L'Union Africaine face aux défis conjoints de sécurité et gouvernance

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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

NOTE D’ANALYSE L’Union Africaine face aux défis conjoints de sécurité et gouvernance Yann Bedzigui

Bien que la mauvaise gouvernance soit une source majeure d’instabilité en Afrique, l’Union africaine (UA) peine à définir une réponse globale lui permettant de s’y attaquer. Les liens entre l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) et l’Architecture africaine de gouvernance (AAG) restent ténus, principalement en raison des différences institutionnelles que sous-tendent les deux approches. Cette note d’analyse propose des pistes pour instaurer des liens entre l’AAG et l’AAPS afin d’améliorer les interventions de l’UA dans des cas d’instabilité structurelle et cyclique.

Recommandations Accroître le rôle du Conseil de paix et de sécurité de l’UA (CPS) dans la définition des lignes directrices de l’AAG et de l’AAPS ; Inclure la promotion de la gouvernance dans la liste des objectifs clés du CPS ; Renforcer le rôle du commissaire de l’UA aux affaires politiques dans les travaux du CPS ; Créer une unité d’analyse conjointe pour garantir la cohérence entre l’AAG et l’AAPS ; Envisager la mise en place d’une architecture unique dotée d’un mandat qui couvrirait la paix, la sécurité, la gouvernance et les droits de l’homme.

Introduction L’instabilité du continent résulte en grande partie sur le compte de la mauvaise gouvernance qui prévaut dans de nombreux États africains. L’examen des situations de crise qui ont touché l’Afrique au cours des dernières années montre que cette instabilité puise ses racines dans des problèmes de gouvernance tels que les processus électoraux controversés (République démocratique du Congo et Burundi), la marginalisation politique et économique (Darfour), les violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la mauvaise gestion des ressources naturelles (Delta du Niger). Si les liens entre instabilité et faiblesse de la gouvernance sont largement établis, ces questions sont abordées par deux architectures différentes au sein de l’Union africaine (UA). En outre, l’UA ne fait, bien souvent, que réagir aux crises déjà existantes ou émergentes, et peine à s’attaquer de manière proactive à leurs causes profondes.

Les structures et les mandats de l’AAG et de l’AAPS, lorsqu’ils sont mis en œuvre, fournissent un cadre pratique pour une approche globale pour faire face aux crises L’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS), créée en 2002, symbolise la volonté des États membres de l’UA de rompre avec l’inertie de l’Organisation de l’unité africaine qui l’a précédée, face aux sources de cette instabilité à travers le continent. Huit ans plus tard, l’UA met sur pied l’Architecture africaine de gouvernance (AAG), une plateforme conçue pour renforcer la promotion de la démocratie, des droits de l’homme et de la bonne gouvernance grâce à une coordination accrue entre les différents acteurs. Les structures et les mandats de l’AAG et de l’AAPS, lorsqu’ils sont mis en œuvre, fournissent un cadre pratique pour une approche globale pour faire face aux crises, surtout si les États membres font preuve de la volonté politique nécessaire. C’est dans cette perspective que cette note d’analyse présente des options politiques pour établir des passerelles entre ces deux instruments, ce qui devrait permettre à l’UA d’adopter une approche globale pour répondre à l’instabilité. Le présent document se divise en quatre parties : (1) présentation de l’AAG et de l’AAPS, (2) état des relations entre les deux structures, (3)  revue des facteurs expliquant la faiblesse de leurs liens, et, (4) formulation de recommandations d’ordre politique.

Deux architectures bien différentes Le protocole portant création du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, adopté en 2002 à Durban, est le document fondateur de l’AAPS. Le CPS est l’organe décisionnel de l’AAPS. Il est épaulé par un certain nombre d’acteurs qui sont la Commission de l’UA, le Groupe des sages, le Système continental

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d’alerte rapide, la Force africaine en attente et le Fonds pour la paix1. En outre, les Communautés économiques régionales (CER) reconnues par l’UA font également partie de l’AAPS2. Dans ce protocole, le mandat du CPS – qui est donc l’organe principal de l’architecture – comprend notamment les missions suivantes : • Promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique ; • Anticiper et prévenir les conflits ; • Promouvoir et mettre en œuvre des activités de consolidation de la paix et de reconstruction après les conflits ; • Promouvoir et encourager les pratiques démocratiques, la bonne gouvernance et l’état de droit, la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect du caractère sacré de la vie humaine ainsi que du droit international humanitaire, dans le cadre des efforts de prévention des conflits3.

