Langue » et « parole »

contexte du manque d'appuis identitaires solides, c'est exactement l'accès à la langue française. Research paper submitted for the upper division French/Film ...
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Research paper submitted for the upper division French/Film Studies class “The Franco-Magrebi Imagination” at Dickinson College, Pa. during my second year abroad in the U.S.

Enrica Nicoli Aldini Professeure Nancy Mellerski FREN 363 26 avril 2013 « Langue » et « parole » dans l’expérience linguistique des jeunes écrivains francomaghrébins Si la littérature et le cinéma consacrés à l’expérience existentielle des jeunes franco-maghrébins en France ont la tendance à nous montrer surtout les aspects négatifs et gênants de la vie des enfants des immigrés nord-africains—comme en est un exemple le film Le thé au harem d’Archi Ahmed de Mehdi Charef, qui nous présente le jeune Madjid se débrouiller parmi prostituées, drogues et petits vols—le tout simple fait que cette littérature et ce cinéma soient pensés et produits par les mêmes jeunes gens dont ils parlent nous démontre ce qui est, au contraire, un aspect positif du « rachat » de ces vies apparemment sans but et sans espoir dans la société française. L’art, dans ce sens-là, représente un laboratoire créatif où l’on peut présenter ses problèmes et ses difficultés en tant que « beur », ou jeune enfant d’immigrés, où l’on peut s’interroger sur sa propre identité et travailler à sa négociation mais, surtout, une plateforme de laquelle on peut dénoncer les injustices subies en France et hurler aux autres son propre malaise existentiel. Ce qui est à la base de ce rôle « cathartique » et même « politique » de la littérature, ce qui le permet, c’est l’utilisation de la langue française ; les aspects linguistiques de la vie des jeunes Arabes, Français des deuxième et troisième générations, méritent d’être indagués parce que ce qui leur offre une possibilité de remplir le vide de l’existence, dans le contexte du manque d’appuis identitaires solides, c’est exactement l’accès à la langue française.

La dimension linguistique présente, en effet, trois facettes fondamentales pour les jeunes franco-maghrébins des deuxième et troisième générations; l’ordre dans lequel on va les énumérer n’est pas casuel, parce que l’une entraîne l’autre. En premier lieu, la langue est le facteur qui les distingue de leurs parents ; les générations parentales s’identifient primairement dans la langue arabe et n’arrivent jamais à maîtriser en profondeur la langue française. Il en dérive que, en deuxième lieu, la connaissance du français représente un atout aux mains des jeunes franco-maghrébins, car elle leur donne la possibilité de se faire écouter par les français, contrairement aux parents qui n’avaient pas osé hausser leur voix. Par conséquent, troisièmement, ces jeunes gens finissent par transformer la dimension linguistique en un moyen pour lancer un défi à la société française : ils sont là en toute légitimité et ils doivent avoir leur droits reconnus, d’autant plus qu’ils maîtrisent la langue officielle de la France, comme établi par l’article deux de la Constitution de la Cinquième République : « La langue de la République est le français ». Avant d’analyser plus en profondeur les trois facettes fondamentales de la dimension linguistique dans la vie des jeunes franco-maghrébins, il faut introduire un concept tiré de la discipline de la linguistique qui peut nous aider à mieux comprendre la nature de la capacité de ce groupe ethnique d’utiliser les mots. Le concept dont nous parlons est la différence entre langue et parole postulée par le linguiste structuraliste suisse Ferdinand de Saussure (1857-1913). La langue est un système de signes qu’une même communauté utilise pour communiquer ; c’est le français ou l’arabe, c’est la langue dans le sens plus commun et immédiat d’ensemble de mots, verbes, règles de grammaires, etc., qu’on peut connaître dès sa naissance ou apprendre dans la vie. La parole, par contre, est l’utilisation concrète de ce système

