Les Indicateurs socio-économiques - unesdoc - Unesco

Si les grands théoriciens des sciences sociales du xixe siècle et du début du xxe se sont beaucoup intéressés à la théorie du changement social, ils semblent avoir accordé relativement peu d'importance à sa mesure. O n ne saurait cependant faire grief aux grands théoriciens du changement de n'avoir pas respecté les ...
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Cette Revue est publiée en anglais sous le titre International social science journal. Des sélections d'articles qui y ont paru sont également publiées régulièrement en arabe.

Les sujets des prochains numéros L'utilisation de la géographie Quantification des phénomènes sociaux Politiques nationales pour les sciences sociales

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Les correspondants Belgrade : Trivo Indic Buenos Aires : Enrique Oteiza Le Caire : Abdel M o n e i m El-Sawi Cologne : Alphons Silbermann Delhi : André Beteille Ife : Akinsola A k i w o w o Jakarta : Yogesh Atal Londres : Peter Willmott Mexico : Rodolfo Stavenhagen M o s c o u : Marien Gapotchka N e w York : David Goslin Nicosie : Katherine Clerides Singapour : S. H . Alatas Vienne : J. L . Aquistapace

revue internationale des sciences sociales

volume X X V I I 1975

unesco pans

revue internationale des sciences sociales

4o^ Revue trimestrielle publiée par l'Unesco, Paris Vol. X X V I I (1975), n° 1

Les indicateurs socio-économiques : théories et applications Kenneth C. Land Zygmunt Gostkowski

R. G. Cant K. T. de Graft-Johnson Gérard Martin

M. V. S. Rao

Théories Théories, modèles et indicateurs de changement social 7 L'évolution des écarts de développement entre pays riches et pays pauvres durant la décennie 1955-1965 : étude méthodologique pilote 41 Applications Le rôle des indicateurs socio-économiques territoriaux dans les plans de développement en Asie 57 Quelques indicateurs économiques et sociaux pour m e surer le développement en Afrique de l'Ouest 85 L'expérience française de planification sociale : bilan et perspectives 96 Indicateurs socio-économiques pour la planification du développement 130

Dossiers ouverts Piotr N. Fedoseev Signification sociale de la révolution scientifique et technologique 161 Metin Heper Quelques réflexions sur la formation professionnelle des élites bureaucratiques des sociétés transitionnelles 173 L a recherche en sciences sociales sur le planning familial James Allman et Bertil Mathsson dans les pays en voie de développement 185 Joji Watanuki P. E. Temu

Le milieu des sciences sociales Les sciences sociales au Japon 197 Réflexions sur le rôle des spécialistes des sciences sociales en Afrique 202 Le programme des indicateurs socio-économiques à l'Unesco 207 Services professionnels et documentaires Nouveaux périodiques 213 Calendrier des réunions internationales 223 Littérature du système des Nations-Unies : une sélection annotée 227 Livres reçus 236 Répertoire mondial des institutions de sciences sociales 239

Rédacteur en chef : Peter Lengyel Rédacteur en chef adjoint : Ali Kazancigil

Nous avons le regret d'annoncer une augmentation de nos prix à partir de ce numéro, à cause de l'accroissemei continuel des coûts de production. Le prix de l'abonnement annuel sera de 52 F, celui de l'exemplaire unique, de 16 F.

Prix et conditions d'abonnement [A] Prix du numéro : 16 F Abonnement annuel : 52 F Adresser les demandes d'abonnement aux agents généraux de l'Unesco (voir liste), qui vous indiqueront les tarifs en monnaie locale. Toute notification de changement d'adresse doit être accompagnée de la dernière bande d'expédition. Imprimerie des Presses Universitaires de France, V e n d ô m e . © Unesco 1975

Les articles signés n'engagent que leurs auteurs. Les articles de ce numéro peuvent être reproduits avec l'autorisation de la rédaction. Toute correspondance relative à la présente revue doit être adressée au rédacteur en chef de la Revue internationale des sciences sociales, Unesco, 7 , place de Fontenoy, 75700 Paris.

Les indicateurs socio-économiques : théories et applications

Théories Théories, modèles et indicateurs de changement social

Kenneth C . Land Introduction Si les grands théoriciens des sciences sociales du xixe siècle et du début du x x e se sont beaucoup intéressés à la théorie d u changement social, ils semblent avoir accordé relativement peu d'importance à sa mesure. O n ne saurait cependant faire grief aux grands théoriciens du changement de n'avoir pas respecté les normes modernes d'une vérification expérimentale rigoureuse de leurs hypothèses. Ils n'aspiraient qu'à saisir certains aspects de l'évolution historique susceptibles d'être généralisés. Il faut donc se garder de trop considérer leurs opinions c o m m e des théories sociologiques positives. Les recherches menées par William F . Ogburn et ses collaborateurs de l'Université de Chicago au cours des troisième et quatrième décennies de ce siècle ont porté à la fois sur la théorie et sur la mesure du changement social. L a théorie d'Ogburn sur le changement social est essentiellement celle d'un tenant jde l'évolutionnisme culturel; dans u n petit ouvrage publié en 1922, qui est devenu u n classique de la littérature sociologique largement répandu et onze fois réédité, Ogburn soutenait que, pour expliquer le changement social, il faut étudier la culture et la manière dont elle évolue. C e qui revient à dire que les caractères biologiques de l ' h o m m e n'ont pas sensiblement évolué au cours de la période relativement brève pendant laquelle la société a subi de grandes transformations, et que sa constitution psychologique lui est soit transmise par l'hérédité biologique, et par conséquent relativement constante, soit acquise par la culture. L e

Kenneth C. Land est le directeur du Social Science Quantitative Laboratory de l'Université dIllinois, à Urbana-Champaign. Il est le coauteur de Social indicator models (1974), a publié de nombreux articles et prépare deux volumes sur la sociologie mathématique qui paraîtront aux environs de 1976. Il est aussi rédacteur associé de plusieurs périodiques, y compris Social science quarterly et T h e journal of mathematical sociology. La présente étude a été rédigée pour une Réunion sur les indicateurs du changement économique et social qui s'est tenue à ¡'Unesco, du 20 au 22 mai 1974. Certaines parties de ce document sont des adaptations d'une précédente étude sur les modèles d'indicateurs sociaux (Land, 1974) et sont signalées comme telles.

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changement social se rattache donc à des changements culturels, dont les principales causes sont souvent, d'après ce qu'Ogburn a constaté empiriquement, des changements d'ordre technologique. Dans ses travaux empiriques sur le changement social, Ogburn a surtout cherché à déceler les tendances actuelles du changement et à en évaluer les conséquences probables pour l'avenir. Avec ses collaborateurs, il a donc mis l'accent sur la mesure précise des changements intervenus, sur les descriptions quantitatives réelles sous forme de séries chronologiques statistiques, là où cela était possible, ou, à défaut de statistiques, sur des descriptions objectives corroborées par l'assentiment d'un grand nombre d'observateurs attentifs. Ces travaux empiriques ont notamment abouti à la publication en 1933, sous la direction d'Ogburn, d'un rapport en deux volumes du President's Research Committee on Social Trends, intitulé Recent social trends, grande étude statistique des tendances de la quasitotalité des aspects de la vie américaine à cette période. C'est à ces recherches qu'on doit aussi la publication annuelle de Y American journal of sociology, dirigé par Ogburn et consacré aux changements sociaux pendant les années 1928-1934. Ces efforts semblent malheureusement s'être interrompus au cours de la grande dépression économique des années 1930 et, après le numéro de 1934 consacré aux changements sociaux, le Journal a cessé de paraître régulièrement. U n numéro spécial traitant des « changements sociaux récents » a été publié en mai 1942, mais la publication n'a pas reparu après la deuxième guerre mondiale. Après la guerre, les théoriciens de la sociologie, c o m m e les spécialistes de ces méthodes, se sont plus intéressés aux problèmes de l'interdépendance horizontale qu'aux liaisons séquentielles dans le temps. L a plupart des études théoriques et empiriques sur le changement social paraissent avoir été consacrées au problème de la modernisation et du développement industriel (voir par exemple : Bendix, 1959; M o o r e , 1955; M o o r e et Feldman, 1960; Rostow, 1956; Smelser, 1964) ou à l'analyse des « distorsions statiques » de la théorie sociologique fonctionnelle (voir, par exemple : Cancian, 1960; Dahrendorf, 1958 et 1959; Lockw o o d , 1956; Parsons, 1961). L e regain d'intérêt pour les idées d'Ogburn sur la mesure des changements sociaux contemporains paraît avoir été essentiellement dû à l'attention dont les « indicateurs sociaux » ont c o m m e n c é à faire l'objet vers 1965. Le but de cet article est de retracer brièvement l'historique d u « mouvement des indicateurs sociaux » aux États-Unis et de sa diffusion dans d'autres pays au cours de la dernière décennie, d'élucider un certain nombre de questions d'ordre conceptuel et théorique liées à la notion d'indicateur social, et de replacer ces questions dans le contexte de la mesure et des théories du changement social. N o u s espérons également illustrer, au cours de cet exposé, quelques-unes des modalités selon lesquelles les indicateurs sociaux peuvent se rapporter à la politique sociale.

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Indicateurs sociaux et buts sociaux Le mouvement des indicateurs sociaux La notion d'indicateur social paraît avoir pour origine une étude entreprise en 1962 par l'American A c a d e m y of Arts and Sciences pour la National Aeronautics and Space Administration ( N A S A ) , afin de déterminer la nature et l'ampleur des effets secondaires du programme spatial sur la société américaine (Bauer, 1966, p. 1). Il s'agissait, pour l'académie, d'étudier les répercussions sociales, économiques et technologiques qui ne découlaient ni des objectifs déclarés du programme (conséquences imprévues), ni des découvertes techniques résultant immédiatement de ce programme (conséquences indirectes). Ceux qui participaient à cette étude ont rapidement constaté que le programme spatial avait des conséquences sociales importantes et souvent inattendues. Il leur était en m ê m e temps impossible d'obtenir les données qui auraient permis de soumettre les divers effets secondaires de la conquête de l'espace à une analyse quantitative détaillée. Qui plus est, n o n seulement ces données indispensables n'étaient pas disponibles, mais il n'existait pas de cadre ni de méthodologie permettant une analyse sociale approfondie. U n certain nombre de ceux qui ont participé à cette entreprise de l'académie se sont donc intéressés au problème plus général posé par l'observation du changement socio-économique de la société (c'est-à-dire de l'ensemble des conditions sociales, politiques, économiques et techniques et non de l'économie ou de la technologie prises isolément). Les résultats de cette approche plus générale ont été publiés en 1966 dans un ouvrage intitulé Social indicators, rédigé sous la direction de R a y m o n d Bauer, qui fut l'un des principaux tenants de l'emploi des indicateurs sociaux dès leur origine. Les divers chapitres de cet ouvrage portent sur la nécessité de mettre au point dans l'immédiat des indicateurs reflétant un plus grand nombre d'aspects de notre société que les indicateurs économiques dont nous disposons, sur les conditions à remplir pour mettre en place un meilleur système d'information, et sur les améliorations que ces indicateurs doivent permettre d'apporter à la politique sociale. L'intérêt porté aux indicateurs sociaux s'est ravivé aux États-Unis à la suite de la publication, en 1966, d'un rapport de la National Commission on Technology, Automation and Economie Progress intitulé Technology and the American economy. Cette commission avait été instituée en 1964 pour rechercher les effets des changements technologiques actuels et futurs sur l'économie et la société, et pour formuler des recommandations en vue de modifier les répercussions de ces changements ou d'en publier les inconvénients. Après avoir pris acte de l'absence de système de représentation des changements sociaux, elle a suggéré que le gouvernement des États-Unis établisse un « système de comptabilité sociale » qui permettrait de ne pas limiter l'analyse comparée des coûts et des profits aux aspects essentiellement commerciaux répertoriés dans la comptabilité du revenu national. Il semble