Deux architectures distinctes au sein de l’UA traitent de l’instabilité et la mauvaise gouvernance L’UA a créé l’AAG en 2010 en tant que « cadre de dialogue entre les différentes parties prenantes » afin de faciliter l’intégration continentale sur la base des valeurs partagées de l’Union africaine4. Parmi les principes mis de l’avant dans l’acte constitutif de l’UA figurent : la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes ; le respect des principes démocratiques, des droits de l’homme, de l’état de droit et de la bonne gouvernance ; la promotion de la justice sociale pour assurer un développement économique équilibré ; le respect du caractère sacro-saint de la vie humaine ; la condamnation et le rejet de l’impunité, des assassinats politiques, des actes de terrorisme et des activités subversives ; la condamnation et le rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement5. Tous ces domaines relèvent de la compétence de l’AAG. L’AAG est constituée de plusieurs organes : le Parlement panafricain ; les représentants permanents des États membres ; le CPS ; le Système continental d’alerte rapide (SCAR) ; le Conseil économique, social et culturel (ECOSOCC) ; le Nouveau partenariat pour

le développement de l’Afrique (NEPAD) ; le Conseil consultatif de l’UA sur la corruption ; le Fonds pour la démocratie et l’assistance électorale ; la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) ; la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ; le secrétariat du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs ; les CER. L’AAG est organisée en cinq pôles : démocratie ; droits de l’homme et justice transitionnelle ; gouvernance ; constitutionnalisme et état de droit ; affaires humanitaires. Son secrétariat est hébergé par le Département des affaires politiques (DAP) de la Commission de l’UA. L’objectif de l’AAG est d’encourager la coordination et la complémentarité dans la promotion de la gouvernance entre les organes de l’UA et leurs initiatives respectives6. Tableau 1 : Composition de l’AAPS et de l’AAG AAPS

AAG

Conseil de paix et de sécurité

Conseil de paix et de sécurité

Communautés économiques régionales

Communautés économiques régionales

Système continental d’alerte rapide

Système continental d’alerte rapide

Commission de l’UA

Commission de l’UA

Force africaine en attente

Conseil économique, social et culturel

Fonds pour la paix

Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique

Groupe des sages

Conseil consultatif de l’UA sur la corruption Commission africaine des droits de l’homme et des peuples Cour africaine des droits de l’homme et des peuples Secrétariat du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs Représentants permanents des États membres Représentants permanents des États membres

Source : Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, art. 2 ; Architecture africaine de gouvernance, www.agaplatform.org/about (consulté le 5 décembre 2017).

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Les mandats des deux structures convergent dans leur définition sur les questions de bonne gouvernance, de respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et d’état de droit, mais se différencient dans la priorité qui est accordée à ces objectifs cruciaux. La bonne gouvernance, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que l’état de droit constituent en effet le cœur du mandat de l’AAG. Le protocole sur le CPS accorde, quant à lui, une moindre importance à la promotion de la bonne gouvernance, des droits de l’homme et de la démocratie et privilégie certaines priorités plus opérationnelles telles que la prévention des conflits, la consolidation de la paix et les activités de post-reconstruction. Ces spécificités ont un impact non seulement sur les interactions entre les deux architectures, mais également sur les activités que mènent leurs partenaires respectifs.

