MALBOUFFE,

national de recherche en agronomie de Corte a déjà mis au point une méthode pour débusquer la fausse charcuterie corse : « On fait un petit carottage sur un.
3MB taille 20 téléchargements 238 vues
Amis de la malbouffe, réjouissez-vous : notre cause avance à pas de géant. Pas un jour sans que les industriels de l’agroalimentaire ne lancent un nouveau produit sur le marché. Après les lasagnes au canasson, voici pour nous régaler le fromage sans lait, la frite aromatisée, les carottes recolorisées, la cuisine moléculaire, les yaourts aux lactobacillus, les bonbons astiqués au dioxyde de titane… Et pour demain, le lait de vache clonée, le hachis Parmentier aux punaises d’eau géantes ou encore le steak in vitro. Vive l’innovation innovante ! Mieux encore : le bio, dans lequel certains hurluberlus voyaient leur salut, est en train de rejoindre nos rangs. Fraudes massives, contrôles aléatoires, et surtout très laxiste réglementation européenne autorisent tous les espoirs : désormais, même les poulets élevés dans des hangars concentrationnaires, ébecqués et traités aux antibiotiques ont le droit d’obtenir l’estampille « Agriculture biologique » ! Et ce n’est qu’un début… Et puis il y a la crise, qui offre de merveilleuses opportunités : au consommateur désormais sans le sou, les industriels proposent de la bouffe bas de gamme, mais si joliment emballée, bourrée d’additifs, et tellement bon marché, qu’elle a de quoi faire saliver abondamment. À vos fourchettes ! Christophe Labbé et Olivia Recasens sont journalistes au Point. Jean-Luc Porquet et Wozniak sont journaliste et dessinateur au Canard enchaîné. Ils ont déjà publié Vive la malbouffe !, le premier guide enthousiaste de la malbouffe, qui est au présent ouvrage ce qu’un hors-d’œuvre est au plat du jour.

16 € ISBN : 9782-84230-466-9

VIVE LA MALBOUFFE, À BAS LE BIO!

VIVE LA MALBOUFFE, À BAS LE BIO !

VIVE LA MALBOUFFE, À BAS LE BIO!

CHRISTOPHE LABBÉ JEAN-LUC PORQUET OLIVIA RECASENS WOZNIAK

Le jambon sous plastique, c’est si bon Le jambon industriel ne réussit pas aux rats. C’est ce qu’a montré l’Inra en 2010. Pendant trois mois, des chercheurs de l’Inra de Toulouse ont rempli la moitié de la gamelle quotidienne de 344 rats avec quatre types de jambon cuit. Les braves rongeurs s’étaient vu injecter juste avant un puissant cancérogène. Le jambon sous plastique allait-il ou non en aggraver les effets ? Oui : les rats qui avaient profité de la pitance la plus farcie en nitrites affichaient le plus de microtumeurs du côlon. Or les nitrites, c’est ce que les fabricants de charcutaille saupoudrent généreusement sur leurs jambons. D’abord pour nous éviter d’être atteints de botulisme, une maladie neurotoxique qui vous paralyse en moins de deux. Mais aussi pour que le jambon sous cellophane ne vire pas marronnasse et insipide. L’industrie de la charcutaille a d’autant moins goûté l’expérience de l’Inra qu’elle avait mis la main à la poche. Une générosité conditionnée par quelques contreparties comme la signature d’une clause de confidentialité. Pendant les trois ans du contrat de recherche, les scientifiques ont ainsi été priés de la boucler. Et pas question bien sûr de fourrer le mot « jambon » dans l’étude, remplacé par un très fumeux : « viandes transformées 100