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que la paternité de cette recommandation puisse être attribuée au sociologue Daniel Bell, qui était m e m b r e de la commission (Bell, 1969, p. 78). Elle est importante parce qu'elle est la première proposition relative aux indicateurs sociaux entérinée par u n organisme gouvernemental officiel. Si l'on suit l'ordre chronologique, le mouvement des indicateurs sociaux aux États-Unis a ensuite été marqué par un retour à la tradition d'Ogburn, c'est-àdire à la mesure des tendances sociales. L'initiative en est due aux sociologues Wilbert E . M o o r e et Eleanor Bernert Sheldon, qui ont présenté en 1965, à une conférence de l'American Statistical Association, une communication intitulée « Monitoring social change : a conceptual and programatic statement » (L'observation d u changement social : cadre conceptuel et programme). Par changement social, ces auteurs (Moore et Sheldon, 1965, p. 144) entendaient de vastes transformations des structures sociales qu'ils se proposaient d' « observer [...] en enregistrant et en vérifiant les messages que nous pouvons recevoir ou émettre concernant les modifications structurelles ». M o o r e et Sheldon proposaient d'analyser l'évolution des structures sociales américaines en fonction de cinq catégories de données : a) la démographie (importance numérique et répartition géographique de la population); b) les principaux éléments structurels (la production de biens et de services, la main-d'œuvre, les connaissances et la technologie, la famille et la parenté, la religion, et la cité); c) les caractéristiques distributives (la consommation, la santé, l'éducation, les activités récréatives et les loisirs); d) les caractéristiques globales (la stratification et la mobilité sociales, l'homogénéité et la diversité culturelles) ; é) le bien-être et sa mesure. L e principal aboutissement de ce travail est l'ouvrage Indicators of social change: concepts and measurements (Les indicateurs du changement social : concepts et mesures), publié par Sheldon et M o o r e (1968) d'après le plan qui vient d'être indiqué. C e livre a été qualifié d' « ouvrage le plus complet sur les grandes dimensions de la société américaine depuis Recent social trends » (Bell, 1969, p. 78). L a publication, en janvier 1969, par le Department of Health, Education and Welfare des États-Unis, d'une étude intitulée Toward a social report (Contribution à une enquête sociale) est l'un des faits les plus marquants qui témoignent de l'intérêt croissant porté par le public et les spécialistes aux indicateurs sociaux. Rédigé sous la direction de l'économiste M a n c u r Oison, alors sous-secrétaire adjoint chargé des indicateurs sociaux, ce rapport s'inspirait en partie des documents de travail d'un comité des indicateurs sociaux composé de quarante et u n spécialistes des sciences sociales n o m m é s en 1966 par John Gardner, alors secrétaire à la santé, à l'éducation et à l'assistance sociale. Il analyse toute une série de mesures permettant de suivre l'évolution des conditions sociales dans plusieurs secteurs (santé et maladie; mobilité sociale; environnement physique; revenu et pauvreté; ordre et sécurité publics; instruction, sciences et arts; participation et aliénation). Il examine l'existence et l'utilité des indicateurs dans ces secteurs, détermine les critères de leur choix et soutient qu'ils sont nécessaires à

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la conduite d'une vaste enquête qui fournirait une image détaillée de la vie sociale, D a n s une monographie également publiée en 1969 et intitulée Toward social reporting: next steps (Contribution à une enquête sociale : les étapes suivantes). Otis Dudley D u n c a n (1969, p . 1) a souligné « la marée montante de propositions » relatives aux indicateurs sociaux et a vu dans ce phénomène u n « mouvement social ». Cette étiquette a frappé les esprits, et la plupart des spécialistes, y compris l'auteur d u présent article, l'ont utilisée pour désigner l'intérêt croissant suscité par les indicateurs sociaux. Duncan a ensuite fait observer que cette situation pouvait être considérée c o m m e une étape de transition entre une période initiale d'incubation et une phase intermédiaire de sélection et d'essai des diverses solutions possibles, laquelle doit être suivie d'une action régulière et continue. Il a proposé en outre (Duncan, 1969, p . 13) une méthode de mesure d u changement social fondée sur le recours aux sources existantes de données, associée au rassemblement de données nouvelles, méthode qu'il a appelée « répétition des études de référence ». L a publication en 1972 de l'ouvrage d'Angus Campbell et Philip E . Converse intitulé The human meaning of social change (La signification humaine du changement social) eut, elle aussi, une influence notable sur le développement du m o u v e ment des indicateurs sociaux aux États-Unis. Les responsables de cette publication (1972, p. 5), conçue c o m m e u n complément à l'ouvrage de Sheldon et M o o r e (1968), ont souligné que si ce dernier ouvrage était axé sur plusieurs sortes de données socio-structurelles objectives, le leur était consacré aux données sociopsychologiques concernant les attitudes, les attentes, les aspirations et les valeurs de la population américaine. Il vise donc, dans ses différents chapitres, à traiter des aspects subjectifs des grandes institutions sociales ( c o m m e la famille, l'économie et le travail, la politique, la justice pénale). Il a amené les chercheurs travaillant sur les indicateurs sociaux à prendre conscience de la nécessité de mesurer les perceptions subjectives d u changement social et de la « qualité de la vie ». Le Department of Health, Education and Welfare n'a rien publié qui fasse suite à Toward a social report, mais la mise au point des indicateurs sociaux a continué de faire l'objet de travaux, au niveau du gouvernement fédéral, notamment au sein d'une équipe dirigée par Daniel Tunstall, au Bureau de la politique statistique du Service de la gestion et d u budget de la Présidence. L e principal résultat de ces travaux est u n volume publié en février 1974 sous le titre Social indicators 1973. Il s'agit d'un recueil de statistiques choisies et classées de manière à décrire les conditions et les tendances sociales de huit grands secteurs de la vie sociale aux États-Unis : santé, sécurité publique, éducation, emploi, revenu, logement, loisirs et activités récréatives, et population. Il n'est évidemment pas encore possible de mesurer toute la portée de cet ouvrage. Il a servi de thème à un colloque de chercheurs, spécialistes des indicateurs sociaux, organisé en février 1974 sous les auspices du Social Science Research Council Center for Coordination of Research on Social Indicators, en vue « d'encourager la poursuite des travaux, de susciter les observations des spécialistes des divers secteurs sur lesquels porte

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le rapport et de suggérer des idées pour l'extension et l'amélioration du document » (Social indicators newsletter, n° 4 , mai 1974, p . 1). Le gouvernement fédéral a également pris, dans le domaine des indicateurs sociaux, d'autres initiatives dont le succès a été plus limité. A u niveau de l'exécutif, le président Nixon a annoncé en juillet 1969 la création d'un National Goals and Research Staff (Service national des objectifs et de la recherche), qui avait pour mission de préparer une étude sociale sur la qualité de la vie américaine. Mais ce service a été discrètement démantelé u n an plus tard, et ses responsabilités furent transférées, en principe tout au moins, au Domestic Council (Morss, 1971). A u Congrès, le sénateur Walter C . Móndale (Minn.) dépose chaque année depuis 1967 une proposition de loi (n° S.843, 1967) visant à la création d'un groupe de conseillers sociaux auprès du président, analogue au groupe de conseillers économiques. C e groupe aurait notamment pour tâche de publier un rapport social annuel. Rien ne permet jusqu'à présent de penser que le Congrès approuvera cette proposition de loi. C'est peu de temps après la publication de l'ouvrage de Bauer, qui rendait compte des travaux de l'académie américaine, que les notions d'indicateurs sociaux et d'enquête sociale commencèrent à se répandre dans d'autres pays et dans les organisations internationales. Il n'est pas dans le propos de cet article de retracer ces faits dans le détail, mais quelques travaux méritent d'être signalés. E n 1968 tout d'abord, Jacques Delors a publié Les indicateurs sociaux, ouvrage dans lequel il a étudié, en se fondant sur des statistiques, divers aspects de la vie sociale en France. C e livre a suscité de nombreux travaux qui ont abouti récemment à la publication d'un rapport de l'Institut national de la statistique et des études économiques intitulé Données sociales, première édition 1973. Mais c'est a u R o y a u m e - U n i que fut entreprise la première série de publications sur les statistiques sociales, avec Social trends, n° 1, 1970, sous les auspices d u Central Statistical Office. Cette série de publications s'est poursuivie depuis lors au rythme d'un numéro par an. D e m ê m e , les recherches sur les indicateurs sociaux dans la R é p u blique fédérale d'Allemagne ont abouti à la publication d'un ouvrage de statistiques sociales intitulé Gesellschaftliche Daten 1973. Des livres sur les indicateurs sociaux sont également en préparation en Norvège, en Suède et au Canada. L'Agence de planification économique japonaise vient de publier son dix-septième rapport statistique sur la société japonaise, sous le titre : Whitepaper on national Ufe 1973: the life and its quality in Japan (Livre blanc sur la vie de la nation en 1973 : vie et qualité de vie au Japon). Il ne fait pas de doute que d'autre ouvrages consacrés aux indicateurs sociaux nationaux paraîtront dans u n proche avenir. E n ce qui concerne les organisations internationales, l'Organisation de coopération et de développement économiques ( O C D E ) a terminé la première phase de son Programme d'élaboration des indicateurs sociaux et a publié une Liste des préoccupations sociales communes à la plupart des pays de l'OCDE. L'Organisation des Nations Unies a elle aussi patronné plusieurs travaux de

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statistiques socio-démographiques intéressant l'élaboration des indicateurs sociaux (voir, par exemple : Commission de statistique, Conseil économique et social des Nations Unies, 1970; Bureau de statistique des Nations Unies, 1971; M c G r a n a h a n , Richard-Proust, Sovani et Subramanian, 1970). Les problèmes de définition C'est en partie le m a n q u e de clarté d u terme « indicateur social » et l'absence d'accord sur sa signification qui sont à l'origine des controverses entre spécialistes. Avant d'analyser ces controverses, il convient de passer en revue les définitions proposées dans certains des ouvrages de base mentionnés à la section précédente. Tout d'abord, l'ouvrage qui a ouvert la voie, celui de l'académie américaine, donne deux définitions plus ou moins explicites, dont l'une se trouve dans l'exposé introductif du responsable de la publication (Bauer, 1966, p. 1) : « L e présent volume est consacré aux indicateurs sociaux (statistiques, séries statistiques et toute autre forme d'informations) qui nous permettent d'estimer le point o ù nous s o m m e s et celui vers lequel nous nous dirigeons par rapport à nos valeurs et à nos objectifs, d'évaluer tel ou tel programme et d'en déterminer la portée. » D a n s le chapitre qu'il a consacré aux « Indicateurs et objectifs sociaux », Biderman (1966, p. 69) expose la façon dont il a axé son travail sur « des données quantitatives qui servent d'indices des conditions de la société ayant une importance sociale : les 'indicateurs sociaux' ». E n deuxième lieu, Sheldon et M o o r e (1968, p. 4), dans leur ouvrage sur les indicateurs du changement social dans la société américaine, notent ce qui suit : « C'est surtout ceux qui ont pris la responsabilité d'opérer des changements acceptés par l'opinion publique que la notion d"indicateur social' intéresse. D e tels indicateurs permettraient d'observer à la fois la situation actuelle d'une fraction de l'univers social et les tendances passées et futures, qu'elles soient progressistes ou régressives, en fonction de certains critères normatifs. » E n troisième Heu, Toward a social report (U.S. Department of Health, Education and Welfare, 1969, p. 97) donne la définition suivante : « U n indicateur social, au sens que nous donnons ici à ce terme, peut être défini c o m m e une donnée statistique présentant u n intérêt normatif direct et facilitant les jugements concis, généraux et pondérés sur la situation des principaux aspects de la société. C'est en tout cas une mesure directe du bien-être et elle doit être interprétée de la façon suivante : si l'indicateur varie dans la 'bonne' direction, toutes choses restant égales d'ailleurs, la situation s'est améliorée o u les gens 'vivent mieux'. C'est pourquoi les statistiques relatives au nombre des médecins ou aux effectifs de la police peuvent ne pas être des indicateurs sociaux, à l'inverse des taux de santé o u de criminalité. » Quatrièmement, Campbell et Converse (1972, p. 2 et 3), dans leur ouvrage

