la voie maritime du saint-laurent - Seaway System

de pierre à chaux, de la grosseur de balles de golf, ... 15h20, le capitaine Draenger passe en revue une liste ... Expo 67. Il passe sous l'une des deux arches du.
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d’arcy jenish

l a vo i e m a r i t i m e du sa i n t- l au r e n t Cinquante ans et l’avenir à nos portes

Traduit de l’anglais par

michel gaulin

© 2009 corporation de gestion de la voie maritime du saint-laurent

Aucun extrait de cette publication ne peut être reproduit, sauvegardé dans un système de recherche documentaire ou transmis par quelque procédé que ce soit sans le consentement préalable écrit de l’éditeur ou l’obtention d’une licence de The Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright). penumbra press, éditeurs Box 940 | Manotick, on | Canada k4m 1a8 | www.penumbrapress.ca

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada jenish, d’arcy, 1952– La Voie maritime du Saint-Laurent: cinquante ans et l'avenir à nos portes/D'Arcy Jenish; traduction de Michel Gaulin. Traduction de: The St. Lawrence Seaway. Comprend un index. isbn 978-1-897323-85-4 1. Voie maritime du Saint-Laurent—Histoire. i. Gaulin, Michel ii. Titre. fc2763.2.j46 2009 386.5’09714 C2009-900896-3

La Voie maritime du Saint-Laurent | Table des matières Avant-propos, Richard Corfe 9 1

La Voie maritime aujourd’hui 13

2

Promesse tenue, 1959–1969 29

3

Croissance et optimisme, 1969–1979 45

4

Des années difficiles, 1980–1992 62

5

Un nouveau départ, 1992–2002 79

6

La Voie maritime: l’avenir 98 Index 113

La Voie maritime du Saint-Laurent | Avant-propos J’étais bien loin de penser, quand je me suis joint à l’Administration de la voie maritime du SaintLaurent, en 1983, que j’occuperais la présidence de l’organisme au moment où il célébrerait son cinquantième anniversaire! Quand j’ai été embauché, la Voie maritime amorçait un changement de direction. Elle avait mis en veilleuse ses objectifs de croissance pour se concentrer sur le maintien de ses acquis, modification de stratégie suscitée par la conjoncture économique difficile du début des années 1980. En tant qu’ingénieur en mécanique, mes antécédents se situaient du côté de la maintenance. Ma première responsabilité consista à mettre sur pied un programme d’optimisation des ressources qui permettrait de tirer le maximum de chaque dollar consacré au maintien du réseau. Cette initiative survenait au moment opportun, puisqu’au cours des trente mois qui allaient suivre, la Voie maritime aurait à affronter les conséquences de deux défaillances majeures d’infrastructure, l’une au pont de Valleyfield, sur la section Montréal-lac Ontario, l’autre à l’écluse 7 du canal Welland. Ces «événements émotivement significatifs» pour la Voie maritime nous amenèrent à dire «plus jamais». Ils fournirent l’impulsion nécessaire à une remise en état, à mi-vie, de nos installations grâce, notamment, au programme de réhabilitation du canal Welland et à la mise sur pied d’un système complet de gestion de l’infrastructure qui, compte tenu du vieillissement du réseau, nous a bien servis.

Richard Corfe, président de la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent. En matière d’entretien du réseau, j’ai eu l’occasion de «prêcher par l’exemple», quand, vers la fin des années 1980, j’ai été muté au canal Welland comme directeur de l’ingénierie et de la maintenance. J’ai occupé par la suite le poste de vice-président adjoint pour la région Niagara, puis celui de viceprésident, Ingénierie, pour l’ensemble du réseau. Puis vint la commercialisation!

Depuis plus de vingt ans maintenant, nous avons réussi à respecter l’engagement que nous avions pris d’éviter des défaillances majeures, et nous exploitons de façon coutumière l’ensemble du réseau à plus de 99 pour cent de disponibilité. Les recherches se poursuivent, toutefois, en vue de trouver le financement adéquat pour maintenir ce record enviable.

Au cours des années récentes, j’ai souvent eu l’occasion de parler du chemin que nous avons parcouru depuis notre statut de société d’État modèle, à celui d’une corporation «sans but lucratif» parfaitement rodée. En tant que société d’État, nous étions tournés sur nous-mêmes pour faire en sorte de nous aligner sur des pratiques

Avant-propos | 9

exemplaires dans tous les aspects de notre exploitation, et d’avoir en place des systèmes adéquats de gestion environnementale. En tant qu’organisme commercialisé, nous avons dû adopter une approche axée sur l’extérieur, soit les besoins directs et immédiats de nos clients, qui constituaient la véritable raison d’être de notre nouveau statut. Puis, au fur et à mesure que la corporation atteignait sa vitesse de croisière, démontrait sa valeur et réussissait à accroître son rôle dans l’industrie du transport maritime, nous en sommes venus progressivement à nous regarder de l’extérieur. Dans le cadre de cette démarche, nous nous sommes penchés non seulement sur les besoins directs de notre clientèle, mais sur ceux également de toutes les parties concernées et nous avons élaboré une approche de «viabilité» fondée sur l’intégration à nos activités courantes d’une politique de responsabilité sociale d’entreprise.

La corporation s’est donné pour mission d’assurer un avenir durable pour le réseau en accroissant au maximum son utilisation, ce qui aura pour e◊et d’accroître les e◊ets bénéfiques qui en découleront pour les deux pays impliqués. Cette approche nous a amenés à reconnaître que nous sommes l’un des usagers d’une richesse partagée—le fleuve Saint-Laurent et les Grands Lacs—et que, alors que le transport maritime est essentiel à l’activité économique et à la compétitivité de bon nombre de nos industries, il nous faut forger avec d’autres intervenants des liens de concertation si nous voulons assurer notre succès et, sur la longue durée, notre viabilité. Si l’on jette un regard sur l’avenir, l’on peut dire que la Voie maritime a le vent dans les voiles. Nos activités de marketing à la grandeur du réseau et notre promotion de la marque Autoroute H2O ont

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eu pour effet de faire mieux connaître le réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent, tandis que nos initiatives en matière de développement des marchés ont attiré un nouvel achalandage et contribué à une diversification des cargaisons. Les occasions en ce sens abondent, dans le sillage de la récente Étude des Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent et de la stratégie de la Porte continentale et du Corridor de commerce Ontario-Québec. La corporation s’est donné pour mission d’assurer un avenir durable pour le réseau en accroissant au maximum son utilisation, ce qui aura pour effet d’accroître les effets bénéfiques qui en découleront pour les deux pays impliqués. En même temps, nous avons mis sur pied des initiatives destinées à minimiser les impacts que l’utilisation du réseau peut avoir sur d’autres que nous et pour gérer les coûts de façon à assurer un juste équilibre de rendement à toutes les parties intéressées, y compris les populations du Canada et des États-Unis par l’entremise de leurs gouvernements respectifs. Dans ce contexte, avec une infrastructure en bon état sur laquelle asseoir l’avenir—et le financement nécessaire pour l’y maintenir—nous comptons sur la technologie moderne pour tirer du réseau des bénéfices maximums. Tout au long de l’histoire de la Voie maritime, l’innovation et le recours à des technologies nouvelles ont fait en sorte que son infrastructure soit en mesure de répondre aux besoins du jour en matière de transport. Cet état d’esprit persiste au moment où nous célébrons notre cinquantième anniversaire. Les premiers systèmes de gestion du trafic ont évolué depuis les débuts et continuent à le faire. Il y a cinq ans, la Voie maritime est devenue la première voie navigable au monde à mettre en service un système d’identification automatique

(SIA), et des améliorations survenues depuis ont fait en sorte que le réseau reste à la fine pointe de la technologie. Au moment même où nous nous penchons sur l’avenir, nous sommes en passe de modifier l’ensemble de notre processus d’exploitation grâce à la mise en place de transits «mains libres». L’infrastructure de la Voie maritime du SaintLaurent, construite dans les années 1950, et le canal Welland, en exploitation depuis 1932, ont été le fondement sur lequel le succès de l’entreprise a été édifié. Mais la Voie maritime n’aurait pu connaître ce succès si ce n’avait été de ses employés. Génération après génération, la Voie maritime a été bien servie par ses travailleurs—depuis ceux qui ont bâti le réseau, jusqu’à ceux qui en assurent l’exploitation et l’entretien, en passant par ceux qui œuvrent dans l’ombre pour assurer le support nécessaire à ses diverses activités. Ce livre leur est dédié, travailleurs et travailleuses, aussi bien anciens qu’actuels, au moment ou, ensemble, nous nous engageons dans un avenir qui s’annonce passionnant. — richard corfe

Avant-propos | 11

1 | La Voie maritime aujourd’hui

« Quiconque a fait l’expérience de la vie à bord d’un navire des Grands Lacs est en mesure d’apprécier le travail qui s’y accomplit, la compétence des membres de l’équipage et les défis auxquels ils font face. » wayne smith Premier vice-président, Affaires commerciales, Algoma Central

Vêtu de façon décontractée dans une chemisette blanche et un pantalon court bleu marine, chaussé de sandales Birkenstock, le capitaine Werner Draenger apparaît bien reposé au moment où il remonte l’escalier conduisant de la cabine du commandant à la passerelle du NM Algomarine. Il s’arrête un instant à son poste, au-dessus de la proue du navire, et balaie du regard les eaux vert grisâtre du fleuve Saint-Laurent, quelque quarante pieds sous lui. On est au milieu de l’après-midi, un samedi de juillet, et l’Algomarine, un bâtiment de 730 pieds, est amarré depuis huit heures au quai 99 du port de Montréal, dans l’est de la ville. Durant ce temps, il a déchargé 24000 tonnes de fragments de pierre à chaux, de la grosseur de balles de golf, qui se dressent maintenant sur le revêtement asphalté du quai en deux pyramides bien ordonnées, d’une hauteur de cinquante pieds chacune. Le capitaine, un vieux routier qui vient d’atteindre ses soixante-cinq ans, s’apprête à donner les ordres de départ. Au cours des dix-huit à vingt prochaines heures, il guidera le navire à travers les chenaux, les canaux et les sept écluses qui forment la section Montréal-lac Ontario de la Voie maritime du Saint-Laurent. À 15h20, le capitaine Draenger passe en revue une liste de vérifications avant départ. Il demande à son premier lieutenant, Joe Ames, si tout l’équipage de vingt-quatre personnes est à bord. Puis il donne instruction à l’officier mécanicien en chef, Seth Gordon, assis dans la salle de commande des

Un navire voyageant en direction ouest, dans l’écluse de SaintLambert, avec la ville de Montréal en arrière-plan. Cette écluse sert de porte d’accès à la Voie maritime du Saint-Laurent. air photo max

moteurs, à quelque sept cents pieds de distance, à la poupe, de mettre en marche le propulseur d’étrave. Il s’agit d’un engin d’une puissance de 800 hp, installé dans la coque, directement sous la passerelle, et qui actionne une hélice de deux mètres de diamètre. La proue du navire s’éloigne du mur de béton du quai, et le voyage s’amorce. L’Algomarine est en

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Besogne délicate que celle de faire passer un navire dans la chambre de béton, et qui requiert une dextérité considérable et une touche experte.

