaboration avec Catherine Rohner, Genève, Ed. Labor et Fides, 2013 [NETH TP ca 355 – BPUN FM 14382]. BELLET Maurice, L’écoute, Paris, Ed. Desclée de Brouwer, 2012 [1989] [NETH TP ca 267].

FABER H. & VAN DER SCHOOT E., La pratique du dialogue pastoral : éléments de psychologie pour le ministère, traduction de J. Lyon et A. Wagner, présentation de A. Donval, Paris, Ed. Le Centurion, 1973 [NETH PS 34]. ROGERS Carl R., L’approche centrée sur la personne : anthologie de textes, traduit de l’anglais par H.-G. Richon, Lausanne, Ed. Randin, 2001 [NETH TP ca 291]. ROGERS Carl R., La relation d’aide et la psychothérapie, traduit de l’anglais par J.-P. Zigliara Paris, E.S.F., 1999 [1970] [NETH PS 125]. Dossier « La religion perverse », La Chair et le Souffle, n° 1, 2010 [NETH R 136].

Documentation 1) AULENBACHER Christine & MOLDO Robert, Ni coach, ni thérapeute, ni gourou ! L’accompagnateur spirituel, un guide fraternel… Un manuel de l’accompagnateur, Paris, Ed. Mediaspaul, 2010, p. 24-27 [NETH TP ca 276]. 2) BELLET Maurice, Foi et psychanalyse, Paris, Ed. Desclée de Brouwer, 2008 [1973], p. 31-37, 74-77, 85-87 [NETH TP ca 266 – BSE AG 1644]. 3) BELLET Maurice, L’écoute, Paris, Ed. Desclée de Brouwer, 2012 [1989], p. 40-41 [NETH TP ca 267]. 4) FABRE Nicole, « Le sentiment de culpabilité dans la vie spirituelle : entrave ou source ? », in : LEMOINE Laurent (dir.), Vérité, désir, expérience spirituelle et expérience psychanalytique, Paris, Ed. du Cerf, 2010, p. 115-125 [RERO GE/VD]. 5) LAVOIE Louis-Charles, « Imagerie mentale et intégration psychospirituelle : une étude de cas », Sciences pastorales, 18 (1999), p. 9-24 [NETH R 138]. 6) MILLS Liston O., « Pastoral care », HUNTER Rodney J. (dir.), Dictionary of Pastoral Care and Counseling, Nashville, Ed. Abingdon Press, 2005, p. 836844 [document accompagné d’une traduction] [NETH TP ca 163]. 7) PATTON John, « Pastoral counseling », HUNTER Rodney J. (dir.), Dictionary of Pastoral Care and Counseling, Nashville, Ed. Abingdon Press, 2005, p. 849-854 [NETH TP ca 163]. 8) PAULAY Alain, « Vérité et vie en psychanalyse », in : LEMOINE Laurent (dir.), Vérité, désir, expérience spirituelle et expérience psychanalytique, Paris, Ed. du Cerf, 2010, p. 85-96 [RERO GE/VD]. 9) VERGOTE Antoine, « L’Esprit, puissance de salut et de santé spirituelle », in : L’expérience de l’esprit : mélanges E. Schillebeeckx, Paris, Ed. Beauchesne, coll. « Le point théologique », 1976, p. 209-223 [NETH V COL 90/18].

AULENBACHER Christine & MOLDO Robert, Ni coach, ni thérapeute, ni gourou ! L’accompagnateur spirituel, un guide fraternel… Un manuel de l’accompagnateur, Paris, Ed. Mediaspaul, 2010, p. 24-27.

[p. 31] Peut-être convient-il d'abord de renoncer à certaines "solutions", précisément, qui, pour être tentantes, n'en risBELLET Maurice, Foi et psychanalyse, Paris, Ed. Desclée de Brouwer, 2008, p. 31-37, 74-77, 85-87.

BELLET Maurice, L’écoute, Paris, Ed. Desclée de Brouwer, 1989, p. 40-41.

L’ACCOMPAGNEMENT PASTORAL1 [PASTORAL CARE] (histoire, traditions, et définitions). L’accompagnement pastoral vient de l'image biblique du berger et se réfère à la sollicitude exprimée au sein de la communauté religieuse à l'égard des personnes en souffrance ou en détresse. Historiquement, et au sein de la communauté chrétienne, l’accompagnement pastoral s'inscrit dans la tradition de l’accompagnement d’âme. Ici, on peut comprendre l’accompagnement comme un soin - au sens de l'attention ou de la préoccupation attentionnée, pas nécessairement dans le sens de la guérison -, soin à l’égard de l’âme conçue comme le centre vivant de la vie personnelle et le siège de la relation à Dieu. Le qualificatif de « pastoral » peut se référer soit à la personne exerçant le ministère soit à la motivation/attitude caractérisant le soignant. Dans le premier cas, l’accompagnement pastoral se réfère à des autorités religieuses ordonnées ou reconnues apportant les ressources, la sagesse et l'autorité de la communauté religieuse pour soulager la détresse humaine. Mais l’accompagnement pastoral peut également être conduit par n'importe quel représentant de la communauté religieuse, censé représenter ou incarner les valeurs et les engagements du groupe. Tout comme le terme de « pastoral » peut avoir différentes acceptions, le terme d’accompagnement [care] a des significations à la fois larges et étroites. Elle peut se référer à tout acte pastoral motivé par un dévouement sincère pour le bien-être de l'autre. Dans ce sens, les formes liturgiques et les rituels peuvent entrer dans le champ de l’accompagnement, tout comme l'éducation et différentes formes d'action sociale. En général, toutefois, l’accompagnement pastoral se réfère à la dimension plus étroite des tâches globales du ministère, à la conversation avec des personnes ou des groupes cherchant des conseils interpersonnels, moraux ou spirituels. Seward Hiltner (1958) et Clebsch et Jaekle (1964) suggèrent que le contenu de l’accompagnement inclut les fonctions pastorales de guérison, de soutien, de direction et de réconciliation, et précisent un contenu spécifique à l’accompagnement. Ils limitent également l’accompagnement pastoral à des cas où l'on a affaire à un besoin individuel et à une volonté d'accepter l'aide. En outre, Clebsch et Jaekle insistent sur le fait que l’accompagnement doit inclure des sujets de « préoccupation ultime », c'est-à-dire que les troubles doivent avoir un lien signifiant avec la foi chrétienne au sens où ils favorisent un approfondissement de la foi et du lien à Dieu. Si l'on en croit ces auteurs, on arrive à la conclusion que tous les actes d'aide, de charité et d'amour ne constituent pas systématiquement un accompagnement pastoral. Ce qui apparaît assez rapidement dans toute étude de l'histoire de l’accompagnement pastoral, ce sont les sens multiples de cette entreprise. En bref, les éléments constitutifs de l’accompagnement pastoral s’enracinent dans les convictions religieuses fondamentales de la communauté. Mais ils s'enracinent également dans le tissu historique, politique et social d'une époque et d'un lieu donnés. En conséquence, les convictions christologiques, sotériologiques et ecclésiologiques définissent notre sens de l'obligation envers autrui et, à certains degrés, déterminent ce qui constitue l'aide. Même dans ce cas, le climat politique, les valeurs culturelles et les idéaux, les facteurs économiques, et différentes formes de savoir séculier entrent en jeu pour déterminer, en partie, la forme et l’intention de l’accompagnement pastoral. Seuls de rares efforts ont été déployés pour retracer cette histoire. Mis à part McNeill (1951), Clebsch et Jaekle, Kemp (1947) et dans une moindre mesure Oden (1983) et Hiltner, l'histoire de l’accompagnement pastoral est largement négligée et inconnue. Pourtant, les membres des communautés religieuses ont toujours recherché ceux qu'ils percevaient comme sages, mûrs ou saints, pour les aider dans la conduite de leur vie. Et les perplexités, les                                                              1

