L'entreprise de l'antiquité à nos jours - Université Populaire de ...

Les sociétés de capitaux romaines n'ont pas réussi à faire sauter ses freins ..... bienfaits de la science, de la technique, entraînent la prolifération des outils ...
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CONFÉRENCE DU FORUM DES SAVOIRS “Plus l’être humain sera éclairé, plus il sera libre.” Voltaire

L’ENTREPRISE, DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS CONFÉRENCE PAR FRANCINE SANNINO

Association ALDÉRAN Toulouse pour la promotion de la Philosophie MAISON DE LA PHILOSOPHIE 29 rue de la digue, 31300 Toulouse Tél : 05.61.42.14.40 Email : [email protected] Site : www.alderan-philo.org

conférence N°1000-247

L’ENTREPRISE DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS conférence de Francine Sannino donnée le 06/03/2009 à la Maison de la philosophie à Toulouse Grande ou petite entreprise, entreprise industrielle ou artisanale, entreprise de production ou de services, gouvernement ou chef d'entreprise, partenariats ou accords d'entreprise, comité d'entreprise, entreprise éthique et citoyenne, confiance ou moral des entreprises… Bien que n'ayant aucune consistance juridique parce que non définie par le droit, "l'entreprise" est présente à tous les instants : le droit donne les règles juridiques qu'elle doit respecter, les journaux télévisés ou écrits nous racontent des histoires d'entreprises, nous employons quotidiennement le mot entreprise. Alors qu'est-ce que l'entreprise ? À quel moment est née la notion d'entreprise ? Et comment a-t-elle évolué ?

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L’ENTREPRISE, DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS PLAN DE LA CONFÉRENCE PAR FRANCINE SANNINO

I

L'HISTOIRE DE L'ENTREPRISE La description de faits du passé nous aidera à comprendre la naissance et l'évolution de l'entreprise, cette histoire se découpe en deux grandes périodes d'importance très inégale dans le temps. 1 - La naissance de l'entreprise dans l'histoire Cette naissance ne permet pas de qualifier des structures existantes d'entreprise. A - Jusqu'au XIe siècle : Les entrepreneurs hardis ou la préhistoire de l'entreprise 1 - Les échanges a - Le commerce - dès le paléolithique, le silex résineux de Grand-Pressigny se répand dans le centre et l'est de ce qui deviendra la France - au IIIème millénaire avant JC, Our (embouchure de l'Euphrate) est un marché international : - bitume de la région - cuivre du Caucase - argent de Cilicie en Asie Mineure - or du Cappadoce - albâtre des plateaux iraniens, - bois de Syrie - mais aussi les hommes. - Les marchands de Sumer fondent des colonies le long des fleuves : ils négocient avec les puissants des lieux le droit de commercer et d'être protégés. Ils véhiculaient des marchandises, mais aussi des informations et des idées. - Contraints de dialoguer entre eux et de vérifier nature et contenu des transactions, ils sont à l'origine de la première écriture connue de cette partie du monde. - Il existait donc des marchands capables d'organiser ces trafics, et des transporteurs et des marins. - Et en simplifiant, on peut dire que dans l'Antiquité, il coexistait deux types de civilisations : le premier fondé sur la conquête des territoires, le second fondé sur l'échange et l'influence économique. - Au fur et à mesure que les villes se forment, les marchés se développent. Sur les places d'Orient, on voit des boutiques et des ateliers. En Grèce et à Rome, la place du marché est vaste et bordée de boutiques. Mais paysans et artisans y vendent les surplus de leurs productions, - Et personne ne vend ce qui a été produit par d'autres. - Il y a donc échange mais pas entreprise. - À partir du IIème siècle avant JC, c'est l'hégémonie de Rome sur l'ensemble du bassin méditerranéen tandis qu'en Asie la dynastie des Han réussit l'unification politique et administrative, la standardisation des unités de mesure et de la monnaie. Les voyages pour les Indes étaient réguliers. - Il est à noter que Rome a fait de l'espace méditerranéen un véritable marché commun. - Mais il faut noter que Rome est une machine à consommer qui ne produit pas. Elle consomme des richesses mais ne sait pas les démultiplier. Elle n'est pas source d'avancées techniques. En revanche, c'est une grande importatrice qui provoquera un déficit de la balance commerciale qui ne cessera de se creuser. - Or l'insécurité est constante à cette époque : donc le commerce s'adapte et se développe pendant les périodes de tranquillité, pour se raréfier dès que l'insécurité revient (retour à l'autarcie).

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b - La banque Tous ces échanges exigent des efforts et des prises de risques importants : moyens de transport et infrastructures inexistantes, sauf les routes empierrées des romains. Les services bancaires et d'assurances se révèlent nécessaires dans cette période. Il ne faut pas oublier que les prêtres des temples ne laissaient pas dormir les trésors et les denrées périssables : ils en prêtaient une partie et demandaient aux emprunteurs de rendre plus qu'ils n'avaient emprunté. Les temples étaient des lieux sûrs, donc le public y confiait des dépôts que les prêtres pouvaient prêter. Les tablettes de comptabilité retrouvées dans les ruines du temple d'Ourouk témoignent de cette activité bancaire. L'apparition de la monnaie métallique va déplacer les pratiques de prêts des temples vers les spécialistes des monnaies : orfèvres, changeurs, collecteurs d'impôts, puis banquiers. En Grèce, chaque ville bat monnaie. A Athènes, les lois de Solon reconnaissent la liberté des taux d'intérêt qu'Aristote critiquera car il considérait que l'argent doit rester stable et non être multiplié dans le temps (opinion que Saint-Thomas d'Aquin partagera). N'oublions pas que le monde moderne n'a rien inventé : les banques avaient la responsabilité de la frappe de la monnaie, et Sinope, directeur d'une banque et père de Diogène, a eu l'idée d'alléger les pièces pour relancer l'économie, et a déclenché en réaction une hausse générale des prix. Les Romains n'étaient pas attirés par les métiers d'argent, alors que les conquêtes nécessitaient des fonds. Ce sont donc des banques privées tenues par des Grecs qui vont se développer. Les Romains vont apporter des règles dans les pratiques bancaires : tenue d'un état des comptes. Au IIème siècle, des chevaliers se tournent vers les affaires : ils essaient de prendre en main la ferme des impôts et la gestion des marchés publics, et pour cette raison ils seront appelés "publicains". Ils se regroupent en sociétés aux actions négociables. Ils partageaient éventuellement les actions avec les "negociatores", chargés de négocier pour les légions romaines. Ils plaçaient des obligations de leur société dans le public. D'autres hommes d'argent formaient des sociétés de personnes dans lesquelles chacun des participants était responsable pour le tout. Ils montaient avec les publicains des opérations de commerce voire d'industrie. Ils sont les ancêtres des banquiers d'affaires. 2 - La production Dans ce domaine également, le monde moderne n'a rien inventé. La division du travail apparaît très tôt. Par exemple la taille du silex est une spécialité : le haveur dégage des blocs de silex traités par des mineurs et des tailleurs. Mais cette organisation est loin de l'organisation productive capable de produire massivement pour le marché. a - Des très petites unités On observe dans l'Antiquité des embryons d'entreprises dans l'univers des travaux agricoles et des productions artisanales, mais nous avons très peu d'informations sur le travail de production industrielle. À Athènes, ces industries concernent la céramique et surtout les mines de plomb argentifère. Ces mines étaient propriété de l'État qui en concédait l'exploitation à des particuliers. Pour les constructions de bâtiments décidées par le peuple, une commission était désignée pour conclure des contrats de réalisation coordonnés par un architecte véritable chef de chantier. En dehors de la concentration géographique représentée par les mines ou de la concentration temporaire pour les chantiers, les cités grecques n'ont pas d'entreprises industrielles. Les productions étaient réalisées dans de très petites unités. Par exemple le père de Démosthène, fabricant de couteaux et d'armes employait trente esclaves. L'industrie textile reste familiale. b - L'interventionnisme d'État À Rome les artisans sont groupés en corporations. Les grandes conquêtes du IIIème et IIème siècles sont accompagnées de pillages qui font arriver des richesses, ce qui crée une envie de luxe et un appel de la demande. Ces victoires amènent en même temps de grandes quantités d'esclaves orientaux. Cet afflux va donner des idées à certains propriétaires qui spécialisent des groupes d'esclaves dans des productions artisanales en grand.