cuites, nitritées, oxydées et à forte teneur en hème ». L’hème étant la molécule qui donne sa couleur rouge à la viande et rosée au jambon. C’est elle qui, en se modifiant lors de la fabrication dudit jambon, est soupçonnée de favoriser le cancer du côlon, avec un effet bœuf quand on la mélange aux nitrites. Pour la petite histoire, les chercheurs se sont aussi aperçus que l’effet sur les rats du jambon cuit et nitrité était pire quand il avait pris un coup d’oxydation à l’air libre. En clair, mieux vaut ne pas laisser dormir au frigo ses tranches de jambon une fois qu’on a entamé le paquet. En 2007, déjà, le Fonds mondial de recherche contre le cancer avait fait le parallèle entre consommer de la charcutaille et le fait de se retrouver avec un cancer du côlon. Mais l’étude de l’Inra est la première à percer le mystère du jambon à effet cancérigène. Tout cela colle méchamment avec les statistiques qui montrent que les gros mangeurs de charcuterie ont 20 % plus de risques d’écoper d’un cancer du côlon que les adeptes du brocoli. Les fabricants de jambon, du genre discrets jusque-là, se sont mis à battre du tambour sur le thème : les « aliments modèles » utilisés pour l’étude n’ont rien à voir avec « les charcuteries proposées aux consommateurs ». Pour réconforter les amateurs de jambon, et au passage calmer le jeu avec les industriels, les chercheurs de l’Inra planchent désormais sur un moyen de modifier le procédé de fabrication de la charcuterie, par exemple en ajoutant des antioxydants comme la vitamine E. Des chercheurs qui n’ont pas envie de finir en chair à saucisse ?

101

Ciel, des pesticides ! Deux cent deux mille hectares : c’est la surface aspergée de pesticides chaque année en France par une noria d’hélicoptères et d’avions. Un joyeux nuage dont profitent à pleins poumons promeneurs, riverains et touristes, puisqu’une partie de ces épandages aériens s’effectuent l’été. Le Grenelle de l’environnement avait pourtant été formel : les pesticides tombés du ciel, c’était terminé. Et une directive européenne d’octobre 2009 en rajoutait une couche : « les États membres veillent à ce que la pulvérisation aérienne soit interdite. » L’affaire semblait bouclée. Sauf qu’en juin 2011 les ministères de l’Agriculture et de l’Écologie ont pondu un arrêté qui accorde une flopée de dérogations pour que les gros céréaliers et consorts continuent à traiter leurs champs avec des hélicoptères et des avions. Pour préparer le terrain, les deux ministères se sont appuyés sur un rapport qu’ils avaient euxmêmes commandé un an auparavant. Lequel conclut sans détour qu’« il est actuellement prématuré d’interdire la possibilité de recourir à l’aéronef ». Premier effet de ce rapport : le Grenelle a mis de l’eau dans son vin en acceptant l’idée de dérogations. Ne restait plus qu’à signer l’arrêté magique… Mais, au fait, quel est l’intérêtde l’épandage aérien ? Ça va beaucoup plus vite. Pour traiter un même champ, un avion mettra de 10 à 20 fois moins de temps qu’un tracteur. Pour la vigne, c’est de 50 à 100 fois plus rapide que de pulvériser à dos d’homme. Et puis, comme l’explique le rapport, l’interdiction de l’épandage aérien « pourrait fragiliser fortement des filières dans une conjonc-ture déjà très concurrentielle avec les autres pays producteurs ». Pour le maïs, le surcoût serait ainsi de 30 %. Depuis cet arrêté, les 59 hélicos et les 22 avions équipés de kits d’aspersion peuvent donc s’en donner à cœur joie. Cet été, si vous entendez ronronner, levez la tête et ouvrez les narines : voilà un cadeau tombé du ciel ! 137

Les arômes de fumée, c’est fumant ! Les arômes de fumée portent de jolis noms fumeux : Scansmoke R909, Smokez Enviro 23 ou Smoke Concentrate 809045. L’agroalimentaire en met dans les soupes de poisson, les viandes cuisinées, les saucisses de Francfort ou de Morteau, les biscuits à apéritif, le fromage, sans oublier, bien sûr, le saumon fumé. On s’en doute : ce petit goût fumé que l’on nous glisse sous les papilles n’est pas anodin pour la santé. L’Efsa a fourré son nez dans les onze arômes de fumée qui assaisonnent nos plats. Huit d’entre eux « présenteraient des problèmes de sécurité » pour les gros mangeurs. Prenez le Zesti Smoke Code 10 ou l’Unismoke que l’on trouve en pagaille dans les plats cuisinés, ils vous dézinguent les cellules hépatiques des rats et les cellules de moelle osseuse des souris. Or, selon l’étude

toxicologique sur le Zesti Smoke Code 10, « les marges de sécurité » sont « trop faibles compte tenu des niveaux d’utilisation ». Mais, au fait, pourquoi les industriels raffolent-ils des arômes de fumée ? Parce qu’ils ne coûtent pas cher et sont beaucoup plus rapides que le fumage artisanal. Pour obtenir du bon saumon fumé, prévoyez une semaine avec le vieux fumage au feu de bois, contre une journée seulement si vous le badigeonnez de fumée liquide. Y a pas photo ! D’autant qu’en plus des arômes de fumée, l’Europe a autorisé 357 ingrédients chimiques pour agglomérer, émulsifier, enrober ou colorer nos aliments… Et jusqu’ici personne n’a vraiment évalué l’effet de ces joyeusetés sur l’organisme quand on les sert en cocktail. Y a pas l’feu ! 17

