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NOUVELLE
Les collisions routières des jeunes conducteurs : un problème important de santé publique Young drivers’ road traffic crashes: an important public health issue Marie Claude Ouimet
Correspondance : Marie Claude Ouimet, Ph.D. Professeure adjointe Faculté de Médecine et des Sciences de la Santé Université de Sherbrooke (Campus de Longueuil) Centre de recherche de l’Hôpital Charles-Le Moyne 150, Place Charles-Le Moyne, bureau 200 Longueuil (Québec) J4K 0A8 Canada 450 463-1835, poste 61849
[email protected] Article reçu le :
1er mai 2012
Article accepté le :
21 septembre 2012
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L
es collisions routières ont été iden-
conduire, mais représentaient près de 30 % des
tifiées comme la 10e cause de décès
victimes de collisions. Au cours des six premiers
dans la population mondiale pour tous
mois de conduite sans supervision, le risque de
les groupes d’âge confondus ; ils passent au
collision des jeunes conducteurs détenteurs de
premier rang dans la population âgée de 15 à
permis probatoire est environ quatre à sept fois
29 ans [1]. Ces collisions engendrent plusieurs
plus élevé que le risque des détenteurs de per-
autres conséquences, dont des blessures
mis d’apprenti nécessitant la conduite sous la
graves et légères nécessitant une utilisation
supervision d’un adulte [3]. Plusieurs mesures de
importante des services de santé, ainsi que des
prévention générales (ex. le port obligatoire de la
coûts sociaux très élevés, estimés à 63 milliards
ceinture de sécurité) et spécifiques aux jeunes
au Canada pour l’année 2004 [2]. L’ampleur du
conducteurs sont utilisées pour réduire le risque.
phénomène est telle que l’Assemblée générale
Parmi les mesures de prévention spécifiques,
des Nations Unies a proclamé 2011-2020 en
qui tiennent compte des facteurs liés à l’impli-
tant que Décennie d’action pour la sécurité rou-
cation élevée des jeunes conducteurs dans les
tière.
collisions, se trouvent les programmes d’accès Depuis les années 1970, une baisse des
graduel à la conduite, l’implication des parents
taux de collisions mortelles et avec dommages
dans les différentes phases de ces programmes
corporels s’observe pour tous les groupes d’âge
et l’utilisation de nouvelles technologies.
dans les pays à hauts revenus comme le Ca-
Les comportements à risque et l’inatten-
nada. Toutefois, cette évolution à la baisse se
tion causée par la distraction sont les facteurs
manifeste peu sur la proportion de conducteurs
principaux précédant une collision chez les
de moins de 25 ans impliqués dans les colli-
jeunes conducteurs [4] pouvant être amplifiés,
sions. Au Québec en 2010, les jeunes conduc-
notamment par l’inexpérience de conduite de
teurs possédaient environ 10 % des permis de
façon indépendante, le sexe du conducteur, la
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difficulté d’autorégulation des comportements et
posantes sociales et émotionnelles serait plus
l’exposition rapide à des situations de conduite
développée à partir de la mi-vingtaine ; hypo-
dangereuses. Bien que l’inexpérience soit com-
thèse appuyée indirectement par des études en
mune aux conducteurs novices de tous âges,
neuro-imagerie sur le développement du cer-
les difficultés d’autorégulation des comporte-
veau [7,8]. Bref, les jeunes conducteurs doivent
ments (ex. suivre les limites de vitesse pres-
composer avec un nombre important de fac-
crites) et l’exposition rapide à certaines situa-
teurs de risque et certains d’entre eux peuvent
tions de conduite qui augmentent le risque après
être accentués dès le début de la période de
l’obtention du permis probatoire (ex. conduite
conduite indépendante.
en présence de jeunes passagers [5]) sont plus
Les mesures de prévention spécifiques
souvent associées aux jeunes conducteurs. De
aux jeunes conducteurs visent à atténuer
fait, la capacité d’autorégulation des comporte-
le risque pendant les premières années de
ments pourrait être partiellement tributaire du
conduite indépendante. Ainsi, les programmes
type d’exposition au risque. Des chercheurs [6]
d’accès graduel à la conduite, notamment au
suggèrent que les connaissances factuelles, qui
Canada et aux États-Unis, encadrent l’accès à
peuvent être acquises auprès des parents ou
la conduite en trois phases principales avec les
dans le cadre de la formation à la conduite (ex.
permis d’apprenti (ou phase de conduite super-
la grande vitesse est dangereuse), prendraient
visée) et les permis probatoire et régulier (ou
une moins grande importance pour plusieurs
phases de conduite indépendante). Les me-
jeunes dans certains contextes sociaux et émo-
sures durant la phase de conduite supervisée
tionnels, telles les interactions sociales avec les
comprennent l’éducation théorique et pratique
pairs (ex. désir de plaire à son groupe d’amis).
