Les actes numériques du colloque international e-éducation 14-16 ...

16 mai 2013 - Sébastien MOREAU, université de Tours - France page 51 ... L'huma- nisme numérique est l'affirmation que la technique actuelle, dans sa ...
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e-éducation

s e u q i r numé rences

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Place des apprenants et repositionnement des enseignants à l’ère des réseaux sociaux de formation du mardi 14 au jeudi 16 mai 2013 ESEN - POITIERS

école supérieure de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

UN DOCUMENT multimodal pour... Lire • les articles préparatoires aux interventions des conférenciers, • les synthèses des réflexions conduites pendant les quatre séquences d’ateliers du colloque.

Écouter sur ESEN webradio, • les trois émissions d’«Échafaudages » enregistrées pendant le colloque.

Visionner sur ESEN TV, • les interviews des conférenciers réalisées au cours du colloque sur leurs domaines d’expertise, • les conférences prononcées dans l’amphithéâtre de l’ESEN.

Agir • sur votre terrain professionnel, à partir des propositions émises au cours des ateliers et synthétisées à la fin de ce document.

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Remerciements

L’équipe d’organisation du colloque tient à remercier vivement : • l’ensemble des conférenciers pour la qualité de leurs productions et de leurs prestations, • les animateurs d’ateliers (Stéphane AYMARD, Thierry BLASQUEZ, Anne-Cécile FRANC, Cyril MAUGÉ, Malika MEZIADI, Jacques RODET, Jean-François TAVERNIER, Sylvain VACARESSE et Mickaël VILBENOIT), • les participants ayant accepté d’assurer la prise de notes en vue de la production collaborative, • les différentes équipes de l’ESEN pour la préparation et l’organisation de la manifestation. Remerciements à Jean-Paul MOIRAUD et Sébastien MOREAU pour la qualité de leurs synthèses et pour le temps qu’il y ont consacré. Remerciements particuliers à Christophe JEUNESSE pour nous avoir accompagnés pendant plus d’un an dans l’élaboration de ce colloque.

Les ressources audio et vidéo

En complément des QR Codes présents dans le document, vous trouverez ci-dessous les liens vers l’ensemble des ressources.

« Échafaudages », le magazine radio de l’ESEN dédié à l’ingénierie de la formation des adultes et aux nouvelles modalités de formation... Le lien social à l’ère du web 2.0 - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/webradio/Echafaudages2.mp3 Apprendre et enseigner à l’ère du numérique - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/webradio/Echafaudages3.mp3 Apprendre en réseau et à distance - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/webradio/Echafaudages4.mp3 Pourquoi « Échafaudages » ? Écoutez la première émission... http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/webradio/Echafaudages1.mp3

Les interviews des conférenciers... Milad DOUEIHI - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/e-education/doueihi.mp4 Antonio CASILLI - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/e-education/casilli.mp4 Francis JAURÉGUIBERRY - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/e-education/jaureguiberry.mp4 Bernadette CHARLIER - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/e-education/charlier.mp4 France HENRI - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/e-education/henri.mp4 Terry ANDERSON - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/e-education/anderson.mp4 Jérôme ENEAU - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/e-education/eneau.mp4 Annie JÉZÉGOU - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/jezegou.mp4 Sébastien MOREAU - http://streaming.cndp.fr/vod/esen/fad/moreau.mp4 Retrouvez également les conférences chapitrées de ce colloque sur le site de l’ESEN http://www.esen.education.fr/fr/ressources-par-type/conferences-en-ligne/

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P3

Éditorial Le numérique au service de l’apprentissage

« C’est bien l’approche pédagogique et la conception même de l’acte d’apprendre que bouleverse le numérique. »

Entre le plan « Faire entrer l’école dans l’ère du numérique » proposé par le ministre de l’éducation nationale, et le plan « France Université Numérique » (FUN) lancé par la ministre de l’enseignement supérieur et la recherche,   force est de constater que le numérique occupe désormais une place centrale dans les actions en faveur de l’amélioration de notre système éducatif. Ces deux plans ont en commun la volonté d’inscrire le numérique au cœur des pratiques d’enseignement, d’en faire un outil d’usage aussi fréquent que le tableau noir au service de l’acte pédagogique et de la réussite des élèves comme des étudiants. Cette volonté a des conséquences importantes pour tous les acteurs du système éducatif, et principalement pour les enseignants qui doivent désormais repenser leurs approches pédagogiques. Le numérique maîtrisé et bien pensé permet de développer des pratiques pédagogiques attractives, innovantes et efficaces. Il doit renforcer le plaisir d’apprendre et d’aller à l’école. Il permet également de diversifier les parcours et de s’adapter à des rythmes d’apprentissage différents. Qu’ils soient d’ordre éducatifs, économiques, sociaux ou sociétaux, les enjeux sont évidemment d’envergure. Former des citoyens capables d’agir de façon responsable et autonome dans ces contrées numériques parfois encore inexplorées, favoriser l’employabilité par la maîtrise de compétences transversales, développer la compétitivité et l’attractivité des universités dans un système mondialisé d’accès à la connaissance et aux savoirs, préparer l’économie de demain… sont autant de raisons qui plaident pour une généralisation des usages du numérique dans le système scolaire et universitaire. Généraliser oui mais comment ? Il est désormais acquis que l’entrée techniciste a montré ses limites. Pas moins de 15 plans en faveur du numérique ont été déployés depuis 1970. Certes maté-

P4 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

riels et réseaux doivent être présents, maintenus et évoluer pour permettre les usages ; cette condition première est nécessaire mais pas suffisante. C’est bien l’approche pédagogique et la conception même de l’acte d’apprendre que bouleverse le numérique. À l’heure où la formation en face à face et à distance (formation hybride) entre progressivement dans les plans de formation de certains personnels, où les usages des ENT se généralisent pour les élèves et leurs parents , il y a urgence à penser, voire inventer, des modèles pédagogiques intégrant le numérique en lien avec la réalité de la société actuelle ; mais aussi, certainement, dans l’optique de préparer celle de demain. C’est pourquoi ce colloque vous invite à appréhender la problématique du repositionnement des élèves, des étudiants et des enseignants au travers d’une approche qui place le sujet, l’individu et son environnement, au cœur de la réflexion. Dans cette société « connectée » en permanence, peuplée d’élèves et d’étudiants entretenant un rapport différent au savoir et au temps, l’ESEN souhaite apporter sa contribution à la réflexion sur l’évolution du système éducatif. La formation des cadres des deux ministères intègrera désormais systématiquement des modalités pédagogiques numériques (parcours hybrides scénarisés, espaces collaboratifs, parcours de professionnalisation liant espaces numérique, professionnel et de formation…). L’investissement dans cette nouvelle ingénierie est indispensable pour former les cadres de demain qui devront accompagner ces évolutions. C’est bien par la pratique effective du numérique qu’ils pourront ainsi porter un regard critique sur les usages réels des acteurs de l’école. Ce colloque, réunissant des collègues de tous horizons, veut ainsi poursuivre le travail de sensibilisation et de réflexion engagé depuis plusieurs années dans cette école. Jean-Marie PANAZOL Inspecteur général de l’éducation nationale Directeur de l’ESEN

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Au programme... Enjeux sociétaux à l’ère du numérique L’humanisme numérique Milad DOUEIHI, université de Laval - Québec

Le lien social à l’ère du web 2.0 Antonio CASILLI, Télécom Paris Tech - France Francis JAURÉGUIBERRY, université de Pau - France

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Écoutez Échafaudages n°2 sur ESEN webradio Antonio CASILLI, Milad DOUEIHI et Francis JAURÉGUIBERRY

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Apprendre et enseigner à l’ère du numérique La distance dans le processus de formation Bernadette CHARLIER, université de Fribourg - Suisse France HENRI, télé-université - Québec

Des campus virtuels aux environnements personnels dapprentissage Daniel PERAYA, université de Genève - Suisse France HENRI, télé-université - Québec

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Écoutez Échafaudages n°3 sur ESEN webradio

Bernadette CHARLIER, France HENRI, Sébastien MOREAU et Jean-François TAVERNIER page 36

Apprendre en réseau et à distance Trouver sa place dans le nouvel univers de l’enseignement et des apprentissages en réseau Terry ANDERSON, université d’Athabasca - Canada

La distance transactionnelle : les deux variables de « l’ouverture » et du « dialogue » ... Annie JÉZÉGOU, école des Mines de Nantes - France Jérôme ENEAU, université de Rennes 2 - France

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Écoutez Échafaudages n°4 sur ESEN webradio Jérome ENEAU, Annie JÉZÉGOU et Christophe JEUNESSE

Plateforme pédagogique, les points de vue de quatre acteurs Sébastien MOREAU, université de Tours - France

30 propositions pour agir...

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© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P5

“La machine

fait rêver mais c’est l’homme qui rêve.



À propos de

Milad

Milad Doueihi est l’auteur de plusieurs ouvrages : Une histoire perverse du cœur humain, Le paradis terrestre. Mythes et philosophies. Solitude de l’incomparable. Augustin et Spinoza, La grande conversion numérique, suivie de Rêveries d’un promeneur numérique ([2007] 2011), Pour un humanisme numérique (2011), Qu’est-ce que le numérique (2013), L’Homme et l’Oiseau. La Fauconnerie (Octobre 2013). En 2014 paraîtra Un imaginaire de l’intelligence. En préparation : La rage secrète de l’étranger. Nietzsche.

Visionnez son interview

Milad Doueihi, historien des religions et titulaire de la Chaire de recherches sur les cultures numériques, université de Laval (Québec).

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Milad DOUEIHI

L’humanisme numérique

L’humanisme numérique est le résultat d’une convergence inédite entre notre héritage culturel complexe et une technique devenue un lieu de sociabilité sans précédent. Une convergence qui, au lieu de tout simplement renouer l’antique et l’actuel, redistribue les concepts, les catégories et les objets, tout comme les comportements et les pratiques qui leur sont associés, dans un environnement nouveau. L’humanisme numérique est l’affirmation que la technique actuelle, dans sa dimension globale, est une culture, dans le sens où elle met en place un nouveau contexte, à l’échelle mondiale.



La technique actuelle dans sa dimension globale est une culture.

Une culture car le numérique, et ce malgré une forte composante technique qu’il faut toujours interroger et sans cesse surveiller (car elle est l’agent d’une volonté économique), est en train de devenir une civilisation qui se distingue par la manière dont elle modifie nos regards sur les objets, les relations et les valeurs, et qui se caractérise par les nouvelles perspectives qu’elle introduit dans le champ de l’activité humaine. Le numérique est un mot qui est passé rapidement dans notre vocabulaire. Mais que désigne-t-il proprement ? Comment comprendre et définir cet objet, ce phénomène qui semble destiné à transformer notre quotidien et à re-configurer notre réalité ?

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P7

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Les dictionnaires restent un peu perplexes devant le numérique et dans leurs définitions, ils ne désignent souvent que l’aspect étymologique et technique, un secteur associé au calcul, au nombre et surtout aux dispositifs opposés à l’analogique. Mais dans notre usage, le numérique recouvre bien autre chose. Si je me pose la question, c’est qu’il me semble qu’elle soulève une difficulté particulière et, à mon avis, inédite, et qui est inhérente au numérique dans son déploiement actuel, mais une difficulté éclairante car elle est capable de nous permettre de mieux cerner cette complexité. Une difficulté à la fois épistémologique, institutionnelle et sociale, voire économique et politique. Si toutes les disciplines académiques traditionnelles sont touchées par le numérique et sont contraintes de repenser leurs méthodes et surtout leurs valeurs, ce n’est qu’un symptôme de la mutation globale portée par le numérique et qui est en effet l’objet premier de nos travaux.

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exemplaire de cette propriété du numérique à doubler, en tout cas dans un premier temps, tout ce qu’il convertit). Une telle conversion est continue et, par le fait de la socialisation des pratiques numériques, elle émane en grande partie du statut complexe du code informatique dans l’état actuel de notre civilisation. Le code, agent et vecteur de cette nouvelle civilisation, on l’a bien dit, constitue une rupture avec certaines de nos pratiques lettrées ; il fragilise radicalement nos traditions juridiques, nos modèles économiques et notre rapport avec l’écriture et tout ce qu’elle a autorisé et rendu possible. L’humanisme numérique est, dans ce contexte, l’effort de penser la transformation culturelle du calcul et de l’informatique en général en ce que l’on a choisi de désigner en français par le nom de « numérique ».

“La notion d’humanisme

numérique [...] est capable de nous permettre de mieux apprécier la transformation culturelle induite par le numérique.

1 Je me permets de renvoyer ici à mon ouvrage Pour un humanisme numérique (Seuil, 2011).

P8 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013



Il va de soi qu’on n’a point l’intention de proposer une quelconque définition programmatique du numérique. Par contre, la notion d’humanisme numérique1, en partie à cause de sa fluidité et de sa spécificité historique, son ancrage dans la longue durée, est capable de nous permettre de mieux apprécier la transformation culturelle induite par le numérique, surtout dans un contexte dans lequel il est de plus en plus difficile de trouver un point de repère grâce auquel un regard à la fois prospectif et vigilant bénéficiera d’un contexte privilégié. En fait, cette difficulté est constitutive de la culture numérique. Elle reflète le fait que le numérique, de par sa nature même, opère des ruptures dans une continuité apparente, portant sur des valeurs, des objets et des pratiques culturelles, à la fois nous offrant ce qui semble de simples reprises ou de modestes modifications ou transpositions de formes ou de formats (le cas du livre imprimé est ici

C’est dire qu’il se démarque nettement des ambitions d’une « science » du Net (comme la Web Science voulue par Tim Berners-Lee) ou d’une science de la culture (comme celle formulée jadis par les néo-kantiens et leurs héritiers et aujourd’hui par certains tenants d’une sémantique généralisée et largement confortée par le formalisme inhérent à l’informatique actuelle) dont le projet consisterait à formaliser et à saisir, par le calcul informatique et ses abstractions, les gestes et les vécus culturels de nos sociétés. Car l’informatique a cette propriété d’encourager (pour ne pas dire de forcer) le passage et l’expression de toute activité en ses propres termes. Une tendance qui accompagne et éclaircit son histoire. C’est l’une des raisons pour lesquelles il faut revisiter et relire les textes fondateurs de l’informatique afin d’en dégager leurs spécificités et surtout de montrer leurs valorisations culturelles au-delà des usages qui en ont été faits par les sciences dites dures. Si l’on cherche un regard philosophique sur cet humanisme, il nous faut relire, dans le contexte actuel,

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le texte de Husserl prononcé en 1935 sous le titre (français) de « La crise de l’humanité européenne et la philosophie ». L’argument de la « Krisis » s’articule sur une problématique de trois humanismes : un humanisme fondateur, abstrait et théorique, et issu du savoir et de la philosophie grecs ; un humanisme abstrait et théorique développé à partir de la Renaissance et de ses savoir-faire ; et finalement, un humanisme européen (mais il faut entendre ici occidental), celui de la crise de la première moitié du XXe siècle, une sorte de positivisme généralisé. Mais Husserl, à sa manière, pose le problème fondamental qui est le nôtre aujourd’hui avec la culture numérique et ses ambitions universelles : les trois humanismes de Husserl2 identifient la crise comme le clivage de plus en plus prononcé entre les 2 Pour une traduction française du texte en question, traduit par Nathalie Depraz sous le titre La crise de l’humanité européenne et la philosophie, voir http://www.ac-grenoble.fr/ PhiloSophie/file/husserl_depraz.pdf

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sciences dites exactes et les sciences de l’esprit. En d’autres mots, l’écart entre des paradigmes d’exactitude et de mesurabilité et leurs formes de rationalité, et des valorisations d’ordre culturel. Les analyses de Husserl mettent en question l’universalité de la rationalité scientifique et technique, et nous ajouterons, de nos jours, informatique, en rappelant le rôle fondateur de la communauté dans la production et le partage du savoir. Ce qui explique sa conclusion, renvoyant à la Paideia grecque, dans son sens le plus simple mais le plus éloquent et pour nous le plus pertinent : une transmission du savoir qui élimine, théoriquement, le non-savoir. Une pédagogie qui est une responsabilité collective, inscrite dans la structure même de la polis. Une pédagogie nous invitant à revisiter les liens entre sciences et cultures et à considérer ce que j’ai choisi de nommer humanisme numérique.  

Milad DOUEIHI lors de sa conférence. Retrouvez cette conférence sur le site de l’ESEN http://www.esen.education.fr/fr/ressources-par-type/conferences-en-ligne/

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P9



Si nous nous devons de garder une distance critique visà-vis des utopies du numérique, ce serait toutefois erroné de ne pas reconnaître les attentes et les aspirations sociales qu’elles traduisent.



À propos d’

Antonio

Antonio Casilli, sociologue, maître de conférences en digital humanities à Telecom ParisTech et chercheur au centre Edgar Morin (EHESS). Ses recherches portent principalement sur les cultures technologiques, le corps et la dimension politique des usages du Web.

Chroniqueur sur France Culture, il anime le blog de recherche Bodyspacesociety.eu et la veille Twitter @bodyspacesoc.

Visionnez son interview

Il est l’auteur de : Les Liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (Ed. du Seuil, 2010), Stop Mobbing (DeriveApprodi, 2001), La Fabbrica libertina (Manifesto Libri, 2000).

