Mémoire de la FQPPU présenté à Industrie Canada dans le cadre de

La Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université (FQPPU) déplore le fait que cette consultation ait été ... Jadis un organisme autonome ayant pour mission d'apporter un éclairage .... autres tâches, soit l'enseignement et la formation de la relève ainsi que les services aux collectivités. Enfin, si la ...
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Mémoire de la FQPPU

présenté à Industrie Canada dans le cadre de la consultation sur la science et la technologie

Février 2014

Ce document intègre les avis reçus des membres de la FQPPU dans le cadre d’une consultation interne sur le sujet.

Recherche et rédaction : Max Roy, président, FQPPU Hans-Olivier Poirier-Grenier, professionnel de recherche, FQPPU Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université 4446, boul. Saint-Laurent, bureau 405 Montréal (Québec) H2W 1Z5 Téléphone : 514.843.5953 Télécopieur : 514.843.6928 [email protected] www.fqppu.org

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Objectifs de la Consultation sur la science et la technologie et questions soumises à réflexion La Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) déplore le fait que cette consultation ait été annoncée moins d’un mois avant la date à laquelle les citoyens et organisations désireuses de se faire entendre puissent déposer leurs mémoires et avis. Il apparaît que ce court délai est loin d’être suffisant pour apporter un éclairage significatif sur des questions et enjeux d’une telle importance pour l’avenir scientifique et intellectuel du Canada. Les trois axes privilégiés par Industrie Canada – 1) Innovation au sein des entreprises; 2) Former des gens innovateurs et qui ont l’esprit d’entreprise; 3) Excellence en recherche et développement dans les secteurs publics et de l’éducation postsecondaire – ainsi que leurs questions sous-jacentes, témoignent du parti pris du gouvernement pour la recherche appliquée et soumise aux impératifs des entreprises. Une stratégie de recherche industrielle, qui pourrait avoir son utilité dans un autre contexte, ne peut se substituer à une véritable stratégie de recherche scientifique globale. En orientant le financement de la recherche au Canada vers les besoins des entreprises seulement, le gouvernement néglige de considérer l’ensemble des formes de sciences, qu’elles soient expérimentales, théoriques, spéculatives, sociales, pures ou artistiques. Or, la prise en compte de toutes les formes de savoirs, provenant de l’ensemble des disciplines, est essentielle au maintien du bien-être des communautés canadiennes. Si l’importance de l’économie et de l’innovation technologique n’est pas à démontrer, il en va de même pour les percées scientifiques dans les domaines de la santé, de la psychologie, des mathématiques, etc. Certes, le gouvernement souhaite que le Canada se démarque sur la scène internationale par ses innovations. Toutefois, il faut rappeler que les innovations n’émergent pas uniquement de partenariats avec les entreprises, mais aussi de travaux de recherches indépendants, effectués sur une échelle temporelle différente. Si le Canada veut se démarquer sur le plan scientifique à long terme, il doit continuer de financer des projets de recherche libres dont le rendement ne peut être connu à l’avance. La recherche orientée vers les entreprises détourne la universitaire et met en péril l’autonomie et la liberté académique

mission

Depuis 2007, année où le premier ministre Stephen Harper a annoncé sa stratégie en matière de sciences et de technologie – « Réaliser le potentiel des sciences et de la technologie au profit du Canada » –, des changements 3