Les mandats des deux architectures se rejoignent sur la bonne gouvernance, le respect des droits humains, des libertés fondamentales et de l’État de droit En effet, il existe des différences fondamentales entre ces deux structures concernant leurs membres. L’AAPS possède un nombre réduit de parties prenantes, parmi lesquelles la Commission de l’UA joue un rôle central. Cette dernière héberge les secrétariats respectifs du Groupe des sages et du CPS, le SCAR, ainsi que le personnel affecté à la Force africaine en attente. Elle joue donc un rôle déterminant dans la structuration du débat et la formulation d’options politiques par les États membres, c’est-à-dire les décideurs ultimes au sein du CPS et de la Conférence de l’UA, pour faire face aux crises. Ce contexte bureaucratique n’est pas sans conséquence en termes de structure hiérarchique, de coordination interne et de cohérence des politiques. Le CPS bénéficie du soutien du président de la Commission de l’UA et constitue le véritable moteur de l’AAPS. Ainsi, soit les activités menées par l’architecture répondent à ses requêtes, soit elles sont orientées vers l’organe pour répondre à des questions concernant les domaines de la paix et de la sécurité ou encore pour résoudre des situations spécifiques de conflit. L’AAG s’articule quant à elle autour de cinq pôles : démocratie ; constitutionnalisme et état de droit ; droits de l’homme et justice transitionnelle ; affaires humanitaires ; gouvernance. Ces pôles constituent le cadre de coordination de ses membres. Ses parties prenantes, pour la plupart LE DÉFI DE LA COHÉRENCE POLITIQUE ET L’ACTION COORDONNÉE

non basées à Addis Abeba, sont les suivantes : le Parlement panafricain (Johannesburg, Afrique du Sud) ; le NEPAD (Johannesburg, Afrique du Sud) ; le Conseil consultatif de l’UA sur la corruption (Arusha, Tanzanie) ; la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Banjul,

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Gambie) ; la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Arusha, Tanzanie) ; le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (Johannesburg, Afrique du Sud). Cet éclatement géoraphique ne facilite pas le travail de coordination endossé par la Commission de l’UA, par l’intermédiaire du secrétariat situé au sein du DAP. Le cadre de l’AAG stipule explicitement que « la plateforme (qui est un organe informel) n’est pas censée dupliquer le mandat ou le travail d’institutions/instances/initiatives existantes, ni agir comme une instance de prise de décision7 ». Par conséquent, l’AAG représente plus un organe horizontal de réseautage et de coordination qu’un organe vertical comme l’AAPS. Les priorités de l’AAG sont structurées en fonction de ses cinq pôles d’action. Le résultat attendu du dialogue entre les diverses parties prenantes de l’AAG est la rédaction de « propositions concrètes qui seront soumises aux instances politiques compétentes pour examen et mise en œuvre8 ». Ainsi, l’AAG constitue un processus consultatif entre différents acteurs — un processus qui doit mener à l’adoption de décisions de la part de la Conférence de l’UA ou du CPS, en fonction de la thématique abordée. La situation de l’AAG diffère de celle de l’AAPS en ce que l’émergence de crises conduisent cette dernière à mener des activités sur la base d’un processsus d’elaboration des politiques. Les ambitions de l’AAG sont principalement d’ordre normatif, tandis que la mission de l’AAPS consiste en principe à déployer des moyens concrets dans des contextes de crise émergente. L’AAG est de nature plus autocentrée et se préoccupe surtout de la coordination entre ses membres, tandis que l’AAPS est plus tournée vers l’extérieur de manière à faire face aux menaces à la paix et à la sécurité. Ce point doit toutefois être nuancé par le fait que l’impact attendu de l’AAG, à savoir le renforcement des capacités de l’UA à promouvoir la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et les valeurs démocratiques dans ses États membres, est bel et bien externe à celle-ci. Les deux architectures diffèrent de par la nature de leurs résultats respectifs, à savoir des résultats exogènes pour l’AAPS et endogènes pour l’AAG. Cette différence cruciale n’est pas sans répercussion sur l’établissement de liens opérationnels entre l’AAG et l’AAPS.

