Les secrets des séries américaines

rants épisodes de Twin Peaks, en 1990, et au génie de David Lynch qu'il faut remonter. ... séries télévisées. A quand un House of Cards au. Palais fédéral? □.
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N° 33 Semaine du 14 août 2014 — Fr. 6.20 — www.hebdo.ch

série d’été 7/7 Berne

balades dans les pas de... Meret Oppenheim, Mani Matter, Lénine et Grock «The Knick»

La nouvelle série réalisée par Steven Soderbergh sera diffusée dès septembre sur la RTS.

Télévision

Les secrets des séries américaines Littérature

Nothomb, Beigbeder, Foenkinos... les stars de la rentrée

révélations

Le propriétaire de «l’agefi» sous enquête fiscale

éditorial

Christophe Passer Rédacteur en chef adjoint

Derrière les films et grandes séries télé: l’écriture Demeure toujours cette dialectique vaine

qui tend à opposer la qualité et le succès. Lorsqu’un film ou une série de télévision dépasse un certain niveau d’entrées ou d’audience, ce serait bien évidemment en raison d’une supposée démagogie, d’une facilité générale, réputée paresseuse souvent, vulgaire et plus populiste que populaire. Le plus idiot des sophismes consiste alors à imaginer que la proposition inverse est la vraie: combien de cinéastes font ainsi marotte de leurs échecs publics, les portant en sautoir comme autant de preuves d’un art revendiqué sans concession au commerce. Il était ainsi passionnant,

(lire le décodage de Clément Bürge en page 6) travaillant ensemble dans le sens d’un projet où il s’agit à la fois de plaire et d’innover, de peaufiner personnages complexes, répliques miraculeuses et montage malin, parfois sous la houlette d’un fameux écrivain ou réalisateur. Car s’il s’agit de dater le moment de cette formidable révolution qualitative des séries d’outre-Atlantique, c’est aux sidérants épisodes de Twin Peaks, en 1990, et au génie de David Lynch qu’il faut remonter. Ce talent, cette force de l’écriture, cette manière de ne plus considérer la télévision comme un petit écran, mais bien comme une autre manière de cinéma contemporain, font aujourd’hui encore constater en soupirant que True Detective ou Breaking Bad, c’est tout de même moins ballot que Julie Lescaut ou Camping Paradis.

Regarder et affronter le réel: à quand un «House of Cards» au Palais fédéral?

et plutôt rassurant, d’écouter Fernand Melgar s’exprimant à Locarno à propos de son nouveau documentaire, L’abri (lire en page 58). Ce film fera parler, agacera ou troublera, comme avant lui La forteresse ou Vol spécial. Mais Melgar en parlait avec lucidité et intelligence quand il rappelait, interrogé par le 19:30, que le cinéma, quelle que soit son intransigeance, était d’abord un «spectacle» destiné à conquérir un public. Le cinéaste ne le disait pas comme une grossièreté; plutôt à la façon d’une heureuse contrainte, de celles qui obligent à épurer, acérer, trouver une ligne directrice forte à votre travail créatif: une écriture. Quand il s’agit dès lors d’expliquer pourquoi les séries télévisées venues principalement d’Amérique ont un tel succès auprès du public suisse et international, il serait avisé de faire la même remarque: elles sont formidablement bien écrites. Souvent d’ailleurs par un collectif d’auteurs

On objectera que les marchés ne sont pas les mêmes. Que les chaînes américaines spécia-

lisées dans la diffusion de séries peuvent se battre en jouant sur plusieurs tableaux, avec des programmes très familiaux et d’autres, plus pointus, destinés à un public exigeant. C’est vrai, mais cela n’explique pas tout, et surtout pas la difficulté, en Europe ou en Suisse, à affronter courageusement l’immédiat, l’ombre et le réel dans nos séries télévisées. A quand un House of Cards au Palais fédéral? ■

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14 août 2014 l’hebdo 3

sommaire

Les contributeurs de la semaine

N° 33 14 août 2014 N° 33 semaine du 14 août 2014 — Fr. 6.20 — www.hebdo.ch

série d’éTé 7/7 Berne

BaLades dans Les pas de... MereT oppenheiM, Mani MaTTer, Lénine eT Grock

48 Luciana Vaccaro

«The KnicK»

La nouvelle série réalisée par Steven Soderbergh sera diffusée dès septembre sur la RTS.