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sur les aspects subjectifs du changement social, axent la définition des indicateurs sociaux autour de deux pôles distincts : « C e terme vise tout d'abord à mettre l'accent sur la mesure descriptive, qui est beaucoup plus 'dynamique' que ne l'ont été jusqu'à présent la plupart des recherches de sciences sociales... E n second lieu, et c'est peut-être le plus significatif, la mobilisation provoquée par le mouvement des indicateurs sociaux met clairement en lumière le rôle de l'orientation politique... » E n résumé, Campbell et Converse (1972, p. 3) considèrent que les indicateurs sociaux ont pour caractéristiques principales a) d'offrir la possibilité d'évaluer « la qualité de la vie sociale américaine dans son évolution » et b) de pouvoir « être influencés par un changement de politique ». Cinquièmement, d'après Social indicators 1973, le choix des indicateurs repose sur les deux critères suivants : « Les indicateurs doivent mesurer le bien-être au niveau de l'individu et de la famille (plutôt qu'à celui des institutions et de l'État) et mesurer les produits finals plutôt que les éléments constitutifs des systèmes sociaux. D a n s le domaine de l'éducation, par exemple, les indicateurs ont été choisis pour mesurer les résultats et le niveau de l'individu plutôt que les éléments d u système scolaire tels que les budgets scolaires, la construction de salles de classe et le nombre des enseignants. » (Executive Office of the President, Office of M a n a g e m e n t and Budget, 1974, p. xviii.) E n résumé, ces critères de définition s'apparentent à ceux qui sont proposés dans Toward a social report par l'importance qu'ils accordent aux mesures d u « bien-être individuel et familial » et aux mesures de la « production souhaitable ». Parmi ces cinq définitions des indicateurs sociaux, la troisième a été de loin la plus discutée. Sheldon et Freeman (1970, p. 98) et Duncan (1969, p. 3 et 4) ont relevé plusieurs objections possibles, dont trois revêtent ici une importance particulière. Tout d'abord, Sheldon et Freeman soutiennent que le point de vue selon lequel les indicateurs doivent présenter « u n intérêt normatif direct » est trop restrictif étant donné que ce qui revêt un intérêt aujourd'hui n'en aura pas nécessairement dans u n an et inversement. E n second lieu, Sheldon et Freeman font observer que la condition requérant que les indicateurs soient des mesures du bien-être est trop limitative d u fait qu'elle écarte u n grand nombre de variables qui peuvent être utiles pour la compréhension de l'indicateur. Reprenons les exemples donnés dans le passage que nous avons cité plus haut. Les statistiques sur le nombre des médecins ou des policiers ne seraient-elles pas significatives pour l'intelligence des taux de santé et de criminalité ainsi que de la variation de ces taux dans le temps ? E n résumé, la définition des indicateurs sociaux donnée dans Toward a social report est trop restrictive d u fait qu'elle écarte u n grand n o m b r e de variables qui sont intéressantes pour l'évaluation des « principaux aspects de la société ». Troisièmement, Duncan note que cette définition, ainsi que les commentaires qui l'accompagnent, montre nettement qu'un indicateur

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social devrait avoir un taux d' « agrégation » élevé, ce qui, d'après lui, est peut-être prématuré. D'autre part, Sheldon et Freeman (1970, p. 97) ont fait observer que l'accord n'est guère réalisé sur les attributs des indicateurs sociaux, si l'on excepte la constatation que les indicateurs sociaux sont : a) des séries chronologiques qui permettent de faire des comparaisons sur une longue période; b) des statistiques qui peuvent être subdivisées (ou ordonnées selon une classification combinée) en fonction d'autres caractéristiques pertinentes. Mais, de m ê m e que la définition qui a été citée plus haut était trop restrictive, ces attributs ne le sont sans doute pas assez puisqu'ils ne permettent pas de distinguer les indicateurs sociaux des autres statistiques sociales. E n d'autres termes, si l'on ne dispose que de ces deux seuls critères, il est difficile de distinguer le sous-ensemble de statistiques dites « indicateurs sociaux » de l'ensemble des statistiques sociales qu'on peut obtenir sous forme de séries chronologiques subdivisées. O r ce dernier ensemble comprend de nombreuses « statistiques sociales » rassemblées à des fins administratives qui n'ont guère de rapport avec l'établissement d'un « indice de la vie sociale ». N o u s ne les appellerions sans doute pas des indicateurs sociaux. Le problème essentiel consiste par conséquent à donner une définition des indicateurs sociaux qui ne soit ni trop limitative ni trop large. U n e autre idée directrice sous-tend chacune des cinq définitions énoncées plus haut, qui impliquent toutes un lien, qui n'est pas précisé, entre les indicateurs sociaux et la politique sociale. N o u s étudierons ce lien dans la sous-section suivante. Les modèles d'indicateurs sociaux, le problème du paradigme et les indicateurs d'objectifs ]~Une lecture attentive des définitions citées plus haut amène à formuler la définition générique suivante : les indicateurs sociaux sont des statistiques qui mesurent les éléments de la condition sociale de divers segments de la population et l'évolution de ces éléments dans le temps. Par « éléments de la condition sociale », on entend à la fois les contextes externes (sociaux et matériels) et les contextes internes (subjectifs et perceptifs) de l'existence de l ' h o m m e dans une société donnée. Cette formulation paraît englober la plupart des notions essentielles contenues dans les définitions examinées plus haut quant aux types de données à rassembler en tant qu'indicateurs sociaux. Elle permet, par exemple, de considérer c o m m e d'éventuels indicateurs sociaux aussi bien les mesures « objectives » des conditions sociales externes que les mesures « subjectives » qui leur correspondent. N o u s estimons que cette définition est la plus générale qui puisse être donnée des indicateurs sociaux. Elle tire sa généralité de ce qu'elle permet de classer c o m m e indicateurs sociaux la quasi-totalité des indices de l'activité sociale (statistiques sociales) à condition que ces indices puissent être retenus c o m m e reflétant un élément de la condition sociale d'une population quelconque. Si, par exemple,

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un indice c o m m e le « taux de masculinité » d'une population est considéré c o m m e reflétant u n élément de la condition sociale d'une population, il pourrait alors être retenu c o m m e un indicateur social, en vertu de cette définition. D a n s la mesure où des indicateurs sociaux sont considérés c o m m e des généralisations des indicateurs économiques types, et dans la mesure où les indicateurs économiques ne sont que les indices de l'activité économique, cette définition est satisfaisante. Elle donne à la notion d'indicateur social une orientation cognitive générale, qui conserve une certaine souplesse. Il n'en reste pas moins utile, pour rendre cette notion plus précise, de soumettre l'opération qui consiste à classer une donnée statistique sociale parmi les indicateurs sociaux à un critère de validité externe plus rigoureux. D a n s le cas des indicateurs économiques, par exemple, le principal critère de validité externe est qu'il s'agit de séries chronologiques qui ont traditionnellement et constamment coïncidé avec les cycles économiques et ont été en harmonie avec eux (G. M o o r e , 1961 ; 1967). E n ce qui concerne les indicateurs sociaux, nous allons étudier, dans cette sous-section, un critère de validité externe qui, relevant de la « politique sociale », aboutit à la définition d'un type particulier d'indicateur social dit « indicateur d'objectifs ». O n verra que cette méthode d'analyse des indicateurs sociaux constitue une généralisation de la théorie classique de la politique économique et de l'économie sociale. D a n s la section suivante, par contre, nous étudierons une théorie plus générale du critère de validité externe, axée sur les structures institutionnelles d'une société et sur les changements qui s'y produisent. O n verra que cette approche des indicateurs sociaux correspond directement à ce que représente pour les indicateurs économiques le critère classique de conformité avec les cycles économiques. A u problème de la validité externe s'ajoute celui de l'interprétation des variations enregistrées par les indicateurs sociaux. Le meilleur m o y e n de résoudre le problème de l'interprétation, selon nous, est de placer u n indicateur social dans le contexte d'un modèle relativement spécifique d u processus social qui le détermine. Les indicateurs sociaux ainsi définis, on est directement conduit à se poser cette question fondamentale : Quelles sont les conditions sociales qui seront mesurées ? Les indicateurs sociaux pourraient théoriquement en mesurer une infinité. E n d'autres termes, o n pourrait imaginer de découper la vie sociale en une infinité d'éléments. J'ai ailleurs (Land, 1974) désigné ce problème de la validité externe sous le n o m de problème d u paradigme des indicateurs sociaux. C e qui revient à dire, tout simplement, que nous devons demander des indications théoriques complémentaires sur le type particulier de conditions sociales que les indicateurs sociaux doivent mesurer. Si l'on étudie les définitions énoncées dans la section précédente, on s'aperçoit qu'on ne s'entend guère sur les critères à appliquer pour le choix des éléments à mesurer. Toutes ces définitions indiquent, d'une façon ou d'une autre, que les indicateurs sociaux devraient répertorier les conditions « socialement importantes »,

Théories, modèles et indicateurs de changement social

Variables exogènes

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Modèle de système social

Variables endogènes

Système de relations reliant toutes les Indicateurs descriptifs des instruments politiques

variables et contenant des indicateurs analytiques

°1

p

1

P

2

°2

P.

0 m

1

i

1

Indicateurs descriptifs du résultat ou du produit final

Indicateurs

1 analytiques 1

D

D

Indicateurs descriptifs non manipulates

--^ 1 2

D j

"^

t S

1

S

2

n

de l'impact secondaire

Indicateurs descriptifs des effets secondaires

F I G . 1. Relations entre les indicateurs de production, les indicateurs descriptifs et les indicateurs analytiques (d'après L A N D , 1974).

et que cette importance doit être estimée en fonction des valeurs, des buts et des normes de la société. Mais aucune de ces définitions ne précise exactement c o m m e n t procéder à cette estimation. Pour analyser les relations qui peuvent exister entre les indicateurs sociaux et l'importance sociale, il est utile de définir la notion de modèle d'indicateur social, proposée par Land (1971) et développée par L a n d (1974). (La description qui suit est adaptée de celle qui figure dans le travail le plus récent.) L a notion de modèle d'indicateur social repose sur une distinction entre plusieurs types d'indicateurs possibles, c o m m e on peut s'en rendre compte en regardant la figure 1, dans laquelle apparaît la distinction habituelle entre les variables exogènes (déterminées en dehors du modèle) et les variables endogènes (déterminées à l'intérieur du modèle). D a n s la catégorie des variables exogènes, nous avons établi une distinction entre les indicateurs descriptifs des instruments politiques (il s'agit des variables exogènes que la politique sociale peut manipuler) et les indicateurs descriptifs exogènes n o n manipulables (ce sont les variables exogènes que la politique sociale ne peut pas influencer). D e m ê m e , dans la catégorie des variables endogènes, nous avons fait une différence entre les indicateurs descriptifs du résultat

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ou d u produit final (qui sont les variables endogènes définissant l'élément de la condition sociale qu'on mesure et qui sont la conséquence des processus sociaux inclus dans le modèle) et les indicateurs descriptifs des effets secondaires (variables endogènes qui influencent o u subissent les conditions sociales et les processus sociaux en question, mais ne les définissent pas. Ces quatre ensembles d'indicateurs s'inscrivent dans u n modèle o u u n système de relations qui déterminent certains paramètres o u indicateurs analytiques des processus sociaux dénotés par ce modèle. N o u s avons désigné les principales relations qui déterminent les indicateurs de résultat par desflèchescontinues et celles qui déterminent les effets secondaires par des flèches en pointillé. U n e dernière flèche relie l'ensemble des indicateurs de résultat à celui des indicateurs d'effets secondaires. N o u s l'avons appelée « indicateur analytique de l'impact secondaire » parce qu'elle paraît correspondre au type de relations que Bauer et ses collègues ont été chargés d'étudier dans leur premier travail sur les indicateurs sociaux. D e plus, nous avons tracé une flèche en sens inverse pour rendre compte d u fait que cette relation peut être telle que les indicateurs des effets secondaires influencent et subissent à la fois les conditions sociales mesurées par les indicateurs de résultat. Il faut souligner dès le départ que la situation illustrée par la figure 1 est une description plus idéale que réelle de l'état actuel de la recherche sur les indicateurs sociaux. Il est en fait impossible de trouver des études qui aient vraiment réussi à incorporer tous ces types d'indicateurs en un modèle intégré d'un élément de la condition sociale. Mais, c o m m e nous le faisons observer plus loin, le tracé de la figure 1 contribue à éclairer les problèmes de mesure et d'analyse qui se posent pour les travaux sur les indicateurs sociaux dans plusieurs domaines. Cette figure contribue en outre à illustrer les inconvénients des procédures traditionnelles d'élaboration des modèles de systèmes sociaux lorsqu'il s'agit d'indicateurs sociaux. L a plupart des tentatives d'élaboration de modèles sociologiques ont été axées sur l'analyse de l'effet des indicateurs non manipulables sur certains résultats et sur les indicateurs des effets secondaires, sans qu'il soit tenu compte des indicateurs d'instruments politiques et de leurs impacts relatifs. D'autre part, la plupart des recherches opérationnelles traditionnelles semblent mettre en relief les effets des instruments politiques sur les indicateurs de résultat sans prendre explicitement en considération les indicateurs d'effets secondaires ni l'influence des indicateurs n o n manipulables. Qu'il nous suffise de dire ici que la figure 1 reflète la plupart des caractéristiques des indicateurs sociaux qui ont été exposées plus haut. D e plus, la représentation de l'organisation complète de tous les éléments d'une analyse des indicateurs sociaux sous cette forme graphique permet de constater que les conceptions des divers auteurs qui se sont occupés des indicateurs sociaux ne sont pas nécessairement contradictoires; leurs différences proviennent d'un déplacement d'accent entre les divers aspects de l'analyse. L a figure 1 portant sur des modèles de systèmes qui représentent des processus sociaux déterminant des conditions