linguistique dans des contextes précis ; c’est la langue en acte, c’est la déclinaison pratique des signes du français ou de l’arabe dans un discours en contexte. Pour ce qui concerne la langue dans le sens saussurien du terme, les jeunes franco-maghrébins occupent un « espace frontière » entre le français et l’arabe. Si la langue maternelle de leurs parents est l’arabe, et ils ne connaissent le français qu’en conséquence de la colonisation comme langue officielle du pouvoir colonial, la plupart de ces jeunes gens sont nés en France et c’est là qu’ils ont fréquenté l’école. Il est intéressant de voir que plus on avance dans les générations, plus les enfants des immigrés s’éloignent de l’arabe et embrassent la langue française. Le petit Azouz Begag, dont l’histoire dans Le gone du Chaâba est située aux années 60, parle encore l’arabe à la maison avec ses parents, alors que Madjid, le protagoniste du Thé au harem d’Archi Ahmed des années 80, refuse d’exaucer le désir de sa mère qu’il apprenne l’arabe ; quand elle s’adresse à lui dans sa langue maternelle, il lui répond avec dédain : « Je ne comprends pas ce que tu dis ! ». La décision de Madjid de ne pas apprendre l’arabe, ou de faire semblant de ne le pas comprendre1, révèle une résolution identitaire bien plus profonde : celle d’« être français » et de choisir la langue française comme système linguistique prioritaire d’identification. Le même Begag pend vers le français, comme sa décision d’être le premier de sa classe nous montre ; le fait qu’il parle arabe à la maison n’est qu’une nécessité déterminée de la préférence linguistique de ses parents qui ont une connaissance limitée du français, au point que quand le maître M. Loubon lui demande « en arabe, un arabe algérien, comme on parle à la maison : Tu comprends l’arabe ? » (203), le petit Azouz lui répond en français : « Je parle toujours arabe avec mes parents » (204). Ce dont Azouz parle—la connaissance de l’arabe—ne correspond pas à !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 1

On ne peut pas inférer du film si Madjid parle arabe couramment ou s’il y en a au moins une connaissance basilaire; il est toutefois très probable, comme c’était l’expérience de la majorité des enfants des immigrés en France qui connaissaient au moins quelque rudiment de la langue arabe.

comment il choisit de parler—en français—d’autant plus que le maître avait fait exprès de lui parler en arabe. Non seulement le petit Azouz choisit le français et démontre, avec ses bons résultats dans les compositions à l’école, une remarquable connaissance de la grammaire et du système linguistique français ; le grand Azouz, le narrateur adulte du roman Le gone du Chaâba, manifeste aussi de fortes capacités métalinguistiques, comme nous pouvons le voir dans le fait qu’il est capable de reproduire à l’écrit la prononciation arabe des mots français opérée par ses parents. Celle-ci est une véritable opération de traduction de la parole—dans le sens saussurien de discours, utilisation de la langue en contexte—dans la langue, dans les signes du français : « Ci Allah qui dicide ça. Bi titre, j’va bartir l’anni brouchaine, bi titre li mois brouchaine » (231). Voilà un signe du progrès intellectuel de la part des jeunes franco-maghrébins (Begag n’est qu’un exemple—on voit ce même procédé aussi dans Kiffe kiffe demain et Parle mon fils parle à ta mère) par rapport à leurs parents, lequel les distingue nettement de ceux-ci, non seulement parce que leurs parents ne seraient pas capables de rendre leur prononciation dans la langue française, n’ayant pas une connaissance et une familiarité suffisante avec ce système des signes ; c’est surtout parce qu’à travers cette traduction de parole en langue, les enfants communiquent aux lecteurs les erreurs dans lesquels ils ne tombent pas, les comportements linguistiques dont ils se séparent exactement parce qu’ils ont une connaissance bien plus avancée de la langue française, ce qui leur permet de s’y identifier. Le « Guide de la phraséologie bouzidienne » et le « Petit dictionnaire des mots bouzidiens » (Bouzid est le père d’Azouz), en appendice à Le gone du Chaâba, sont des outils linguistiques très claires dans leur signification et dans leur but : celui de nous montrer la différence fondamentale entre les générations franco-maghrébine en France, une différence

