L'Éthiopie rongée par les violences interethniques AWS

auraient été fusillés par la police fédé- rale. Depuis, 29 Oromos ont été tués entre le 14 et le 17 décembre, et 32 So- malis ont perdu la vie en représailles. Loin des « traditionnels » conflits de ressources entre éleveurs souvent armés, résolus par les anciens et les autorités religieuses, les rivalités sont cette fois le fait de ...
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LE FIGARO

mercredi 20 décembre 2017

INTERNATIONAL

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L’Éthiopie rongée par les violences interethniques Les affrontements entre Oromos et Somalis ont fait des centaines de morts et ont déplacé 600 000 personnes depuis le mois de septembre.

Un garçon oromo s’est réfugié dans un camp temporaire, à l’extérieur d’Adama, dans l’Oromia, le 4 octobre.

CHRISTELLE GÉRAND ADDIS-ABEBA

ÉTHIOPIE L’Éthiopie a beau se targuer d’être « un îlot de stabilité au milieu d’une région troublée », le pays fait face depuis la mi-septembre à des violences interethniques qui virent au « meurtre de masse », concédait dimanche le premier ministre Hailemariam Desalegn lors d’une allocution télévisée. Si les tensions ne sont pas nouvelles entre éleveurs oromos et somalis, qui se disputent puits et pâturages le long de la frontière entre leurs deux régions semi-autonomes, un conflit si généralisé, si meurtrier et si long, est inédit. La mort de deux personnalités politiques oromos après leur arrestation par la police Liyu, un groupe paramilitaire somali, a mis le feu aux poudres le 11 septembre. Le lendemain, au moins 18 personnes - majoritairement somalies - ont été tuées à Awaday, une ville commerçante dans la région Oromia. À la suite de ces représailles, des familles oromos ont été chassées de leurs maisons dans la région Somali. Dorénavant réfugiées dans des camps de fortune dans l’Oromia, elles accusent la police Liyu d’avoir été à la manœuvre. Certaines maisons auraient été pillées, d’autres brûlées. Dans le même temps, des Somalis craignant pour leur vie dans l’Oromia, ont fui en sens inverse, vers l’est. D’après le responsable des opérations d’une ONG qui vient en aide aux deux ethnies et souhaite rester anonyme, ils sont actuellement 600 000 déplacés internes dans le pays, discrètement encouragés par les autorités régionales à trouver des proches chez lesquels s’installer. Le sentiment d’insécurité s’accroît à mesure que le nombre de victimes continue d’augmenter. Negeri Lencho, le porte-parole du gouvernement, reconnaissait « des centaines » de morts dès le 25 septembre. Par la suite, une quinzaine de personnes ont été tuées le 11 décembre à Chelenqo, dans l’Oromia, alors qu’elles manifestaient contre la mort d’un membre de leur communauté aux mains de la police Liyu. Ils

PAUL SCHEMM/AFP

Loin des « traditionnels conflits de ressources entre éleveurs souvent armés, résolus par les anciens et les autorités religieuses, les rivalités sont cette fois le fait de groupes armés

»

50 km

Mer Rouge

ERYTHRÉE SOUDAN

DJIBOUTI

Golfe d’Aden

ÉTHIOPIE Chelenqo

Addis-Abeba

Oromia

Somaliland OGADEN

Somali

SOUDAN DU SUD Moyale Infographie

Awaday

KENYA

SOMALIE

auraient été fusillés par la police fédérale. Depuis, 29 Oromos ont été tués entre le 14 et le 17 décembre, et 32 Somalis ont perdu la vie en représailles. Loin des « traditionnels » conflits de ressources entre éleveurs souvent armés, résolus par les anciens et les autorités religieuses, les rivalités sont cette fois le fait de groupes armés. Créée en 2007 pour lutter contre les insurgés sécessionnistes du Front de libération national de l’Ogaden après qu’ils ont tué 74 personnes, la police Liyu est depuis citée dans de multiples cas de torture, exécutions sommaires, viols et destructions de villages. Cette force paramilitaire de 42 000 hommes répond à Abdi Mohammed Omar, leur fondateur devenu président de la région Somali en 2010. Du côté Oromos, il pourrait s’agir du Front de libération Oromo, un groupe sécessionniste aux moyens dérisoires en comparaison de la police Liyu, armée et entraînée par le gouvernement fédéral et dont le rôle s’étend aujourd’hui à la lutte contre al-Chebab.

Des zones « explosives et imprévisibles »

Lors d’un référendum en 2004, les résidents des zones contestées ont estimé que 80 % d’entre elles devraient rester en Oromia, ou rejoindre cette région, la plus riche et la plus peuplée d’Éthiopie. La régularité du vote étant contestée, il n’a pas été suivi d’effets. En avril 2017, les présidents des régions Somali et Oromia ont cependant accepté d’appliquer les résultats du scrutin, sans concrétisation jusqu’à présent. Lors de ses incursions à l’ouest, la police Liyu annexerait symboliquement ces territoires, en remplaçant le drapeau oromo par le drapeau somali. Les zones historiquement disputées telles que Moyale, qui partage également une frontière avec le Kenya, sont devenues « si explosives et si imprévisibles », déplore le responsable d’une ONG, qu’il est « presque impossible » d’intervenir pour les humanitaires, craignant pour la sécurité de leur personnel face à un nombre de tirs élevés. Pour tenter d’apaiser la situation, les forces fédérales patrouillent les routes principales entre les deux régions. Mais comment protéger une frontière de plus de 1 400 kilomètres ? Le conflit menace de s’étendre. Ainsi, deux Éthiopiens oromos ont été tués au Somaliland voisin en septembre, et des milliers ont été chassés de ce territoire qui s’est autoproclamé indépendant de la Somalie en 1991. La situation est d’autant plus délicate pour le gouvernement, qu’elle remet en cause son fondement même, l’ethno-fédéralisme. Si le découpage du pays en neuf régions basées sur les ethnies principales depuis 1995 a le mérite de reconnaître les minorités et de minimiser les indépendantismes, reconnaît un professeur d’histoire de l’université d’Addis-Abeba, ce système a aussi augmenté la conscience identitaire de groupes auparavant fluides. Ce régime porte un autre risque inhérent : transformer des conflits de territoire en conflits identitaires, et une soif de revanche en nettoyage ethnique. ■