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Éditeurs de mangas et scantraders :
le dialogue impossible ?
Le combat s’organise contre la mise en ligne de mangas gratuits, les «scantrads». Viz Media Europe, qui gère les droits des auteurs japonais, lance régulièrement des demandes de retraits de scantrads, sans passer par les maisons d’édition. Depuis le début de l’année, plusieurs sites français parmi les plus connus s’y sont pliés. Une entente éditeurs/scantraders est-elle possible ?
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ne passion commune, les mangas, mais deux mondes différents. D’un côté les éditeurs, de l’autre les scantraders. Si vous ne lisez pas ou peu les bandes dessinées japonaises, le scantrad consiste à récupérer les pages scannées d’un chapitre de manga (publié au Japon en général une fois par semaine) à les «nettoyer» (améliorer la qualité de l’image), les traduire et enfin les mettre en ligne sur Internet. Le tout gratuitement. La démarche est illégale, et les éditeurs de mangas dénoncent l’impact négatif sur leurs ventes, difficile à chiffrer, voire leur stratégie d’édition. Stéphane Ferrand, directeur éditorial manga chez Glénat (One Piece, Bleach...), l’affirme : «Nous avons déjà renoncé à lancer une nouvelle série parce que les scans étaient disponibles sur Internet». Chez les scantraders, l’argument est connu et laisse dubitatif. Tom est l’administrateur d’une équipe de scantrad française (une «team») qui préfère rester anonyme : «Nous mettons en ligne les chapitres qui ne sont pas
Le site Captainaruto a retiré ses scantrads fin janvier suite à une demande de Viz Media Europe.
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encore sortis en France. Dès que c’est le cas, on les enlève du site et on fait de la publicité pour encourager l’achat du manga». La team a déjà reçu un e-mail de Viz Média Europe il y a deux ans, sans interrompre son travail. «Nous avons écrit à Viz Média pour trouver des solutions. Ils n’ont jamais répondu». Composée de cinq passionnés, la team reste lucide. «Ce que nous faisons est illégal. On fait le travail qu’on aimerait que les éditeurs fassent». À savoir fournir les chapitres de mangas au même rythme qu’au Japon. Quelles solutions ? Pour Tom le scantrader, «le magazine de prépublication régulier (qui regroupe des chapitres de mangas avant leur parution en volume relié, NDLR) serait l’arme parfaite
ce cas. En France, chaque titre appartient à une boîte différente. Comment faire ? Créer une licence commune ? Partager les bénéfices des ventes du magazine ? Lancer chacun le sien ? La question
Le scantrad est la traduction d’un chapitre de manga paru au Japon puis mis en ligne gratuitement sur Internet.
Les scantraders volent le travail des auteurs de mangas contre le scantrad. Le jour où je peux en trouver un, j’arrête tout, et je crois que la majorité des teams pensent comme moi». Impossible pour Stéphane Ferrand : «Le lecteur doit comprendre que certaines exigences sont intenables». Peut-être bien. Prenons trois mangas parmi les meilleures ventes françaises : One Piece, Naruto et Bleach. Au Japon, une seule maison d’édition en détient les droits, la Shueisha. Pas de problème pour les pré-publier dans
est complexe. D’autant que Glénat a déjà fait l’expérience de la prépublication dans les années 90 avec Kaméha. Une aventure qui n’a duré que quatre ans, faute d’avoir rencontré son public. «Les lecteurs d’aujourd’hui ne sont plus du tout les mêmes, le manga s’est démocratisé, et en partie grâce au scantrad», répond Tom. Pourquoi ne pas proposer des scantrads légaux (et payants) ? Kana le fait de manière marginale (voir notre
Où sont les scantrads ? Une simple recherche sur Internet avec les mots-clés «scantrad fr» fournie des liens vers les sites les plus connus, comme mfteam.fr, manga-space.com ou encore gaara-fr.com.
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encadré). Stéphane Ferrand n’y croit pas. «Notre lectorat est majoritairement jeune et n’a pas beaucoup d’argent». La gratuité des scantrads est une composante essentielle du débat. Éditeurs et teams sont d’accord sur un point : il faut distinguer les passionnés et les sites qui cherchent à faire du profit. Ces derniers compilent des scantrads, souvent sans l’autorisation des équipes, et vivent de la publicité. Et même si une offre légale voit le jour, il paraît impossible de neutraliser totalement ce genre de site. Glénat renvoie la balle aux éditeurs japonais : «Nous ne sommes que locataires des séries publiées. À eux de
réfléchir à une stratégie autour du numérique. On devrait connaître leurs idées dans l’année». Au final, le dialogue éditeurs/ scantraders est-il possible ? Oui pour Tom, «à condition que les éditeurs japonais, via Viz Média Europe, arrêtent la répression systématique». Non pour Glénat : «Passionnés ou pas, les scantraders volent le travail des auteurs de mangas. Négocier avec les teams, ce serait manquer de respect aux créateurs». Visiblement, le débat autour de la table n’est pas pour tout de suite.
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Le manga s’est démocratisé en partie grâce au scantrad
Viz Media gère les droits des auteurs japonais. Les demandes de retraits de scantrads viennent des maisons d’éditions japonaises (Shueisha...), puis Viz Media les envoie aux sites concernés.
L’offre légale
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Elle reste maigre. Iznéo (www.izneo.com), plateforme de BD et mangas numérisés, en fait partie. Vous pouvez y acheter des titres, soit un par un, soit par un système d’abonnement. Niveau manga, la sélection est encore faible (une centaine). Les grosses licences (Naruto, Bleach, One Piece...) sont pour l’instant absentes, mais des négociations sont en cours avec les éditeurs. Kana propose déjà, via Iznéo, un chapitre hebdomadaire de son manga Ratman, sur le même rythme de parution qu’au Japon.