Mainmise, la belle histoire d'un magazine freak

[Basile] découvre ahuri un petit pusher, citant Virgile, fanatique de Mozart, inconditionnel de Led Zeppelin et Pink Floyd. On se rencontre le lendemain et c'est la.
5MB taille 58 téléchargements 422 vues
QUÉBEC & CONTRE-CULTURE par Lise Ouangari

e s i m n i Ma le l e b la d’un e r i o t s hi e freak n i z a g ma

e arrrrivivéée ’ l r a a p ’ rqquuééeeparel unee a m r é t a caaéété me conssttrruuiirre un rallèlele e b é c u e auuQQuéb i rêvaaiittdde conmatoionnppaarallè e r u t a l u v r ti u e e nttrree--ccultuer « freeaakk»»qqui rreêvuedd’i’ninffoormtariarcaal leettsse o c a n l r , e c in f 0 co e u meeppaatriaerntiess!! ess1199770, lda’unmmaaggaazzinem«aiennttcceetttte renv systtèèm é n n e a i aie faireuun sys ssseevventie e slelessannékiosqquueessd’un es qui iaannim l n s a é e n s r D d a e i s Dan danslelesskios nes hipipppiei s qu cesppoouurrdéfa . Retoouurrddans l dans». Lessjejeuunes hs conssccieiennces mmattioionn. Ret n o a uttooppieie». Lnet lbibéérreerrleles céoté deeccoonnssomm « u « sociéi té d oulaeient li vvoulaéilivreerrddeelalasoc ddélivr

QUÉBEC & CONTRE

-CULTURE

mainmise la belle histoire d’un magazine freak En haut, de gauche à droite - Pierre Gaboriau, Serge Litalien, Kenneth Chalk, Roch Michon, Michel Bogosse. En b a s - M a r i e -T h é r è s e C h a u v e t , G e o r g e s K h a l , L i n d a G a b o r i a u . Debout dans l’entrée - Jean Basile. (c) Marc-André Brouillard

À

Montréal, une métropole culturelle et étudiante, des jeunes hippies se sont réunis pour créer, en 1970, « un réseau d’information parallèle ». Ils lancent un magazine francophone complètement allumé où l’on parle de masturbation, d’orgasme féminin, de rock, de « dope », mais aussi d’écologie, d’alimentation, de droit des homosexuels… Mainmise devient le relais de la culture « freak » au Québec. « Bête curieuse », « mec bizarre », « erreur de la nature », « anormal », « marginal », « drogué », « hippie »… le Freak a autant de qualificatifs aux tendances péjoratives mais qui deviennent à partir des années 1960 une fierté et même une identité. Membre du réseau Underground Press Syndicate, la rédaction de Mainmise accède à d’innombrables textes américains. Près de la moitié de leurs articles sont des traductions d’auteurs et penseurs qui incarnent leurs idéaux. Si cette démarche leur a valu des critiques, le but était de renseigner et partager les alternatives et réflexions utiles à leur cause où quelles soient. « Le problème majeur de tout groupe social parallèle est celui de la communication. Nous appelons ça le branchement », écrit Pénélope, la plume fondatrice de la revue (MM#5).

Ci-dessus une photo souvenir du gros de l'équipe de Mainmise 1975-76. (c) Jean Guernon R o l l a n d Va l l é e e t M i c h e l B é l a i r 1 9 7 3 ( c ) R o l l a n d Va l l é e

«   L a d o p e n ’a j a m a i s é t é et ne sera jamais notre objet premier. La dope est une arme radicale pour la l i b é r at i o n d e s e s p r i t s . »