Séries américaines

Télévision

Les secrets des séries américaines LiTTéraTure

Nothomb, Beigbeder, Foenkinos... les stars de la rentrée

révéLaTions

49 Martine Rahier

Enquête

Les secrets d’un succès

Le propriétaire de «L’agefi» sous enquête fiscaLe

49 Chantal Ostorero

Le propriétaire de «L’Agefi» visé par le fisc

50 Fathi Derder

Rentrée littéraire 2014 Mode d’emploi

Chroniqueurs

6

6 grandangle

20 cadrages

Décodage

Enquête Le propriétaire de «L’Agefi» est soupçonné d’avoir caché 54 millions au fisc.

Séries américaines: les secrets d’un succès La qualité des séries est telle qu’elles sont comparables à des romans, avec une liberté de ton qui dépasse souvent celle du cinéma. Les meilleures d’entre elles font l’objet de batailles entre les chaînes, des Etats-Unis à l’Europe. Comment travaillent les scénaristes?

13 projecteurs Sénat américain Bye-bye Carl. 13 Amazon-Hachette Orwell, well… 14 Dépendance Tous égaux devant le porno. 15 Surpoids Sacrés veinards, ces grizzlis! 16 Genève, villes et champs Les ballots et l’art dans la campagne.

N° 33 Semaine du 14 août 2014 — Fr. 6.20 — www.hebdo.ch

télévision

la Bataille Des séries us

révélations

le propriétaire De «l’agefi» sous enquête fisCale

berne

17 Ils l’ont fait Du graphisme à la damassine. 18 La mémoire des images Nouveaux mondes.

série D’été

Dans les pas de... Meret Oppenheim

Lénine

Mani Matter

20

23 Récit Le Suisse qui a failli inventer la photo. 24 Accords bilatéraux Pourquoi Blocher a tort. 27 Zoom Le capricorne asiatique, une menace pour les arbres suisses. 28 Lausanne Montbenon, le nouveau territoire de la peur. 30 Trajectoire Pierre Krähenbühl, le Suisse dans le chaos palestinien. 32 John Rizzo «Des centaines, peut-être des milliers d’Américains seraient morts sans la torture.» 36 Etats-Unis Deux tiers des Américains vivent dans une zone de non-droit. 39 Zoom Concentré de moto. 40 Suisse Quand l’aménagement urbain est conçu pour chasser les gêneurs. 41 Dans les pas de… Meret Oppenheim à Berne, Lénine à Zimmerwald,

52

Grock à Bienne, Mani Matter à Berne.

48 idées&débats Polémique Quatre personnalités défendent l’importance de la complémentarité universitéapprentissage. 51 En direct des blogs Joëlle Salomon Cavin, Sylviane Roche.

52 culture Rentrée littéraire 2014 Mode d’emploi. 58 Festival du film de Locarno Melgar, au bout du tunnel. 59 Cinéma La branche espère une reprise des négociations avec Bruxelles. 60 Musique L’école des chefs: l’art et la manière. 61 Classique Mélodie Zhao sur les pas de Beethoven. 62 Art contemporain Russe, kitsch, mais critique. 64 Courrier 65 Contacts

Grock

L’Hebdo, c’est tous les jours

BalaDes Berne, Zimmerwald , Bienne: nos bons plans

C

M

Y

K

Couverture régionale Berne Dans les pas de... Meret Oppenheim, Lénine, Grock et Mani Matter.

4 l’hebdo 14 août 2014

www. hebdo.ch

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couverture cinémax / xavier voirol couverture régionale xavier voirol / keystone / dr RTS/Fox / lorenvu sipa / Frederic SOULOY 2011 Gamma-Rapho / Olivier Dion

3 éditorial Christophe Passer Derrière les films et grandes séries télé: l’écriture. 35 Conflits Jacques Pilet Tourments occidentaux. 66 Meapasculpa Isabelle Falconnier Mon plaisir vaut mieux que le tien. 66 point final Catherine Bellini L’aveu de la rentrée.

crédit photo/ crédit photo gras / xxxxxx sony pictures television

GRANdangle

Les secrets

Séries américaines

6 l’hebdo 14 août 2014

GRANdangle

«breaking bad»

Une série déjà culte, qui a très vite trouvé son public.