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sociales, plutôt que sur des processus sociaux plus généraux, nous désignerons une configuration c o m m e celle qui est présentée dans cette figure sous le n o m d e modèle d'indicateur social. V o y o n s rapidement c o m m e n t le tracé de la figure 1 pourrait s'appliquer au problème étudié par Bauer et ses collaborateurs, c'est-à-dire à l'évaluation des répercussions d u p r o g r a m m e spatial sur la société américaine. D a n s ce cas, l'indicateur essentiel d u résultat était u n vol réussi vers la lune, alors que les instruments politiques étaient les ressources financières, matérielles et humaines consacrées à ce p r o g r a m m e . Les indicateurs descriptifs non manipulables c o m p r e naient des contraintes c o m m e l'état des sciences physiques et d e la technologie et les ressources en personnel qualifié. Enfin, parmi les effets secondaires d u prog r a m m e spatial figuraient des indicateurs de la concentration d u personnel et des ressources dans certaines professions et dans certains lieux géographiques. Prenons c o m m e autre exemple u n processus social plus général c o m m e l'éducation. Pour obtenir u n modèle d'indicateur social destiné à représenter les processus sociaux qui déterminent la situation de l'éducation, o n peut définir des indicateurs de résultat se rapportant à l'apprentissage et aux résultats individuels ; des indicateurs d'instruments politiques ayant trait aux ressources financières, matérielles et humaines consacrées aux p r o g r a m m e s éducatifs; des indicateurs descriptifs n o n manipulables se rattachant a u milieu familial et aux aptitudes individuelles; et des indicateurs d'effets secondaires concernant la profession, le revenu, le style de vie, les goûts culturels et autres caractéristiques des individus. L à encore, la perspective présentée dans la figure 1 permet d'organiser les indicateurs sociaux sur l'éducation en u n ensemble cohérent. L a notion de modèle d'indicateur social u n e fois définie, nous pouvons alors modifier l'énoncé d u problème d u paradigme des indicateurs sociaux de la façon suivante : c o m m e n t choisir les éléments contenus dans la case des indicateurs de résultat o u de produit final qui se trouve sur la droite de la figure 1 ? Les théories de l'analyse politique et de l'économie sociale (voir, par exemple : A r r o w , 1963; F o x , Sengupta et Throbecke, 1973; Tinbergen, 1952) donnent u n e réponse assez simple à cette question : les éléments qui se trouvent dans cette case sont les arguments d'une fonction de bien-être social, ces arguments étant e u x - m ê m e s déterminés par les arguments des éléments de la fonction d'utilité qui interviennent dans cette fonction de bien-être social. L a fonction d u bien-être social est par conséquent définie c o m m e la résultante des fonctions d'utilité de tous les m e m b r e s d'une société : W = W(U lf . . . U N ). [1] E n outre, chacune de ces fonctions d'utilité est elle-même une fonction représentant le niveau de satisfaction d'un individu c o m m e une combinaison de certains produits, de services et d'autres éléments de l'environnement de chaque individu : U ^ U Í O , , . . . O J , i = l, . . . N . [2]

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E n remplaçant donc chaque U 4 dans l'équation 1, on peut obtenir une nouvelle formulation de la fonction de bien-être social en recourant aux arguments des fonctions d'utilité :

W = WÍCV . . . OJ.

[3]

Dans les équations 1, 2 et 3, les ordres de préférence peuvent remplacer les fonctions d'utilité, mais les arguments essentiels restent les m ê m e s . E n principe, le nombre m d'arguments de l'équation 3 est infini ou tout au moins très grand. D e plus, il n'existe pas de théorie qui donne à priori le contenu réel des arguments. D o n c , si la théorie d u bien-être social indique où trouver une solution du problème du paradigme d'indicateur social, elle ne fournit pas elle-même de solution. C e qu'il faut, ce sont des mécanismes d'identification d u contenu réel des arguments de l'équation 3. Le principal mécanisme utilisé jusqu'à présent est la recherche d'un certain « consensus » sur les éléments de l'équation 3. Cette approche s'effectue généralement sous la forme d'une tentative de détermination des « buts sociaux » ou des « préoccupations sociales » qui sont censés illustrer de « grands domaines d'intérêt social ». C'est, par exemple, l'approche adoptée dans Social indicators 1973. O n lit, à la page x m de l'introduction de cet ouvrage, que, dans chacun des huit « grands domaines sociaux » (que nous avons énumérés plus haut en rendant compte de ce travail), « . . . on a déterminé de grands domaines d'intérêt social — ou de préoccupations sociales. Dans le secteur de la santé, par exemple, les préoccupations sociales retenues sont : une longue vie, une vie sans infirmité, l'accès aux soins médicaux... Les préoccupations renferment donc des objectifs sociaux fondamentaux et largement partagés... » C e schéma a également été adopté pour l'élaboration, par l ' O C D E , de la Liste des préoccupations sociales communes à la plupart des pays de l'OCDE, où l'on lit, à la page 7, la déclaration suivante : « Dans l'esprit du Conseil de l ' O C D E , il s'agissait d'entreprendre un effort concerté pour établir des définitions normalisées des domaines d'objectifs sociaux où il est particulièrement nécessaire de disposer d'indicateurs et d'évaluations systématiques... Le terme de 'préoccupation sociale' tel qu'ilfiguredans le programme de l ' O C D E dénote une préoccupation ou aspiration qu'il est possible d'identifier et de définir, qui possède une importance fondamentale et directe pour le bien-être humain (par opposition à des questions qui ne concernent le bien-être qu'indirectement ou par le biais des moyens utilisés). » E n résumé, ces deux textes représentent un essai d'élaboration d'une liste de conditions sociales qu'on s'accorde généralement à considérer c o m m e contribuant directement à la satisfaction ou au service des individus et, par conséquent, au bien-être social. Dans la mesure où il est possible de déterminer chacun de ces « domaines d'objectifs » et de parvenir à un accord à leur propos, il est préférable de désigner les indicateurs sociaux sous le n o m d'indicateurs d'objectifs, étant donné qu'ils peuvent servir à mesurer le degré de réalisation d'un but recherché.

Théories, modèles et indicateurs de changement social

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O n peut alors tracer le cadre d'une « comptabilité des objectifs nationaux » (voir par exemple Terleckyj, 1972) dans lequel o n mesurera les répercussions d'une politique particulière et des actions de programme sur la réalisation des objectifs recherchés. Il n'est pas difficile de trouver des points faibles dans cette tentative de définition des indicateurs sociaux. Il ne faudrait pas, par exemple, pousser trop loin l'idée de « consensus » sur les « préoccupations sociales », car les descriptions habituelles ne montrent pas clairement c o m m e n t les préoccupations de chacun des membres d'une société influent sur le choix des préoccupations sociales. Il faut s'attendre, au m i n i m u m , à d'importantes divergences entre les véritables ordres de préférence des individus, en dépit des commissions qui travaillent sur les objectifs nationaux et internationaux. D'autre part, en l'absence de consensus, il faut que les éléments et les objectifs d'une fonction de bien-être social, soient déterminés par u n responsable politique (voir, par exemple, Fox, Sengupta et Throbecke, 1973). Mais rien ne garantit que le jugement d'un responsable politique sera meilleur que celui des « commissions d'objectifs », m ê m e s'il est élu par le peuple. C e recours à la notion de « consensus » pour la définition des indicateurs sociaux repose également sur l'hypothèse que les aspirations peuvent être classées en deux catégories selon qu'elles ont ou qu'elles n'ont pas une importance fondamentale et directe pour le bien-être de l ' h o m m e . Le plus souvent un facteur social qui revêt une importance directe pour le bien-être de l ' h o m m e a également une importance indirecte parce qu'il est lié à d'autres facteurs qui ont c o m m e lui une importance directe pour le bien-être. Cette relation entre plusieurs facteurs est généralement perdue de vue lorsque les fonctions de bien-être social et les préoccupations sociales sont envisagées dans une perspective simpliste. D e plus, toute politique sociale qui ne tient pas compte des relations entre indicateurs sociaux risque de courir à l'échec d u fait qu'elle ignore ses effets secondaires, que les indicateurs sociaux étaient à l'origine conçus pour mesurer. N o u s tenterons dans la prochaine section de placer cette notion de « consensus » dans un contexte plus général, mais il convient de noter que les diverses « préoccupations sociales » définies jusqu'à présent peuvent être rattachées à deux valeurs sociales générales : a) le niveau de bien-être; b) l'équité. Ces deux valeurs recouvrent toutes les préoccupations sociales énumérées dans Social indicators 1973. D a n s le domaine de la santé, par exemple, les deux premières des trois préoccupations citées plus haut relèvent d u niveau du bien-être et la troisième est d u ressort de l'équité. Ces valeurs sociales apparaissent également dans la liste de l ' O C D E . Bien qu'elles ne dispensent pas de définir des indicateurs sociaux spécifiques, elles peuvent servir à esquisser la définition des indicateurs dans le cas o ù aucune « préoccupation sociale » n'a été déterminée. E n d'autres termes, elles fournissent une orientation sur les types d'arguments particuliers de l'équation 3 et, par conséquent, sur les éléments de la case « résultat » de la figure 1. Elles constituent

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également des résumés c o m m o d e s de listes de préoccupations sociales. N o u s utiliserons ces deux valeurs dans la prochaine section pour esquisser une approche des indicateurs du changement social.

Indicateurs sociaux et changement social Nature du changement social N o u s revenons maintenant, en les traitant plus en détail, sur les sujets que nous avons abordés au début du présent article : la nature des systèmes sociaux et d u changement social. N o u s chercherons à articuler la théorie et la mesure du changement social avec les concepts d'indicateurs sociaux et de modèles d'indicateurs sociaux esquissés dans les sections précédentes. N o u s essayerons en particulier de placer le problème du paradigme des indicateurs sociaux dans le contexte du changement social. N o u s avons noté plus haut que cette tentative peut être considérée c o m m e analogue à la définition classique des indicateurs économiques en tant qu'indices de l'activité économique illustrant u n processus traditionnel de relation chronologique et de covariation avec les cycles économiques. Il est évident que les indicateurs économiques c o m m e le taux de chômage sont en général des arguments d'une fonction de bien-être social et peuvent donc être examinés sous l'angle de la politique sociale c o m m e dans la sous-section précédente. Mais le taux de chômage possède également une validité externe en tant qu'indicateur économique du fait de la covariation avec les cycles économiques qui l'a toujours caractérisé. Il serait en fait extrêmement risqué de faire une politique sociale en fonction d'un indicateur dont on ne sait rien sinon qu'il est l'objectif d'une politique. N o u s ne s o m m e s heureusement pas dans u n tel état d'ignorance en matière d'indicateurs économiques. C e que nous proposons dans cette section, c'est un cadre analogue pour l'établissement de la validité externe et l'interprétation des indicateurs sociaux (autres que les indicateurs économiques classiques), c'est-à-dire u n système où les indicateurs illustrent un schéma traditionnel de relation chronologique et de covariation avec le changement social dans le sens qui est défini plus loin. E n d'autres termes, il suffit que les indicateurs sociaux, au sens le plus large où nous les entendons, soient des indices des conditions sociales. Si nous y ajoutons, c o m m e critère de validité externe, que ces indices doivent être des arguments d'une fonction de bien-être social, nous obtenons alors, c o m m e nous l'avons noté dans la sous-section précédente, le type d'indicateurs sociaux dits indicateurs d'objectifs. Si, d'autre part, nous appliquons le critère de validité externe analysé plus loin dans cette section, nous obtenons le type particulier d'indicateurs connu sous le n o m d'indicateurs du changement social. II n'est certes pas nécessaire que ces deux ensembles d'indicateurs sociaux soient identiques; il est en fait pratiquement impossible pour une fonction de bien-être social de faire intervenir plus que