 Nous optons ici pour traduire « pastoral care » par « accompagnement pastoral », la notion de « cure », trop  connotée, rendant mal celle de « care », qui a plutôt le sens de « soin, souci » (note de la traduction). 

incertitudes, et les efforts de compréhension qui ont entravé l‘action des soignants sont consignés dans un riche trésor de littérature sur la quête humaine de relation à Dieu, tout comme les succès et les échecs de ceux qui cherchent à aider. Le but de cet article est d'offrir un aperçu de cette histoire et des différentes acceptions de l’accompagnement pastoral. 1. Des origines à l'institutionnalisation. Toute définition de l’accompagnement pastoral repose sur une manière de comprendre notre relation à Dieu, ainsi que les ingrédients ou les actes qui peuvent contribuer à approfondir ou à détériorer ce lien. Malgré sa diversité, le Nouveau Testament traduit une vision de la vie chrétienne enracinée dans une transformation intérieure résultant de la foi dans le Christ en tant que Dieu et en tant qu’instaurateur d'une nouvelle ère. Dans les Évangiles et les Epîtres, la tâche du berger est « de créer une atmosphère où l'échange intime d’aide spirituelle, l'orientation mutuelle des âmes, serait une caractéristique normale du comportement chrétien » (McNeill p. 85). Paul reflète cette préoccupation lorsqu'il confesse son « souci quotidien » pour les Eglises. Il s'efforce d'exprimer la signification de la vie chrétienne et de faire réfléchir les Eglises à cette signification. Sa préoccupation prend d’abord la forme de l'instruction, puis celle du reproche, ensuite celle de l'exhortation, mais aussi, constamment, celle de l’encouragement et de la compassion. Il guide les Eglises dans leurs disputes, répond aux questions concernant le mariage, et entend les voir régler leurs litiges entre elles. Il veut restaurer les pécheurs, raffermir les faibles et faire prévaloir l’amour. Il leur rappelle sa faiblesse tout en sollicitant leurs prières et en les encourageant à utiliser leurs dons pour le bien de la communauté et comme gages de fidélité. Cette quête d’édification et de souci mutuels recouvre des dimensions à la fois individuelles et collectives. Tous devraient vivre en bonne intelligence, assumant les fardeaux de chacun sans fuir leurs propres responsabilités. Leurs propres inquiétudes devraient nourrir la contemplation de ce qui est honorable, authentique et bon. En même temps, ils devraient s'encourager mutuellement avec une « affection fraternelle ». Les besoins des saints devraient être pris en compte, en particulier le besoin de confession mutuelle, de prières et de visites aux malades, ainsi que la charité aux sans-abri, aux affamés et aux démunis. A la fin du Ier siècle, l'accent mis sur la accompagnement au sein de l'Eglise a commencé à changer. Les chrétiens de la deuxième et de la troisième génération cherchèrent à préserver le génie qui les avait soutenus, tout en s'efforçant en même temps de s'accepter en tant que communautés distinctes. Il en a résulté une vision quelque peu différente de la vie chrétienne mettant davantage l'accent sur sa forme que sur son contenu. Le berger de Hermas traduit ce déplacement de priorité. La préoccupation majeure de Hermas est le péché commis après le baptême. Le baptême rachète le péché, mais puisque le retour du Christ a été retardé, les chrétiens ont commencé à se demander s'il pouvait y avoir un second repentir. Dans la vision qui est au cœur de cet ouvrage, le Christ en tant que grâce et pardon cède sa place devant l'exigence de conduite morale chez le croyant. Ce qui est souligné, c’est le laxisme de l'Eglise dans son attachement au monde, l'ambition, la discorde et la mauvaise conduite des responsables d'Eglises, ainsi qu'un tableau représentatif des vertus et des vices. Hermas ouvre la voie à la forte tendance ascétique dans l'Eglise primitive. Il tend à déplacer l'accent paulinien sur la justification vers le moralisme et le légalisme. Il conclut en définitive qu'un repentir additionnel est possible pour des péchés de moindre gravité, pour autant que le croyant fasse la preuve d'un véritable repentir et qu'il ait racheté sa faute. Les pasteurs, quant à eux, ont pour tâche de réguler le repentir et la pénitence. La démarche de réconciliation est devenue un thème dominant de l’accompagnement pastoral au cours des persécutions (150-309). La question de savoir quels types et quels degrés de 2 

reniement de la foi étaient pardonnables a semé la controverse dans l'Eglise quant aux efforts pour réconcilier les apostats. La controverse, finalement résolue par Cyprien, conduisit à confier aux évêques le soin de décider de l'appartenance à l'Eglise et contribua à normaliser la pratique d’une pénitence, même pour ceux rendus coupables des trois péchés capitaux : le meurtre, la luxure et l’idolâtrie. Bien que ce débat ait dominé l'époque des persécutions, l’accompagnement a continué à être exercé sous d'autres formes au sein de l'Eglise. Par exemple, Augustin suggéra une liste de devoirs pastoraux : « Les perturbateurs doivent être sermonnés, les faibles d'esprit encouragés, les infirmes assistés, les objecteurs confondus, les traîtres empêchés de nuire, les ignorants éduqués, les paresseux stimulés, les querelleurs retenus, les arrogants réprimés, les belliqueux pacifiés, les pauvres soulagés, les opprimés libérés, les bons approuvés, le mal supporté et tous doivent être aimés » (McNeill, p. 100). Parmi d’autres modes d’accompagnement, on relève la poursuite de la tradition de la littérature de consolation de l'ère classique. Cyprien retravailla les thèmes des traités païens, y ajoutant la doctrine chrétienne afin de soutenir ceux qui subissaient la persécution et leur rappeler que « le Christ était le compagnon de ses soldats dans la lutte, l'épreuve et la mort ». D'autres, comme Grégoire de Nazianze, Jérôme et Ambroise adressaient à des individus des lettres de sympathie et de consolation. La foi chrétienne, disait Ambroise, ne sera discréditée que par le chagrin excessif ; aussi les malheureux devraient-ils s’autoriser à être réconfortés. Lorsque Constantin se convertit à la foi chrétienne en 313, le centre des préoccupations pastorales de l'Eglise s'est à nouveau déplacé. Deux des premiers Pères de l'Eglise reflètent leur effort d’assumer les rôles pastoraux d’« éducateurs semi-officiels, pourvoyeurs de fonds d'assistance sociale, représentants d'une religion embrassée par l'Empereur et interprètes des souffrances dont le peuple était affligé » (Clebsch et Jaekle, p. 19). Dans son Traité sur la prêtrise, Jean Chrysostome déclare que le caractère distinctif du pasteur authentique est d’être prêt à périr pour sauver son troupeau. Dans l’accompagnement spirituel [caring for souls], Chrysostome se présente lui-même « comme un médecin fournissant des médicaments à ceux qui se sont librement assujettis à son art, et l'Eglise comme un hôpital où le pécheur pourrait être conduit à réparer plus d'une faute grave » (Niebuhr et Williams, p. 70). Sa contribution pastorale la plus importante est peut-être la recherche d'une alternative à l'acte humiliant de pénitence publique. Sa compréhension du péché intérieur l'a amené à préconiser la répétition de la pénitence de manière diversifiée. « Il n'est pas juste de fixer une norme absolue et d'adapter le châtiment à la mesure exacte de l'offense, mais il est juste de chercher à influencer les sentiments moraux des offenseurs, dans la mesure où personne ne peut, par la force, guérir un homme qui ne le veut pas » (Niebuhr et Williams, p. 70). Ambroise fut l'homologue de Chrysostome en Occident. Son ouvrage Sur les devoirs du clergé fut également publié en 386 et témoigne d’efforts de conciliation des hautes vertus païennes avec l'esprit de la chrétienté. S’inspirant de Cicéron, il a trouvé des exemples bibliques des vertus classiques de prudence, de justice, de tempérance et de courage et y a joint la foi, l'espoir et l'amour prônés par Paul. 2. De Grégoire à la Renaissance (500-1300). L’accompagnement spirituel [soul care] des Pères de l'Eglise fut codifié et transmis par le Pape Grégoire le Grand. L'invasion des peuples slaves et teutons, ainsi que l'effondrement de la société romaine firent de l'Eglise, de ses prêtres et de ses monastères les principaux vecteurs d'ordre. L’ouvrage de Grégoire Le livre de la règle pastorale2 devint, pendant des siècles, le guide des prêtres dans leur tentative de prodiguer un                                                              2