Aux origines de Mainmise Parisien d’origine russe, Pénélope, de son vrai nom Jean Basile Bezroudnoff, est arrivé à Montréal en 1960. Il est critique de théâtre pour le quotidien de référence Le Devoir. C’est de sa rencontre avec George Khal en 1968 que naîtra Mainmise. De retour d’un long voyage en Europe puis à New York dans l’East village où il plonge dans la contre-culture, George Khal revient à Montréal hippie et « pusher » (dealer). Un jour, il reçoit un appel de Jean Basile. Il veut lui acheter de l’herbe. La discussion s’égare vite entre musique et littérature. Retranscrit sur un post du blog « paspied » consacré à Mainmise, George Khal raconte: « Et voilà qu’il [Basile] découvre ahuri un petit pusher, citant Virgile, fanatique de Mozart, inconditionnel de Led Zeppelin et Pink Floyd. On se rencontre le lendemain et c’est la découverte réciproque de deux âmes sœurs, deux grands enfants… Riches de tous les ancêtres du monde… Des mois durant nous fumerons de l'herbe et dropperons des acides ensemble tout en écoutant les derniers disques rock sortis, et les symphonies de Mahler, et Tommy et Haendel. Et surtout nous rions comme des fous, deux vedettes de la pataphysique internationale ». Après six mois passés derrière les barreaux à la suite de la découverte d’un kilo de cannabis chez lui, George Khal retrouve Basile à sa sortie en 1970. Tous deux décident d’écrire un livre sur la marijuana. « Mais après des mois de recherches et de documentation, l’évidence éclate, il y a trop de matériel, et surtout il ne s’agit pas seulement d’une herbe, mais de toute une révolution culturelle, et voilà l’idée qui pointe de faire un magazine qui va durer dans le temps », dit-il. George Khal s’inspire d’Abbie Hoffman, un activiste yippie (Youth International Party, parti politique anti-autoritaire et libertaire créé aux États-Unis en 1967) pour trouver le titre. « Reprenez en main tous les pouvoirs qu’on vous a enlevés, c’est-à-dire faites « mainmise » sur ce qui vous appartient et que vous avez abandonné aux prêtres, aux médecins, aux politiciens, aux spécialistes, etc. », explique-t-il.

QUÉBEC & CONTRE

-CULTURE

mainmise la belle histoire d’un magazine freak Georges Khal et Jean Basile photographié lors du lancement du 1er num par La presse en oct 1970 (c) La presse

Basile quitte le journal Le Devoir pour se consacrer à Mainmise et à la contre-culture, absente dans la presse officielle. Il explique dans un entretien accordé au magazine Maclean : « Je crois que je suis devenu un « freak » parce que la société dont je suis l’enfant m’a menti. Ce que l’on m’a appris à l’école était faux. Ce que m’ont appris mes parents était faux. Jeune loup, je me suis vu assigner une place dans la horde ni trop bas ni trop haut dans la hiérarchie, avec ma part soigneusement calculée de pouvoir, d’argent et de gratification sexuelle ». Parmi les artisans qui entourent les deux acolytes, il y a aussi Christian Allègre, un parisien qui s’installe au Québec en 1968 où il découvre la contre-culture après des études de commerce qui le laissent indifférent. Sur « Paspied », il se décrit à ce momentlà comme un « jeune homme inquiet du sens de la vie, cherchant à comprendre ce qu’est un homme dans ce monde ». Kenneth Chalk, professeur d’astronomie, Linda Gaboriau animatrice radio, ou encore le poète psychédélique et à la plume érotique, Denis Vanier, font aussi partie de la rédaction.

«   N o t r e b u t e s t l’ U .T. O . P. I . E . Nous publions donc quelle qu’en soit la s o u r c e ,t o u t c e q u i n o u s p a r a î t i m p o r ta n t p o u r q u e c e t t e a lt e r n at i v e u t o p i q u e s e r é a l i s e .   »

« L'alternative utopique » Depuis le début des années 1960, le Québec connaît de grands bouleversements. La Révolution tranquille met fin à la Grande Noirceur qui marque les quinze années de conservatisme et de traditionalisme imposées après la Seconde Guerre mondiale par le gouvernement de l’Union National. La Révolution