Décodage. La qualité des séries est telle qu’elles sont comparables à des romans, avec une liberté de ton qui dépasse souvent celle du cinéma. Les meilleures d’entre elles font l’objet de batailles entre les chaînes, des Etats-Unis à l’Europe. Comment travaillent les scénaristes? De quelle manière écrivent-ils des scripts aussi forts?

d’un succès

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GRANdangle nnn 8 l’hebdo 14 août 2014

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HBO

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out commence dans une seule et unique pièce: la salle des scénaristes. A l’intérieur, une vaste table de travail, de grands bols remplis de chocolats et de fruits, des stylos et des blocs-notes en nombre. Aux murs, des panneaux blancs sur lesquels les intrigues sont inscrites. Et, surtout, une meute d’écrivains. Leur mission: écrire une série télévisée de génie en l’espace de six mois. «Tout est conçu pour créer une tension dans cette salle de travail, pour la transformer en un espace magique, ultracréatif», raconte Brett Martin, auteur du livre Des hommes tourmentés, le nouvel âge d’or des séries. Un procédé qui a déjà donné lieu à d’innombrables nouvelles séries à l’origine d’un renouveau de la télévision, comme Mad Men, Breaking Bad ou plus récemment House of Cards. La myriade de petites mains s’affaire autour d’un chef de meute, un showrunner, un écrivain-producteur qui est le cerveau de la série. «Au contraire du cinéma, où les réalisateurs sont les personnes les plus importantes, le scénariste en chef d’une série donne le ton. Il indique aux écrivains la direction générale que la dramaturgie doit prendre», précise encore Brett Martin. «Nous lui soumettons des propositions d’intrigues pour chaque épisode, ajoute Chris Provenzano, l’un des rédacteurs de Mad Men. Ainsi, sur les dix idées que nous lui présentons, peut-être qu’une ou deux d’entre elles sont intégrées au scénario final. Quant aux grosses ficelles du scénario, elles sont établies rapidement.» Le travail d’équipe se veut la clé du processus. Un système qui se distingue du cinéma européen: «La pire chose que les Français nous aient jamais apportée est la prétendue «théorie de l’auteur», a déclaré Vince Gilligan, le scénariste de Breaking Bad. C’est de la connerie. On ne peut jamais réaliser un film seul, encore moins une série télévisée.» Et la clé d’un succès qui a permis au huitième art de prendre une autre dimension. Au début des années 2000, la petite lucarne a connu une première révolution, grâce à l’arrivée de nouvelles séries

Les plus grands scénaristes du moment

L’écrivain de la Louisiane

Nic Pizzolatto, True Detective

C’est la nouvelle sensation du moment. Nic Pizzolatto, 38 ans, a publié deux livres avant de s’attaquer au monde de la télévision. Son premier livre, Galveston, avait même reçu en 2011 le Prix du premier roman étranger de l’Académie française. Puis, cet ancien professeur d’écriture a réussi à attirer l’attention de producteurs de télévision en leur envoyant une poignée de scripts. Il sort ainsi sa première

série True Detective en janvier 2014. Celle-ci se déroule dans sa Louisiane natale, un univers qu’il reconstitue à merveille dans cette série mi-policière, mi-philosophique. Le script est d’une incroyable complexité, les dialogues sont d’une profondeur romanesque. L’homme est en train de rédiger une nouvelle saison, qui se déroulera dans un autre lieu, aura une autre histoire et d’autres personnages.