Des approches distinctes pour des objectifs similaires D’un point de vue normatif, les liens entre l’AAG et l’AAPS sont évidents. Les objectifs du CPS sont « de promouvoir et d’encourager les pratiques démocratiques, la bonne gouvernance et l’état de droit, la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect du caractère sacré de la vie humaine ainsi que du droit international humanitaire, dans le cadre des efforts de prévention des conflits ». Sur le papier, les missions des deux architectures convergent donc, et c’est aux parties prenantes qu’il incombe de mettre en œuvre cette responsabilité conjointe. En outre, l’un des objectifs de l’AAG est de « faciliter la collaboration et d’approfondir les synergies avec l’AAPS dans des domaines stratégiques tels que la diplomatie préventive, la prévention des conflits et la reconstruction et le développement postconflit en Afrique9 ». Par conséquent, le défi consiste à renforcer la complémentarité entre les organes et les instruments afin d’atteindre ces objectifs communs et de s’assurer ainsi de la cohérence des politiques et de la coordination des initiatives menées.

l’AAG se consacre principalement à l’élaboration de normes, tandis que le mandat de l’AAPS porte clairement sur la gestion des conflits Pour résumer, l’on pourrait faire valoir que l’AAG se consacre principalement à l’élaboration de normes, tandis que le mandat de l’AAPS porte clairement sur la gestion des conflits. L’AAPS constituerait donc l’architecture opérationnelle de l’UA, en raison de la prééminence des efforts de rétablissement de la paix (notamment les opérations de soutien à la paix, les initiatives de médiation et de diplomatie préventive et les activités d’alerte précoce) et de la moindre importance accordée à la définition de normes. Des désaccords quant aux normes qui sont définies dans le protocole sur le CPS peuvent néanmoins survenir et faire obstacle au déploiement par l’AAPS de ses dispositifs opérationnels. Celle-ci peut donc être

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considérée comme une structure opérationnelle fondée sur un concept normatif. En comparaison, l’AAG est dotée d’un objectif normatif (à savoir favoriser l’intégration régionale sur la base de valeurs communes telles que la démocratie, les droits de l’homme et la bonne gouvernance), mais ne prévoit la mise en place d’aucun instrument, à l’exception de missions d’observation électorale. Bien que l’AAPS dispose de processus politiques, sa réactivité face aux crises et sa difficulté à aborder les problèmes structurels constituent néanmoins de sérieux handicaps. À l’opposé, l’AAG – en tant que structure normative – manque de dispositifs opérationnels à même de rationaliser son processus politique. La création d’un cadre adéquat permettant de favoriser la cohérence et la coordination des politiques entre les deux structures devrait améliorer l’exécution de leurs mandats respectifs.

La faiblesse des liens entre l’AAG et l’AAPS Les domaines de collaboration entre les départements concernés, tels qu’identifiés dans le document-cadre de l’AAG, sont la diplomatie préventive et la reconstruction post-conflit et le développement. Jusqu’ici, des avancées ont surtout été réalisées dans le domaine de la prévention des conflits. Un groupe de travail interdépartemental a ainsi été créé afin de favoriser l’émergence d’une approche globale face aux conflits naissants. L’adoption de nouveaux instruments de prévention des conflits, tels que le Cadre continental de prévention structurelle des conflits – qui prévoit une évaluation de la vulnérabilité stratégique par pays ainsi que la définition de stratégies d’atténuation –, pourrait permettre aux deux architectures de créer entre elles une synergie intéressante10.

Toute initiative conjointe peut être entravée par des differences d’agenda,de culture institutionnelle et d’intérêts Le mandat de l’AAPS étant principalement axé sur la prévention immédiate des crises, l’adoption d’un cadre de prévention structurelle favoriserait une collaboration sur des thématiques telles que l’état de droit et la gouvernance, qui sont plutôt du ressort du DAP.

LES ÉLECTIONS CONSTITUENT LE PRINCIPAL TERRAIN D’INTERACTION ENTRE L’AAG ET L’AAPS

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Ce scénario idéal se heurte toutefois à de nombreux obstacles. Le premier est d’ordre structurel. Aucun instrument de coordination et de mise en cohérence des politiques n’est à même de pallier aux coûts de transaction induits par des initiatives interdépartementales. L’existence de deux organes distincts implique forcément des différences, notamment d’agenda et de culture institutionnelle, ainsi que des intérêts divergents pouvant compromettre toute initiative conjointe. Le décalage entre les entités concernées représente un deuxième obstacle important. La plateforme de l’AAG est composée d’une multiplicité d’acteurs.

