Le film de patrimoine, un marché à part

1 déc. 2010 - films numérisés, Pathé, Gaumont et StudioCanal sont à l'œuvre depuis maintenant plusieurs années. Côté CNC, le plan de numérisation des ...
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Le film de patrimoine, un marché à part Alors que les principaux détenteurs de catalogue ont lancé leur plan de numérisation, les distributeurs de films de patrimoine s’interrogent sur l’avenir de leur programmation et leur accès aux salles. Comment ce marché aborde-t-il le virage du numérique ?

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elon le CNC, le film de répertoire est une œuvre réalisée il y a au moins vingt ans qui n’a pas fait l’objet d’une ressortie en salle sur copies neuves depuis dix ans. En 2009, cette définition englobe près d’une centaine de rééditions et moins de 2 % des entrées (3,4 millions de spectateurs). Les films de patrimoine font l’objet de sortie sur de petites combinaisons (2 à 10 copies). Seule une seule douzaine de salles à Paris et en province s’y consacre entièrement, mais près de 430 exploitations (dont 190 ayant le label art et essai patrimoine et répertoire, membres de l’Association française des cinémas d’art et d’essai, Afcae) diffusent pourtant régulièrement ce type de programmation, aidés par l’Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC). L’une des missions de l’ADRC est de favoriser l’accès des films aux salles via le financement et la mise en circulation de copies supplémentaires. “En 2009, nous avons enregistré 1 431 programmes [1 programme = une salle et un film] concernant des films de répertoire. Nous constatons une réelle hausse. En dix mois, nous sommes déjà à près de 1 650 actions. 85 % sont réalisés dans des petites et moyennes villes”, explique Rodolphe Lerambert, responsable patrimoine ADRC.

Preuve que la province n’est pas en reste. Un film de répertoire a une économie inversée. En effet, les copies, peu nombreuses, tournent pendant une durée bien plus longue, à l’exemple des Moissons du ciel [Solaris] programmé sur 52 semaines !

Encombrement des écrans A cette exploitation classique en salle, sous forme de rendez-vous hebdomadaire (ciné-club à Vincennes) ou de cycles, s’ajoutent les festivals et les manifestations telles que Cannes Classic, le Festival Lumière, le Festival Télérama Patrimoine, le Festival international du film de La Rochelle et les cinémathèques. Malgré cette marginalité économique et temporelle du film de répertoire, les mêmes problématiques agitent le landernau du patrimoine : encombrement des écrans, réflexions sur la projection numérique, concurrence des autres supports de diffusion. “C’est un marché engorgé, la France est championne du film de patrimoine, explique Simon Simsi, des Acacias. Il y a presque trente ans, quand j’ai sorti Quai des Orfèvres, sur quatre copies, j’ai réalisé 100 000 entrées en deux ans d’exploitation. Dorénavant, si un film atteint les 10 000 entrées à Paris, c’est un beau résultat”, poursuit-il.

“La Piscine”, de Jacques Deray, a été réédité par Unzero Films le 27 octobre dernier, uniquement en numérique.

A côté des distributeurs historiques Les Acacias, Les Grands Films Classiques, Action Cinéma, Ciné Sorbonne, de nouveaux distributeurs se passionnent pour le répertoire. Carlotta Films, depuis 1998, a donné un nouvel élan aux films de répertoire et affiche plus de 100 000 entrées l’an passé. L’ADRC dénombre une trentaine de distributeurs travaillant exclusivement ou occasionnellement le film de répertoire. Cela coûte cher, entre les droits, le tirage de copies neuves (entre 2 000 € et 6 000 €), le marketing… “C’est un secteur difficile où l’on croise de vrais passionnés”, précise JeanMichel Gévaudan, délégué général de l’ADRC. “Les aides à distribution du CNC donnent une véritable bouffée d’air frais à nos structures fragiles”, explique Simon Simsi. Ces aides à la structure, aux programmes et au film représentent une enveloppe de 550 000 € à 600 000 € par an (50 % des frais d’édition maximum). Se pose pour ces professionnels la question du passage à la projection numérique dans les salles. D’après la