significatifs ont été apportés aux infrastructures supportant la recherche publique au pays. D’abord, le Conseil national de recherche du Canada (CNRC), qui jusqu’alors avait pour rôle d’éclairer les décideurs et la population du Canada sur des préoccupations diverses en lien avec la science, a été transformé pour devenir un Organisme de recherche et de technologie (ORT), ni plus ni moins un centre de services de recherche pour les entreprises. Dans son plan d’action économique de 2013, le gouvernement définit en ces termes la nouvelle mission du CNRC : Le CNRC a pour objectif de stimuler la R-D dans le secteur privé afin de permettre au Canada de se tailler une place parmi les économies les meilleures et les plus dynamiques du XXIe siècle. […] Maintenant que le CNRC s’est restructuré pour devenir un ORT, les entreprises canadiennes ont accès, d’un océan à l’autre, à un appui à l’innovation de classe mondiale dans quatre secteurs d’activité : la R-D stratégique, les services techniques, la gestion de l’infrastructure scientifique et technologique, et le Programme d’aide à la recherche industrielle. (Gouvernement du Canada, 2013) Cette réorientation du CNRC n’est pas banale. Jadis un organisme autonome ayant pour mission d’apporter un éclairage scientifique global aux politiques publiques, il doit aujourd’hui rendre des comptes au ministre de l’Industrie et il est administré par un conseil de membres issus du secteur du « génie » ou d’entreprises diverses (NOVA Chemicals Corporation, Bell Helicopter Textron inc., Celator Pharmaceuticals Inc., etc.). Le CNRC n’a donc plus pour fonction de desservir la communauté scientifique, les décideurs publics et, par le fait même, l’ensemble des Canadiens, mais il s’adresse aujourd’hui uniquement aux entreprises désireuses d’obtenir du soutien en matière de R-D et d’innovation technologique. La consultation actuelle sur la science et la technologie s’inscrit donc dans le continuum des politiques scientifiques conservatrices et du Plan d’action économique du Canada, qui misent sur le rapprochement entre les scientifiques et les entreprises pour stimuler l’économie canadienne par le biais de découvertes et d’innovations commercialisables. De nouveaux programmes, tels que le Programme d’aide à la recherche industrielle (PARI), ont récemment été établis pour donner aux entreprises l’accès au savoir et au savoir-faire des chercheurs. Le fonctionnement est simple : les entreprises qui se qualifient reçoivent des notes de crédit qu’elles peuvent ensuite utiliser pour payer des services de recherche dans des universités ou d’autres établissements de recherche à but non lucratif. Le financement de la recherche est ainsi détourné des organismes subventionnaires traditionnels dotés de comités d’évaluation par 4

les pairs (CRSH, IRSC et CRSNG) et est confié aux entreprises, qui sont libres de financer, avec l’argent du public faut-il le rappeler, les projets susceptibles de leur profiter directement. Cette situation est problématique à bien des égards. D’abord, il s’agit d’une façon de détourner le financement public de la recherche à des fins privées. Ensuite, le fait qu’il n’y ait pas de comités de pairs aptes à juger de la pertinence des projets sur le plan scientifique fait en sorte que l’on concède aux entreprises le pouvoir de juger quelles recherches méritent d’être financées, alors que cette tâche nécessite le concours d’autres chercheurs. Enfin, ce type de financement contraint les chercheurs et les universités à travailler sur des problématiques issues des entreprises, au détriment de l’autonomie institutionnelle et de l’intégrité de la science. En mettant ainsi les chercheurs à la merci des entreprises pour obtenir du financement, on les prive de leur liberté académique, soit de pouvoir fixer les objets, les méthodes et les démarches de recherche qu’ils jugent appropriés et nécessaires eu égard à l’état des connaissances et dans le but de faire des découvertes profitables pour l’ensemble de la population. Cette façon de procéder au financement est aussi susceptible d’imposer des contraintes sérieuses en matière de publication des résultats de recherche, dans les cas où ceux-ci vont à l’encontre des intérêts des entreprises partenaires. Or, la publication des résultats est primordiale, tant en ce qui a trait à l’avancement de la science (confronter les résultats à ceux d’autres chercheurs) qu’à l’avancement de la carrière des chercheurs eux-mêmes. La recherche fondamentale et publique est source d’innovation à long terme Un autre problème majeur de la réorientation du gouvernement conservateur en matière de science – et qui se reflète dans la façon dont la présente consultation est dirigée – est le mépris qu’il affiche pour la recherche libre et fondamentale. Les visées utilitaires et profitables de la recherche privée et appliquée sont évidentes, mais pour être source d’innovation, elle doit pouvoir s’appuyer sur un corpus de connaissances scientifiques construit au fil du temps, dans une démarche désintéressée. Le caractère abstrait ou spéculatif de la recherche fondamentale n’enlève rien à sa valeur intrinsèque et à sa nécessité. À cet effet, il est intéressant de rapporter les propos de Gisèle Yasmeen, jusqu’à récemment vice-présidente du volet ‘Recherche’ du Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH) : Certaines des plus grandes découvertes se sont produites dans des situations où des résultats escomptés ou potentiels étaient indéterminés,