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Par exemple, Crassus faisait travailler 500 esclaves maçons, charpentiers, spécialistes de la construction afin de réhabiliter les quartiers incendiés de Rome qu'il avait achetés à vil prix. On voit des essais de rationalisation de type industriel, dans le textile notamment. Tarente et Ancône étaient spécialisées dans la fabrication de la pourpre et de la teinturerie. Syracuse était réputée pour ses lainages. Modèle et Parme étaient connus pour les lainages ordinaires fabriqués en série. Mais ces unités de production restaient artisanales. On peut observer que la richesse développée à Rome profite à une minorité et ne sert pas à un développement durable. Au fur et à mesure de la puissance de Rome, il s'avère que celle-ci n'a pas de base économique véritable au contraire de l'Orient, de l'Égypte, de la Gaule, de l'Espagne, des autres contrées d'Europe et d'Afrique. En effet, le développement des grandes propriétés privées ou d'État a ruiné des agriculteurs et a laissé des citoyens sans ressources propres. L'État est donc intervenu en lançant une politique de prélèvement fiscal, provoquant une fuite de l'or. Le manque de monnaie a conduit à une dévaluation systématique, qui provoqua une hausse massive des prix, ce qui a provoqué l'arrêt du commerce, et a aggravé la situation en arrêtant les rentrées fiscales. Les actions des empereurs en renforçant la fiscalité, en supprimant les libertés individuelles ont conduit à la fin de l'empire. À l'époque déjà, l'empereur Vespasien avait interdit l'usage du progrès technique pour préserver l'emploi : il avait interdit l'emploi de machines pour installer les colonnes du Capitole. 3 - Ce qui explique la vulnérabilité des sociétés antiques ou pourquoi les entreprises ne pouvaient se développer La structure de la population active et de l'économie Au temps des pharaons et dans l'empire romain, 2/3 des personnes actives étaient dans l'agriculture. Les mines employaient 0,15%, l'artisanat 9,5 %, les transports 1,1 %, le commerce et la finance 4,5 %. Ces proportions se retrouvent dans les pays non développés (Égypte en 1920). L'activité artisanale concerne l'agroalimentaire pour 25 %, le bois pour 17 % et le textile pour 25 %. Les activités se juxtaposent localement dans une région, et malgré les échanges, les marchés sont limités. Il n'était donc pas possible de concentrer des moyens de production à partir du moment où il n'existait pas de débouchés. Un artisan qui aurait eu par hasard l'esprit d'entreprise en aurait été empêché par les règlements et les guildes. L'organisation maintient l'offre inférieure à la demande et les prix élevés. Les ressources des agriculteurs, des artisans et encore plus des esclaves sont faibles et peu de clients disposent d'un fort pouvoir d'achat. Les sociétés de capitaux romaines n'ont pas réussi à faire sauter ses freins parce qu'elles étaient conçues pour l'exploitation de privilèges et non pour le développement de la production et de la vente. Les sociétés paient à l'État les sommes convenues dans les contrats de concession en escomptant en retirer beaucoup plus : cela les conduit à ponctionner les territoires conquis dans le but d'exploiter les ressources naturelles. De plus les Romains pratiquent l'usure au détriment des provinces : l'argent converge vers Rome où les taux d'intérêt sont bas alors que la raréfaction de l'argent dans les provinces font remonter les taux d'intérêt. Et comme notre monde moderne n'a rien inventé, les publicains romains sont tentés d'emprunter à Rome où l'argent est abondant pour prêter dans les provinces où l'argent est rare, ce qui a asséché les activités dans l'ensemble de l'empire. Il existe quand même quelques manufactures : près d'Arles, huit moulins traitant chacun 300 kg de grains à l'heure, les grains et la farine sont entreposés et ensachés, il existe une direction. On sait que certaine production de papyrus était organisée ainsi. Le seul objectif était l'autosuffisance Chaque ville devait se suffire à elle-même. L'empire romain offrait deux conditions qui auraient pu conduire à un démarrage industriel : l'existence potentielle d'un marché important et des moyens de communication à peu près sûrs, mais le fait de prélever en permanence des ressources sur les territoires dominés a bloqué cette possibilité. Le poids des mentalités et des idées dominantes est la cause principale La Grèce antique a vu fleurir les recherches. Gresibios, Philon de Byzance, Héron d'Alexandrie, Archimède ont découvert de nombreux principes physiques : pression de l'air, de l'eau, force des leviers, roue… Ils ont pensé s'en servir pour la construction de machines de guerre, mais pas de machines de production. On notera que la Chine, à l'origine de nombreuses inventions techniques, n'a pas su les mettre à profit pour l'amélioration du niveau de vie du plus grand nombre. Le souci de l'homme n'était pas au centre des préoccupations.

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B - Du XIe au XVe siècle : L'entreprise marchande ou le développement des villes 1 - De la contraction des échanges… Il faut tout d'abord évoqué la période intermédiaire entre la chute de l'empire romain et le XIème siècle. La succession des invasions désorganise les sociétés : les cultures sont médiocres, les moyens de communications disloqués, les populations de l'Europe du Nord et du Centre sont faibles. A l'ouest de l'Europe, les méthodes agricoles romaines ont amélioré la production. La population a augmenté. Dès le VIIème siècle, des villes se distinguent par leur dimension économique : Pavie, Plaisance, Lucques, Vérone… Les invasions permettent la diffusion de certaines techniques : la charrue avec les Romains, la métallurgie avec les barbares, la maîtrise de l'eau et du vent avec les Arabes… Mais l'Europe occidentale n'est pas au centre de l'économie. En revanche, l'empire byzantin avec son économie dirigée possède une flotte importante, le commerce y est libre et les banques non. La société en commandite, provenant des pratiques de la confédération maritime d'Athènes et de Rhodes, y est la forme la plus courante des entreprises commerciales. L'espace arabe connaît également une période de prospérité, mais il y a peu de contacts entre les deux. Par exemple à Cordoue, l'agriculture est efficace, les mines sont mises en valeur, le commerce est encadré par des corporations et se pratique entre villes, mais l'économie est entièrement dirigée par le califat. On observe une percée marchande vers le premier État russe autour de Kiev : les commerçants de Byzance ne trouvant plus de débouchés en Syrie et Égypte occupés par l'Islam ont remonté le Don et la Volga pour vendre sur les marchés Khazars, et se dirigent également vers la Baltique (Lübeck, Stettin, Novgorod). Les Varègues ou Suédois descendent quant à eux vers la mer Noire. On note des colonies marchandes en Bohême (Pologne). Ces lieux forment des ensembles économiques dispersés. Un fait majeur est à noter : l'Angleterre forme dès le Xème siècle un seul royaume. Et Londres échange de la laine contre des produits rares en provenance d'Orient. On peut retenir cette unité comme une explication du développement ultérieur précoce de l'Angleterre en tant que puissance industrielle et commerciale car elle a su, avant les autres, avoir un marché de base cohérent pour le développement des entreprises. En ce qui concerne les monnaies, l'or circule à Byzance et dans l'islam, l'argent en Europe de l'ouest qui a moins besoin de monnaie en raison de la faiblesse des transactions. Les invasions germaniques, la montée de l'Islam, la séparation entre l'empire carolingien et l'empire byzantin, l'affaiblissement de Byzance entraîne une très forte réduction des échanges jusqu'au Xème siècle. Toutefois, l'Islam ayant sombré dans l'anarchie, Byzance redevient l'intermédiaire entre l'Asie et l'Europe occidentale, aidée par les ports italiens : Amalfi, Salerne, Naples, et surtout Venise. Venise construit des bateaux de fort tonnage qu'elle protège par une flotte de guerre. Elle signe un traité de commerce avec Byzance : droits de douane et accord de juridiction en cas de conflits commerciaux (l'OMC n'a rien inventé). Le dynamisme marchand de Venise vient du fait que le commerce est entre les mains d'hommes libres. 2 - … Au renouveau Les Croisades Les motivations économiques vont vite remplacer la motivation première de la foi. Les croisades modifient les rapports de force entre les États, ont accru les échanges, favorisé le développement des républiques marchandes. Les mouvements d'argent rendus indispensables favorisent le développement de nouvelles techniques bancaires en particulier par les Templiers et les marchands italiens. On voit apparaître une nouvelle économie et politique : redistribution des ressources et de la propriété par les Croisés qui vendaient leur terre ou accordaient des chartes de franchise pour subvenir aux frais de leurs expéditions. La découverte des mondes lointains favorisent également la dispersion des données culturelles. Au XI, XII et XIIIèmes siècles, les activités économiques se développent, la population s'accroît, et les hommes mettent en œuvre les techniques disponibles en les améliorant, et modifient de ce fait l'organisation économique, monétaire et financière. Toutefois ce bond ne sera pas uniforme et général. La pluviosité du début du XIVème siècle amènera la famine, la peste noire qui suivra tuera le tiers de la population, et la guerre de Cent ans suivra. Les inventions qui participent au renouveau