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quelques aspects de la vie sociale. Mais le contenu et l'importance relative des fonctions de bien-être social varieront certainement de temps à autre, à mesure que les préoccupations des membres d'une société et des responsables politiques évolueront. D a n s ce cas, les spécialistes des sciences sociales seront amenés à fournir des indicateurs différents c o m m e éléments de la fonction de bien-être social. Dans l'idéal, ces indicateurs pourront être tirés d'une liste générale d' « indicateurs du changement social » dont on se sera assuré qu'elle satisfait aux critères de validité externe du changement social. Ainsi les spécialistes des sciences sociales pourront assumer, c o m m e les indicateurs sociaux « d'analyse », une fonction distincte de la fonction de « conception » ou de « planification » associée à la politique sociale. Cette distinction permet de mieux comprendre à quel m o m e n t les considérations « normatives » interviennent dans la détermination des indicateurs sociaux. Il est évident que les valeurs du spécialiste des sciences sociales président toujours, dans une certaine mesure, au choix des phénomènes qu'on veut mesurer, que leur recherche fasse ou n o n appel aux indicateurs sociaux. Les recherches sur les indicateurs sociaux ne peuvent jamais échapper à l'influence de ces valeurs, mais cette influence peut être réduite au m i n i m u m si l'on varie l'éventail des orientations. Cela dit, les indicateurs sociaux n'impliquent pas nécessairement que les changements orientés dans une direction sont « bons » tandis que ceux qui sont axés dans une autre sont « mauvais », à moins que ces indicateurs ne soient en fait des « indicateurs d'objectifs » dérivés d'une fonction de bien-être social. D'une manière plus générale, tout mouvement d'un « indicateur du changement social » dans une direction quelconque sera considéré c o m m e « bon » par certains et c o m m e « mauvais » par d'autres. Considérons par exemple un indice croissant de dépolitisation. Certains individus pourront penser que cette tendance est « mauvaise », s'ils attachent beaucoup d'importance à la légitimité du régime politique, tandis que d'autres pourront considérer ce changement c o m m e « bon » s'ils préfèrent que le peuple soit sceptique. A ce niveau, les questions normatives ne peuvent être résolues que par quelque procédure de décision collective aboutissant à l'imposition d'une fonction de bien-être social et c'est pourquoi cette dernière est toujours plus o u moins arbitraire. Pour développer ces idées, il nous faut une définition plus précise du changement social, laquelle dépend, à son tour, d'une conception précise de la nature d'un système social. La définition suivante nous suffira pour les besoins de notre étude. Par système social, nous entendons une série de quatre ensembles : (P, R, X , F)

[4]

où F = (pi, ... /7N) est l'ensemble des N membres d u système (c'est-à-dire la population), R = (R!, . . . R M ) l'ensemble des M types socialement pertinents de relations binaires entre les membres de P (c'est-à-dire les M types de sousensembles de produits combinés p x p), X = (xt, . . . Xj) l'ensemble des J types

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de caractéristiques socialement pertinentes des membres de P , et F = (/i, . . . fK) l'ensemble des K relations fonctionnelles entre les éléments de X et de R . D a n s cette définition, l'expression « socialement pertinents » doit être interprétée en fonction du système en question; c'est donc une affaire à la fois de définition à priori et de contexte culturel d u système. Le couple P R représente ce qu'on appelle souvent la « structure sociale » ou la « structure de rôle » d u système. Plus précisément, l'ensemble R constitue le réseau des relations comportementales, affectives et normatives entre les m e m b r e s de la population. P R représente donc essentiellement l'aspect structurel o u topologique d u système. Si, par exemple, P est un ensemble d'individus et R u n ensemble de rapports de parenté entre P x P , P R représente le réseau des rapports de parenté du système social. D a n s notre définition, nous n'avons retenu que les relations binaires de manière que la structure reste aussi simple que possible. Il est certain que la plupart des notions de relations peuvent être formulées en termes de relations binaires. N o u s les avons définies telles qu'elles se réalisent en extension (c'est-à-dire en produits combinés), mais il est également possible de les définir en compréhension. O r les systèmes sociaux sont plus que des structures. Ils ont également des conséquences opérationnelles pour leurs membres et, en particulier, pour leurs caractéristiques socialement pertinentes c o m m e l'âge, le sexe, la race, l'éducation, le revenu, les valeurs, les aspirations, les habitudes, etc. C e sont ces caractéristiques des membres d u système qui sont contenues dans l'ensemble X , tandis que l'ensemble F est u n ensemble de fonctions servant à transformer certains éléments de X en d'autres éléments. Le couple X F représente donc essentiellement l'aspect opérationnel ou l'aspect fonctionnel d u système (dans lequel nous entendons par « fonctionnel » uniquement le fonctionnement de ce système et non pas nécessairement ses propriétés « homéostatiques »). L'ensemble X pourrait par exemple se composer de variables indiquant l'âge et le revenu des membres d u système, tandis que l'ensemble F pourrait être une fonction déterminant le revenu c o m m e une fonction de l'âge. E n général, l'ensemble F contient autant de fonctions que de variables déterminées par le système. E n résumé, la formule 4 donne une définition très générale d'un système social, qui permet de subsumer la plupart des définitions types plus restrictives en catégories représentant, par exemple, des modèles d'action, de relation ou de différenciation sociale. D a n s la pratique, la plupart des analyses sociales tendent à porter exclusivement soit sur l'aspect topologique, soit sur l'aspect opérationnel d'un système social. S'il arrive parfois qu'une analyse tienne compte des deux aspects, elle considérera l'un d'eux c o m m e fixe et c o m m e déterminant l'autre; tel est le cas, par exemple, quand la structure des interrelations est considérée c o m m e déterminant les attitudes des membres du système. Il est rare qu'une analyse prenne en considération les effets réciproques de la topologie et du fonctionnement d u système, à mesure que ce système évolue avec le temps. C'est

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pourtant là une condition préalable à la compréhension des systèmes sociaux dans toute leur complexité. E n général, donc, l'ensemble F devrait contenir des fonctions qui rendent compte de l'interdépendance de R et de X . E n outre, la formule 4 fournit le cadre à l'intérieur duquel il est possible de subsumer, à titre de cas particuliers, u n grand nombre de théories des systèmes sociaux. C'est ainsi que la théorie micro-économique classique (par exemple, Henderson et Quandt, 1971) est u n cas particulier de la formule 4 dans lequel P se compose des ménages (consommateurs) et des entreprises (producteurs); l'ensemble R consiste en une relation d'échange entre les éléments de ces deux ensembles; l'ensemble X contient des variables c o m m e les quantités d'intrants et d'extrants et leurs prix, les revenus monétaires et la structure des préférences des ménages; et l'ensemble F contient les fonctions de production des entreprises, les fonctions d'utilité, les équations de revenus et les contraintes budgétaires des ménages, et les équations de l'équilibre des échanges. Mis en formules mathématiques, ce modèle très simple de l'aspect économique d'un système social peut être résolu de manière explicite pour la répartition des intrants et des extrants, leur coût relatif et ainsi de suite. D e m ê m e , u n grand nombre d'autres théories explicites des systèmes sociaux peuvent s'intégrer dans ce cadre, mais généralement sous une forme mathématique moins explicite. D a n s ce contexte, le changement social désigne l'altération de l'aspect topologique ou de l'aspect opérationnel d'un système social, y compris ses répercussions sur l'autre aspect lorsque le changement ne se produit à l'origine que dans l'un des deux. L e changement social n'est parfois défini qu'en fonction d'une altération des caractères structurels d'un système social (voir, par exemple, M o o r e , 1968, p. 366). Mais il semble évident qu'il nous faut admettre qu'une altération peut se produire dans n'importe quel aspect d u système. C'est là encore une définition très générale. C o m m e ce fut le cas pour notre définition du système social, elle pourrait s'appliquer à des changements dans des systèmes allant de la dyade à l'ensemble de l'espèce humaine. Mais les théories classiques d u changement social s'interaxent au niveau societal et c'est autour du changement societal que nous avons axé notre étude. Il nous faut par conséquent définir la société si nous devons orienter notre étude vers le changement social au niveau societal. Parsons (1966, p. 9) définit la société c o m m e étant le type de système social qui, dans u n ensemble de systèmes sociaux, atteint le plus haut niveau d'autonomie par rapport à son milieu. Étant donné que, pour Parsons, un système social est essentiellement ce que nous avons appelé dans la formule 4 l'ensemble R , il situe nos ensembles P (qui correspondent en gros à son système « organismique »)> X (qui représente approximativement son système de personnalité) et F (qui coïncide à peu près avec son système culturel) dans l'environnement de son système social. Notre définition d'un système social (et par conséquent du changement social) couvre donc u n c h a m p plus étendu que celle de Parsons ; elle correspond

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en fait à ce que Parsons appelle u n système d'action. Parsons a toujours divisé son « système d'action » en plusieurs sous-systèmes analytiquement distincts, au sein desquels pouvait s'envisager u n aspect particulier d u changement social (sur lequel nous reviendrons). E n ce qui concerne, cependant, la situation des indicateurs sociaux dans le contexte d'un changement social, il est utile de disposer d'une représentation u n peu plus générale du système social. Pour les besoins de notre étude, la définition suivante, adaptée d'Aberle (1950, p. 110 et 111), est particulièrement intéressante : une société est une population d'êtres humains politiquement organisée et disposant d'une relative autonomie, dotée d'une culture et dont la durée de vie excède la longévité de n'importe lequel de ses membres, cette population étant formée, en partie tout au moins, par la reproduction sexuelle de ses individus. Cette définition contient plusieurs termes non définis, auxquels o n peut attribuer la signification qui leur est plus o u moins normalement donnée en sciences sociales. E n outre, il n'est pas nécessaire de se laisser entraîner dans des discussions sur le point de savoir si les activités incluses dans la définition sont des « conditions fonctionnelles préalables » de la société et « si des sociétés peuvent exister » sans accomplir au moins une de ces activités. Il nous suffira de noter qu'il s'agit là des attributs considérés c o m m e distinguant les sociétés humaines des sociétés n o n humaines, et d'en rester là. A u niveau d'une société, notre représentation (formule 4) d'un système social exige trop d'informations pour avoir une utilité pratique dans l'étude du changement social. Plus précisément, si la population compte N membres, N x N contient 2^, relations binaires n o n reflexives distinctes, et si les membres de N sont caractérisés par deux relations, le n o m b r e des combinaisons distinctes s'élève à 2 ^ et ainsi de suite. Par conséquent, m ê m e pour une population P de quelques milliers de personnes, auxquelles on applique un ensemble R de deux o u trois types de relations sociales seulement ( c o m m e la parenté, l'interaction et l'autorité), le détail des informations excède les possibilités de traitement pratique, sans parler du problème posé par le rassemblement d u volume stupéfiant d'informations qu'exigerait la définition (formule 4). A u niveau societal, par conséquent, il est concrètement impossible de décrire entièrement u n système social en appliquant la formule 4, et il nous faut chercher un m o y e n de traiter le changement social sans entrer dans les détails de la structure sociale impliqués par cette définition. Il nous faut demander au théoricien de la sociologie u n m o y e n d'agréger les individus d'une population et leurs relations sociales de manière à maintenir 1' « équivalence structurelle » de ces individus à l'égard de leurs relations. Cela signifie qu'il faudrait, dans toute la mesure du possible, placer des individus dans u n m ê m e ensemble si leurs relations à l'égard des autres membres de la population sont analogues, et seulement dans ce cas. L'approche sociologique type de ce problème consiste à grouper l'ensemble des relations sociales R et les m e m b r e s de la population P en fonction des struc-