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que ce soit parce qu’elles étaient très en avance sur leur temps – comme les découvertes issues des travaux d’Einstein sur la physique théorique –, soit parce qu’elles sont intervenues par accident – comme dans le cas de la pénicilline. Si Banting et Best n’avaient pas eu la possibilité d’expérimenter librement, jamais ils n’auraient découvert la salvatrice insuline. […] Pour être sain, le milieu canadien de la recherche doit pouvoir compter sur des investissements diversifiés au profit d’une recherche disciplinaire, multidisciplinaire et multisectorielle visant des résultats à la fois immédiats et à long terme, dont bon nombre sont encore indéterminés. (Yasmeen, 2012) Malgré une augmentation du nombre de chercheurs, le financement de la recherche n’a cessé de diminuer depuis 2007-2008. Les sciences humaines et sociales sont les plus touchées, voyant leur budget diminuer de 10,1% en sept ans. Le CRSNG et les IRSC ne sont pas épargnés, avec une diminution de leurs budgets respectifs de 6,4% et de 7,5%. Le financement des frais indirects de recherche a aussi diminué de 7,9% au cours de la même période (ACPPU, 2013), ce qui a des conséquences directes sur les budgets et les activités universitaires. Cette situation est désolante, puisqu’en plus de mettre en péril des projets de recherche en cours, elle hypothèque l’avenir scientifique du Canada. Le temps et l’énergie que consacrent les chercheurs à accumuler les demandes de financement – lequel se fait plus rare – a aussi des conséquences sur leurs autres tâches, soit l’enseignement et la formation de la relève ainsi que les services aux collectivités. Enfin, si la pertinence de la recherche libre et fondamentale fait l’unanimité dans la communauté scientifique et universitaire, son financement a aussi grandement diminué depuis 2007-2008 au Canada. À titre d’exemple, le financement disponible pour la recherche fondamentale a chuté de 9,6% au CRSNG et de 9% au CRSH. Inversement, dans les budgets de 2012 et de 2013, le gouvernement a consenti la totalité des nouvelles sommes injectées en science à la recherche en partenariat avec l’industrie (ACPPU, 2013). Le financement de recherche concentré vers des « chercheurs vedettes » n’est pas une bonne stratégie Dans le document qui annonce la consultation – « Un moment à saisir pour le Canada : Aller de l’avant dans le domaine des sciences, des technologies et de l’innovation » –, le gouvernement annonce son intention de miser sur le recrutement des chercheurs les plus talentueux au monde pour stimuler l’innovation (Industrie Canada, 2014). Qu’importe leur apport en ce qui a trait à la réputation des universités qui les recrutent, des études démontrent que le fait de

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concentrer le financement de la recherche vers des « chercheurs vedettes » a un effet négatif sur la production (quantité d’articles publiés) et sur l’impact scientifique (nombre de citations par articles). Ainsi, dans les trois familles disciplinaires financées par des fonds publics provenant du gouvernement fédéral (sciences sociales et humaines, sciences naturelles et génie, puis sciences de la santé), « on observe une croissance rapide du nombre de publications dans les classes de montants (de subventions) plus petits, croissance qui devient de plus en plus faible au fur et à mesure que le financement augmente. Les résultats suggèrent non seulement un rendement décroissant, mais un déclin de la production associée à un financement plus élevé » (Larivière, 2013). Ce qui veut dire que le financement concentré n’est pas une bonne stratégie. C’est plutôt en répartissant le financement pour qu’un plus grand nombre de chercheurs en bénéficient qu’on augmente les probabilités que certains fassent des découvertes importantes. Ces résultats sont corroborés par une autre étude, réalisée par Fortin et Currie, qui ont étudié le phénomène pour les publications reliées aux sciences naturelles (Fortin & Currie, 2013). Conclusion Si les orientations en matière de science et de technologie contenues dans cette ébauche de stratégie sont en concordance avec la direction qu’a prise le Parti Conservateur en ce domaine depuis son élection en 2006 – et donc qui ne surprennent plus – la FQPPU ne peut que dénoncer de nouveau cette démonstration de mépris envers la communauté scientifique et, plus largement, la population canadienne. Aux questions contenues dans le document de consultation – telles que Quelles mesures pourraient être prises, par le gouvernement ou d’autres parties, pour améliorer la mobilisation des connaissances et de la technologie des universités, des collèges, des écoles polytechniques et des laboratoires gouvernementaux vers le secteur privé? Ou encore Comment le Canada peut-il continuer à former, à attirer et à maintenir en poste les chercheurs les plus talentueux au monde dans nos entreprises, nos établissements de recherche, nos collèges, nos écoles polytechniques et nos universités? – il nous est impossible de répondre sans les accréditer, alors qu’elles sont inacceptables. Nous réitérons ici l’importance de la recherche fondamentale, libre de toute contrainte. Celle-ci est systématiquement sous-financée depuis des années. Cette situation ne peut persister, car il en va de la crédibilité du Canada en matière de science sur la scène internationale, ainsi que du maintien des acquis 7