linguistique qui place parents et enfants dans une position distincte par rapport au pays d’adoption. Nina Bouraoui aussi, autrice et protagoniste de Garçon manqué, avoue à ses lecteurs de ne pas parler l’arabe couramment et de ne pas réussir à percer ce système de signes linguistiques, alors que son père est algérien et qu’elle fait une partie de ses études en Algérie : « Je ne parle pas arabe. […] C’est une voix étrangère à la langue qu’elle émet. Je dis sans comprendre. […] J’apprends la grammaire. J’oublie. C’est une langue qui s’échappe. […] Je reste à l’extérieur du sens, abandonnée » (11). Les exemples de Madjid, Azouz et Nina nous montrent donc que le système linguistique dans lequel les jeunes franco-maghrébins, ou beurs, s’identifient le plus et dans lequel ils se sentent plus à l’aise, c’est le français. Pour emprunter encore une fois un mot à la terminologie saussurienne, les jeunes beurs choisissent de pratiquer la langue de la France. C’est peut-être celle-ci une des raisons pour lesquelles la mère de Parle mon fils parle à ta mère de Leïla Sebbar adresse la prière du titre à son aîné : le choix du français de la part de son enfant implique que l’efficacité de la communication entre les générations devienne plus difficile. Dans l’œuvre de Sebbar, en effet, on n’entend que la voix de la mère qui tente d’établir un pont communicatif avec le fils qui non seulement ne parle plus la même langue, mais appartient à un monde où le seul système de signes linguistiques qui fonctionne est le français. Cela se voit très clairement dans la scène où la mère se souvient d’un épisode de l’enfance du fils dans lequel elle aurait voulu aller parler avec sa maîtresse, mais la barrière linguistique l’a empêchée : « Je criais que j’allais défendre mon fils si on lui faisait du mal ; tu m’as dit : « Tu vas lui parler en arabe à la maîtresse ? ». Je ne savais pas bien le français, c’est vrai, à ce moment-là. […] Je n’avais pas pensé à la langue… Comment j’allais lui parler à ta maîtresse, lui faire comprendre ? » (50-51). Le

« malaise » linguistique de la génération parentale, qui n’a pas de familiarité avec la langue française, apparaît très clairement aux yeux des enfants même avant qu’à ceux des parents, et cette conscience de la part des enfants est presque « humiliante » pour les parents. Non seulement les enfants leur rappellent constamment de leur ignorance visà-vis le français, mais les parents doivent souvent dépendre de leurs enfants pour se débrouiller dans la vie de tous les jours, comme nous le voyons très clairement dans Le gone du Chaâba : -

Lis-moi tout ça, vite ! Mais si je lis en français, tu ne vas rien comprendre, réplique Zohra en proposant à mon père de traduire en arabe les idées essentielles de l’article du journal local qui parle de nous. - Je comprends mieux que toi le français ! Tu me prends pour un âne ou quoi ? Lis tout, je te dis, mot par mot. Et n’oublies rien, surtout ! Zohra s’exécute. Elle sait bien qu’il ne comprendra rien. (127)

Il est évident que du point de vue linguistique, les rôles traditionnels dans la famille sont renversés, comme le sont les dynamiques d’enseignement : ce sont les parents qui apprennent des enfants et non le contraire, comme nous pouvons le voir dans Parle mon fils parle à ta mère : « Alors, mon fils, tu connais ? Tu sais tout ça ? Le fils trace du doigt sur la carte de l’atlas ouvert. […] Il répète le nom des villes plusieurs fois, et sa mère après lui » (24). Dans un autre passage du roman de Sebbar, la mère lit aux enfants Les milles et une nuits en arabe, pendant que son fils aîné le traduit en français pour ses frères : « Si un petit ne comprenait pas un mot, tu lui expliquais en français » (34). Ce passage peut être interprété comme fortement symbolique des missions distinctes de différentes générations de franco-maghrébins en France : d’un côté, le choix d’embrasser la langue française représente un élan vers le futur de la part des enfants, tandis que de l’autre côté, les parents défendent et protègent la tradition et en tirent des leçons de vie à donner à leurs enfants « modernes », comme nous démontrent les mots de la mère de Parle mon fils parle à ta mère : « Ce que je

