LONDRES SE MET à LA PERFORMANCE PENDANT LES JEuX ...

18 juil. 2012 - des visions plus figuratives, plus pastel. Le romantisme, qui jusqu'ici était implicite, s'affirme, prend une nouvelle ampleur avec des paysages à ...
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numéro 193 / mercredi 18 juillet 2012 / www.lequotidiendelart.com / 2 euros

Londres se met à la performance pendant les Jeux olympiques Par Virginia White Comment associer THE ART DAILY NEWS l’incroyable expansion de la Tate Modern (avec un projet de Herzog & de Meuron prévu pour 2016) et l’arrivée imminente des Jeux olympiques à Londres ? La question peut paraître absurde mais, à y voir de plus près, elle est au centre des événements culturels satellites des J.O. et de ceux de la Tate en particulier. D’un côté, l’espace Tanks est la première concrétisation de l’extension remarquablement intelligente de la Tate Modern, qui sera consacrée aux arts performatifs - au lieu d’en faire un site de glorification architecturale. Par ailleurs, sur le site des J.O. 2012 se trouve une section consacrée aux London 2012 Cultural Olympiads, « la plus grande célébration culturelle dans l’histoire des mouvements olypiques et para-olympiques modernes ». Les festivités culturelles culmineront ainsi avec le « London 2012 Festival » qui propose « 10 millions d’occasions d’assister

Jeudi 19 et vendredi 20 Juillet, Anne Teresa De Keersmaeker, l’une des plus importantes chorégraphes du XXe siècle, donnera Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich. Photo : Herman Sorgeloos.

gratuitement » à des spectacles culturels divers, et auquel fait partie le festival « The Tanks: Art in Action ». Ce dernier a été imaginé par Catherine Wood (conservatrice d’art contemporain et de performance), Suite du texte p. 2

* p.4 l’humanité en lutte de rineke dijkstra à new york * p.7 des résultats inégaux pour les maisons de ventes * p.8 le musée du quai branly goûte à l’histoire chinoise

ACTUALITÉ

le quotidien de l’art / numéro 193 / mercredi 18 juillet 2012

Londres se met à la performance

page 02

Kathy Noble (conservatrice de projets interdisciplinaires) et Stuart Comer (conservateur pour l’image-mouvement). C’est ainsi que les événements culturels de cet été se placent à la fois dans une position pionnière et mainstream, forts du momentum fourni par l’arrivée de milliers de touristes prêts à profiter de Londres. Ainsi, tandis que le V&A offre une exposition de design Une b r i t a n n i qu e ( l i r e n ot r e impressionnante édition du 10 juillet 2012), liste de créateurs la Tate se place comme le (dont le Français musée du futur avec Tanks, Boris Charmatz) la phase 1 de la nouvelle fournira du fil à retordre à un public, e x t e n s i o n . L e f e s t i v a l , quant à lui, est intég ré apparemment, au circuit d’événements exigeant. En des J.O. ; autant dire qu’il revanche, ce sert à présenter au monde changement la nouvelle branche de la structurel est Tate Modern. Il se déroule également dû aux pendant quinze semaines artistes, dont la pratique a beaucoup autour de commandes, une changé ces dernières présentation des œuvres de quinze années, selon la collection (performances, installations et films) et Nicholas Serota toute une panoplie de projets tour nants. Mais qu’entend-on par là ? Une commande faite à l’artiste multimedia coréen Sung Hwan Kim, par exemple, produite grâce au soutien financier de Sotheby’s, sera présentée en permanence dans le East Tank. L’aile sud hébergera des projets qui refléteront l’histoire de la performance et des arts éphémères, avec des micro-projets, ainsi que des actions massives visant très précisément l’interactivité entre le public et l’œuvre. Cet aspect est un des moteurs décisifs de Suite du texte de Une