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Le personnel de son secrétariat est plus engagé dans la coordination de la plateforme que dans la rédaction d’analyses conjointes et l’élaboration de politiques. De son côté, l’unité du SCAR constitue déjà, par exemple, un acteur bureaucratique à part entière avec des lignes hiérarchiques claires et des défis qui lui sont propres. Ce décalage pourrait compromettre une éventuelle collaboration plus étroite. Un troisième élément est à trouver dans les relations qu’entretiennent le DAP et le DPS au plus haut niveau. Pour que la coordination entre les deux architectures soit effective, il est important que les commissaires responsables de la paix et de la sécurité et des affaires politiques s’engagent pleinement dans ce processus. Ce point est essentiel en raison du caractère hautement hiérarchique de la bureaucratie de l’UA. Par conséquent, si la création de nouveaux instruments peut effectivement être un vecteur de coopération entre les différents départements, le cadre institutionnel qui prévaut actuellement devra être amélioré pour relever ce défi.

L’absence de clarté dans la division du travail est une source potentielle de concurrence entre les bureaucraties en charge de gouvernance et paix et sécurité En dépit de l’existence de ces domaines de collaboration, les liens entre l’AAG et l’AAPS n’ont pas encore été institutionnalisés. Ceci est à mettre sur le compte de trois facteurs : l’approche réactive privilégiée par l’UA pour faire face aux crises, le peu d’initiatives conjointes existant entre les acteurs des deux architectures et le manque de clarté concernant la division du travail entre le DAP et le DPS, principaux organes bureaucratiques des deux architectures. En ce qui concerne le premier facteur, l’UA n’aborde en général que rarement de manière proactive les causes structurelles sous-jacentes des conflits. Jusqu’à présent, l’UA a agi davantage comme « un pompier » que comme « un architecte ». L’UA peut être efficace lorsqu’elle s’attaque aux effets à court terme des conflits — morts de civils, expansion territoriale de groupes terroristes —, mais elle ne parvient pas à remédier aux causes fondamentales de l’instabilité telles que les problèmes de développement, la mauvaise gouvernance, les processus électoraux déficients et l’absence de reddition de comptes. Les élections en sont une bonne illustration. Bien que l’UA ait développé un vaste corpus de connaissances sur l’observation des élections, sa méthodologie est encore peu développée en ce qui concerne le dialogue politique à long terme avec les États membres en vue d’améliorer les processus électoraux ou de renforcer l’objectivité et l’indépendance de ses propres activités d’observation électorale. Si le manque de ressources est l’une des raisons pour lesquelles l’UA n’est pas suffisamment proactive dans la prévention des conflits, d’autres

LA DIVISION DE TRAVAIL ENTRE LE DPS ET LE DAP DOIT ÊTRE CLARIFIÉE

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faiblesses peuvent être mises en cause, parmi lesquelles le manque de volonté politique des États membres qui font obstacle à la mise en œuvre de tout cadre politique existant. S’agissant du second facteur, jusqu’ici seules les élections ont permis une interaction entre les acteurs respectifs de l’AAG et de l’AAPS. Par exemple, le commissaire aux affaires politiques informe le CPS principalement des défis à court terme concernant certaines questions telles que les élections et les affaires humanitaires. Un certain niveau de coordination existe entre l’unité pour la démocratie et l’assistance électorale et le SCAR dans le cadre évaluations préélectorales et à l’observation proprement dite. Cette coordination concerne néanmoins des situations urgentes et ne prête pas vraiment à l’élaboration d’approches stratégiques à long terme visant à remédier à certains problèmes comme la gouvernance.