AMC STUDIOS

Clément Bürge New York

Le génie perfectionniste

Matthew Weiner, Mad Men

Cet homme de 49 ans, est un obsessif. En 1999, il a écrit le premier script de Mad Men, qui parle d’une agence de publicité à New York dans les années 60. Depuis, il n’a fait que de penser à son futur chef-d’œuvre. Durant des années, il a mis de côté des bouts de tissu à utiliser pour les costumes, pensé à des modèles de réfrigérateur pour le décor ou encore inventé la biographie de ses personnages. Le show lancé, le

perfectionniste a alors fait attention aux plus petits détails pour créer l’un des meilleurs feuilletons de l’histoire télévisée, engageant même des linguistes afin que le vocabulaire des dialogues corres­ ponde à celui des années 60. L’ancien scénariste pour Les Soprano aime s’inspirer de sa propre vie: le héros de Mad Men, Don Draper, a une relation conflictuelle avec son père, tout comme Matthew Weiner.

GRANdangle

Keystone

Le jeune prodige Lena Dunham, Girls échecs professionnels, névroses, l’auteure arrive à aborder avec humour et finesse toutes ces questions de société. La série est quasi autobiographique, mettant en scène ses propres années de galère à New York. La protagoniste de la série, Hannah, qu’elle incarne, y est délicieusement insupportable. Il s’agit probablement de l’une des séries les plus humaines du moment.

HBO

sony pictures television

Lena Dunham est un ovni. Une des rares femmes scénaristes du monde télévisé. Elle a écrit, réalisé, produit et joué dans sa série Girls, qui va entamer sa quatrième saison. Et elle n’a que 28 ans. Le feuilleton parle des pérégrinations professionnelles, sexuelles, amicales d’une jeune fille qui vient de terminer ses études et essaie d’entamer une carrière à New York. Problème de poids, avortement, sexualité étrange,

Le sombre scénariste

Vince Gilligan, Breaking Bad

Vince Gilligan, 47 ans, n’a pas eu la vie facile. Il galère des années après ses études de cinéma à l’Université de New York. Puis, un jour, le grand brun a émergé un moment en devenant scénariste pour la série X-Files. Mais, de nouveau, le néant s’ensuit. Désespéré, il parle un jour avec l’un de ses amis, sur le parking d’un supermarché: «Je devrais arrêter d’écrire, acheter une caravane et vendre de la

méthamphétamine.» Sa cynique blague se transforme alors en mine d’or. Il développe sur la base de cette idée une des séries les plus marquantes de l’histoire de la télévision: Breaking Bad. Elle met en scène un professeur de chimie à qui on a diagnostiqué un cancer en phase terminale, qui décide de produire de la drogue pour laisser assez d’argent à sa famille après sa mort.

L’ancien journaliste

David Simon, The Wire

David Simon, 54 ans, a soif de vérité. Le scénariste a travaillé en tant que journaliste pour le Baltimore Sun entre 1982 et 1995 où il couvrait les faits divers criminels. Sur la base de son expérience en tant que reporter dans l’une des villes les plus violentes des Etats-Unis, il a publié plusieurs livres. Il fait son entrée dans le monde de la télévision lorsque l’un de ses bouquins est adapté sur le petit écran (Homicide: Life on the

Street). Mais c’est en 2002 qu’il lance son chef-d’œuvre, The Wire, qui parle de la criminalité à Baltimore. Le réalisme de la série a été comparé à celui de travaux documentaires. Pour obtenir cette qualité, l’homme a fait appel à des confrères journalistes et à un ancien chef de police pour écrire le scénario. Depuis 2010, il se consacre à Treme, qui raconte les ravages à La Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina.