Les vétérinaires de la guerre Voilà plus de trente ans éclatait le scandale du veau aux hormones. Depuis lors, on nous a juré que plus jamais on ne verrait débarquer dans notre assiette une côtelette farcie de médocs interdits. Eh bien ce n’est pas encore tout à fait ça… À Dijon, six vétérinaires se sont retrouvés en mai 2010 devant le tribunal correctionnel, pour une affaire sur laquelle la filière viande s’est gardée de battre le tambour. Ils étaient accusés d’avoir prescrit à des éleveurs, pendant des années, des médicaments vétérinaires interdits aux animaux de boucherie. En perquisitionnant dans leur clinique, les enquêteurs sont tombés sur des tas d’ordonnances que les six vétos faisaient parvenir à des éleveurs de poulets et de bœufs sans même voir les animaux. Parmi les substances, des antiinflammatoires, qui permettent d’envoyer à l’abattoir des animaux malades en leurrant les contrôles. D’après l’enquête, entre 12 000 et 15 000 ordonnances non confor-mes auraient ainsi été expédiées chaque année, avec à la clé un bénéfice de six millions d’euros par an. Un manège qui aurait duré au moins six ans, jusqu’à ce qu’en 2006 la justice y mette son nez… Les vétérinaires avaient vu les choses en grand. Pour répondre à la demande, ils stockaient les médicaments dans un entrepôt de 700 m2 où s’activaient cinq magasiniers. À l’audience, les six ont raconté qu’ils faisaient de la prévention et pas du soin, et que dès lors, une ou deux visites par an dans les élevages suffisaient pour adresser ensuite par fax les ordonnances sans revoir les animaux. Allant jusqu’à préciser que c’était même un moyen d’éviter que les éleveurs ne fassent n’importe quoi avec les médicaments, en particulier les antibiotiques ! Enfin, ils ignoraient que les autorisations de mise sur le marché avaient été modifiées, même si cela faisait de cinq à dix ans que lesdits médicaments, jugés dangereux pour la santé humaine, n’avaient plus droit de cité dans la gamelle des animaux de boucherie. Tout cela a poussé une association de défense des consommateurs (CLCV), à se porter partie civile. La moutarde est aussi montée au nez du procureur de Dijon qui a requis le maximum. Résultat, les vétos ont écopé de cinq à douze mois de prison avec sursis et de 5 000 à 15 000 euros d’amende. Mais toute cette histoire commence à dater. Soyons sûrs que de telles pratiques ont défintivement cessé…

178

Le vin bio prend l’eau Jusqu’en août 2012, la seule obligation du viticulteur désireux de faire du vin bio, c’était de fabriquer son vin avec des raisins bio. Et peu importait ce qui était rajouté dans le pinard après. Du coup, la Commission européenne a décidé de réglementer la chose. Et d’autoriser tout un tas de pratiques et d’ingrédients pas bio pour un sou ! De quoi faire voir rouge au Syndicat des vignerons indépendants. Six mille viticulteurs qui font leur vinification eux-mêmes au lieu de livrer leurs raisins à de grosses coopératives, et qui voudraient que le vin bio ne soit pas juste une formule sur l’étiquette. Parmi les joyeusetés que la Commission a autorisées, la thermovinification. Kezako ? Vous chauffez votre vin à 70 °C en cuve pendant trente minutes. La majeure partie des levures et bactéries présentes dans le moût tournent de l’œil. Puis vous saupoudrez le nectar avec des levures – bio de préférence –, qui vont refaçonner le goût. Un peu d’« IOC Révélation Terroir » dans votre gamay ou votre pinot noir, et vous intensifiez les arômes de fruits noirs et même la couleur. Avec de l’« IOC R 9005 » dans le merlot, vous augmentez la perception tannique. Autre technique dont pourra profiter le vin bio : l’osmose inverse. N’empêche. « Normalement ce qui fait la qualité du vin bio, c’est le travail dans la vigne et la façon de récolter au bon moment, râle un responsable du Syndicat des vignerons indépendants. Si on a de la belle matière, on n’a pas à traficoter derrière pour fabriquer un goût standard adapté au marché. » Ce n’est pas forcément l’avis des négociants et des grosses coopératives qui ont tenu la plume de la Commission, avec dans l’idée de siphonner le marché du vin bio, qui pourait tripler d’ici à 2015 pour atteindre 10 % de la production. Et glou, glou, glou…