La priorité devrait être l’amendement du protocole afin de l’intituler « Protocole pour la paix et la stabilité » Le troisième facteur est le manque de clarté de la division des tâches entre le DAP et le DPS. La gouvernance étant sous le mandat du DAP, ce dernier devrait s’occuper principalement des activités liées à la prévention des conflits structurels. En réalité, les domaines de compétence des deux départements coïncident. À titre d’exemple, le DPS est responsable de la délimitation des frontières par le biais du Programme frontières de l’UA — une problématique que l’on pourrait classer dans la catégorie « prévention structurelle des conflits ». D’autre part, le commissaire aux affaires politiques a joué un rôle de premier plan dans les efforts déployés en Gambie parce qu’il s’agissait d’une crise postélectorale. Ce flou entourant la répartition des rôles, du calendrier des initiatives et des outils à utiliser génère une concurrence entre les deux bureaucraties et entrave une coordination pourtant nécessaire. En outre, cette coordination – même lorsqu’elle est clairement requise par le biais d’un mandat – repose trop souvent sur la qualité des relations interpersonnelles entre les commissaires responsables du DAP et du DPS.

Options politiques pour établir des liens entre les deux cadres

LE SOUTIEN POLITIQUE DES ETATS MEMBRES DE L’UU EST CRUCIAL

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Divers scénarios sont envisageables pour établir des liens entre l’AAG et l’AAPS. Toutefois, l’action la plus importante à entreprendre reste la modification du protocole sur le CPS afin de l’adapter aux défis du moment. Il serait ainsi essentiel de renommer ce dernier « Protocole pour la paix et la stabilité ». L’ajout du terme « stabilité » soulignerait non seulement le caractère à long terme des défis à relever, mais aussi leur nature

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multidimensionnelle. Outre ce changement, la priorité devrait être donnée à la mise à jour du protocole dans les domaines suivants : • Inclusion de la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance en tant qu’élément critique du protocole. La ratification de la charte et son incorporation dans les lois nationales pourraient être des critères obligatoires pour tout pays souhaitant se faire élire au CPS. Dans cette perspective, un accent tout particulier devrait être mis sur le renforcement des processus électoraux, la consolidation des institutions et l’amélioration de leur reddition de comptes en tant que vecteurs de sécurité, de stabilité et de développement. • Intégration du commissaire aux affaires politiques de l’UA aux travaux du CPS. Jusqu’à présent, le protocole prévoit que seul le commissaire à la paix et à la sécurité peut épauler le président de la Commission de l’UA11. La participation du commissaire aux affaires politiques permettrait de promouvoir et de renforcer le mandat du CPS en matière de gouvernance, jetant ainsi les bases d’une collaboration plus étroite entre le DAP et le DPS. À cet égard, au moins un membre du secrétariat du CPS devrait provenir du DAP. Outre ces propositions de modification du cadre juridique, trois options politiques peuvent être mises de l’avant pour établir des liens : • Mise en place de conditions à même de renforcer les liens existants. Cette option porterait sur certaines des caractéristiques de l’AAG qui ont pu entraver l’opérationnalisation de ses liens avec l’AAPS, à savoir l’absence de hiérarchie et le rôle du DAP. S’agissant du premier point, l’AAG pourrait être dotée d’une structure plus verticale, dont le principal organe décisionnel serait le CPS. Ce dernier déterminerait sur une base annuelle les lignes directrices, l’orientation et les priorités de l’AAG. Il examinerait également – et adopterait le cas échéant – les conclusions des divers dialogues de haut niveau12. Le DAP jouerait un rôle plus actif dans la mise en œuvre de l’AAG, en mettant en œuvre les priorités fixées par le CPS. Grâce au rôle accru du CPS, la cohérence entre les programmes de sécurité et de gouvernance se verrait améliorée, ce qui jetterait les bases d’une meilleure coordination entre les différents acteurs.