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- L'énergie : l'énergie hydraulique que le moulin à eau utilise peut être comparée à l'importance du pétrole aujourd'hui. Ce sont les moines cisterciens qui sont les meilleurs spécialistes des quatre opérations de l'époque : écraser le grain, tamiser la farine, fouler le drap, tanner les peaux. Des tuyaux de plomb ou de bois diffusent l'eau courante. Les moines diffusent l'usage de l'outillage en fer. - L'arbre à cames va jouer un rôle important pour transmettre ou commander le mouvement d'une machine. - Le papier, introduit en Europe à la fin du XIIIème va être fabriqué par des moyens mécaniques alors qu'en Chine il reste fabriqué à la main et aux pieds. Il va permettre la diffusion de traités expliquant la modernisation de l'attelage, la traction, la manière de ferrer les chevaux. La forêt fait vire une multitude de petites entreprise : charpentiers, fabricants de cordes, de charbons de bois, métallurgistes, briquetiers… - Le bateau à proue, le gouvernail d'étambot, la boussole : les transports se perfectionnent et permettent aux entreprises marchandes de prospérer. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque une innovation technique a besoin d'une centaine d'années pour être connue et appliquée en plusieurs endroits. - Les instruments de mesure vont se développer et annoncer la productivité : l'apparition des premières pendules mesurant le temps, la notion d'étalon pour mettre en place des systèmes mesurant les poids, l'apparition des livres comptables tenus en partie double. On peut parler d'environnement intellectuel propice à la recherche : compréhension du monde et applications concrètes. C - Du XIVe au XVIIIe siècle : Les précurseurs de l'entreprise moderne 1 - Le XIV et XVèmes siècles À la fin du XIVème siècle, le nombre des entreprises marchandes a augmenté. Mais les entrepreneurs sont spécialisés et limités dans leur développement par le manque de capitaux. Pourtant on voit apparaître un nouveau type de marchand qui va être le précurseur de l'homme d'affaires moderne : on voit certains marchands jouer à la hausse du seigle quand le marché est mal approvisionné, prévoir à Florence quelles peaux de Russie qui se vendront le mieux à Londres l'hiver suivant, essayer de savoir si à Bruges les drapiers seront capables de supporter la baisse des prix résultant de la raréfaction des laines anglaises ou bien décideront de travailler la laine moins chère des moutons mérinos castillans. Ce nouvel homme d'affaires élargit son cercle d'action, prend des risques et joue avec le marché, il annonce l'entrepreneur moderne qui ne peut agir seul, et qui a besoin de spécialistes : on se dirige vers une organisation de l'entreprise marchande qui va séparer les fonctions de direction, d'exécution (voire de production), de financement, en vue de maîtrises des espaces plus vastes et la complexité des produits et des clients. C'est le moment où l'individuel, c'est-à-dire l'organisation temporaire d'intérêts, est franchi grâce au capitalisme et l'on voit se dessiner l'organisation durable. L'entrepreneur marchand devient industriel en faisant travailler des artisans : il leur procure la matière première et récupère les pièces fabriquées. Il se charge de la vente et prend donc tous les risques. Il s'occupe du financement et des changes : la laine est payée dans une monnaie, travaillée dans une autre et vendue dans une troisième. Sa préoccupation première est de tenter d'échapper aux contraintes des guildes et autres corporations, de rechercher des zones de travail moins chères et plus libres, autrement dit de pratiquer le dumping social (vraiment, l'économie moderne n'a rien inventé). De tout temps, les producteurs ont cherché les endroits où ils pensaient pouvoir bénéficier de meilleures conditions de production. A terme, cela a contribué à améliorer le niveau de vie des travailleurs, les coûts de production s'ajustant sur les normes générales et les régions réglementant progressivement le social. - La recherche d'un monopole est un phénomène permanent dès cette époque. Toutefois les caprices des princes remettent en cause à chaque instant les bénéfices tirés des monopoles accordés, plus que la pression des concurrents. - Les entrepreneurs font un constat : les affaires sont dépendantes des aléas politiques, des luttes d'influence, des guerres et l'économique est soumis au politique. Pour pouvoir être entrepreneur, il faut s'adapter et saisir les opportunités. Et ce sont les relations régionales qui l'emportent, chaque ville exploitant son arrière-pays avant d'échanger avec l'extérieur. Les transports, leur amélioration, façonnent le commerce et les entreprises. Finalement les marchandises voyagent de plus en plus, les entreprises majeures s'internationalisent au sens de cette époque. - Le capitalisme de cette époque, bien que différent de l'actuel, est basé comme lui sur la recherche de marchés rentables, le calcul prévisionnel, l'exigence de profits. Et l'entrepreneur ne conduit pas des milliers d'hommes mais, de même que celui d'aujourd'hui, il doit décider sans disposer de tous les éléments de décision, choisir entre des politiques, investir à bon escient et se mettre en position de survie. Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-247 : “Lʼentreprise de lʼantiquité à nos jours“ - 06/03/2009 - page 7