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tures institutionnelles de la société. U n e institution sociale est généralement définie c o m m e u n ensemble de normes (règles de comportement) groupées autour de valeurs et d'activités relativement distinctes (voir, par exemple, Williams, 1960, p. 31). Bien que les institutions ne soient que des normes, à chacune d'elles correspond une structure institutionnelle, c'est-à-dire u n ensemble de relations entre les membres de la population à laquelle s'appliquent les normes. Supposons, pour voir c o m m e n t cela se rattache à une simplification de la formule 4, que ç>{ soit une relation d'équivalence groupant les éléments de l'ensemble R des relations axées sur l'énième institution liti= 1, . . . Q . N o u s pouvons alors faire une application de R sur les classes d'équivalence modulo p4 : R -> R / P i et les classes d'équivalence qui en résultent nous donnent la structure institutionnelle correspondant à I¡. Si, par exemple, nous désignons par I4 l'ensemble des normes groupées autour de l'activité sexuelle, de l'éducation des enfants à charge et des relations sociales établies par les unions sexuelles et la naissance des enfants, ce qui définit ainsi l'institution familiale ou parentale de la société, les classes d'équivalence R / p 4 définissent alors la structure familiale. D e plus, en exprimant l'ensemble de toutes les structures institutionnelles de la société par (R/pj), nous pouvons énoncer la formule 4 c o m m e suit : (P, [R/pJ, X , F ) [5] Et si nous groupons aussi les membres de la population P dans les classes définies par (R/pJ, nous pouvons définir un ensemble P * de populations à structures équivalentes (l'une de ces populations à structures équivalentes pourrait par exemple se composer de familles). Dans ce cas, la formule 5 pourrait être encore simplifiée pour devenir : (P*, (R/ P i ), X , F ) [6] Pour u n R/p¡ donné et les éléments correspondants de P * , X et F , l'énoncé 6 définit u n sous-système institutionnel d u système social global correspondant à une société. E n résumé, l'énoncé 6 constitue une approche mathématique relativement explicite de la construction du « réseau de sous-systèmes reliés entre eux » que de nombreux auteurs (par exemple, L . Stone, 1973) ont évoqué c o m m e constituant la nature de l'organisation sociale. Pour appliquer ce schéma d'agrégation, il nous suffit de disposer d'un ensemble d'activités et de valeurs autour desquelles nous puissions définir u n ensemble d'institutions sociales. Celles sur lesquelles nous avons choisi de travailler sont celles qui figurent dans la définition donnée plus haut d'une société. Plus précisément, cette définition implique qu'une société accomplit quatre catégories d'activités : a) la reproduction; b) la subsistance (qui dérive de la condition d'autonomie); c) le maintien de l'ordre et de la sécurité; d) la socialisation et

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Kenneth C. Land

l'organisation culturelle. A chacune de ces catégories d'activité nous pouvons associer une ou plusieurs institutions sociales types, c o m m e le montre le tableau 1. O n voit en effet que la première colonne de cettefigureenumere ces quatre activités (la socialisation étant répartie en fonction de l'âge auquel elle a lieu), tandis que la deuxième colonne présente les structures institutionnelles par lesquelles u n e société se reproduit, produit et c o n s o m m e des biens et des services, maintient l'ordre et la sécurité, et organise sa culture. D a n s une décomposition de la société en institutions telle que l'énoncé 6 la prévoit, nous pouvons appliquer à l'un quelconque des quatre éléments la définition d u changement social qui a été donnée plus haut. N o u s pourrions, par exemple, enquêter sur les changements de la composition des populations institutionnelles P * . O u bien nous pourrions examiner les changements intervenant dans les structures institutionnelles R / p ^ Ces derniers représentent essentiellement l'aspect du changement social que Parsons (1966) analyse en fonction d'une échelle des civilisations qui rappelle les grands théoriciens du changement social. TroisièT A B L E A U 1. Organisation institutionnelle des activités et des produits finals d'une société d'après L A N D ,

1974)

T y p e d'activité

Structures institutionnelles

Produits finals distribués

Reproduction et socialisation au début de l'enfance

Famille

Mariage Fécondité Parenté Divorce Formation de la personnalité Aptitudes

Subsistance (Production et consommation des biens et services nécessaires au maintien de la vie)

Économie Soins médicaux

Emploi Revenu et pauvreté Consommation : Loisirs Logement Transports Environnement physique Morbidité et santé Mortalité

Ordre et sécurité

Administration Religion

Sécurité publique et criminalité Justice Participation à la vie politique et religieuse

Socialisation et organisation culturelle

Connaissances et technologie

Scolarité Accès aux arts

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m e m e n t , nous pourrions chercher à mesurer les changements en fonction de certaines des propriétés X socialement pertinentes des individus qui composent le système. Enfin, nous pourrions mesurer les changements sociaux en fonction des relations fonctionnelles F qui décrivent les caractéristiques opérationnelles d u système. Prendre modèle sur le problème d u paradigme des indicateurs sociaux expliqué dans la section précédente supposerait qu'on mesure le changement social par la troisième des possibilités, c'est-à-dire en fonction des changements des propriétés X des membres d u système qui leur sont attribuées par les structures institutionnelles respectives. D a n s la 3 e colonne d u tableau 1 sont indiquées quelques caractéristiques des produitsfinalsde la société — population, emplois, biens, services, environnement physique, santé, maladie, criminalité, instruction, etc. — qui sont ainsi distribués. Il conviendrait en outre de noter que la notion de modèle d'indicateur social correspond à une définition et à une mesure du changement social fondées sur la quatrième des solutions proposées, c'est-à-dire sur les relations fonctionnelles en vertu desquelles le système est opérationnel. N o u s traiterons de cette question dans la prochaine section. E n résumé, nous voyons maintenant c o m m e n t la notion d'indicateur social s'applique à un contexte plus général de changement social : dans la mesure où les indicateurs sociaux constituent des séries chronologiques d'observations à partir desquelles on peut mesurer les changements sociaux, c'est qu'ils se fondent sur les propriétés attribuées aux individus par les institutions sociales. N o u s avons vu dans la sous-section précédente que les indices de ces caractéristiques finales des individus sont parfois désignés sous le n o m d'indicateurs sociaux, à partir d'un critère de validité externe relevant de la politique sociale. C e que nous avons proposé dans cette étude, c'est u n autre critère de validité externe fondé sur la relation entre ces indices et le changement social. Cette définition des indicateurs sociaux dans le contexte du changement social est importante d u fait qu'on ne reconnaît généralement pas à ce dernier de rapport avec le problème d u paradigme de l'indicateur social, c'est-à-dire avec la détermination des conditions sociales à mesurer. Cela s'explique, semble-t-il, par l'importance accordée à la « relation directe » entre les « préoccupations sociales » et le bien-être des individus, qui découle, nous l'avons vu, d u contexte de la fonction de bien-être social. Il s'ensuit que les questions d'importance indirecte pour le bien-être des individus ne doivent pas être considérées c o m m e des préoccupations sociales et, par conséquent, ne doivent pas être mesurées par des indicateurs sociaux. D e plus, cette perspective permet de mieux préciser les conditions dans lesquelles les termes de « préoccupations sociales » et d' « objectifs sociaux » ont une signification. N o u s avons d'ailleurs vu qu'une structure institutionnelle est u n ensemble de relations sociales axé sur les normes qui constituent une institution sociale. Tout ensemble de relations de ce genre confère une autorité à

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certains individus o u groupes d'individus et, dans la mesure où les « préoccupations sociales » sont reconnues c o m m e des objectifs par ces individus ou groupes d'individus, il est sociologiquement significatif de désigner ces préoccupations sous le n o m d' « objectifs sociaux ». C o m m e Arrow (1963) l'a observé, 1' « autorité » est l'une des façons les plus simples de créer une fonction de bien-être social, alors qu'il peut s'avérer vain de tenter d'obtenir u n « consensus », sauf dans des conditions sociales très particulières. Bref, il n'est pas nécessaire que les « préoccupations sociales » fassent l'objet d'un « consensus » entre les membres d'une société. Il suffit que les individus o u les groupes d'individus investis d'un pouvoir institutionnel les reconnaissent c o m m e des « objectifs sociaux ». C'est cette reconnaissance que les « commissions d'objectifs » paraissent faciliter. Avant de conclure cette section, nous observerons que le tableau 1 n'est pas le seul possible. Tout d'abord, il existe autant d'agrégats institutionnels d'une société qu'il y a de « points de vue » sur le système. L a liste des structures institutionnelles d u tableau 1 ne comprend pas la plupart de celles qui sont c o m m u n é ment retenues par la société américaine. Williams (1960, p. 31-33) cite c o m m e autre structure la « stratification sociale », que nous avons implicitement fait figurer dans la colonne de la répartition des produits d u tableau 1, tandis que nous avons explicitement cité une structure institutionnelle de soins médicaux qui nefigurepas dans sa liste. E n outre, les catégories de la troisième colonne de cettefigurene sont citées qu'à titre d'illustration et ne sont pas destinées à une utilisation opérationnelle. Pour une application pratique, on pourrait avoir recours à une classification beaucoup plus détaillée. L a catégorie de l'emploi pourrait par exemple être décomposée en catégories telles que la sécurité de l'emploi, les relations entre employeurs et employés, le marché d u travail (offre, demande, chômage), le degré de satisfaction professionnelle, la mobilité de la main-d'œuvre, etc. Modèles d'indicateurs sociaux sur des séries chronologiques et sur le cycle d'existence D a n s la section précédente, nous avons placé les « indicateurs sociaux de résultat final » dans le contexte général du changement social. N o u s avons vu que les indicateurs sociaux peuvent être le plus souvent présentés c o m m e des mesures des conditions sociales et qu'on peut les soumettre à u n critère de validation externe qui relève soit de la politique sociale, soit du changement social. Mais au-delà de ce problème de validité, les variations d'un indicateur social doivent être interprétées. C'est précisément là qu'il devient indispensable de faire intervenir la notion de modèle d'indicateur social. E n outre, cet instrument d'interprétation intervient tant au niveau des concepts que sur le plan quantitatif. Les listes d'indicateurs sociaux comprennent habituellement, par exemple, un indice d' « instruction scolaire ». Pour interpréter cet indice, il faut définir avec une assez grande précision la nature d u système et d u processus examiné, car si l'instruction est

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uii « extrant » du système scolaire, c'est aussi un « intrant » du point de vue des qualifications d'un individu sur le marché d u travail. Pour citer un deuxième exemple, notons qu'un indice de santé c o m m e 1' « espérance de vie » n'est que partiellement déterminé c o m m e « extrant » d'un système de soins médicaux étroitement défini. Dans de nombreux cas, en fait, cet indice sera plus fortement déterminé par des facteurs c o m m e la génétique, la nutrition, le genre de vie, etc., que par 1' « octroi de soins médicaux ». Ces exemples montrent combien il est ici 100

T

Probabilité de la poursuire des études entre la onzième et la douzième année

90

80

70

95

\

Tendance séculaire uni orme

75

F I G . 2. Taux de poursuite des études entre la onzième et la douzième année d'études aux États-Unis, 1910-1966 (selon

-10 Maximums et minimums Cycle économique

F E R R I S S , 1969, p . 33).

P

1910

P P

P

1920

P P

1930

1940

1950

1960

1970

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indispensable, pour interpréter un indicateur, de définir soigneusement le système et le processus qui le déterminent. N o u s avons déjà constaté que délimiter des « domaines de préoccupations sociales » revient généralement à faire intervenir dans un contexte institutionnel particulier une ou deux valeurs générales ayant trait à la répartition des produits finals au niveau des individus, à savoir le niveau du bien-être et l'équité. N o u s proposons maintenant deux types de méthodes utilisées pour la construction de modèles d'indicateurs sociaux, chacun pouvant être structuré de manière à correspondre à ces valeurs générales. La première de ces méthodes se fonde sur des séries chronologiques de niveaux globaux d'indicateurs sociaux (premiers moments, au sens statistique) et vise à mettre au point les relations existant entre les produits globaux des divers secteurs institutionnels de la société. Elle est donc axée sur le niveau global de la valeur de bien-être et consiste à établir des modèles d'indicateurs sociaux fondés sur des séries chronologiques macro-sociologiques. Considérons, à titre d'exemple d u type de modèle qui peut être élaboré dans cette perspective, les données de lafigure2 sur les taux globaux de poursuite des études de la onzième à la douzième année pendant la période 1910-1966 aux États-Unis. Cet ensemble de données a été établi par Ferriss (1969), qui a également calculé les corrélations entre ces taux de poursuite des études et les séries chronologiques du taux de chômage et des variations brutes des effectifs d'engagés dans l'armée de terre, la marine et l'armée de l'air pendant la m ê m e période, qui figurent au tableau 2. Ferriss (1969, p. 40-43) a soumis les corrélations du tableau 2 à une analyse de corrélation partielle et n'a donc pas calculé de modèle particulier d'équation structurelle. Mais, à partir de son analyse, nous pouvons formuler l'équation de régression suivante pour C ( endogène et T , , U ( et M , exogènes : C ( = a + ß x T ( + % U , + ß 3 M ( + zv

[7]

T A B L E A U 2. Coefficients de corrélation entre le taux de poursuite des études de la onzième à la douzième année d'études, le temps, le taux de chômage et l'accroissement des effectifs militaires aux États-Unis, par années, 1910-1966 1 Temps Taux de chômage Accroissement des effectifs militaires Taux de poursuite des études de la onzième à la douzième année d'études

1 2 3 4

1,0

2

3 —0,13 1,0

—0,02 — 0,03 1,0

4 0,68 0,20 — 0,32 1,0

Source. Abbott L . FERRISS. Indicators of trends in American education, p. 39. N e w York, Russell Sage Foundation, 1969.