Avec à peine deux pieds et demi de marge de manœuvre de chaque côté, parfois moins en certains cas, il faut une équipe hautement qualifiée pour faire pénétrer l’Algomarine, un navire long de 730 pieds, dans une écluse. patrick jenish route pour Thunder Bay, en vue d’y charger une cargaison d’avoine. Ses six énormes cales, qui peuvent déplacer le même volume de marchandises que 870 camions de transport ou trois trains de 100 wagons chacun, sont vides, mais ses citernes de ballast sont remplies d’eau pour donner de la stabilité. Quelques minutes après avoir quitté le quai, l’Algomarine navigue au large, sur le Saint-Laurent. Le ciel est gris, les vents légers et le fleuve grouille d’activité. On aperçoit sur l’eau des bateaux d’excursion, des bateaux à moteur, des bateaux de pêche, des kayaks et des Sea-Doo, tandis que l’imposant vraquier—plus long que deux terrains de football mis bout à bout, et large de la moitié—poursuit sa route en amont. Il dépasse La Ronde, le parc d’attractions très fréquenté, situé à la pointe est de l’île Sainte-Hélène, où s’est tenue Expo 67. Il passe sous l’une des deux arches du pont Jacques-Cartier, s’engage dans le chenal maritime et se dirige vers l’écluse de Saint-Lambert

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et la première étape de sa montée vers le lac Ontario. L’écluse est située sur la rive sud du SaintLaurent, directement en face du centre-ville de Montréal. Besogne délicate que celle de faire passer un navire dans la chambre de béton, et qui requiert une dextérité considérable et une touche experte de la part du capitaine et d’une équipe qui comprend le préposé au gouvernail, les lieutenants et les ingénieurs. L’écluse fait quatre-vingts pieds de large. Le navire, lui, en fait soixante-quinze, ce qui laisse à peine deux pieds et demi de marge de manœuvre de chaque côté, bien peu de place pour quelque erreur que ce soit. Le capitaine donne ses ordres d’une voix calme et rassurante. Il est en communication constante avec son équipe: le préposé au gouvernail, qui se tient immédiatement derrière lui; les mécaniciens, bien installés dans leur salle de commande; enfin, ses lieutenants, le premier à la proue, le deuxième à la poupe, tous deux munis d’un radio émetteurrécepteur afin de tenir le capitaine bien informé de la position du navire au moment où la poupe frotte contre le mur de guidage, glisse en direction de la porte et pénètre dans l’écluse. À 17h40, l’Algomarine repose dans l’écluse et, douze minutes plus tard, y est bien amarré. À 18 heures, l’eau commence à s’engouffrer dans le sas et, en huit minutes, élève le navire à une hauteur de dix-huit pieds. La porte s’ouvre, le capitaine émet un bref coup de sifflet qui signifie « Larguez toutes les amarres» et le navire reprend son voyage dans le canal de la Rive Sud, long de 22,5 kilomètres, qui serre de près la côte en forme de V d’une section du fleuve connue sous le nom de bassin de Laprairie. La prochaine étape, à seize kilomètres en amont, est celle de l’écluse de Côte-SainteCatherine, qui tire son nom d’une localité adjacente de banlieue. Cette écluse soulève le navire de trente pieds. Un peu plus loin, le fleuve s’élargit et devient le lac Saint-Louis. L’Algomarine

atteint le lac au moment où le soleil se couche. Un feu d’artifice et le parc d’attractions d’une foire estivale illuminent le ciel au-dessus du Territoire mohawk de Kahnawake, sur la rive sud. De l’autre côté du lac, dans l’Ouest-de-l’Île, les lumières de Dorval, de Pointe-Claire et de Beaconsfield commencent à scintiller. Vers minuit, après avoir traversé le lac SaintLouis, le navire atteint la première des deux écluses de Beauharnois, adjacentes à un barrage hydroélectrique et à une usine de production d’électricité qui portent le même nom. Chacune de ces écluses élève l’Algomarine de quarante-deux pieds, jusqu’à la hauteur du canal de Beauharnois. Creusé à l’origine dans les années 1930, puis approfondi pendant les années 1950 lors de la construction de la Voie maritime, ce canal fait vingt et un kilomètres de long et fournit la plus grande

à gauche : Un navire descendant, dans le canal de la Rive Sud, navigue en direction de l’écluse de Côte-Sainte-Catherine, en route vers Montréal. à droite : Les écluses supérieure et inférieure de Beauharnois procurent chacune une élévation ou une descente de quarante-deux pieds et sont adjacentes à un barrage hydroélectrique du même nom. air photo max

part de l’eau du lac Saint-François, autre élargissement du fleuve, aux turbines de la centrale électrique de Beauharnois. Au lever du soleil, le navire a atteint l’extrémité ouest du lac Saint-François. Il a dépassé de petites localités situées sur le bord du lac, Saint-Zotique, au Québec, et Lancaster et Summerstown, en Ontario. Cornwall se trouve un peu au-delà. L’Algomarine pénètre dans le chenal maritime du fleuve, marqué par des bouées et des aides à la navigation. Il dépasse plusieurs petites îles et deux

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Le capitaine Draenger garde la main droite sur la manette de contrôle des gaz. Sans cesse en mouvement, ses yeux scrutent les cadrans, les écrans et les jauges de la console placée devant lui. grandes—l’île St-Régis et l’île Cornwall—et atteint l’écluse Snell. Celle-ci est la première de deux écluses situées du côté américain de la Voie maritime et la cinquième des sept étapes de la remontée du navire en direction du haut SaintLaurent et du lac Ontario. L’écluse Snell élève le navire de quarante-sept pieds. L’écluse Eisenhower, à six kilomètres et demi en amont, l’élève de quarante-deux pieds additionnels. La dernière écluse, celle d’Iroquois, qui porte le nom de la petite ville ontarienne située sur les bords du fleuve, se trouve à 40 kilomètres plus à l’ouest. Elle élève l’Algomarine de deux pieds à peine. Au moment où il quitte l’écluse, l’Algomarine se trouve à 175 kilomètres à l’ouest de Montréal, en amont de laquelle, depuis son départ, il a été élevé de 224 pieds. Le fleuve, dont l’étendue est ici imposante, est en grande mesure libre d’îles, et le navire franchit facilement les chenaux maritimes pour dépasser Prescott et Brockville, du côté canadien et Ogdensburg et Morristown, sur la rive de l’État de New York. Tôt le dimanche après-midi, le navire a commencé de se frayer un chemin à travers le célèbre archipel des Mille-Îles. Les propriétaires de chalets et de maisons des deux côtés du SaintLaurent profitent d’un après-midi chaud et ensoleillé, tandis que les bateaux à moteur filent à toute vitesse dans les deux sens du fleuve. À l’heure du dîner, l’Algomarine a dépassé Cape Vincent et Tibbets Point. Il a quitté le fleuve et se dirige maintenant, à un rythme soutenu, vers l’extrémité ouest du lac Ontario.

Concept artistique du réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent. Albert G. Ballert, autrefois directeur de la recherche à la Great Lakes Commission, à Ann Harbor, au Michigan, a produit cette image vers la fin des années 1960. albert ballert

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§ On est à deux heures du lever du soleil, le lundi matin, quand le capitaine Draenger guide l’Algomarine au-delà de la petite ville tranquille de Port Weller, sur les bords du lac, pour le faire pénétrer dans les eaux toujours sombres du canal Welland, en direction de la masse noire arrondie de l’escarpement du Niagara, que l’on aperçoit à l’horizon et qui se dresse entre les lacs Ontario et

Érié. Il est 4 heures du matin, et le capitaine Draenger est debout déjà depuis une heure, à son poste sur la passerelle. Il va passer les douze prochaines heures à guider le navire à travers les écluses, les passages et les chenaux du canal, qui fait quarante-trois kilomètres de long. Tirée par gravité, de l’eau en provenance du lac Érié pénétrera dans les huit écluses du canal et en ressortira, élevant l’Algomarine de 100 mètres—326 pieds, la hauteur d’un immeuble de 32 étages. La montée commence, sous l’éclat aveuglant des réflecteurs orange de l’écluse 1. Le capitaine Draenger garde la main droite sur la manette de contrôle des gaz. Sans cesse en mouvement, ses yeux scrutent les cadrans, les écrans et les jauges de la console placée devant lui. L’Algomarine se déplace à deux kilomètres à l’heure— très lentement, selon l’échelle graduée burinée sur l’accélérateur. Au cours des minutes qui suivent, le capitaine Draenger réduit la vitesse. Puis il donne l’ordre au mécanicien de renverser le sens de la marche, ce qui a pour effet d’amener le navire à un arrêt complet, à un ou deux mètres à peine des portes supérieures de l’écluse. Il est 4h21, et le troisième lieutenant, qui est présent dans la cabine de la passerelle, inscrit l’heure dans le journal de bord.

à gauche : L’entrée du canal Welland par le lac Érié, à Port Colborne, en Ontario. Le chenal de navigation se trouve à droite. L’autre est un chenal d’alimentation qui fournit de l’eau en provenance du lac au reste du canal. à droite : Les écluses jumelées constituent le cœur du canal Welland. Elles accueillent simultanément le trafic remontant, comme dans cette photo, et le trafic descendant. Elles élèvent ou abaissent les navires en trois marches géantes d’escalier, chacune d’une hauteur de quarante-deux pieds. air photo max

Au-dessous, depuis le pont, les premier et deuxième lieutenants tendent aux éclusiers des câbles d’amarrage en acier tressé enroulés sur des treuils. Les éclusiers attachent fermement le navire en passant les câbles par-dessus de grosses bittes de fer, appelées bollards, encastrées dans la surface de béton. L’opérateur d’écluse ouvre quatre énormes vannes d’entrée. Chacune fait

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Le canal Welland court du nord au sud et traverse la péninsule du Niagara. Le canal fait 43,4 kilomètres de long et ses huit écluses élèvent ou abaissent les navires de 326 pieds et demi. corporation de gestion de la voie maritime du saint-laurent

sept pieds de largeur sur quatorze de hauteur, assez grand pour y laisser passer une voiture. La voix de l’opérateur d’écluse se fait entendre sur le système de communication: «Algomarine, vous montez». On entend distinctement le son de l’eau qui se précipite en cascade dans le sas. En l’espace de dix minutes, 23 millions de gallons d’eau—ce qui représente la consommation quotidienne d’une ville de près de 130000 habitants—se sont engouffrés dans le sas et ont élevé l’Algomarine de 46 pieds et demi. Il est 4h41. Le troisième lieutenant inscrit l’heure dans le journal de bord. Les portes supérieures commencent à s’ouvrir et l’opérateur d’écluse s’adresse de nouveau au capitaine: «Algomarine vous avez la voie libre pour le transit. Bon voyage ».