à la conduite en auto-école, la conduite sous
La capacité d’intégrer des connaissances fac-
supervision qui se fait principalement avec les
tuelles dans une situation présentant des com-
instructeurs et les parents ainsi que l’âge d’accès
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au permis probatoire. Les mesures durant les
certaines de leurs caractéristiques, dont l’âge
phases de conduite indépendante s’expriment
d’accès au permis probatoire et l’accès gra-
par l’octroi de façon graduelle des privilèges de
duel aux privilèges de conduite (c.-à-d., alcool,
conduite (ex. conduite sous l’influence d’une
passagers, nuit), sont efficaces pour réduire
certaine quantité d’alcool plus communément
le risque des jeunes conducteurs [9-12]. Tou-
appelée « tolérance zéro » ou « zéro alcool » et
tefois, il faut souligner que les études sur ces
conduite en présence de passagers ou la nuit)
questions ont été menées principalement aux
et un système de points « d’inaptitude » réduit
États-Unis, où l’âge moyen d’accès au per-
par rapport à celui des détenteurs de permis
mis de conduire probatoire est de 16 ans et
de conduire régulier. L’accès graduel aux pri-
l’âge légal de consommation d’alcool et de
vilèges de conduite permet de tenir compte du
conduite avec une quantité légale d’alcool est
paradoxe suivant :
de 21 ans. Les privilèges de conduite en pré-
1. la conduite indépendante est essen-
sence de passagers ou la nuit visent unique-
tielle pour acquérir de l’expérience de
ment les conducteurs mineurs. Au Québec,
conduite, donc s’exposer au risque est
l’âge d’accès au permis de conduire probatoire
nécessaire ;
est de 17 ans, l’âge légal de consommation
2. la probabilité de collision augmente en
d’alcool de 18 ans et la conduite sous l’in-
fonction de l’exposition au risque. Le
fluence d’une dose d’alcool légale peut se faire
but de l’octroi graduel des privilèges de
à partir de 22 ans. Les privilèges de conduite
conduite est d’augmenter l’expérience de
avec passagers et de nuit sont accordés auto-
conduite tout en réduisant l’exposition à
matiquement avec l’obtention du permis proba-
des situations de conduite dangereuses.
toire. Le Québec est l’une des rares juridictions
La documentation scientifique indique que les
à étendre les mesures visant la réduction des
programmes d’accès graduel à la conduite et
comportements à risque chez les conducteurs
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novices au-delà de l’âge de 21 ans. En dépit de
présentées au Tableau 1, comporte plusieurs
certaines lacunes, le programme d’accès gra-
éléments pour réduire le risque des jeunes
duel du Québec, dont les grandes lignes sont
conducteurs.