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où C , est le rapport entre le nombre d'élèves inscrits en douzième année pour l'année / et le nombre d'élèves inscrits en onzième année pour l'année / — 1, à partir de t— 1 = 1910; a. est la constante 0,750 correspondant aux taux de poursuite des études au point de départ des séries chronologiques (1910/11); T , est le temps mesuré en n o m b r e d'années depuis 1910 jusqu'à l'an í; U , est le taux de chômage pour l'année t'; M , est l'indice d'accroissement des effectifs militaires pour l'année t; p t , ß 2 , ß 3 sont des coefficients de régression à évaluer; et a est un terme de perturbations stochastique. D a n s l'hypothèse où il n'y a pas corrélation entre les valeurs successives de e ( , nous pouvons nous servir des informations données par le tableau 2 pour calculer les moindres carrés ß / , ß 2 ", ß 3 *, des coefficients de régression réduits correspondant à ßj, ß 2 et ß 3 : C \ = .71 T ' , + .30 U - , - .29 M \ + z\. (R = 0,80)

[8]

équation dans laquelle les astérisques signifient que les variables ont été transformées en écarts à partir de leur moyenne et divisées par leurs écarts types. Avec un coefficient de corrélation multiple de 0,80, nous obtenons une valeur F avec 3 et 51 degrés de liberté de F 3 l 6 X = 18,87 qui est certainement significatif au niveau 0,01. D e plus, chacune des trois variables fournit indépendamment une contribution significative à C ( : pour T , seul, R 2 = 0,46; pour T , et U ( , R 2 = 0,54. Mais, étant donné que Ferriss (1969) n'a malheureusement pas rendu compte des moyennes et des écarts types pour les variables du tableau 1, nous ne pouvons pas présenter les valeurs estimées des coefficients de régression sous une forme non réduite. Faute en outre de disposer des données des séries chronologiques originales, nous ne pouvons pas faire d'estimation sur l'autocorrélation qui pourrait exister entre les perturbations dans l'équation 8. Enfin, c o m m e les données de ce modèle sont résumées sous la forme d'une matrice de corrélation, nous ne pouvons calculer ni évaluer des modèles autres que celui de l'équation 7 qui tiennent compte, par exemple, des effets différés des variables exogènes. C o m p t e tenu de toutes ces réserves, l'équation 7 permet cependant d'illustrer une méthode d'élaboration de modèles d'indicateurs sociaux : elle présente une relation fonctionnelle déterminant une variable endogène de produitfinal( c o m m e celle quifiguredans Social indicators 1973, dans le graphique 3/3 sur les taux de poursuite des études scolaires) c o m m e une fonction de trois variables exogènes, dont certaines au moins sont des instruments politiques, et elle correspond ainsi à notre définition antérieure d u modèle d'indicateur social. D e plus, ce modèle concerne exclusivement la détermination du niveau d'agrégation de cet indicateur social de produit final et il sert dès lors d'exemple, quoique pour le cas le plus simple d'un système d'équation unique, de la méthode des séries chronologiques macro-sociologiques que nous avons définie plus haut. E n réalité, le modèle calculé dans l'équation 8 montre que la tendance générale linéaire croissante pendant la période 1910-1966 rend compte de la plupart

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des changements présentés dans la figure 2, mais que l'augmentation des offres d'emploi et des effectifs des forces armées a u n effet déterminant sur le taux de poursuite des études. E n général, lorsque le chômage s'accroît, les élèves qui vont entrer en classe terminale de l'enseignement secondaire ont moins tendance à abandonner leurs études et à chercher un emploi. Par contre, lorsque le chômage diminue, la propension aux abandons est plus grande. E n outre, toute augmentation des effectifs militaires (due essentiellement aux engagements volontaires puisque les jeunes gens n'ont jamais été incorporés avant l'âge de dix-huit ans) entraîne une augmentation d u nombre des abandons entre la onzième et la douzième année d'études. Afin que le lecteur ne croie pas que ces interdépendances institutionnelles sont « évidentes » en l'absence de ce modèle, nous ferons observer que les études micro-sociologiques concernant l'effet de l'accroissement d u chôm a g e sur la poursuite des études secondaires (par exemple Blough, 1956) ont abouti à une autre hypothèse, à savoir que l'effet de U , sur C , dans l'équation 8 devrait être négatif. D e telles contradictions entre les effets macro-sociologiques et les effets micro-sociologiques sont connues depuis longtemps en économie, et elles ont amené à mettre au point des théories et des modèles qui en tiennent compte. Mais les sociologues ont procédé à si peu de comparaisons entre les modèles micro-sociologiques et les modèles macro-sociologiques qu'on a relevé relativement peu de différences de cet ordre. C e n'est qu'une raison de plus pour mettre au point des modèles de séries chronologiques macro-sociologiques visant à établir une relation entre des indicateurs sociaux globaux. Si le modèle 8 reste valable à l'heure actuelle, il nous est alors possible de tirer au clair quelques conséquences « secondaires » imprévues de la « crise de l'énergie » de 1973/74 aux États-Unis. Tout d'abord, le taux de poursuite des études augmentera par suite de l'accroissement d u taux de chômage, qui est une conséquence directe de cette crise de l'énergie. E n second lieu, il sera plus facile d'accroître les effectifs militaires, objectif hé au concept d'armée « de métier », que si le chômage n'avait pas augmenté. N o u s avons ainsi une preuve directe de la façon dont u n modèle d'indicateur social peut contribuer à l'analyse des changements intervenant dans les indicateurs sociaux, et de leurs répercussions secondaires. Bien que le modèle 7 donne u n exemple de modèle d'indicateur social de séries chronologiques macro-sociologiques, il nous faut en souligner la simplicité. Les types de tâches que Bauer (1966) et ses collègues ont fixés aux indicateurs sociaux exigent au m i n i m u m des systèmes d'équations capables de saisir la structure des interdépendances institutionnelles de la société américaine, de la m ê m e façon que les modèles économétriques ont cherché à mesurer la structure de l'économie américaine (voir, par exemple, Duesenberry, F r o m m , Klein et K u h , 1965). D e tels modèles macro-sociologiques « sociométriques » seraient nécessaires aux spécialistes des indicateurs sociaux, mais les sociologues n'en ont pas encore mis au point. Il faut espérer que l'intérêt croissant porté aux séries chronologiques de

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statistiques sociales sous forme d'indicateurs sociaux aura pour conséquence d'inciter les sociologues à rendre leurs théories sur les interrelations institutionnelles assez explicites pour permettre la construction de ce genre de modèles quantitatifs. Pour ce qui est des divers changements sociaux décrits dans la section précédente, nous observons que le modèle de macro-séries chronologiques donné par l'équation 7 peut mesurer les changements sociaux associés aux différents niveaux des indicateurs sociaux globaux (qui peuvent être considérés c o m m e des changements des éléments de l'ensemble X de 6), ainsi que les changements associés aux déplacements des valeurs des paramètres de l'équation 7 (qui peuvent être considérés c o m m e des changements d'un élément de l'ensemble F de 6). E n d'autres termes, les changements sociaux qui peuvent être mesurés par u n modèle c o m m e l'équation 7 sont essentiellement des changements intervenant dans les aspects opérationnels de la représentation d u système societal décrite par l'équation 6. Cependant, les changements qui modifient la structure institutionnelle R / p { de l'éducation peuvent aussi être dénotés par les changements intervenant dans les paramètres de l'équation 7. Supposons, par exemple, que les lois sur l'éducation scolaire obligatoire soient modifiées de façon à étendre cette obligation jusqu'à l'âge de dix-huit ans. O n s'attendra alors à u n déplacement des paramètres de l'équation 7 qui aura pour effet de diminuer l'importance des variables du chômage et de l'accroissement des effectifs des forces armées et d'accroître celle de la tendance à long terme. D e m ê m e , il est difficile pour u n modèle de macro-séries chronologiques c o m m e l'équation 7 de refléter les changements de population institutionnelle P*, correspondant à la structure de l'éducation, hormis ceux qui sont illustrés dans l'ensemble X . Voyons maintenant c o m m e n t ce type de modèle d'indicateur social peut répondre aux questions posées par le second type de valeur sociale que nous avons appelé la répartition équitable des produitsfinalsdes institutions sociales. N o u s avons vu que le niveau de la valeur de bien-être aboutit à un type d'indicateur social qui traite de l'évolution dans le temps des premiers m o m e n t s o u autres mesures de la tendance centrale et de leurs interrelations. Les valeurs d'équité, par contre, se rapportent généralement à une relation entre des mesures de dispersion c o m m e les dissymétries o u les variances. D a n s l'analyse des indicateurs sociaux, ces mesures sont souvent rendues opérationnelles grâce à la comparaison des modèles calculés pour des individus ou des sous-populations différentes. Il est évident que si l'on dispose de séries chronologiques convenablement décomposées, on peut calculer u n modèle du type 7 pour le coefficient de poursuite des études dans les sous-populations noire et blanche, par exemple. Il est de m ê m e possible de concevoir ce modèle pour différentes régions géographiques et d'autres souspopulations. Ces modèles estimés permettraient alors de procéder à des comparaisons à partir desquelles on pourrait procéder à des mesures de dispersion de la poursuite des études scolaires. Ces mesures de dispersion peuvent à leur tour servir à répondre à des questions touchant à l'équité.

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Bien que le type de modèle fondé sur des macro-séries chronologiques esquissé plus haut permette de traiter la plupart de ces aspects du changement social, nous examinerons une seconde méthode d'établissement de modèles d'indicateurs sociaux qui peut compléter la première pour la mesure de l'incidence des changements intervenant dans les populations institutionnelles et pour la mesure des inégalités. Cette méthode fait appel à la notion de catégorisation des attributs sociaux des individus en fonction du cycle d'existence, selon la théorie mise au point, notamment, par Otis Dudley D u n c a n (Blau et D u n c a n , 1967; D u n c a n , 1967, 1968) au cours de la dernière décennie; il s'agit donc d'une technique permettant de construire des modèles d'indicateurs sociaux fondés sur le cycle d'existence sociologique. Cette méthode a été décrite pour la première fois par Land (1974), et l'exposé qui suit reprend cette description. D u n c a n s'est particulièrement intéressé à l'analyse d u processus de stratification sociale et c'est ainsi qu'il a mis au point un paradigme du « cycle d'existence socio-économique » (voir, en particulier, D u n c a n , 1967, p. 87). Étant donné que nous nous intéressons ici à un ensemble plus large de variables, nous présentons dans la figure 3 le schéma d'un cycle d'existence sociologique (nous employons ici le m o t sociologique dans son sens générique). L a partie gauche de la figure fournit une catégorisation approximative de variables de statut socio-économique telles qu'elles ont été définies par D u n c a n et d'autres alors que la partie droite contient une liste d'autres catégories énumérées dans le tableau 1 ainsi que quelques autres qui ont souvent été analysées dans les publications consacrées aux indicateurs sociaux. Le graphique indique par desflèchesles possibilités de relations de cause à effet entre les catégories de la gauche de la figure et celles de la droite. E n outre, on n'a postulé aucune catégorisation causale des éléments de la partie droite de la figure, bien qu'il soit possible d'établir des modèles particuliers qui feraient ressortir une telle catégorisation. C e graphique n'a pas été n o n plus conçu pour exclure la possibilité d'une influence causale des catégories de droite sur celles de gauche. Il se pourrait par exemple qu'un effet n o n nul doive être attribué à la maladie (à droite) sur l'instruction scolaire, l'emploi, le revenu et la consommation, ainsi que sur d'autres catégories situées à la droite de lafigure.Il convient enfin de noter qu'en sélectionnant certaines combinaisons de variables de cettefigure,on pourrait définir des paradigmes différents (mais qui ne s'excluraient peut-être pas nécessairement l'un l'autre), c'est-à-dire u n cycle d'existence socio-économique (se rapportant aux variables de statut socio-économique), u n cycle d'existence sociopolitique (ayant trait à la participation aux organisations politiques, religieuses et bénévoles), et un cycle d'existence socio-culturel (relatif à l'instruction scolaire et à d'autres catégories culturelles). L e schéma de cette figure n'est évidemment rien de plus qu'un paradigme général dont il est possible de tirer des modèles particuliers. N o u s ne présenterons cependant pas ces modèles ici. Des modèles provisoires ont été proposés dans les publications spécialisées, et ils sont continuellement révisés, évalués et perfec-