Le Quotidien de l’Art

-Agence de presse et d’édition de l’art 61, rue du Faubourg Saint-Denis 75010 Paris * éditeur : Agence de presse et d’édition de l’art, Sarl au capital social de 10 000 euros. 61, rue du Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris. RCS Paris B 533 871 331 * CPPAP : 0314 W 91298 * www.lequotidiendelart.com : un site Internet hébergé par Serveur Express, 8, rue Charles Pathé à Vincennes (94300), tél. : 01.58.64.26.80 * Principaux actionnaires : Nicolas Ferrand, Guillaume Houzé, Jean-Claude Meyer * Directeur de la publication : Nicolas Ferrand * Directeur de la rédaction : Philippe Régnier ([email protected]) * Rédactrice en chef adjointe : Roxana Azimi ([email protected]) * Marché de l’art : Alexandre Crochet ([email protected]) * Expositions, Musées, Patrimoine : Sarah Hugounenq ([email protected]) * contributeurs : Emmanuelle Lequeux, Damien Sausset, Virginia White * Maquette : Isabelle Foirest * directrice commerciale : Judith Zucca ([email protected]), tél. : 01.82.83.33.14 * abonnements : [email protected], tél. : 01.82.83.33.13 * Conception graphique : Ariane Mendez * Site internet : Dévrig Viteau © ADAGP Paris 2012 pour les œuvres des adhérents --

Eddie Peake, DEM, performance au Cell Project Space, Londres, 2012. Photo : © Adham Faramawy.

l’émancipation qui redéfinit la conception du musée d’art contemporain du XXIe siècle. Nicholas Serota, directeur de la Tate, reconnaît « qu’il est devenu évident que [nos] publics cherchent de nouvelles formes de participation et d’engagement personnel. Ils veulent du dialogue et de la discussion (...) ». Il n’est donc pas étonnant que l’une des activités proposées aux familles soit la manipulation de films 16 mm afin de créer leur propre narration, qui sera projetée sur les murs du Tanks, ou bien encore un workshop avec C’est ainsi que les l ’ a r t i s t e c u b a i n e Ta n i a événements culturels Bruguera, à partir de son de cet été se placent projet Immigrant Movement à la fois dans une International. Par ailleurs, position pionnière les Transformers Galleries et mainstream, hébergeront des pièces-phare forts du momentum de la collection des artistes fourni par l’arrivée Suzanne Lacy et Lis Rhodes. de milliers de Une impressionnante touristes prêts à liste de créateurs (dont le profiter de Londres. Français Boris Charmatz) Ainsi, tandis que fournira du fil à retordre à le V&A offre une un public, apparemment, exposition de design exigeant. En revanche, ce britannique, la Tate changement structurel est se place comme le également dû aux artistes, musée du futur avec dont la pratique a beaucoup Tanks, la phase 1 de changé ces dernières quinze la nouvelle extension années, selon Nicholas Serota. Ainsi, le musée, dont la phase 1 s’ouvre au public, pour un coût global de 215 millions de livres sterling dont 50 millions proviennent du gouvernement, 7 millions de la Ville de Londres et le restant de donations (souhaitant, pour l’heure, demeurer anonymes), loin d’être une opération de charme, a su jouir d’un timing parfait. ❚ The Tanks: Art in Action, du 18 juillet au 28 octobre 2012, Tate Modern, Bank Side, Londres, tél. +44 20 7887 8888, www.tate.org

brèves

le quotidien de l’art / numéro 193 / mercredi 18 juillet 2012

Un bon premier semestre

La société de ventes Aguttes suspendue

Christie’s vient de communiquer ses résultats mondiaux pour le premier semestre 2012. L’auctioneer totalise 2,2 milliards de livres sterling (2,8 milliards d’euros), en hausse de 13 % (en livres sterling) comparé au premier semestre 2011. Cette somme comprend les ventes privées réalisées par Christie’s, à hauteur de 413,4 millions de livres sterling (527 millions d’euros), en hausse de 53 % par rapport à la même période de l’année dernière. Selon la maison de ventes, ce résultat global et mondial est le meilleur qu’elle ait jamais enregistré pour un premier semestre. Christie’s se félicite du produit de sa vente d’art d’après-guerre et contemporain du 8 mai dernier à New York, qui a totalisé 388,5 millions de dollars (298 millions d’euros), le plus gros montant jamais obtenu par une vente dans cette catégorie.