tranquille correspond aux réformes libérales qui modernisent l’État et la société au Québec. Dans la mouvance beatnik des années 1950 puis hippie aux Etats-Unis, la jeunesse québécoise découvre les « trips » au LSD et profite de la libération de cette main de plomb pour s’aventurer dans de nouvelles expériences multidimensionnelles. Dans une interview accordée à Radio-Canada en octobre 2015, la journaliste et ancienne rédactrice de la revue, Paule Lebrun, raconte: « Ça a été une rupture radicale avec l’ancien monde et sa vieille culture étouffante profondément religieuse, puritaine, desséchante spirituellement, une culture anti-corps, anti-femme […] On est sorti de la grisaille et tout était fleuri ». Dans son premier édito, Pénélope décrit l’ambition de Mainmise : « Notre but est l’U.T.O.P.I.E. […] Nous publions donc quelle qu’en soit la source, tout ce qui nous paraît important pour que cette alternative utopique se réalise ». Le Québec, qui deviendrait le « Kébek », devrait être le berceau de cette utopie. Pour y parvenir, Basile explique en 1970 au micro de Radio-Canada qu’il faut « tuer les mots comme “ambition” , tuer les mots comme “argent”, tuer les mots comme “ville” … C'est pas si facile que ça. On est pris finalement dans un circuit : “il faut absolument réussir, il faut absolument gagner de l’argent si on veut vivre…” et je pense que des garçons et des filles ont décidé que c’était pas ça que de vivre. Et ça a suscité des textes, des études. C’est ça Mainmise ». Le sociologue Jean-Philippe Warren explique que toute l’entreprise de Mainmise était de donner les outils pour « se décoloniser soi-même ». La revue est d’ailleurs conçue comme un guide pratique à l’image de son Répertoire québécois des outils planétaires publié en 1977 par Mainmise qui s’est constituée en maison d’édition, dont 11 000 exemplaires furent vendus en un an. Dans la revue Erudit, le sociologue résume à propos de Mainmise : «Les thèmes privilégiés dans leurs pages étaient ceux de la jeunesse rebelle : la drogue, l’amour libre, l’école alternative, le féminisme, le syndicalisme, l’écologie, la défense des minorités, l’autogestion. » Si Mainmise revêt le manteau de l’apolitisme parce qu’elle ne traite pas des acteurs et des mouvements politiques qu’elle juge complices du pouvoir financier, elle reste à gauche sur l’échiquier politique en publiant des articles qui ont des enjeux sociaux et politiques.

QUÉBEC & CONTRE

-CULTURE

mainmise la belle histoire d’un magazine freak

CANADA

Le

Le

Mainmis une de La comm

e

Dans Pratiques et Discours de la contre-culture au Québec dirigé par Jean-Philippe Warren et Andrée Fortin, Christian Allègre, co-fondateur de la revue avec George Khal et Jean Basile, décrit la « commune » de Mainmise installée à partir de 1972 au 1589 rue Saint-Denis au dessus de l’Alternatif, un magasin de disques au sous-sol. « Au premier étage se trouvaient la réception et l’atelier de mise en page, la salle à manger avec le piano, puis la cuisine et la chambre d’Arabelle Grondin, Acadienne (communauté sur la côte atlantique du Canada) et graphiste. Au deuxième étage se trouvait l’atelier de composition avec une table de réunion, la chambre de Christine Heureux et Claude Fruchier (surnommé Puff-Puff, qui fit beaucoup pour la bande dessinée québécoise, y compris dans Mainmise, avec Yves Poissant), celle de Pierre-François Tassé, l’un de ces jeunes en perte de repères et en rupture avec leurs parents, grands fumeurs de pot (marijuana), qui se sont réfugiés à Mainmise; il y en eut plusieurs. Nous avions bien sûr l’accord de leurs parents. Au deuxième étage, il y avait aussi un grand bureau qui était le bureau du Répertoire [des outils planétaires], et qui contenait aussi la bibliothèque […], et la terrasse, grand espace où nous avons reçu beaucoup de monde. Au troisième, se trouvaient les chambres. » L'équipe de Mainmise fonctionnait dans un véritable esprit communautaire : « Georges et moi partagions le grand bureau au deuxième étage. Nous passions beaucoup de temps à lire et à discuter. Nous partagions un esprit et dans cet esprit chacun proposait un texte qui lui était parvenu ou qu’il avait en tête. Quand l’échéance d’un nouveau numéro arrivait, une certaine fièvre commençait à nous agiter. La veille du jour où nous devions envoyer le magazine terminé et mis en page à l’imprimeur, nous commencions à intensifier un peu le travail. Tout le gang restait debout toute la nuit, à écrire qui un article sur un disque, qui un article à terminer, qui une traduction, qui une section de mise en page. Le café coulait à flots : “ C’est le meilleur à l’ouest de Naples ”, disions-nous en riant… Le stress était intense. Je me souviens que plus d’une fois, en particulier le soir du numéro spécial de Musique, nous avons écouté intégralement, tout en travaillant, la flûte enchantée de Mozart […] une autre fois ce fut le Messie de Haendel. Les disques rock aussi passaient, bien sûr. »

québec

l a é r t mon

QUÉBEC & CONTRE

-CULTURE

mainmise la belle histoire d’un magazine freak

« On est pris finalement dans un circuit :“il faut absolument réussir, il faut absolument gagner de l’argent si on veut vivre…” et je pense que des garçons et des filles ont décidé que c’était pas ça que de vivre. Et ça a suscité des textes, des études. C’est ça Mainmise. »