Et on retrouve en permanence la qualité de l'information et la qualité de formation des collaborateurs comme atouts de leur réussite : en effet, travailler avec des villes différentes comme Londres, Séville, Gênes, Barcelone, Brême, Bruges, Lyon pose des problèmes de compréhension du milieu et d'information. Les Florentins, par exemple, mettent en place des méthodes d'information pour s'informer sans informer les autres sur ce qui représente le cœur des affaires pour eux. Des tarifs, des encyclopédies, des tables arithmétiques facilitent le travail pour les agents des marchands qui leur doivent une information systématique : cette organisation ressemble à celle des entrepreneurs japonais d'aujourd'hui où chaque délégué d'une mission à l'étranger a le devoir de rendre compte tous les jours. La firme qui dispose du meilleur réseau, des agents les mieux informés, des actions les plus rapides est celle qui remporte la prime; et la Hanse est à l'époque la meilleure. C'est dans le domaine des moulins qui sont d'un très bon rapport que l'on voit apparaître des sociétés s'apparentant aux sociétés anonymes du XIXème siècle, par exemple ici à Toulouse avec la société du Bazacle dont les actions s'achètent et se vendent librement. Et les marchands se groupent afin d'attirer les économies de collègues modestes bridés dans leurs ambitions, les boulangers, forgerons, orfèvres se laissent tenter, et aussi les hommes de loi, les officiers de finance, les ecclésiastiques. Afin de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, ils vont multiplier les commandes. Toutefois un quart (1/4) des sociétés est constitué pour moins d'un an, un tiers (1/3) pour un an et une société sur dix (1/10) est prévue pour durer cinq ans. C'est une amorce des sociétés modernes, sans toutefois le caractère de durabilité de l'entreprise. Les banques vont faire des progrès décisifs à partir de 1350 quand en Toscane l'augmentation du volume des affaires va rendre nécessaire la distinction entre le financement, la direction, le travail salarié. Les marchands se transforment en financier, et regroupent les capitaux en provenance de membres d'une même famille : les Médicis, les Peruzzi, les Fugger, les Bardi, et d'autres associés qui peuvent apporter leurs capitaux à ces familles, et d'autres compagnies empruntent qui ont souvent des succursales multiples. Il est à noter que là également le monde moderne n'a rien inventé : Giovanni di Bicci, de la famille Medici , entre dans une petite société bancaire et en fait la base d'une forte compagnie. Il sépare les affaires en divisant le capital : aujourd'hui les groupes comportent des dizaines voire des centaines de sociétés organisées comme des sas de sous-marins, chacune comme une case étanche afin de ne pas inonder la société voisine en cas d'accident. L'église a failli bloquer ce développement en s'opposant à l'usure. Mais le besoin de change va permettre son développement. Et les besoins des barons, des princes et des rois, du Pape pour partir en croisade, faire la guerre, payer les fonctionnaires et les soldats à leur service, paraître plus riches ou plus puissants que les voisins. Donc à cette époque, l'entreprise est essentiellement commerciale et financière, et les animateurs économiques ont été des villes qui se sont développées au même rythme que les villes américaines au XIXème siècle. Se sont développés à cette époque également le droit, les pratiques commerciales et bancaires. 2 - Un environnement favorable… Au XVème siècle, les changements marquent le début de la Renaissance : des premières caravelles portugaises au tour du monde de Magellan. Il y a donc un élargissement de l'horizon jusque là restreint. L'arrivée massive d'or et d'argent provoque une hausse forte et durable des prix. Toutes les réformes de cette époque (Luther, Calvin) et les remises en cause de l'autorité papale amplifient le courant favorable à l'individualisme déjà présent. Par exemple, en peinture, la mode des portraits illustre la place faite aux personnes (école d'Anvers). Les théologiens vont mener une réflexion rationnelle sur l'homme et son rapport avec les choses, les richesses, leur production et leur échange. On peut se demander pourquoi la Chine à la même époque n'est pas devenue une nation industrielle. En Chine, les fils de marchand n'avaient pas pour ambition de reprendre ou développer l'affaire familiale, mais de s'élever socialement en réussissant les examens impériaux pour entrer dans la bureaucratie qui freine toute entreprise durable. En Europe le centre économique passe de l'Italie à Anvers puis à Amsterdam. La Hollande naturellement pauvre, sans richesses naturelles, compense ses faiblesses par un esprit d'entreprise et d'organisation qui va la faire progresser. Tolérante, elle attire les réfugiés politiques (protestants, juifs) qui trouvent rapidement du travail. Les industries se développent. Les Hollandais pratiquent l'attraction des cerveaux et les transferts de technologies (là aussi, le monde moderne n'a rien inventé). Ils accordent des privilèges, droits et libertés, encouragent les inventions avec des lettres patentes : moulins à vent, pompes à spirales, dispositifs d'assèchement, conservation du poisson, construction navale… Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-247 : “Lʼentreprise de lʼantiquité à nos jours“ - 06/03/2009 - page 8

Amsterdam devient la capitale du savoir et de l'information : les gazettes annoncent les arrivages de la flotte de la Compagnie des Indes orientales, la liste des voyages et leurs durées, les produits attendus, les prix et le cours des changes. Toutes ces informations sont autant d'atouts pour ceux qui savent s'en servir : elles permettent l'anticipation qui est l'ingrédient nécessaire des affaires. On y trouve également les premières études de marché cherchant à déterminer l'évolution des besoins, des marchés et les expéditions s'organisent en conséquence. C'est-à-dire qu'avant on ramassait ce qu'on pouvait lors des expéditions et on les vendait ensuite, alors que maintenant on se préoccupe de ce qui a des chances de se vendre. Le commerce intra-asiatique se développe. Et l'Angleterre va tirer partie de la révolte des Pays-Bas contre l'Espagne pour s'installer en Amérique du Nord. La Compagnie des Indes orientales va concurrencer les compagnies hollandaises. Le marché intérieur et les exportations se développent. Des changements techniques interviennent : en Angleterre, on chauffe l'eau de mer ou salée pour en tirer du sel alors qu'en France on se contente de marais salins. Faute de bois, l'Angleterre utilise le charbon. On assiste donc à un démarrage de l'entreprise industrielle. Il suffit de quelques chiffres sur un siècle pour s'en convaincre : - La production de sel passe de quelques centaines de tonnes à 50 000 tonnes, - La production de charbon passe de 200 000 T à plus de 1 500 000 T, - La production de fer est de 20 000 T/an alors qu'en France elle est de 400 T, - Elle est le premier producteur européen de verre à vitre et à bouteilles, alors qu'en France la production de glace est encouragée par Louis XIV pour son seul palais. L'Angleterre entre donc dans une révolution technique et industrielle, mais son territoire est moins vaste que celui de la France qui a du mal à assurer sa cohérence. Déjà au XVIème siècle, la charge fiscale en Angleterre était trois fois moins importante qu'en France. La fiscalité anglaise est délibérément conçue pour favoriser la demande alors qu'en France elle est conçue pour répondre aux besoins de la cour. Toutefois les progrès techniques restent limités. Par exemple, les sources énergétiques sont limitées et les énergies ne se transportent pas à l'époque. Les moyens de transport se sont améliorés mais l'Europe est la seule à pratiquer la navigation hauturière. Les chercheurs de fortune déclenchent le processus d'une véritable mondialisation. Toutefois, bien que les transports maritimes permettent de déplacer des tonnages importants, pour aller relativement vite, il ne faut pas que les navires soient trop lourds, ce qui est une limite. L'usage commercial de l'imprimerie facilite certes la communication, mais son efficacité dépend de la vitesse des chevaux et des autres moyens de transport. La diffusion des techniques provoque des résistances. Certes le recours aux machines améliore la productivité et la qualité des produits (canons, armes, forges, sciage du bois, industrie chimique telle que les papeteries…). La précision des mesures améliore les constructions. La mécanisation n'est pas acceptée avec enthousiasme. À Dantzig, un métier à tisser permettant de fabriquer de nombreux rubans en même temps est détruit par le conseil municipal qui craint le chômage et qui noie l'inventeur. Le Parlement anglais interdit les machines à carder. La peur du chômage et de la concurrence entraînés par les nouvelles techniques est une constante, même à l'heure actuelle. Toutefois, malgré ces réticences, les perfectionnements techniques étant mieux acceptés en période de croissance et de forte demande, l'évolution des idées permettra de dépasser les barrières au développement des entreprises. De même la mise en place du système de droits de propriété, d'abord en Hollande puis en Angleterre, détermine comment s'effectue le partage des gains de productivité et est plus favorable à l'initiative personnelle et aux innovateurs. … conduit à la proto-entreprise Pour qu'il y ait entreprise, il faut qu'il y ait regroupement durable et mise en œuvre organisée de moyens en capitaux, en hommes, en techniques, pour produire des biens et services destinés à un marché solvable. Les conditions que nous avons décrites ci-dessus sont tout particulièrement favorables au développement des premières entreprises. De nouvelles formes juridiques apparaissent Par exemple la société en commandite moderne apparue au XVIème siècle permet de distinguer la responsabilité de ceux qui gèrent de celle des simples apporteurs de capitaux. Cela permet à des nobles de participer à des opérations commerciales. Les premières sociétés anonymes apparaissent : les actions sont cessibles et négociables sur les marchés. Les proto-entreprises sont modernes Pour parler d'entreprise, il faut qu'il y ait gestion de la production, commercialisation de la production en tenant compte des évolutions du marché concurrentiel, conduite d'équipes d'hommes au travail, maîtrise des comptes et du financement.