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F I G . 3. Représentation schématique du cycle d'existence sociologique (selon Land, 1974). Famille d'orientation

Famille de procréation Mariage Fécondité Divorce Famille de « gérontation » Parenté teConnaissances (information) Santé et maladie Loisirs Logement ^- Transports Environnement physique Sécurité Justice

\ \ Scolarité

\ Emploi \ \ Revenu

^-

Participation : A la vie politique A la vie religieuse A u x organisations bénévoles

1»-

Satisfaction : Aspirations Espérances Aliénation et moral Emploi du temps

\

Consommation

tionnés. Pour les besoins de notre étude, il est évident que, dans la mesure o ù les modèles spécifiques de cycle d'existence établissent un lien entre les produits sociaux distribués aux individus (scolarité, emploi, revenu, consommation, santé, participation sociale, etc.), les paramètres estimés correspondants représentent des indicateurs analytiques du fonctionnement des diverses institutions sociales dénotées par les variables des modèles. Land (1974) montre comment les modèles construits à partir d u schéma de la figure 3 peuvent s'insérer dans une stratégie de la transformation sociale fondée sur les cohortes, en vue de l'étude du changement social, et l'on trouvera plusieurs exemples de ces modèles dans L a n d et Spilerman (1974).

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Conclusion L a nature du changement social est l'un des grands problèmes philosophiques autour desquels les sciences sociales se sont constituées en vue de rassembler un savoir empirique. L a sociologie, en particulier, est née au siècle dernier en réponse à la double question : C o m m e n t l'ordre social est-il possible ? C o m m e n t le changement social se produit-il ? Les quelques progrès obtenus sur cette dernière question paraissent axés davantage sur les changements sociaux de grande envergure que sur les petits changements quotidiens de notre temps. Cependant, si l'on a réclamé la mise au point d'un système plus large d'indicateurs sociaux, c'est qu'on a compris que les changements importants qui interviennent dans les conditions sociales ont une grande influence sur la vie sociale contemporaine et que ces changements ne sont pas reflétés par les indices classiques du chômage et d u produit national brut. O n s'est en outre rendu compte que les indicateurs sociaux doivent refléter d'une façon ou d'une autre celles des conditions d'existence qui sont les éléments déterminants d u bien-être social. C e qu'on ne voit pas clairement, c'est c o m m e n t définir ces éléments déterminants et les mesurer dans un cadre cohérent. L a thèse qui sous-tend le présent article est qu'il est utile, pour donner consistance à ce cadre, de se faire une idée de la nature du changement social, au moins pour isoler les types de changement que peuvent mesurer les indicateurs sociaux. E n outre si l'on veut que les indicateurs sociaux donnent les résultats escomptés par ceux qui les ont conçus, il faut les énoncer en dernière analyse sous la forme de modèles qui reflètent la structure des interdépendances institutionnelles de la société. L'étude du changement social en sera certainement facilitée. Mais, surtout, les indicateurs sociaux pourront refléter les changements sociaux secondaires pour lesquels ils ont été conçus à l'origine. [Traduit de l'anglais] Références

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Théories, modèles et indicateurs de changement social

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Kenneth C. Land

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L'évolution des écarts de développement entre pays riches et pays pauvres durant la décennie 1955-1965 : étude méthodologique pilote1 Zygmunt Gostkowski L'écart s'accroît-il entre pays riches et pays pauvres ? O n répond fréquemment à cette question par l'affirmative, bien que cet écart n'ait pas été mesuré avec précision. L'auteur utilise ici ce qu'il appelle la distance économique par rapport à un « pays idéal » c o m m e indice composite des niveaux relatifs de développement. L a différence entre la distance moyenne obtenue pour les pays riches et la distance moyenne obtenue pour les pays pauvres sert de mesure composite de l'écart de développement entre les deux groupes, dans u n échantillon de 50 pays, pendant la décennie 1955-1965. L'évolution de l'écart est analysée dans trois domaines : potentiel économique, mass media et potentiel de main-d'œuvre de haut niveau. Les résultats indiquent une accélération du rythme d'accroissement de l'écart et les changements de classement correspondants des différents pays en 1955, 1960 et 1965.

Le problème de la croissance inégale A u terme de la Ire Décennie des Nations Unies pour le développement, il est décevant de constater que les inégalités s'accentuent dans le m o n d e . O n estime généralement dans les milieux bien informés n o n seulement que les objectifs fixés pour le m o n d e sous-développé n'ont pas été atteints mais que, pays riches et pays pauvres n'ayant pas les m ê m e s taux de croissance, ces derniers sont encore plus en retard qu'auparavant. Les perspectives d'avenir sont donc assez sombres : si cette tendance persiste, le m o n d e sera de plus en plus nettement divisé en riches et pauvres. Il semble cependant que cette présentation générale et spectaculaire d u problème méconnaisse certaines réalités importantes. Le développement n'est pas

Zygmunt Gostkowski est professeur associé de sociologie à l'Institut de philosophie et de sociologie à l'Académie polonaise des sciences, Varsovie. Il est corédacteur et coauteur de l'ouvrage en 4 volumes sur Analyses et vérifications des techniques de recherche en sociologie (en polonais) et du livre intitulé Toward a system of h u m a n resources indicators for less-developed countries, qui est le résultat d'un projet de recherche de V Unesco. De 1966 à 1969 il a travaillé au Secrétariat de V Unesco comme spécialiste du programme.

Rev. int. Sc. soc, vol. XXVII (1975), n ' 1

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Zygmunt Gostkowski

un processus unidimensionnel, mais il est fait de nombreux processus secondaires dont chacun correspond à un élément concret. L e creusement de l'écart affecte-t-il réellement chacune des nombreuses variables d u développement, ainsi le potentiel économique, l'équipement technologique et le savoir-faire, le bien-être de la population, le niveau de l'éducation, la santé o u les ressources humaines ? D a n s une optique multidimensionnelle, le problème des écarts et des inégalités peut être posé en termes empiriques et l'on peut proposer certaines méthodes de quantification. Le premier pas dans cette voie serait de choisir correctement les dimensions (ou variables) d u développement. O n peut comparer le processus du développement dans le m o n d e à une compétition où les pays essaient de gagner la course aux objectifsfixéspour les différentes variables. Les concurrents ont c o m m e n c é la course à des m o m e n t s différents de l'histoire et les objectifs sont de deux sortes. Il y a des variables pour lesquelles les objectifs sont des points fixes au-delà desquels la compétition n'a plus de sens. E n d'autres termes, certaines variables ont un point naturel de saturation, u n plafond. Les pays qui ont c o m m e n c é la course les premiers ont déjà atteint certains plafonds; ceux qui sont entrés dans la course par la suite sont en train de rattraper leur retard si bien que l'écart entre eux et les vainqueurs, plus chanceux, diminue à un rythme qui dépend seulement de la vitesse à laquelle progressent les « poursuivants ». Parmi les variables de ce genrefigurentles taux de scolarisation par groupe d'âge, le taux d'alphabétisme, la consommation de protéines par habitant, etc. L a situation est tout à fait différente en ce qui concerne les variables sans plafond imaginable — ou avec des plafonds théoriques impossibles à atteindre dans un avenir prévisible. C'est le cas, par exemple, du P N B , de la consommation d'énergie, du nombre d'étudiants de l'enseignement supérieur par unité de population, du nombre de postes de radio par habitant. (Il semble qu'un poste de radio par personne constitue un plafond, mais on pourrait alléguer que la possession de deux postes, le premier à transistors, l'autre du type M F , n'est pas un luxe extravagant.) L a situation paraît alors très différente : il n'y a pas d'objectifs finals fixes. Les résultats obtenus une année donnée sont dépassés par les résultats de l'année suivante si bien que les pays en concurrence visent des objectifs qui reculent toujours. Ils sont en voie d'être atteints par les pays les plus avancés, qui forment une sorte de groupe de pointe parmi les pays en concurrence. L a distance entre les pays d u groupe de pointe et les autres dépend de la vitesse relative à laquelle progressent ces deux groupes. Lorsque les objectifs sont mouvants, la mesure des écarts exige des concepts et des instruments méthodologiques entièrement différents de ceux qui sont utilisables pour des objectifs fixes. O n trouvera ci-après la description d'une méthode propre à résoudre ces problèmes d'évaluation.

L'évolution des écarts de développement

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L a notion de distance taxonomique Imaginons qu'à u n m o m e n t historique donné plusieurs pays soient représentés par des points dans u n espace à deux dimensions décrit au m o y e n de deux coordonnées x et y. Supposons en outre que les deux coordonnées soient liées aux variables qui caractérisent le niveau de développement de chaque pays. Si l'opération consistant à déterminer la position des pays dans cet espace est effectuée à des m o m e n t s historiques successifs t1, fa , . . . tn, o n verra les situations successives qui résultent de la course. Pour chacune de ces situations, on peut déterminer la ligne d'arrivée — ou encore un « pays idéal » qui aurait obtenu le score le plus élevé en ce qui concerne les deux variables de développement 2 . Lesfiguresla et 2a, qu'on trouvera plus loin, représentent graphiquement cette opération conceptuelle. O n a indiqué sur les figures la et 2a les distances des pays A , B , C , D , E , F , G , par rapport au « pays idéal ». O n peut constater que les pays A , B , C , D forment le groupe le moins développé alors que les pays E , F , G sont beaucoup plus avancés, c'est-à-dire proches d u « pays idéal ». O n peut ainsi apprécier visuellement ce qui s'est passé pendant la période t2 — tj, : les pays du groupe de tête ont tellement progressé que les pays les moins développés sont plus en retard qu'avant, bien qu'ils aient eux aussi fait de grands progrès. E n conséquence, la zone d'écart indiquée sur les diagrammes s'est élargie. U n autre m o d e de présentation graphique de ces relations fait l'objet des figures \b et 2b. L a distance de chaque pays se rapporte au niveau d u « pays idéal » et toutes les distances sont classées de gauche à droite dans l'ordre croissant des niveaux de développement, c'est-à-dire de la plus grande distance à la plus faible. Les chiffres indiqués à côté des distances expriment leur valeur numérique. O n peut les calculer très facilement à partir des deux coordonnées correspondant à chaque pays3. Les deux m o d e s de présentation graphique ont chacun ses avantages et ses inconvénients. Sur les figures la et 2a on peut voir la position effective des pays dans u n espace bidimensionnel par rapport au « pays idéal » mais les relations entre les pays pour ce qui est de leur niveau de développement ne sont guère mises en lumière. Il convient de noter à cet égard que l'écart de développement entre deux pays ne peut être exprimé que par leur distance respective par rapport au « pays idéal » — c'est simplement la différence entre ces distances. C'est à cet égard que le m o d e de présentation utilisé dans les figures 16 et 2b est préférable : les pays sont classés selon leur niveau de développement et les écarts sont faciles à discerner. Enfin, il faut se rappeler que la position effective de chaque pays peut être visualisée pour deux variables seulement; avec trois variables, la présentation visuelle devient plus difficile4 et, avec quatre variables ou plus, elle est quasi

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P a y s ¡deal

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

FIG. ¡a

Fro. 2a

f. Nnoioooo CO CDOO«-; O O ö ö d ctj in ** c\i UOXOOLUL. Niveau du pays

csi-tf o r^ o o o CMOTCOOT- O p oi od cö r^ lo ci csi o < m o i u t 3 u . Niveau du pays idéal

\

idéal

\

Z o n e d'écart

FIG. 26

FIG. \b

cM»*or»ooo CN C0CDO ¥ — O O ojodcór-' ioco