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Antonio CASILLI

Le lien social à l’ère du web 2.0

La question de savoir s’il existe une nouvelle sociabilité entièrement façonnée par les usages numériques des dernières décennies risque de se heurter à une réponse négative. C’est plutôt en faisant venir à la surface nos valeurs et nos attentes que le numérique outille notre vie commune. Les communications en réseaux, surtout quand elles se laissent affubler du qualificatif « social », reconfigurent certains équilibres – entre personnel et collectif, entre isolement et inclusion, entre liens forts et liens faibles. Ce faisant, elles semblent apporter à leurs usagers une meilleure emprise sur leur vie en société. Pour autant, cet espoir achoppe sur une réalité complexe, dans laquelle les comportements pro-sociaux sont encore difficiles à reconnaître, et une prolifération de nouveaux codes de comportement, de nouvelles pratiques, de nouvelles modalités d’interaction mettent en cause nos cadres d’interprétation classiques.



Les communications en réseaux reconfigurent certains équilibres entre liens forts et liens faibles.

Nous devons partir d’un constat simple, à savoir que les technologies numériques se sont installées dans notre quotidien et dans notre intimité à l’issue d’un processus historique et technologique de miniaturisation des dispositifs de traitement et de transmission de l’information.

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P11

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Notre imaginaire technologique et notre langage en témoignent. À partir de la seconde moitié du XXe siècle, nous sommes passés des grands serveurs (big irons) et des « méga-cerveaux électroniques » des années 1950, aux mini- et micro-ordinateurs des décennies successives, pour en venir aux dispositifs mobiles et portables d’aujourd’hui. Ces derniers collent aux corps des usagers, vibrent sous leurs mains, engagent leurs gestes, les obligent à une vigilance portée autant sur leur présence (« mon smartphone est-il encore là où je l’avais laissé ? ») que sur leur fonctionnement (« un tweet vient d’arriver : doisje répondre tout de suite ou bien puis-je attendre ? »). Si le dispositif arrive à pénétrer l’intimité des usagers, c’est parce que la reterritorialisation des usages informatiques a emboîté le pas de cette miniaturisation. Les grands calculateurs du deuxième après-guerre étaient installés dans des bases militaires, dans des usines, mais ils ont vite intégré les bureaux et les foyers des particuliers. Une fois ce seuil franchi, la sphère domestique s’est adaptée pour accueillir les machines à communiquer. Les salons, les cuisines et les chambres hébergent une pléthore d’écrans, de consoles, de claviers. De là à l’installation dans les sacs et enfin dans les poches des usagers, il n’y a qu’un pas. C’est à ce moment-là que les usages informatiques interrogent notre notion de corporéité.

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est, il endosse l’information – soit au sens propre d’être revêtu de ses dispositifs, soit au sens figuré de prendre sur soi le sens social et personnel de cette dernière. Parce que l’intimité des individus contemporains est traversée par les usages informatiques, les frontières entre l’espace public et l’espace privé se brouillent véritablement. Ce phénomène, qui semble être caractéristique de la modernité au sens large, impose dans le contexte des usages des TIC, une renégociation constante des bornes entre personnel et collectif. Notre condition actuelle peut être définie comme une coexistence assistée par ordinateur, dans la mesure où le vivre ensemble est médiatisé, reconfiguré par ces dispositifs de communication et d’information. L’opportunité d’être connectés bascule dans l’exigence, voire dans l’injonction, de « rester en contact avec les personnes qui comptent dans notre vie » - pour reprendre le slogan qui trône sur la page d’accueil d’un célèbre média social.

“Nous devons partir d’un

constat simple, à savoir que les technologies numériques se sont installées dans notre quotidien et dans notre intimité.

Mais quel est donc le lieu même de notre communication ?



Les interactions un-à-un sont de moins en moins le trait distinctif de la sphère privée, tandis que le public n’est plus l’espace consacré aux interactions un-àplusieurs. Le fait est que les échanges médiatisés par TIC, avec nos proches ou avec d’autres personnes faisant partie de notre cercle de connaissances, ne se réalisent plus exclusivement dans des espaces privés. Depuis les transports en commun, depuis leurs bureaux, depuis les établissements publics, Si nous avons longtemps cru au mythe de l’« adieu les usagers partagent des contenus avec leurs parau corps » dans le monde en réseaux, nous devons tenaires, les membres de leur famille. De même, aujourd’hui admettre que les TIC ne nous ont pas as- leurs prises de paroles publiques ne se font pas pirés dans un « cyberespace » désincarné d’informa- exclusivement dans les espaces officiels. Moyention pure. Le monde de la communication humaine est nant un smartphone, chacun peut aisément signer avant tout notre univers tangible, doublé d’une infras- une pétition électronique sans sortir de son lit. Les tructure qui transporte, traite et sauvegarde nos don- caractéristiques de la sphère privée sont désormais nées. Historiquement, le corps n’a pas été mis entre transposées dans la sphère publique – et vice versa. parenthèses depuis l’arrivée des ordinateurs : il est la précondition même de l’échange numérisé. Qui plus Ceci nous impose de négocier constamment un « esP12 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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pace propre » dans nos échanges en ligne, de définir au cas par cas (avec l’aide des autres ou, parfois, en se heurtant à leur malice) ce qui est privé et ce qui ne l’est pas. Et l’exposition publique, avec la circonspection et le caractère officiel qui y sont liés, gouverne aussi nos conduites en ligne les plus intimes. D’un point de vue historique, nous assistons à une double rupture : la sphère privée a été reconfigurée par la miniaturisation des TIC, tandis que la sphère publique a été bouleversée par leur socialisation. Des outils, initialement conçus pour équiper le travail, sont devenus des technologies de la relation humaine, voire de la chaleur humaine, qui permettent et même parfois imposent de mobiliser notre affectivité, nos habiletés relationnelles, notre capacité de créer du lien social – pour « optimiser » notre existence en société.

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une manière de faire société, mais la meilleure des manières possibles. Si nous nous devons de garder une distance et une vigilance critique vis-à-vis de ces utopies, ce serait toutefois injuste et erroné de ne pas faire l’effort de reconnaître les attentes et les aspirations sociales qu’elles traduisent. En effet, elles interpellent nos priorités politiques, et indiquent des directions pour l’activité publique. En ce sens, les expériences d’« action connective » peuvent être reconnues comme des vecteurs de valeurs de liberté et d’inclusion portées par la société civile.

Voilà la promesse sous-jacente aux usages sociaux du Web et de ses technologies sœurs. La promesse de faire coexister nos vies professionnelles et nos exigences personnelles. La promesse de pouvoir activer à merci nos « liens faibles » sans pour autant nous faire étouffer par nos « liens forts ». La promesse de retrouver la liberté et l’abondance des sociétés issues de la modernité industrielle, sans renoncer aux formes de solidarité et de loyauté propres aux groupes traditionnels. La promesse que le conflit et la solitude qui sont le propre de l’existence humaine ne prennent plus le pas sur la coopération harmonieuse et la communication. En se mettant en résonance avec nos émotions, nos plaisirs et nos dégoûts, l’expérience numérique – trop longtemps associée à des notions de déperdition de réalité, d’illusion, d’aliénation – finit par se faire porteuse de l’engagement à réaliser notre vie en société. Et cela non seulement sur le plan personnel, mais aussi sur le plan collectif, en prospectant la possibilité de faire (re)vivre certaines aspirations politiques que l’on croyait dépassées : la communauté « pure », la participation « ouverte » à la vie politique, la transparence du fonctionnement étatique, la fin des totalitarismes de toute obédience. Certes, les utopies politiques qui se sont fédérées, au cours des trente dernières années, autour des usages restent inévitablement de l’ordre de la projectualité. Et l’on peut légitimement se méfier d’un certain technodéterminisme qui ferait du numérique non seulement

Conférence d’Antonio Casilli et de Francis JAURÉGUIBERRY retransmise en direct durant le colloque sur le site de l’ESEN Retrouvez cette conférence sur le site de l’ESEN http://www.esen.education.fr/fr/ressources-par-type/conferencesen-ligne/

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P13

“L’innovation

technologique a été plus vite que le social, le droit ou l’éducation.



À propos de

Francis

Sur ce thème, il a notamment publié : Les branchés du portable. Sociologie des usages, Paris, PUF, et (avec Serge Proulx) : Usages et enjeux des technologies de communication, Toulouse, Érès, ainsi que : Internet, nouvel espace citoyen ? Paris, l’Harmattan.

Visionnez son interview

Francis Jauréguiberry est sociologue, professeur à l’université de Pau et directeur du laboratoire SET (Société Environnement Territoire) au CNRS. Ses recherches portent sur les nouvelles formes d’identité et de sociabilité générées par l’extension des technologies de l’information et de la communication.

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Francis JAURÉGUIBERRY Le lien social à l’ère du web 2.0

Pour au moins une génération et en matière d’usages des technologies de communication, la chaîne du savoir semble s’être inversée : les adolescents en savent souvent plus que leurs parents, éducateurs ou enseignants. De la même façon que les règles de politesse ne sont pas encore fixées quant à l’usage des portables dans les lieux publics et que chacun agit avant tout selon ses intérêts (ne pas rater un appel), les adolescents expérimentent Internet la plupart du temps sans repères en y cherchant ce qui leur paraît le plus agréable et immédiat. L’innovation technologique a été plus vite que le social, le droit ou l’éducation. La première chose à faire est donc de reconnaître cet état de fait. Il y a beaucoup d’inconnu et d’incertitude en la matière : des champs inédits de possibles s’ouvrent sans qu’ils ne soient en rien balisés, le meilleur comme le pire pouvant y advenir. Il faut en prendre conscience et en discuter.



Les technologies de communication conduisent spontanément vers l’immédiateté, l’ubiquité et l’évasion entre liens forts et liens faibles.

Il faut ensuite se poser la question : à quels arts de faire et de vivre avec ces technologies formons-nous les adolescents et comment procéder ? Les technologies de communication conduisent spontanément vers l’immédiateté, l’ubiquité et l’évasion : seront donc abordés les thèmes du temps, des lieux et de l’identité.

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P15

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Temps

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Lieux

On sait que l’adolescence est le temps du présent, d’une forme de refus du passé (en ce qu’il est synonyme de détermination et de non-choix : découverte de soi comme produit de la socialisation), mais aussi du futur (trop souvent synonyme de doute et de crainte, surtout dans le monde instable qui est le nôtre). Les adolescents s’accommodent donc particulièrement bien de ces technologies du présent et de l’immédiat. Mais il relève de la responsabilité des éducateurs de leur parler d’une autre forme d’être au temps. Un temps qui réintroduit l’épaisseur de la maturation, de la réflexion et de la méditation là où le heurt de l’immédiat et de l’urgence oblige à réagir trop souvent sous le mode de l’impulsion.

De plus en plus souvent, l’ailleurs médiatique fait irruption dans l’ici physique par la voix, l’écoute et la vue. Comme le développement de ces technologies a été extrêmement rapide, nous ne sommes pas dans des cultures qui nous habituent à vivre cette double appartenance. C’est sur la gestion de cette « double présence », où l’une peut pâtir de l’autre, qu’il s’agit de travailler avec les adolescents en ayant en tête la question : existe-t-il des lieux où la présence doit être totale, où l’attention ne saurait être distraite par un appel intempestif et où donc, finalement, les portables doivent être éteints ? Quel est le critère pour interdire les portables ? La salle de classe est-elle un de ces lieux ? Les bibliothèques le sont-elles ?

Ce temps est celui du passé, du souvenir et du retour sur soi. C’est aussi le temps de l’anticipation, de la crainte ou de l’espoir. Ce temps se donne à vivre dans l’arrêt, l’attente, le différé et la mise à distance. Face à l’entrée massive de nos sociétés dans une culture de l’immédiat, de l’impulsion et de l’urgence généralisée, il y a des moments qui résistent à l’accélération, des durées qui ne sauraient être brusquées, et des instants qui échappent à la logique du gain et de la vitesse.

L’actuel débat dans certaines universités américaines (doit-on interdire le WiFi dans les salles de cours et les amphis ?) montre bien la difficulté à établir des règles en la matière. La question de savoir pourquoi certains lieux ne sauraient être « troués » par des appels téléphoniques ou pourquoi certaines situations nécessitent une pleine présence doit être débattue. Dans un monde où l’espace physique est de plus en plus hybride (réalité augmentée), peut-on encore être pleinement quelque part ?

“Il n’est évidemment pas ques-

tion d’avoir un discours de censure à l’égard des technologies de communication, mais de créer un ensemble de débats sur leur appropriation raisonnée et responsable.

P16 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013



Ces moments, ces durées et ces instants sont indispensables à la formation de soi comme sujet, c’està-dire comme acteur capable de construire sa vie de façon autonome. La question est donc : comment apprend-on aux adolescents à vivre cette distance réflexive et, application concrète, à mettre leurs portables sur off ? Pas continuellement, bien sûr, mais au moins de temps en temps...

Identité Une foule d’emprunts identitaires est désormais possible sur Internet. L’adolescent peut s’essayer à différentes formes de soi qu’il teste avec l’intention d’expérimenter « l’effet que ça fait ». Contrairement à ce qui se passe off line, le milieu d’appartenance de l’adolescent n’est pas là pour le dissuader, le li-

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miter ou le censurer dans l’essai de nouveaux soi : l’adolescent peut expérimenter autant de nouvelles identités qu’il veut, sans grand risque de sanction de la part de son entourage. Lorsque l’on cherche à savoir quels sont, concrètement, les soi fictifs expérimentés, on s’aperçoit qu’il s’agit la plupart du temps de soi focalisant la réalisation de fantasmes, de pulsions et des désirs contrariés. Tant que la distinction entre soi fictifs et soi réels est bien opérée par l’adolescent, il n’y a aucune raison de s’inquiéter. On peut même penser qu’il s’agit là pour lui d’une façon d’échapper aux images de lui-même que son milieu lui impose et révèle, sans doute maladroitement, son désir d’exister « autrement ». Non pas pour s’y perdre et pour fuir la réalité, mais pour mieux y tester son autonomie, ses capacités créatrices et son aspiration à la liberté.

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délices de la reconnaissance de ses fantasmes et attentes par le réseau, l’adolescent court le risque de s’enfermer dans une pratique compulsive d’Internet. D’où la nécessité, mais aussi difficulté, de définir des critères et des seuils d’alerte. Il n’est évidemment pas question d’avoir un discours de censure à l’égard des technologies de communication, mais de créer un ensemble de débats sur leur appropriation raisonnée et responsable. Débats au cours desquels il semble important de rappeler que la création et les projets nécessitent du temps, que la réflexion et la méditation imposent du silence, qu’il est des lieux inaccessibles si l’on n’y contient pas tout entier, et qu’il est des choses et des êtres que l’on risque de ne pas connaître et apprécier parce que l’on aura zappé trop vite sur eux.

Mais, à l’inverse, un danger existe aussi : celui de son enfermement et de sa dissolution progressive dans sa réalité virtuelle. Goûtant sans retenue les

Francis JAURÉGUIBERRY lors de sa conférence. Retrouvez cette conférence sur le site de l’ESEN http://www.esen.education.fr/fr/ressources-partype/conferences-en-ligne/

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ESEN webradio Échafaudages Échafaudages, le magazine radio de l’ESEN dédié à l’ingénierie de la formation des adultes et aux nouvelles modalités de formation questionne :

Écoutez l’émission en mp3

Le lien social à l’ère du web 2.0 Olivier DULAC reçoit : Antonio CASILLI, Milad DOUEIHI, et Francis JAURÉGUIBERRY Réalisation technique : Yannick BERNARD et Cécile PIRES

“Les changements de posture et de

pratique exigés de l’enseignant sont des processus lents qui doivent prendre en compte et valoriser ses pratiques actuelles.



À propos de

Bernadette

Les recherches menées le sont dans une intention de réponse à des besoins portés par des groupes d’acteurs avec lesquels je collabore. Elles sont réalisées à un niveau international.

Visionnez son interview

Dans le cadre du centre Did@cTIC de l’université de Fribourg (Suisse), mes recherches portent sur l’apprentissage et le changement. Ces processus sont étudiés particulièrement chez les enseignants et chez les adultes impliqués dans des dispositifs de formation à distance, hybrides ou des environnements personnels d’apprentissage.

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Bernadette CHARLIER La distance dans le processus de formation

Nouveau paradigme d’apprentissage et transformation de l’activité de l’enseignant

L’introduction de la distance dans le processus de formation exige de l’enseignant un changement radical de posture associé plus largement à un changement au niveau de sa pratique d’enseignement. Changer sa posture signifie déplacer ce sur quoi il porte l’attention dans son activité d’enseignement, modifier ce qui est important pour lui, ce qu’il a l’intention de faire (Lameul, 2006). La pratique englobe la posture. Un changement à ce niveau s’observera dans ses comportements et ses routines, dans et en dehors de son interaction avec ses étudiants. Face à cette exigence de transformation, quelle formation ou quel accompagnement offrir aux enseignants ? Ces questions, si elles sont pertinentes, sont peut-être mal posées. En effet, parler d’accompagnement ou de formation peut laisser entendre que l’enseignant n’est pas compétent et qu’il doit être « accompagné» ou « formé ».



Il ne s’agit pas de « changer pour changer » mais de changer de posture et de pratique pour répondre à un besoin reconnu.

