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USSELMANN Emmanuelle M2 PDAPS ONG, acteurs de la coopération internationale

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Les ONG de santé et la question des punitions corporelles de la charia. Etude de cas d’amputations en application de la charia à Tombouctou au Mali (2012-2013) : Position de Médecins Sans Frontières (MSF)

Questionnements et situation : Les ONG humanitaires sont présentes au Mali depuis le début du conflit en 2012, cependant en ce qui concerne les ONG liées à la santé, leur action se retrouve limitée par des choix politiques, surtout lorsque l’application de la charia est en question : les médecins et personnels soignants des ONG ne devraient-ils pas effectuer eux-mêmes les amputations ? Doivent-ils soigner les amputés de la charia, quitte à avoir l’air de l’approuver ou l’encourager ? Cette analyse observe les choix pris par une ONG en particulier, Médecins Sans Frontières, face à des blessures particulières, des amputations en application de la charia (loi islamique).

Le Mali et les acteurs du conflit En ce qui concerne la situation du Nord du Mali pour MSF, des faits rendent la situation sécuritaire très instable et dangereuse. Ces faits sont par exemple, les braquages, les actes de banditisme, les représailles et exactions envers la population. La population se retrouve parfois déplacée. De plus, MSF a pu négocier sa présence dans les hôpitaux partiellement désertés de la région nord du pays. MSF s’est donc installé dans l’hôpital de Tombouctou, après avoir observé les besoins de la population au début de la crise : ruptures d’approvisionnements, départs de travailleurs gouvernementaux, malnutrition et soucis d’épidémies de choléra et paludisme. D’autres ONG font état et dénonce ces exactions : Amnesty International, Human Rights Watch par exemple, dans plusieurs villes du nord y compris Tombouctou. Ces organisations citent notamment la lapidation et les amputations, abusives dans la punition corporelle suite à l’application de la charia. Les groupes en force à Tombouctou plus précisément sont le MNLA et Ansar Dine, qui s’entendent dans le but d’accomplir leurs intérêts respectifs. Le MNLA a de fortes expériences dans les combats (labour rich) mais dont les apports financiers sont pauvres (cash poor) alors que d’un autre côté, Ansar Dine possède de son côté un soutien financier important et une force politique plus forte et stable (cash rich et labour poor).

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Le rôle de MSF et l’assistance aux victimes MSF a comme vocation de porter assistance médicale à des populations dont la vie ou la santé est menacée. Les cas les plus courants sont lors de conflits armés, mais l’urgence humanitaire correspond aussi aux épidémies, pandémies, catastrophes naturelles, mais aussi lors de cas d’exclusions de soins. Chaque situation fait appel à des logistiques spécifiques, mais aussi chaque situation se voit être traitée avec des ressources médicales dédiées. Ainsi toute personne blessée, quelle qu’en soit la raison, sera prise en charge et soignée par MSF, en toute neutralité. « Indépendante de tous pouvoirs politiques, militaires ou religieux, MSF agit en toute impartialité, après évaluation des besoins médicaux des populations. »1 La création de MSF avait pour but de permettre aussi de dénoncer des situations que la Croix Rouge ne pouvait pas dénoncer de par sa charte. C’est pourquoi, « en 1971, des journalistes et des médecins furent les premiers à s’impliquer activement dans la création en France de Médecins Sans Frontières, une organisation d’aide médicale qui entendait disposer d’une plus grande liberté d’action et dénoncer publiquement certaines situations. »2

MSF et la communication liée à la charia MSF dénonce toujours publiquement les punitions corporelles de la Charia, tel que ce fut fait en Afghanistan3. Cette communication publique et dénonciation se fait auprès des médias, nationaux et internationaux, mais aussi auprès des organisations internationales afin de compléter les rapports d’Amnesty International et de HRW. Pourtant dans le but de pouvoir soigner et sauver le plus de vie, MSF se voit dans l’obligation de négocier sa présence sur le terrain avec les acteurs du conflit. La neutralité est l’aspect le plus important pour les ONG de la santé en milieu de conflit dans le but de pouvoir agir auprès des populations, tout en s’assurant une certaine sécurité. C’est pourquoi à Tombouctou, suite aux négociations avec Ansar Dine, les agents de MSF se voient dans l’obligation de ne pas être occidentaux, et de respecter la charia en public. La communication entre les différents acteurs doit se faire, y compris avec les belligérants des deux côtés, dans le but de faire savoir aux parties que l’offre de soin est 1

Site Internet de MSF http://www.msf.fr/page/association Brochure MSF : http://www.msf-azg.be/sites/default/files/brochure_msf_fr_final_0.pdf 3 Conoir, Yvan, et Gérard Verna. L’Action humanitaire du Canada: histoire, concepts, politiques et pratiques de terrain. [Québec]: Presses de l’Université Laval, 2002. Pages 105 et 106 2

USSELMANN Emmanuelle M2 PDAPS ONG, acteurs de la coopération internationale 2014 disponible, mais aussi dans le but que la neutralité et l’intégrité de la mission de MSF dans les hôpitaux soient respectées.