 Liber regulae pastoralis (note du traducteur). 



accompagnement. Il figure indéniablement parmi les classiques les plus précieux de l’accompagnement spirituel [cure of souls]. Grégoire considérait « le gouvernement des âmes [government of souls] [comme] l’art des arts ». L'autorité sacerdotale devait être exercée avec humilité par une personne agissant au même titre qu’un voisin plein de compassion. En pleine transition sociale et politique, Grégoire chercha à rétablir l'ordre en guidant les âmes en souffrance vers la foi et la rectitude morale. En encourageant les personnes en détresse à confier leurs préoccupations à l'Eglise, il fut à même d’introduire la tradition chrétienne et d'imposer des rites et des pratiques dans le paganisme lié à la nature propre aux cultures populaires. Le troisième chapitre de l'ouvrage peut s’avérer des plus intéressants pour un pasteur d’aujourd’hui. Grégoire s'efforce d'adapter ses conseils aux cas individuels, tout en estimant qu’un accompagnement approfondi impliquerait inéluctablement des questions spirituelles plus vastes. Il note différents types de personnalité - par exemple les simples et les faux, les impudents et les audacieux – nécessitant une attention particulière, et insiste sur les différences de situation affectant les personnes. Pour chaque type, il précise la tentation particulière à laquelle l’individu peut être sujet et s'efforce d’affermir ses résolutions. Ensuite il aborde de façon plus précise les différents traitements pour les péchés prémédités et spontanés, pour les péchés caducs par opposition aux péchés prégnants, etc. Les médecins de l’âme doivent faire preuve de discernement et disposer de médicaments « pour guérir les maladies morales par différentes méthodes ». La littérature celtique de pénitence représentait une autre source de guidance pour le prêtre médiéval. L'un de ces ouvrages, Corrector et medicus, expliquait : « L'ouvrage est intitulé le « correcteur » et le « médecin » dans la mesure où il contient bon nombre de mesures correctrices pour les corps et de médecines pour les âmes et où il enseigne à chaque prêtre, même sans formation, comment il sera à même d'aider tout un chacun, ordonné ou non, pauvre ou riche, garçon, homme jeune ou mûr; décrépit, saint ou infirme, de tout âge et des deux sexes » (Clebsch et Jaekle, p. 24). Un large éventail d’ouvrages de ce type offrait des instructions sur tous les aspects de l’accompagnement spirituel. L'attention de ces ouvrages aux détails, aux modes d'entretien, aux pénitences prescrites pour différents péchés, aux cas exceptionnels, etc. signifiait que le prêtre pouvait donner des conseils pour conduire sa vie en conformité avec l'Eglise en toute circonstance. En 1200, l'Eglise avait codifié le système des sacrements et normalisé, pour l’essentiel, les pratiques d’accompagnement pastoral. Le prêtre de la paroisse, en tant que personne la plus éduquée de la communauté, était considéré comme un conseiller, un juriste, un enseignant, un docteur et un ami. Sa fonction primordiale consistait à administrer les sacrements, car c'était là que résidait le traitement des maladies et des souffrances humaines. En conséquence, le baptême était indispensable pour assurer le salut et effacer la souillure du péché originel. Les autres sacrements constituaient des événements propices dans le cycle de vie. La confirmation sanctionnait le passage à l'âge adulte, le mariage sanctifiait la formation d'un couple et l'extrêmeonction permettait le passage à la mort. Pour les adultes, toutefois, les deux grands sacrements de guérison étaient la messe et la pénitence. La messe offrait une grâce fiable au cours des vicissitudes de la vie. C’est là que les fidèles participaient de la vie même de Dieu, se fortifiant pour endurer et résister à la tentation, à la maladie ou au deuil et, en fait, à toutes les joies ou vicissitudes de la vie. Le sacrement de pénitence, impliquant la contrition, la confession et la satisfaction [ou pénitence], offrait au prêtre la possibilité de procéder à un examen spirituel approfondi. Personne ne ressortait innocent ; et pourtant, c’est l'espoir, et non le désespoir, qui en était l’issue. Les pénitents en sortaient avec une 4 

ardoise effacée et un lien fort avec Dieu. 3. La Réforme. John McNeill entame son chapitre sur la Réforme par cette déclaration : « Ce sont les questions relatives à l’accompagnement des âmes qui ont présidé à la naissance de la Réforme » (p.163). La vente des Indulgences soulevait l’indignation de Luther ; les gens simples étaient amenés à croire que l’achat de certificats assurait leur salut. Luther, lui-même, était entré dans un conflit personnel, long et âpre, concernant le repentir et la justification. Pour lui, le repentir signifiait « retrouver le sens commun », « un changement dans le coeur et dans l'amour » en réponse à la grâce de Dieu. En conséquence, l’objection de Luther ne portait pas sur la confession ou l'absolution, mais sur la notion que la rémission des péchés dépendait de la confession et non de la bonté de Dieu. Il s’opposait deuxièmement au fait que seuls les prêtres aient autorité quant à la rémission ou non des péchés. Tous les chrétiens, disait-il, ont autorité pour entendre les confessions et pour donner l’absolution ; nous partageons une prêtrise commune, tout comme nous partageons nos dons spirituels. En conséquence, pour Luther, il n’y avait que deux choses qui comptaient : « la Parole de Dieu et la foi » ou, comme il disait: « La somme de l'Évangile est celle-ci : celui qui croit au Christ obtient le pardon de ses péchés » (Niebuhr et Williams, p. 111). La clé de la relation à Dieu est donc une foi inaltérable en la miséricorde de Dieu. Pour Luther, « la direction spirituelle [spiritual counsel] est toujours préoccupée par-dessus tout par la foi - nourrir, fortifier, établir, pratiquer la foi » (Tappert, p. 15). La pratique pastorale de Luther se caractérise par la chaleur, la conviction et l'identification avec les personnes en détresse. À Worms, quelques heures avant sa seconde apparition devant la Diète, il se rendit, à l'aube, au chevet d'un chevalier mourant pour entendre sa confession et administrer les sacrements. Les Propos de table (Tischreden) le montrent conversant de façon amicale et posant des questions concernant l'état du corps et de l’âme de ses compagnons. Ses lettres de consolation, sa préoccupation pour les jeunes femmes qui avaient quitté le couvent, sa correspondance avec ses amis et sa réponse à la peste et à la persécution, le révèlent toujours attentif aux personnes en détresse. Et il s’appliqua ses propres conseils. Lorsque sa fille bien-aimée de 13 ans était mourante, il réconforta sa femme par ces paroles : « Je me réjouis dans l'esprit, mais je vis le chagrin dans la chair » (McNeill, p. 172). Jean Calvin partageait la préoccupation de Luther concernant la justification par la foi, la prêtrise de tous les croyants, et son engagement dans l’accompagnement spirituel. Mais l'accent mis par Calvin sur le repentir était plus important que chez Luther, et cela se reflétait dans son approche pastorale. Le repentir de Calvin « embrasse l'appropriation progressive par l'âme de l'obéissance, de la sainteté et de la bonté qui marque la restauration de l'image perdue ou obscurcie de Dieu chez l'homme » (McNeill, p. 198). En conséquence, comme Luther, il laisse une place à la confession et à l'absolution. Mais le fruit de cette confession est la transformation. Il n'y a pas d'exigence de confession privée, mais les ministres sont encouragés à interroger chaque communiant avant la communion. Le pouvoir des clés était alors exercé par l'ambassadeur du Christ et la grâce de l'Évangile était confirmée et scellée. Le génie de Calvin en matière d'organisation a également eu une incidence sur sa pratique pastorale. Les aînés surveillaient attentivement les citoyens de Genève et s'employaient à les protéger et à les amender. Les ministres se réunissaient régulièrement pour s'admonester et se soutenir mutuellement. Les diacres visitaient les malades, les prisonniers, les veuves et les orphelins et étaient chargés du catéchisme des enfants. Calvin lui-même, par le biais d'une volumineuse correspondance, s'attachait à renforcer, à encourager les persécutés et à réconforter les endeuillés. Ni Luther ni Calvin ne se sont spécifiquement exprimés sur l’accompagnement spirituel. 5 