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Face à ce processus, quel(s) dispositif(s) de forAinsi, cette approche peut renvoyer à une vision mation ou d’accompagnement proposer ? de la formation comme devant combler un déficit. Surtout si l’approche est individualiste, considérant la formation de l’enseignant comme une res- En premier lieu, il faut préciser les voies d’actions posponsabilité et un bien individuels et ignorant tout le sibles. Souvent, la réponse offerte par les institutions a déterminisme et la responsabilité institutionnels. été l’offre de formations courtes sous forme d’ateliers de prise en main des nouveaux outils technologiques Or, une approche alternative existe. Une ap- considérés comme des outils « complémentaires », proche plus cohérente avec les valeurs véhicu- occultant de la sorte la nécessité de tout changement lées par une vision de la e-éducation, considé- de posture. Selon nous, tout dispositif d’accompagnerant les étudiants comme des acteurs de leurs ment devrait prendre en compte la complexité des apprentissages et les enseignants comme des déterminants de l’innovation et adopter une approche acteurs de leur développement professionnel. systémique (Charlier, Daele, & Deschryver, 2002) intégrant notamment des actions aux niveaux des Pour soutenir une telle démarche autodirigée, il s’agi- institutions, de l’infrastructure et des programmes. rait d’abord de décrire et de comprendre les processus Dans l’enseignede transformament supérieur, tion de l’intérieur. une telle approche systémique n’a Comment et malheureusement dans quelles pas été réalisée conditions un partout, se limitant enseignant ainsi à un inveschange-t-il de tissement et à posture ? un accompagnement uniquement Même si diffétechnologiques. rents cadres théoriques ont Mais, plus concrèété convoqués, tement, que pourplusieurs rerait-on faire ? cherches ont rappelé l’importance et les exigences associées au processus bien connu d’assimilation-accommodation. Par En premier lieu, il nous semble important de connaître exemple, l’enseignant intègre d’abord des usages des et, pourquoi pas, de valoriser les pratiques exisTIC dans ses pratiques traditionnelles sans les modifier tantes. Peu de recherches décrivent en détail les et enrichit ces usages progressivement (assimilation). pratiques réelles, les confondant souvent avec des pratiques prescrites ou souhaitées. Il serait alors Ainsi, il continue à proposer les mêmes tâches et possible de faire connaître la diversité des pratiques. les mêmes évaluations. Il transformera éventuellement sa pratique (accommodation) suite à un désé- L’enseignant pourrait alors, en prenant conscience quilibre entre sa planification (ce qu’il a l’intention de la diversité de ces pratiques, changer de posde faire) et ce qui se passe (la réaction des étu- ture « avec et contre » une posture ancienne. diants, par exemple) ou au ressenti d’un besoin. Les leviers de changement émergent de besoins Ce besoin peut être suscité par la technolo- éducatifs portés par un enseignant, ou mieux, gie elle-même ou par les interactions avec les par une collectivité, une institution. Il ne s’agit étudiants et avec les collègues. Souvent, ce pas de « changer pour changer » mais de chanprocessus prend du temps et peut caractéri- ger de posture et de pratique pour répondre à un ser les étapes d’une carrière (Huberman, 1989). besoin reconnu : améliorer la qualité d’un cours,

“Un changement de posture

tel qu’il est souhaité [pour les enseignants] doit être soutenu par l’institution.



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réduire les échecs, augmenter l’accessibilité de la formation pour une population donnée, etc. C’est à ce niveau que la formation et l’accompagnement peuvent être pertinents tout en reconnaissant les besoins, les pratiques et les compétences des enseignants. Ces démarches, pour être efficientes, pourraient exploiter plusieurs processus qui sont au cœur du développement professionnel des enseignants : la réflexion, l’échange et le partage de pratiques, ainsi que l’expérimentation dans l’action. Enfin, un élément essentiel doit être rappelé : un changement de posture tel qu’il est souhaité doit être soutenu par l’institution. Si l’enseignant est acteur de son développement professionnel, l’institution doit être également actrice de ce développement pour reconnaître les activités mises en place et favoriser leur partage en son sein. Les recherches en sciences de l’éducation peuvent également aider les acteurs à comprendre la complexité des dispositifs d’enseignement et de formation et à les piloter.

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Références Charlier, B., Daele, A. et Deschryver, N. (2002). Introduire les TICE dans une pratique d’enseignement, une question de formation ?, Revue des Sciences de l’Education, Sherbrooke, Canada. Huberman, M. (1989). La vie des enseignants : évolution et bilan d’une profession. Lausanne : Delachaux et Niestlé. Lameul, G. (2006). Former des enseignants à distance ? Étude des effets de la médiatisation de la relation pédagogique sur la construction des postures professionnelles (Thèse de doctorat). Université Paris Ouest La Défense, Paris.

Bernadette CHARLIER (premier plan) et France HENRI lors de leur conférence à deux voix. Retrouvez cette conférence sur le site de l’ESEN http://www.esen.education.fr/fr/ressources-par-type/conferences-en-ligne/

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L’enseignant amené à exercer son métier à distance ne se demande plus « que vais-je enseigner? » mais plutôt « qu’ont-ils besoin d’apprendre? » et « comment vont-ils apprendre? »



À propos de

France

Je m’intéresse également aux nouvelles pratiques de recherche et à la formation de la relève scientifique. Dans mon enseignement comme dans mes recherches, ma principale préoccupation est de proposer des environnements d’apprentissage qui invitent les apprenants à vivre une expérience authentique de partage et de collaboration.

Visionnez son interview

Mes recherches portent sur l’apprentissage et le travail collaboratif à distance, la conception d’environnements d’apprentissage, les communautés de pratique et les forums de discussion.

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France HENRI

La distance dans le processus de formation Nouveau paradigme d’apprentissage et transformation de l’activité de l’enseignant

Afin de mettre en perspective les approches actuelles de la formation à distance, il importe de connaître l’évolution et les grandes motivations qui ont impulsé les mutations qu’elle a connues. Dans ce qui suit, on notera que les transformations qui ont marqué l’histoire de la formation à distance se sont produites à la suite de l’apparition de nouveaux vecteurs de l’enseignement. C’est en 1840, l’année même de la mise en usage du timbreposte, qu’Isaac Pitman lance sur une base commerciale les premiers cours d’enseignement par correspondance. Rapidement, la formule donne lieu dans les pays industrialisés à la création d’instituts d’enseignement par correspondance qui vendent des services répondant à une demande de formation. Dès 1856, la formule se voit reconnue légalement alors que l’Université de Londres accepte à ses examens des étudiants ayant étudié ailleurs. Cette décision officialisait la séparation de la préparation à un examen, de la collation des grades (Dieuzeide, 1985).



La formation à distance peut être décrite comme une approche qui fait vivre à l’apprenant une nouvelle expérience d’apprentissage.

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Au début du XXe siècle, l’enseignement par correspondance à des fins d’enseignement public voit le jour aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande pour donner accès à l’éducation aux jeunes enfants de familles éloignées.

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comme une approche qui fait vivre à l’apprenant une nouvelle expérience d’apprentissage et qui inspire un nouveau rapport au savoir.

Avec la médiatisation des enseignements et l’absence physique de l’enseignant, une nouvelle relaDans les années 60, de grands changements s’opèrent. tion pédagogique se met en place. L’enseignant ne La généralisation des médias de masse rend l’infor- détient plus le statut d’acteur principal du processus mation disponible à grande échelle et suscite la d’apprentissage. L’initiative passe aux mains de l’apfloraison de nouvelles formules médiatiques pour prenant qui se voit attribuer une place centrale. Pour véhiculer des enseignements à de grands nombres. apprendre, il est invité à accéder aux différentes resDestinée aux adultes surtout, la formation à distance sources mises à disposition, à réaliser des activités est mise au service des États pour soutenir les valeurs individuelles et collectives, à interagir avec des pairs démocratiques des sociétés modernes qui reven- et avec un tuteur-accompagnateur selon un scédiquent l’égalité des chances et l’éducation pour tous. nario soigneusement orchestré par un concepteur.

“L’initiative passe

aux mains de l’apprenant qui se voit attribuer une place centrale.



Dans ce contexte, l’intérêt pour la formation à distance était d’abord économique. La structure des coûts ne reposait plus sur le principe d’un enseignant pour un nombre donné d’apprenants, mais sur la production de méthodes et de matériels indépendants du nombre d’apprenants. Des économies d’échelle pouvaient ainsi être réalisées et offrir la possibilité de former des masses à moindre coût.

Grâce à l’intégration d’activités basées sur les réseaux, les technologies d’internet et le Web, l’apprentissage à distance peut être envisagé comme un processus de construction de connaissances socialement inscrit, actif, participatif et collectif.

En outre, la flexibilité qu’apporte la médiatisaC’est sur cette base que, tion des enseignements dans les années 70, on permet de répondre assiste à la création des grandes universités à dis- au besoin d’individualisation, une priorité pour plutance autonomes à l’initiative des gouvernements sieurs universités à distance, c’est-à-dire rejoindre dans de nombreux pays (Grande-Bretagne, États- l’apprenant où il est, au moment qui lui convient en Unis, Canada, Espagne, Israël, Pakistan, Iran, Ve- lui proposant une démarche souple et adaptable. nezuela, Brésil, etc.). Si, d’un point de vue politique, la formation à distance a été envisagée d’abord Dans ce contexte, l’enseignant ne se demande plus comme une modalité de formation moins onéreuse « que vais-je enseigner ? » mais plutôt « qu’ont-ils répondant à l’objectif de l’éducation pour tous, besoin d’apprendre ? » et « comment vont-ils aples praticiens ont très vite réalisé les potentiali- prendre ? ». Pour l’enseignant amené à exercer son tés pédagogiques de ce nouveau modèle éducatif. métier « à distance », le défi doit être bien évalué. Il s’agira pour lui de repenser sa pratique et d’apprendre Moins hiérarchique, moins livresque et moins à s’acquitter différemment de ses responsabilités. transmissif, il repose sur l’autonomie de l’apprenant, le développement de sa capacité à ap- Il aura à s’initier à l’ingénierie pédagogique pour prendre et l’accompagnement des apprentissages. concevoir des scénarios pédagogiques centrés sur La formation à distance peut être décrite l’apprenant. Dans une nouvelle organisation du travail, P26 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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il aura à collaborer avec différents corps professionnels pour la médiatisation des environnements d’apprentissage et leur mise en exécution. La démarche dans laquelle l’enseignant s’engagera exige de rompre avec ses pratiques présentielles afin de permettre aux nouvelles pratiques d’émerger. Référence Dieuzeide, H. (1985). Les enjeux politiques. Dans F. Henri et A. Kaye (dir.), Le savoir à domicile. Pédagogie et problématique de la formation à distance. Québec, Presses de l’université du Québec et Télé-université, p. 29-59.  

France HENRI, Bernadette CHARLIER et Stéphane AYMARD. Lancement de la conférence à deux voix sur la distance dans le processus de formation Retrouvez cette conférence sur le site de l’ESEN http://www.esen.education.fr/fr/ressources-par-type/conferences-en-ligne/

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P27



Les dispositifs de formation entièrement ou partiellement à distance offrent un terrain privilégié pour le développement d’un cadre théorique dans le domaine de la communication et de la formation médiatisée.



À propos de

Daniel

Docteur en communication, Daniel Peraya est professeur ordinaire à TECFA, l’unité des technologies éducatives de la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’université de Genève (Suisse). Il y enseigne depuis 1986 après avoir dirigé le centre audiovisuel pédagogique de l’école normale supérieure de l’université de Dakar (Sénégal) de 1975 à 1985. Ses recherches et ses enseignements portent sur la communication éducative médiatisée, plus particulièrement dans le cadre des systèmes de formation entièrement ou partiellement à distance aux niveaux supérieur et universitaire. Il a coordonné la participation de TECFA à de nombreux projets européens dans le domaine de la formation à distance. Suite de la présentation de Daniel en fin d’article

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Daniel PERAYA Des campus virtuels aux environnements personnels d’apprentissage L’évolution des usages d’étudiants en ingénierie multimédia

L’observation depuis près de vingt ans (le premier serveur Web éducatif date de 1994) des environnements technopédagogiques au sein des universités montre une évolution rapide des technologies mais aussi de leur potentiel d’usage. Le Web de la première génération était un Web statique destiné à « servir » des fichiers : il s’est inscrit dans la tradition de la diffusion massive de ressources et de documents pédagogiques. Avec MySql, PHP et les langages de script, le Web est devenu dynamique, les pages pouvant être modifiées et l’information traitée en temps réel : les premiers campus virtuels se sont alors développés comme des environnements fermés intégrant dans une interface unique l’ensemble des fonctions indispensables à la mise en œuvre d’une formation. Les plateformes et les environnements technopédagogiques se sont multipliés tandis que fleurissaient des discours prescrivant leurs usages et vantant leurs avantages : économie cognitive pour l’apprenant disposant enfin d’une interface unique intégrant tous les outils nécessaires, possibilité de scénariser les activités des apprenants y compris



Les nouveaux environnements que se construisent les étudiants sont le produit de leur usage individuel ainsi que de leur expérience.

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P29

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celles menées à distance, opportunité pour l’enseignant de suivre au plus près l’activité de l’apprenant grâce au recueil automatique de traces, etc. Le contrôle de l’apprenant par l’institution semblait quasiment total. Progressivement, on a vu se développer de nombreux dispositifs de type « réseaux sociaux » (Facebook, Twitter, etc.), des dispositifs « collaboratifs  » ouverts (Google Docs, Google Wave, Dropbox, etc.) à partir desquels les apprenants construisent leurs environnements personnels d’apprentissage.

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Cette recherche vise dans un premier temps à identifier les choix d’outils de travail et de communication effectués par les étudiants de cette UFR à l’occasion d’un projet de groupe. Nos premières observations (2009-2010) montrent que bon nombre des outils retenus remplacent progressivement les dispositifs médiatiques proposés par leur université. Ceux-ci sont en effet considérés comme trop lourds, non personnalisables et, de plus, leur gestion échappe complètement aux étudiants.

Pour réaliser leur projet de groupe, les étudiants se créent des environnements d’apprentissage et de traL’institution a perdu ce contrôle au fur et à mesure vail plus proches, voire même intégrés à leurs environque l’apprenant gagnait, grâce à ses nouveaux dis- nements personnels, et construits selon une logique positifs, de l’autode besoins et nomie et une cad’usages personnalisés. Ils pacité personnelle importent donc de gestion de ses au sein de la environnements. sphère acaLes campus virdémique des tuels, les environusages routinements technoniers ancrés pédagogiques, au sein de leur concrétisent une sphère d’activision centralisavités persontrice, voire panopnelles et de tique, de l’institution tandis que les loisir. Dans cernouveaux envitains contextes ronnements que particuliers, les se construisent environnements les étudiants personnels sont le produit de des étudiants leur usage indipourraient viduel ainsi que être considéde leur expérés comme des rience et ils semblent mieux adaptés à une « objets-ponts » facilitant le transfert des usages des conception de l’apprentissage autodirigé, sphères personnelles vers la sphère académique. Le sous un plus grand contrôle de l’apprenant. téléphone portable en est un bon exemple dans la mesure où il accompagne l’étudiant dans chacune Notre contribution s’appuie sur une recherche em- de ses activités, dans chacune de ces deux sphères. pirique et descriptive que P. Bonfils et moi-même menons depuis trois ans : afin de documenter le Dans la seconde phase de la recherche (2010plus finement possible cette évolution, nous sui- 2011), les observations ont confirmé cette tendance vons l’évolution des usages que font des étudiants et son accélération. Elles ont permis de recende l’UFR Ingémédia1 et des environnements ins- ser les dispositifs qu’abandonnent les apprenants titutionnels et de ceux dont ils de dotent dans le et ceux qu’ils adoptent. Nous analyserons aussi cadre des projets qu’ils mènent durant leurs études. les raisons de ces choix et la dynamique qui les amènent à ces décisions d’adoption ou de rejet. 1 Université du Sud Toulon Var, http://www.ingemedia.net/

“Progressivement, on a vu se

développer de nombreux dispositifs de type « réseaux sociaux » [...] à partir desquels les apprenants construisent leurs environnements personnels d’apprentissage.



P30 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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La généralisation de ces observations est difficile dans la mesure où les étudiants d’Ingémédia, de par leur inscription disciplinaire, possèdent, pour la plupart d’entre eux, une expertise et un degré de maîtrise des technologies plus importants que la majorité des étudiants. Cependant, ils utilisent des technologies largement diffusées et peu spécialisées. Nous pourrions donc penser qu’ils construisent, sur la base d’outils grand public, des usages nouveaux qui préfigurent ceux que construira demain un plus grand nombre d’apprenants. Enfin, nous pensons que l’observation de ces environnements personnels d’apprentissage permettra de mieux comprendre les effets de ces nouveaux environnements sur les comportements cognitif et relationnel des apprenants mais aussi des enseignants. Dans quelle mesure le développement de ces environnements remet-il en cause non seulement les modèles pédagogiques, les conceptions de production, de diffusion et d’appropriation des connaissances, mais également les relations entre les apprenants, entre ceux-ci et les enseignants et donc, la posture comme le rôle des apprenants et des enseignants ?2

À propos de Daniel (suite) ... Depuis 1990, il a participé activement au développement de la formation à distance en Suisse notamment, par ses études préalables, à la mise en œuvre du programme fédéral Campus virtuel suisse ; depuis 2000, il assume la coordination de l’apport de TECFA à de nombreux programmes (Campus virtuel suisse, 2000-2007, Programme CoseLearn, 2005-2011). Il est actuellement responsable du Master MALTT (Master of Science in Learning and Teaching Technologies, TECFA) et directeur du Certificat de formation continue en conception et développement de projets en e-learning, ainsi que responsable de la participation de TECFA au programme ACREDITE (AUF, Université Mons, Université de Cergy-Pontoise et Université de Genève).

2 Peraya, D. (2008). Technologies, mutations des connais-

sances et de l’apprentissage : impact sur les métiers d’enseignant et d’étudiant. In M. Bergadaà, P. Dell’Ambrogio,G. Falquet, D. McAdam, D. Peraya, D. & R. Scariati R. (2008). La relation éthique-plagiat dans la réalisation des travaux personnels par les étudiants. (pp. 19-31. Rapport 2008, Commission Ethique-Plagiat, Université de Genève.