Jonas Tebib rejoint Phillips de Pury & Cie Phillips de Pury & Cie étoffe son équipe parisienne avec l’arrivée de Jonas Tebib, chargé de développer le département de photographie de la maison de ventes. Après un parcours dans différentes galeries de photographies dont Baudoin Lebon et Esther Woerdehoff à Paris, il a été conseiller et courtier pour des collectionneurs privés. Il a dernièrement collaboré avec la galerie The Empty Quarter à Dubaï.

page 03

Le Conseil des Ventes Volontaires (CVV), organisme de régulation des ventes publiques nationales, vient, sur décision disciplinaire, d’interdire pour une durée de deux mois – juillet et août – à la société de ventes Aguttes (Neuilly-Lyon) d’exercer ses activités. À l’origine de cette décision, un tableau « estimé 20 000 à 30 000 euros qui a été confié pour vente il y a cinq ans à notre société, nous indique le commissaire-priseur Claude Aguttes. La personne à qui nous avons fait le chèque après la vente n’était pas le propriétaire et l’a versé à une société étrangère. L’authenticité du tableau ayant été mise en cause, l’acheteur a alors déposé plainte auprès du Conseil des Ventes. Dans cette affaire, j’ai manqué de vigilance, étant absent quand le vendeur a déposé le tableau. J’ai été en outre un peu long à répondre au Commissaire du Gouvernement [saisi de la plainte, ndlr] », reconnaît Claude Aguttes, qui ne travaille plus avec son expert de l’époque, Dan Coissard. Le CVV n’a pas souhaité commenter cette décision. Depuis 2010, le Conseil a choisi de ne plus publier sur son site Internet ses décisions disciplinaires.

Contactez le Quotidien de l’Art Publicités Partenariats Valérie Suc Tél : (+33) 01.82.83.33.13 Fax : (+33)01.75.43.85.13 [email protected]

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exposition page 04

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L’humanité en lutte de Rineke Dijkstra à New York P a r Emm a n u e ll e L e q u e u x

Ces visages ne vous quittent pas. Comme ceux d’amis lointains qui se seraient c o n f i é s s o u d a i n à vo u s , d’inconnus qui offrent leurs secrets. Quelques minutes passées avec eux suffisent : on pense les connaître. Telle est la force du regard de Rineke Dijkstra : ses portraits photographiques saisissent les identités dans leur quête comme dans leur trouble, provoquant un sentiment de déconcertante intimité avec ces anonymes. Frontaux sans être catégoriques, doux malgré la rutilance du flash, ils restituent les doutes adolescents, le bonheur confus des jeunes mamans, l’égarement des toreros tout juste sortis de l’arène. Dans sa rétrospective proposée par le musée Guggenheim de New York, la photographe néerlandaise donne à redécouvrir la complexité de ses images, trop souvent occultée par leur médiagénie. Certains de ces clichés ont fait le tour du monde, icônes qui cachent une forêt de silhouettes davantage méconnues, mais tout aussi touchantes. Certes, on ne se lasse pas de contempler la maladresse de ces gamins saisis au sortir du bain sur les plages de Pologne et d’Ukraine : tout mouillés comme s’ils venaient de naître, faibles à force de jouer aux durs version petits mâles, puériles dans leurs costumes de starlettes en ce qui concerne les jeunes filles. Mais c’est dans le dialogue qu’ils entament avec d’autres quidams rassemblés dans des séries moins diffusées que le charme opère réellement. Ainsi des quelques images qui retracent sur quinze années l’évolution de la jeune Almerisa : exilée bosniaque rencontrée enfant dans un centre de demandeurs d’asile, qui peu à peu devient femme intégrée à la société hollandaise, et mère. Ses cheveux se teintent de différentes couleurs, l’ovale de son visage s’affine ou s’alourdit, l’âge guette. Mais, dans cette vue en coupe de la vie d’une femme, l’essentiel échappe : l’âme et ses tourments. C’est parce qu’elle accepte cette impasse, qu’elle cherche cependant par tous les détours à l’annihiler, que Dijkstra s’avère une immense portraitiste. Elle sait comment faire vaciller les défenses de celui qui s’affronte à son objectif, comment l’approcher quand il est le moins infaillible : l’instant d’après le combat. Jeunes israéliens tout juste sortis du