veux te dire n’est pas dans les livres » (41). Dans ce sens-là, parents et enfants ne sont pas en conflit, mais ils se complètent, ils ont une mission complémentaire. La mission des enfants franco-maghrébins se réalise exactement dans l’utilisation de la langue française comme parole, dans le sens saussurien du terme que l’on a déjà discuté. Si le choix du français comme langue prioritaire est ce que distingue les jeunes franco-maghrébins de leurs parents—ce que nous avons appelé la première facette de la dimension linguistique dans la vie de ce groupe ethnique—c’est dans la langue française comme parole qu’on voit les deuxième et troisième facettes : la dimension linguistique comme instrument pour se faire écouter et pour mettre sur le papier son malaise identitaire, et comme outil « défiant » l’hégémonie française. La connaissance profonde et avancée du français comme langue joue un rôle préparatoire pour l’utilisation du français dans la parole ; c’est exactement puisque les jeunes franco-maghrébins maîtrisent les signes de la langue française qu’ils maîtrisent la parole, et qu’ils peuvent construire un discours cohérent dans un contexte précis, s’exprimer et exprimer leurs questions et leurs exigences. La déclinaison première et immédiate de la capacité de parole est, évidemment, l’écriture de romans de la part de jeunes beurs. « Seule l’écriture protégera du monde », dit Nina Bouraoui (20), qui attribue à la parole un pouvoir cathartique et soignant : « Cette envie. De détruire. De sauter à la gorge. De dénoncer. D’ouvrir les murs. Ce sera une force vive mais rentrée. Un démon. Qui sortira avec l’écriture » (129). Voilà la mission des jeunes franco-maghrébins par rapport à leurs parents ; une mission qui non seulement les rend différents des générations précédentes, mais qui les met aussi en contraste avec la société française, à laquelle s’adresse la « dénonciation » dont parle Bouraoui. Leur mission se concrétise dans l’écriture, et le simple fait qu’ils utilisent la parole

française est un moyen pour eux de rechercher et demander leur place dans la société française. Dans son essai « Beur Fiction : Voices from the Immigrant Community in France », Alec Hargreaves dit : The narrator's verbal dexterity, like his supercilious attitude towards the graduates of the grandes écoles, is possible only because he has been through the French educational system. That education has enabled immigrant youths to articulate a much more critical view of French society than was feasible for most of their parents. It has also sometimes had humiliating consequences for first generation migrants in their dealings with their children. (664)

On voit donc que ce n’est pas seulement la maîtrise de la langue qui sépare les jeunes franco-maghrébins de leurs parents ; c’est aussi la maîtrise de la parole, comme nous le démontre un autre exemple fourni par Hargreaves, tiré du roman Les Beurs de Seine de Mehdi Lallaoui : « Semblable aux pères de Kaci et Mourad, le père de Belka était manœuvre et analphabète. Bien qu'en y réfléchissant leur père était plus analpha que bête » (43). A pun of this kind-about precisely, as it happens, the illiteracy of first generation immigrants-reflects the much greater verbal control of the younger generation. (663)

