LettreHollandeFrontexit_Sommet européen-21-10-2013

21 oct. 2013 - Ils ont ouvert un débat sur les politiques .... encore Eurosur, un système coordonné de surveillance qui, depuis 2011, fait appel aux.
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Geneviève Jacques La Cimade 64 rue Clisson

Monsieur le Président de la République 55 rue du Faubourg Saint- Honoré 75008 Paris

75013 Paris

Paris, le 21 octobre 2013 OBJET : SOMMET EUROPEEN DES 24 ET 25 OCTOBRE 2013

Monsieur le Président de la République,

Au lendemain du naufrage qui a coûté la vie à plus de 300 personnes à proximité des côtes de l'île de Lampedusa le 3 octobre, La Cimade, avec un grand nombre d'organisations du sud et du nord de la Méditerranée, a interpellé l'opinion sur la responsabilité des Etats européens et des pays qui collaborent à la politique migratoire de l’UE (voir ci-après la tribune : « L'Europe assassine » du 4 octobre 2013), et les membres du Parlement européen sur le rôle joué par l'Agence européenne des frontières, Frontex (voir ci-après le communiqué : « Frontex : surveiller ou sauver des vies ? » du 9 octobre 2013). A la veille du Conseil européen, La Cimade, avec ses organisations partenaires, membres de la campagne Frontexit, vous demande ainsi qu’aux Chefs d'Etat et de gouvernement de l’UE, de renoncer aux politiques sécuritaires et répressives qui ont jusqu'ici tenu lieu de politique d’asile et d’immigration.

Les deux récents naufrages près des côtes italiennes de bateaux transportant des personnes migrantes ont couté la vie à près de 400 personnes. Ils ont ouvert un débat sur les politiques européennes d’asile et d’immigration et suscité les réactions officielles de représentants de la Commission européenne et de responsables politiques des Etats membres appelant à une réforme de ces politiques. Vous avez-vous-même exprimé votre souhait de proposer « une politique » aux partenaires européens de la France qui pourrait s’articuler « autour du triptyque prévention, solidarité, protection ». Derrière le volet « protection », vous envisageriez le renforcement de la surveillance des frontières, donc du rôle de Frontex, et la lutte contre les passeurs. Mais c’est le modèle même des politiques migratoires européennes actuelles qu’il faudrait que la France questionne. Ce modèle, basé sur des politiques sécuritaires et répressives, qui n’offre presque plus d’opportunités d’immigration légale et se montre peu généreux avec les demandeurs d’asile, comme les Syriens dont seulement 500 réfugiés sont accueillis en France, est en partie responsable des morts en mer. Le souhait des responsables politiques européens de renforcer les moyens de l’agence Frontex inquiète les organisations de la société civile qui travaillent pour le respect des droits des personnes migrantes. C’est une fausse solution. En effet, Frontex n’a pas pour mandat le secours en mer ou la protection des droits des personnes migrantes.

Les morts en mer n’ont cessé d’augmenter ces dernières années malgré l’augmentation des moyens de cette agence. Frontex est le symbole de politiques européennes répressives qui criminalisent le fait migratoire (pénalisation du séjour irrégulier ; rétention administrative ; considérations administratives passant avant les besoins de protection internationale). Le Sommet européen des 24 et 25 octobre représente une occasion pour la France de lancer un débat sur le changement d’orientation des politiques européennes d’asile et d’immigration.