Le conflit de l’amputation pour MSF MSF souhaite offrir aux blessés le meilleur service possible. Mais il est très compliqué d’accepter le fait que l’ONG doive laisser faire une amputation non nécessaire, et de pas pouvoir l’empêcher sans compromettre la totalité de la mission. Les soins seront bien entendu fournis à toute personne en ayant besoin, selon la charte et le code déontologique de MSF et du Serment d'Hippocrate, sans distinction de religion, affiliation politique ou autre traits. Les contacts avec les personnes blessées se limitent au recueil de leur histoire pour les faire remonter aux organismes internationaux, et aux soins nécessaires. MSF précise régulièrement que l’organisation ne s’oppose pas à la charia en tant que telle, mais comme la majorité des Etats Islamiques (Organisation of the Islamic Conference) qui interdit les punitions corporelles, MSF s’oppose fermement à ces pratiques qui vont à l’encontre des Droits de l’Homme4.

Les contacts avec les acteurs concernés : Ansar Dine, MNLA, l’état malien, ONU et autres organisations internationales L’enjeu des ONG de santé dans les zones de conflit, en ce qui concerne la sécurité, est de rester en contact avec toutes les parties concernées. MSF maintient donc des relations avec les différents groupes, afin d’assurer une situation de sécurité suffisante pour mener à bien ses missions. La sureté des équipes et des patients est principalement à l’esprit lors de ces négociations. Dans le nord du pays, les contacts avec Ansar Dine sont cruciaux pour mener à bien la mission des volontaires et bénévoles de l’organisation. Les négociations avec l’État (ancien de transition, mais aussi nouveau suite au Coup d’État) doivent se faire dans le but de mieux cerner les besoins des populations. Bien entendu l’instabilité politique du pays force MSF à garder tous les canaux ouverts dans le but de ne pas se voir faire face à la problématique de faire des choix partisans.

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“Yet, although we do not oppose sharia, we are strongly opposed to the types of corporal punishment which are permitted under sharia, such as stoning and amputations.” tiré de l’article “Sharia punishment, treatment, and speaking out”, disponible sur http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1127048/#B2-1 (consulté le 15 mars 2014)

USSELMANN Emmanuelle M2 PDAPS ONG, acteurs de la coopération internationale 2014 Enfin en ce qui concerne les autres organisations internationales et autres ONG, les contacts se font dans le but d’avoir une vision plus large de la situation. Le but est de pouvoir s’organiser et coordonner au mieux les actions de MSF avec celles des autres ONG. Faire remonter les informations concernant les exactions et témoignages des blessés, de guerre, accidents, ou amputations est aussi l’un des grands points d’intérêt pour les ONG. Le but est d’informer au mieux avec des données brutes, afin de permettre aux organisations internationales telles que le Conseil de Sécurité ou l’ONU, de pouvoir continuer au mieux leur travail. Ceci se fait de pair avec les autres organisations présentes sur le terrain (Amnesty International et Human Rights Watch, notamment).

Problématique posée : amputer soi-même, soigner après coup, ne rien faire ? La question de la neutralité et de la complicité Le dilemme posé dans le cas de punitions corporelles consiste en ne pas donner un accord tacite à ces actions. Est-ce que l’ONG doit effectuer elle-même les amputations ? Dans le cas de MSF, la réponse est clairement non : l’organisation prend le parti de ne pas encourager cette pratique en empêchant son personnel d’exécuter ces amputations (ces cas se sont présentés auparavant, en Afghanistan5). Par contre MSF viendra en aide aux victimes sans aucune réserve et sans jugement, même si cela donnerait une image de cautionnement de ces actes. Les négociations de la part des organisations pour éviter ces amputations ayant tendance à échouer, MSF peut toujours demander à ce qu’elles n’aient pas lieu, cependant elles existeront. Nous sommes bien entendu partis du principe que leur demander de ne pas effectuer cette amputation ne servirait à rien, voire pourrait même compromettre les relations de MSF avec les groupes en place, et donc, compromettre la mission de l’organisation, privant d’autres victimes potentielles de soins. C’est aussi pour cela

qu’une autre solution

possiblement envisagée (prendre en charge les individus pour que MSF les ampute directement et mettre en place leur évacuation) a été écartée, pour ne pas mettre en danger ni les équipes ni les autres patients. L’idée est donc, pour une organisation comme MSF, de se tenir à disposition pour effectuer tous les soins nécessaires sans avoir à être la cause ou l’auteur de ces exactions, tout