14 août 2014 l’hebdo 9

GRANdangle

comme Sex and the City, Desperate Hou- de magazines viennent apporter leur de trouver des histoires originales qui sewives et Les Soprano. Aujourd’hui, la maîtrise de l’information ou leur exper- touchent notre audience.» D’autres qualité des séries a franchi un nouveau tise dans un domaine en particulier. séries emploient le même processus. Et, surtout, de plus en plus de roman- Girls se veut même quasi autobiograpalier: «Ces feuilletons sont ciers écrivent les scénarios. phique, racontant les pérégrinations désormais devenus l’égal «On a vu une hausse du de son auteure en chef, Lena Dunham, des films, mais ils durent nombre d’écrivains à la sortie de l’université (lire encadré). dix ou treize heures et impliqués dans ce proEt les moindres détails des intrigues leurs personnages c e s s u s , e x p l i q u e sont vérifiés pour que ces séries sont bien plus déveLe coût de production, George Pelecanos, lui- paraissent le plus réel possible. Dans loppés», commente en dollars, d’un épisode même romancier et Homeland, qui parle de la relation d’une Robert Thompson, de «game of thrones». auteur de plusieurs agente de la CIA avec un militaire professeur spéciaUn épisode de «the big épisodes de la série The supposément devenu terroriste, «nous lisé en séries télévibang theory» coûte Wire. Ils ont apporté avons vérifié tous les détails du script sées à l’Université de 2 millions, un épisode de «breaking bad» au petit écran leur sens pour voir s’ils étaient plausibles, Syracuse. On les com3 millions. de la narration et leur sen- explique Sam Matthews, qui était chargé pare maintenant même sibilité. Les scénarios ont de contrôler le scénario. Par exemple, à des romans. Et peu de clairement gagné en finesse et en l’héroïne de la série, Carrie, est bipofilms sortis récemment peuvent rivaliser avec la série de fantaisie médié- complexité.» Des auteurs qui se sont laire et prend souvent des médicaments. vale Game of Thrones, le thriller philo- transformés en véritables mercenaires Nous avons donc examiné quel type sophique True Detective ou encore le qui se déplacent de série en série, offrant de traitement une personne souffrant leurs services aux projets les plus inté- de cette maladie doit prendre et étudié suspense de Homeland. leurs véritables effets secondaires.» De plus en plus d’acteurs et de pro- ressants et les plus rémunérateurs. Autre exemple, lorsqu’un personnage ducteurs de cinéma qui méprisaient voyage en avion ou en voiture, le temps autrefois la télévision y jouent main- Parfaire le réalisme tenant un rôle capital: Martin Scorsese Mad Men, saison 1, épisode 5. Ken Cos- de déplacement est soigneusement a lancé Boardwalk Empire en compagnie grove, un grand blond responsable des calculé. «Pas question qu’il se déplace de l’acteur Steve Buscemi. Les presta- comptes pour l’agence de publicité de Washington D. C. à Kaboul d’une tions de Matthew McConaughey et de Sterling Cooper, publie un article lit- scène à l’autre en une poignée de Woody Harrelson ont porté de bout téraire dans The Atlantic Monthly. Et secondes, alors que les autres personen bout l’excellent True Detective. Et Liv s’en vante dans son bureau. S’ensuit nages n’ont pas bougé», détaille Sam Tyler figure à l’affiche de la toute nou- alors une querelle avec son collègue Matthews. velle série The Leftovers. «La télévision jaloux et rival, Pete Campbell. Les La prise en compte du passage du est devenue le médium artistique le chefs de Ken Cosgrove le critiquent temps est capitale, à tel point que des plus important et le plus influent aux également: ses ambitions artistiques séries comme Mad Men et True Detective Etats-Unis, bien plus que le cinéma», n’ont rien à faire au sein de leur com- en ont fait l’un de leurs traits distincpagnie. tifs. Le lent passage des heures et des souligne Brett King. Cette situation, si réelle, illustre un jours est là pour donner aussi une processus primordial de la rédaction impression de réalisme. Les choses L’arrivée des écrivains prennent du temps, comme dans Les équipes de scénaristes étaient autre- des séries américaines. Elle est tirée la vraie vie. fois composées de rédacteurs de de l’expérience personnelle Comme les écrivains seconde zone ayant suivi de vagues de l’un des scénaristes. ou les rédacteurs, les études de cinéma. «Ces recalés du «L’histoire de Ken Cosconsultants jouent cinéma travaillaient de façon purement grove est la mienne», également un rôle alimentaire, glisse Robert Thompson. raconte Chris Provencrucial dans cette Ecrire pour la télévision n’était pas zano, l’un des écrile salaire annuel, en dollars, très exigeant, presque n’importe qui vains de la série, qui recherche de perdu «showrunner» pouvait le faire.» Tout cela a changé. rédigeait auparavant fection. Exemple matthew weiner lors «La compétition est plus féroce, seuls des scripts pour des avec Amazon, qui des dernières saisons est en train de proles meilleurs arrivent à percer publicités. du sHow «mad men». Cette capacité des duire une nouvelle aujourd’hui. J’avais l’habitude d’encousérie nommée Transparager mes étudiants à devenir scéna- séries à augmenter leur rent. Celle-ci raconte l’hisristes, et maintenant vouloir devenir réalisme est devenue l’un de toire d’un père de famille qui scénariste est l’équivalent de vouloir leurs principaux points forts. «Nous sommes constamment encou- change de sexe. Les artistes transdevenir une star de cinéma.» Un nombre croissant de rédacteurs ragés à puiser des idées dans notre sexuels Zackary Drucker et Rhys Ernst, professionnels ont désormais envahi expérience personnelle, éclaire Chris qui ont documenté leur propre chanles salles de scénaristes: les journalistes Provenzano. C’est la meilleure manière gement, ont été engagés pour donner