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Les manufactures de textiles faisaient travailler plusieurs centaines de personnes en ville et des centaines et peut-être des milliers d'autres dans la région autour d'elles. Dans la division du travail, tout ce qui était délicat était réservé à l'unité centrale, au cœur de l'entreprise comme il est dit aujourd'hui, et les opérations simples étaient laissées aux artisans ruraux pour qui c'était une activité d'appoint. Et déjà à cette époque, les artisans sous-traitants supportaient les à-coups de la conjoncture : ils permettaient d'ajuster les commandes aux prévisions commerciales et ils étaient payés la moitié des ouvriers à la ville Les techniques agricoles s'améliorant, la main d'œuvre dégagée ira en ville pour échapper à une misère certaine dans l'espoir d'améliorer sa condition. Un autre exemple est la pratique de l'espionnage industriel et la diffusion des technologies. 3 - L'évolution de l'entreprise Une fois les conditions réunies pour permettre la naissance de l'entreprise, celle-ci va évoluer en passant par plusieurs étapes. Nous donnons souvent comme explication les raisons techniques ou politiques, mais elles ne suffisent pas. L'esprit d'entreprise et l'apparition d'une nouvelle catégorie de responsables nommés entrepreneurs va structurer l'avenir. Ces entrepreneurs ont su vouloir échapper à tous les conformismes, au fatalisme et ont su faire passer de la science à l'innovation. A - De 1780 à 1908 : l'entreprise technique L'ambition européenne de diffuser dans le monde entier ses méthodes et la certitude de nombreux pays européens d'être le centre du monde, la confiance partagée dans les bienfaits de la science, de la technique, entraînent la prolifération des outils techniques et l'amplification des moyens mis en œuvre pour favoriser la multiplication des entreprises, l'élargissement de leur taille et l'accroissement du nombre des ouvriers. Cette poussée industrielle s'opère avec un rythme irrégulier et de nombreuses crises conjoncturelles. L'entreprise est marquée par le souci de produire, la demande potentielle étant supérieure aux capacités de l'offre. La naissance de l'entreprise technique est due à la rencontre de Watt et Boulton, qui permettra la première évolution industrielle avec l'application industrielle de la machine à vapeur. Le développement industriel se fait à partir du coton, de la machine à vapeur et du charbon à partir de 1780 jusqu'à 1848. A partir de 1848, la poussée industrielle va se faire en deux étapes avec une deuxième révolution. Progressivement, le pétrole fait son apparition, puis l'électricité. Aux textiles vont succéder le fer, l'acier puis les produits de synthèse. Tout démarre avec les effets de l'installation des chemins de fer et des transports maritimes à vapeur, avec le développement des industries lourdes mécaniques et d'équipement. Le chemin de fer et la navigation à vapeur vont révolutionner l'organisation des marchés, les rapports entre la production, la distribution, le client. L'appréciation du temps change : là où on comptait en semaines, on compte désormais en jours ou en heures. La télégraphie électrique va accélérer encore la circulation des informations. Puis dans une deuxième étape, on observe la diversification des activités industrielles nées des nouvelles techniques, des nouvelles sources d'énergie et des besoins des consommateurs plus nombreux et de l'urbanisation accélérée. Ce mouvement de croissance et de diversification s'appuie sur des entreprises financières, commerciales et de services qui prennent une place de plus en plus considérable et qui vont se développer plus vite que les entreprises industrielles proprement dites. - Les chemins de fer sont des entreprises structurantes : en effet, pour permettre aux trains de circuler sur les lignes des différentes compagnies, des normes s'imposeront que tout le monde sera contraint de suivre. Elles naissent du fait que les frères Stephenson conçoivent une locomotive, la Blücher, basée sur la machine qui circule dans les mines. Adoptée par les financiers pour équiper plusieurs lignes, les autres constructeurs devront adapter les mêmes normes sous peine de voir leurs machines écartées parce qu'incapables de circuler sur les lignes construites à partir des dimensions de la Blücher. Cette manière de structurer la production se retrouvera dans la mise en œuvre d'autres technologies : normes électromécaniques de Siemens, normes pétrolières par la Standard Oil, normes en téléphonie par Bell, et bien plus tard normes en informatique par IBM.