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L’Algomarine est le seul bâtiment à naviguer sur le canal en ce matin d’été. Il franchit rapidement les écluses 2 et 3 avant de parvenir aux écluses jumelées en série—numéros 4, 5 et 6— qui s’élèvent depuis le pied de l’escarpement et le gravissent l’une après l’autre en trois étapes géantes, à peu près jusqu’au sommet de cette formidable barrière naturelle. Chaque écluse jumelée est dotée de deux chambres, érigées l’une à côté de l’autre, ce qui permet aux navires de monter et de descendre simultanément. Au sortir de l’écluse 6, l’Algomarine traverse un court passage de plusieurs centaines de mètres pour atteindre l’écluse 7 et accomplir une dernière montée de 47 pieds et demi et se hisser au niveau de la terre ferme. Puis il poursuit sa route en direction sud, dépassant la ville de Welland, côtoyant des terres agricoles fertiles, se glissant sous des pylônes d’électricité, par-dessus deux tunnels qui permettent libre passage aux trains, aux camions et aux voitures, puis atteignant la petite ville de Port Colborne pour enfin franchir la huitième écluse du canal et se retrouver dans le lac Érié. Il est alors près de 16heures. Le capitaine Draenger réintègre sa cabine, située immédiatement sous la passerelle, pour y prendre un repos bien mérité. Le premier lieutenant le relève, et le navire poursuit son voyage en direction ouest. § L’Algomarine a maintenant terminé son passage à travers le cœur du réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent—le système de canaux, de chenaux et d’écluses qui a achevé sa cinquantième année d’activité en 2008. La Voie maritime rend possible la navigation commerciale depuis les eaux de marée du golfe du Saint-Laurent jusqu’à Thunder Bay, en Ontario, et Duluth, au Minnesota, à l’extrémité ouest du lac Supérieur. Cette splendide voie navigable s’étend à l’intérieur des terres sur 3700 kilomètres, pour ainsi atteindre le cœur du continent. Huit États américains et deux

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écluses 1. Saint-Lambert 2. Côte-Sainte-Catherine 3. Beauharnois (inférieure) 4. Beauharnois (supérieure) 5. Snell 6. Eisenhower 7. Iroquois 8. Canal Welland (8 écluses) 9. Écluses de Sault Ste. Marie

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ports écluses canadiennes écluses américaines

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provinces canadiennes bordent la Voie maritime, et un tiers de la population de l’Amérique du Nord vit dans ces ressorts territoriaux. La Voie maritime est, à n’en pas douter, l’une des plus importantes autoroutes maritimes intérieures au monde. Elle est en outre une merveille d’ingénierie. Le canal Welland actuel est en fait la quatrième voie navigable construite depuis le début du dix-neuvième siècle pour relier les lacs Ontario et Érié. Il a été construit sur une période de près de vingt ans et a été ouvert à la navigation en 1932. La section Montréal-lac Ontario, construite entre 1954 et 1959, compte parmi les plus remarquables exploits d’ingénierie et de construction de l’histoire du Canada. En 2000, l’American Public Works Association classait la Voie maritime parmi les dix projets les plus importants financés par les pouvoirs publics au cours du vingtième siècle, au même titre que le pont Golden Gate, le barrage Hoover et le canal de Panama. La Voie maritime représente également une force économique considérable. Elle soutient, directement et indirectement, 75000 emplois au Canada et 150000 aux États-Unis. Le commerce, à l’intérieur du réseau, produit annuellement plus de 4,3 milliards de dollars de revenu personnel, 3,4 milliards de revenus commerciaux liés au

Les écluses et les principaux ports du réseau Grands Lacs/Voie maritime du Saint-Laurent. La Voie maritime rend la navigation possible depuis le golfe du Saint-Laurent jusqu’à l’extrémité ouest du lac Supérieur. cgvmsl transport et 1,3 milliard en revenus fiscaux pour les provinces, les États ou les gouvernements municipaux. Outre les bénéfices d’ordre commercial qu’il représente, le transport maritime a devant lui un avenir prometteur parce qu’il est plus sécuritaire et plus respectueux de l’environnement que les autres modes de transport avec lesquels il est en concurrence. On compte un accident maritime pour 13,7 accidents ferroviaires et 74,7 accidents impliquant des camions. Et pour chaque déversement accidentel qui se produit sur l’eau, on en compte 10 dans le secteur ferroviaire et 37,5 dans celui du camionnage. Les navires n’émettent que le dixième des gaz à effet de serre qu’émettent les camions, et que la moitié de ceux qu’émettent les trains. Le transport maritime produit également moins de bruit et de déchets. De plus, le fait de transborder sur des navires une partie du trafic marchandises acheminé par camion ou par train pourrait réduire la congestion qu’engendre à l’heure actuelle ce genre de trafic.

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Une carte postale produite par la Saint Lawrence Seaway Development Corporation, l’organisme américain responsable de la Voie maritime, explique le fonctionnement d’une écluse. cgvmsl

Chaque jour, pendant une saison de navigation qui commence fin mars et se poursuit jusque tard en décembre, une moyenne de douze à treize navires transitent par le réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent. Au cours d’une saison typique de près de 285 jours, quelque 3600 navires voyagent sur ses eaux. Durant les cinquante années écoulées depuis l’ouverture de la Voie maritime au printemps de 1959, plus de 260000 navires ont emprunté cette voie navigable. Ils ont déplacé 2,3 milliards de tonnes de fret, d’une valeur de 350 milliards de dollars, à destination de ports du Canada, des États-Unis et de plus de cinquante autres pays. Au cours des années récentes, la Voie maritime a manutentionné annuellement quelque 40 millions de tonnes de marchandises, principalement en vrac. Les céréales et le minerai de fer ont toujours été les produits principaux transportés par l’industrie maritime dans le bassin des Grands Lacs, et représentent maintenant de 50 à 60 pour cent du trafic annuel. Les céréales en provenance des provinces canadiennes des Prairies transitent par Thunder Bay, celles du Midwest des États-Unis par des ports américains situés sur les lacs supérieurs. Elles sont ensuite expédiées vers le Bas-SaintLaurent pour transbordement sur des navires hauturiers, ou encore chargés directement sur des océaniques en partance pour des ports situés en Europe, sur la Méditerranée, en Afrique du Nord ou ailleurs. Le minerai de fer—extrait de vastes gisements situés dans l’ouest du Labrador et dans l’est du Québec—est chargé à Sept-Îles, Port-Cartier et Pointe-Noire et acheminé en direction ouest, en amont du réseau, à Hamilton, Nanticoke, Ashtabula, Toledo et autres centres où existent des aciéries. Les sociétés de transport maritime du Canada et des États-Unis acheminent d’autres marchandises—du charbon, du sel de voirie, du sucre, du granulat, du clinker à ciment et des produits pétroliers, pour ne citer que quelques exemples, mais toutes ces marchandises ne

20 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

suffisent pas à assurer la pleine capacité de fonctionnement de la Voie maritime. À son point culminant, dans les années 1960 et 1970, le réseau manutentionnait couramment entre 50 et 60 millions de tonnes de fret annuellement. Dans les meilleures années, le volume atteignait les 70 millions de tonnes. Mais, durant la décennie menant à son cinquantième anniversaire, la Voie

«En ce qui concerne l’avenir, nous estimons pouvoir tirer parti de nouveaux débouchés grâce à une diversification des marchandises.» Richard Corfe · président de la CGVMSL maritime ne fonctionnait plus qu’à quelque 60 pour cent de son potentiel. Pendant près de quarante ans, une société d’État, connue sous le nom d’Administration de la voie maritime du Saint-Laurent ou, plus simplement, de «Voie maritime», assurait la gestion du réseau. Mais un changement devait survenir vers la fin des années 1990. Aux prises avec des problèmes d’ordre budgétaire liés au déficit des finances de l’État, le gouvernement fédéral décida de privatiser ou de commercialiser la plus grande part possible de l’infrastructure de transport au pays. Dans le cadre de ce processus, Ottawa conserva la propriété de l’actif de la Voie maritime, mais transféra la gestion des affaires courantes et l’exploitation du réseau à un groupe d’usagers qui mirent sur pied la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent (CGVMSL). Cet organisme s’est employé à réduire les coûts et à améliorer la capacité de rendement du réseau. Il a fait de ce dernier l’objet d’un marketing dynamique, le désignant sous le nom d’«Autoroute H2O»—l’autoroute «verte» et viable de l’avenir. «Nous tentons de maximiser l’utilisation du réseau, affirme Richard Corfe, président et chef de la direction de la CGVMSL. Nous prévoyons que les céréales, le minerai de fer et le charbon demeureront des produits de base stables. En ce qui concerne l’avenir, nous estimons pouvoir tirer parti de nouveaux débouchés grâce à une diversification des marchandises. Nous aspirons à devenir un intervenant d’importance dans le transport de conteneurs. «Au fur et à mesure que la Chine, l’Inde et d’autres pays en développement deviennent des producteurs pour l’ensemble de la planète, nous nous attendons à ce qu’une part beaucoup plus importante de ces produits débarque sur la côte Est de l’Amérique du Nord, parce qu’un grand nombre de ports de la côte Ouest fonctionnent déjà à pleine capacité ou presque. De plus en plus de marchandises conteneurisées seront

acheminées dans de gros navires vers des ports tels Halifax. Nous entrevoyons une activité croissante de transbordement vers des navires plus petits, aux dimensions adaptées à la Voie maritime, qui fileront ensuite en direction de tous les ports le long de l’Autoroute H2O—Montréal, Toronto, Hamilton, Cleveland, Detroit, Chicago, et autres— parce que les routes et les chemins de fer sont congestionnés et que la situation ne peut que se dégrader. C’est le but que nous visons. Nous pourrions passer d’un rendement de 60 pour cent à un rendement plein, uniquement avec des conteneurs.» La première campagne en faveur de l’Autoroute H2O a été lancée au printemps de 2003. La CGVMSL a d’abord eu recours à des panneaux publicitaires érigés le long des autoroutes ontariennes de série 400. Ces panneaux signalaient aux automobilistes qu’un navire de la Voie maritime peut transporter à lui seul autant de

Les deux corporations de la Voie maritime et leurs partenaires font la promotion de la voie navigable sous le nom d’Autoroute H2O—la solution de rechange écologique au chemin de fer et aux réseaux routiers. cgvmsl