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nnn 10 l’hebdo 14 août 2014

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Les séries en chiffres Salaires des scénaristes Selon la Writers Guild of America, un scénariste novice de série télévisée gagne au minimum 3703 dollars par semaine. Un auteur plus expérimenté gagne au minimum 6036  dollars par semaine. Une saison étant normalement en production pendant environ six mois, ils gagnent entre 96 000 et 157 000 dollars pour leur travail. Le salaire moyen américain est, lui, de 51 000 dollars par année. Les showrunners peuvent gagner plusieurs millions par année. Matthew Weiner touchait 10 millions de dollars par année lors des dernières saisons de Mad Men. En comparaison, un scénariste de film touche entre

66 151 et 124 190 dollars pour son script. Certaines stars du domaine peuvent engranger plusieurs millions. Le script le plus cher de l’histoire du cinéma est celui de Déjà vu. En 2005, Terry Rossio et Bill Marsilii avaient reçu 5 millions de dollars pour ce scénario.

Coûts de production Les prix de réalisation d’une série télévisée peuvent fortement varier. En moyenne, un épisode de Game of Thrones coûte 6 millions de dollars pour le produire, contre 3 millions pour Breaking Bad ou 2 millions pour The Big Bang Theory. Les coûts des séries télévisées historiques peuvent augmenter radicalement. Le pilote

de Boardwalk Empire, qui se déroule dans les années 20, a coûté 18 millions de dollars pour sa réalisation. En comparaison, le budget moyen d’un film hollywoodien se situe entre 50 et 200 millions de dollars.

Femmes et télévision L’inégalité des genres règne au sein du monde télévisé. Seuls 12% des épisodes télévisés sont réalisés par des femmes.

La guerre Hollywood-New York Auparavant bastion des séries télévisées, Los Angeles a perdu énormément de séries au profit de New York ces dernières années. En 2005, 51 séries d’une heure ont été tour-

nées en Californie contre dix pour New York. En 2012, plus de 40 shows ont été réalisés à Los Angeles contre 19 pour New York. Un exode principalement lié à un programme de réduction fiscale lancé par l’ancien maire de la cité, Michael Bloomberg. En 20132014, pour la première fois, il y a eu davantage de nouveaux pilotes de séries tournés à New York qu’à Los Angeles: 24 ont été réalisés dans la première contre 19 dans la seconde. La Californie a connu une baisse de 11% (-16 137) des emplois liés au cinéma et à la télévision entre 2005 et 2012. New York a enregistré une hausse de 25% (+10 675) au sein de cette industrie sur la même période. n

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des conseils: «Nous lisons le script et expliquons ce qui correspond à la réalité ou pas, précise Rhys Ernst. Nous avons vécu ce que vit le personnage principal, et beaucoup de gens ont de la peine à comprendre les changements de sexe. Notre rôle est de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’erreurs. Il existe encore beaucoup de clichés sur les transsexuels.» Le principe est d’ailleurs une pratique courante: un journaliste d’investigation a conseillé la série Newsroom, qui met en scène une équipe de télévision, pour rendre leurs enquêtes le plus réaliste possible, et des criminologistes conseillent les shows policiers comme CSI.