Toutefois, des figures prédominantes de la Réforme l'ont fait. Ulrich Zwingli dans Der Hirt (Le pasteur) a établi une distinction entre le vrai et le faux berger. La proclamation, disait-il, doit être suivie de l'instruction et du service, puisque les brebis guéries ne doivent pas rechuter dans la maladie. Les pasteurs font tout leur possible pour édifier le peuple dans l'amour. Dans De la vraie cure d’âme (1538), Martin Bucer décrit un ministère d’accompagnement spirituel en cinq volets. En public et dans les visites, les ministres ramènent au Christ les aliénés, reconduisent ceux qui se sont éloignés, relèvent ceux qui ont péché, fortifient les chrétiens faibles et malades, et préservent ceux qui sont forts et intègres (McNeill, p. 192). L’accompagnement pastoral réformé présente les caractéristiques suivantes : le confessionnal en tant qu'institution a été abandonné et le pasteur a émergé comme une figure centrale. Toutefois, l'ordination du pasteur n'en faisait pas un être à part. Un ecclésiastique marié soulignait son identification en tous points à ses pairs. En outre, bien que les actes primordiaux de l’accompagnement fussent la prédication et la communion, le message de réconciliation symbolisé dans ces manifestations était jugé crucial pour la vie de la communauté tout entière. Les pasteurs aussi bien que les laïcs se réconfortaient mutuellement, se reprenaient et se soutenaient. La marque d'une vie transformée résidait dans un ministère mutuel afin d'être réconcilié avec Dieu et avec autrui. 4. Traditions. Jusqu'à la Réforme, le développement de l’accompagnement pastoral suivit un chemin bien délimité au sein de la l'Eglise catholique romaine. Des désaccords étaient toujours présents, mais la tradition elle-même était claire. Depuis la Réforme, un certain nombre d'acceptions quelque peu différentes de la relation à Dieu ont alimenté tout un éventail de traditions en matière d’accompagnement pastoral. Brooks Holifield, dans Une histoire de l’accompagnement pastoral en Amérique, en énumère quatre : catholique romaine, anglicane, luthérienne et réformée. À ces dernières, on peut ajouter la tradition congrégationniste ou de l'Eglise libre. Ces traditions existaient en Europe, mais prirent une forme particulière en Amérique. Il est impossible de retracer leur parcours en détail, mais il est intéressant de se pencher sur leurs représentations respectives. a. Catholiques romains. Après la Réforme, l’accompagnement pastoral catholique romain a continué de s’articuler autour du système sacramentel. Le Concile de Trente en 1552 s'est efforcé de corriger les abus de la discipline pénitentielle et a fait de grands pas dans ce sens. En conséquence, la pénitence était définie comme un sacrement pour les baptisés et se composait de la contrition, de la confession et de la satisfaction. Mais une confession entière était requise par le Christ pour tous les péchés postérieurs au baptême. Cela mettait naturellement l'accent sur le péché en tant qu'acte de transgression et traduisait la conviction que le péché originel était couvert par le baptême. Les péchés mortels devaient donc être confessés et la confession des péchés véniels était recommandée. La confession ne pouvait être effectuée que par les prêtres et les évêques. Eux seuls pouvaient pardonner les péchés et l’absolution s’effectuait par le biais du sacrement. Les peines et les pénitences demeuraient en tant que remèdes et comme « une expiation et un châtiment pour le péché passé » (McNeill, p. 288). Cette redéfinition stricte du sacrement de la pénitence a alimenté une littérature prolifique sur les problèmes de conscience. L’Ordre des jésuites fut le plus attentif à ces questions de casuistique et, lorsque qu'il fut supprimé, un prêtre rédemptoriste, Alfonso de Liguori, a repris certaines de leurs tâches en matière de théologie morale et de piété ascétique. Un confesseur, disait-il, doit être un père, un médecin, un professeur, et un juge. « La confession doit être orale, secrète, vraie et intégrale » (McNeill, p. 292). Il cherchait des remèdes particuliers aux différentes fautes et avertissait les confesseurs qu'entendre des confessions sans une connaissance suffisante (des lois, bulles, décrets et autres opinions) était passible de damnation. Liguori est 6 

