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Les moutons de bois Depuis le début de l’automne, les loups rôdaient dans les bois environnant le village de Saint-Sébastien. À grands coups de chasse et de pièges, les villageois éliminèrent plus de la moitié des prédateurs. Affamée, la meute se réfugia sur l’autre versant de la montagne, là où habitait le vieux Lague. Le vieux Lague élevait des moutons. Il craignait tant les loups qu’il avait entouré ses bâtiments d’une palissade de bois. Malgré ses précautions, le bonhomme trouvait chaque matin une brebis éventrée. Il avait beau ajouter des piquets pointus à sa clôture, entrecroiser des mailles de broche supplémentaires, y accrocher des tessons de bouteille coupants comme des lames de rasoir, il était impossible de contrer l’ennemi. Le lever du jour apportait le même spectacle désolant : un agneau avait été dévoré. Le sol montrait des empreintes de loups. De longues traînées rouges s’allongeaient dans la nouvelle neige jusqu’à se perdre dans
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la forêt. Le vieux Lague fit de rapides calculs et comprit que, à cette vitesse-là, son cheptel aurait disparu avant la fin de l’hiver. Il envisagea alors deux solutions. La première consistait à rentrer chaque nuit ses moutons dans la maison. La seconde l’amenait à trouver un moyen efficace pour se débarrasser des loups. Il opta pour la deuxième solution. Il remplit de munitions ses carabines et transforma une lucarne en mirador.
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Le soir venu, le bonhomme, armé jusqu’aux dents, attendit l’ennemi. La lune se leva de l’autre côté de la montagne, jetant une lumière bleutée sur les moutons endormis. La tête appuyée sur ses genoux, le vieux berger somnola une bonne partie de la nuit. À l’aurore, un bêlement effroyable le réveilla. Il ouvrit les yeux. Un grand loup argenté courait dans l’enclos. Les brebis affolées se jetaient contre les clôtures pour éviter les crocs du prédateur. Le bonhomme pointa sa carabine sur le loup, mais ce dernier courait dans tous les sens, apparaissant et disparaissant derrière les moutons. Le bonhomme n’osait viser de crainte de blesser ou de tuer une de ses bêtes. L’arme au bout du bras, l’œil dans la mire, il attendait le moment propice. Soudain, l’espace d’une seconde, le loup se retrouva à découvert. Le bonhomme tira deux coups. Une balle siffla, frôlant l’oreille du carnivore. L’autre atteignit un mouton en plein cœur. Le bonhomme abandonna son poste et descendit dans l’enclos. Le grand loup sauta pardessus la clôture et disparut dans la forêt. Le bonhomme, à genoux devant son mouton mort, jura au ciel d’avoir la peau du loup. Il © ERPI Reproduction autorisée uniquement dans les classes où le manuel Expressions est utilisé.
s’enferma dans son atelier, tondit et saigna le mouton mort. Il prit de vieilles planches, les cloua, les scia et les chantourna jusqu’à ce qu’elles aient la forme d’une brebis. Il fabriqua ainsi une douzaine de moutons de bois qu’il peignit en blanc. Il colla des bouts de laine sur la peinture fraîche. À la fin, il badigeonna de sang ses douze moutons. Le soir venu, le bonhomme Lague fit entrer toutes les bêtes dans sa maison. Elles s’entassèrent de la cave au grenier. Leurs laines, qui se frottaient les unes contre les autres, provoquaient des étincelles. Dans le noir, on aurait cru les moutons phosphorescents.
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Une fois ses bêtes à l’abri, le berger prit ses douze moutons de bois et les planta dans l’enclos. De loin, l’illusion était parfaite : douze moutons broutaient sous la lune. Le bonhomme monta à son mirador, chargea sa carabine et attendit le prédateur. À l’aube, un bruit le réveilla. Il ouvrit les yeux et aperçut trois grands loups tapis au fond de l’enclos. Ils étaient là, immobiles, recroquevillés, prêts à bondir sur les moutons de bois. Le cœur du vieux Lague ne fit qu’un tour. Il visa le premier loup, qui tomba. Il pointa le deuxième, qui s’effondra à son tour. Le troisième fut emporté par une rafale meurtrière. Le bonhomme lâcha son arme et se précipita dans l’enclos. Trois loups de bois gisaient dans la neige. Gilles TIBO, « Les moutons de bois », Les grandes heures de la terre et du vent,
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Contes, Les éditions de la courte échelle, 2006, p. 14-18.
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