nés, même s’ils n’apparaissent finalement jamais à l’écran. Autre exemple: l’équipe de The Wire a écrit le script en vivant à Baltimore, l’endroit où se déroule la série. «Nous connaissions la ville, ses habitants, même les policiers, nous étions totalement immergés», se souvient George Pelecanos. Une révolution technique a aussi permis à ce nouvel âge d’or d’émerger: «L’arrivée du câble a donné la possibilité de créer des séries télévisées plus pointues, expose Robert Thompson. Avant, une série devait être facile d’accès et plaire à un maximum de personnes. Alors que les nouvelles comme True Detective ou Girls touchent moins de personnes, mais ce sont des chefsd’œuvre.» Une recherche de qualité qui permet aux chaînes de télévision de se distinguer de la concurrence. La chaîne et maison de production HBO (Game of Thrones, Les Soprano, Girls) en a même fait sa spécialité, et d’autres suivent le mouvement, comme AMC (Mad Men, Breaking Bad) et Showtime (Homeland, Dexter, Masters of Sex). Suivant cette même logique, les distribu-

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De sombres antihéros

Certaines séries télévisées vont plus loin encore pour intensifier cette impression de réalisme. Par exemple, le créateur de Mad Men, obnubilé par son projet, a rédigé une biographie de chacun des personnages présentés dans la série. Leurs origines, parcours de vie et autres détails ont été imagi-

teurs de services télévisés en streaming sont aussi devenus des producteurs de séries. Netflix a ainsi créé House of Cards et Orange Is the New Black, et Amazon prépare ses propres shows. Le site internet de distribution a mis en ligne ses premiers pilotes pour jauger leur popularité avant de choisir quelle série produire. La création de feuilletons télévisés d’une qualité cinématographique a débouché sur une conséquence inéluctable: les protagonistes sont devenus très sombres. Tous sont des antihéros. Mad Men met en scène Don Draper, un génie créatif alcoolique, mauvais père et qui trompe sa femme. Breaking Bad montre un professeur de chimie cancéreux qui produit de la méthamphétamine pour gagner un maximum d’argent. Boardwalk Empire, une série sur la prohibition à Atlantic City, parle d’un gangster et de son empire de liqueur. Même Girls présente une femme égoïste qui exaspère l’audience. Une audience qui se reconnaît dans ces personnages ambigus. Une manière de se rapprocher, de nouveau, du vrai. ■

le meilleur de la rentrée 2014

ABC Studios

A&E

cinemax

Chaque fin d’été fait l’objet de batailles entre les chaînes et bouquets d’Europe pour s’arroger les meilleures séries. En voici trois qui feront parler d’elles.

«The Knick». Cette série de 10 épisodes venue de la chaîne américaine Cinemax fera l’événement sur la RTS dès le 1er septembre, en v.o. sous-titrée, trois semaines après son lancement aux Etats-Unis. On est en 1900, hôpital Knickerbocker, à New York. Un chirurgien cocaïnomane, John Thakery, est aux commandes du bloc. Racisme, corruption, boucherie sanglante de la chirurgie naissante: un mélange halluciné d’Urgences et de Gangs of New York. Avec Steven Soderbergh à la réalisation, et le fantastique Clive Owen dans le rôle principal. ■

12 l’hebdo 14 août 2014

«Those Who Kill». Depuis la fin du mois de juillet, c’est Canal+ qui diffuse la première saison de cette série aux airs de polar nordique dans une Amérique en crise. A Pittsburgh, entre les usines qui ferment, l’enquêtrice de la police criminelle Catherine Jensen (la belle Chloë Sevigny) traque les serial killers, dans une réalisation où l’action ne manque pas. Adaptation US de la série danoise Traque en série, Those Who Kill renouvelle le genre avec un personnage aussi tordu qu’attachant. ■

«The Whispers». Un vaisseau spatial paumé dans le Sahara et, dans le même temps aux Etats-Unis, des enfants qui deviennent bizarres et possédés, puis commettent des meurtres parmi leur entourage: bon sang, il s’agit d’une invasion extraterrestre! Comme ça, cette histoire a l’air débile, mais elle devrait être diffusée aux EtatsUnis à la fin de l’automne. Cependant, les premières images impressionnent et cette série de ABC a l’atout maître pour que tout le monde se l’arrache bientôt, là-bas comme ici: son producteur s’appelle ­Steven Spielberg. ■