Une approche répressive des migrations internationales, en décalage avec la réalité Depuis plus de dix ans, la fermeture des voies d’accès légales au territoire européen s’est accompagnée de la mise en place de mesures répressives visant à empêcher les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile d’accéder au sol européen. Entre janvier 1993 et mars 2012, plus de 16 000 personnes sont mortes1 aux frontières de l’UE. Aujourd'hui plus que jamais la France, qui ambitionne un rôle moteur au sein de l’Union Européenne, doit prendre ses responsabilités et infléchir la politique migratoire de l’UE. L’Union européenne n’est pas menacée par des flux migratoires qui iraient uniquement du Sud vers le Nord. La part des migrations internationales est restée stable2 ces 50 dernières années, autour de 3% de la population mondiale ; 1/3 seulement de ces migrants internationaux s’est déplacé d’un pays en développement à un pays développé. De plus, sur 15 millions de réfugiés dans le monde, 4/5 sont accueillis par des pays en développement3 ; l’Afrique sub-saharienne à elle seule accueille 25% des réfugiés dans le monde, et l’Union européenne 15%. Construit sur la base d’analyses erronées, l’objectif irréaliste d’une étanchéité des frontières a servi de ligne directrice à la politique migratoire de l’Union européenne depuis 2002. L’absence de voies d’entrée légale sur le territoire européen a renforcé les réseaux de trafic de traite des êtres humains. L’externalisation des contrôles migratoires s’est traduite par la délocalisation et la sous-traitance des contrôles des frontières européennes aux pays voisins de l’UE, sans aucune garantie en termes de respect des droits des personnes migrantes, des réfugiés et des demandeurs d’asile. La coopération avec les pays tiers s’est trop souvent traduite par l’utilisation de l’Aide Publique au Développement à des fins de contrôle des flux migratoires, souvent en échange de la signature d’accords de réadmission. Les pays membres de l’UE n’ont pas hésité à signer des accords avec des dictateurs, notamment en Tunisie et en Libye. L’Agence Frontex a été mise en place en 2005 pour contrôler les frontières extérieures : au fur et à mesure que son budget a augmenté, le nombre de morts en méditerranée a augmenté en parallèle (source : Migreurop). Frontex, qui a une personnalité juridique, peut aujourd'hui signer des accords avec les pays tiers sans validation préalable du parlement européen. Ces accords visent à détecter les migrants en amont dans les pays frontaliers et entraînent des pratiques qui violent les droits fondamentaux des migrants : violation du droit d’asile et du principe de non refoulement ; enfermement sans base légale ; non accès à un avocat et non effectivité des droits ; traitements inhumains et dégradants ayant entraîné la mort de plusieurs migrants.

1

Migreurop (2012) Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Paris, Armand Collin 2 Chiffres : rapport du PNUD 2009, Lever les barrières, mobilité et développement humain 3 Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés, rapport 2012

Changer le paradigme de la politique migratoire européenne Il est urgent d’agir au niveau européen en réaffirmant l’intangibilité du droit international : les pays membres de l’Union européenne ont signé la convention de Genève sur la protection des réfugiés : seule une application effective de cette convention, notamment par la délivrance de visas, permettra d’éviter les drames en Méditerranée. L’UE ne doit pas confier la responsabilité des demandeurs d’asile et des réfugiés aux pays tiers qui ne leur assurent aujourd'hui aucune protection effective. Cela pousse les personnes fuyant les conflits, comme les Syriens, où les réfugiés du camp de Choucha en Tunisie, à prendre la mer au péril de leur vie. Au contraire, les Etats membres doivent renforcer la solidarité entre eux et ne pas laisser assumer l’accueil des réfugiés aux seuls pays européens situés sur les frontières extérieures. Le rôle de l’Agence Frontex doit aussi être questionné : il ne s’agit pas d’une agence de secours en mer mais bien d’un instrument répressif chargé d’empêcher les migrants, demandeurs d’asile et réfugiés d’entrer en Europe. Les moyens qui lui sont dévolus n’assurent pas la protection des personnes en mer, protection pourtant garantie par les conventions internationales. Des cas de non assistance à personne en danger ont été rapportés, tandis qu’un flou absolu règne sur la prise en charge des personnes interceptées par Frontex et notamment leur accès effectif au droit d’asile. Frontex est l’une des causes des morts en mer : pour éviter ses patrouilles, les embarcations prennent des routes de plus en plus longues et dangereuses. Enfin le soutien aux pays du sud de la Méditerranée ne doit pas s’inscrire dans une dynamique de contrôle des flux migratoires, mais dans une coopération d’égal à égal entre pays partageant historiquement un même espace commun où échanges humains, culturels, économiques ont toujours été la règle. A ce titre les Partenariats pour la mobilité proposés à plusieurs pays de la région après les révolutions en Tunisie et en Egypte sont totalement déséquilibrés, et tournés uniquement vers l’intérêt de l’Union européenne. La France doit porter une autre vision de la coopération avec ses voisins au sud de la Méditerranée. Ce changement de vision est urgent. Ainsi, nous espérons, Monsieur le Président de la République, que vous porterez une parole forte lors du Sommet européen des 24 et 25 octobre appelant à une politique européenne d’asile et d’immigration basée sur le respect des droits des personnes migrantes plutôt que sur la répression. Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en l’assurance de notre plus haute considération.

Geneviève Jacques Présidente de La Cimade Frontexit est une campagne portée par des associations, des chercheurs et des individus issus de la société civile du Nord et du Sud de la Méditerranée à l'initiative du réseau Migreurop.