devenu l'autorité reconnue pour les confesseurs, de telle sorte qu'en 1831, tous les prêtres furent invités ou autorisés à suivre ses opinions. Au XVIIe siècle, la vocation de directeur spirituel s’est fait jour. Ce rôle se distinguait de celui de confesseur en ce que le but était la poursuite de réalisations spirituelles plus élevées. Saint François de Sales, saint Vincent de Paul, et saint François Fénelon fournissent un trésor de correspondance sur la vie spirituelle. Fénelon préconise la quête d'un amour pur et désintéressé reflété dans le quiétisme. Ses lettres sont emplies d'une conscience subtile de la propension à se tromper soi-même, de l'exhortation à assister aux dévotions, et d’un rare courage pour rappeler aux personnalités de la Cour leurs mondanités. Tous, disait-il, doivent être humiliés par leurs fautes, perdre espoir en eux-mêmes sans perdre espoir en Dieu. A la base du système sacramentel, comme le note Holifield, on trouve une métaphore de croissance. Le salut s’atteint au terme d’un processus ascensionnel que nourrissent les sacrements. Ce processus rappelle les 12 échelons de l'échelle d'humilité de Benoît, qui commence par la crainte et culmine dans une vie d'amour. Ces notions de croissance avaient depuis longtemps établi les normes de la moralité pour les prêtres et les laïcs. Bien que les laïcs ne puissent gravir les échelons comme les prêtres et les religieux, cette aspiration était prégnante l'Eglise. Dans ce contexte, alors, les sacrements fournissaient les moyens, la grâce, pour alimenter l'âme et pour nourrir l'amour de Dieu, à Sa gloire. b. Luthériens. Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, l’accompagnement pastoral luthérien s'est caractérisé par une orthodoxie formelle d'un côté, et une réaction piétiste de l'autre. Une littérature pastorale volumineuse est apparue à cette époque, mais elle a considéré l’accompagnement spirituel de façon étroite et a mis l'accent sur la confession au pasteur. La littérature érudite négligeait l’accompagnement pastoral au nom de la croyance et du comportement, et la littérature pastorale recommandait de limiter les visites, vision mécanique de la confession fondée sur le catéchisme et l'absolution par le pasteur. Selon les critiques, « la clé qui lie est rouillée alors que la clé qui délie est en plein exercice » (McNeill, p. 182). Sous l'égide de Philipp Jacob Spener, le piétisme s’est détourné de la scolastique et a invité les chrétiens à une religion personnelle. Spener mit l’accent sur la régénération et sur la culture de la vie religieuse, en s’appuyant sur de petits rassemblements en guise de véhicules d'édification mutuelle. La foi chrétienne signifiait l'acceptation de la responsabilité d'une prêtrise spirituelle incluant le sacrifice, la prière et la parole. Par la parole, les personnes étaient habilitées à enseigner, exhorter, reprocher et consoler les autres, qui se retrouvaient pour étudier les écritures et pour s’encourager mutuellement. L’ouvrage Pia Desideria (Aspirations pieuses) a été considéré comme le texte fondateur du mouvement. Ici - et dans Le Sacerdoce spirituel (Das geistliche Priesterthum), Spener exprime le souhait que tout chrétien entretienne des liens d’amitié étroits avec le pasteur ou un autre chrétien. Il souligne l'importance d’entretiens individuels et de conversations privées, de visites au foyer et de visites aux malades. En outre, cette tâche n’incombe pas au seul pasteur. Les laïcs doivent s'engager dans la correction et l'encouragement mutuels. La « somme de la chrétienté, disait-il, est la pénitence, la foi et une nouvelle obéissance ; la véritable paix intérieure, spirituelle », est son fruit (McNeill, p. 184). Pour la génération qui a suivi Spener, Auguste Hermann Francke et ses collaborateurs de l'Université de Halle conduisirent le mouvement piétiste. L'expérience que fit Francke de l’angoisse et de la conversion l'a incité à valoriser le désespoir comme prélude à la renaissance. De fait, cette agonie, ce « sentiment de repentance », établissaient la différence entre le vrai croyant et les autres. Les entretiens personnels devinrent une modalité pastorale importante, afin de discerner le désespoir et d’amener une personne à traverser ses épreuves pour retrouver l'espoir. La préparation pour la 7 

Sainte Cène suscitait fréquemment de telles conversations. Ce courant du piétisme arriva en Amérique par différentes voies. Il influença Zinzendorf et Wesley, le puritanisme de la Nouvelle-Angleterre, ainsi que les baptistes britanniques, puis américains. Parmi les luthériens, le piétisme arriva aux États-Unis par le biais d'Henry M. Muhlenberg et Théodore Freylingshuysen. Il chercha à détourner les personnes de la controverse au profit du compagnonnage, de l'argumentation scolastique sur la foi au profit de la foi ellemême. Muhlenberg apporta avec lui les idéaux de Halle et consigna dans son journal la guidance spirituelle qu'il cherchait à fournir. Sa perspicacité psychologique le convint « qu'un corps malade produit une âme malade », aussi coopéra-t-il fréquemment avec les médecins. Il s'efforça d'instituer une discipline claire dans sa congrégation et, comme ses prédécesseurs, soumettait les candidats à un examen avant la communion. c. Anglicans. Winthrop Hudson remarque que la Réforme en Angleterre fut à la fois moins drastique et moins systématique que sur le continent. La structure de l'Eglise resta largement inchangée, avec ses diocèses, ses paroisses, ses évêques et ses prêtres. Et quant à la position théologique, les Articles de Foi (« Articles of Religion ») « évitaient toute définition précise ». Malgré cette absence de réforme drastique, la vision du ministère dans l'anglicanisme se modifia. « Auparavant, le clergé était composé de "prêtres" estimant que leur responsabilité essentielle était liée à l’autel ; désormais, ils devenaient des "ministres", avec comme tâches primordiales la prédication et l’accompagnement pastoral (Niebuhr et Williams, p. 180). Au cours du XVIIe siècle, la distinction entre puritains et anglicans n'était pas très importante eu égard à l’accompagnement pastoral. Les divergences étaient davantage de tempérament que de théologie. Le puritain souhaitait une réforme et était plus désireux d’obéir à Dieu qu'aux hommes. « L’anglican était plus prudent et modéré, plus conscient de la force de l'habitude et de la coutume […] [se rappelant] le conseil de Paul selon lequel l'autorité constituée devait recevoir l'attention qui lui était due (Niebuhr et Williams, p. 180) Ces tensions paraissent importantes à qui veut comprendre la tradition anglicane d’accompagnement pastoral. Personne ne représentait mieux ce caractère prudent et modéré que George Herbert. Son ouvrage classique, A Priest to the Temple or the Country Parson, présente le prêtre idéal comme dévot, compétent, empli de grâce et de sainteté. Le dimanche, il prêchait le matin et catéchisait l'après-midi. Le reste de la journée, il réconciliait les voisins qui se querellaient, visitait les malades, cherchant parfois à les convaincre de se confesser, ou exhortait ceux de son troupeau « que ses sermons ne pouvaient pas atteindre ». Durant la semaine, il effectuait des visites de paroisse systématiques afin de conduire des examens, de prodiguer des conseils, d’admonester et d’exhorter. Les matinées étaient consacrées à la lecture et les repas à l’invitation des paroissiens à dîner, de telle sorte qu'en une année il avait vu tout un chacun. Il donnait des conseils aux pasteurs pour assister ceux qui jouissaient d’une bonne santé spirituelle tout comme ceux qui désespéraient de la grâce de Dieu. L'objectif de cette activité, selon Henri Scougal, était « de faire avancer la vie divine dans le monde. […] Le monde vit dans le péché et il est de notre devoir de réveiller les hommes de leur sommeil mortifère » (Niebuhr etWilliams, p. 184). Tout au long du XVIIe et pendant l'essentiel du XVIIIe siècle, une littérature abondante sur l’accompagnement spirituel émergea parmi les anglicans. Holy Dying de Jeremy Taylor et Discourses of Pastoral Care de Gilbert Burnet constituent les ouvrages les plus intéressants. Certains, comme William Law, témoignent d’une plus haute idée de l'autorité des prêtres en tant que directeurs de conscience. Law mit un accent considérable sur l'introspection quotidienne et la confession des péchés à Dieu comme moyen de croissance. C'est cet accent sur un éveil de la conscience et l’oeuvre de la grâce dans le coeur des croyants, de concert avec les renouveaux 8 