Il est chercheur associé au Centre interuniversitaire sur la profession enseignante (CRIFPE, Québec) en tant que chercheur international et membre du Groupe d’études sur la Médiation du savoir (GReMS, Université catholique de Louvain). © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P31

“... un nouveau

modèle éducatif fondé sur l’autonomie de l’apprenant et l’apprentissage autodirigé.



À propos de

France

Mes recherches portent sur l’apprentissage et le travail collaboratif à distance, la conception d’environnements d’apprentissage, les communautés de pratique et les forums de discussion. Je m’intéresse également aux nouvelles pratiques de recherche et à la formation de la relève scientifique. Dans mon enseignement comme dans mes recherches, ma principale préoccupation est de proposer des environnements d’apprentissage qui invitent les apprenants à vivre une expérience authentique de partage et de collaboration.

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France HENRI

Environnement personnel d’apprentissage (EPA) Un concept, une technologie, un système d’activité, un instrument ?

Qu’est-ce au juste qu’un environnement personnel d’apprentissage? Dans la littérature scientifique, les environnements personnels d’apprentissage sont conceptualisés de diverses façons selon l’identité professionnelle et l’orientation disciplinaire des auteurs. Les différents points de vue développés sur les EPA ne sont pas contradictoires. Ils présentent des regards complémentaires sur la réalité des EPA et proposent des cadres d’interprétation pour comprendre les caractéristiques, les usages et les potentialités de ce type d’environnement. Certains auteurs voient dans les EPA un concept fort qui permet de faire le passage vers de nouvelles approches pédagogiques adhérant à un nouveau modèle éducatif fondé sur l’autonomie de l’apprenant et l’apprentissage autodirigé. Dans ce modèle, l’EPA est considéré comme un vecteur fécond d’apprentissage qui facilite la réflexion de l’apprenant sur son propre apprentissage et qui favorise le développement de sa capacité à gérer ses apprentissages.

“[L’EPA] favorise

le développement de la capacité [de l’apprenant] à gérer ses apprentissages.

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P33

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L’EPA s’avère un moyen dont l’apprenant a la pleine maîtrise et qui lui permet d’exercer un réel pouvoir sur ses apprentissages. L’usage intentionnel d’un EPA aurait pour effet d’augmenter la capacité à faire des choix et à élaborer des stratégies pour apprendre.

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rence à différents spécialistes pour concevoir et développer les environnements d’apprentissage.

Dans le cas des EPA, l’apprenant, seul artisan possible, possède-t-il les compétences pour mener à bien la conception de son EPA, pour choiD’autres abordent les EPA comme une solution sir les ressources et les technologies les mieux technologique qui caractérise une forme d’appren- adaptées à ses besoins pour ensuite les assemtissage en ligne plus personnelle et plus collective. bler dans un tout cohérent et efficace, ergonomiquement et technologiquement performant ? L’EPA, associé aux technologies du web social, est alors décrit comme un assemblage personnel L’assemblage par l’apprenant de ressources et de de différentes applications, de services informa- technologies du web social ne constitue pas autotiques et autres types de ressources d’appren- matiquement un EPA efficace. L’utilisation de ces tissage. Il est composé des mêmes technologies technologies assemblées d’une quelconque manière que l’apprenant utilise dans différents contextes n’assure pas non plus un apprentissage efficace. de vie : le travail, la maison, les loisirs, l’école. Comment soutenir l’apprenant dans la construction Ainsi, l’apprentissage peut être soutenu de de son EPA ? Comment l’aider à évaluer l’efficacité de manière continue à travers le temps et l’es- son EPA ? Comment l’aider à faire évoluer son EPA ? pace, presque partout grâce aux réseaux sans fil et aux appareils de communication mobile. Pour traiter ces questions, l’approche instrumentale offre un cadre théorique fécond en faisant de l’utilisaD’autres encore tentent de mettre en évidence teur l’artisan de son instrument à travers un processus l’ancrage social de l’apprentissage en s’appuyant de genèse instrumentale qui allie activités construcsur la théorie de l’activité (Engeström, 1987) pour tives et activités productives dans deux sous-proconceptualiser l’EPA comme un système d’acti- cessus d’instrumentation et d’instrumentalisation. vité complexe. Selon cette théorie, les interactions humaines médiées à travers l’usage d’outils L’activité constructive (instrumentation) porte sur le sont source de médiations multiples, par exemple, développement d’organisateurs de l’activité que sont des médiations épistémiques, réflexives ou inter- les schèmes alors que l’activité productive (instrupersonnelles. Les outils et les ressources compo- mentalisation) est celle par laquelle l’apprenant rend sant l’EPA et les médiations qu’ils génèrent consti- l’EPA conforme à ces intentions. Selon cette approche, tuent des facteurs déterminants de l’apprentissage. la genèse instrumentale permettrait à l’apprenant de s’engager dans une dynamique qui l’amènerait à une Dans les écrits scientifiques, tous s’entendent sur le pleine possession de son EPA et de son apprentissage. fait qu’un EPA n’est pas quelque chose qui peut être   imposé, mais plutôt quelque chose qui est conçu et construit par l’apprenant lui-même, de manière autonome, pour répondre à ses propres besoins. Peu d’auteurs se sont penchés de manière approfondie sur cette caractéristique de l’EPA qui fait de l’apprenant à la fois le concepteur, le développeur et l’utilisateur de son EPA. Qu’il soit conçu comme une approche pédagogique, comme un système technologique ou un système d’activité complexe, la conception, le développement et l’usage d’un EPA requièrent des compétences. Les bases de l’ingénierie pédagogique font généralement réféP34 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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Intervention conjointe sur les EPA de France HENRI (à l’ESEN ) et Daniel PERAYA (en visio conférence depuis Genève) Retrouvez cette conférence sur le site de l’ESEN http://www.esen.education.fr/fr/ressources-par-type/conferences-en-ligne/

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P35

ESEN webradio Échafaudages Échafaudages, le magazine radio de l’ESEN questionne :

Écoutez l’émission en mp3

Apprendre et enseigner à l’ère du numérique Olivier DULAC reçoit : Bernadette CHARLIER, France HENRI, Sébastien MOREAU, et Jean-François TAVERNIER. Réalisation technique : Yannick BERNARD et Cécile PIRES

“L’apprentissage en réseau offre

des opportunités d’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage sans précédent, mais il entraîne aussi des bouleversements qui peuvent susciter de terribles angoisses !



À propos de

Terry

Il a beaucoup publié dans ce domaine de l’enseignement à distance et des technologies éducatives et est coauteur ou coéditeur de neuf livres et de nombreux articles. Ses travaux les plus récents ont fait l’objet de publications sous licence Creative Commons, et ces textes ainsi que les travaux d’autres auteurs spécialisés dans l’enseignement à distance sont publiés dans la revue « Issues in Distance Education » de l’Athabasca University Press. Suite de la présentation de Terry en fin d’article

Visionnez son interview

Terry Anderson est professeur et chercheur auprès du Centre for Distance Education et du Technology Enhanced Knowledge Research Centre de l’université Athabasca, université ouverte du Canada. Titulaire d’un doctorat, Terry Anderson est, depuis 1985, très impliqué dans le développement et la mise à disposition de l’enseignement à distance, l’enseignement proprement dit et la recherche.

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Terry ANDERSON

Trouver sa place dans le nouvel univers de l’enseignement et des apprentissages en réseau

Nous vivons dans des sociétés de plus en plus complexes et de plus en plus technologiques dans lesquelles les organisations structurées en réseau sont en position dominante. Les réseaux, en tant qu’entités sociales, économiques et politiques, jouent un rôle de plus en plus important dans toutes les instanciations et institutions économiques, dans l’organisation sociale, et bien entendu dans l’éducation. Les modèles éducatifs en réseau présentent une forte capacité d’amélioration des modalités de production et de reproduction des connaissances, mais ils imposent, au passage, une transformation des activités des enseignants, des apprenants et des institutions. Si ces transformations sont durables (c’est-à-dire si elles génèrent des améliorations progressives), elles créent aussi des bouleversements en établissant de nouveaux modèles d’éducation moins coûteux et plus accessibles que l’enseignement traditionnel en classe. Ces bouleversements constituent une menace pour les emplois traditionnels des enseignants et imposent aux apprenants un surcroît d’autonomie et d’autodiscipline.



Il y a là une chance à saisir pour les éducateurs : celle de se muer en chercheurs.

Pour bien appréhender ces transformations, on étudiera avec profit les trois types d’interactions éducatives qui structurent

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l’éducation : l’interaction apprenant-enseignant, l’interaction apprenant-apprenant, et l’interaction apprenant-contenu. J’ai avancé par ailleurs que pour permettre une expérience éducative de qualité, il fallait qu’au moins l’une de ces trois interactions soit présente à des niveaux élevés.

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personnes et de ressources en constante évolution. Cela impose d’assurer une présence dynamique sur le net et de créer et d’administrer les contenus diffusés.

Les enseignants sont ainsi en train de passer du statut de dispensateurs de contenus à celui de créateurs, d’organisateurs, de filtres et d’agrégateurs de conteLe coût de production et de diffusion des contenus nus. De consommateurs passifs, les étudiants deéducatifs ne cesse de baisser, à tel point que des viennent, de leur côté, des consommateurs avertis de enseignants, voire des étudiants peuvent aujourd’hui services éducatifs, capables de créer leurs propres produire des contenus multimédia de qualité et les interactions éducatives à partir du choix extrêmediffuser sur internet pour un coût extrêmement faible. ment riche que leur offre le réseau. Les institutions sont, quant à elles, en train de passer de la gestion de Or, la production de ces contenus permet d’opérer salles de cours à la création d’espaces, de nœuds et le remplacement de l’interaction étudiant-apprenant de ressources virtuels et axés sur les communautés par une interaction au sein desquelles étudiant-contenu des formes variées renforcée, comme le d’interactions démontrent les cours éducatives pouren ligne ouverts ront prospérer. et massifs (MOOC, Massive Open Les réseaux transOnline Courses) forment en profonqui s’adressent le deur les échanges plus souvent à des entre étudiants, dizaines de milenseignants et liers d’étudiants. institutions. Or, ces bouleverseL’interaction étuments sont extrêdiant-étudiant est mement difficiles également renforà prédire, et à plus cée par la possiforte raison à maîbilité d’établir un triser. Il y a là une dialogue et une chance à saisir collaboration parpour les éducadelà les frontières géographiques et temporelles. teurs : celle de se muer en chercheurs. En conceLes étudiants peuvent se rencontrer, s’organiser et vant, en mettant en œuvre et en testant de nouvelles coordonner leurs interactions éducatives en utili- formes d’intervention en réseau tout en approfonsant toute une palette d’outils de réseautage social. dissant les modalités d’enseignement, de créaAu bout du compte, les réseaux permettent aux tion de contenu et d’activités d’apprentissage à enseignants d’échanger avec les étudiants à très l’ère des réseaux, les enseignants pourront se forbas coût mais aussi de se livrer, entre enseignants, ger des carrières gratifiantes basées sur les comà toute une série de pratiques communautaires. pétences qu’ils ont acquises dans leur discipline.

“Les enseignants sont ainsi

en train de passer du statut de dispensateurs de contenus à celui de créateurs, d’organisateurs, de filtres et d’agrégateurs de contenus.



Cependant, étudiants et enseignants doivent, pour pouvoir bénéficier de ces modalités d’interactions privilégiées, améliorer et cultiver leurs compétences et leur efficacité en matière de réseautage. Pour être véritablement efficaces, ils doivent notamment être en mesure de créer et d’alimenter des réseaux de P40 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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L’article original complet en anglais est disponible à l’adresse suivante ou par le QR Code http://www.esen.education.fr/fileadmin/user_upload/fad/e-education/anderson_t_en.pdf L’article complet traduit en français est disponible à l’adresse suivante ou par le QR Code http://www.esen.education.fr/fileadmin/user_upload/fad/e-education/anderson_t_fr.pdf

À propos de Terry (suite)... Les travaux de recherche de Terry Anderson s’articulent essentiellement autour des questions d’interaction entre étudiants, enseignants et contenus. Sa collaboration avec Randy Garrison sur le modèle de « communauté de recherche » portant sur l’étude de la présence sociale, enseignante et cognitive, a reçu un accueil très positif et sert depuis de base théorique à la plupart des études traitant de la pratique et de la recherche en matière d’enseignement à distance. Terry Anderson a publié en 2004 un théorème d’équivalence des interactions dans lequel il avance qu’il est possible d’assurer un apprentissage de grande qualité en garantissant une interaction étudiant-étudiant, étudiant-enseignant ou - et cela intéressera tout particulièrement les acteurs de l’enseignement à distance - étudiant-contenu. Ce théorème des équivalences est aujourd’hui appliqué dans le domaine des cours en ligne ouverts et massifs (MOOC, Massive Open Online Courses) et des ressources éducatives libres (REL). Plus récemment, Terry Anderson a collaboré avec son collègue Jon Dron autour de la conception et de l’exploitation d’une « boîte à outils des réseaux sociaux » (« boutique social network »), réservée exclusivement à la communauté de l’université d’Athabasca au sens large (voir landing.athabascau.ca).

Terry Anderson est actif au sein de différentes associations d’éducation à distance au niveau provincial, national et international, et il intervient régulièrement en tant qu’invité de marque dans des conférences professionnelles et universitaires. La plupart de ses diaporamas sont accessibles sur SlideShare à l’adresse suivante : http://www.slideshare.net/search/slideshow?s earchfrom=header&q=%22terry+anderson%22 Terry Anderson enseigne les technologies et la recherche éducatives dans le cadre des masters et doctorats en sciences de l’éducation de l’université d’Athabasca dédiés à la recherche et à la formation pour l’enseignement à distance. Il a aussi été éditeur, au cours des dix dernières années, de l’International Review of Research on Distance and Open Learning (IRRODL www. irrodl.org). L’IRRODL est, à ce jour, la revue scientifique consacrée à l’enseignement à distance la plus lue et la plus citée et elle bénéficie d’une licence Creative Commons. Les articles de l’IRRODL sont systématiquement révisés en aveugle par les pairs et, après acceptation, publiés au format HTML, PDF, MP3 (audio) et EPUB (mobile). La page d’accueil de Terry Anderson est accessible à l’adresse suivante : https://landing.athabascau.ca/pg/profile/terrya et l’adresse de son blog « Virtual Canuck » est la suivante : terrya.edublogs.org © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P41

“Ouvrir la for-

mation et créer de la présence à distance pour favoriser l’autonomie de l’apprenant.



À propos d’

Annie

Avant d’intégrer l’enseignement supérieur, elle a exercé pendant plus de dix ans dans le domaine du conseil en ingénierie de la FOAD en entreprises (grands groupes) et en organismes de formation.

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Annie Jézégou est enseignant-chercheur habilité à diriger des recherches (HDR) en sciences de l’éducation à l’Institut Mines-Télécom (école des Mines de Nantes). Son laboratoire de rattachement est le centre de recherche sur l’éducation, les apprentissages et la didactique (CREAD) de l’université de Rennes 2.

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Annie JÉZÉGOU

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et Jérôme ENEAU

La distance transactionnelle : les deux variables de « l’ouverture » et du « dialogue » vues sous l’angle de sa dimension sociale

À propos d’Annie (suite) ... Depuis près de 15 ans, ses travaux portent sur la modélisation des environnements éducatifs médiatisés favorables à l’exercice et au développement de l’autonomie des adultes en formation.



Substituer le « dialogue » par la « présence ».

À ce jour, une telle modélisation articule deux dimensions : • l’ouverture des environnements d’apprentissage à distance, • la présence en e-learning. Les résultats de ces travaux montrent que « l’ouverture » et « la présence », telles que définies et caractérisées par l’auteur, sont deux dimensions favorables à l’autodirection de l’apprenant. Les travaux d’Annie Jézégou font l’objet de nombreuses publications scientifiques tant au niveau national qu’au niveau international.

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P43

“La part d’autrui dans la formation de soi.



À propos de

Jérôme

Il était auparavant maître de conférences à l’institut des sciences et pratiques d’éducation et de formation (IPSEF) de l’université Lyon 2, où il était notamment responsable du campus numérique FORSE (formation et ressources en sciences de l’éducation). Ses recherches portent sur les dimensions sociales de l’autonomie, en formation d’adultes.

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Titulaire d’un PhD en andragogie de l’université de Montréal et docteur en sciences de l’éducation de l’université de Strasbourg, Jérôme Eneau est actuellement maître de conférences habilité à diriger des recherches (HDR), à l’université Rennes 2.

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Jérôme ENEAU

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et Annie JÉZÉGOU

La distance transactionnelle : les deux variables de « l’ouverture » et du « dialogue » vues sous l’angle de sa dimension sociale

La théorie de la distance transactionnelle, élaborée par Moore (1993) aux États-Unis, s’appuie sur le principe selon lequel la distance, en formation, est principalement « transactionnelle » et non pas uniquement « spatiotemporelle ». Cette distance peut s’appliquer à tout type de dispositif de formation, mais elle prend toute sa dimension interprétative dans un contexte soumis à un éclatement spatiotemporel et notamment dans les dispositifs de e-learning. Cependant, les recherches empiriques menées depuis 20 ans n’ont pas permis de valider cette « théorie ». Une de ses principales fragilités tient au faible ancrage théorique de deux des variables-clés associées à la distance transactionnelle (Corsky & Caspi, 2005 ; Jézégou, 2007) : la « structure » et le « dialogue ».



Avec le dialogue, l’ouverture du dispositif devient alors aussi une forme d’ouverture et de présence… à autrui.