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fret que 870 camions, et que le transport maritime est apte à réduire la congestion sur les routes. Par la suite, la CGVMSL invita son pendant américain, la Saint Lawrence Seaway Development Corporation, à se joindre à cette initiative. Les deux organismes s’adressèrent aux autorités des ports du Saint-Laurent et des Grands Lacs, les invitant à participer à une campagne élargie, dans le but d’intéresser à la voie navigable des usagers potentiels. En six mois, on avait recueilli l’accord de dix-huit ports sur quelque quarante-cinq, y compris les plus importants. Depuis, vingt-cinq autres participants se sont ajoutés, soit la plupart des compagnies de navigation les plus importantes des deux côtés de la frontière, de même que quelques-unes des municipalités que longe le réseau. L’Autoroute H2O est devenue la marque de la Voie maritime et la pierre angulaire de toute une gamme d’efforts de marketing et de promotion, dont la participation à des salons professionnels et la conduite de missions commerciales annuelles à l’étranger. Au cours des dernières années, les deux organismes responsables de l’administration de la Voie maritime ont conduit des missions en Chine, en Europe et au Brésil. Ils ont aussi retenu les services de représentants en Europe et en Chine, dont le rôle consiste à rencontrer les expéditeurs et les sociétés de transport maritime pour les persuader d’utiliser la Voie maritime. «Nous croyons que, plus que jamais auparavant, la réputation de notre réseau est désormais solidement établie, affirme Richard Corfe. Quand nous parlons aux décideurs, à Ottawa ou à Washington, l’Autoroute H2O est une marque qui leur est familière.» § Les premières années, la Voie maritime ouvrait habituellement entre le début et le milieu du mois d’avril. Les deux sections étaient normalement fermées pour l’hiver au plus tard à la mi-décembre, ce qui donnait aux sociétés de navigation et à leurs

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clients une saison de huit à huit mois et demi, ou de 235 à 255 jours. Mais des températures plus douces, attribuables peut-être à l’effet du réchauffement climatique, et le recours à des technologies destinées à réduire l’accumulation de glace tant à l’intérieur qu’aux abords des écluses ont permis d’allonger la période de navigation commerciale de deux semaines ou plus en début et en fin de saison. Le réseau est maintenant ouvert de neuf à neuf mois et demi par année, ou 285 jours, et a connu son ouverture la plus hâtive en 2007, la section Montréal-lac Ontario étant mise en service le 21 mars, tandis que le canal Welland l’avait été vingtquatre heures auparavant, le matin du 20 mars. Ce jour-là, le ciel au-dessus de la péninsule du Niagara était clair, et la température marquait quelques degrés au-dessus du point de congélation. Mais un vent vif en provenance du nord-ouest charriait un froid glacial au moment où quelque 200 personnes se rassemblaient, à proximité de l’écluse 3, à 10 heures du matin, pour la cérémonie dite du hautde-forme, qui marque annuellement le passage du premier navire par la Voie maritime. Cette distinction appartenait, en 2007, au CSL Tadoussac, un navire long de 740 pieds, en route pour Picton, en Ontario, afin d’y embarquer un chargement de clinker à ciment. À l’écluse 3, le capitaine Dan McCormack descendit de son navire en compagnie du chef mécanicien Ron Sequeira pour participer à la cérémonie, qui se tenait sous une large tente démontable, érigée sur une plateforme cimentée sise entre le canal et le musée de St. Catharines. Le St. Catharines Collegiate Jazz Combo, une formation de six membres, assurait le programme musical, tandis que plusieurs journaux et stations de télévision couvraient l’événement. Des dirigeants politiques et des cadres supérieurs représentant l’industrie du transport prirent alors la parole pour souligner l’importance de la Voie maritime et le rôle vital du transport maritime dans l’économie du bassin des Grands Lacs.

«L’ouverture la plus hâtive de l’histoire de la Voie maritime témoigne de l’importance de la demande pour des services de navigation sur les Grands Lacs, a déclaré Peter Partington, président du Conseil régional du Niagara. Cette industrie a joué un rôle majeur dans notre histoire et jouera un rôle majeur dans notre avenir. Elle est partie intégrante du tissu social et économique de cette région.» Donna Cansfield, qui était alors ministre des Transports de l’Ontario, assura l’auditoire du plein soutien de son gouvernement tant pour l’industrie du transport maritime que pour la voie navigable. «Le réseau Grands Lacs-Voie maritime du SaintLaurent est une richesse sous-utilisée, a déclaré Mme Cansfield. Le transport maritime s’impose à nous pour réduire la congestion, pour protéger notre environnement et pour accroître la sécurité routière. Nous considérons cette industrie comme une partie intégrante du réseau de transport de notre province. Elle joue de nouveau un rôle de premier plan. Nous prêtons l’oreille, et nous comptons bien innover en ce domaine.» Tom Brodeur, vice-président, Marketing et service à la clientèle de la Société maritime CSL, dont le siège social est situé à Montréal, a loué les

L’Assiniboine a été l’un des quatre navires de la société CSL à être dotés d’une nouvelle avant-coque au cours de la dernière décennie. Chacun de ces bâtiments est maintenant un navire «seaway-max», faisant 740 pieds de long et 78 pieds de large. www.boatnerd.com avantages d’une saison maritime plus longue, et évoqué la confiance de sa société en l’avenir du réseau. «La Voie maritime est notre raison de vivre, a-t-il déclaré. Nous avons été la société la plus proactive sur les lacs en matière de mise à niveau de notre flotte.» CSL a dépensé 225 millions de dollars entre 1999 et 2007 pour remettre en état six de ses navires, a expliqué M. Brodeur. Le travail a été réalisé en deux programmes. Le premier concernait quatre navires construits dans les années 1970: les CSL Assiniboine, CSL Niagara, CSL Rt. Honorable Paul J. Martin et CSL Laurentian. Dans chaque cas, la salle des machines et les locaux de l’équipage dans la poupe étaient en bon état et furent conservés. Le reste de la coque fut scié et remplacé par une avant-coque qui ajouta dix pieds à la longueur de chaque navire et trois pieds de largeur, ce qui eut pour effet d’accroître de quelque 3000 tonnes la capacité de chaque bâtiment. Dans le cadre du second programme, la société conserva la poupe et la proue

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L’Algomarine décharge des granulats sur un quai dans le port de Montréal. Les auto-déchargeurs peuvent aussi déposer du fret dans des trémies ou dans la cale d’autres navires. patrick jenish de deux autres navires, le CSL Tadoussac et l’Atlantic Huron, mais en remplaça la partie médiane. «Nous croyons en cette industrie, a déclaré M. Brodeur. Si nous n’y croyions pas, nous ne construirions pas ces navires.» En terminant, le cadre supérieur de CSL a fait remarquer que la prolongation de la saison représentait un bénéfice majeur pour les sociétés de navigation. Dans le cas de CSL, dont quinze navires sont en service sur la Voie maritime, les vingt jours additionnels représentent un supplément de quelque 300 jours de navigation pour l’ensemble de la flotte. «C’est comme posséder un navire additionnel qui ne vous coûte rien», a-t-il déclaré. À 11 heures, les allocutions étaient terminées. Le capitaine McCormack, un homme trapu, de grandeur moyenne et portant un collier de barbe poivre et sel, s’est avancé pour recevoir le haut-deforme aux bords un peu élimés que l’on sort d’entreposage chaque année spécialement pour cette cérémonie. Un ecclésiastique a récité une courte prière pour la sécurité de tous les capitaines, les mécaniciens, les équipages qui œuvrent sur les

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navires, puis a cédé le micro à Richard Corfe: «Au nom de la ministre Cansfield, des dignitaires assemblés et des partenaires de l’Autoroute H2O, a lancé ce dernier, je déclare ouverte la saison 2007.» § Deux types différents de navires—des vraquiers et des auto-déchargeurs—dominent le trafic intérieur sur les Grands Lacs et la Voie maritime du SaintLaurent. Ces navires sont utilisés pour transporter des marchandises en vrac, et plusieurs font tout près de 740 pieds de longueur et 78 pieds de largeur, dimensions maximales autorisées par les règlements de la Voie maritime. La principale différence entre ces deux types de navires est que les vraquiers ne possèdent pas leur propre dispositif de déchargement. Ils doivent compter sur des grues fixées au quai et munies de bennes preneuses pour saisir la matière qu’ils ont transportée et la déverser sur une jetée ou dans des wagons-trémies. Les navires auto-déchargeurs ont été mis au point sur les Grands Lacs et existent sous une forme ou une autre depuis près de trois quarts de siècle. Mais les systèmes dits de «boucle en C» en usage aujourd’hui ont été conçus et perfectionnés dans les années 1970. Les marchandises sont arrimées des cales, dont le nombre peut atteindre six, chacune munie, dans le bas, de portes coulissantes. Au moment du déchargement, ces portes sont ouvertes,

une cale à la fois, en fonction d’un plan élaboré par le premier lieutenant. Les marchandises basculent sur un transporteur à courroie, large de six pieds environ, qui s’étend de quelque 600 pieds de long sur le plancher du navire. Ce transporteur entraîne les marchandises en direction de la poupe, vers une paire de courroies, connue sous le nom de «boucle en C», ainsi appelée parce que les courroies forment un très grand C. Ce dispositif presse fermement les marchandises, un peu comme la viande dans un sandwich, et les hisse de quelque vingt à soixantedix ou quatre-vingts pieds jusqu’au niveau du pont. Le troisième élément de ce système est la flèche. Sur la plupart des navires, elle fait environ 250 pieds de longueur. Elle peut être redressée de 45 degrés et amenée à pivoter de près de 180 degrés. Elle est équipée d’un transporteur à courroie, qui se déplace de la base à la pointe et décharge la cargaison.

Le diagramme schématique ci-dessus a paru dans une brochure promotionnelle produite par Canada Steamship Lines, de Montréal. Il démontre en cinq étapes comment le système d’auto-déchargement dit de «boucle en C» fonctionne. 1 · Entraîné par la gravité, le fret est acheminé à travers une série de portes coulissantes, et déposé sur des tapis roulants qui courent de la proue à la poupe sous les cales. 2 · Le fret est alors transféré par un autre jeu de courroies sur celles du dispositif dit de «boucle en C». 3 · La boucle en C soulève la cargaison et la dépose sur une courroie de la flèche de déchargement. 4 · La flèche de déchargement transporte la cargaison depuis le navire jusqu’à l’installation destinée à la recevoir. 5 · La vitesse à laquelle le fret est déchargé peur être ajustée selon qu’il est déposé dans une trémie, un terminal ou un autre navire. canada steamship lines Les auto-déchargeurs présentent deux avantages importants: vitesse et souplesse. Ils peuvent décharger des marchandises au rythme d’environ

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«La première fois que j’ai navigué sur les lacs, je n’en revenais pas de la beauté du réseau de la Voie maritime.» Seth Gordon · mécanicien en chef