« Sexe, drogue et rock ’n’ roll » Sous les jeans, les cheveux longs et les joints, une frange de la jeunesse préconise une vision du monde révolutionnaire que les rédacteurs de Mainmise ont su incarner en s’imposant comme référence. Paule Lebrun explique: « Pour les marginaux que nous étions, Mainmise a fait avancer les idées, ça nous a amenés beaucoup plus loin, ça a été notre lieu d’appartenance, le lieu de diffusion de tout ce qui se passait au Québec, ça a été le début pour moi d’une aventure qui a tenu de la révélation […] je me disais “j’aurais pu passer toute ma vie sans savoir que ça existe” et ce “ça”, c’est la contre-culture ». Le sexe, la drogue et le rock, dont la célèbre formule sera popularisée quelques années plus tard, deviennent non seulement un mode de vie mais des outils pour se libérer l’esprit. « La dope n’a jamais été et ne sera jamais notre objet premier. […] La dope est une arme radicale pour la libération des esprits », écrit Pénélope (MM#7). La revue se définit comme l’« organe québécois du rock international, de la pensée magique et du gai savoir ». Et pour l'équipe de Mainmise le freak a du bon. Jean-Philippe Warren explique que « le LSD était un moyen pour eux de voir et de sentir le monde. L’idée c’était “la société actuelle me conditionne à accepter des illusions alors que le LSD m’en libère”; c’était la magie de l’époque ». Selon Mainmise, la libération doit se réaliser en chacun : « La révolution est dans votre tête. Vous êtes la révolution. Faites ce que vous êtes et soyez ce que vous faites » (MM#5). En 1972, Basile explique à la radio : « L’homme, tout en conservant une spiritualité, a le droit d’être maître de son corps et de son âme. » L’idée de son utopie est d’ailleurs de parvenir à changer le monde en libérant chaque individu, un à un. Dans une étude consacrée à Mainmise, la sociologue Marie-France Moore explique : « Pour la contre-culture, la révolution ne s’attaque qu’aux instances économique et politique d’une société et laisse l’instance idéologique à peu près inchangée. La révolution remplace un ordre fixe par un ordre tout aussi fixe alors que la transformation est un processus continu d’adaptation qui n’oublie aucune instance. […] Si le moteur de la révolution est la lutte des classes, celui de la transformation est la conscience ». La sexualité est d'ailleurs un thème majeur pour les mainmisiens qui considèrent que la libération individuelle passe par la libération sexuelle.

Répertoire québécois des outils planétaires

Du succès à la fin de l’utopie Du bouche à oreille, le magazine se fait une place chez les jeunes qui veulent ausculter les idées alternatives et ce, pour 2$ puis 1$. D’abord bimensuel, le périodique devient mensuel et son tirage augmente. De 5 000 exemplaires, la revue augmente ses tirages à 10 000 et ira jusqu’à imprimer 26 000 copies. Elle était distribuée dans 3 000 points de vente dans tout le Québec, dans des librairies ou dans les head shop entre les pipes à haschich et les vinyles. À partir de 1973, 5 000 exemplaires ont été distribués en France et en Suisse mais le public reste surtout montréalais. Les collaborateurs de Mainmise dépensent beaucoup d’énergie à faire survivre le magazine. C’est pour des raisons financières que le magazine change plusieurs fois de format. D’abord publié en format poche, le magazine passe au format revue puis tabloïd. Les ventes n’empêchent pas le magazine d’être déficitaire surtout avec l’arrêt des subventions du Conseil des arts du Canada qui avait contribué à hauteur de 6 000$ la première année, alors que les frais de production d’un seul numéro s’élèvent à 3 200$. En 1973, une pétition signée par une centaine de lecteurs auprès du Conseil des arts pousse l’organisme à aider la revue d’une nouvelle subvention de 6 000$. « Les journaux parallèles sont largement tributaires d'une main-d'oeuvre bénévole, ce qui est avantageux jusqu'à un certain point. On ne peut indéfiniment produire un journal avec des grands sentiments », peut-on lire dans le Mainmise #3 au sujet de la presse underground. Pendant près de dix ans le magazine aura toujours été sur la sellette. Mainmise aura fait l’état de quatre bilans financiers avant de succomber en 1978 après 78 numéros.