Rineke Dijkstra, Ruth dessinant Picasso, 2009, projection vidéo HD avec du son, 6 min., 33 sec. Courtesy the artist and Marian Goodman Gallery, New York and Paris. © Rineke Dijkstra.

lycée et portraiturés en habits de soldats après l’exercice militaire ; matadors souillés du sang du taureau, leur frère ennemi ; enfants en suspens dans leurs jeux en forêts ; mamans à peine sorties de l’arène de leur lit d’hôpital, nouveau né dans les bras. C’est une humanité en lutte qu’évoque Rineke Dijkstra. Une humanité qui refuse de renoncer, qui erre dans sa tentative d’être soi, à nul autre pareil, et qui parfois échoue. Le vacillement est l’essence de ces êtres. Il est particulièrement perceptible dans les différentes vidéos réalisées par l’artiste au sortir de nightclubs paumés : après avoir isolé les adolescents mis sur un 31 déconcertant de vulgarité, l’artiste leur a demandé de danser devant sa caméra, sur leur musique préférée. Certains, rares, font les « cacous » en d’ébouriffantes démonstrations ; la plupart sont plutôt glacés d’effroi par ce regard qui les détache du groupe ; puis ils tentent de se libérer, d’un coup de hanche, d’un regard provocant, y parviennent parfois. Ventre dénudé, sexualité assumée, bière à la main et cigarette au bec, ce sont les jeunes filles qui bouleversent surtout. Leur moindre frémissement dit le désir et l’angoisse d’être enfin femme. Et l’on n’a qu’une envie : que l’artiste nous donne aujourd’hui des nouvelles de ces sœurs en détresse, effleurées du regard. ❚ Rineke Dijkstra: A Retrospective, jusqu’au 8 octobre, Solomon R. Guggenheim Museum, 1071 Fifth Avenue, New York, tél. +1 212 423 3500, www.guggenheim.org

exposition page 05

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La beauté immédiate de Nils-Udo P a r D a m i e n S a u ss e t

Il y a dans l’art de Nils-Udo une forme de maniérisme surannée qui ravit certains et énerve profondément d’autres. Ses interventions dans la nature doivent sans aucun doute se lire comme des poésies, presque des odes dédiées au pouvoir de la vie. En cela, sa pratique se distingue radicalement du land art, mouvement auquel on tient encore à le rapprocher. Chacune de ses œuvres - installations, photographies ou plus récemment peintures - cherche un effet immédiat, jouant avec les canons de la beauté. Et c’est ce caractère - une beauté immédiate, séductrice - qui divise profondément. Aussi faut-il aller à Campredon Centre d’art, à l’Isle-surla-Sorgue (Vaucluse), qui présente une rétrospective resserrée. Installé depuis 1984 dans un bel hôtel du XVIII e siècle, Campredon (sous la direction de Muriel Catala) produit trois expositions par an, toutes consacrées aux maîtres de la photographie ou à des artistes reconnus mais un peu en marge du marché de l’art (Hervé di Rosa, Jean Le Gac). Avec Nils-Udo, les beaux espaces du centre permettent une stricte répartition chronologique. Tout débute avec un ensemble de photographies noir et blanc du début des années 1970, époque où l’artiste de retour de Paris délaisse la peinture pour se consacrer à des interventions dans la nature. Il loue alors les terres autour de sa demeure en Allemagne et y réalise de vastes plantations. Dans le même temps, il cueille des fleurs et des baies, les disposes ici et là, entremêle des branches. Les premières images de l’exposition attestent de cette période et montrent la force émanant de l’ensemble. Avec le recul, on découvre combien cette puissance repose sur deux principes : les installations sont soigneusement imaginées en fonction d’un point de vue unique. À charge pour la photographie d’en fixer le souvenir. Dans un second temps, le noir et blanc renforce l’impression d’objectivité qui en retour exacerbe les contrastes entre la nature et l’artificiel des installations. De cette tension naît une certaine poésie où le temps prend toute son importance, notamment dans les quelques séries présentées dans les salles suivantes. Là, l’écoulement du temps se réduit aux variations climatiques, aux saisons et à leur incidence sur notre perception. L’irruption de la couleur dans les photographies bouleverse ce système et d’une certaine manière le rend malheureusement caduc. Le réel fait alors un retour en force et apparaît dans une artificialité presque mièvre. Le premier étage montre un changement de registre radical avec six encres monumentales de 1989. L’homme n’avait finalement jamais abandonné la peinture et ces représentations bruissent d’une indéniable