ANNEXES Chiffres clés Tribune inter associative : « l’Europe assassine » – Libération 04 octobre 2013 ; Communiqué de presse : « Frontex : surveiller ou sauver des vies ? » - 09 octobre 2013

Chiffres clés En juin 2009, 75 boat people interceptés par les gardes côtes italiens appuyés par un hélicoptère allemand de l’opération Frontex Nautilus IV sont remis aux autorités libyennes ; l’Italie est condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. En 2011 d’après le HCR, au moins 1 500 personnes sont mortes en Méditerranée malgré le quadrillage de la zone par les navires de l’OTAN. Le budget de Frontex est passé de 19 millions d’euros en 2006 à 118 millions d’euros en 2011. Même si son budget a baissé en 2012 (89 millions d’euros) c’est l’agence opérationnelle la plus financée de l’UE. Entre le 03 et le 11 octobre 2013, au moins 400 personnes sont mortes en mer méditerranée 4/5 des réfugiés dans le monde sont accueillis par un pays en développement ; la France a accueilli 500 réfugiés Syriens, le Liban 1.3 millions (30% de la population locale)

L’Europe assassine – Libération 04 octobre 2013 Le nouveau naufrage dans lequel ont péri ou disparu, tout près de l’île de Lampedusa, au moins 300 personnes parmi les 500 passagers d’un bateau en provenance de Libye, n’est pas dû à la fatalité. En 2010, au même endroit, deux naufrages simultanés avaient provoqué près de 400 victimes. En 2009, 200 personnes se sont noyées au large de la Sicile. Pour les seuls six premiers mois de l’année 2011, le HCR estimait à 1 500 le nombre de boat people ayant trouvé la mort en tentant d’atteindre les rives de l’île de Malte ou de l’Italie. Depuis le milieu des années 90, la guerre menée par l’Europe contre les migrants a tué au moins 20 000 personnes en Méditerranée. La guerre ? Comment nommer autrement la mise en place délibérée de dispositifs de contrôles frontaliers destinés, au nom de la lutte contre l’immigration irrégulière, à repousser celles et ceux que chassent de chez eux la misère et les persécutions ? Ces dispositifs ont pour nom Frontex, l’agence européenne des frontières, qui déploie depuis 2005 ses navires, ses hélicoptères, ses avions, ses radars, ses caméras thermiques et bientôt ses drones depuis le détroit de Gibraltar jusqu’aux îles grecques pour protéger l’Europe des « indésirables ». Ou encore Eurosur, un système coordonné de surveillance qui, depuis 2011, fait appel aux technologies de pointe pour militariser les frontières extérieures de l’Union européenne afin de limiter le nombre d’immigrants irréguliers qui y pénètrent. Comment nommer autrement la collaboration imposée par l’Europe aux pays de transit des migrants – Libye, Algérie, Tunisie, Maroc – afin qu’ils jouent le rôle de garde-chiourmes et les dissuadent de prendre la route du nord, au prix de rafles, arrestations, mauvais traitements, séquestrations ?