183

Alertez les bonbons ! C’est pas si bon les bonbons… Selon les chercheurs de l’Université d’Arizona, qui ont publié début 2012 leur trouvaille dans la revue de la société américaine de chimie, les enfants qui se goinfrent de bonbons, chewing-gum et autres guimauves ne risquent pas seulement d’avoir les dents gâtées à cause du sucre, ils font aussi le plein de dioxyde de titane, un additif classé « cancérigène possible pour l’homme ». Le dioxyde de titane, dit TiO2, est un nano-ingrédient (pour mémoire, un nanomètre, c’est un millionième de millimètre), dont les industriels de l’alimentation raffolent parce qu’il permet notamment aux bonbons d’être particulièrement chatoyants. Prenez les fameux M&Ms. Une fois que vous avez badigeonné de sucre votre noisette grillée, il suffit de l’enrober de nanoparticules de dioxyde de titane pour être certain que le colorant va briller de tous ses feux et ne pas baver. Gag : on ignore comment elles se comportent dans notre organisme. Les seules études concernent les ouvriers dont les poumons sont attaqués par les nanoparticules qu’ils inhalent en usine. Dans un rapport sur les nano-aliments publié en 2010, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), prévenait : « Il n’est pas

37

possible d’évaluer l’exposition du consommateur ni les risques sanitaires liés à l’ingestion de nanoparticules. » Depuis, un groupe de travail d’une quinzaine d’experts phosphore sur les dangers des nano-ingrédients, avec en tête de gondole le dioxyde de titane… De son côté, l’Europe, après un an de négociations à couteaux tirés, a enfin adopté une définition officielle du nano-aliment, laquelle fait la part belle aux industriels. Est considéré comme un « nanomatériau », tout produit dont au moins 50 % des particules sont situées entre 1 et 100 nanomètres ; ce qui en exclut une palanquée. Depuis 2013, les industriels sont tenus d’indiquer sur l’étiquette la présence d’un nano-ingrédient. Voilà un nouveau jeu pour nos chères têtes blondes : s’amuser à déchiffrer les nano-inscriptions sur les emballages de leurs bonbons pour y repérer l’E171, ce farceur de dioxyde de titane…

38

On est tous caramel Tempête dans un verre de Coca-Cola : le fameux breuvage contiendrait un ingrédient cancérigène ! Le 4-methylimidazole, ou 4-MEI, est le sous-produit indésirable du colorant E150 qui donne sa chouette couleur au Coca. Étiqueté « colorant caramel », le E150 n’a pas grand chose à voir avec le caramel naturel… Pour fabriquer ce colorant chimique, faites chauffer des hydrates de carbone, en clair des sucres, au choix avec des composés d’ammonium ou des composés de sulfites. Pendant la manip apparaît le 4-MEI : une substance qui, quand on la fait ingurgiter à nos amis les rats de laboratoire, entraîne cancers du poumon, du foie, de la thyroïde ou leucémies. Une cannette de Coca contiendrait entre 133 et 137 microgrammes de 4-MEI. En décembre 2011, l’État californien a fixé un taux maximal par produit consommé de 29 microgrammes de cet ingrédient. Résultat, afin de pouvoir continuer à vendre leur boisson en Californie, les géants du soda ont demandé à leurs fournisseurs de E 150 de revoir dare-dare à la baisse la quantité de 4-MEI qu’il contient. Et dans le reste du monde, en Europe par exemple ? RAS. Nous pouvons continuer tranquillement à faire le plein de 4-MEI. Comme le rappelle Coca-Cola dans un communiqué : « De tels changements techniques ne sont pas requis compte tenu des règles de sécurité européennes. » Et d’enfoncer le clou : « L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en particulier a même réaffirmé la sécurité du colorant caramel en mars 2011, après avoir passé en revue l’ensemble de la littérature scientifique sur le sujet, 43