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- Les chemins de fer sont sources de nouveaux progrès technologiques. Par exemple dans le domaine de la fonte de pièces en une seule pièce au lieu de plusieurs pièces rivetées. - Les chemins de fer imposent que l'entreprise soit organisée. Le personnel important (32 000 personnes en France) nécessite que des règles soient suivies par tous, ce qui suppose la capacité de lire et de comprendre les instructions. Et cela suppose aussi des dirigeants à plein temps. - Au fur et à mesure que les mines, la sidérurgie, les constructions navales, les sociétés de transport et d'autres étendent leurs activités, elles doivent apprendre à maîtriser leur extension. - Initiée par les chemins de fer, la maîtrise des coûts sera adoptée par toutes les entreprises. - Les chemins de fer entraînent de nombreuses activités complémentaires : par exemple l'énergie et la généralisation de l'usage du charbon qui avant lui n'était pas transportable. - Le chemin de fer est à l'origine des transformations urbaines : activités de constructions, d'aménagement. Par exemple la volonté de cohérence va faire de Paris le cœur du réseau ferroviaire. Les gares sont de nouvelles portes de circulation des marchandises, ce qui implique de construire des voies larges pour permettre leur circulation ainsi que celles des voyageurs. - Le chemin de fer va développer l'usage de l'acier. Le procédé Bessemer, de faible prix de revient, a permis de transformer la fonte en acier : il a permis de diviser le coût par 8. Les grandes entreprises sidérurgiques, telles les De Wendel, vont se développer. Cette innovation va faire disparaître les façonniers du fer travaillant à façon dans leurs petites forges pour des propriétaires. - Les entreprises chimiques vont se développer car elles répondent aux besoins des autres industries. Par exemple, les produits tinctoriaux dont l'industrie textile a besoin : mais aussi les alcalis (soude) dont les verreries, les savonneries, les teintureries ont besoin. L'industrie chimique possède de nombreux débouchés en aval. Les colorants de synthèse une fois mis au point vont marquer le grand développement de l'industrie chimique. Il est à noter que la chimie nécessite du personnel hautement formé. - En 1878, le premier réseau commercial de télécommunications ; en 1882, la première centrale électrique à New York par Thomas Edison : l'effet machine à vapeur-chemin de fer n'a pas encore produit tous ses effets sur l'économie, la société et l'organisation des entreprises, et déjà une nouvelle forme d'énergie va en faire évoluer les bases et le fonctionnement. Dans le même temps, en 1885, naîtra le premier moteur à explosion à essence. Siemens va mettre au point la dynamo électrique qui est à l'ère électrique ce que la machine de Watt est à l'ère de la vapeur. General Electric naît en 1872 et va façonner de manière directe et indirecte les méthodes de management. - L'apparition de ces grandes entreprises conçues pour durer pose des problèmes juridiques : la confrontation entre l'exercice du droit de propriété et la responsabilité des dirigeants réels des entreprises prennent de l'ampleur. Depuis une ordonnance de 1673 et le code de commerce de 1807, il existe trois types d'entreprises en France : o La société en nom collectif dont les deux inconvénients sont que les associés sont indéfiniment responsables des dettes et que la mort de l'un d'entre eux provoque la dissolution de la société. o La société en commandite qui distingue les associés en nom collectif solidairement responsables et les associés simples qui apportent leurs fonds sans s'immiscer dans la gestion, o La société anonyme (première ébauche) où le capital est formé par des actions mais est régie par des administrateurs actionnaires ou salariés. Cette société ne peut naître sans l'autorisation du gouvernement : en effet celui-ci craint que la responsabilité diffuse envers les tiers ne soit un moyen de capter l'argent des gens peu informés et la responsabilité limitée un moyen de se lancer dans la spéculation. Ces contraintes sont un frein pour le montage des sociétés de grande taille exigeant une grande masse de capitaux et pour lesquelles les souscriptions ne suffisent plus. Alors en 1867 est votée une loi sur les sociétés anonymes. Cette loi mène à la création de bourses pour gérer les mouvements d'actions, et à la nécessité de produire des comptes pour le public et non plus uniquement aux dirigeants (cette exigence est apparue bien plus tôt dans les pays anglo-saxons). o La consécration des documents comptables de base : la comptabilité est l'instrument qui permet de compter, de calculer, et par extension de supputer, de prévoir. Mais c'est aussi l'instrument qui permet de surveiller, de rendre compte, d'informer, de communiquer, d'expliquer, de légitimer, de justifier, de rationaliser son action… et qui s'impose à chaque fois qu'il s'agit de prendre des décisions et aussi lorsqu'il s'agit de gérer des relations de confiance-méfiance (Bernard Colasse). 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Elle permet de mesurer en permanence les moyens dont dispose l'entreprise. Le principal moteur de ce progrès est la concurrence. C'est au XIXème siècle que se fait la distinction entre la comptabilité générale et la comptabilité analytique, cette dernière servant progressivement à fournir les renseignements nécessaires à la conduite de l'entreprise. - Parallèlement les banques d'affaires se développent : elles sont internationales dès le début (Necker et Pergaux, Baring et Schroeder, Hottinger, Rothschild, Morgan…). Ces banques possèdent toutes quatre atouts : un réseau d'information très développé (être informé dans les autres sur les évènements, les techniques, les marchés et savoir en tirer parti), des actions coordonnées pour gonfler la surface de garantie, une pratique très poussée des transferts de fonds d'un pays à l'autre en tirant parti des variations des changes, des méthodes de travail rigoureuses, familiales, solides. - Les banques commerciales et mixtes vont financer l'économie : en collectant les dépôts, elles vont proposer des crédits, s'intéresser aux valeurs mobilières et de ce fait participer au capital des entreprises. - Les progrès de l'industrie n'ont de sens durable que s'ils débouchent sur l'amélioration du niveau et du genre de vie d'un nombre croissant de personnes. Le client, l'utilisateur, le consommateur sont le but, le reste n'est que moyen. La deuxième révolution industrielle va être accompagnée de la première révolution du commerce. Quand on parle entreprise, on pense aux industriels ou aux banquiers dont on raconte les histoires, beaucoup moins des entrepreneurs chargés de la diffusion des biens et des services. Quatre facteurs modifient les données de la distribution : o Le développement des transports permet la circulation des produits (surtout aux EU) o La croissance physique des villes, la montée en nombre des habitants qui font se distendre les liens traditionnels entre artisans et "pratique" (on passe d'un travail à la commande à un travail pour un marché). o L'information des clients avec les nouvelles technologies de la communication o La démocratisation du luxe avec par exemple la viande fraîche et les légumes. Ce point mérite quelques détails. Un américain, Gail Borden, met au point le lait condensé : ce lait traité sur place à la campagne tombe à pic en pleine polémique new yorkaise où les journaux accusaient le lait ordinaire de manquer d'hygiène et d'accentuer la mortalité infantile. La guerre civile donnera à Borden l'occasion de devenir le fournisseur des troupes. Et pour avoir de la viande fraîche, le bétail était acheminé sur pied à la ville et n'arrivait pas toujours en grande forme : la viande devait être consommée fumée ou salée. Swift, constatant que le bétail transporté dans le froid de l'hiver arrivait en pleine forme, imagina des wagons réfrigérés pour transporter le bétail dans des conditions idéales toute l'année. Boucicaut invente les grands magasins : o Vendre à bas prix (marge bénéficiaire réduire et quantité) o Vendre seulement de la marchandise garantie afin de gagner la confiance des clients o Marquer les prix en chiffres clairs o Instituer un rendu permettant au client d'annuler son achat o Payer une partie des salaires par une commission sur les ventes pour rendre les employés partenaires actifs de l'entreprise (management participatif). - L'organisation de l'enseignement primaire - La presse et la publicité dès 1830 B - De 1908 à 1973 : L'entreprise organisée Le 1er octobre 1908, la Ford T conçue pour "Monsieur Tout le monde" annonce la société de consommation et constitue une impulsion décisive. Il faut noter qu'à cette époque, pour démarrer une entreprise, il n'est pas utile de posséder un capital important car les clients se précipitaient et donnaient un acompte à la commande alors qu'ils étaient livrés deux ans plus tard. C'est la suite logique des possibilités de production de masse offertes par les machines. L'organisation du travail et du management scientifique fait son apparition. Pour fabriquer un produit simple, il faut au préalable l'avoir conceptualisé, mettre en œuvre la courbe d'expérience permettant d'abaisser les coûts au fur et à mesure que les productions s'accroissent. Et Ford avait compris bien avant le Boston Consulting Group qu'il faut occuper une position dominante sur un marché concurrentiel pour pouvoir se permettre de vendre à bas prix. Et si le produit est standardisé, il faut rationaliser la production : Ford en a eu l'idée en visitant les usines à viande de Swift à Chicago où il avait été impressionné par les chariots suspendus transportant les carcasses d'animaux d'un ouvrier à l'autre. Appliqué à l'automobile, le temps de montage d'un véhicule a été divisé par 12. Ford appliquait, bien avant les japonais, le juste à temps, et il était aidé pour réaliser des gains de productivité par les ingénieurs et les ouvriers qu'ils embauchaient jeunes et bien Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-247 : “Lʼentreprise de lʼantiquité à nos jours“ - 06/03/2009 - page 12

formés : il récompensait toutes les suggestions visant à améliorer l'assemblage et à inventer des techniques nouvelles. Ford est le premier à avoir compris que pour favoriser les ventes, il fallait donner la possibilité aux ouvriers d'acheter, donc provoquer une hausse du niveau de vie, ce qui passe par des salaires assurant plus que le minimum vital. Le groupe Du Pont de Nemours met en place une organisation distinguant ce qui relève de l'ensemble de la firme de ce qui relève de l'action de chacune des activités (ou départements) du groupe. Cette organisation est une véritable révolution au sein de l'entreprise : jusque là, les directions des entreprises s'occupaient à la fois de l'immédiat et du moyen terme ; tandis que Du Pont a séparé ce qui relève du stratégique de ce qui relève de l'exploitation. Il met en place des ratios permettant de dégager le taux de rentabilité des capitaux engagés. Pierre Du Pont, appelé à la direction de General Motors, trouve une juxtaposition d'unités indépendantes. Avec l'aide de Sloan, il va en faire une entreprise unique et structurée : une direction coordonne et arbitre, fixe les politiques générales et les objectifs essentiels des divisions. La préoccupation de Sloan est de concilier un certain degré de décentralisation des responsabilités avec un contrôle centralisé. Il faut noter que ce problème, même s'il a été résolu pour plusieurs décennies, reste le pont-aux-ânes du management. La mesure du temps reste la préoccupation majeure. L'électricité a désormais changé la mesure de la journée de travail, avant limitée par l'aube et le crépuscule ; le chauffage et l'air conditionné mettent fin à la tyrannie des saisons. La montre devient d'un usage courant, et l'horloge trône dans les usines. Taylor imagine d'économiser le temps en décomposant le travail en ses composantes les plus simples. Les guerres mondiales et les périodes de reconstruction qui suivront amèneront restructurations et regroupements concernant tous les secteurs. Accentuation des protectionnismes, intervention accrue des États, retard pris par la consommation, mise en cause du système libéral… traduisent la période noire de l'histoire des entreprises européennes. Mais cela n'empêchera pas les entreprises des secteurs d'activité : automobile, électricité, pétrole, chimie, pharmacie, industrie alimentaire, travaux publics de se développer. Un rappel : la crise de 1929, apparemment crise boursière, est en réalité une crise structurelle : celle de l'inadaptation entre l'offre provenant d'une machine à produire et la demande solvable d'une population croissante dont l'essentiel des revenus reste consacré aux dépenses d'alimentation et de subsistance. Face à cette crise, la stratégie des entreprises est le chacun pour soi. D'un autre côté, les crises ont toujours été les périodes où apparaissent de nouveaux types d'entreprises, ou un changement dans les entreprises existantes. La période 1929-1939 est une période de recul. Les guerres vont être un révélateur des organisateurs : dans les domaines techniques, de logistique, de la communication, des rapports sociaux… Les guerres accélèrent les progrès techniques. Et ensuite les exigences de la reconstruction contraignent à planifier les actions à mener, à contrôler les moyens, à orienter leur mise en œuvre. Le modèle américain va s'imposer, prônant la force du marché : grandes surfaces, libreservice, crédits à la consommation, publicité… C - De 1973 à 1990 : L'entreprise déstabilisée Lorsque le cartel des producteurs de pétrole va décider de quadrupler le prix du pétrole, les données économiques se trouvent changer : l'énergie bon marché et abondante n'existe plus. Comme au théâtre, le changement est annoncé par trois coups : - En 1968 une vague contestataire s'attaque aux systèmes hiérarchiques classiques. - En 1971, le président Nixon décide de séparer le dollar de l'or et les monnaies se mettent à flotter sans que les entreprises ni les opinions y soient alors préparées. - En 1972, un rapport du Club de Rome met l'accent sur les revers du progrès. Les entreprises se trouvent contraintes d'accorder aux questions financières une importance croissante. De ce fait la comptabilité devient de plus en plus élaborée permettant de rendre compte des mouvements de moyens dont elle dispose à un moment donné. Les difficultés rencontrées par les États les amènent à déréguler et dérèglementer. Une troisième révolution industrielle a lieu dans les années 70 : le microprocesseur. L'électronique, l'informatique et leurs applications transforment la nature de l'entreprise industrielle. Alors que les organisations sont hiérarchisées autour de la machine dans des économies nationales, on passe à des organisations complexes, ouvertes, articulées en réseaux. Ces innovations favorisent la production à moindre coût et l'autonomie des personnes, bouleversent les modes de travail et l'emploi, les structures de l'entreprise et celles des États. Elles contribuent par le dépassement des frontières à rendre les entreprises internationales. L'électronique s'infiltre partout.