La « structure » correspond à la flexibilité ou au niveau d’individualisation du dispositif (Moore, 1993). Jézégou (2007) associe cette variable au degré de liberté de choix offert

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P45

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à l’apprenant pour qu’il puisse structu- nauté d’apprentissage en ligne et donc la construcrer lui-même ses situations d’apprentissage. tion individuelle et collective de connaissances : Dès lors, la flexibilité de la structure, évoquée par Moore, correspond au degré d’ouverture du dispositif (Jézégou, 2010). Selon Moore (1993), le « dialogue » renvoie aux interactions sociales entre le formateur et l’apprenant via des outils de communication à distance. La définition attribuée à cette variable s’avère toutefois peu opérationnelle et exclut, de plus, la dimension sociale ou collective liée aux interactions à distance entre les apprenants eux-mêmes. Une telle dimension sociale conférée au « dialogue », en lien avec la distance transactionnelle, est plus particulièrement mise en Représentation tridimensionnelle de la préen e-learning (Jézégou, 2012) débat dans la conférence, à partir d’un regard croisé sence des travaux d’Annie Jézégou et de Jérôme Eneau. Par ailleurs, Jézégou défend également l’hypothèse selon laquelle un degré élevé de présence associé à un degré élevé d’ouverture traduit une faible Du « dialogue » à la « présence » distance transactionnelle ou ce qu’elle préfère Annie Jézégou propose de substituer le « dialogue » nommer une forte « proximité transactionnelle ». par la « présence » tel que modélisée dans ses travaux sur la formation à distance (e-learning). Le modèle de la présence (Jézégou, 2012) mobilise les Présence, dialogue et ouverture travaux anglophones américains sur les communities of inquiry in e-learning, les recherches franco- Jérôme Eneau, quant à lui, propose d’examiner les phones sur la collaboration à distance, la théorie équivoques du terme de « dialogue », dans les travaux du conflit socio-cognitif et la perspective transac- sur la formation à distance, en revenant à la place de ce tionnelle de l’action. La présence résulte de cer- terme dans le champ de la formation des adultes. À ce taines formes d’interactions sociales verbales entre propos, les traditions françaises et nord-américaines le formateur et les apprenants mais aussi entre les de la formation et de l’autoformation soulèvent des apprenants au sein d’un espace numérique de com- questions théoriques et méthodologiques importantes. munication, cela malgré la séparation physique. La présence est déclinée en trois dimensions dispo- Les perspectives dialogiques nord-américaines, issant chacune d’une définition étayée au plan théo- sues des travaux portant sur le Dialogue de Bohm, sur rique : la présence socio-cognitive (1), la présence le codéveloppement professionnel ou encore sur les socio-affective (2) et la présence pédagogique (3). communautés de pratique, rejoignent les travaux sur la formation recommandant la mise en place d’apprenUne des deux formalisations schématiques du modèle tissages fondés sur le contrat, la coopération et la réest tridimensionnelle : elle s’appuie sur la proposition ciprocité (Knowles, 1990 ; Labelle, 1996 ; Eneau, 2005, selon laquelle plus le degré de présence de chacune 2007). Issus d’approches théoriques variées (philosodes trois dimensions augmente, plus le degré de pré- phie de l’éducation, psychologie sociale, anthropolosence globale augmente et plus ce dernier favorise gie), ces travaux mettent l’accent sur les relations inl’émergence et le développement d’une commu- terpersonnelles, dans le processus d’apprentissage, et P46 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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renouvellent aujourd’hui, dans les recherches sur la coopération et la collaboration à distance, les questions « d’apprentissage réflexif avec et par autrui ».

tique et formation universitaire aux métiers de la formation. Revue Internationale de Pédagogie de l’Enseignement Supérieur, 28-1/2012.

Au-delà de « l’ouverture » du dispositif, reflétant l’autonomie (la liberté, le choix, l’initiative, la responsabilité) de l’apprenant, l’exploration des possibilités offertes par ce « dialogue » offre ainsi de nouvelles voies pour examiner la place de « catégories affectives » de l’apprentissage, notamment dans la formation à distance, telles que la réciprocité, la confiance ou la reconnaissance.

Jézégou, A. (2007). La distance en formation : premier jalon d’opérationnalisation de la théorie de la distance transactionnelle. Distances et Savoirs, 5(3). Paris, Hermès - Lavoisier, 342-366.

Différents exemples de recherches sur ces catégories peuvent illustrer la place de cette approche dialogique dans les échanges en ligne : les travaux sur le « scénario collaboratif », la « confiance à distance » ou la « mémoire transactive », dans l’enseignement supérieur en particulier, développent ainsi l’étude des « dimensions sociales » de la formation et de l’autoformation (Eneau, 2012). Avec le dialogue, l’ouverture du dispositif devient alors aussi une forme d’ouverture et de présence… à autrui. Références Gorsky, P., & Caspi, A. (2005). A critical analysis of transactional distance theory. The Quarterly Review of Distance Education, USA, 6 (1), 1-11. Eneau, J. (2005). La part d’autrui dans la formation de soi. Autonomie, autoformation et réciprocité en contexte organisationnel. Paris : L’Harmattan.

Jézégou, A. (2010). Le dispositif GEODE pour évaluer l’ouverture d’un environnement éducatif. Journal of Distance Education / Revue de l’Education à Distance, 24(2). Vancouver, Canada, 83-108. http://www.jofde.ca/index.php/jde/a... Jézégou, A. (2012). La présence en e-learning  : modèle théorique et perspectives pour la recherche. Journal of Distance Education / Revue de l’Education à Distance. Vancouver, Canada, 26(1), http://www.jofde.ca/index.php/jde/a... Knowles, M. (1990). L’apprenant adulte. Paris : Éditions d’Organisation. Labelle, J.M. (1996). La réciprocité éducative. Paris : PUF. Moore, M.G. (1993). Theory of transactional distance. In : Keegan, D (eds). Theoretical Principles of Distance Education. New York, USA : Routledge, 22-38. http://www.uni-oldenberg.de/zef/ cde/found/readings/moore93.pdf

Eneau, J. (2007). Construire la confiance à distance : autoformation et nouveaux dispositifs de formation en situation de travail. In E. Triby & E. Heilmann (dir.). A distance : apprendre, travailler, communiquer (pp. 187-200). Strasbourg : Presses de l’Université de Strasbourg. Eneau, J. (2012). Apprenant adulte et processus d’autoformation. Les dimensions sociales de l’autonomie en formation. Note de Synthèse présentée pour l’Habilitation à Diriger des Recherches. Rennes : Université Rennes 2. Eneau, J., Bertrand, E. & Lameul, G. (2012). Se former et se transformer : perspective cri© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P47

ESEN webradio Échafaudages Échafaudages, le magazine radio de l’ESEN questionne :

´Écoutez l’émission en mp3

Apprendre en réseau et à distance Olivier DULAC reçoit : Jérôme ENEAU, Christophe JEUNESSE, et Annie JÉZÉGOU. Réalisation technique : Yannick BERNARD et Cécile PIRES

“Sept années

d’utilisation d’une plateforme pédagogique : l’apport d’un autodidacte à l’écoute des spécialistes.



À propos de

Sébastien

Il effectue sa recherche au sein de l’institut de recherche sur la biologie de l’insecte (IRBI, UMR 7261 CNRS/Université François Rabelais), dans l’équipe évolution des virus libres et intégrés dirigée par Jean-Michel Drezen et Elisabeth Herniou. Ses thématiques de recherche concernent l’étude des venins et des virus symbiotiques produits par des guêpes parasites (18 publications depuis 2000).

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Sébastien Moreau est maître de conférences à l’université François Rabelais depuis 2004. Enseignant-chercheur en biologie animale, il coordonne le parcours d’unités d’enseignement d’ouverture «Développement Durable» et préside le jury de validation des acquis de l’expérience de l’UFR sciences et techniques de Tours. Il intervient également en licence de biologie et dans le master 2 écologie comportementale, évolution et biodiversité. Depuis 2007, il est l’un des deux correspondants CELENE de l’UFR sciences et techniques. Il assiste et forme les utilisateurs de la plateforme pédagogique au sein de l’UFR Sciences et Techniques (389 cours en ligne, soit 10% des cours de la plateforme) et administre directement une dizaine de cours en ligne pour ses propres enseignements.

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Sébastien MOREAU Plateforme pédagogique : les points de vue de…

Sébastien Moreau, maître de conférences en biologie animale Claude Hoinard, maître de conférences, correspondant CELENE Lionel Fandeur, ingénieur pédagogique Brice Courtin, ingénieur technique. Les enseignants et enseignants-chercheurs du « Supérieur » français sont de sacrés petits veinards ! Certes les conditions sociales et matérielles dans lesquelles nous exerçons se dégradent d’année en année et nous serons probablement un jour moins nombreux que les gagnants de l’Euromillion… Mais nous possédons une liberté dans l’exercice de nos fonctions de pédagogues à nulle autre pareille. Liberté dans les thèmes abordés au cours de nos enseignements, dans les limites raisonnables d’une maquette pédagogique grossièrement ficelée tous les cinq ans. Liberté d’expression, dans les bornes établies par la bienséance, la déontologie et quelques jurisprudences piquantes. Mais surtout, liberté pratiquement totale dans le choix et la mise en œuvre des formes de transmission de nos savoirs et de nos compétences.



J’ai pris le parti de commencer à mûrir mes projets pédagogiques avec un semestre d’avance.

Ce n’est que la conséquence heureuse d’une quasi absence de formation initiale académique au métier d’enseignant qui nous oblige à apprendre sur le tas, selon un mode « essais-erreurs » parfois douloureux mais toujours utile. © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P51

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« L’expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs » a écrit Oscar Wilde1 , auquel nous pourrions opposer Konrad Adenauer, pour qui « l’oubli de ses propres fautes est la plus sûre des absolutions ». Lors de mes premières années d’e-enseignant, j’avoue avoir accumulé beaucoup, beaucoup d’expérience… mais je n’ai rien oublié ! Depuis 7 ans, j’explore les nombreuses possibilités offertes par la plateforme pédagogique commune aux universités d’Orléans et de Tours tandis que certains, de plus en plus minoritaires, hésitent encore à investir ce nouveau cyberespace de liberté. « Trop compliqué ! Trop chronophage ! Trop superficiel ! » zinzinulent-ils2 . « Apprenez ! Gérez ! Faites évoluer ! » piauleje3 avec à l’appui quelques conseils issus de l’analyse d’essais plus ou moins heureux… Tour d’horizon.

1. De la messagerie au cours en ligne La première question qui mérite toute l’attention, qu’on soit geek ou allergeek aux technologies numériques est de savoir si l’atteinte de ses objectifs pédagogiques doit passer obligatoirement par l’utilisation de technologies sophistiquées. La réponse est : ça dépend ! C’est ce qu’ont compris depuis longtemps déjà les utilisateurs de tableaux blancs interactifs (TBI) et que je propose d’appeler « principe de Chamayou4 » . Ce principe s’applique aussi aux plateformes pédagogiques sur lesquelles les enseignants déposent des ressources et créent des activités dans des espaces partagés, ou cours en ligne. Je connais des collègues qui, intervenant dans des formations aux effectifs réduits (Licences Professionnelles, Master), préfèrent diffuser leurs supports de cours par courriel plutôt que d’investir du temps dans l’apprentissage de la création et de l’administration d’un cours en ligne. Dans une démarche de diffusion des connaissances unidirectionnelle et verticale, cette réponse technologique est respectable car parfaitement adaptée à des besoins simples. Lorsqu’ils franchissent le pas et créent un cours en

1 « Experience is the name everyone gives to their mistakes.»

Lady Windermere’s Fan, Acte III, 1892. 2 Le zinzinulement est le cri du roitelet. 3 Le piaulement est le cri de l‘albatros, de l’épervier mais aussi du chacal et du poulet ! Allez comprendre… 4 Gilles Chamayou, Professeur d’Histoire-Géographie, écrivait fort justement en 2010 : « Lorsque je prépare une séquence où je compte utiliser le TBI, j’ai pris l’habitude de me poser cette question : Est-ce que je peux faire la même chose avec mes feutres ? Si la réponse est oui, alors l’utilisation du TBI n’est pas pertinente et risque de faire passer le coté technique devant les aspects pédagogiques.» http://www.youscribe.com/catalogue/ressources-pedagogiques/ education/college-lycee/retour-au-site-academique-aix-marseille-histoire-et-geographie-1660904

P52 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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ligne, j’observe qu’une majorité de nos collègues agit par simple mimétisme, sans réel besoin nouveau à satisfaire. Reproduisant souvent leur familière démarche de transmission verticale des connaissances, leur cours en ligne ne sert qu’à la diffusion de supports pédagogiques classiques et est clairement sous-exploité au regard des possibilités offertes. La mise à disposition d’une plateforme pédagogique pour ces utilisateurs pourrait même apparaître comme une solution honteusement surdimensionnée voire dispendieuse en ces temps de raréfaction des deniers publics... Toutefois, il est primordial de leur donner accès à ce palier technologique afin que soient réunies les conditions propices à une évolution ultérieure de leurs pratiques. Cette évolution sera grandement encouragée par l’organisation de rencontres avec des utilisateurs plus avancés sous la forme de séminaires ou de formations auxquels participent les correspondants CELENE5 et l’ingénieur pédagogique de notre université (voir points de vue de Claude Hoinard et Lionel Fandeur en fin d’article). Ensemble, ils aident les utilisateurs de base à prendre conscience d’un nouveau champ des possibles et leur apportent conseils et solutions concrètes. Les demandes les plus courantes concernent la facilitation des échanges de documents volumineux (dépôts de ressources ou rendus de devoirs) et l’évaluation automatisée des contrôles continus (tests en ligne). De manière plus marginale, certains cherchent aussi à gagner en interactivité (forums, messagerie instantanée, bases de données, sondages) ou à proposer des activités pédagogiques collaboratives (wikis, ateliers) voire conditionnelles (leçons). Autant de fonctionnalités qui ne sont pas offertes par une messagerie électronique et qui justifient la création d’un cours en ligne. L’existence d’un nouveau besoin à satisfaire n’est pas un prérequis indispensable mais semble agir positivement sur la motivation de l’e-enseignant à s’approprier l’outil plateforme pédagogique au-delà du service recherché. En effet, les utilisateurs les plus actifs cherchent moins à imiter qu’à innover. Ils contribuent à repousser toujours plus loin les limites des possibilités proposées par notre ingénieur technique (voir point de vue de Brice Courtin en fin d’article). Plus ils connaissent l’outil et mieux ils identifient les besoins qu’il est susceptible de satisfaire. En retour, plus ils satisfont de besoins et plus ils cherchent à tester les fonctionnalités de l’outil. Une fois qu’on a goûté à cette boucle vertueuse, il devient très difficile de s’en détourner ! Les espaces de cours s’enrichissent alors pour devenir de réels portails pédagogiques où activi-

5 CELENE : Cours En Ligne et Enseignement Numérique pour les Etudiants des universités d’Orléans et de Tours. Nom donné à notre plateforme pédagogique actuellement basée sur l’application web sous licence libre MOODLE 2.3.4.

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tés et ressources se complètent, où la pédagogie se différencie aisément et où la part d’autoformation et d’enseignement à distance prend de plus en plus d’ampleur. Plus transversaux dans leur conception, ces cours sont très ouverts sur le monde extérieur (fils RSS, intégration de vidéos), assouplissent les conditions de suivi de l’enseignement (podcasting audio et vidéo, diffusion des conférences en direct) et redonnent aux étudiants un rôle actif dans leur formation en partageant le leadership (co-animation de forum, management de groupes, auto-évaluations de travaux collectifs). Cette évolution ultime de l’utilisateur enseignant questionne inévitablement son rôle, ses fonctions et la plus-value de ses interventions en présentiel… Pour en revenir au principe de Chamayou, plus je m’investis dans la plateforme pédagogique, plus je réfléchis avant de prendre un feutre…

2. Remettre les étudiants à leur place ! Je répète souvent à mes étudiants que leur travail à l’université consiste à « apprendre pour connaître, comprendre pour agir », ce qui paraphrase un peu Narada6 , mais bon. L’utilisation de la plateforme pédagogique permet de les accompagner tout au long de ce parcours, de l’acquisition de leurs premières connaissances à la validation de la maîtrise de compétences professionnelles. Je veille à ce que cet accompagnement numérique puisse toucher tous les étudiants, sans distinction de niveau, d’origine ou de ressources. Ainsi mes tests en ligne comportent toujours quelques questions très faciles, qui feront sourire le premier quartile de la promotion mais qui permettront au quatrième d’obtenir une note-plancher. Cette note permet de ne pas se démotiver et incite à poursuivre ses efforts malgré les difficultés rencontrées. Lorsque ces tests se déroulent en temps limité, j’accorde aux étudiants au moins le double de mon meilleur temps pour réaliser l’exercice, afin que ceux qui peinent à lire le français aient le temps de lire tous les énoncés. L’intégralité de mes notes de cours est disponible pour les étudiants étrangers, salariés, grands sportifs ou en situation de handicap sous la forme de documents électroniques (textes ou diaporamas commentés). Enfin, la plupart de mes cours en ligne comportent un sondage grâce auquel les étudiants qui souhaitent une version papier de mes supports pédagogiques peuvent se faire connaître. En effet, une enquête menée auprès des étudiants tourangeaux en 2006 avait montré que moins de 80% d’entre eux

6 Narada ou Nârada, disciple de Bouddha: « Il faut ap-

prendre pour connaître, connaître pour comprendre, comprendre pour juger. »

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possédaient un ordinateur7 . Certes, c’était avant le lancement de notre plateforme pédagogique et avant que l’Université Numérique en Région Centre (UNRC) ne soit réellement opérationnelle. Mais la proportion d’étudiants en situation de précarité n’a pas baissé pour autant et certains peuvent avoir des difficultés à accéder régulièrement à un ordinateur ou à une imprimante. En moyenne, 1 étudiant sur cinq me demande ce service si je le propose tandis qu’aucun n’osera le faire spontanément. Ceci confirme l’existence d’un besoin cryptique et montre que les tendances de 2006 sont toujours d’actualité bien que le taux d’équipement en matériel informatique ait probablement augmenté… Ces différentes précautions me permettent de remettre les étudiants à leur place, évidemment centrale au sein de mes projets pédagogiques !