QUÉBEC & CONTRE

-CULTURE

mainmise la belle histoire d’un magazine freak

« On ne peut indéfiniment produire un journal av e c d e s g r a n d s s e n t i m e n t s » Le dernier numéro signe en quelque sorte la fin de l’utopie. « On est redescendu de la montagne sacrée, on est parti au travail et on s’est intégré dans la société », regrette Paule Lebrun. Il reste pour certains un goût amer. Dans un article du blog « Paspied » Christian Allègre déplore: « Ma génération a trahi l’idéal de sa jeunesse. Combien ont profité des effets libérateurs de la nouvelle culture (sexe facile et débridé, dope et extases diverses, concerts rock, médecines douces, alimentation saine, yoga et méditation) pour ensuite se retourner contre ce “laisseraller” qui ne rapporte pas d’argent et devenir des yuppies (“young urban professionals”) dans les années 80, acharnés à gagner de l’argent. »

« Je me suis mis à élever des moutons  en Gaspésie. » Pour Michel Bélair qui a été rédacteur en chef à partir de 1973 : « Mainmise a littéralement changé ma vie !» Collaborant à la conception du Répertoire pour la rubrique des communautés, il quitte la rue de Saint-Denis pour partir explorer les campagnes du Québec et visiter les « communes », ces communautés autogouvernées et anticonformistes où tout était mis en partage et qui pratiquaient l’amour libre. Le retour à la terre est aussi un thème essentiel pour Mainmise qui met en garde contre l’urbanisation et la pollution. « Ça a été fascinant. Je me suis mis à élever des moutons en Gaspésie », rapporte t-il. « L’idée de la commune, c’était de prendre possession de notre corps, de notre conscience, de notre place dans la société ». Michel Bélair a par la suite poursuivi son oeuvre de critique littéraire au Devoir. Retraité, il vit aujourd’hui à la campagne : « Je ne me vois pas retourner en ville et vivre dans un environnement où je ne contrôle pas ce qui m’entoure. »

Certains tenteront jusqu’au bout de vivre leur utopie. C’est Michel Bélair qui signa en juillet 2010 dans Le Devoir un article sur son ami George Khal, qui succombe à 65 ans à une crise cardiaque en Indonésie. Il rapporte « Au milieu des années 1980, incapable de supporter davantage un monde basé sur la consommation à outrance plutôt que sur le partage, il décidait de tout quitter et de s'exiler en Asie. » Quant à Jean Basile qui quitta Mainmise en 1973, il revient au Devoir puis tient une chronique au journal La Presse en 1984. Il meurt en 1992.

L’héritage d'une décennie Si la fin de Mainmise enterre l’utopie du Kébek, la contre-culture perdure. « Il y a toujours des groupes rebelles dans une société », rappelle Jean-Philippe Warren. « La contre-culture a triomphé dans le domaine des moeurs là où elle a mis toute son énergie: au niveau de la sexualité, l’éducation, l’alimentation… on voit les avancées colossales de la contre-culture. Mais si on regarde dans l’économie, notre consommation… c’est un échec pathétique. La société de consommation a colonisé les moindres sphères de la pensée intime. Elle n’a jamais été aussi puissante pour pervertir notre rapport au monde », pèse-t-il. Selon lui, la force de Mainmise avait été de proposer au travers de son utopie, une vision du monde cohérente : « Aujourd’hui la presse contestataire n’est plus capable de fédérer une pensée globale. Mainmise tenait ensemble la sexualité, la souveraineté de l’individu, l’écologie, le féminisme… Tout ça représentait une même grande vague de rébellion contre l’ordre établi. Le refus de la société dominante était rendu possible par le fait que même si l’on était contestataire, on pouvait vivre. Il était possible de vivre en dehors de la société. Aujourd’hui, avec les écarts de revenus énormes, la détérioration des conditions de vie des travailleurs… c’est plus difficile. » Les héritiers de Mainmise ont réussi le pari d’immortaliser la revue jusque-là réduite à être consultée sur les bobines microfilms de la bibliothèque nationale de Montréal. Il est possible désormais de scroller les pages du magazine sur le site Internet www.mainmise.ca. À Paris, il paraît que sous la poussière de quelques bouquinistes du quartier Latin, on peut mettre la main dessus.