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La mutation est profonde et a un impact sur le travail et l'emploi : les changements se y traduisent en exigence de formation Et le changement permanent est devenu la règle de vie des entreprises. D - Depuis 1990 : L'entreprise mondiale La chute du mur de Berlin suivie de la chute du régime communiste entraîne une modification : la division du monde en deux fait place à un monde plus divers dans lequel apparaissent des zones régionales à fonctionnement économique libéral. L'ouverture au monde voit l'émergence de nombreux partenaires économiques et une exacerbation de la concurrence. Les entreprises se doivent de connaître les pratiques juridiques nationales de ses nouveaux partenaires. Les flux d'informations sont plus que jamais indispensables à la prise de décision : le seul problème est qu'ils sont permanents et surabondants, et qu'il faut savoir en faire le tri. Les entreprises sont désormais jaugées et jugées. Les marchés sont devenus mondiaux, les produits aussi, le changement est permanent. La mondialisation impose une vision de l'avenir et des prises de risque. Fusions, restructurations ont lieu pour permettre une plus grande réactivité : les entreprises adoptent une organisation en forme de trèfle. La principale feuille est le cœur de l'entreprise, l'unité principale, la deuxième feuille est celle des activités directement liées à l'entreprise mais pouvant être faites en dehors de l'unité principale, la troisième feuille est celle des activités diverses qui concourent à la vie de l'entreprise mais peuvent être réalisées par des fournisseurs. Le travail est également soumis à la concurrence : l'entreprise a besoin de savoir et de savoir-faire, et elle choisit parmi les offres de travail des diplômés. Essayons maintenant de cerner la notion d'entreprise.

II

L'ENTREPRISE EST SOUMISE AU PRINCIPE DE RÉALITÉ L'entreprise est mortelle, donc elle doit sur la durée créer plus de richesses qu'elle n'en consomme. Pour qu'il y ait entreprise, il faut qu'il y ait regroupement durable et mise en œuvre organisée de moyens en capitaux, en hommes, en techniques, pour produire des biens et services destinés à un marché solvable. 1 - Des premiers millénaires au changement Pendant des millénaires, l'économie de subsistance reposait quasi exclusivement sur le travail des hommes, très peu sur le travail du capital. Objectif : assurer la subsistance des hommes, faire face à la pénurie. Seuls quelques-uns échappaient à la pauvreté soit grâce à l'épargne, soit par l'exercice du commerce procurant des produits rares dont la société avait envie ou besoin, soit en prélevant par la loi ou la force des ressources sur la masse des travailleurs. Pendant ces millénaires, l'économie était agraire, avec le souci de garder les semences nécessaires et celle de stocker les réserves pour les périodes de pénuries. Le grand changement est intervenu quand l'homme a enrichi son travail en faisant travailler le capital et en mettant en œuvre des moyens de production supplémentaires. Car qu'est-ce que le capital ? C'est l'ensemble de moyens en argent, en techniques, en savoir-faire, en savoir, qui, naissant de l'épargne, peut être mobilisé pour la production de biens et de services. Et l'agent moteur de la production est l'entreprise, qui n'existerait pas sans l'entrepreneur qui la fait naître. Et il faut compter aussi avec les partenaires de l'entreprise : financiers qui apportent les fonds, clients sans lesquels produire n'a pas de sens, salariés qui contribuent à son fonctionnement et à son développement. Il ne faut pas oublier que l'entreprise exerce son activité dans une société et sur des marchés en fonction de la vie publique, des règles légales locales, nationales, mondiales. Et l'entreprise a besoin également d'un tissu de fournisseurs, de techniciens, de formateurs, de laboratoires… dans lequel elle est insérée. Il suffit de voir aujourd'hui ce qu'entraîne le dysfonctionnement d'une entreprise : le dysfonctionnement des sous-traitants, des fournisseurs, des revendeurs, de tous les fournisseurs de services dont elle a besoin… 2 - Les conditions nécessaires au développement de l'entreprise Vocabulaire : le mot Entreprise est français. Les Américains emploient le mot Company, les Anglais Firm. Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-247 : “Lʼentreprise de lʼantiquité à nos jours“ - 06/03/2009 - page 14

L'entreprise est le refus du fatalisme. L'entreprise concerne surtout les trois derniers siècles. L'entreprise est apparue dans une région limitée du monde : l'Europe occidentale. Puis elle s'est développée aux États-Unis. Elle n'est apparue que récemment en Asie. Pour que des entreprises puissent naître, se développer, se multiplier, il faut la réunion de plusieurs conditions. A - Le sens prométhéen Ou la révolte de l'homme contre le fatalisme. Pour entreprendre, il faut être convaincu que demain peut être meilleur qu'aujourd'hui. C'est-à-dire être convaincu que les pénuries, les famines peuvent être surmontées, que la pauvreté n'est pas un état dont on puisse se satisfaire. Dans l'histoire, les facteurs religieux ont joué contre cet esprit d'entreprise les religions promettent l'accomplissement véritable de l'homme dans l'au-delà. B - La volonté de maîtriser les temps et les coûts Démultiplier les résultats du travail suppose de s'organiser. Donc cela suppose la maîtrise du temps et des coûts. De là on observe le combat permanent de l'entreprise pour produire plus et mieux avec moins de moyens qu'hier. Par exemple, la rencontre de Watt, qui a amélioré le rendement de la machine à vapeur mise au point par Newcomen, et de Boulton, qui fabriquait des chaudières, a été décisive dans les progrès de productivité : on peut même dire que cette rencontre est l'acte fondant la révolution industrielle. C - La liberté d'entreprendre et de pouvoir disposer des bénéfices qu'on en tire Les pouvoirs politiques ont été symbolisés par un roi supposé descendre des Dieux, ou être leur représentant sur terre. De ce fait, ils admettaient difficilement qu'ils puissent y avoir des pouvoirs autres que ceux qu'ils concédaient. Or l'économie a besoin de champs de liberté. Le commerce a progressé d'abord dans les villes échappant à l'organisation féodale. Les deux pays où l'initiative entrepreneuriale moderne est observée sont les Pays-Bas après s'être libérés du joug espagnol en 1581 et l'Angleterre après s'être débarrassée de la monarchie absolue. La liberté d'agir ne suffit toutefois pas : des disciplines, des règles de concurrence et de droit doivent se mettre en place. D - La discipline de l'État de droit et des contrats Le développement de l'entreprise exige une société de confiance. Il faut avoir à l'esprit plusieurs informations pour comprendre l'histoire de l'entreprise. 1 - L'organisation d'une société est liée à ses moyens techniques - L'énergie : d'abord l'homme, ensuite les animaux domestiques, le bois, le vent, l'eau, puis le charbon, l'électricité, le gaz, le pétrole - Les matériaux : le bois, le fer, des métaux rares, du cuir, des textiles (laine…) - Les moyens de communication : la marche, les animaux de trait (cheval, mulet, chameau), les bateaux à rame ou à voile, la transmission des informations (la voix aux limites de sa portée : l'Agora), l'écrit. Pendant longtemps et partout dans le monde, seul l'homme asservi était la source d'énergie. 2 - La loi de la pénurie s'appliquait aussi bien au domaine énergétique, aux matériaux et aux moyens de communication Cela permet de comprendre le comportement des personnes et la nature des entreprises. Dans les structures anciennes, l'individu est tenu de rester étroitement lié à sa famille, à son groupe. L'individu en tant que tel ne sera reconnu qu'à partir de la Renaissance. Et comme la création d'un bien représente une somme d'efforts considérables, il importe de préserver le patrimoine et de le transmettre sans lui avoir fait perdre de sa substance, d'où l'absence de prise de risque. Le commerce portait sur les produits en nombre limité et rares, mais nécessaires : l'alun, le sel, les armes, et l'agrément du luxe. L'ensemble des ressources à la disposition des hommes d'alors était stable, donc pour augmenter sa part, il fallait prélever sur celle des autres, d'où les rivalités et les guerres. Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-247 : “Lʼentreprise de lʼantiquité à nos jours“ - 06/03/2009 - page 15

