Les rivières et la mer : un mariage fécond

que l'eau salée flotte sur cette dernière et de ce fait provoque une séparation de la colonne d'eau en segments qui restent séparés pour une période de temps.
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Les rivières et la mer : un mariage fécond Après les premières pelletées de terre de l’aménagement de la rivière Romaine sur la basse CôteNord, après l’annonce du futur aménagement de la Mécatina et celle encore vague du Plan nord mais qui vise d’autres destruction de rivières, voilà maintenant qu’on rêve de générer d’autres milliards de revenu en détournant les quelques rivières du sud de la baie James qui coulent encore librement pour alimenter en or bleu notre insatiable voisin, évidemment en respectant l’environnement ! Les rivières ne sont-elles que de simples conduites d’eau qu’on peut détourner, interrompre ou reconnecter comme bon nous semble sans impact sur les écosystèmes ? Se déversent-elles dans la mer en pure perte, ou au contraire jouent-t-elles un rôle insoupçonné à l’égard de la vie marine ? Il apparaît que de plus en plus de résultats de recherche tendent à confirmer cette dernière hypothèse. Les recherches scientifiques spécialisées dans ce domaine établissent que les interactions subtiles des apports d’eau douce, de l’influence des vents et des mouvements de marées constituent la clef de la compréhension des phénomènes complexes de productivité des estuaires et des zones côtières. La base de la productivité marine, c’est la production planctonique : le phytoplancton, ou portion végétale du plancton marin, ouvre le bal au printemps avec une explosion de croissance. Cette floraison est par la suite suivie de la croissance du zooplancton, la portion animale du plancton, qui se nourrit de cette manne. Les exigences de la croissance du phytoplancton incluent la stabilité verticale de la colonne d’eau, suffisamment de lumière et la disponibilité d’éléments nutritifs. Certains de ces facteurs peuvent être influencés par l’apport d’eau douce. D’après Mann et Lazier (1), deux mécanismes contrôlent le déplacement géographique de cette floraison printanière aux latitudes tempérées : le réchauffement des eaux de surface et la présence de rivières et de panaches estuariens dans les eaux côtières qui induisent une migration de la floraison printanière dans les eaux plus profondes à mesure que la saison progresse. L’addition d’eau douce à l’eau salée a un effet physique marqué : l’eau douce étant moins dense que l’eau salée flotte sur cette dernière et de ce fait provoque une séparation de la colonne d’eau en segments qui restent séparés pour une période de temps. Ce phénomène appelé stratification, a un effet identique à celui de la température (la stratification thermique). Ceci a pour conséquence que dans les zones tempérées la floraison planctonique peut commencer plus tôt près des côtes ou l’influence de l’eau douce est prépondérante. On constate donc l’élément déclencheur que constituent les coups d’eau printanier et l’intérêt qu’il peut y avoir de maintenir ces patrons d’écoulement des rivières pour le maintien de la productivité marine. L’influence sur les pêcheries est importante : on observe que les fluctuations interannuelles des rendements de certaines espèces de poissons et de crustacés sont en phase avec les apports d’eau douce. Le homard est une espèce de grande importance économique pour de nombreuses communautés de pêcheur, surtout depuis l’effondrement des stocks de poissons de fond. Sutcliffe a démontré une corrélation excellente (une des meilleurs dans le métier) entre le débit du fleuve Saint-Laurent en avril et les captures de homard dans le golfe neuf années plus tard, soit le temps que prennent les homards pour atteindre une taille commerciale. Il a conclu que la survie des larves de homard était meilleure lors des années de fort débit et que cette meilleure survie se reflétait dans les captures après cet intervalle de neuf ans. Dans le cas du homard du détroit de Northumberland, ce sont les débits du mois de juin de la principale rivière du secteur la rivière Miramichi, qui sont en cause. Une plus grande résistance de la colonne d’eau au mélange vertical induite par l’eau douce, a pour effet que la couche de surface peut devenir plus chaude en été, effet qui peut facilement affecter la productivité et la survie des larves de homard. Sutcliffe (2) s’est aussi penché sur les relations entre les débits du St-Laurent en mars et les prises d’aiglefin au Québec. Il démontre la sensibilité de cette espèce économiquement importante aux fluctuations des débits de rivières à des périodes critiques dans l’année et les conséquences que des modifications de débits peuvent avoir. La même constatation a été faite pour l’aiglefin dans la région du banc de Nouvelle Écosse où le moment de l’éclosion planctonique printanière (elle-même initiée par l’apport d’eau douce) pour la période de 1979 à 2001 pouvait expliquer 89% de la variance de la survie des larves de cette espèce : une classe d’âge de poissons est forte si le maximum de la production de zooplancton survient au moment de l’apparition des larves qui s’en nourrissent. Par ailleurs, d’autres chercheurs ont publié des données convaincantes qui établissent

la dépendance du recrutement des morues dans la mer du Nord à la qualité, quantité, et à la chronologie de la floraison du zooplancton. En Islande, il y a un intérêt commercial associé à l’effet de l’eau douce, car les principales aires de ponte des poissons commerciaux se retrouvent le long des côtes sud et sud-ouest, les zones les plus affectées par l’eau douce. On y a établi que les premiers stades des copépodes, un élément important du zooplancton, constituent une composante importante de la diète de la morue, et déterminé que les années où les densités de zooplancton étaient les plus grandes étaient les années où la production de phytoplancton commençait tôt dans les conditions favorables de la stratification induite par l’écoulement d’eau douce. Les déversements d’eau douce ont donc une forte influence sur la production des estuaires et la modification de la magnitude ou du patron de ces déversements peut avoir des effets marqués sur la production biologique en milieu marin en interrompant le coup d’eau printanier bénéfique à la productivité, et provoquant des accroissements de débit en d’autre temps de l’année qui elles inhibent la productivité. Il faut donc conclure que l’eau des rivières participe étroitement aux grands cycles de la productivité marine. Les perturbations qu’ont connues ces dernières années les ressources marines du golfe pourraient trouver là une partie de leur explication.

1- Mann, K.H., J.R.N. Lazier. 2006. Dynamics of Marine Ecosystems. Biological-Physical Interactions in the Oceans. Department of Fisheries and Oceans, Bedfor Institute of oceanography. Darthmouth, Canada. Blackwell Publishing. 2- Sutcliffe, W.H. 1973. Correlations between seasonal river discharge and local landings of the American lobster (Homarus americanus) and Atlantic halibut (Hippoglossus hippoglossus) in the gulf of St.Lawrence. J. Fish. Res. Bd. Can. 30, 856-859.