évangéliques personnifiés par George Whitefield, qui ont finalement conduit les puritains à désespérer d’une réforme de l'Eglise et les anglicans à affirmer les sacrements. Le courant puritain apparaît dans les traditions de la Réforme et de l'Eglise libre. Les anglicans mettent l’accent sur l'Eucharistie et l'efficacité sacramentelle des prières et du culte dans la vie communautaire. Il semble juste d'observer que dans l'équilibre entre tradition et expérience, l’accompagnement pastoral anglican a finalement incliné vers la tradition. Les évangéliques constituaient une exception, mais le Mouvement d'Oxford, représenté par Edward Pusey et John Keble, réagit en accordant une priorité finalement reconnue à la direction confessionnelle et spirituelle. Toutefois, au sein de ces divergences, une importance énorme était accordée à l’accompagnement spirituel, ce qu’atteste une littérature prolifique consacrée à la conscience et à la casuistique. Aux ÉtatsUnis, Philips Brooks personnifie cette dévotion à la guidance pastorale et à l'intimité spirituelle entre le prêtre et la population. d. Réformés. Bien qu'une distinction historique doive être établie entre les presbytériens, les puritains et les traditions réformées continentales, leur orientation en matière d’accompagnement pastoral témoigne d’une source commune. Cette source, selon Holifield, est Jean Calvin et l’importance qu’il accorde à la désobéissance d'un coeur idolâtre comme nœud de la détresse humaine. C’était ce cœur idolâtre que leurs médecins des âmes s'efforçaient de guérir. Ce qu’ils cherchaient à instaurer était une conduite exemplaire Leur théologie s'enracinait dans l'expérience, mais leur insistance sur une discipline constante et efficace, ainsi que sur le soin attentif à protéger la communion des offenseurs scandaleux a conféré à cette tradition un caractère distinctif. Les Eglises presbytériennes écossaises et les Eglises réformées continentales reflétaient cette orientation. La Discipline de l'Eglise réformée de France, par exemple, contenait des codes de conduite exigeants pour les ministres, les aînés, les diacres et les membres, établissant des procédures de suspension et d'excommunication pour ceux qui refusaient de se repentir « après moult admonestations et supplications » (McNeill, p. 209). Bien qu'il fût difficile de maintenir l'ordre au cours des persécutions, les aînés étaient invités à « enseigner, réprouver et réconforter ». Les ministres hollandais devaient fournir une guidance aux aînés, aux diacres et aux membres ; les aînés devaient faire des visites afin d' « instruire et réconforter les membres en pleine communion, aussi bien qu’exhorter les autres à la profession régulière de la foi chrétienne » (McNeill, p. 110). L'Eglise réformée d'Écosse mettait également beaucoup l'accent sur la discipline en tant qu’accompagnement pastoral. Le Livre de la discipline (Book of Discipline) de John Knox décrit soigneusement les procédures à suivre en cas d’offense. Il entendait garantir à la fragilité humaine une fermeté vigilante empreinte d’une patiente considération, un souci « de se gagner notre frère plutôt que de le calomnier ». Toutefois il était difficile de maintenir la discipline à un haut niveau et elle se dégradait fréquemment en légalisme. La pureté de la congrégation était soigneusement préservée, moyennant les examens, par les aînés, avant la communion et le contrôle général, garanti par eux, de la vie congrégationnelle. En même temps, ministres et aînés étaient enjoints à visiter les malades, à distribuer des biens aux pauvres et à veiller à ce que la Bible et d'autres livres soient mis à disposition pour susciter la foi. Pour brosser un tableau complet, toutefois, il convient de ne pas négliger ces pasteurs du XVIIe siècle dont les efforts allèrent au-delà de la discipline. En Écosse, David Dickson s'efforça d'être « un ami prudent » pour ceux qui étaient en proie au doute, à la dépression et à la tentation; il voulait les conduire au repentir, mais jamais au désespoir. Aux Pays-Bas, Gijsbert Voet prescrivit la prière mentale et la dévotion solitaire pour renforcer l'âme ; il limita 9 

l'excommunication, même pour les péchés graves. C’est sans aucun doute le pasteur réformé suisse Alexandre Vinet qui personnifie le mieux ce mouvement au sein de l'Eglise réformée. Sa Théologie pastorale a eu une immense influence et peut être lue aujourd'hui avec profit. Vinet manifeste une grande empathie pour ses amis et paroissiens et lance une mise en garde contre trop de « direction » et trop peu de considération pour la liberté et la responsabilité dans les tâches pastorales. Après avoir rendu visite à Vinet, un paroissien confia à son pasteur : « vous me jugez d’en-haut, mais lui … d’égal à égal » (McNeill, p. 215). Au cours des deux siècles suivants, les Eglises réformées relâchèrent la discipline et mirent davantage l'accent sur l’amendement des âmes et la religion personnelle. Le renouveau évangélique influença ce changement, tout comme la sécularisation de certaines des fonctions de l'Eglise, par exemple la Loi des pauvres en Angleterre, en 1845. Vinet illustre ce déplacement des priorités sur le continent. En Grande-Bretagne, John Watson (« Ian McLaren ») écrivit La cure d’âme (1896) et souligna l’importance des visites et des conversations privées, offrant des lignes directrices pour conduire les entretiens et garder les confidences. Quelques années plus tôt, Patrick Fairbairn, dans sa Théologie pastorale, décrivait la difficulté de savoir où devait commencer la discipline et préconisait comme alternative de cultiver une élévation et une conviction spirituelles. Les pasteurs réformés aux États-Unis adaptèrent leurs pratiques pastorales à des conditions qui différaient de celles prévalant en Europe. Leurs convictions étaient les mêmes et leur filiation peut être établie avec leurs inspirateurs écossais, continentaux et puritains. Toutefois, l'absence de communautés et de structures paroissiales établies rendit difficile l'institution de procédures. Trinterud (1949) note, par exemple que bien que la « religion expérimentale » fut le fondement, Gilbert Tennant insiste sur le fait qu’ « un constant renouvellement de la repentance était … absolument essentiel » à la vie chrétienne. Et William W. Sweet (1936) décrit les congrégations presbytériennes tardives aux frontières3 cherchant à renforcer la discipline et à garantir la pureté ecclésiale grâce à des examens de conscience et à la « garde de l’autel [Fencing of the Table] »4. Seward Hiltner (1958) examina le travail du pasteur presbytérien du XIXe siècle Ichabod Spencer dans son effort, par le biais de visites diligentes, de conduire des hommes et des femmes angoissés à la repentance et à la foi. Spencer possédait un sens aigu de la responsabilité de guider les personnes en détresse tout en ressentant une compassion authentique face à leur angoisse. La contribution du puritanisme anglais à l’accompagnement pastoral dans cette tradition fut très importante. Ils partageaient des conceptions théologiques de fond avec leurs collègues et mirent eux aussi l'accent sur les codes de conduite et le souci des offenses. Toutefois, dans la mesure où ils n'ont jamais atteint le statut d'Eglise organisée, il leur a manqué une structure institutionnelle pour consolider une discipline. Leurs pasteurs s’adonnèrent en revanche à la casuistique et à la guidance des individus et des familles. William Perkins exprima cet objectif d'éveiller et de guider les consciences lorsqu'il affirma : « Tout comme le juriste est un conseiller pour leurs biens et le médecin pour leur corps », le ministre est le « conseiller pour leur âme », qui « doit être prêt à donner des conseils à ceux qui viennent à lui avec des cas de conscience » (Niebuhr et Williams, p. 196). Le résultat de cette emphase sur la conscience fut une abondante littérature sur la casuistique qui ne saurait être mieux représentée que par les ouvrages de William Ames, Jeremy Taylor et Richard Baxter.                                                              3

 Dans le contexte de la conquête des Amériques.   Dans les Eglises presbytériennes écossaises, l’expression « to fence the table » renvoie à l’action d’exhorter la  foule afin de dissuader les personnes indignes de communier.  4