et elle a conclu que la présence de 4-MEI dans le colorant caramel ne représente pas de danger pour la santé. » Pour une fois, l’Europe est plus coulante que les États-Unis ! Bon, évidemment, si on épluche l’avis de l’Efsa, on relève quelques bémols à l’optimisme de la firme d’Atlanta. Tout en préconisant de nouvelles études, l’agence explique ainsi qu’il serait « prudent de maintenir » les concentrations des sous-produits de ces caramels colorants « aussi basses qu’il est possible de le faire d’un point de vue technologique ». Il est vrai que du 4-Mei on en trouve à peu près partout puisque l’industrie agroalimentaire utilise à gogo du colorant caramel pour teinter les sauces soja, le vinaigre, les bières brunes, le pastis, certaines céréales du petit déjeuner, les bouillons cubes, n’en jetez plus. Mais imaginez une bière brune qui ne serait pas brune ! Un verre de Coca qui n’aurait pas cette belle couleur marronnasse ! Des céréales blêmes ! Toutes ces jolies couleurs valent bien qu’on prenne quelques risques…

Des carottes de toutes les couleurs ! Colorer les carottes : c’est le programme de recherche de la plus haute importance sur lequel se sont mobilisés douze scientifiques à temps plein pendant quatre ans. Et cela dans l’un des fameux pôles de compétitivité où l’on fait turbiner les chercheurs du public pour booster les performances des entreprises. Une idée de Chirac, reconduite par Sarkozy qui a mis 1,5 milliard d’euros sur la table. Le pôle Végépolys d’Angers a donc eu l’idée de nous égayer l’assiette avec des carottes en Technicolor. Nom du programme : Pigments carotte. La manip consiste à bidouiller les gènes responsables de la couleur. Retirez à la carotte les caroténoïdes qui l’ont faite orange, et mettez à la place, au choix, du lutéine pour la rendre jaune, du lycopène pour le rose, de l’anthocyane si vous voulez une carotte violette, ou enlevez-lui tous les pigments et la voilà blanche. Prix du coup de peinture : 320 000 euros, dont un peu plus de 20 % apportés par le conseil de la région Pays de la Loire… Officielle44

Au cul de la citerne Imaginez que le jus d’orange ou le verre de lait que dégustent chaque matin vos gamins ait voyagé dans un camion-citerne qui, la fois d’avant, transportait des huiles de friture usagées, des déchets en plastique recyclé ou des sous-produits animaux impropres à la consommation humaine, ou mieux encore des engrais liquides. Impossible ? Non… La Répression des Fraudes dispose depuis fin 2012 d’un rapport secret pas très ragoûtant sur la « Sécurité des transports de produits alimentaires ». Le résultat d’une enquête réalisée cette année-là dans le petit monde des transporteurs routiers par camion-citerne. Tous les ans, en effet, des tonnes de chocolat, café en grains, miel, confiture, margarine, moutarde, sont trimbalées dans des dizaines de milliers de citernes tractées. Questionné sur le sujet par Le Canard (26/12/12), Bercy indique pudiquement : « La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a constaté de nombreuses anomalies, et dans quelques cas, de graves manquements. » Lesquels ? Le rapport de la DGCCRF étant, comme d’habitude, estampillé confidentiel, on est prié de se contenter de cette généreuse précision : « Les investigations ont mis en évidence que des citernes dédiées au seul transport de produits alimentaires [jus de fruits, produits laitiers liquides, huiles alimentaires…] avaient pu être également utilisées pour transporter des sous-produits animaux impropres

47

à la consommation humaine, comme des graisses animales (de bœuf, de porc, de volaille ou de poisson), des huiles de friture usagées, des matières plastiques (granulats), voire des engrais liquides. » Quels aliments, et de quelle marque, se sont par exemple retrouvés dans des citernes qui avaient contenu des engrais ? Quid des consommateurs qui en ont profité en bout de chaîne ? Motus et bouche cousue. En théorie, ces transports qu’on appelle « alternés » sont strictement interdits par Bruxelles. Mais pour ne pas revenir à vide, et rentabiliser leur camionciterne, certains transporteurs sont prêts à tout. Mis au parfum de l’embarrassant rapport des Fraudes, l’Association nationale des industries alimentaires a signé dare-dare, en août 2012, une nouvelle charte avec l’Association professionnelle des laveurs intérieurs de citernes agréées (oui, ça existe), et la Fédération nationale des transports routiers. Objectif : « garantir la sécurité sanitaire des produits alimentaires transportés en vrac, liquides ou pulvérulents ». Depuis 1996, c’est juste la troisième version reliftée! Mais bon, du moment qu’il ne s’agit pas de citerne à lisier…