Nils-Udo, 1034 - La Branche, huile sur toile, 172 x 120 cm, 2005. Copyright Nils-Udo.

vitalité. Les toiles qui suivent ont le don d’intriguer. Les couleurs y sont saturées, les motifs du paysage réduits à des formes schématiques. Pourtant, dans les dernières salles, l’étonnement cède la place à un étrange sentiment devant des visions plus figuratives, plus pastel. Le romantisme, qui jusqu’ici était implicite, s’affirme, prend une nouvelle ampleur avec des paysages à la composition plus convenue, presque kitsch. Faut-il voir dans ces œuvres une nouvelle interrogation sur la figuration, comparable en cela au retournement de Picabia dans les années 1940 alors qu’il réalise des nus longtemps incompris de la critique ? À chacun d’en juger. ❚ Nils-Udo, Nature (élément), jusqu’au 7 octobre, Campredon Centre d’art, 20, rue du Docteur-Tallet, L’Isle-sur-la-Sorgue, tél. 04 90 38 17 41, www.islesurlasorgue.fr

en direct des galeries page 06

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Július Koller ou l’art du Ping-Pong par roxana azimi

C’est un regard d’une tendresse e t précision infinie que porte la minirétrospective organisée à Par is par la Galer ie gb agency sur le travail de Július Koller, disparu voilà cinq ans. Celle-ci permet d e m e s u r e r l ’ a mp l e u r du territoire mental qu’a arpenté à partir de la fin des années 1960 l’artiste slovaque en des gestes simples, des antihappenings éminemment poétiques et utopiques, des diagrammes minimaux dessinés sur des cartes postales. Ce travail traversé par l’humour et l’absurde, mâtinés des échos du situationnisme et de Fluxus, pose la question de l’auteur, comme émetteur et diffuseur, sa représentation permanente et la question, obsédante, de la signature. Il se portraiture tour à tour en peintre académique, en artiste professionnel, avec en filigrane une question : qu’est-ce que l’art ? Est-ce du déchet (ODPAD), comme il l’écrit en toutes lettres ou comme il semble le signifier avec sa palette ? Le créateur est-il le sceptique, celui qui promène Ce travail traversé dans l’espace public ses doutes par l’humour et l’absurde, mâtinés et points d’interrogations, questionnant la relation des échos du de l’individu au monde ? situationnisme et Ou encore la vigie, le signal de Fluxus, pose la question de l’auteur, signifié avec juste un SOS graffité, plus incantation comme émetteur qu’appel au secours ? et diffuseur, sa Dans un pays ligoté représentation par l’idéologie soviétique, permanente et la question, obsédante, où l’occupation de l’espace physique était impossible, de la signature Július Koller n’eut d’autre choix que d’intervenir dans l’espace métaphorique, en construisant une vie alternative, voire en imaginant un Paradis slovaque, comme on le voit sur une photo noir et blanc devisant avec ses amis dans un cadre bucolique. À la fois archéologue et futurologue, l’artiste, qui réalise en 1970 sa première Universal-Cultural Futurogical

Vue de l’exposition « Július Koller » à la Galerie gb agency, Paris, 2012. Photo : D. R.

Operation (UFO), se présente dès lors en intercesseur entre le passé et le futur, entre la maison traditionnelle peinte scrupuleusement et la soucoupe volante qui hante désormais son œuvre. En 1971, il crée la galerie Ganek UFO, une jolie fiction perchée sur les Hautes Tatras, supposée connecter les mondes terrestres et extra-terrestres. Faute d’occuper le terrain physique, il habite celui de l’histoire de l’art, en détournant par exemple le Cri de Munch pour rejouer le hurlement à la mort de sa mère. L’occupation, c’est aussi la force psychique de sa conviction. Invité pour l’exposition « Face à l’histoire » au Centre Pompidou en 1996, il n’obtient pas son visa de sortie. Qu’importe, il réalise des collages drolatiques où il incruste son image surdimensionnée devant l’architecture de Beaubourg. La même année que les premiers UFO, il crée le PingPong Club, estimant que ce jeu était le seul moyen équitable d’échange dans un pays corseté. Une dérisoire tentative de connexion, de création non pas d’un art, mais d’un monde nouveau. En son hommage, la galerie convie le 21 juillet, dernier jour de l’exposition, curateurs, critiques et artistes à rejouer une dernière partie, utopique, forcément utopique. ❚ Július Koller, Mini-Concepts/ Maxi-ideas, jusqu’au 21 juillet, Galerie gb agency, 18, rue des 4-Fils, 75003 Paris, tél. 01 44 78 00 60, www.gbagency.fr