Type de permis Apprenti
Probatoirea
16
17
19
22
23
25+
Formation en auto-école obligatoire
oui
-----
-----
-----
-----
-----
Tests et examens obligatoires
ouib
Période de conduite supervisée
oui
-----
-----
-----
-----
-----
-----
-----
-----
-----
-----
0,00 %
0,00 %
0,00 %
0,08 %
0,08 %
0,08 %
Conduite avec passagers
-----
-----
-----
-----
-----
-----
Conduite de nuit
-----
-----
-----
-----
-----
-----
4
4
8
8
12
15
Âge minimal (années)
Régulier (classe 5)
Composantes
Privilèges graduels de conduite : Taux d’alcoolémie maximal
Points d’inaptitude maximaux
c
Tableau 1. Grandes lignes du programme québécois d’accès graduel à la conduite a
En vigueur pendant 24 mois pour tous les nouveaux conducteurs, peu importe leur âge. Plusieurs étapes incluant un test de vision, une attestation de réussite du cours de conduite et des examens théorique et pratique menant à l’obtention du permis probatoire. c Les points d’inaptitude accumulés sont inscrits aux dossiers des conducteurs pour une période de 24 mois. Une fois la limite atteinte, le nombre de mois de révocation du permis et les amendes associées sont fonction du type de permis, du nombre de sanctions au cours des deux années précédentes et du nombre de points excédentaires accumulés. La procédure pour obtenir un nouveau permis de conduire après sa révocation comprend, entre autres, le succès à un examen théorique. b
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L’efficacité du rôle des parents et des
à réguler leurs comportements à risque par une
nouvelles technologies au cours de la phase du
rétroaction immédiate des comportements et,
permis probatoire dans la réduction du risque
après un certain délai, par une rétroaction des-
des jeunes conducteurs a été peu étudiée, mal-
tinée aux jeunes conducteurs et aux parents
gré un certain potentiel [13,14]. La contribution
(ex. possibilité de visualiser sur un site Internet
des parents peut se manifester :
les comportements des jeunes enregistrés sur
1. En ne donnant pas un accès immédiat au
vidéo). La rétroaction des comportements [17]
permis probatoire pour les mineurs ;
et la supervision des parents [13] sont parmi les
2. en appuyant les mesures de prévention
facteurs permettant d’expliquer l’efficacité de ces
générales (pat ex. le port obligatoire de
technologies dans la réduction des comporte-
la ceinture de sécurité);
ments à risque. Les études suggèrent que les
3. en veillant à ce que les privilèges de
parents et les nouvelles technologies ont un rôle
conduite soient accordés de manière
à jouer dans la réduction des comportements à
graduelle; et
risque des jeunes conducteurs.
4. en accordant un accès graduel à un véhi-
En conclusion, les principales mesures de
cule plutôt qu’un accès illimité, associé à
prévention spécifiques aux jeunes conducteurs
une plus grande exposition au risque et
dont l’efficacité a été démontrée pour réduire les
à une plus grande implication dans les
comportements à risque et les collisions visent à
excès de vitesse [13,14].
limiter l’exposition au risque dans des situations de
Tel que suggéré par les résultats d’es-
conduites dangereuses après l’obtention du per-
sais randomisés récents, le rôle des nouvelles
mis de conduire probatoire. Le rôle des parents en
technologies implantées dans les véhicules est
appui à ces mesures et l’utilisation des nouvelles
aussi prometteur [15,16]. Le but de certaines
technologies est aussi à considérer afin d’aug-
d’entre elles vise à aider les jeunes conducteurs
menter la sécurité des jeunes conducteurs.
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NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE Remerciements et financement Le programme de recherche de Marie Claude
par une subvention d’équipe des Instituts de
Ouimet est appuyé par une bourse de carrière
recherche en santé du Canada.
du Fonds de recherche du Québec – Santé et Références 1. World Health Organization. Global Status Report on Road Safety: Time for Action. 2009. 2. Vodden K, Smith D, Eaton F, Mayhew D. Analysis and Estimation of the Social Cost of Motor Vehicle Collisions in Ontario: Final Report. 2007; N0779. 3. Mayhew DR, Simpson HM, Pak A. Changes in collision rates among novice drivers during the first months of driving. Accid Anal Prev 2003; 35(5): 683-691. 4. McKnight AJ, McKnight AS. Young novice drivers: careless or clueless? Accid Anal Prev 2003; 35(6): 921-925. 5. Ouimet MC, Simons-Morton BG, Zador PL, Lerner ND, Freedman M, Duncan GD, et al. Using the U.S. National Household Travel Survey to estimate the impact of passenger characteristics on young drivers’ relative risk of fatal crash involvement. Accid Anal Prev 2010; 42(2): 689-694. 6. Steinberg L. A social neuroscience perspective on adolescent risk-taking. Dev Rev 2008; 28(1): 78-106. 7. Giedd JN. The teen brain: Insights from neuroimaging. J Adolesc Health 2008; 42: 335-343. 8. Chein J, Albert D, O’Brien L, Uckert K, Steinberg L. Peers increase adolescent risk taking by enhancing activity in the brain’s reward circuitry. Dev Sci 2011; 14(2): 1-10. 9. Fell JC, Todd M, Voas RB. A national evaluation of the nighttime and passenger restriction components of graduated driver licensing. J Saf Res 2011; 42(4): 283-290.
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