48

L’affaire du saucisson corse se corse Ah le délicieux figatellu corse ! Et le lonzu, la coppa, le prisuttu, tous si goûtus ! Chaque année, les touristes amateurs de produits du terroir se régalent avec ces charcuteries forcément 100 % corses fabriquées avec du porcu nustrale, le cochon du cru, élevé pendant douze à dix-huit mois sous les châtaigniers, et amoureusement nourri aux glands. Sauf que 300 tonnes à peine proviennent vraiment de cochons autochtones. Tous les autres cochons sont importés sous forme de carcasses ou de morceaux « prédécoupés » venus de Bretagne, d’Espagne, des PaysBas et même de Chine. Ou, dans le meilleur des cas, ils arrivent sur pied, âgés de 6 mois, pour une finition de quarante-cinq jours avec des glands, les seuls qu’ils auront goûtés dans leur vie. Le tout est ensuite transformé sans complexes en spécialités locales, avec l’estampille « charcuterie corse » agrémentée de la tête de Maure ou de la carte de l’île… C’est en pleine saison touristique que le numéro 2 de la Répression des Fraudes en Haute-Corse s’est permis d’officialiser ce secret de polichinelle (Corse Matin, 7/1/11) : « Moins de 10 % de la charcuterie insulaire est faite de façon traditionnelle, soit seulement 1 000 tonnes sur les 11 000 produites chaque année! » Pourquoi se gêner ? En Corse on a le droit de faire de la coppa ou du ficatellu avec du cochon industriel chinois qui a poussé trois fois plus vite en avalant des granulés. Et nul besoin de le signaler au consommateur. Aucune réglementation n’oblige en effet à préciser l’origine de la viande sur l’étiquette. Au grand dam des 150 petits producteurs qui s’échinent encore à faire leur saucisson ou leur jambon avec du porcu nustrale, engraissé pendant dix-huit mois à raison de 3,5 kilos de châtaignes quotidiennes. Ça fait des lustres qu’ils réclament une AOC afin de protéger la charcuterie corse… De son côté, l’Institut national de recherche en agronomie de Corte a déjà mis au point une méthode pour débusquer la fausse charcuterie corse : « On fait un petit carottage sur un jambon et après analyse nous savons s’il s’agit d’un porcu nustrale élevé aux châtaignes », explique François Casabianca, l’un des chercheurs du labo. Le « taux de gras persillé », comprenez le gras dans les muscles qui donne le goût, « est six fois plus élevé que chez un cochon industriel ». Mieux, on peut aussi savoir si la bête a réellement mangé ses 3,5 kilos de châtaignes par jour. « La qualité du gras n’est pas la même. On trouve en quantité de l’acide oléique. » Le top des acides gras, qui a fait la réputation santé de l’huile d’olive. En mars 2011, la charcuterie corse a enfin décroché son AOC. On peut donc désormais ripailler les yeux fermés.

50

Sauf que ladite estampille ne vaut que pour la coppa, le lonzu, le prisuttu. Le figatellu, le saucisson de foie, n’est bizarrement pas concerné. On peut donc sans complexes continuer à en fabriquer avec du cochon chinois. Et à consommer aussi du fameux saucisson d’âne. Lequel n’a jamaisété une spécialité locale. C’est une invention d’Uderzo et de Goscinny pour les besoins de l’album Astérix en Corse. Qu’importe, pour satisfaire le touriste, on en fabrique à la pelle avec des cochons importés et des morceaux d’ânes argentins.