ventes publiques page 07

le quotidien de l’art / numéro 193 / mercredi 18 juillet 2012

Des résultats inégaux au premier semestre pour les SVV à Paris par alexandre crochet

SVV

Montant adjugé

Progression

(frais compris, en millions d’euros)

par rapport au 1 semestre 2011 er

1

Sotheby’s

91

-8%

2

Artcurial

73,4

+ 24,6 %

3

Christie’s

69

- 38 %

4

Millon

24,6

+ 4,95 %

5

Aguttes

23,5

- 3,3 %

6

Tajan

17

+ 10 %

7

Piasa

16

+ 18 %

8

Pierre Bergé & Associés

15,1

- 12,8 %

9

Beaussant-Lefèvre

13

+ 11 %

12,4

- 62 % +5%

10

Ex aequo : Gros et Delettrez et Cornette de Saint-Cyr

Résultats des SVV spécialisées en « Art et objet de collection ».

Beau semestre pour Artcurial : pour la première fois, la maison de ventes dépasse Christie’s pour arriver en deuxième position. « Cela conforte le schéma d’une maison polyvalente, spécialisée dans un maximum de domaines, en quelque sorte son code ADN, confie François Tajan, co-président d’Artcurial. Les gens sont de plus en plus polyvalents dans leurs goûts. Nous avons développé de nouveaux domaines comme les arts de l’Islam avec Annie Kevorkian, et la collaboration avec Philippe Delalande a permis aux arts d’Asie de faire un bond. Nous poursuivons les ventes automobiles qui ont un potentiel important - un modèle vient de frôler 5 millions d’euros. Ces domaines nous permettent d’avoir accès à une clientèle de standing élevé. » Et d’ajouter : « Avec les ventes de bijoux et celle du Mans de cet été, au 1er septembre, nous serons peut-être dans les roues de Sotheby’s ! ». Sans collection d’ampleur équivalente à celle du château de Gourdon, vendue au premier semestre 2011, Christie’s accuse un recul supérieur à celui de Sotheby’s, qui gagne la première place. L’arrivée du commissaire-priseur James Fattori (parti d’Artcurial-Deauville) dans l’équipe de direction de Piasa

contribue par ailleurs à relancer cette maison, en repli en 2011. La diversification des lieux de ventes semble profiter à Millon qui a ouvert une salle à Bruxelles, tout comme à Aguttes (Neuilly, Drouot et Lyon). Tajan, en progression, se félicite de la forte participation d’acheteurs brésiliens, qui pèsent pour environ 8 % du chiffre d’affaires de ce semestre. La première moitié de l’année n’est pas très significative pour Pierre Bergé & Associés, qui abandonne Bruxelles pour Paris ; sur un total de 15 millions d’euros, 11,7 ont été réalisés en France. Enfin, l’Hôtel Drouot totalise 250 millions d’euros, en recul de 14 %, pâtissant entre autres de la décision de Cornette de Saint Cyr d’effectuer une importante session de prestige, les « Florilèges », en mars, à l’Hôtel Salomon de Rothschild (8,5 millions d’euros de produit), et non pas à Drouot. « Je constate un accroissement du phénomène de concentration des maisons de ventes, propre à assurer des économies d’échelles. En 2010, Sotheby’s, Christie’s et Artcurial représentaient environ 40 % des 14 premières maisons en France ; cette année, en 2012, elles occupent près de 65 % », note enfin François Tajan. ❚

exposition page 08

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Le musée du quai Branly goûte à l’histoire chinoise Par Sarah Hugounenq