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Il ne fait aucun doute que la contribution la plus importante à l’accompagnement pastoral à cette époque fut celle de Richard Baxter avec son Pasteur réformé (Reformed Pastor). L’ouvrage fait montre de grandes exigences vis-à-vis des pasteurs et suggère qu’aux yeux de Baxter, l’accompagnement consiste en deux aspects. Tout d'abord, il doit révéler aux personnes le bonheur ou le bien qui est leur fin ultime. Deuxièmement il doit leur présenter les moyens justes de parvenir à cette fin, les aider à utiliser ces moyens et les décourager de tout effort contraire. Sa pratique consistait à passer quinze à seize heures par semaine à instruire les familles dans la foi, « fouillant les coeurs des hommes et y installant les vérités salvatrices ». Il rendait également visite aux malades et aux mourants, « les aidant à se préparer à une vie fructueuse ou à une mort heureuse ». L’accompagnement impliquait également des conseils et, de crainte que des conseillers moins avisés n’aggravent les problèmes, les personnes étaient invitées « à acquérir elles-mêmes les compétences requises ». De nombreux manuels donnaient des instructions sur les approches à adopter face aux différentes questions de conscience et aux états d'angoisse et de dépression. Un bon conseiller, était-il affirmé, devait tolérer la mauvaise humeur, ainsi que « les affections et actions anarchiques et dérangées ». Il devait partager les chagrins et les larmes, écouter attentivement, garder des secrets et ne pas s'adonner à la censure lorsque la conscience était indûment perturbée. Selon Baxter, l'office pastoral ouvrait un champ plus étendu que ces « hommes ne le croyaient, eux qui estimaient qu'il consistait uniquement à prêcher et à administrer les sacrements ». En résumé, on peut observer que les groupes établis au sein de la tradition réformée étaient un peu plus contraignants que les puritains dans l'accent mis sur la discipline quant à l’accompagnement pastoral, du moins pendant un certain temps. Parallèlement, les groupes écossais et continentaux assignèrent également davantage de responsabilités à la participation des laïcs, par l’entremise des aînés et des diacres. Toute la tradition reflète l'extension de l'objectif de la prédication à l’accompagnement pastoral. Les entretiens privés, les consultations, les amendements et les admonestations sont devenus des prolongements de l'appel au repentir et à la rectitude. Leur objectif commun était le soulagement de l'angoisse et l'orientation vers l’accomplissement de la vocation personnelle. e. Congrégationistes. Surgie en Grande-Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, une tradition s’est imposée aux États-Unis. McNeill la décrit comme des Eglises britanniques non anglicanes et leurs communions-filles. Les racines théologiques de ces groupes étaient l'anabaptisme, le piétisme et le puritanisme, de telle sorte que, sans exception, ils cherchaient la conversion et enjoignaient leurs membres à une vie droite. La vie, disaient-il, était un bref interlude, un champ de bataille où les forces du mal s'employaient à détourner le croyant de Dieu et du repos éternel. Ils se distinguaient par leur insistance sur l’accompagnement congrégationnel. En soi, ce n'était pas neuf ; « l’édification mutuelle » et « la correction fraternelle » caractérisaient l'essentiel de la vie congrégationnelle protestante. Mais le glissement vers un système d'Eglise congrégationnel opéré par les baptistes et les congrégationistes, ainsi que des circonstances géographiques pour ce qui est des méthodistes impliquaient que les laïcs assument un rôle plus important dans l’accompagnement pastoral. Ces généralisations apparaissent certainement vraies pour les baptistes britanniques. S'enracinant dans le puritanisme et le piétisme, ces groupes maintinrent des normes d'adhésion strictes. Leurs petites congrégations fournissaient un cadre aux relations intimes inhérentes à un accompagnement vigilant, tant avec leurs pasteurs qu’entre eux. John Bunyon, qui était le représentant le plus connu de l'époque qui s’est poursuivie jusqu'à l’Acte de tolérance [Act of Toleration] (1689), a précipité le déclin de la discipline et de la vie communautaire avant qu'elles ne soient reprises par les renouveaux évangéliques. 11 

Aux États-Unis, la vie baptiste est liée au congrégationalisme de la Nouvelle-Angleterre et au revivalisme [des communautés] de la frontière. Peu de ces Eglises disposaient de pasteurs réguliers, aussi la responsabilité de l’accompagnement pastoral incombait-elle à la congrégation. Ces groupes étaient liés par des conventions en vertu desquels ils consentaient à « veiller les uns sur les autres dans une tendresse fraternelle, chacun s'efforçant d'édifier son frère, œuvrant pour le bien des plus faibles du troupeau et à assumer les fardeaux les uns des autres » (Sweet, 1931). Les archives des premières Eglises baptistes font largement état de cette forme d’accompagnement. La discipline était prédominante, et prévalait souvent sur des questions alors considérées comme triviales, comme l’attention aux malades, aux veuves, aux familles et aux personnes en difficulté. Les indépendants britanniques ont également adopté un régime congrégationnel après l’Acte de tolérance [Act of Toleration], toutefois jamais de façon aussi complète que les baptistes. Isaac Watts et Philip Doddridge, deux de ces dirigeants les plus connus, entretinrent une riche correspondance reflétant la guidance spirituelle et le souci de la religion personnelle et familiale. Dodderidge mit l'accent sur les exercices religieux privés et sur les directives pour la vie spirituelle. En tant que pasteur, il sollicita les aînés pour rendre visite aux prisonniers et aux personnes se trouvant dans la détresse spirituelle. Ils se devaient de réprimander les mécréants et de ne pas épargner à leur pasteur tout caractère ou comportement offensants. Les puritains américains, en tant que successeurs de ces indépendants britanniques, sont mieux connus grâce aux travaux de Cotton et Increase Mather et Jonathan Edwards. Comme pour leurs mentors britanniques, la conscience était le thème de leurs prédications, conversations et préoccupations. Edwards encourageait ses membres à s'adonner à un accompagnement mutuel, ainsi qu’à des admonestations, et à ne pas simplement se préoccuper de leur propre âme. La négligence est « l’échec de notre devoir d'amour et de charité ». Cotton Mather estimait que l’accompagnement personnel des âmes était négligé et il enjoignit ses confrères à visiter, catéchiser et distribuer des livres afin de raffermir la piété, faciliter la réprobation et prodiguer une consolation. A la fin du XIXe siècle, The Christian Pastor and the Working Church de Washington Gladden révéla à quel point les congrégationistes s'étaient éloignés de ces racines. Il avisa les pasteurs que « la seule chose qui soit utile que les paroissiens sachent, c’est qu’il le pasteur les aime et qu’il leur veut du bien » (McNeill, p. 118). Au chevet des malades, il suggérait « quelques paroles agréables et sympathiques aux patients ». Depuis le début, John Wesley a organisé le méthodisme en groupes aux fins de confession mutuelle et de discipline. Ses sociétés étaient subdivisées en cercles d’une douzaine de personnes selon des critères d’appartenance sexuelle et de situation matrimoniale. Avec leur directeur, ils devaient « s’aider mutuellement à travailler à leur salut ». Ils devaient assumer leurs fardeaux mutuels et « faire tout le bien possible » ; ils devaient donner à manger aux affamés, vêtir les indigents, visiter et aider les malades ou les prisonniers et « instruire, réprouver et exhorter » (McNeill, p. 279). Ils devaient également entretenir des relations commerciales entre eux, pratiquer la frugalité et assister au culte. Les groupes de Wesley devaient beaucoup au piétisme et auraient ravi Spener. Wesley lui-même fut un modèle pour ses successeurs. Il parlait constamment aux angoissés, aux esprits troublés ou affligés, visitait les malades et accompagnait les prisonniers condamnés à mort. Sa volumineuse correspondance tourne autour du thème des besoins spirituels des personnes. Il souhaitait des conversions, c'est certain, mais il voulait également encourager le chemin vers la sainteté et ramener les brebis égarées. Aux États-Unis, Francis Asbury fut l'héritier de Wesley. Il voyaga constamment, toujours 12 