Plus spectaculaire que d’habitude par son ampleur, le nouveau naufrage de Lampedusa n’a pas manqué de susciter les larmes de crocodile rituellement versées par ceux-là même qui en sont responsables. A la journée de deuil national décrétée par l’Italie – pays dont les gouvernants, de droite comme de gauche, n’ont jamais renoncé à passer des accords migratoires avec leurs voisins proches – y compris lorsqu’il s’agissait des dictatures de Kadhafi et de Ben Ali – pour pouvoir y renvoyer les exilés, font écho les déclarations de la commissaire européenne aux affaires intérieures, qui appelle à accélérer la mise en place d’Eurosur, destiné selon elle à mieux surveiller en mer les bateaux de réfugiés. Où s’arrêtera l’hypocrisie ? Peu d’espaces maritimes sont, autant que la Méditerranée, dotés d’un maillage d’observation et de surveillance aussi étroit. Si le sauvetage était une priorité – comme le droit de la mer l’exige – déplorerait-on autant de naufrages entre la Libye et Lampedusa ? Déjà sont désignés comme principaux responsables les passeurs, mafias et trafiquants d’êtres humains, comme si le sinistre négoce de ceux qui tirent profit du besoin impérieux qu’ont certains migrants de franchir à tout prix les frontières n’était pas rendu possible et encouragé par les politiques qui organisent leur verrouillage. Faut-il rappeler que si des Syriens en fuite tentent, au risque de leur vie, la traversée de la Méditerranée, c’est parce que les pays membres de l’UE refusent de leur délivrer les visas qui leur permettraient de venir légalement demander asile en Europe ? On parle de pêcheurs qui, ayant vu le navire en perdition, auraient continué leur route sans porter secours à ses passagers, et des voix s’élèvent pour exiger qu’ils soient poursuivis et punis pour non assistance à personne en danger. A-t-on oublié qu’en 2007, sept pêcheurs tunisiens accusés d’avoir « favorisé l’entrée irrégulière d’étrangers sur le sol italien »ont été poursuivis par la justice italienne, mis en prison et ont vu leur bateau placé sous séquestre parce qu’ils avaient porté secours à des migrants dont l’embarcation étaient en train de sombrer, les avaient pris à leur bord et convoyés jusqu’à Lampedusa ? Non, le drame de Lampedusa n’est pas le fruit de la fatalité. Il n’est dû ni aux passeurs voraces, ni aux pêcheurs indifférents. Les morts de Lampedusa, comme ceux d’hier et de demain, sont les victimes d’une Europe enfermée jusqu’à l’aveuglement dans une logique sécuritaire, qui a renoncé aux valeurs qu’elle prétend défendre. Une Europe assassine. Premiers signataires : Abderrhamane Hedhili, president of Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), Tunisia ; Filippo Miraglia, Associazione Ricreativa e Culturale Italiana (Arci), Italy ; Francis Lecomte, co-president of the Fédération des Associations de Solidarité avec les Travailleur-euse-s Immigré-e-s (FASTI), France ; Geneviève Jacques, president of La Cimade, France ; Karim Lahidji, president of the International Federation of human rights leagues (FIDH), international ; Mehdi Alioua, president of the Groupe antiraciste de défense et d’accompagnement des étrangers et migrants (GADEM), Morocco ; Olivier Clochard, president of Migreurop, international ; Stéphane Maugendre, president of the Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), France – members of the coalition Boats4People. Ahmed El Haij, president of the Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), Morocco ; Alexis Deswaef, president of the Human Right League (LDH), Belgium ; Antoine Cassar, Passaport Project and Le monde n’est pas rond, Luxembourg ; Arnaud Zacharie, Secrétaire général du CNCD-11.11.11, Belgium ; Christophe Levy, secretary general of the Groupe Accueil et Solidarité (GAS), France ; David Buitrón, Asociación Ecuador-Etxea, Spain ; Driss Elkerchi, president of the Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF), France ; Esther Canarias Fdez.-Cavada, co-coordinator of Iniciativas de Cooperación y Desarrollo, Spain ; Harresiak Apurtuz, coordinator of Euskadi de Apoyo a Inmigrantes, Spain ; Helmut Dietrich, Forschungsgesellschaft Flucht und Migration e.V. (FFM), Germany ; Jean-Eric

Malabre, co-president of the Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), France ; Julien Bayou, La Nouvelle Ecole Ecologiste, France ; Lorenzo Trucco, president of the Associazione Studi Giuridici sull’immigrazione (Asgi), Italy ; Mamadou M’Bodje, project manager of the Association de Solidarité et d’Information pour l’Accès aux Droits des étrangers (ASIAD), France ; Manuel Malheiros, president Liga-Civitas, Portugal ; Marysia Khaless, Français langue d’accueil, France ; Michala Bendixen, chairman of Refugees Welcome, Denmark ; Michel Brugière, president of the Centre Primo Levi, France ; Michel Tubiana, president of the Euro-Mediterranean Network for Human Rights (EMNHR), international ; Oscar Flores, spokesman of the Coordination contre les Rafles et les Expulsions et pour la Régularisation - Bruxelles (CRER), Belgium ; Serge Kollwelter, president of the Association européenne pour le défense des droits de l’Homme (AEDH), Europe ; Tarek Benhiba, president of the Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), France ; Vicent Maurí, spokesman of the Intersindical Valenciana, Spain ; Yves Ballard, president of Dom’Asile, France ; Association d’Accueil aux médecins et Personnels de Santé Réfugiés en France (APSR), France ; Associazione culturale Askavusa, Lampedusa, Italy ; Campaña por el cierre de los Centros de Internamiento de Extranjeros, “CIE’s No”, Spain ; Càritas Bizkaia, Spain ; Center for Peace Studies, Croatia ; Comisión de Ayuda al Refugiado en Euskadi (CEAR-Euskadi), Spain ; Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM), international ; Fédération de l’Entraide Protestante (FEP), France ; La Marmite aux Idées (Calais), France ; Mesa d’Entitats de Solidaritat amb les i els Migrants, Spain ; Movimiento contra la Intolerancia, Spain ; Réseau Euromed France (REF), France ...