51

Les bons conseils du docteur Ronald Jolie scène, ce jour de juin 2012 à Nice : déguisés en clown Ronald (la mascotte de McDo), une poignée de professionnels de la santé, soignants, médecins généralistes, diététiciens et étudiants en médecine, sans oublier quelques citoyens ordinaires, ont défilé aux cris de : « Non à la médecine McDonald’s ! » Et ce devant le Congrès de médecine générale, un grand raout annuel parrainé par le ministère de la Santé. Pourquoi ? Parce qu’au menu de ce grand rassemblement on trouvait des thèmes de réflexion croustillants comme : « Amélioration du contenu nutritionnel du repas : l’expérience d’une chaîne de restauration rapide peut-elle être intéressante pour le généraliste ? » À la tribune, ce jour-là, apparaissaient Sébastien Pérochain, responsable du département affaires publiques de McDonald’s France ; Serge Michels, patron d’Entropy Conseil, la filiale de Protéines, l’agence de communication incontournable de l’agroalimentaire, qui a pour client McDo ; mais aussi la nutritionniste Pascale Modaï, un médecin indépendant que Le Canard (17/03/10) avait déjà mise à l’honneur lorsqu’elle intervenait, rémunérée par CocaCola, lors du Medec, autre grande messe médi-cale, sur le thème « L’hydratation au quotidien : quels bénéfices pour la santé de vos patients ? » Rien de plus normal puisque cette « session partenaire » du Medec était organisée par McDonald’s France, qui, avec Coca-Cola, sponsorisait ce VIe Congrès de médecine générale. On le sait, depuis que l’industrie agroalimentaire est pointée du doigt pour les désastres que la malbouffe provoque sur la santé, elle se décarcasse pour se mettre des médecins dans la poche. Elle les enrôle dans des comités scientifiques, les fait travailler sur des pseudo-études, s’invite dans leur formation, parraine leurs congrès avec conférences et stands à la clé… Bref l’agroalimentaire est presque aussi fortiche que l’industrie pharmaceutique pour faire passer le bon message et vendre sa soupe auprès des blouses blanches. À Nice, sur le programme remis aux médecins, on pouvait ainsi lire : « CocaCola commercialise en France 11 marques et plus de 60 références, dont plus de la moitié sont sans sucre ou à teneur réduite en sucre. » Les manifestants, réunis en association sous le doux nom de Mouvement de désaliénation des médecins, ont tenu à signaler qu’un congrès médical financé à hauteur de 5 % par Coca et McDo, et programmant des « sessions partenaires », est un congrès d’où sortent des médecins tout sucre avec l’agroalimentaire. On se demande de quoi se mêlent ces enquiquineurs qui n’ont sans doute jamais dégusté un Big Mac de leur vie ! 59

L’eau minérale bol ! Derrière les Italiens, les Français sont les plus gros buveurs d’Europe. Les plus gros buveurs d’eau. Cent quarante litres d’eau minérale par an et par tête de pipe. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans. Il faut dire que les marchands d’eau,Danone et Nestlé, nous le répètent sur tous les tons : l’eau minérale aide à mincir, à renforcer les os, à préserver son « capital santé », à garder sa vitalité, etc. Et voilà que l’association UFC-Que Choisir a eu la bonne idée en juin 2012 d’analyser 35 marques d’eaux minérales, gazeuses et plates. Résultat : 16 d’entre elles, près de la moitié, sont non conformes. Pourquoi ? Parce qu’elles « ne répondent pas aux exigences de qualité des eaux destinées à la consommation humaine ». Et d’en rajouter une lou-che : « Elles seraient interdites au robinet en raison de leur composition. » Prenez le sodium. Sept eaux minérales dépassent la norme de potabilité : Rozana, Puits Saint-Georges, Sainte-Marguerite, Châteauneuf Auvergne, Manon, Vichy Saint-Yorre et Vichy Célestins. Les deux dernières décrochent le pompon, avec respectivement 1 708 et 1 172 milligrammes de sodium, quand la limite maximale pour l’eau du robinet est fixée à 200 mg/l. Hypertendus, insuffisants cardiaques ou rénaux, s’abstenir ! Côté sulfates, 4 eaux sont « en gros excès ». Hépar, Courmayeur, Contrex et Saint-Antonin. Les vendeurs de flotte vont-ils se démener pour améliorer ça fissa ? Non. Les normes de potabilité qui s’appliquent aux eaux du robinet ou de source ne les concernent pas. Les eaux minérales bénéficient d’une législation sur mesure. Pour le fluor par exemple, elles ont le droit d’afficher 5 mg/l quand celle du robinet est plafonnée à 1,5 mg/l. Résultat : les minéraliers peuvent tranquillement mettre en vente dans les rayons les trois marques (Quézac, Châteauneuf Auvergne et Manon) qui pulvérisent la norme de potabilité appliquée à l’eau du robinet. Et tant pis si l’Académie de médecine écrivait, dans un rapport rendu public en 2006, que les eaux minérales trop chargées en sodium, en fluor ou en sulfates, 62

« ne devraient pas être proposées comme boissons de consommation courante »… Et n’oublions pas l’antimoine, qui peut s’ajouter au cocktail. Utilisé comme fixateur dans la fabrication de certaines bouteilles d’eau en plastique, ce métal lourd migre allègrement dans la flotte. Quels effets sur l’organisme ont toutes ces joyeusetés quand on les consomme régulièrement à petites doses ? On n’en sait rien. Si l’eau minérale coûte en moyenne de 100 à 300 fois plus cher que l’eau du robinet, c’est sans doute grâce à tous ces petits plus. Ça coule de source…

