le street artist

CHRISTIAN GUÉMY ALIAS C215. La ville est le lieu de toutes les transformations. Je travaille dans la rue car je suis attaché à sa dimen- sion hégélienne : c'est ...
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le street artist

CHRISTIAN GUÉMY ALIAS C215

C215 - ESTELLE BEAUVAIS

La ville est le lieu de toutes les transformations. Je travaille dans la rue car je suis attaché à sa dimension hégélienne : c’est là où l’on se déplace, où la mode se manifeste et où se jouent les mutations politiques… Lorsque je place un dessin au pochoir sur la voie publique, il s’altère avec les intempéries ou avec les additions d’autres artistes. Comme une goutte d’eau s’évapore, l’œuvre d’art que je livre au monde est éphémère. C’est pourquoi l’idée de villes semblables à des musées à ciel ouvert me déplaît, elle n’a aucun sens. Les centres de Paris, d’Amsterdam ou de Hambourg sont en train de se muséifier. Pris par un excès de valorisation immobilière, touristique, les pouvoirs publics aseptisent les quartiers historiques. Les villes sont cadenassées par de

CHRISTIAN GUÉMY ALIAS C215 Pochoiriste français, né en 1973, il sème ses portraits bariolés d’anonymes à travers le monde. Globe-trotter, il a peint en Haïti, au Népal, à São Paulo, à Istanbul, à Moscou et même au Vatican. Il se revendique « artiste contextuel », car il considère que le terme « graffeur » confine l’art de rue dans le hip-hop et la banlieue. Il expose régulièrement à Opera Gallery, à Paris.

nombreuses règles architecturales qui provoquent une petite mort culturelle. Ce phénomène n’est pas lié à la qualité du patrimoine. Rome, par exemple, reste une ville vivante pour les créatifs, en particulier dans le quartier de San Lorenzo, alors qu’à Paris la plupart des artistes de rue « Un simple partent en banlieue. graffiti répond Lorsque je suis arrivé à Vitry-sur-Seine, en 2006, je à une volonté me suis retrouvé dans un d’inscrire désert d’art urbain au centre l’humain d’une architecture brutale. dans la ville » J’ai commencé à peindre des portraits de personnes exclues, de clochards, ou encore d’enfants. Mon public s’est identifié parce qu’il ne s’agissait pas de mettre des gens célèbres sur un piédestal mais de renvoyer à la masse d’anonymes que nous sommes ; à ce tissu infini d’histoires intimes habitant nos villes. Le style architectural du XXe siècle a quasiment réussi à combler le manque de logements, mais il n’est pas vecteur d’émotion. Le street art s’adapte bien dans des villes comme Vitry, au décor assez froid et dur, où il s’agit de s’approprier une structure pas nécessairement réalisée pour l’humain, mais porteuse d’une rationalité économique et industrielle. Voyager m’a permis de découvrir les villes africaines ou sud-américaines. Elles présentent la particularité d’être intégrées dans la nature et de s’adapter facilement par le biais de leurs logements précaires. À l’inverse, non contente de chasser la nature, la ville occidentale la consume tout en s’inscrivant dans la pérennité. Transformer la rue s’apparente alors à un acte politique fort. Un simple graffiti répond à une démarche d’appropriation et à une volonté d’inscrire l’humain dans la ville. C’est une façon de trouver ses repères en créant une seconde signalétique. L’art urbain crée du lien au travers du tourisme : le public vient prendre les œuvres en photo, valorisant ainsi la ville auprès des habitants. Ce brassage encourage la mixité sociale et contribue à changer l’image des banlieues ou des quartiers populaires. Propos recueillis par Pauline Hammé, journaliste

LA VIE - LE MONDE / 19