6000 tonnes à l’heure et ne requièrent l’aide d’aucun matériel fixé au quai. Ils sont en mesure de décharger des marchandises sur un quai, dans une trémie, ou directement à bord d’un océanique. Les vraquiers nécessitent des équipages de dixneuf ou vingt personnes, tandis que les autodéchargeurs en requièrent jusqu’à vingt-huit pour assurer l’entretien et le fonctionnement du matériel de déchargement et de la machinerie qui y est associée. On compte à l’heure actuelle environ 5000 hommes et femmes directement employés dans l’industrie du transport maritime sur les Grands Lacs canadiens. Ce personnel est réparti en plusieurs catégories et niveaux de compétence. Les capitaines sont les officiers supérieurs à bord d’un navire, mais ils comptent fortement sur le concours de leurs premier, deuxième et troisième lieutenants, qui prêtent assistance à la navigation et assument diverses responsabilités sur le pont. Le chef mécanicien est responsable de l’engin qui propulse le navire ainsi que de la centrale électrique qui produit chaleur et électricité. Second officier à bord, il est secondé par une équipe formée des deuxième, troisième et quatrième mécaniciens. Le reste de l’équipage est formé d’aidesmécaniciens, ou graisseurs; d’électriciens; de cuisiniers; de matelots de pont; de réparateurs de poulies; et de manœuvres de tunnel qui œuvrent loin dans le ventre des auto-déchargeurs. Ces manœuvres passent leur quart dans un étroit corridor aux apparences de tunnel, à la base des vastes cales de chargement, et maintiennent en bon état de fonctionnement les quelque 2000 pieds de courroies des tapis transporteurs de la boucle en C, de même que les rouleaux métalliques sur lesquels elles tournent. Des Terre-Neuviens comptent pour au moins un tiers de cette main-d’œuvre, la plupart d’entre eux nés «avec la mer dans les veines», comme ils aiment à dire, et attirés vers l’intérieur du pays pour y gagner leur vie après que les perspectives

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d’emploi dans l’industrie morutière de l’Atlantique eurent commencé à décliner. Le reste de l’effectif provient d’ailleurs dans le Canada atlantique, du Québec, de l’Ontario, ou encore d’autres pays, et bon nombre d’entre eux sont aussi attachés à la vie de gens de mer que le sont les Terre-Neuviens. Cindy Simpson, deuxième cuisinière, a suivi les traces de son père dans cette industrie. Celui-ci avait quitté une situation de choix dans une usine de la General Motors, à St. Catharines, pour prendre la mer, comme elle le dit, et elle-même n’a jamais pensé à faire autre chose. «Une fois que cela vous est entré dans les veines, explique-t-elle, vous ne pouvez plus vous habituer à un emploi qui vous retient sur la rive.» Seth Gordon, le chef mécanicien, a grandi dans un village au bord de la mer, au Ghana, sur la côte ouest de l’Afrique. «Je voyais les navires filer à l’horizon et j’étais fasciné», se rappelle-t-il. Gordon avait déjà navigué à bord d’océaniques avant d’arriver au Canada à l’âge de vingt-neuf ans, et il travaille sur le réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent depuis trente ans. «La première fois que j’ai navigué sur les lacs, je n’en revenais pas de la beauté du réseau de la Voie maritime, dit-il. Quand on traverse les canaux, on aperçoit des gens qui travaillent dans leurs jardins ou qui sont allongés auprès de leur piscine. J’avais attrapé le virus, et j’ai décidé de rester.» Le capitaine Werner Draenger a grandi en Allemagne de l’Ouest et a pris la mer en 1959, à l’âge de dix-huit ans. Son premier navire était un tramp, un navire à vapeur qui naviguait de port en port à la recherche de fret. Après avoir passé un an et demi en mer, il avait trouvé sa vocation. Il navigue depuis ce temps. Venu au Canada en 1965, il obtenait en 1982 son brevet de capitaine. Il aurait pu faire valoir ses droits à la retraite au cours de la saison de 2007, mais se dit qu’il pourrait continuer encore un an, peut-être deux. «Pourquoi abandonnerais-je? demande-t-il pour la forme. J’aime mon travail.»

En dépit des satisfactions que peut procurer ce genre de travail, les entreprises canadiennes de transport maritime intérieur éprouvent du mal à recruter des jeunes pour remplacer ceux qui prennent leur retraite. Leur main-d’œuvre prend également de l’âge en raison d’une transition majeure qui a touché l’industrie dans les années 1980 et 1990. Les cargaisons de céréales et de minerai de fer ont alors diminué de façon très marquée, comme il en a été des sociétés de transport maritime. En 1980, on comptait sur les Grands Lacs environ quinze sociétés importantes dont le siège social se trouvait au Canada. À la fin du siècle, il n’en restait plus que cinq environ. Des sociétés établies depuis longtemps avaient fait faillite. D’autres avaient été absorbées par des concurrents plus importants et en meilleure santé financière. Tout le monde congédiait. Pendant près d’une décennie (de 1985 à 1995), personne n’embauchait, et l’âge moyen de l’effectif œuvrant sur les navires des Grands Lacs montait en flèche. Plusieurs des travailleurs approchent maintenant de l’âge de la retraite, et les entreprises ont recommencé à recruter du personnel. Des postes sont disponibles à tous les niveaux, et les compagnies embauchent rapidement, particulièrement quand un jeune candidat détient un grade universitaire ou un diplôme collégial en provenance d’un établissement qui offre un programme en techniques de la mer ou en sciences nautiques. Aaron Coffin, un Terre-Neuvien dans la jeune vingtaine, a obtenu son diplôme en sciences nautiques de l’Université Memorial de Terre-Neuve à l’été de 2007 et a immédiatement adressé par courriel à plusieurs sociétés une lettre accompagnée de son curriculum vitæ. L’une d’entre elles, Algoma Central, lui a répondu immédiatement. «Je leur ai dit que j’avais mon brevet de troisième lieutenant, et ils m’ont répondu: “On vous veut sur un navire”, se rappelle Coffin. Je n’ai même pas eu le temps d’aller rendre visite à mes parents.»

L’entretien hivernal le long des quinze écluses de la Voie maritime débute en janvier et se poursuit jusqu’à la mi-mars. Ce travail e◊ectué pendant la saison morte est partie intégrante d’un système rigoureux de gestion des infrastructures qui a fait de la Voie maritime l’une des voies navigables les plus sûres et les plus fiables au monde. air photo max § Chaque année, entre Noël et le jour de l’An, un moment que la plupart des Canadiens réservent aux plaisirs du foyer et de la famille, les derniers navires cheminent à travers le canal Welland ou redescendent le Saint-Laurent en direction de l’océan. Une dernière saison de navigation touche à son terme. Dans les premiers jours de janvier, parfois dans un froid de loup cinglant, de petites équipes d’employés de la Voie maritime

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entreprennent, dans chacune des deux sections, la tâche ardue de vider les écluses et de les préparer en vue de l’entretien hivernal. La tâche est très différente dans chacune des deux sections. À St. Catharines, le coordonnateur technique Lou Spagnol et son équipe doivent vider une partie de la voie qui fait près de quatorze kilomètres de long, depuis l’écluse 1 à Port Weller, jusqu’à l’écluse 7 au sommet de l’escarpement du Niagara. Ils commencent par ouvrir partiellement les vannes d’entrée et de sortie de l’écluse 1 afin de créer un écoulement lent et continu de l’eau. Ils ouvrent ensuite les vannes de l’écluse 2, puis poursuivent en amont le long du canal jusqu’au moment où l’eau coule librement de haut en bas à travers les écluses et les passages qui les séparent. L’eau baisse à un rythme de trois pouces à l’heure, ou huit centimètres, et la manœuvre prend en tout de soixante-douze à quatre-vingts heures. L’entretien hivernal commence au moment où les chambres et les passages qui les séparent sont vides. Les écluses de la section Montréal-lac Ontario sont toutes situées à même le fleuve, de sorte que la tâche à accomplir se présente très différemment. Des murs temporaires doivent être érigés à l’extérieur des portes supérieures et inférieures afin d’isoler l’écluse. On se sert à cette fin de poutrelles d’acier, qui font de quatre à six pieds de hauteur, environ quatre pieds de largeur et quelque quatre-vingt-quatre pieds de longueur, et peuvent peser jusqu’à 63000 lb. Des grues sont utilisées pour lever ces poutrelles, puis pour les abaisser dans des crans pratiqués dans les murs de guidage, l’une après l’autre, jusqu’à ce qu’une barrière ait été érigée. Chaque mur nécessite de dix à quinze poutrelles et peut faire de quarante à quatre-vingts pieds de hauteur. Une fois ces barrières érigées en amont et en aval des écluses, la vidange de l’eau peut commencer. Poussée par gravité, l’eau s’écoule jusqu’à ce qu’elle atteigne le niveau de l’eau du côté

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de l’aval. Le reste doit être évacué par pompage, une manœuvre qui peut nécessiter entre quarantehuit et soixante-douze heures. L’évacuation de l’eau de certaines parties des deux sections a été pratiquée annuellement depuis l’ouverture de la voie navigable en 1959. Mais, en 1996, la Voie maritime a adopté un nouveau système de gestion des infrastructures dans le but d’améliorer la fiabilité tant du canal Welland que de la section Montréal-lac Ontario. Cette approche est fondée sur un index des biens de la Voie maritime, quelque 1100 au total, ce qui comprend l’infrastructure, le matériel et les immeubles. Le personnel de l’ingénierie procède régulièrement à l’inspection de ces biens, y compris les écluses, les murs, les portes, les vannes d’entrée et de sortie, et effectue une fois l’an une évaluation de l’état de chaque pièce. Chacune est classée, sur une échelle de un à six. Un indique que la pièce en question ne remplit plus pleinement sa fonction, six qu’elle est «comme neuve». Certaines de ces inspections sont visuelles, alors que d’autres nécessitent la prise de mesures, ou une mise à l’épreuve, d’autres encore une inspection menée par des scaphandriers. Les évaluations sont fondées sur les résultats de l’inspection, l’expérience d’exploitation ou d’utilisation, et peuvent parfois nécessiter des études techniques. Cette approche permet à la Voie maritime de suivre au fil du temps l’évolution de l’état de ses biens. Les ingénieurs décident du moment où des réparations s’imposent ou une pièce de matériel doit être remplacée, et le travail est prévu dans le cadre du programme d’entretien hivernal. «Notre système de gestion des infrastructures a produit des résultats tangibles, explique Richard Corfe. La Voie maritime du Saint-Laurent est l’une des voies d’eau les plus sécuritaires et les plus fiables au monde, sans longues périodes d’interruption de service, et une disponibilité de 99,75 pour cent au cours des dernières années.»