3. Construire son projet pédagogique loin du tumulte des amphis Après avoir goûté lors de mes deux premières années d’exercice aux joies des cours magistraux (CM) préparés entre 18h et 6h du matin pour un cours commençant à 8h , j’ai pris le parti de commencer à mûrir mes projets pédagogiques avec un semestre d’avance. Je concède que la conférence en amphi est encore préparée dans l’urgence pour garder de la spontanéité et coller à l’actualité des sujets, au moins la première fois. Ce qui a changé, c’est que ce cours n’est plus qu’un moment au sein d’un processus plus large, le projet pédagogique, et ne constitue plus un but en soi. Le cours peut initier le processus, le compléter ou l’achever. Ainsi, il m’arrive d’aborder un sujet par le biais de la présentation de l’œuvre majeure d’un auteur (c’est une pratique devenue trop rare dans les UFR scientifiques et qui mériterait d’être encouragée). Le cours en ligne permet de prolonger la présentation faite en présentiel par la mise à disposition de sources multimédias. Chaque étudiant peut aussi renseigner des bases de données pour signaler à tous l’existence d’un ouvrage ou d’un site web intéressant. Plus classiquement, je profite des sessions en présentiel (CM ou TD) pour faire le point avec les étudiants sur les projets collaboratifs qu’ils doivent mener dans le cours en ligne (rédaction de wikis par exemple). Chaque groupe s’est organisé autour d’un responsable (grâce à une activité de type sondage) avec qui je commu-

7 Selon OVE Tours Actu’ n°3 « Étudiantes et étudiants face

à l’informatique », les pourcentages d’étudiants possédant un ordinateur en 2005 étaient de 64.2% en première et deuxième années, 74.3% en troisième et quatrième années et 80% en cinquième année. © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P53

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nique de manière privilégiée. Enfin, je peux demander aux étudiants de lire certains textes téléchargés à partir du cours en ligne et de venir présenter et commenter leur contenu au début du CM. L’attribution de points bonus permet de motiver les plus réticents à passer au tableau. Je rectifie si nécessaire et valide les commentaires sur ce qui était autrefois une partie de mes notes de cours ! Les mêmes connaissances sont ainsi transmises mais le leadership est alors partagé et l’apprentissage se fait de manière plus participative. Une anticipation de six mois sur le lancement d’un projet pédagogique est un délai raisonnable pour fixer ses objectifs, explorer les fonctionnalités de la plateforme et déterminer celles qui seront les mieux adaptées, se former ou s’informer sur leur fonctionnement, mettre en œuvre des tests préliminaires et planifier le projet (date de lancement, jalons, date de rendu, critères d’évaluation des étudiants et indicateurs de succès pour la démarche pédagogique). N’oublions pas que dans certains modules d’enseignement les CM s’accompagnent aussi de travaux dirigés et de travaux pratiques qui peuvent eux-mêmes bénéficier des fonctionnalités d’un cours en ligne... Faute d’anticipation, certains collègues sont rapidement débordés par l’ampleur de la tâche et négligent les tests préliminaires, ce qui peut conduire à des bugs à grande échelle. D’autres peuvent avoir le sentiment qu’un trop faible bénéfice pédagogique a été obtenu au regard des efforts consentis bien qu’aucun indicateur de succès n’ait été clairement défini en dehors de la moyenne générale… Évidemment, ce sera toujours la faute de la plateforme !

4. Ze prouf of concept Une fois le projet correctement dimensionné et balisé, il est préférable de tester à petite échelle les options technologiques qui seront mobilisées. Dans l’idéal, toute activité en ligne devrait faire l’objet d’un beta test approfondi préalablement à son lancement. Nous avons la possibilité d’utiliser pour cela les identifiants d’un étudiant fictif peu brillant mais très serviable. Une autre solution consiste à se constituer un cours « bac à sable », ancien cours en ligne n’ayant pas survécu aux modifications de maquettes pédagogiques et qui trouve là une nouvelle utilité. C’est l’endroit idéal pour se livrer aux pires essais pouvant aller jusqu’au crashtest pur et simple ! Le travail en petites promotions (12 à 40 étudiants) permet d’apporter la preuve du concept, testant la faisabilité de tout le projet pédagogique en cours d’élaboration à une échelle plus réduite que le projet définitif. En effet, l’une des caractéristiques du système universitaire français est le dimensionnement P54 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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callipyge de ses promotions d’étudiants de Licence. Les récalcitrants auront beau jeu de prétendre que votre projet « ne peut pas marcher avec 400 étudiants », sauf si vous réussissez à prouver que ça peut marcher pour 10 groupes de 40 avec un minimum de maintenance. Pour favoriser le recours à des activités complexes y compris avec des effectifs pléthoriques se connectant de manière simultanée, l’université de Tours songe actuellement à mettre en place une plateforme de positionnement. Les ressources de celle-ci seront principalement allouées au passage de tests en ligne à grande échelle incluant ressources textuelles, audio ou vidéo. Paradoxalement, les enseignants-chercheurs constituent la catégorie de personnels qui a le moins recours à la formation continue alors que son manque de formation pédagogique initiale devrait l’y destiner tout particulièrement. De nombreux facteurs, que nous ne détaillerons pas, expliquent ce comportement qui conduit à la recherche d’une rentabilité maximale du temps investi dans un apprentissage, une formation. J’ai déjà vu des collègues partir au bout de quelques dizaines de minutes, estimant qu’ils ne « pouvaient pas » rester plus longtemps, bien qu’ils aient accepté de manière libre et éclairée et plusieurs semaines à l’avance, de s’inscrire à une formation de 3 heures... C’est dommage pour eux, car la maîtrise de certaines compétences permet de gagner beaucoup plus de temps. Il y a cinq ans j’ai investi 3 heures pour apprendre à faire un QCM en ligne, créer une banque de 60 questions à choix multiples et beta tester cet exercice dans lequel 20 questions sont tirées aléatoirement. Chaque année, environ 400 étudiants passent ce test. S’il avait fallu corriger ce test manuellement, j’aurais déjà consacré 11 fois plus de temps à cette activité (plus de 33 heures), sans compter le temps nécessaire à l’impression et à la distribution des copies et à la saisie des notes (15 heures supplémentaires). Soit un bénéfice net de 45 heures de travail en cinq ans… Si j’avais appris à faire des tests au cours d’une formation et non pas seul comme ce fut le cas, j’au-

“Les mêmes conn

sont ainsi transm leadership est al l’apprentissage s nière plus partici

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rais réduit de moitié mon investissement en temps initial. La valorisation des compétences acquises dans l’usage d’une plateforme pédagogique doit donc être recherchée et encouragée à l’échelle d’une équipe pédagogique. Elle permet d’une part aux projets pédagogiques objectivement réussis de se faire connaître pour servir de source d’inspiration et d’autre part aux porteurs de ces projets d’être identifiés localement pour leur expertise dans certaines fonctionnalités. Ainsi, certains pionniers de la plateforme se sont spécialisés avec le temps et sont régulièrement sollicités pour leurs compétences spécifiques. Un des rôles des correspondants CELENE de notre établissement est d’identifier et d’entretenir ce réseau d’experts.

5. À la recherche du point E Le point E est le point d’équilibre du cours en ligne qui permet de satisfaire aux objectifs fixés sans perte de temps pour l’étudiant et l’enseignant, d’informer sans noyer, de détendre sans distraire. Lorsque j’ai découvert la procédure pour placer des liens hypertextes dans mon cours, je me suis transformé en véritable moteur de recherche humain. Or, trop de ressources tuent la ressource... J’avais oublié que les étudiants adoptent eux aussi une posture d’économe, recherchant eux aussi une rentabilité maximale du temps investi dans un apprentissage, une formation ! Cette réalité me fut révélée le jour où, demandant à un étudiant s’il avait consulté tel site, il me répondit : « bah non, c’était pas noté… » Quelle désillusion ! Bâtir un mur d’URL qui n’intéressera qu’une infime minorité d’étudiants est une perte de temps mutuelle. Il en va de même des murs d’articles, de références bibliographiques ou de vidéos pédagogiques. Désormais averti de cette réalité, je veille à limiter le nombre de ressources mises à disposition et surtout à valider par une évaluation l’usage qui sera fait de cette ressource. Je considère ainsi qu’un de mes CM est une ressource parmi d’autres. Des tests en ligne après chaque CM encouragent les étudiants à venir régulièrement en amphi et à télécharger les supports

naissances mises mais le lors partagé et se fait de maipative.

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pédagogiques correspondants. Certaines questions portent sur des détails que l’on ne peut retenir que par une observation attentive du diaporama-support, d’autres sur des anecdotes que je ne donne qu’à l’oral. Du point de vue étudiant, il y a donc un gain de rentabilité à espérer de la consultation des deux ressources, cours et diaporama. Le nombre et la difficulté des évaluations en ligne doivent être modérés pour encourager la progression et j’essaie d’être attentif à la charge de travail personnel globale demandée aux étudiants. Lorsque le volume de ressources et d’activités évaluées s’amplifie, il est important de travailler sur l’attractivité du cours en ligne. La motivation est en effet primordiale dans tout processus d’apprentissage. Quelques ressources « fun » renouvelées périodiquement aideront à la marge les étudiants à s’y mettre ou à s’en remettre ! Comme personne n’a décrété qu’il était interdit d’apprendre et d’être évalué en s’amusant, on peut en profiter pour proposer quelques activités pédagogiques ludiques. J’ai ainsi mis en place un cycle de chasses au trésor dont les réponses aux énigmes devaient être postées sur le cours via une activité de type « devoir en ligne ». L’avantage était d’avoir un enregistrement de l’heure de soumission de la réponse, précis à la minute, permettant de classer les réponses des étudiants par ordre d’arrivée. De la célérité de la réponse dépendait la moitié de la note afin d’éviter que certains attendent que d’autres trouvent pour eux. L’autre moitié de la note portait sur la qualité de la réponse. Ce petit exercice fut un franc succès et permit même de les envoyer fréquenter sérieusement le service commun de documentation !

6. De la difficulté d’évoluer dans sa fonction d’enseignant Loin d’être une barrière technique ou intellectuelle, le vrai plafond de verre qui limite actuellement l’usage de notre plateforme pédagogique est avant tout d’ordre psychologique. Certains refusent de diffuser leur support au format électronique de peur d’être jugés… par leurs pairs ou d’être remplacés par une vidéo d’euxmêmes. D’autres parce qu’ils sautent à pieds-joints sur le droit d’auteur et qu’ils estiment qu’il serait trop fastidieux de le respecter, en citant les sources ou en demandant les autorisations nécessaires de reproduction, de modification ou de diffusion d’œuvres protégées. L’acceptation de cette conception très répandue équivaudrait à considérer le respect de la loi comme fastidieux et parfaitement dispensable et à dédouaner les enseignants-chercheurs de leurs obligations de citoyens sous les yeux de leurs étudiants. On imagine l’impact de ce non-sens moral érigé en norme vis-à-vis © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P55



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de citoyens en devenir ! Pourtant des solutions techniques existent pour concilier production de documents pédagogiques numériques et respect du droit d’auteur8 . Désormais, à chaque fois qu’un fichier est déposé sur la plateforme par un enseignant, celui-ci voit apparaître un menu déroulant lui proposant divers types de licences. Par défaut, la mention « Tous droits réservés » au bénéfice de l’enseignant est assignée au fichier, ce qui le rappelle à ses responsabilités. D’autres aspects de la plateforme pédagogique bousculent l’enseignant dans ses représentations. La posture dominante classique cède le pas à mesure que la communication multilatérale est encouragée par le biais des forums de discussion, des messageries instantanées et de l’ouverture vers le monde extra-universitaire. Toutes les actions formatrices ne passent plus forcément par un référent unique et c’est heureux. Ainsi, je délègue la fonction de pâtre aux étudiants responsables de groupe, chargés de motiver leurs camarades pour qu’ils atteignent un but commun. J’abandonne bien volontiers celle d’assistant technique au réseau d’anciens étudiants qui dépannent leurs jeunes congénères via le forum. Je ne prétends pas non plus être un puits de science, comme pouvaient l’être mes prédécesseurs car désormais l’important n’est plus de connaître une information, mais de savoir où la trouver et comment évaluer sa pertinence. Je peux me recentrer à travers mes enseignements sur une fonction de guide. Elle consiste à reconnaitre le terrain pour évaluer ses difficultés (préparation et bornage du projet pédagogique), proposer un itinéraire adapté à tous (planification des étapes du projet) et surveiller la progression du groupe (contrôle continu, consultation des statistiques d’accès aux ressources). En cas de grandes difficultés, je sais que je pourrai porter assistance à un membre du groupe, mais mes capacités sont limitées et tout le monde ne peut pas grimper sur mon dos ! Mon approche est donc de ralentir le pas si nécessaire pour que tout le monde puisse suivre. Le cours en présentiel est alors beaucoup plus inter actif et permet un approfondissement des notions abordées. Plus de contraintes horaires : ce qui n’a pas été dit en présentiel pourra s’auto-acquérir via les ressources du cours en ligne. Les étudiants les plus en avance pourront aussi y puiser matière à réfléchir en attendant que les autres les rejoignent. Le plus difficile est peut-être d’accepter l’obsolescence programmée de ses compétences. Le monde numérique évolue vite, aussi vite que celui de la recherche dont il est issu. Quand arrive une nou-

8 On citera par exemple le système de licences Creative Commons (http://creativecommons.fr)

P56 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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velle version de la plateforme, mon premier réflexe est généralement d’ordre conservateur : « C’était mieux avant ! Pourquoi ça a changé de place ? Ce n’est pas logique ! ». Puis, au bout de quelques mois, je m’interroge : « C’était comment avant ? ». C’est le signe que l’installation de ma mise à jour est terminée ! Partager l’expérience acquise, faire remonter rapidement les premiers bugs, demander des ajustements en termes d’ergonomie auprès des correspondants CELENE et des ingénieurs pédagogiques et techniques est un travail indispensable en parallèle à la gestion des cours en ligne. Ce n’est jamais du temps perdu car il y a toujours au bout de la démarche un bénéfice personnel et collectif.

Le point de vue de… Claude Hoinard, maître de conférences, correspondant CELENE de l’UFR sciences pharmaceutiques En tant que correspondant CELENE de mon UFR (1 000 étudiants, 70 enseignants), je suis chargé de créer des cours MOODLE (160 à ce jour) à la demande de mes collègues en m’appuyant sur la maquette des enseignements. Je fais également quotidiennement du conseil sur l’utilisation de MOODLE et j’anime régulièrement dans nos locaux avec l’ingénieur pédagogique des formations pour les enseignants débutants ou plus expérimentés. L’initiation des nouveaux étudiants fait aussi partie de mon rôle. L’aspect « proximité » est très apprécié des collègues qui ont un interlocuteur bien identifié et joignable, sinon visible très rapidement. Ils n’hésitent pas à m’interpeller, se sentent beaucoup plus à l’aise pour leur demande que s’ils devaient remplir un formulaire en ligne sans connaître le destinataire. Par ailleurs, j’ai vu au fil des mois l’utilisation de l’outil se propager dans

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la communauté et se banaliser, dans le bon sens du terme. Précisons que les étudiants sont très demandeurs et poussent les enseignants à en faire plus. La grande majorité des enseignants utilise donc MOODLE maintenant et même si beaucoup se limitent au simple dépôt de ressources, un groupe de plus en plus important s’est initié à d’autres activités ou ressources (forum, tests, devoirs, etc.) et découvre ce que la plateforme peut apporter comme plus-value dans la pratique pédagogique. Finalement, en tant que correspondant CELENE auprès des usagers, j’ai la conviction de contribuer utilement à l’usage du numérique pour la pédagogie, rôle valorisant s’il en est. Le point de vue de… Lionel Fandeur, ingénieur pédagogique En tant qu’ingénieur pédagogique (ou ingénieur en technologie de la formation), mon rôle est de conseiller et d’accompagner les enseignants, enseignants-chercheurs à la pédagogie numérique. Je fais partie du pôle de production pédagogique qui est intégré à la DTIC (Direction des technologies de l’information et de la communication), service central de l’université et relié directement à la présidence par son vice-président délégué aux TIC. Le pôle de production pédagogique garantit la cohérence des productions de ressources audiovisuelles et numériques en fonction des orientations stratégiques de l’université. Il développe des projets inter-établissements autour des TICE. Il propose un accompagnement aussi bien général que personnalisé selon les demandes des composantes, des départements, des enseignants dans leurs projets pédagogiques numériques. Il assure une veille constante sur l’émergence de nouvelles pratiques, grâce à son réseau national, et les adapte, le cas échéant, à l’enseignement dispensé au sein de l’université. Je suis le responsable de la plateforme d’enseignement de l’université d’architecture MOODLE, plateforme mutualisée avec l’université d’Orléans concernant plus de 40 000 étudiants et 3 600 personnels. Pour une meilleure remontée d’information autour de la plateforme, j’ai mis en place un réseau de 28 correspondants répartis sur l’ensemble des sites de l’université (1 enseignant et 1 technicien, tous bénévoles) afin de mieux répondre aux attentes des utilisateurs. Les correspondants sont la clé de réussite de notre plateforme. L’université devrait valoriser leur investissement. À titre d’exemple, grâce à leurs remontées, la plateforme possède maintenant une solution de podcasting totalement intégrée.