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loi du 30 septembre dernier, ils sont en dehors du système des VPF, qui ne concerne que les films inédits. Les avis sont partagés. “Le numérique est un cauchemar pour le patrimoine. Malgré la loi, un tiers comme Ymagis demande entre 750 € et 900 € pour les salles de sa zone de diffusion. Dans cette logique, nous mettons sur le même plan les sorties nationales et les films de répertoire. C’est totalement aberrant”, s’indigne Philippe Chevassu de Tamasa Distribution, préférant privilégier le 35 mm pour l’instant tout comme Lost Films. Même si la question de la numérisation pour les salles semble avoir évolué grâce à la loi, et au système d’aide mis en place par le CNC, complété par certaines collectivités, à l’instar des salles de Paris, celles de répertoire seront les dernières à basculer. “Nous attendons l’aide au master numérique du CNC. Nous n’avons aucune ligne de crédit dans le fonds de soutien, aucun signe de l’Europe et aucun apport des chaînes de télévision. 98 % de nos sorties sont en 35 mm, le DCP représente des frais supplémentaires qui ne se justifient pas”, explique Vincent Paul-Boncour, de Carlotta. A partir du 1er décembre, l’ADRC, en partenariat avec Pathé, va mettre à disposition des exploitants deux copies, une 35 et une DCP, du Guépard, entièrement restauré. “C’est une période de test, sur 190 salles labellisées, une trentaine est numérisée”, indique Jean-Michel Gévaudan, Carlotta Films représente le catalogue Jean Image (sept longs, des courts et des séries). Première sortie,“Jeannot l’intrépide”, en février dernier.

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de l’ADRC. Unzero Films, créé par Van Papadopoulos (Cannes Classics avec Thierry Frémaux), prend le contre-pied en ne proposant ces films qu’en DCP. “Nous travaillons uniquement avec des films restaurés et numérisés. Nous ne proposons que des films au format 2K suivant la norme DCI”, précise-t-il. Un DCP lui coûte 60 € et il propose surtout des films européens. “Les studios américains n’ont pas encore fait la démarche de numériser leurs films”, poursuit le distributeur. Ainsi, malgré les idées reçues, “toutes les œuvres ne sont pas faciles à trouver en DVD, VàD, etc.”, confirme Vincent Paul-Boncour. La multiplication de nouveaux médias est bénéfique pour la salle. Dans une offre démultipliée de films nouveaux, les spectateurs sont rassurés par le film de patrimoine, qui reste une valeur sûre, même si son actualité est actuellement aussi très intense”, conclut-il.

Quid des catalogues ? Alors que les catalogues internationaux comme Hollywood Classics ou Park Circus proposent peu de films numérisés, Pathé, Gaumont et StudioCanal sont à l’œuvre depuis maintenant plusieurs années. Côté CNC, le plan de numérisation des œuvres annoncé il y a quelques mois – qui sera complémentaire du financement apporté par le grand emprunt – est en cours d’élaboration, aussi bien le volet concernant le master numérique que celui qui concerne les œuvres de patrimoine ainsi que le volet restauration qu’il implique. Après avoir restauré Boudu sauvé des eaux, Pathé s’associe à la 20th Century Fox et à la Fondation Martin Scorsese pour la restauration du Guépard. La restauration de La dolce vita, coproduit par Pathé, a été menée avec la Cinémathèque de Bologne et la Fondation Martin Scorsese. Justin de Marseille a été présenté au dernier Festival de Lyon. Sont en

“Le Guépard” (Pathé), de LuchinoVisconti, bénéficiera de deux copies ADRC (35 mm et numérique). [© Coll. FJSP]

cours de restauration : les Gaietés de l’escadron (en compagnie de Lobster), les Enfants du paradis et Au nom de la loi (4K ; Maurice Tourneur), les Misérables (Raymond Bernard), la Roue (Abel Gance) et certains titres de grands films des années 1980. StudioCanal a un catalogue de 4 000 titres, soit 30 % du patrimoine français. 1 000 films sont disponibles en HD et 2 600 en fichier numérique. Après la 317e Section, Au petit bonheur, le Tambour, en 2011. La Grande Illusion sera rénové avec la Cinémathèque de Toulouse pour une sortie au premier semestre prochain, tout comme Senso, avec la cinémathèque de Bologne et la Fondation Martin Scorsese. Gaumont a établi une liste de 150 films prioritaires. Cette année, sont annoncés Huit et Demi, Et vogue le navire, la Cité des femmes, ou encore la série du Grand Blond… Un Ciné-Club a été proposé pendant un an. Dorénavant, les titres sont disponibles à la demande des exploitants. ■ ■ ■ Emma Deleva

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