• Création d’une unité d’analyse conjointe. La mise en place d’une unité d’analyse conjointe permettrait de mieux harmoniser les deux structures en plus de les alimenter en analyses. Puisque l’AAG et l’AAPS partagent un même socle normatif, une telle unité renforcerait la cohérence entre les deux architectures et leurs initiatives respectives. Disposer d’une base de connaissances commune aiderait le DPS à définir des réponses aux crises. Du point de vue de l’AAG, cela engendrerait un contexte qui faciliterait le choix des thèmes du Dialogue de haut niveau et la mise en œuvre de son objectif de promotion de la gouvernance. L’unité en question serait formée d’analystes spécialistes du domaine de la gouvernance issus du SCAR, du MAEP et du DAP. Leur principale activité serait la rédaction des documents-cadres de l’unité et l’élaboration d’évaluations de la vulnérabilité structurelle des pays (CSVA), sur la base du cadre de prévention des conflits adopté en 2015. La CSVA servirait de cadre analytique à cette unité d’analyse conjointe et les évaluations porteraient tant sur les déclencheurs immédiats des crises que sur les défis à long terme. L’unité serait chargée de rédiger une ébauche des lignes directrices des stratégies d’atténuation, stratégies qui seraient ensuite transmises aux parties prenantes investies dans la prévention des conflits et les efforts de médiation, de reconstruction postconflit et de développement.

Une architecture unique serait axée sur une approche proactive, préventive et moins coûteuse • Création d’une nouvelle architecture pour la stabilité. La mise en place d’un nouveau cadre global – en lieu et place d’une simple coopération au sein de l’unité recommandée ci-dessus – pourrait constituer une autre piste de solution. La création d’une nouvelle architecture de stabilité pourrait aider à concilier les défis propres à la sécurité, à la paix et à la gouvernance. Cette architecture regrouperait l’AAPS et l’AAG en un seul instrument et formerait un cadre global en réponse aux crises et aux conflits en y adjoignant la prévention structurelle et conjoncturelle, la gestion et la reconstruction postconflit. Elle

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définirait également les modalités du caractère multidimensionnel des initiatives de maintien de la paix de l’UA en insistant sur l’importance des piliers policier et civil en plus du pilier militaire. Cet instrument, dont le nom provisoire pourrait être « Architecture pour la stabilité de l’Afrique » (ASA), serait axé sur une approche préventive et proactive et se pencherait sur les causes profondes de l’instabilité, notamment la gouvernance. Elle permettrait de renforcer la dimension civile de la gestion des crises et des conflits en donnant à l’UA la possibilité d’engager le dialogue avec ses États membres et de prévenir l’aggravation des crises en devenir. Le CPS, assisté d’un secrétariat plus étoffé, aurait la responsabilité d’en définir le mandat global. Ce secrétariat hébergerait une unité chargée de formuler des orientations générales relatives à la prévention et à la gestion des conflits. Un nouveau département des affaires politiques serait créé et engloberait les unités existantes ainsi que le MAEP et l’alerte précoce, à l’exception de l’unité dédiée à l’observation électorale. Ce département serait donc responsable de l’alerte précoce, des évaluations à long terme et de l’élaboration des orientations politiques. Le DPS deviendrait, quant à lui, le bras opérationnel du cadre et serait chargé de sa mise en œuvre à différents niveaux : médiation, observation électorale, assistance technique en matière de gouvernance et opérations de soutien à la paix.

grande maturité de la part des États membres de l’UA afin que soit accordé le soutien politique requis aux architectures et cadres existants, notamment en matière de gouvernance. En effet, la capacité des États africains à répondre efficacement aux besoins et aux aspirations de leurs citoyens demeure un facteur clé de la stabilité du continent. Au niveau de l’UA, il est crucial que les États membres acceptent non seulement d’aborder la question de la gouvernance, mais aussi de définir des réponses cohérentes et adaptées pour faire face aux crises à différents niveaux. En dépit des différents cadres politiques et des architectures adoptés par les États membres depuis 2002, force est de constater que l’engagement des États fluctue d’une capitale à une autre. À cet égard, et alors même qu’une réforme institutionnelle est en cours, divers scénarios devraient être envisagés par les acteurs africains pour établir un véritable lien entre les initiatives visant à combattre l’instabilité et la mauvaise gouvernance, en vue de renforcer l’impact de l’UA sur la vie des citoyens.

La stabilité du continent dépend de la capacité des États à répondre aux besoins et aspirations de leurs citoyens Conclusion Les défis liés au renforcement des liens entre l’AAG et l’AAPS mettent en évidence les obstacles que doit surmonter l’UA pour passer d’une approche réactive, qui a été jusqu’ici peu fructueuse, à une approche globale. La lassitude des donateurs à l’égard du financement des opérations de paix de l’UA et les capacités financières limitées de l’organisation continentale font pencher la balance en faveur d’une approche plus proactive et moins onéreuse. Un tel changement exige une plus

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Notes 1 2

Union africaine, Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurite de l’Union africaine, 2004, article 2.2.