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Je participe à la mise en place de formations spécifiques (PAO, bureautique, audiovisuel) à destination des personnels (bureau des formations), des doctorants (CIMES) et des étudiants primo-arrivants (SEVE), d’enquêtes TIC auprès des étudiants pour préparer les besoins futurs. Au niveau national, je participe également aux réflexions nationales sur l’ingénierie pédagogique organisée par le ministère (DGESIP-MINES) ou lors de colloques et conférences (CIUEN, MOODLEMOOT, VIVALDI ou ANSTIA).

Le point de vue de… Brice Courtin, ingénieur technique Depuis début 2013, l’équipe technique se compose de deux personnes rattachées à la DTIC (Direction des Technologies de l’Information et de la Communication) de l’université de Tours. Nous sommes affectés au développement, à la maintenance et à l’assistance de niveau 2. J’y assure la gestion technique de la plateforme pédagogique des deux établissements (Tours et Orléans) pour les 50 000 utilisateurs. À ce jour, 2 000 enseignants ont au moins 1 cours sur la plateforme. Nous gérons plus de 5 500 cours comprenant 550 000 ressources déposées et générant 550 000 inscriptions/ an. En moyenne en 2013, 1 000 000 d’opérations ont lieu par mois. Un défi technique de tous les jours !!! Nous effectuons des développements complémentaires et des adaptations locales pour répondre aux demandes exprimées par les ingénieurs pédagogiques. 25 000 lignes de code sont maintenues en interne pour la version actuellement en production (MOODLE 2.3). L’ensemble des projets reliés aux plateformes pédagogiques est piloté par un comité composé des viceprésidents délégués aux TIC, des directions informatiques, des ingénieurs pédagogiques et de moi-même. J’y exerce le rôle de chef de projets (4 projets en 2013). Cette organisation permet de coordonner les projets entre les équipes des établissements, d’améliorer la qualité et l’attractivité de notre plateforme. Le prochain objectif de l’équipe est la mise à jour vers la version 2.4 de MOODLE, planifiée pour juillet 2013.

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P57

“Une réflexion

sur le e-learning qui envisage les perturbations causées aux repères classiques de temps et d’espace.



À propos de

Jean-Paul

Jean-Paul Moiraud est professeur de gestion en BTS design de mode et en DSAA (diplôme supérieur d’art appliqué) au lycée la Martinière-Diderot de Lyon. Il intègre et analyse le numérique dans ses enseignements depuis plusieurs années. S’il fallait qualifier son travail il faudrait probablement choisir le terme de praticien réflexif. Il est à la fois inscrit dans une pratique quotidienne de l’enseignement tout en prenant le temps nécessaire à l’analyse de cette dernière. Son parcours professionnel s’est construit dans un aller retour entre la recherche et l’usage. Il a participé pendant trois ans aux travaux de l’équipe Eductice de l’INRP (actuel ifé) comme chargé d’études et de recherche.

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Jean-Paul MOIRAUD

et Sébastien MOREAU

Synthèse et rédaction des propositions À propos de Jean-Paul (suite) ... Ses travaux se sont orientés vers une analyse des scénarios de pédagogie embarquée (SPE) « une représentation formalisée de l’organisation et du déroulement d’une situation d’apprentissage dans laquelle l’usage des fonctionnalités nomades des technologies numériques fait que l’enseignement-apprentissage s’exerce dans et hors les murs de la classe ». Il intervient depuis deux ans à l’école supérieure de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche pour la formation IFD (ingénierie de la formation à distance). Il est le concepteur d’un module de formation sur le temps et l’espace dans les dispositifs de formation à distance. Depuis cinq ans, son travail est orienté autour de la pratique et de l’analyse des questions de formation dans les mondes virtuels. Il participe aux travaux de la faculté de droit virtuelle (FDV) de l’université de Lyon 3 Jean Moulin dans le monde Second Life. Il est le co-concepteur d’un scénario de simulation de procédure pénale immersive. Il intervient dans la conception du module de droit des affaires canadien mis en place par la faculté de droit virtuelle. Il tient des chroniques régulières sur la e-éducation sur deux blogs « un blog pour apprendre, apprendre avec un blog » et « le tutorat en monde immersif » corédigé avec Jacques Rodet.



Un travail en forme de paradoxe puisque qu’il en est au stade de la formalisation étayée de ses pratiques de bricoleur.

Son métier, bien qu’inscrit dans l’enseignement secondaire, l’a amené à exercer une réflexion orientée vers l’enseignement supérieur. Il a participé à la corédaction d’ouvrages, aux éditions de l’ENS « L’éducation à l’heure du numérique. État des lieux, enjeux et perspectives », sous la direction de Christine Develotte et Françoise Poyet, (2011) et chez Larcier « Droit et mondes virtuels », (2013). Il a publié dans des revues papier comme Les dossiers de l’ingénierie éducative, (2009), L’école numérique, sceren (2013) et diverses revues en ligne. Jean-Paul MOIRAUD rejoint l’université Lyon 3 en septembre 2013. © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P59

L’organisation des

ateliers

Quatre séances d’ateliers ont été conduites sur la base des quatre entrées thématiques du colloque. Ces séances ont permis à des collègues de l’enseignement scolaire, supérieur, de l’interministériel et de l’international de croiser leurs regards. Des groupes restreints ont été constitués afin de faciliter la prise de parole, les témoignages, les échanges d’expérience et finalement l’émergence de propositions. 4 thèmes : • Enjeux sociétaux et lien numérique à l’ère du web 2.0 • Repositionnement des enseignants • Profil et place des apprenants • Apprentissage collaboratif en réseau

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Une réflexion, DES PROPOSITIONS

Jean-Paul MOIRAUD et Sébastien MOREAU ont réalisé les synthèses des réflexions, avec l’aide des animateurs d’ateliers et de quelques collègues volontaires. Une consigne commune au sein de ces ateliers :

« En partant des articles et des conférences tenues par les universitaires, visiter les contextes professionnels divers des participants et dégager des propositions concrètes possibles et réalistes. »



30

propositions pour agir...

Un conducteur d’atelier identique pour tous, et • 9 animateurs, praticiens de l’ingénierie de la formation à distance, • 9 participants volontaires pour assurer la prise de notes et leur mutualisation, une première séance de synthèse pendant le colloque, • 2 superviseurs parcourant les ateliers, puis en charge de synthétiser les différentes contributions selon le plan suivant : problématique, structuration des échanges illustrés par des idées fortes, et préconisations. © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P61

Synthèse

D’ATELIER

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Enjeux sociétaux et lien

NUMÉRIQUE À L’ÈRE DU WEB 2.0 « Je pense donc j’ai une page sur Internet » (Web 1.0) Comment concilier usages personnels et usages pédagogiques des outils numériques, cadrage vertical des « Je blogue donc je suis » (Web 2.0) activités et collaborations transversales ? L’usage du Les technologies numériques ont profondément modi- numérique peut être source de conflits dans un établisfié le jeu des acteurs du système éducatif, en France sement ; l’institution s’épuiserait à réguler les usages du comme à l’étranger, et de nombreuses incertitudes de- numérique et à tenter d’imposer ses outils. Il serait plus parcimonieux d’autoriser le choix des usages, d’obsermeurent sur les voies qui se dessinent actuellement. Le concept de Web 2.0 se caractérise par le développe- ver comment un support est investi puis de trouver un ment d’outils, d’usages et de services simples et interac- moyen de l’importer dans les apprentissages. tifs au service d’un principe stratégique central : « faire du Web une plateforme ». Il implique que l’utilisateur Une mise en cohérence des textes règlementaires avec d’un service hébergé par la plateforme lui ajoute de la les orientations politiques prises en faveur du numé« valeur ». Sous l’ère du Web 2.0, un utilisateur important rique s’impose à tous les niveaux de l’institution. Le est donc un utilisateur apportant beaucoup de valeur au principal enjeu institutionnel résiderait dans la capacité de l’éducation nationale à s’appuyer sur la souplesse, service. la flexibilité et la motivation des acteurs de terrain et à Parce qu’elle désigne implicitement des utilisateurs adapter sa boîte à outils aux problématiques locales. importants sans considération d’âge, de rôle social ou 3. Vaincre les peurs de position hiérarchique, la « valeurocratie » imposée « Il est impératif de réduire la fracture par le Web 2.0 est à l’origine d’un malaise diffus au sein numérique chez les enseignants. » de la communauté éducative. Comment être crédible lorsqu’on est moins « important » que ses élèves, ses L’usage des TICE n’est pas encore établi chez tous les collègues, sur le Web ? Les participants ont été invités à s’exprimer et à par- enseignants, même s’il est en progression. Leur utilisatager leurs expériences afin de mieux comprendre les tion est encore fréquemment ressentie comme une prise enjeux (1) et les impacts liés à la généralisation de l’uti- de risques vis-à-vis de la hiérarchie, des collègues, des lisation pédagogique du Web 2.0 et des autres techno- apprenants. logies numériques pour l’institution (2), les éducateurs Un renforcement de la formation théorique et pratique des enseignants en matière de TICE devrait contribuer (3-5) et vis-à-vis du contexte de classe (6). à agir sur l’anxiété des éducateurs et ne pourra qu’avoir des répercussions positives sur un enjeu sociétal de 1. Des enjeux de société « Créer du lien social entre les différents rang supérieur : l’attractivité du métier d’enseignant. acteurs de l’éducation. » 4. Changer son rapport au temps « Perdre du temps pour en gagner ? » Les acteurs de terrain évoquent largement l’apport du Web 2.0 en tant qu’outil de renforcement et d’élargissement de la communauté éducative. Le lien numérique Certains proposent une séparation radicale entre temps est un levier pour rompre l’isolement des enseignants avec ou sans numérique afin d’éviter les errances et les exerçant en milieu rural et gommer les inégalités inhé- vagabondages intellectuels des apprenants. D’autres rentes à la structuration socio-culturelle des territoires. considèrent l’errance comme nécessaire à un apprenIntroduire massivement la culture numérique dans les tissage de qualité. La position adoptée dépend étroiteétablissements, c’est donner corps à des valeurs édu- ment du contexte pédagogique et du degré d’autonomie catives fondamentales. Elle contribue à la construction des apprenants. L’appropriation des outils numériques est globalement du savoir-être et à l’apprentissage de la citoyenneté. considérée comme chronophage. Des indicateurs manquent encore pour évaluer objectivement les plus2. L’institution face au numérique « Où placer le curseur dans « éteindre ou values des outils numériques investis. allumer » les outils numériques ? »

P62 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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5. Composer avec l’expérience des apprenants en matière de numérique « Il n’existe pas d’antinomie entre la culture noble, littéraire, et le numérique. »

6. Intégrer les outils du Web 2.0 dans un contexte de classe « Le WEB 2.0 a une capacité à développer un travail collaboratif, à sortir de l’espace classe traditionnel. »

Le numérique impose une remise en question de la relation à l’apprenant, qui peut devenir plus directe et spontanée. Les enseignants se trouvent parfois dépassés par les compétences technologiques des élèves. La posture des enseignants devrait être plus flexible pour être encore crédible et tendre davantage vers l’arbitrage ou l’accompagnement. Accompagner les apprenants dans leurs usages des outils numériques ne peut que les aider à maîtriser les outils de la langue. Il devient tout aussi important de faire acquérir une culture de l’information et des médias numériques que de dispenser des connaissances académiques.

Plusieurs pistes très innovantes ont été proposées pour développer une pédagogie de détour s’appuyant sur le Web 2.0. L’utilisation de différents médias sociaux pose des questions juridiques et conduit parfois les enseignants à restructurer leur espace classe. Travailler avec des outils numériques institutionnels permet d’accéder à d’autres dimensions du travail collaboratif : les plateformes pédagogiques et les environnements numériques de travail (ENT) démultiplient ainsi les possibilités de travailler en mode projet et de bâtir à plusieurs les compétences de chacun.

9 propositions pour agir... • Intégrer l’usage du numérique dans la formation du citoyen. • Sensibiliser tous les corps de métier à la culture de l’information et des médias numériques afin de mettre en cohérence les objectifs et les moyens. • Penser la diffusion de cette culture selon un vrai continuum entre les niveaux et entre les formations. Accorder plus de temps à la pédagogie de projet s’appuyant sur des outils numériques. • Mettre en place les conditions permettant à l’enseignant d’observer, de se former, d’expérimenter puis de partager entre pairs. Reconnaître et valoriser le temps et l’engagement dans la formation et l’élaboration de ressources collectives. • Apporter des réponses institutionnelles sur les questions déontologiques et juridiques liées à l’utilisation des technologies numériques dans un contexte pédagogique. • Accompagner la réflexion des enseignants pour une utilisation pertinente et raisonnée du Web 2.0. Donner des pistes de mise en œuvre transférables. Mettre en place des formations adaptées aux besoins des acteurs. • Examiner objectivement les plus-values des médias sociaux dans les apprentissages. Former les enseignants aux usages pédagogiques des médias sociaux. • Encourager la co-construction du savoir, autoriser le choix des usages, accepter d’être surpris par les apports des élèves. • Penser le renouvellement de l’espace classe. Faire en sorte que l’environnement numérique de l’apprenant soit fonctionnel et appétant. Explorer les différentes dimensions (oralité, toucher, mobilité, accessibilité…) offertes par les technologies numériques les plus récentes. La version longue de cette synthèse est disponible à l’adresse suivante ou par le QR Code http://www.esen.education.fr/fileadmin/user_upload/fad/e-education/atelier_1.pdf © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P63

Synthèse

D’ATELIER

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Repositionnement des ENSEIGNANTS Notre histoire techno-pédagogique est remplie de fantasmes liés aux pouvoirs réels ou supposés des machines. Chaque tournant technologique s’accompagne de son lot d’envies, de projections vers un champ des possibles où le technologique le dispute à l’humain. Le numérique en général n’échappe pas à ce travers, l’éducation en particulier. Les participants au colloque se sont réunis en ateliers pour débattre d’une question sensible : le repositionnement des enseignants à l’heure de la e-éducation. Le métier doit s’adapter à la nouvelle donne technologique qui fait bouger les lignes de fracture habituellement acceptées.

de collaboration, qui rassemble dans un même creuset les technophiles et les technophobes. L’œuvre de balisage des contours du métier aidera à lutter contre des visions stéréotypées contreproductives. La e-éducation ne supprime pas un modèle ancien, elle le modifie et peut lui donner une plus-value. 3. Enseigner dans le cadre d’une chaîne d’éditorialisation pédagogique « Le rôle des personnels d’encadrement est important pour impulser les actions. »

Les concepts de coopération et de collaboration sont durablement inscrits dans les usages Les participants ont articulé leurs propositions de l’enseignement et de l’apprentissage. Il faut, autour de la définition et des contours du mé- en conséquence, apprendre à travailler avec une tier d’enseignant ainsi que de la e-éducation. Six communauté élargie, celle qui englobe les enseipoints leur ont paru particulièrement significatifs : gnants, les apprenants mais aussi les personnels de direction, les corps d’inspection et les corps techniques comme les ingénieurs pédagogiques. 1. Définir les contours du métier d’enseignant « Comment aider l’enseignant à devenir e-enseignant ? »

Il ressort de ces riches et intenses débats que le repositionnement du métier d’enseignant passe par le besoin de partager un vocabulaire commun. Il est besoin d’élaborer une définition qui soit acceptée par l’ensemble de la communauté scolaire, entendue dans son acception large, c’est-à-dire de la maternelle au supérieur. Si les enseignants peuvent (veulent ?) se repositionner, il faut répondre à la question suivante : « Qu’est-ce qu’être enseignant en ce début du XXIe siècle ? ». Il semble nécessaire, si l’on souhaite répondre à cet objectif terminologique, de produire un document de cadrage, type fiche de poste.

4. Une nouvelle chaîne, de nouvelles interactions « Comment amener les enseignants à travailler en équipe ? »

Apprendre à collaborer, c’est pour chacun intégrer l’idée que le changement par l’innovation ne s’inscrit plus dans un cadre spatial et temporel où l’injonction est un mode de gouvernance. Il faut insuffler de nouveaux modes d’action où le numérique est un instrument d’accompagnement du repositionnement des gouvernances locales. Ce changement de paradigme, c’est donc savoir enseigner au sein d’une chaîne d’éditorialisation pédagogique instrumentée où l’homme reste un maillon central. La e-éducation est ainsi inscrite dans une chaîne d’édi2. Définir la e-éducation torialisation qui croise intimement les compétences d’une multitude de métiers. Les méthodes de travail « Ne va t-elle pas supprimer le présentiel ? » réticulaires doivent se mélanger et s’articuler avec les habitudes de gouvernance hiérarchique linéaire. De la définition du métier d’enseignant à celle de la e-éducation, il y a un rubicon que les participants ont Le repositionnement du métier d’enseignant au sein de décidé de franchir. Les exigences du métier sont dé- réseaux multiples réoriente la définition de nouvelles sormais assises sur un socle, fait de coopération et gouvernances, plus souples, plus collaboratives. P64 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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La structure nodale des réseaux contraint les enseignants, au sein de cette gouvernance, à changer leurs postures professionnelles. Il revient aux professeurs du primaire et du secondaire d’adopter une posture réflexive et il incombe aux enseignants du supérieur d’inscrire la pédagogie dans leurs missions. 5. Prévoir une nouvelle gouvernance 5. 1. Formation initiale et continue Cette nouvelle gouvernance induite par le repositionnement du métier d’enseignant obligera à penser les enjeux de la e-éducation dans le cadre d’un continuum. Il faudra penser la formation au sein d’un segment qui débutera au sein de la formation initiale en Espé et se prolongera dans le processus de formation continuée. 5. 2. Définir de nouveaux temps Ce continuum qui lie la formation initiale à la formation continue inscrit le temps comme un élément

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phare de la e-éducation. Les technologies font émerger un temps recomposé qui permet de se former, comme disent les anglo-saxons, « everytime ». Ce temps ne s’additionne pas aux autres temps, il n’est pas neutre, il est devenu un temps spécifique, digne d’être reconnu et validé comme tel par l’institution. 6. Repositionner les enseignants, une démarche à risque ? « Être innovant, c’est prendre le risque d’exercer en milieu hostile. »

Au regard de tout ce qui a été évoqué dans cet atelier, il est indispensable que le repositionnement du métier d’enseignant puisse être sécurisé. Si les pionniers, les enseignants innovants, acceptent le risque, il faut que la généralisation puisse se réaliser dans un cadre le plus sécurisant possible.