Dans la nouvelle exposition du musée du quai Branly, Jean-Paul Desroches a pris le parti d’aborder l’histoire de la Chine par le prisme de sa gastronomie. « Le caractère fondamental et existentiel de la nourriture correspond à l’approche ethnologique du musée du quai Branly. Je ne pouvais pas faire une exposition de contemplation, comme je l’aurais fait au musée Guimet », explique le commissaire. Cette approche ethnologique vient en écho aux réflexions qu’a pu mener Claude Levi-Strauss dans son ouvrage Le Cru et le Cuit en 1964. En partant de réflexions liées à la nourriture, l’anthropologue constitue une grille de lecture de la société. Suivant le précepte de Levi-Strauss, « toute nourriture est bonne à penser », l’exposition « Les Séductions du Palais » tente de relier les ustensiles de cuisine à leur portée politique, religieuse et parfois même philosophique. Liés aux cultes des ancêtres, les bronzes du Néolithique sont les vecteurs des premières traces d’écriture archaïque. Alimentation et littérature ne font déjà plus qu’un au second millénaire avant notre ère. Les liens entre création poétique et boisson sont néanmoins peu exploités dans la suite du parcours. Seule la cérémonie du thé, naissant sous la dynastie Song (960-1279), est évoquée. Les délicates porcelaines de cette époque témoignent ici de la naissance d’une esthétique du dépouillement. L’évolution des formes et des techniques des récipients liés à la nourriture reflète également les mutations de la société chinoise. L’abandon progressif des bronzes fastueux au profit de laques et céramiques sous la dynastie Han (-221 av. J.-C.-200 après J.-C.) évoque, en filigrane, le passage Commissariat : Jeand’une organisation féodale et Paul Desroches, conservateur princière, à un Empire unifié général du patrimoine ; Yan Zhi, conservateur au département des reposant sur des propriétaires expositions du musée national de fonciers et des fonctionnaires. Chine. De rarissimes coupes en laque du début de notre ère, sorties exceptionnellement des réserves du musée Guimet, illustrent cette mutation. La suite du parcours tient davantage à une histoire des techniques. Aux créations exotiques en métaux cloisonnés et repoussés de la dynastie Tang (618-907), répond le raffinement des porcelainiers Ming (1368-1644) et Qing (1644-1912). Pour chaque période, pour chaque technique, les pièces les plus précieuses du musée national de Chine ont été sélectionnées, comme le tripode néolithique jua de la tombe de Fu Hao découverte en 1976. « J’ai voulu des objets documentés, beaux et rares », déclare le commissaire. Fidèle à sa volonté de resserrer les liens culturels entre la France et la Chine, Jean-Paul Desroches a servi d’intermédiaire pour la signature d’un partenariat entre le musée national

Vase tripode « jia » en bronze inscrit « Fu Hao », Fouilles de la tombe de Fu Hao, Anyang, province du Henan (1976), règne du roi Wu Ding des Shang (vers 1200 av. J.-C.), H. totale 66,5 cm, poids 20,5 kg. © National Museum of China. Photo : Dong Qing.

de Chine et le musée du quai Branly. En retour de ces prêts exceptionnels, le musée de la place Tian’anmen recevra à l’automne l’exposition « Masques, beauté des esprits » conçue par l’institution parisienne. Après avoir rapproché le musée du Louvre et la Cité Interdite de Pékin (lire notre édition du 12 octobre 2011), Jean-Paul Desroches s’attelle Catalogue, coéd. Musée du à renforcer la collaboration quai Branly / Rouergue, Actes Sud, entre le musée Guimet et le 224 p., 35 euros. musée national du Palais de Taipei, pour une exposition parisienne à l’automne. « Ces partenariats sont l’aboutissement de ma carrière, remarque le conservateur. La Chine est devenue très importante et ses institutions s’ouvrent aux autres. J’aide à les faire réfléchir à des thématiques communes aussi diverses que la gestion des foules ou des solutions de conservation ». ❚ LES SÉDUCTIONS DU PALAIS, CUISINER ET MANGER EN CHINE, jusqu’au 30 septembre, musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007 Paris, tél. 01 56 61 70 00, www.quaibranly.fr