Cet esprit verbal, cette capacité de jouer avec les signes de la langue française pour en tirer une parole créative et amusante, fait partie de la capacité métalinguistique dont on a parlé à propos de la translittération de la prononciation arabe du français ; à travers la génialité d’un jeu verbal avec le mot « analphabète », le jeune écrivain beur opère un véritable commentaire des habilités linguistiques de la génération de ses parents, tout en nous faisant comprendre, par contraste, le progrès linguistique et verbal des jeunes générations. Même les expressions « beur » ou « beurgeoisie » sont des jeux de mots révélant la dextérité des jeunes franco-maghrébins avec la parole. Le fait que le motemblème de cette génération soit un calembour est très important, parce que cela nous démontre que l’essence de l’identité des jeunes beurs doit être recherchée exactement

dans cette ouverture d’esprit et dans cette créativité qui leur permet de se projeter sur la scène de la société française dans tout leur potentiel inventif. L’identification dans l’étiquette « beur »2 représente le manifeste identitaire et artistique de toute une génération de jeunes enfants d’immigrés en tant que arme de séparation à double tranchant ; avant tout, avec cette étiquette les « beurs » se séparent une fois de plus de leurs parents, d’autant plus que la mère de Parle mon fils parle à ta mère ne comprend pas la signification de ce nouveau et étrange mot : « Je sais pas pourquoi ils disent Radio-Beur ; pourquoi ça Beur, c’est le beurre des Français qu’on mange sur le pain ? Je comprends pas. Pour la couleur ? Ils sont pas comme ça, c’est pas la couleur des Arabes… les jeunes savent, moi je sais pas ; j’ose pas demander » (27). On peut voir très clairement que n’ayant pas d’accès complet à la langue française, la mère maghrébine a du mal aussi à pénétrer un exemple de parole, de langue en acte. En deuxième lieu, l’utilisation du système de signes linguistiques français—la langue de Saussure—afin de concevoir le vocabulaire innovant et créatif qui caractérise les discours et la littérature des jeunes franco-maghrébins—leur parole, pour le dire encore à la Saussure—représente un clair défi à la France et aux français. Voilà la troisième facette de la dimension linguistique dans la vie des enfants des immigrés nord-africains. Kiffe kiffe demain de Faïza Guène est un bon exemple de cette utilisation presque « politique » de la parole en français. L’autrice attribue à la protagoniste Doria, jeune fille d’immigrés marocains en France, une « parole » (dans le sens de façon d’employer la langue française) très simple, très basique, fortement influencée par l’oralité de la langue et riche en néologismes du verlan français à la manière de « beur », comme « ouf » et le même « kiffe » du titre. La langue de Doria !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 2

Il faut préciser que tous les jeunes franco-maghrébins ne voient pas cette étiquette de bon oeil. Selon Nina Bouraoui, le mot “beur” n’est qu’une façon de cacher linguistiquement le véritable problème identitaire des jeunes de sa génération, qui ne sont ni français, ni maghrébins: “On dira beur et meme beurette. Ça sera politique. Ça evitera de dire des mots térrifiants, Algériens, Maghrébins, Africains du Nord. Tous ces mots que certains Français ne peuvent pas prononcer. Beur, c’est ludique” (129).

reproduit sur le papier toutes les petites « erreurs » typiques de l’utilisation du français à l’oral : la répétition continue de la particule « ça », l’omission de la particule négative « ne » (« C’est pas juste », 69, pour n’en donner qu’un exemple), l’omission de l’article neutre « il » dans la locution « il y a » (« Y a pas longtemps », 14), l’utilisation de mots de remplissage comme « genre » et du super mothyperonyme « truc » pour designer n’importe quel objet ou situation, etc. Si la langue de Doria—son emploi des signes linguistiques du français—ne semble pas, superficiellement, correspondre à la description des capacités linguistiques évoluées des jeunes franco-maghrébins, c’est dans sa parole qu’il faut retrouver les raisons à l’origine d’un tel choix linguistique de la part de Faïza Guène : « M. Loiseau m’a demandé si je me foutais de sa gueule parce qu’il a cru que le papier, je l’avais signé à la place de ma mère. […] Il s’est même pas posé la question. Il doit faire partie de ces gens qui croient que l’illettrisme, c’est comme le sida. Ça existe qu’en Afrique » (13-14). Doria est bien consciente de n’être pas analphabète comme sa mère, qui ne sait signer qu’avec « une vague forme qui tremble » (13), et sa parole ironique à propos de fausses convictions du proviseur de l’école nous démontre que l’ironie n’est qu’un moyen de faire semblant d’accepter les stéréotypes de la société française, juste pour les détruire exactement à travers le sarcasme. Voilà le défi que Guène et les autres jeunes écrivains franco-maghrébins lancent à la France ; l’ironie et le sarcasme, que Guène emploie si fréquemment dans son œuvre pour faire ressortir les incohérences et les inconsistances des Français face aux Maghrébins, ne sont que d’autres mécanismes de « parole », pour emprunter encore une fois la terminologie de Saussure. A la présence de deux exemples si clairs de la langue en acte comme l’ironie et le sarcasme, il n’y a plus besoin d’utiliser une langue strictement correcte du point de vue de la grammaire ou de la syntaxe. La justification