Pendant des siècles, procurer les produits rares et les vendre ne signifiera pas intervenir sur leur production ou leur transformation. Et l'entreprise se résumera à une aventure très risquée, et ceux qui la tentent essaieront de la banaliser avec des règles de droit, des assurances, des pratiques contractuelles. Et cette entreprise sera très rarement durable. 3 - Les différents acteurs dans la vie de l'entreprise L'entrepreneur L'entrepreneur est l'homme ou le groupe d'hommes qui a pu réunir les capitaux nécessaires à la réalisation d'un projet. Pendant des siècles, l'idée qu'un individu pouvait être capable de dépasser l'état stationnaire des sociétés n'a pas effleuré les esprits. On répétait le passé, en le copiant de la manière la plus scrupuleuse possible : qu'il s'agisse des Grecs ou des nobles de la cour de Louis XIV, le travail était considéré comme indigne. Les premiers entrepreneurs étaient des marchands. Et ces entrepreneurs marchands étaient en marge de la société dominante avec l'espoir de s'y introduire. Pour réussir leur entreprise dans un monde hostile (mers mal connues, moyens limités), ils prenaient des risques considérables sanctionnés par des pertes définitives ou la mort, ou en cas de réussite par des bénéfices hors du commun. L'hypothèse d'une faillite était acceptée dès le départ. L'entreprise marchande (Phéniciens dans l'Antiquité) se rapproche des formes actuelles vers le XIIème et XIIIème siècle : l'entrepreneur ne se contente plus des risques des voyages mais intervient aussi dans la production de biens soumis à l'échange, ce qu'on retrouve dans l'activité industrielle du XIXème siècle. Le commerçant-entrepreneur organise le travail des transformations : c'est le début de l'organisation moderne du travail, et la diversification des activités. À partir du XIIIème et XIVème siècles, l'on voit apparaître des dynasties d'affaire durant plusieurs générations. Et c'est avec le développement de la production et de la banque que l'entrepreneur construira dans la durée. Le client Au niveau des clients, il faut attendre aussi que les mentalités et la morale publique évoluent. Tant que les marchés peuplés de clients disposant d'un réel pouvoir d'achat ont été limités en nombre, les productions artisanales sont restées contingentées, chères et peu soumises à la concurrence. Et les entreprises se sont tournées vers les clients disposant de ressources ou à qui il était difficile de ne pas faire crédit : cours princières, échevins des villes. D'où une différence très nette entre les entreprises marchandes tournées vers les marchés lointains qui ont été les pionniers de l'entreprise, et les marchands de proximité qui ont été les rouages d'une économie fermée. Le financier Le capital de base est fourni par l'entrepreneur lui-même, mais très rapidement celui-ci a eu besoin de crédit et de recourir au banquier. Avec l'entreprise industrielle, cela ne suffira plus et les actionnaires vont intervenir. C'est au moment du financement des chemins de fer que s'est opéré le changement, car auparavant les moyens à mobiliser étaient comparativement faibles et l'autofinancement et l'emprunt pouvaient suffire. L'employé Au départ esclave, puis artisan dont la liberté d'action était limitée soit par des guildes soit par l'entrepreneur marchand : ils étaient rarement regroupés sur un même lieu de travail, mais plutôt dispersés dans des échoppes. C'est à partir de la machine à vapeur et des centrales de production d'énergie que les regroupements de salariés se sont opérés. On remarque très tôt dans l'histoire que là où la formation des employés était poussée, l'économie était plus développée. Par exemple, en Italie, les enfants des marchands vont à l'école jusqu'à 14 ou 15 ans. Il y a donc corrélation entre niveau et qualité de formation et performance des entreprises et de l'économie. L'État L'État est un acteur important autant par ce qu'il décide de faire que par ce qu'il décide de ne pas faire. Il existe deux formes d'État : ceux qui interviennent directement (Byzance ou Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-247 : “Lʼentreprise de lʼantiquité à nos jours“ - 06/03/2009 - page 16

la France de Colbert), et ceux qui interviennent le moins possible en fixant uniquement des cadres d'action. Les rapports internationaux vont jouer un rôle essentiel sur la vie, la nature et la forme des entreprises. Celles-ci vont exiger la sécurité des échanges, faire pression pour la liberté des échanges. Les États sont les partenaires de l'entreprise en fixant les règles de droit, en fournissant des services (sécurité, police, enseignement), en fixant la fiscalité, en gérant la monnaie (quand c'est encore l'État qui gère la politique monétaire). Et désormais on peut parler de compétitivité de l'État : l'efficacité des entreprises dépend de la manière dont l'État et les pouvoirs publics (régionaux, communaux, communautaires, internationaux) remplissent leur rôle. L'entreprise Elle peut être fournisseur ou client : elle est donc acteur des autres entreprises. Une entreprise ne peut s'épanouir seule : elle fait partie d'un tissu économique. L'environnement peut être plus ou moins favorable et façonné par les idées dominantes, la philosophie d'une époque, ses règles morales, sa conception de la personne et de la vie collective. Et les grandes entreprises marquent fortement les époques : elles ne peuvent vivre sans sous-traitants et fournisseurs.

III

CONCLUSION L'histoire de l'entreprise est marquée de changements et de permanences. Pour vivre, l'entreprise doit observer des disciplines dont seules les modes d'application varient avec le temps. - Être rentable : une entreprise livrée à ses seules ressources doit produire plus de richesses qu'elle n'en consomme, mais ne peut pas y parvenir sans risque dans ses investissements, le choix de ses productions et de ses marchés. - Vendre : l'entreprise doit être en mesure de proposer à des clients solvables, ou susceptibles de l'être rapidement, les produits et services qu'ils ont envie d'acheter, ou d'éveiller en eux ce désir par une offre créatrice. - S'organiser : L'entreprise ne peut parvenir à s'imposer que si l'ensemble de ses acteurs travaille le mieux possible dans le même sens. ORA ET LABORA

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Pour l'essentiel : - Leçon d'histoire sur l'Entreprise de l'Antiquité à nos jours par Michel Drancourt, éditions PUF, collection Major, 1998 Le parcours de Michel Drancourt : - Docteur en sciences économiques - Rédacteur en chef du magazine Entreprise - Professeur à l'université Paris IX-Dauphine et l'Institut d'Études Politiques - Ancien dirigeant et président de groupes (Télémécanique, Thomson…) - Animation des "Entretiens de Dauphine"

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