prêt à s'engager dans le conseil et la guidance personnels fondés sur sa foi évangélique. Asbury insistait sur le maintien des normes de la Discipline. « Notre société », écrivait-il, « pourrait être considérée comme un hôpital spirituel où les âmes sont venues pour être guéries de leurs maladies spirituelles » (Mills, 1965). La base de cet accompagnement était la conversion. Mais la perspective de la rechute exigeait des efforts pour obtenir le « salut total » et la structure sociétale de Wesley était le véhicule de cet accompagnement. Il ressort que certains principes théologiques sous-tendent les pratiques de l’accompagnement pastoral de chacune de ces traditions : tout d’abord, le postulat que les personnes étaient créées à l'image de Dieu et que leur destinée authentique était de rencontrer Dieu. Entre-temps, cette rencontre devait être préparée et l’accompagnement pastoral était inhérent à ce processus. A la fin du XIXe siècle, ces affirmations n'étaient pas aussi largement partagées. Les courants de sécularisation et technicisation offrirent les symboles de la science comme moyens alternatifs de compréhension tout à la fois de la détresse humaine et de sa prise en charge et fournirent un cadre aux problématiques et aux possibilités particulières de l’accompagnement pastoral au XXe siècle. 5. Le XXe siècle. Il est indéniable que l'influence la plus importante du XXe siècle sur l’accompagnement pastoral a été l'émergence et la prééminence des sciences psychologiques. D'une part, leur influence a favorisé un accent sur l’accompagnement pastoral, ce qui a conduit H. Richard Niebuhr à le décrire en 1955 comme le mouvement le plus important dans la formation théologique. D'autre part, leur présence symbolisa la diminution des compréhensions théologiques de la vie humaine et offrit des conceptions alternatives, et parfois concurrentielles, de la détresse humaine et des moyens de la soulager. Les efforts des pasteurs et des formateurs en théologie pour se frayer un chemin au milieu d’affirmations théologiques incertaines et la sécularisation de l’accompagnement façonnèrent l'histoire récente de l’accompagnement pastoral. Les pasteurs et les formateurs en théologie furent prompts à discerner l'importance de la psychologie et de la psychothérapie pour le ministère. Suite à l'initiative d'Anton Boisen en 1925, il suffit de deux décennies seulement à la plupart des grands séminaires de théologie pour pourvoir des chaires d’université à temps plein versées dans ces disciplines, en vue d'enseigner l’accompagnement pastoral, et une abondante littérature commença à voir le jour. Ces professeurs et auteurs entreprenaient une tâche difficile. En même temps, ils s’efforcèrent de réinterpréter le travail du ministère avec l’éclairage de diverses théories psychologiques, en particulier l’approche centrée sur la personne (Client-Centered Therapy) de Carl Rogers, et de maintenir un lien avec les traditions en définissant le ministère et l’accompagnement pastoral comme des champs distincts d'autres professions et formes de soins. La littérature atteste un intérêt pour tous les dilemmes humains qui ont servi à cibler la préoccupation pastorale. Sa distinction réside dans l’hésitation de ses jugements théologiques normatifs et dans ses doutes concernant la confrontation et la discipline. Holifield estime que ce déplacement de priorité s’est effectué sur trois siècles et suggère qu'il s’agit d’un glissement de la notion théologique de salut vers l'idéal culturel d’accomplissement de soi en tant qu’objectif de l’accompagnement pastoral. Toutefois, cette vision des choses est peut-être trop simpliste, car une étude de cette littérature révèle sans aucun doute que les fers de lance de ce mouvement - par exemple Anton Boisen, Carroll Wise, Wayne Oates, Paul Johnson, Ruell Howe, William Hulme, Howard Clinebell - ont eu maille à partir avec la question d’une compréhension théologique. En tout état de cause, la pratique connut un grand succès, produisant des spécialistes en formation clinique (Association for Clinical Pastoral Education), en conseil pastoral (American Association of Pastoral Counselors) et des programmes d'études supérieures dans les séminaires de théologie. A l'exception de l'Eglise catholique romaine et des groupes chrétiens conservateurs, ces 13 

développements semblent avoir caractérisé l’accompagnement pastoral jusqu'en 1970. Plus récemment, un nombre croissant de personnes - telles que Don Browning, Edward Farley et Charles Gerkin - ont suggéré que l’accompagnement pastoral dépendait trop de sa discipline auxiliaire, la psychologie, et avait perdu son ancrage théologique. La tradition catholique romaine, contrairement à d'autres, a résisté aux incursions de la psychologie et s'est maintenue jusqu’au Concile de Vatican II. Les travaux de ce concile ont jeté les bases d'une compréhension élargie de l’accompagnement et d'une réinterprétation de la tradition sacramentelle et ont rendu possible une participation accrue des catholiques romains dans la compréhension élargie de l’accompagnement pastoral. Les chrétiens conservateurs et d'autres groupes ont eu tendance à considérer avec prudence ces glissements au niveau de l’accompagnement pastoral. Ils ont exprimé leur crainte de voir les novateurs abandonner la Bible et évincer une compréhension adéquate de la foi et de la vie chrétiennes. Ces dernières années, ces mêmes voix ont commencé à articuler un accompagnement pastoral évangélique et à produire une abondante littérature. Lorsque l'on s'enquiert de l'état actuel de l’accompagnement pastoral, il convient de faire plusieurs observations. Premièrement, malgré les incertitudes quant à sa définition, l’accompagnement pastoral continue d'être une activité essentielle pour les ministres et les laïcs. Les préoccupations pérennes de la maladie, de la mort, du conflit familial et de la dépression sont aujourd'hui rejointes par le divorce et une multitude de questions morales et éthiques complexes autour de l'avortement, du concubinage de la prolongation de la vie et de la vieillesse. Deuxièmement, la prise de conscience émergente de l'Eglise noire et la participation croissante de ses dirigeants dans l’accompagnement pastoral spécialisé introduit de nouvelles dimensions à la compréhension et à la définition de l’accompagnement pastoral. L’accompagnement pastoral dans l'Eglise noire (Pastoral Care in Black Church) d'Edward Wimberly offre un échantillon des contributions auxquelles on peut s'attendre. Par ailleurs, de plus en plus de femmes trouvent leur vocation au sein du ministère dans l’accompagnement pastoral. La littérature féminine en est à ses débuts, mais elle promet d'avoir une incidence importante sur la conceptualisation et la pratique de l’accompagnement pastoral. Enfin, on a de plus en plus l’impression que l’accompagnement pastoral néglige, à ses risques et périls, ses racines et sa vocation théologiques. Don Browning, Charles Gerkin, John Patton, James Lapsley, Don Capps, James Poling et bien d'autres s'efforcent de tenir compte du caractère théologique de cette entreprise. Il semble que des efforts concertés soient actuellement déployés pour revendiquer la place de l’accompagnement pastoral dans la tradition de l’accompagnement spirituel et pour considérer ses tâches comme intrinsèquement théologiques. Les gains chèrement payés de l'association avec les sciences psychologiques ne sont pas tous écartés, mais ces gains sont mis en relation avec l'héritage de l'Eglise. En conséquence, l’accompagnement pastoral puise ses racines dans une vision théologique du monde, tout en intégrant les forces et les voix critiques de la scène contemporaine. Ce que l'on voit apparaître dans ces initiatives plus récentes est une poursuite d'une longue et honorable tradition. Car l'engagement envers les personnes, dont témoigne l'histoire de l’accompagnement pastoral, et l’effort de discerner la signification de la vie en lien avec Dieu restent des idéaux fondamentaux pour tous ceux qui s’intéresseraient au soin des âmes. Auteur : L. O. MILLS Traduction de l’anglais par Fabienne Morisset Révision de la traduction et notes par Catherine Rohner 14 

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