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Union africaine, Cadre de l’Architecture africaine de gouvernance, 3.

10 Rapport de la présidente de la Commission sur le suivi du communiqué

Les CER reconnues par l’UA sont : l’Union du Maghreb arabe (UMA) ; le Marché commun de l’Afrique orientale et austral (COMESA) ; la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) ; la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) ; la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) ; la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ; la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD).

11 Union africaine, Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de

3

Union africaine, Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurite de l’Union africaine, 2004, article 3.

12 Selon le site Internet de la plateforme de l’AAG, « le Dialogue est un

4

Union africaine, Déclaration sur le thème du sommet : les « valeurs partagées : pour une plus grande unité et intégration », 31 janvier 2011.

5

Union africaine, Acte constitutif, article 4.

6

Union africaine, Cadre de l’Architecture africaine de gouvernance, 6.

7

Ibid.

8

Ibid.

du Conseil de paix et de securité du 27 octobre 2014 sur la prévention structurelle des conflits, 502e réunion, 29 avril 2015. www.peaceau.org/ uploads/cps-502-cews-rpt-29-4-2015.pdf sécurite de l’Union africaine, 2004, article 10.4. « Dans l’exercice de ses fonctions et pouvoirs, le président de la Commission est assisté du commissaire chargé des questions de paix et de sécurité, qui est le responsable des questions du Conseil de paix et de sécurité. » programme phare de l’Architecture africaine de gouvernance. Il offre un espace de franchise, d’ouverture et d’inclusivité pour les membres de la Plateforme de l’Architecture africaine de gouvernance, les États membres et les acteurs non étatiques, afin qu’ils puissent réfléchir aux – et discuter des – impacts de leurs efforts de consolidation de la démocratie et de la bonne gouvernance en Afrique. » http://agaplatform.org/index.php/events/annual-high-level-dialogue (consulté le 31 août 2017).

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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

À propos du Note d’analyse de l’ISS  Les Note d’analyse offrent des analyses succinctes destinées à guider les débats et la prise de décisions. Les principales conclusions et recommandations, ainsi qu’un bref résumé du texte, sont présentés en première page. Les infographies permettent à nos lecteurs les plus occupés de prendre rapidement connaissance des points essentiels.

À propos de l’auteur Yann Bedzigui a rejoint l’équipe de l’Institut d’études de sécurité (ISS) en 2015 à titre de chercheur dans le cadre du projet « Rapport sur le CPS », basé à Addis Abeba, en Éthiopie. Avant de travailler pour l’ISS, M. Bedzigui a été assistant de recherche pour le bureau de Dakar de l’International Crisis Group et chercheur associé au Centre Thucydide de l’Université Panthéon-Assas. M. Bedzigui est titulaire d’un doctorat en relations internationales de l’université Panthéon-Assas.

À propos de l’ISS L’Institut d’études de sécurité est une organisation africaine qui vise à améliorer la sécurité humaine sur le continent. Il mène des travaux de recherche indépendants et reconnus, propose des analyses et des conseils stratégiques d’experts, des formations pratiques ainsi qu’une assistance technique.

Remerciements L’ISS est reconnaissant de l’appui des membres de son Forum pour le partenariat : la Fondation Hanns Seidel, l’Union européenne et les gouvernements du Canada, du Danemark, de la Finlande, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas, de la Suède et des États-Unis d’Amérique.

© 2018, Institut d’études de sécurité Les droits d’auteur de l’ensemble de ce volume appartiennent à l’Institut d’études de sécurité et à ses auteurs, et aucune partie ne peut être reproduite, en tout ou en partie, sans l’autorisation expresse, par écrit, des auteurs et des éditeurs. Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut, de ses fiduciaires, des membres du Conseil consultatif ou des donateurs. Les auteurs contribuent aux publications de l’ISS à titre personnel. Image de couverture : GCIS