est dans la parole. Guène peut légitimement utiliser une langue « progressiste » et anti-traditionnelle parce que c’est là qui se cache son but ultime : défier la tradition linguistique

et

culturelle

française,

pour

qu’elle

s’adapte

aux

nouvelles

caractéristiques de la société dans l’Hexagone—une société multiethnique dont le système de signes linguistiques peut changer et innover grâce à l’intervention de nouveaux représentants de la langue française. Il y a du génie, donc, même dans l’utilisation d’une langue peu correcte du point de vue de la syntaxe et peu variée dans le vocabulaire, exactement parce que comme nous venons de le discuter, ce type de langue n’est pas utilisée au hasard. Comme nous avons pu le voir, la dimension linguistique, dans les deux formes de langue et parole, est un facteur très important dans le « remplissage » du vide identitaire des jeunes beurs. La langue—dans ce cas-là, le français—crée une possibilité unique de parler et de se faire écouter, dans l’espoir de trouver sa place légitime dans la société française. Il est pourtant intéressant de remarquer que la mère de Parle mon fils parle à ta mère encourage son aîné à apprendre quand-même l’arabe pour maintenir vives les traditions de sa famille : « Mais toi, mon fils, il faut que tu saches ta langue, la langue de ton pays, la langue de tes ancêtres, de ton père et de ta mère, pour lire aussi et apprendre à tes enfants » (48). Nous devons souligner l’utilisation de l’adjectif « ta » pour attribuer le substantif « langue » à son possesseur, le fils : selon les mœurs traditionnels de la mère, la langue la plus légitime des enfants des immigrés est en fait l’arabe, étant donné que c’était la langue originale de la famille avant qu’elle émigrât. En conclusion, donc, nous pouvons supposer que la mission des jeunes franco-maghrébins n’est pas seulement celle de prendre leur élan vers le futur, pour laquelle la langue française représente un outil essentiel, mais c’est aussi de respecter l’effort de leurs parents de protéger la tradition et le passé qui ont

leurs racines dans la langue arabe, tout en apprenant cet idiome en l’harmonisant avec la connaissance du français.

Bibliographie Begag, Azouz. Le gone du Chaâba. Paris : Éditions du Seuil, 1986. Print. Bouraoui, Nina. Garçon manqué. Paris : Éditions Stock, 2000. Print. Charef, Mehdi, dir. Le thé au harem d’Archi Ahmed. 1985. Film. Guène, Faïza. Kiffe kiffe demain. Paris : Fayard, 2004. Print. Hargreaves, Alec. « Beur Fiction : Voices from the Immigrant Community in France ». The French Review. 62.4 (1989) : 661-668. Print. Sebbar, Leïla. Parle mon fils parle à ta mère. Paris : Éditions Stock, 1984. Print. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_de_Saussure. Web. 22 Apr. 2013. http://fr.wikipedia.org/wiki/Article_2_de_la_Constitution_de_la_Cinquième_Républi que_française. Web. 22 Apr. 2013. !