qui profitent à tous les Canadiens. Il appartient aux dirigeants de chaque État de soutenir ce type de recherche, puisqu’ils représentent la seule instance pouvant le faire. La recherche fondamentale, nous le rappelons, est une source d’innovation à long terme et sert de base à la recherche appliquée à des objectifs plus concrets. Il est aussi impératif de distinguer le soutien aux entreprises et le soutien à la recherche qui a des visées plus larges. L’objectif de la recherche universitaire n’est pas de répondre aux besoins immédiats des corporations, même s’il est possible qu’elle y contribue. Son utilité tient à la création d’un corpus de connaissances variées, multidisciplinaires et désintéressées. Cette somme de savoirs peut alors être le point de départ de nouvelles recherches. Elle peut aussi être le point d’arrivée de découvertes importantes. Il est déplorable que la stratégie fédérale en matière de recherche ne cible que les projets en lien avec le développement technologique commercialisable. Nous soutenons plutôt que l’intérêt des Canadiens commande des avancées dans une multitude de domaines et de disciplines scientifiques. Ne considérer que ce qui a des visées à très court terme témoigne d’un aveuglement volontaire ou du simple mépris pour ce qui est susceptible de remettre en cause l’idéologie conservatrice. Le temps presse. Le Canada a commencé à prendre du retard par rapport à la communauté internationale en matière de science. Le financement de la recherche est en déclin depuis l’année 2007-2008. L’insuffisance des budgets consentis aux frais indirects de recherche (FIR), en particulier, entraîne des difficultés nombreuses dans les centres universitaires. Nous recommandons que le gouvernement fédéral augmente à au moins 40% des FIR sa contribution financière, afin d’assurer la réalisation des projets subventionnés et la pérennité du secteur de la recherche. Enfin, le pouvoir consenti au secteur privé dans l’orientation des politiques de recherche au Canada préoccupe grandement. S’il est souhaitable que certains projets puissent soutenir la R-D des entreprises canadiennes par l’entremise de recherches partenariales, nous croyons que les entreprises elles-mêmes devraient être appelées à y contribuer financièrement, par l’entremise de la fiscalité. Les universités et les laboratoires de recherche financés à même les fonds publics ne doivent pas devenir des centres de services aux entreprises. Dans le même ordre d’idées, nous insistons pour que les trois conseils subventionnaires (CRSH, CRSNG et IRSC), ainsi que le CNRC, redeviennent indépendants et soient libres de déterminer leurs propres priorités et les critères pour juger de l’admissibilité et la pertinence des projets qui leur sont soumis.

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Bibliographie ACPPU (2013) Dossiers en éducation : Le financement fédéral de la recherche fondamentale, ACPPU, octobre 2013, vol.13, no.1. Fortin, J.-M. et D.J. Currie (2013) Big Science vs. Little Science : How Scientific Impact Scales with Funding, PLOS ONE, 8(6) : e65263. Gouvernement du Canada (2013) Le plan d’action économique du Canada : Transformer le Conseil national de recherche du Canada, Gouvernement du Canada. En ligne : http://actionplan.gc.ca/fr/initiative/transformer-conseilnational-de-recherches-du. Consulté le 30 janvier 2014. Industrie Canada (2014) Un moment à saisir pour le Canada : Aller de l’avant dans le domaine des sciences, des technologies et de l’innovation, Gouvernement du Canada. Larivière, Vincent (2013) La concentration des fonds de recherche et ses effets, Découvrir, ACFAS, Septembre 2013. Yasmeen, Gisèle (2012) Qu’en est-il des « domaines prioritaires » en matière de recherche?, Affaires universitaires, 14 novembre 2012.

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