2 | Promesse tenue, 1959–1969

Peu après 11 heures du matin, le 26 juin 1959, un avion du gouvernement américain se posait sur la piste d’un aéroport militaire, à Saint-Hubert, en banlieue de Montréal, roulait lentement en direction d’un tapis rouge disposé sur l’aire de stationnement, et s’arrêtait aussi délicatement qu’un taxi au bord d’un trottoir. Quelques minutes plus tard, le président des États-Unis d’Amérique, Dwight D. Eisenhower, en descendait, accompagné de son épouse Mamie. Le président et la première dame sourirent, saluèrent de la main, puis s’avancèrent pour être accueillis par Sa Majesté la reine Elizabeth II, son mari le prince Philip, le premier ministre du Canada, John Diefenbaker, et son épouse Olive, et d’autres dignitaires rassemblés pour l’occasion. Après avoir passé en revue une garde militaire d’honneur, la Reine, le président et le reste des dignitaires montèrent à bord de Cadillac noires rutilantes pour se rendre quelques kilomètres à l’ouest, à Saint-Lambert, sur la rive sud du fleuve SaintLaurent, en face de Montréal, pour l’ouverture

La Reine et le président des États-Unis, Dwight Eisenhower, quittent le yacht royal Britannia au cours de l’ouverture o∫cielle de la Voie maritime du Saint-Laurent le 26 juin 1959. bibliothèque et archives canada e0084-33

officielle de la Voie maritime des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Une foule évaluée à 20000 personnes était sur place, en compagnie de 5000 invités spéciaux: le conseil fédéral des ministres en son entier; des membres de la Chambre des communes et du Sénat; des sénateurs et des membres du Congrès américain; des maires de cités et de villes sises le long de la Voie maritime, aussi loin que Chicago et Milwaukee; des dirigeants de sociétés maritimes venus d’Angleterre, des Pays-Bas, d’Allemagne, de Grèce et de plusieurs autres pays. Le thermomètre marquait 80°F et l’air était lourd d’humidité, mais la cérémonie fut brève et, selon le Globe and Mail, «austère en sa simplicité». La fanfare d’un régiment royal de fusiliers marins interpréta le Star Spangled Banner. Une

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La construction de la Voie maritime fut, au dire de Lionel Chevrier, «l’une des transformations les plus ambitieuses et les plus e∫caces jamais pratiquées de main d’homme à être achevées sur la surface du globe». cgvmsl fanfare de la Marine américaine joua le God Save the Queen. Puis Sa Majesté prit la parole. «Cette compagnie distinguée est réunie, déclara la Reine, en provenance des deux grands pays qui bordent cette voie navigable, pour marquer l’achèvement d’une entreprise conjointe qui se classe parmi les réalisations d’ingénierie les plus remarquables des temps modernes. L’on peut vraiment dire que cette occasion mérite de prendre place dans les annales de l’histoire.» Le président parla lui aussi de la Voie maritime en termes très élogieux. «Son achèvement, déclara Eisenhower, constitue un hommage à tous les esprits clairvoyants et persévérants qui, au cours des années, ont foncé de l’avant, en dépit de décennies de déceptions et de revers. Par-dessus tout, cette entreprise est, à la face du monde entier, un symbole splendide des réussites possibles pour les nations démocratiques qui œuvrent de concert, dans la paix, au bien commun.» Un groupe d’écolières interpréta l’Ô Canada, après quoi les hauts dignitaires montèrent à bord du yacht royal Britannia, ancré tout près, dans le

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chenal conduisant à l’écluse de Saint-Lambert, la première des sept écluses nouvellement construites le long de la section du Saint-Laurent de la Voie maritime. À midi trois minutes, le navire pénétra dans l’écluse et, sur ce, la Voie maritime fut déclarée ouverte. Les cloches des églises sonnèrent à travers tout Montréal. À proximité, les navires et les embarcations de plaisance firent entendre leurs sirènes et leurs klaxons. Un feu d’artifice éclata au firmament. Une foule nombreuse laissa fuser sa joie, et la Reine, le président, le premier ministre et leurs conjoints respectifs agitèrent la main en réponse, depuis le pont du Britannia. Cette inauguration présentait une occasion appropriée de réjouissance pour marquer l’achèvement d’un énorme projet d’ingénierie et de construction qui avait coûté 475 millions de dollars, avait été réalisé en moins de cinq ans et s’apprêtait à mettre au service de deux pays, de douzaines de communautés et d’une part importante de l’industrie du transport maritime dans le monde une artère commerciale indispensable. C’était, au dire de Lionel Chevrier, le premier président de l’Administration de la voie maritime, «l’une des transformations les plus ambitieuses et les plus efficaces jamais pratiquées de main d’homme à être achevées sur la surface du globe». Des chenaux avaient été creusés en pleine terre, ou par dragage à même des fonds de rivières. Des écluses avaient été érigées. Des barrages et des centrales hydroélectriques avaient été construits. Des milliards de tonnes de terre avaient été extraites. Des fermes, des villages, des cimetières, des routes et des lignes de chemin de fer avaient été déplacés. L’opération avait mobilisé une armée d’hommes et de femmes—quelque 21000 travailleurs au total. Le premier contrat relatif à cette colossale entreprise avait été accordé en octobre 1954; les travaux étaient achevés au cours de l’hiver de 1958–1959, et la section du Saint-Laurent était ouverte à la navigation le 25 avril 1959, un samedi.

Le premier navire à se déplacer en direction ouest était le Simcoe, un petit navire de canal canadien, alimenté au charbon et vieux de trente-six ans.

Le premier navire à se déplacer en direction ouest était le Simcoe, un petit navire de canal canadien (canaller en anglais), alimenté au charbon et vieux de trente-six ans. Il avait quitté Montréal à vide et, trente heures plus tard, atteignait Kingston, pour y prendre une cargaison de céréales. Un autre navire canadien du même type, le Humberdoc, qui se dirigeait vers Montréal avec une cargaison de céréales, compléta le transit inaugural en direction est. Il avait franchi les sept écluses sises entre Iroquois, en Ontario, et Saint-Lambert, une distance de 175 kilomètres, en seize heures. Le Britannia était le mille huit cent soixantequinzième navire à pénétrer dans le réseau d’écluses, de chenaux et de canaux qui forment la section du Saint-Laurent de la Voie maritime. À la fin de la saison, le 3 décembre 1959, près de 8150 navires s’étaient déplacés en direction ouest ou en direction est de cette section de la voie navigable, quelque 3000 de moins que le nombre de ceux qui avaient franchi, l’année précédente, l’ancien réseau

Lionel Chevrier, en pardessus foncé, à gauche, examine l’un des nouveaux canaux en compagnie de Vincent Massey, alors gouverneur général. Longtemps député de Cornwall, Lionel Chevrier fut l’un des plus fervents partisans de la Voie maritime. gracieuseté de bernard chevrier

d’écluses et de canaux. Mais le tonnage transporté avait plus que doublé. Il avait atteint 18,68 millions de tonnes, parce que les chenaux de navigation dans le Saint-Laurent atteignaient maintenant 27 pieds de profondeur, plutôt que 14 auparavant. Les navires faisant 730 pieds de long, et présentant un tirant d’eau de 25 pieds, pouvaient désormais se déplacer tant vers le haut que vers le bas du fleuve, alors que l’ancien réseau ne pouvait gérer le passage que de navires longs de 250 pieds—les navires de canal—présentant un tirant d’eau de moins de 14 pieds. Sur le canal Welland—la section ouest de la Voie maritime—, la situation était la même: moins de navires, mais, combinés, le fret en vrac et les

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L’American Society of Civil Engineers reconnut, en 1960, l’importance et la complexité des travaux de construction de la Voie maritime et des centrales électriques qui y étaient reliées. cgvmsl

marchandises diverses avaient connu une croissance de 30 pour cent, pour atteindre 24,98 millions de tonnes. Ce n’était là qu’un début. Au cours des deux décennies suivantes, les résultats enregistrés en 1959 en viendraient à apparaître minimes. Le trafic annuel sur la Voie maritime et les volumes de fret manutentionnés allaient s’accroître considérablement au fur et à mesure que la demande mondiale de céréales, d’acier et d’autres marchandises s’amplifierait, que les engorgements seraient éliminés, que la saison de navigation serait allongée et que le réseau fonctionnerait avec plus d’efficacité. Malgré tout, au cours de cette première année, la Voie maritime avait plus que prouvé sa valeur. Elle permettait à des navires de haute mer de pénétrer à 3680 kilomètres à l’intérieur des terres—jusqu’au cœur du pays, en d’autres mots—et elle les élevait à une hauteur équivalente aux soixante étages d’un immeuble, du niveau de la mer, à l’embouchure du Saint-Laurent, à une hauteur de 182 mètres sur les eaux vastes et froides du lac Supérieur. Elle permettait à des entreprises céréalières de charger une cargaison de blé ou d’orge à Thunder Bay ou à Duluth, et de l’expédier à Rotterdam. Elle permettait à des fabricants de textiles de mettre leur marchandise à bord de navires à Liverpool et de la livrer à des clients à Chicago.

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Mais, ce qui comptait tout autant, l’ouverture de la Voie maritime représentait également l’aboutissement d’un rêve vieux de plusieurs siècles, qui consistait à transformer un fleuve célèbre et les mers intérieures situées en amont en une voie navigable à la portée de navires de haute mer. Vers la fin des années 1600, des colons de l’île de Montréal avaient fait les premières tentatives d’amélioration du transport maritime en creusant un canal qui permettrait de contourner les rapides de Lachine. Mais après avoir triomphé d’un obstacle majeur, ils avaient rencontré cinq autres ensembles de rapides dans les sections de Soulanges et de Long Sault du fleuve Saint-Laurent, en amont de Montréal. Plus loin à l’ouest, environ un siècle plus tard, des pionniers loyalistes installés dans la péninsule fertile qui séparait le lac Ontario du lac Érié devaient à leur tour se buter à un terrifiant obstacle à la navigation: l’escarpement du Niagara, la dénivellation de 326 pieds qui sépare les deux masses d’eau. Soutenus par leurs gouvernements et par les meilleurs ingénieurs de l’époque, des gens d’affaires prévoyants avaient passé la majeure partie du dix-neuvième siècle à construire des écluses et des canaux, ou à y apporter des améliorations, afin de créer une voie d’eau navigable depuis le bas du Saint-Laurent jusqu’aux lacs supérieurs. Le premier canal Welland, qui faisait 27 milles et demi de long (44,5 kilomètres) et pouvait livrer passage à des bâtiments à voiles présentant un tirant d’eau de près de huit pieds, fut

ouvert à la circulation à la fin de novembre 1829. Au milieu du siècle, le canal avait été reconstruit, et les canaux du haut Saint-Laurent avaient subi des améliorations en vue de créer un chenal continu d’au moins neuf pieds de profondeur, depuis Montréal jusqu’au lac Érié. En 1904, un troisième canal Welland avait été construit, tandis que de nouveaux aménagements le long du Saint-Laurent avaient créé un chenal de quatorze pieds de profondeur. Le canal Welland fut reconstruit une quatrième fois, entre 1913 et 1932, pour permettre le passage de navires longs de 736 pieds et demi, avec un tirant d’eau pouvant atteindre 25 pieds. Mais le Saint-Laurent, lui, resta sans travaux d’envergure. Il en résulta une autoroute maritime fracturée. Les gros laquiers transportant des céréales ou d’autres marchandises en direction est depuis les lacs supérieurs atteignaient Toronto, Kingston ou Prescott, où leur cargaison était déchargée, entreposée dans des terminaux, puis acheminée en direction aval à bord de navires de canal. De même, les océaniques devaient s’arrêter à Montréal, ou ailleurs dans le Bas-Saint-Laurent, et expédier leur cargaison en amont à bord du même genre de petits navires. Ce système était inefficace et intenable à long terme, si bien qu’en 1920 les gouvernements du Canada et des États-Unis commandèrent les premières études destinées à examiner, d’une part, la faisabilité d’une expansion de la voie navigable du haut Saint-Laurent et, d’autre part, l’exploitation de l’immense potentiel hydroélectrique du fleuve. Plus de trois décennies allaient cependant s’écouler avant le début des travaux. La Crise de 1929, tout comme la Seconde Guerre mondiale, retardèrent la mise en œuvre du projet. Mais l’opposition au sein du monde politique constituait également un obstacle sérieux. Comme Lionel Chevrier l’écrivait dans La Voie maritime du Saint-Laurent, l’ouvrage qu’il a consacré à la construction du réseau:

Peu d’entreprises ont opposé tant d’opinions, suscité tant de discussions ou de litiges, fait signer tant de traités, ou échangé [sic] tant de notes entre gouvernements. Peu d’entreprises aussi vitales ont été retardées aussi longtemps. [L’histoire de la Voie maritime] raconte le conflit entre des hommes qui luttent pour leurs intérêts et des nations qui défendent le leur. Deux choses allaient faire pencher la balance dans le sens de l’intérêt national. En premier lieu, dans l’immédiat après-guerre, l’Ontario et l’État de New York éprouvaient un besoin pressant de l’hydroélectricité du Saint-Laurent pour alimenter leurs économies respectives, alors en pleine expansion. Dans les deux ressorts territoriaux, les politiciens exerçaient des pressions sur les gouvernements canadien et américain en vue d’une entente qui permettrait l’érection de barrages et de centrales électriques sur le fleuve. En second lieu, l’industrie américaine de l’acier était en train d’épuiser les plus gros gisements de minerai de fer des États-Unis, dans le district de Mesabi, à l’ouest de Duluth, au Minnesota. Ainsi, quand d’importants nouveaux gisements furent découverts dans l’intérieur du Labrador et, non loin, dans l’est du Québec, les gros bonnets de l’industrie ajoutèrent leur voix à celles qui réclamaient déjà la construction de la Voie maritime. En octobre 1949, un consortium formé de dix grands producteurs d’acier et sociétés minières mit sur pied l’Iron Ore Company of Canada (IOC) pour exploiter des réserves minérales qui dépassaient 400 millions de tonnes et se trouvaient à quelque 580 kilomètres au nord de Sept-Îles, au Québec. En juin 1954, l’IOC avait acheminé par chemin de fer ses premiers wagons de minerai en direction de Sept-Îles, au sud, et la production allait rapidement atteindre 10 millions de tonnes annuellement. Mais l’entreprise ne pouvait transporter ce minerai dans de gros navires que jusqu’à des terminaux situés à

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Un navire descendant passe devant le site d’Expo 67 dans le nouveau canal de la Rive Sud. cgvmsl Contrecœur, environ 40 kilomètres en aval de Montréal. De là, le minerai était chargé sur des navires de canal pour le voyage en direction de Buffalo, de Cleveland, de Detroit et d’autres ports des Grands Lacs. Les sociétés garantes de l’IOC étaient convaincues que le Canada et les États-Unis s’entendraient pour construire la Voie maritime, qui permettrait à leurs navires de remonter le Saint-Laurent sans interruption en cours de voyage. Des chicanes de nature politique, principalement à Washington, connurent enfin leur terme avec l’élection d’Eisenhower à l’automne 1952. Le nouveau président était favorable à la Voie maritime et, en janvier 1953, le Congrès entreprit de rédiger une loi qui autoriserait la participation des États-Unis. Eisenhower apposa sa signature au projet de loi en mai 1954. Mais les adversaires les plus obstinés réclamèrent une injonction dans le but d’empêcher la réalisation du projet.

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La Cour suprême des États-Unis repoussa la demande d’injonction au début de juin, geste qui suscita une explosion de joie populaire à Cornwall, petite localité sise sur les bords du Saint-Laurent, où, pendant une majeure partie du vingtième siècle, la population avait discuté de la construction d’une voie maritime. La ville organisa rapidement un grand défilé. Le maire, Aaron Horovitz, et le préfet, Elzéar Émard, ouvraient le défilé dans la voiture de tête. Deux unités du service d’incendie de la ville prenaient part à l’événement. Toutes les fanfares disponibles avaient été mises à contribution, comme l’avaient été les réservistes des Stormont-Dundas-Glengarry Highlanders, qui roulaient dans les rues à bord de portemitrailleuses Ben. Quand le défilé prit fin, l’ensemble de la population se joignit à la fête, que le Cornwall Standard-Freeholder du lendemain devait qualifier de «plus grande manifestation spontanée de rue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale». Moins de cinq mois plus tard, le travail commençait sur la Voie maritime. L’achèvement de ce projet monstre devait transformer le transport

maritime sur le Saint-Laurent et les Grands Lacs, et ceux qui furent témoins de ce changement en conservent un vif souvenir. «Nous étions habitués de voir des navires de canal», se rappelle Bill McNairn, un ecclésiastique aujourd’hui à la retraite, qui avait grandi sur les bords du fleuve et n’avait pas encore vingt ans au moment de l’ouverture de la Voie maritime. «Nous sortions sur le fleuve dans des bateaux de pêche quand les gros navires commencèrent d’y passer—uniquement pour le plaisir de les observer. Nous nous rendions compte à quel point ils étaient énormes. Nous avions l’impression de côtoyer le Titanic.» Même les marins les plus expérimentés n’en croyaient pas leurs yeux. «Tout ce qui pouvait flotter passa par ici en 1959», se rappelle le pilote à la retraite Robert «Louie» Stevenson. «Une force opérationnelle de la Marine américaine se rendit jusqu’à Chicago, uniquement pour y montrer ses couleurs. Il devait bien y avoir soixante navires— des péniches de débarquement, trois sous-marins, des destroyers. Le vaisseau amiral était le croiseur Macon. Il réussit à peine à franchir les écluses.» Il y eut également un afflux d’océaniques—de

Les proportions monumentales de la Voie maritime nouvellement construite ne cessaient d’étonner les résidents de longue date de petites communautés situées le long du SaintLaurent. cgvmsl «salés», comme on les appelle dans le métier, qui naviguaient aux côtés de douzaines de flottes auxquelles ces eaux étaient familières depuis déjà plusieurs années. Selon le Greenwood’s Guide to Great Lakes Shipping, on comptait environ quatrevingts sociétés américaines sur les lacs au début des années 1960, et quarante-trois canadiennes, toutes représentant des intérêts divers. La Compagnie pétrolière impériale, Shell Canada et Texaco Canada possédaient leurs propres flottes de pétroliers. Les compagnies charbonnières, les producteurs de papier, les entreprises qui faisaient le commerce du sable, du gravier et des granulats avaient leurs propres navires. Le Canadien Pacifique était propriétaire de deux navires de caissage et se trouvait en concurrence avec des sociétés telles la Northwest Steamships de Toronto et l’Owen Sound Transportation Company. La Canada Steamship

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«Nous avions quotidiennement plus de cinquante navires ancrés à Port Weller et à Port Colborne.… Cela finissait par créer un embouteillage.» John Kroon · employé de la Voie maritime, 1956–1995

Un amas de navires à l’entrée du canal Welland par le lac Ontario. La congestion posait un sérieux problème dans les premières années d’existence de la Voie maritime. cgvmsl Lines, installée à Montréal, était, avec ses quarantequatre navires, la société canadienne la plus importante à utiliser la Voie maritime, mais c’était la US Steel qui, avec ses cinquante-six bâtiments, détenait le titre de championne du transport de marchandises sur les Grand Lacs. Les salés compliquaient la situation tant pour les sociétés habituées à naviguer en eau douce, que pour la Voie maritime elle-même. Le réseau était souvent affecté par une pénurie de pilotes— des capitaines locaux dont la tâche consistait à guider les navires étrangers dans des eaux intérieures peu familières. Cette situation perturbait le trafic. À certains moments, également, la barrière linguistique entravait les communications entre les navires et le rivage. Par ailleurs, plusieurs capitaines de haute mer venant

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de l’étranger ancraient leurs bâtiments pour la nuit afin d’éviter d’avoir à naviguer dans des eaux intérieures qu’ils connaissaient mal, et cette pratique gênait elle aussi la fluidité du trafic. Presque dès l’ouverture du réseau, un sérieux problème de congestion se posa aux deux extrémités du canal Welland. «Nous avions quotidiennement plus de cinquante navires ancrés à Port Weller et à Port Colborne», raconte John Kroon, un employé de la Voie maritime de 1956 à 1995. «Cela finissait par créer un embouteillage. Parfois, les navires restaient immobilisés pendant plusieurs jours.» Le problème provenait en partie du système de contrôle de la circulation sur le canal, qui était rudimentaire. Un seul préposé au mouvement des navires, travaillant depuis le quatrième étage d’un immeuble situé à proximité de la porte de garde, au sud de l’écluse 7, appelait les navires à pénétrer dans le canal, en provenance soit du lac Ontario, soit du lac Érié. Mais il ne gérait pas le mouvement

de la circulation. Les maîtres-éclusiers laissaient entrer et sortir les navires en fonction de leur expérience, et la règle capitale qui les guidait était de ne jamais laisser une écluse vide. Les capitaines restaient en contact les uns avec les autres par radio et tenaient le préposé au mouvement des navires informé du progrès de leur transit à travers la voie navigable. «Le canal Welland avait à peine modifié ses méthodes d’exploitation depuis le moment de son ouverture en 1932», se rappelle Henry Koski, un ancien employé de la Voie maritime, qui avait été, un temps, responsable de la navigation sur le réseau. La congestion sur le canal Welland demeura un défi logistique de premier plan pendant toute la première décennie de la Voie maritime, et le problème devint aigu en 1964. «Ce printemps, la Voie maritime a connu un accroissement considérable de tonnage», rapportait le Financial Post en juin de cette année-là. «Le trafic sur le canal Welland et dans d’autres écluses de la Voie maritime s’est accru de 50 pour cent par rapport à l’année dernière. Ce facteur auquel, de nombreux matins du printemps, s’est ajouté le brouillard a entraîné la formation de longues files de navire en attente aux deux extrémités du canal.» Chaque retard se traduisait en pertes pour les entreprises de transport, qui exigeaient que l’on remédie à la situation. Certains proposaient que le passage à travers le canal soit déterminé en fonction d’un ordre de priorité. D’autres suggéraient que les navires d’eau douce aient préséance sur ceux qui provenaient de l’Atlantique. L’Administration de la voie maritime—l’organisme qui gérait le réseau—rejeta ces idées. Plutôt, au cours de l’été de 1964, l’organisme retint les services de la firme d’experts-conseils Kates, Peat, Marwick & Company en vue de résoudre le problème que causait la congestion. Le printemps suivant, la Voie maritime avait commencé de mettre en œuvre certains des changements recommandés par les consultants.