7 propositions pour agir... • Engager la réflexion sur le statut du savoir : l’enseignant est-il encore un dispensateur ou un facilitateur ? • Engager une réflexion sur les métiers de l’enseignement à l’ère du numérique en redéfinissant les compétences à acquérir, les liens fonctionnels à engager, les évolutions prévisibles des métiers. • Définir le champ de la e-éducation pour permettre aux acteurs de travailler sur une base commune et d’identifier les compétences spécifiques de la formation à distance. • Encourager les pratiques réflexives chez les enseignants en commençant par une formation dans les Espé. • Permettre aux enseignants du secondaire de participer aux travaux d’équipes universitaires et les inciter à publier sur leurs pratiques et usages. • Encourager les universités à mieux valoriser les pratiques pédagogiques des enseignants chercheurs. Intégrer des formations à la pédagogie numérique à l’université. • Reconnaître et intégrer le temps numérique dans le temps de travail des enseignants en prenant en compte temps présentiel et temps distanciel.

La version longue de cette synthèse est disponible à l’adresse suivante ou par le QR Code http:// www.esen.education.fr/fileadmin/user_upload/fad/e-education/atelier_2.pdf © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P65

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Profil et place des APPRENANTS Le profil de l’apprenant d’aujourd’hui semble complexe voire paradoxal. Exigeant et rejetant tout formalisme, autocentré et ouvert à la collaboration, il apparaît comme autonome et pourtant totalement dépendant des autres pour pouvoir progresser. Le développement des technologies numériques interroge avec acuité la définition du positionnement des apprenants, face à des fonctions d’enseignant en plein redimensionnement. Trois axes de réflexion principaux ont émergé des discussions. Le premier fait le constat de l’hétérogénéité des profils d’apprenants et propose des préconisations permettant de la prendre en compte (1). Le deuxième a évoqué la modification du rapport de l’apprenant au savoir et son changement de positionnement à l’égard des moyens pédagogiques proposés (2). Enfin, les modifications des interactions sociales entre apprenants et enseignants ont été abordées sous l’angle de l’apport de l’apprenant en tant que moteur de l’évolution des rôles de l’enseignant (3). 1. L’hétérogénéité des profils d’apprenants « Les apprenants, ce sont aussi ces milliers d’élèves qui sortent du système éducatif, qui n’apprennent pas. » Les participants ont identifié plusieurs publics vis-àvis desquels les technologies numériques peuvent apporter des réponses pertinentes : élèves décrocheurs, empêchés, éloignés géographiquement, étudiants salariés… Pour ces apprenants, faute de solution adaptée et personnalisée, la classe n’est plus un cadre de référence, mais devient un problème. Or l’adaptation des approches pédagogiques est souvent l’occasion de mettre en œuvre des procédures d’enseignement plus interactives et conviviales (classes « inversées », Task-based Learning). La question du profil de l’apprenant adulte (« usager ou apprenant ? ») a été débattue et il a été suggéré de recourir à l’élaboration d’arbres des compétences.

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adaptées. Les outils numériques permettent une simplification et un approfondissement de la phase de positionnement de l’apprenant, indispensable à la personnalisation de son parcours d’apprentissage. La prise en charge de la diversité des difficultés rencontrées par l’apprenant doit être envisagée comme un objectif et non un frein à la démarche pédagogique mise en œuvre. 2. Positionnement des apprenants par rapport aux méthodes, outils et ressources éducatives numériques « Avec les smartphones, le savoir est dans nos poches ! »

« Il ne faut pas oublier que l’être humain se caractérise par le plaisir et la paresse. L’usage du numérique répond à ces deux aspects. » Certains participants ont évoqué l’influence grandissante de la culture numérique sur la dynamique d’apprentissage. Des pédagogues relaient le questionnement de leurs élèves sur le sens et le contenu du savoir transmis : « apprendre quoi, pour quoi faire ? » D’autres craignent que les outils numériques sédentarisent un peu plus des élèves « qu’on assoit pour la journée ». L’articulation entre approches pédagogiques traditionnelles et recours aux technologies numériques pose question. Le présentiel peut être plus efficace pour obliger l’apprenant à se conformer à des injonctions. Les outils numériques permettent une meilleure individualisation du parcours des apprenants tout en respectant davantage leur rythme d’activité. En donnant une dimension sociale aux activités proposées, la réussite de chacun conditionne la réussite de tous. Le e-portfolio peut accompagner l’élève de façon pérenne mais soulève la question du droit à l’oubli, à l’erreur. Les outils numériques renforcent la mise en activité des apprenants qui sont davantage associés à la construction de leur apprentissage.

L’autonomie des apprenants vis-à-vis des technoloLes différentes modalités de formation ouverte et à gies numériques serait relative. Une médiation vers distance (FOAD) permettent de prendre en compte les outils et l’usage que l’on peut en faire reste toul’hétérogénéité des publics et d’apporter des réponses jours nécessaire d’autant que les outils institutionnels P66 - © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013

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sont souvent délaissés. L’acceptabilité de la surveillance de données d’utilisateurs a été débattue (« suivi ou intrusion ? » ). 3. Positionnement des apprenants par rapport aux enseignants « L’apprenant peut être un levier pour faire évoluer l’enseignant. » Si le périmètre d’apprentissage est toujours cadré par l’enseignant, il doit s’adapter davantage aux caractéristiques des apprenants pour atteindre les objectifs d’individualisation et de prise en compte des prérequis. En parallèle, les apprenants manifestent de plus en plus une posture de consommateurs et certains remettent en cause le statut de

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l’enseignant, qui ne serait plus détenteur du savoir. La nécessité d’une véritable démarche d’ingénierie pédagogique apparaît comme une évidence pour tous les acteurs de terrain car il est urgent de continuer à donner l’envie d’apprendre. La problématique de l’évaluation a notamment mobilisé la parole de nombreux participants à l’atelier. De nombreuses fonctions nouvelles ont été confiées aux apprenants à l’occasion du développement de l’éducation numérique : autorégulation, autoévaluation, co-construction des ressources, choix du parcours et des usages, travail collaboratif en autonomie, etc. Il importe peut-être d’expliciter la nature et les attendus des responsabilités inédites qui caractérisent « l’apprenant 2.0 » afin qu’elles soient pleinement comprises et assumées par celui-ci.

8 propositions pour agir... • Positionner les apprenants à partir d’évaluations diagnostiques en s’appuyant sur des usages existants pour aller plus loin. • Reconnaître les particularités de chaque apprenant en lui permettant de choisir des contenus de formation adaptés à ses besoins et en concertation avec l’enseignant. • Associer activités facultatives et obligatoires pour faciliter l’individualisation en permettant un choix raisonné des activités dans le parcours de formation. • Individualiser le rythme en dimensionnant le temps d’apprentissage. Donner des périodes de réalisation plus larges que le temps strictement nécessaire. Apprendre à gérer son temps, à se donner des priorités et à les gérer seul et en groupe. • Construire un e-portfolio qui accompagne l’apprenant tout au long de la vie. • Reconnaître et organiser la diversification des lieux d’apprentissage en veillant à la complexité des outils numériques proposés. • Diversifier les services de tutorat et les modalités d’accompagnement. • Mettre en place, évaluer et reconnaître le travail de l’apprenant. Mesurer sa progression. Aider à la construction d’un arbre de compétences.

La version longue de cette synthèse est disponible à l’adresse suivante ou par le QR Code http:// www.esen.education.fr/fileadmin/user_upload/fad/e-education/atelier_3.pdf © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P67

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Apprentissage collaboratif EN RÉSEAU Il serait probablement réducteur d’imaginer que le numérique n’a eu d’effet que dans le monde de l’éducation. L’histoire nous enseigne que le XIXe siècle s’est caractérisé par les bouleversements occasionnés par la révolution industrielle et les changements profonds intervenus dans toute la société. Le numérique est-il de l’ordre de la révolution ? Le temps nous le dira, mais on peut prendre le risque de répondre par l’affirmative. 1. Collaboratif, coopératif, un besoin de cadrage conceptuel Les termes collaboratif et coopératif sont abondamment utilisés depuis que le numérique a envahi nos usages. Les contours de cet alpha et oméga de la pédagogie moderne restent cependant flous : sommes-nous en capacité de les définir précisément ? Il sera nécessaire de définir et d’inscrire durablement ces pratiques dans le paysage pédagogique. La réussite s’opérera plus probablement par construction de stratégies scénarisées inscrites dans le modèle de la conviction plus que par injonction. 1.1. Coopérer ou collaborer, une culture ou une injonction ? « Il est difficile de demander à des apprenants (enseignants) de collaborer alors qu’ils sont peu amenés à collaborer dans le cadre professionnel ». Nous devons nous interroger sur les enjeux des nouveaux modes de travail collectif. Sont-ils le résultat d’une envie ou d’une contrainte ? La réponse n’est pas tranchée et dépend largement du contexte de formation. Si les enseignants du supérieur et du primaire sont engagés depuis longtemps dans des pratiques collaboratives, les enseignants du secondaire semblent s’y engager plutôt par la voie contrainte des réformes. 1.2.. Coopérer et collaborer, acquérir une compétence sociale Travailler au sein d’une communauté de pratique, constituée de façon plus ou moins formelle, est une compétence sociale avérée. Le chemin à parcourir pour son acquisition est cependant long, il est pavé de résistances et de conflits prévisibles car « la réelle col-

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laboration est très difficile ». Il convient aux différents acteurs du monde éducatif d’opérer la transition entre le monde 1.0 et le monde 2.0 ; le chemin est long. 1.3. Coopérer et collaborer, une question de temps. « Dégager un temps pédagogique en dehors de son temps de travail pour éviter d’imaginer que l’on va se former de 22 heures à 24 heures par exemple. Cela pose la question du temps de travail. » Changer de méthode de travail est un processus lent, il faut donner tout d’abord le temps de l’expérimentation et de l’analyse notamment en passant par la démarche réflexive des acteurs. Passée la période de défrichage, il faut savoir trouver les articulations entre l’ancien et le nouveau modèle. Le travail collaboratif nécessite d’intégrer dans l’organisation du travail des enseignants des tâches spécifiques liées à l’individualisation, à l’accompagnement, à la motivation, à la remédiation. Ces tâches, notamment en ligne, prennent du temps « la régulation, l’accompagnement demandent du temps pour les enseignants ». Il appartient aux décideurs de calibrer la nature du passage entre l’ancien et le nouveau modèle de formation, additionner ou soustraire ? 2. Des outils aux fonctionnalités pédagogiques « La partie de la formation aux outils ne doit pas être négligée. » Si l’apprentissage collaboratif en réseau oblige les acteurs à développer des stratégies spécifiques, il ne faut pas pour autant négliger les aspects technologiques des outils. Les enseignants et les apprenants doivent être formés aux aspects manipulatoires des solutions mises à disposition. Ce temps de formation est incontournable même si les « digital natives » ont, pour la plupart, acquis ces compétences de façon informelle en dehors de l’école. 3. Apprendre à apprendre, des méthodes au-delà des outils « La formation est une activité sociale » ; « où met-on le curseur entre collaboratif et coopératif ? »

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Il convient de résoudre cette question car la méthode collaborative transforme le rapport d’enseignement/apprentissage en provoquant « une diversité de la qualité des messages et des usages ».

et d’apprentissage qui s’exercent à l’évidence dans le contexte formel du cadre administratif.

4. Évaluer la collaboration : de l’individuel au collectif

La question de la collaboration à distance s’est invitée dans les débats sur la e-éducation. Les enseignants et les apprenants travaillent au sein de dispositifs instrumentés via les réseaux. Le sentiment de distance et de solitude numérique peut s’installer chez les apprenants, entraînant des risques de décrochage. Tout l’enjeu des constructions, qu’elles soient institutionnelles ou de type environnement personnel d’apprentissage (EPA), est de lutter contre le sentiment de solitude numérique.

Les travaux collectifs débouchent sur la production de ressources pédagogiques construites collectivement. Ce changement de statut amène la communauté enseignante à poser un ensemble de questions : peut-on valider individuellement un travail collectif ? Comment valider un travail collectif ? Le collectif peut-il s’inscrire comme instrument de validation des activités des pairs enseignants ? 5. Coopérer et collaborer, une culture ou une injonction ? « Parfois l’injonction peut être contreproductive et freiner les bonnes volontés. » Les modifications des postures d’enseignement et d’apprentissage s’exercent à l’évidence dans le contexte formel du cadre administratif. Il ne faut pas que ce travail s’inscrive uniquement dans le format de « l’injonction à ... » mais soit accompagné et soutenu. Il est donc nécessaire que, dans ce cadre, on puisse déterminer les modifications des postures d’enseignement

6. Est-ce que la distance facilite la collaboration ?

7. Finalement, quelle est la plus-value de la collaboration ? Quels usages ? Les méthodes coopératives et collaboratives au sein des réseaux se diffusent grâce aux expérimentations sur le terrain faisant évoluer les usages vers des méthodes moins rigides, plus fluides. Le collaboratif s’inscrit dans le paysage éducatif, c’est ce qu’ont rappelé de nombreux participants en citant la formation des nouveaux enseignants au sein des Espé et la formation continue en ligne des professeurs des écoles. Le changement est en cours ; le développement du travail en réseau y participe.

6 propositions pour agir... • Engager une réflexion sur la production et la mutualisation de ressources collaboratives. • Former les enseignants au mode de travail collaboratif dans le but de faire évoluer les pratiques tout en rassurant et en donnant confiance au corps enseignant. • Engager un travail de repérage et de valorisation des travaux des enseignants pionniers afin de les utiliser auprès de la communauté enseignante. • Sensibiliser les cadres aux enjeux des méthodes collaboratives via une formation spécifique. • Penser de nouvelles méthodes d’évaluation, notamment la prise en compte de la ressource collective. • Penser les outils numériques institutionnels en imaginant une interopérabilité avec les instruments des EPA (environnement personnel d’apprentissage).

La version longue de cette synthèse est disponible à l’adresse suivante ou par le QR Code http:// www.esen.education.fr/fileadmin/user_upload/fad/e-education/atelier_4.pdf © ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P69

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Participant : « Félicitations... pour la haute ten ue de ce colloque e t la pertinence d es échanges auxqu els il a donné lie u. Merci à vous po ur ces moments rares de félicité intelle ctuelle dont je vo us suis redevable. »

tée à Intervenant : cier de m’avoir invi er m re us vo à is na ani« Je te us félicite pour l’org vo Je . ce en ér nf cette co vous remercie égaJe e. éé cr ce an bi sation, l’am vivre une toute prede is rm pe ir vo ’a lement de m de web radio. » mière expérience

Intervenant : « Je tenais à vous reme rcier pour m’avoir don né l’occasio n de participer au c olloque que vous avez organisé de main de ma ître : 3 jours denses et v raiment inté ressants. »

Quelques RE

t: Participan t des resn o r e s e C « rticulièrea p s e c r u so pour pour s e il t u t n me éflexion. » suivre la r

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Participant : « Encore félicita tions pour ce colloque qui n ’a pas fini de faire «phosph orer» les participants. »

environ t: s n n a io t ip é ic t s r u a P no scolloque, e c e eu l’impre d s s a r p o i ’a «L n je ipants, et nonyme» a e t n a 200 partic ip ic «une part c un bon e v a r e g sion d’être n ha voir pu éc ateliers. » s e d s r lo du fait d’a es s personn e d e r b m o n

Intervenant : « J’en retire bea ucoup plus qu’une présence classique à un colloque. C e fut un bel exercice intellec tuel. »

ETOURS... Participant : me que vous nous m ra og pr au ce râ «G qualité des intervela à et é os op pr avez grandement mes er id ol ns co pu i j’a nants, on ouvrir largement m connaissances et t, re. Bravo, égalemen horizon en la matiè ique qui a été d’un st gi lo ie rt pa la ur po ité. » haut niveau de qual

© ESEN, Colloque international e-éducation, 2013 - P71

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Place des apprenants et repositionnement des enseignants à l’ère des réseaux sociaux de formation du mardi 14 au jeudi 16 mai 2013 ESEN - POITIERS

Réalisation Yannick BERNARD, responsable de formation [email protected] Olivier DULAC, chef de projet [email protected] © ESEN, pôle innovation, 2013 sur une maquette «Liner Communication» Jean-Marie PANAZOL Directeur de publication

 

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