Frontex : surveiller ou sauver des vies ? Six jours après le “drame de Lampedusa”, alors que le nombre de victimes ne cesse d’augmenter et que les recherches en mer continuent, la commissaire européenne aux affaires intérieures, Cecilia Malmström, transmet un message hypocrite et mensonger : la solution pour prévenir les morts en mer serait d’accélérer la mise en place d’Eurosur pour mieux surveiller les bateaux de réfugiés, et d’investir des ressources supplémentaires afin de lancer une grande opération de sauvetage en Méditerranée sous l’égide de l’agence Frontex. Mais à quoi sert Frontex ? Pourquoi aucun secours n’a-t-il été porté au bateau qui a fait naufrage le 3 octobre à à peine un kilomètre de Lampedusa ? Comment, avec neuf patrouilles de la Guardia Costiera, plusieurs patrouilles de la Guardia di Finanza, des bateaux militaires et des avions de surveillance, aucune information n’est-elle arrivée à temps sur l’île ? Jusqu’au 1er octobre 2013, un navire de la Guardia Civil espagnole mouillait à Lampedusa. Faisait-il partie de l’opération Hermes coordonnée par l’agence Frontex, le matin du drame ? Et si oui, que faisait-il pendant que des centaines de réfugiés se noyaient ? Au lieu de poser ces questions, l’Italie et les institutions européennes indiquent qu’il est temps de “réévaluer” le rôle de l’agence Frontex et de lui donner plus de moyens. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! L’agence Frontex a pour mandat la lutte contre l’immigration dite “clandestine” et non le sauvetage en mer. Augmenter ses opérations dans le canal de Sicile ne réduira pas le nombre de morts en mer : 3300 personnes auraient déjà trouvé la mort aux abords de l’île de Lampedusa1 depuis 2002, alors que l’agence est en fonction depuis 2005 et que ses moyens sont passés de 19 millions d’euros en 2006 à environ 85 millions d’euros en 2013. Même si les opérations d’interception en mer de Frontex sont souvent couplées à des opérations de sauvetage, le manque de transparence sur les activités de l’agence ne permet pas de savoir si ses patrouilles ont déjà véritablement sauvé des vies, ou si elles se sont

contentées de signaler aux autorités les plus proches des embarcations en détresse. Au-delà, le partage des tâches entre l’Union européenne et les États membres est sciemment laissé dans l’opacité. Qui doit prendre en charge les migrants interceptés ou sauvés ? Qui, des États membres, de l’UE ou de Frontex, est garant du respect du droit d’asile et du principe international de non refoulement ? Ces incertitudes, et l’absence de procédures clairement définies, fragilisent gravement les opérations de sauvetage en laissant dans l’ombre la question des responsabilités. La proposition de renforcer la présence de Frontex en Méditerranée, couplée à celle d’un renforcement de la coopération avec la Libye, révèle la volonté d’augmenter les patrouilles de l’agence européenne au large des côtes de Tripoli tout en externalisant la gestion des frontières. Cette politique entraînera un refoulement indirect des réfugiés vers la Libye où les droits humains des personnes migrantes sont notoirement bafoués2. Une façon de reléguer loin des yeux offusqués de l’opinion européenne les futurs “drames de l’immigration”. À l’heure où, une fois de plus, les responsables politiques des États membres et de l’Union européenne considèrent que la leçon à retenir du naufrage survenu à Lampedusa le 3 octobre est la nécessité de renforcer la surveillance des frontières, il est temps de s’élever contre cette fuite en avant et d’affirmer haut et fort : ‘surveiller’ n’est pas ‘veiller sur’. On ne peut à la fois ‘surveiller’ les migrants en tant que flux à stopper et ‘veiller sur’ les migrants en tant qu’humains ayant besoin de protection. Dès lors, jamais une politique de lutte contre l’immigration dite “clandestine” ne pourra être une politique respectueuse des droits des personnes.

1 : Source : United Against Racism et Fortress Europe 2 : "Libye, en finir avec la traque des migrants", Migreurop, FIDH, JSFM, juin 2012 ; "Scapegoat of fear : Rights of refugees, asylum seekers and migrants abused in Libya", Amnesty International, 20 juin 2013

© Migreurop (2012) Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Paris, Armand Collin, 144 p.