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25 févr. 2016 - ultrasécurisées et montrer patte blanche à chaque check point. « Nous nous trouvons dans un quartier de niveau IV, le plus dangereux, ...
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Vocations sous les barreaux Noémie Taylor-Rosner1 jeu, 25/02/2016 - 00:00 Le système carcéral américain offre aux détenus la possibilité d’étudier au sein de séminaires bibliques, en vue de devenir pasteur. Reportage à la prison de Lancaster en Californie. À deux heures au nord de Los Angeles, perdue dans le désert des Mojaves, la prison d’État de Lancaster accueille comme chaque lundi après-midi une classe d’un genre un peu particulier: un séminaire théologique pour détenus. Assis à des pupitres, dans une petite salle sans fenêtre, éclairée de néons, ils sont une trentaine d’hommes, de tous âges et de toutes origines, à suivre ce cursus menant au pastorat. Au programme: cours de Bible, de prêche et moments de prière collective. Pour arriver jusqu’aux détenus, il a fallu passer plusieurs lourdes portes métalliques ultrasécurisées et montrer patte blanche à chaque check point. « Nous nous trouvons dans un quartier de niveau IV, le plus dangereux, où s’applique une sécurité maximale », explique Beverly Russell, l’une des employées de la prison, en charge des ressources communautaires. « La plupart des détenus qui s’y trouvent ont été condamnés pour des meurtres, des crimes sexuels ou, très souvent, un passé de gangster », précise Euvonka Warren, aumônière de l’association chrétienne évangélique Prison Fellowship qui cofinance le séminaire, en partenariat avec The Urban Ministry Institute (TUMI), une autre organisation caritative d’aide aux populations urbaines défavorisées. Sauver des âmes Dans la classe, tous les étudiants sont vêtus de leur tenue bleue de prisonnier, frappée du sigle du système carcéral californien. Sur le cou et la nuque de certains, de larges tatouages rappellent leur appartenance aux gangs qui les ont conduits derrière les barreaux. « J’ai grandi en tant que baptiste très pratiquant, mais j’ai plus tard été amené à faire de mauvais choix qui m’ont conduit tout droit en prison », témoigne John, un homme athlétique, au crâne rasé, installé au premier rang. « Avant, je ne pensais qu’à moi et à mon ego. Arrivé ici, c’est grâce au soutien d’un codétenu chrétien qui a su m’aimer comme un frère et me donner l’amour inconditionnel qui m’a toujours manqué, que je suis parvenu à changer », raconte cet étudiant assidu qui, à sa sortie de prison, rêverait de travailler au sein d’une association religieuse d’aide aux jeunes des quartiers défavorisés. « Je ne veux pas qu’ils tombent dans le même piège que moi. Ce programme m’a appris à partager mon témoignage et m’a donné des clefs pour comprendre les Écritures. Mon but est aujourd’hui d’utiliser ces ressources pour sauver des âmes », conclut-il. Actuellement, quelque 1 100 détenus aux États-Unis suivent le même cursus que John, répartis dans une trentaine de prisons participantes. Depuis le début du partenariat entre Prison Fellowship et TUMI, en 2006, près de 200 personnes ont terminé le programme qui s’échelonne sur quatre ans. En fin de parcours, les étudiants reçoivent un certificat d’études en leadership chrétien. Ceux qui sortent de prison peuvent alors poursuivre dans la voie du pastorat en travaillant au sein

d’Églises (de la dénomination de leur choix) et de communautés urbaines défavorisées. C’est aujourd’hui le cas de la plupart des diplômés. « Le certificat d’études peut influer positivement sur la libération des détenus et leur permettre de bénéficier de remises de peine. C’est particulièrement vrai aujourd’hui, à l’heure où le système carcéral cherche à désengorger des prisons pleines à craquer », explique Euvonka Warren. Selon un plan approuvé l’an dernier par la commission des peines américaine, plus de 46 000 prisonniers (condamnés pour la plupart pour trafic de drogue) pourraient ainsi, sur le long terme, voir leur peine réduite. Devenir meilleur Mais tous les étudiants qui font le choix de suivre ce cursus ne deviennent pas forcément pasteurs. « En ce qui concerne les personnes condamnées à des peines de perpétuité, leur ambition est simplement de devenir meilleures, estime Euvonka Warren. Les prisonniers qui ont suivi notre programme ont aussi très souvent un impact positif sur les autres détenus, car ils transmettent autour d’eux ce qu’ils ont appris. Les gardiens ont d’ailleurs remarqué que l’atmosphère est plus apaisée au sein des prisons qui proposent notre cursus. Le système carcéral a tout à y gagner. » Lorsqu’ils se racontent, les détenus évoquent souvent en filigrane un manque d’amour familial. Pour beaucoup, le séminaire est une voie d’accès vers la repentance mais aussi l’acceptation et le pardon. « J’avais besoin d’un médiateur pour m’aider à me repentir. TUMI a joué ce rôle-là pour moi, explique David. Mais je sais aussi qu’il n’y a que Dieu qui puisse décider de ma remise en liberté. » Ancien gangster, Adrian a, lui, été évangélisé, à son arrivée en prison, par un ami, élève au sein du séminaire, qui a cru en lui. « Il m’a persuadé que j’étais capable de faire marche arrière et de changer de vie. » L’association Prison Fellowship, qui aide de manière globale à la réinsertion des détenus, a ellemême été fondée dans les années 70 par un célèbre repenti et « born-again christian », Charles Colson, ancien conseiller spécial du président Richard Nixon, inculpé de conspiration dans l’affaire du Watergate, en 1974. « La prison l’a marqué à jamais. Il y a rencontré des gens qu’il n’aurait jamais eu l’occasion de connaître s’il n’avait pas été incarcéré, raconte l’aumônière de Prison Fellowship. À sa sortie, il a créé l’association par refus d’oublier ceux qui étaient toujours derrière les barreaux. »

La liberté religieuse, un droit sacré même en prison Le système carcéral américain prend très au sérieux la liberté de culte, énoncée dans le premier amendement de la Constitution. Offices religieux quotidiens, cours de Bible, séances de yoga et de méditation, consultation d’un aumônier, accès à des repas confessionnels (végétarien, casher ou halal) : qu’ils soient chrétiens, bouddhistes, musulmans ou juifs, les 2,2 millions de détenus américains voient globalement leur foi plutôt respectée. Même en cas de difficultés, les prisonniers n’hésitent pas à recourir aux tribunaux. Ces dernières années, plusieurs cas ont fait jurisprudence, permettant notamment aux musulmans de porter une courte barbe en prison ou encore aux athées d’avoir accès à leurs propres aumôniers humanistes. Le milieu carcéral américain est aussi propice aux conversions. Selon un sondage publié en 2012 par le Pew Research Center, 72 % des aumôniers interrogés estimaient qu’il arrivait assez souvent voire très fréquemment que les détenus se tournent vers une nouvelle religion en prison. 51 % d’entre

eux affirmaient ainsi avoir remarqué une augmentation du nombre de détenus musulmans, 47 %, de protestants et 34 % de condamnés pratiquant le paganisme. N. T.-R. 1 http://reforme.net/annuaires/personnalites/noemie-taylor-rosner