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Conoir, Yvan, et Gérard Verna. L’Action humanitaire du Canada: histoire, concepts, politiques et pratiques de terrain. [Québec]: Presses de l’Université Laval, 2002. Pages 105 et 106

USSELMANN Emmanuelle M2 PDAPS ONG, acteurs de la coopération internationale 2014 en les dénonçant. La naissance même de MSF s’est faite suite aux silences du Comité International de la Croix Rouge, une autre ONG de la santé, dont le silence est souvent perçu comme complicité6.

Choix effectués par MSF en ce qui concerne les amputés de la charia : MSF soigne les personnes amputées, quelles que soient les raisons de ces amputations. Dans le cas de l’application de la charia, ce soutien aux victimes et cette prise en charge sont parfois vues comme un accord tacite ou silencieux, voire d’une complicité envers des actes qui vont à l’encontre des droits de la personne. MSF prend toutes les dispositions possibles pour assurer la sécurité des équipes de l’ONG et des patients. Cela implique les négociations avec tous les groupes concernés, en toute neutralité dans le conflit. C’est pourquoi, pour ce faire, MSF négocie avec les acteurs concernés, belligérants et combattants de tous les côtés du conflit, quitte à devoir accepter certaines conditions dans le but de pouvoir fournir l’offre de soin aux populations. MSF prend aussi des notes des conditions dans lesquelles les patients se présentent dans le but d’informer au mieux les autres organismes et endiguer autant que possible la crise.

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Brauman, Rony, MSF et le CICR : questions de principes, http://www.icrc.org/fre/assets/files/review/2013/irrc888-brauman-fre.pdf

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Bibliographie et Webographie utilisées Mali: Avoiding Escalation, Africa Report n°189, Juillet 2012 (consulté le 28 mars) http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/africa/west-africa/mali/189-mali-avoiding-escalationenglish.pdf Champ libre (1/4) : « Réfugiés du Mali : La charia ou l’exode » (consulté le 29 mars) http://www.franceculture.fr/emission-sur-les-docks-champ-libre-14-%C2%AB-refugies-du-mali-lacharia-ou-l%E2%80%99exode-%C2%BB-2012-12-17 Sites et brochures de MSF (consultés le 19 mars)

http://www.msf.fr/page/association http://www.msf.fr/association/charte-medecins-sans-frontieres http://www.msf-azg.be/sites/default/files/brochure_msf_fr_final_0.pdf “Sharia punishment, treatment, and speaking out” (consulté le 20 mars) http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1127048/ Mali - Au plus près des victimes du conflit [Médecins Sans Frontières] (consulté le 5 avril) https://www.youtube.com/watch?v=R5vMW_YoNuc MSF (Un)Limited (video documentaire de presentation de MSF et de ses dilèmes) (consulté le 5 avril) https://www.youtube.com/watch?v=FRUfCVUwMjY

Brauman, Rony, MSF et le CICR : questions de principes : (consulté le 7 avril) http://www.icrc.org/fre/assets/files/review/2013/irrc-888-brauman-fre.pdf Conoir, Yvan, et Gérard Verna. L’Action humanitaire du Canada: histoire, concepts, politiques et pratiques de terrain. [Québec]: Presses de l’Université Laval, 2002, Partie 3 « Mutations dans l’Aide Humanitaire », Chapitre 4 « Dilemmes et Enjeux Ethiques » Siméant Johanna, Entrer, rester en humanitaire : des fondateurs de MSF aux membres actuels des ONG médicales françaises, Revue française de science politique 1/ 2001 (Vol. 51), p. 47-72 Dauvin Pascal et Siméant Johanna, Le travail humanitaire. Les acteurs des ONG, du siège au terrain, Paris, Presses de Sciences Po « Académique », 2002, 444 pages. Serment d’Hippocrate