63

Les fongicides n’aiment pas la solitude Qui a dit que les fabricants de pesticides n’avaient pas la fibre écolo ? Non seulement ils ont baptisé leur association professionnelle, Union des industries pour la protection des plantes, mais ces grands protecteurs de la nature répètent à l’envi qu’ils encouragent leurs clients agriculteurs à y aller mollo sur le pulvérisateur. La quantité de fongicides et autres insecticides aspergée chaque année en France n’est elle pas tombée en dix ans de 100 000 à 62 700 tonnes ? Le Grenelle n’a-t-il pas promis que, en 2018, nous passerions sous la barre des 40 000 tonnes annuelles de pesticides répandus dans les champs ? Il y a juste un petit détail… Le tonnage a diminué, mais les produits sont de plus en plus costauds. Pourquoi ? Parce que la mode est aux combinaisons de pesticides. Mélanger plusieurs molécules permet d’en démultiplier les effets, mais aussi de rester dans les clous lors des contrôles. Au lieu d’employer à bloc une seule substance qui ferait exploser les compteurs, l’astuce consiste à en utiliser plusieurs à de petites quantités, chacune d’elles restant en dessous de la limite autorisée. Voilà pourquoi le consommateur à qui viendrait l’envie d’analyser les fruits

et légumes qu’il consomme retrouvera en moyenne les résidus de deux à cinq pesticides différents. Or cet « effet cocktail », en même temps qu’il dope l’efficacité des produits, démultiplie les risques pour la santé, comme l’ont montré des chercheurs en toxicologie de l’université d’Aston (Angleterre). Les dom72

mages infligés aux cellules par les combinaisons de pesticides sont, affirmentils dans le journal scientifique en ligne Plos One (03/08/12), de vingt à trente fois plus importants que lorsque les mêmes substances sont utilisées séparément ! « Lors de l’évaluation toxicologique des produits, il ne faut plus se contenter de regarder la dangerosité molécule par molécule, on doit prendre en compte les effets combinés des substances, ce que les autorités sanitaires européenne refusent de faire », regrette François Veillerette, porte-parole de l’ONG écolo Générations Futures, qui a cofinancé l’étude britannique. Les trois pesticides analysés par les chercheurs sont parmi les plus utilisés. Nos agriculteurs les vaporisent pêle-mêle sur quasiment tous les arbres fruitiers, les fraisiers, le melon, la carotte, le fenouil, mais aussi les laitues et les scaroles, les haricots verts, les lentilles ou encore le blé. On se disait bien que les scaroles avaient un petit goût relevé, ces derniers temps…

73

Nom d’une frite ! C’est comme si tout à coup certains restaus s’étaient remis à faire d’authentiques frites maison. Vous savez, ces pommes de terre épluchées à la main et taillées au couteau en grosses tranches généreuses et cabossées. Comme le client commençait à faire la moue devant son assiette de frites surgelées standardisées (on lui en fait avaler 240 000 tonnes par an), l’industrie agroalimentaire a inventé la Steakhouse. Une vraie fausse « frite maison » qu’on trouve même chez McDo. Imaginez des patates qui, après avoir atterri sur des tapis roulants, sont successivement brossées, pelées, tranchées, désamidonnées à l’azote (pour éviter qu’elles ne collent entre elles), blanchies et préfrites dans un bain d’huile (pour gagner de une à deux minutes sur le temps de cuisson chez le cuistot), séchées, surgelées, empaquetées sous vide. Avec une date limite de consommation de vingtquatre mois et une durée de vie de sept jours une fois décongelées. Un bonheur pour le restaurateur, lequel peut choisir en prime le « marquage frite » : la frite est zébrée d’un coup de grille chauffante, comme si elle avait été dorée au four. Ou opter pour la « frite aromatisée », en fait un enrobage d’épices avant trempette dans l’huile. Pour faire cuire ladite frite, la plupart des cuistots utilisent la Risso Chef, un mélange d’huiles bas de gamme agrémentées d’un antimoussant… Et puis il y a le petit plus. Comme on le lit dans L’Auvergnat de Paris (mars 2010), l’hebdo des hôtels-restaurants, la « frite maison » grossièrement taillée permet un bon « foisonnement », comprenez qu’elle donne une impression de volume dans l’assiette. Une fausse frite qui a vraiment la frite !

75