au haut : Un répartiteur, à l’entrée du canal Welland, contrôle le

mouvement des navires attendant d’y pénétrer en novembre 1969. À l’approche de la fin de la saison, un grand nombre de navires descendants se pressaient d’y entrer depuis le lac Érié. au bas : Une firme d’experts-conseils, dont les services avaient été retenus au milieu des années 1960, aida l’Administration de la voie maritime à mettre sur pied le premier système de contrôle du trafic, qui comprenait, entre autres, l’utilisation de caméras de télévision en circuit fermé, une technologie encore nouvelle à l’époque. cgvmsl Cinq chenaux furent élargis. Des modifications d’ordre hydraulique permettaient de remplir et de vider les écluses plus promptement, et des mesures avaient été prises en vue d’ouvrir et de refermer les portes plus rapidement. Des panneaux de signalisation munis de feux rouges, jaunes et

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La Voie maritime a été construite pour la navigation commerciale, mais des embarcations de plaisance utilisent aussi le réseau. Les bateaux que l’on aperçoit ici, dans l’écluse de Saint-Lambert, remontent le Saint-Laurent. cgvmsl verts furent installés en haut et en bas de chaque écluse pour faciliter les entrées et les sorties. Les tirants d’eau maxima autorisés, qui étaient passés de 25 pieds, en 1959, à 25 pieds et six pouces en 1963, furent accrus une fois de plus à 25 pieds et neuf pouces en 1967, ce qui permit aux transporteurs maritimes de déplacer de plus forts tonnages à l’occasion de chaque voyage. Les consultants recommandèrent également que des modifications soient apportées aux écluses de Saint-Lambert et de Côte-Sainte-Catherine, près de Montréal, changements qui permirent à la Voie maritime d’ajouter près d’un mois à la saison de navigation commerciale dans la section est du réseau. En accroissant et en modifiant le débit d’eau, les éclusiers pouvaient briser les premières glaces de l’hiver et en effectuer la vidange, comme ils pouvaient devancer la débâcle printanière. On put ainsi allonger la saison, qui était de 222 jours en 1959, à 250 jours en 1968. Mais, ce qui importait plus encore, c’est que les consultants avaient jeté les bases d’un système efficace de contrôle du trafic. Un centre exclusif de contrôle fut mis sur pied, au bas de l’escarpement, dans un immeuble qui avait jusque-là servi principalement d’atelier d’entretien et de réparation. Des équipes formées de trois membres —un superviseur et deux adjoints—travaillaient

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vingt-quatre heures sur vingt-quatre et géraient le mouvement des navires sur la totalité du canal. Trois caméras de télévision en circuit fermé—une technologie encore relativement nouvelle à l’époque, et encore employée principalement à des fins de sécurité dans les prisons et les établissements industriels—étaient installées à chaque écluse, de façon à ce que les contrôleurs puissent suivre visuellement la progression des navires et communiquer par radio avec les capitaines. Ces équipes contrôlaient le cours du trafic sur un tableau d’affichage animé, qui faisait neuf mètres de long et présentait du canal et de l’escarpement un modèle à l’échelle. Le tableau était pourvu de petits navires de bois que les contrôleurs déplaçaient à l’aide d’une baguette au fur et à mesure que les vrais bâtiments transitaient à travers le réseau. Le tableau animé fut par la suite remplacé par un modèle mécanisé, utilisant un engrenage à vis sans fin ou des tiges filetées pour déplacer les navires horizontalement quand ceux-ci traversaient un chenal, et verticalement quand ils montaient ou descendaient dans les écluses. «Le système de contrôle du trafic fut complètement modifié», se rappelle Pierre Camu, qui était à l’époque président de la Voie maritime. «On était passé d’une approche qui appartenait encore au dix-neuvième siècle, à une autre accordée aux besoins du vingtième. Le changement fut appliqué également à la section Montréal-SaintLaurent.» Toutes ces modifications eurent pour effet d’améliorer les temps de transit et d’atténuer l’engorgement. Malgré tout, les dirigeants de la Voie maritime estimaient que des améliorations majeures s’imposaient en vue d’assurer le fonctionnement ordonné du canal Welland et de le rendre capable de répondre adéquatement à l’accroissement de la demande au cours des décennies à venir. À cette fin, ils élaborèrent un plan qui consistait à achever le jumelage des sept

écluses qui élèvent les navires depuis le lac Ontario jusqu’au sommet de l’escarpement, un projet dont on estimait que le coût pourrait atteindre 450 millions de dollars. Les écluses 4, 5 et 6 s’élèvent telles trois marches géantes posées sur la face de l’escarpement. Elles étaient depuis longtemps jumelées pour permettre la montée et la descente simultanées du trafic. La Voie maritime envisageait la création d’un chenal parallèle et la construction de quatre écluses pour correspondre aux écluses 1, 2, 3 et 7. Le gouvernement fédéral annonça en août 1963 que le projet irait de l’avant, et les dirigeants de la Voie maritime se mirent au travail pour choisir un tracé et mener des études préliminaires. À l’automne de 1965, ils avaient décidé que la nouvelle voie navigable serait construite à un kilomètre environ à l’est du canal existant. Le tracé s’étendrait sur quelque quatorze kilomètres en direction sud, depuis le lac Ontario, et rejoindrait le réseau plus ancien au-dessous de l’écluse 7. Deux obstacles, immeubles par nature, se dressaient cependant sur le chemin de ce nouvel ouvrage public: le Queen Elizabeth Way et le cimetière Lakeview, à Thorold, où se trouvaient 8000 sépultures. Les planificateurs de la Voie maritime

Vue aérienne du canal Welland traversant la ville de Welland. Étroit et plein de tournants, comprenant de nombreux ponts, le canal était considéré par les capitaines de navires comme une section particulièrement traîtresse de la Voie maritime. cgvmsl envisagèrent de creuser un tunnel qui ferait passer la route express sous le canal, mais le cimetière devrait être déplacé. L’aspect le plus contentieux du projet était la perspective de devoir exproprier des terres détenues par des intérêts privés. Des lettres furent adressées aux intéressés avant la fin de 1965 et, en mai 1966, la Voie maritime avait acquis, de 335 détenteurs de titres de propriété, au prix de 4 millions de dollars, 1971 acres de terres. Entre-temps, les ingénieurs de la Voie maritime étaient déjà au travail sur deux projets encore plus ambitieux, appelés Projet X et Projet Z, qui, une fois achevés, auraient remplacé le canal Welland existant par un autre ouvrage, entièrement nouveau. Le Projet Z prévoyait un nouvel ensemble d’écluses qui élèveraient les navires, depuis le lac Ontario jusqu’au sommet de l’escarpement, en quatre marches géantes de près de 80 pieds chacune. Qui plus est, chaque écluse ferait mille pieds de long. Les ingénieurs produisirent une étude de définition pour cette entreprise, mais

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«Vous travailliez comme un forcené.… Je détestais ce pont.» Charles Tully · pilote à la retraite

n’allèrent guère plus loin, parce que le Projet X dévorait déjà le temps, l’énergie et les fonds de l’organisme. En 1966, la Voie maritime s’engagea dans ce projet monstre, qui prit bientôt le nom de «canal de détournement de Welland». Le nouveau chenal remplacerait une partie existante du canal, longue de 14,5 kilomètres, qui était considérée comme carrément traîtresse. Cette section ne faisait que 180 pieds de largeur en la plupart des points de son parcours et était ainsi un peu trop étroite pour les bâtiments qui naviguaient désormais sur ses eaux. Elle présentait de plus quatre courbes importantes et plusieurs de dimensions moindres. Elle traversait la ville de Welland, et l’on y trouvait six ponts—dont quatre enjambaient le canal le long d’une étendue de quelque deux kilomètres. L’une de ces structures, le pont 15, acquit une réputation internationale parmi les capitaines d’océaniques. C’était un pont tournant destiné aux trains de la ligne principale du chemin de fer New York Central, voyageant entre Buffalo et Detroit. Le pont reposait sur un socle de béton qui se dressait en plein milieu du canal. «Le pont 15 était connu partout au monde», se rappelle le pilote à la retraite Stevenson. «Quand vous montiez à bord d’un navire à Port Weller, à l’extrémité du lac Ontario, où commençait le canal, les capitaines étrangers demandaient toujours: “Où se trouve ce fameux pont?”. Quelques-uns d’entre eux n’osaient même pas respirer quand nous passions par là. C’est dire à quel point le passage était étroit.» Comme si cela ne suffisait pas, un léger tournant se présentait juste au sud de la structure, ce qui ajoutait à la difficulté de la navigation, explique Charles Tully, un autre pilote à la retraite. «Vous tâchiez de maintenir en tout temps le navire au centre du canal, explique-t-il. Donc, vous sortiez de ce tournant et, subitement, vous vous trouviez face à face avec le pont 15. Il vous fallait alors orienter votre navire vers la droite et l’aligner de manière à vous frayer un passage. Vous travailliez

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comme un forcené. Sur quelques-uns des plus vieux navires, vous deviez vous déplacer vers le côté droit du gouvernail et pousser de vos deux mains vers le bas. Je détestais ce pont.» Par mesure de précaution, la Voie maritime disposa autour du socle des pieux trempés de créosote, de la grosseur de poteaux téléphoniques. On installa également des capteurs, de même qu’une cloche qui se faisait entendre si le navire touchait le pont—circonstance qui se produisait trop souvent pour rassurer qui que ce soit. Une autre situation bien connue sur cette partie du canal était la rencontre de deux navires, presque nez à nez. Deux bâtiments avançaient très lentement l’un vers l’autre en direction opposée, chacun d’entre eux au centre du canal. Quand les deux pilotes constataient qu’ils n’étaient plus séparés que par une distance équivalente à la longueur d’un navire, ils obliquaient vers la droite, laissant à peine un espace large de moins de deux mètres entre les deux bâtiments—normalement ce qu’il fallait pour les tenir éloignés l’un de l’autre. «Les frôlements étaient nombreux, se rappelle Tully. Les navires frottaient l’un contre l’autre. Si les dommages étaient superficiels, vous poursuiviez simplement votre route. Aujourd’hui, on parlerait d’“incidents” et il faudrait en faire rapport.» «Parfois, c’était la peinture qui s’enflammait, ajoute Stevenson. Vous seriez surpris du nombre de fois où l’on apercevait des flammes. Mais je tire mon chapeau à ces capitaines. Ils accomplissaient un travail extraordinaire. Autrement, on aurait eu à déplorer nombre d’accidents sérieux.» Tandis que la Voie maritime éprouvait une crise de croissance, l’industrie du transport maritime subissait de son côté une transformation remarquable. «Le changement fut spectaculaire», se rappelle Jack Leitch, longtemps président de Upper Lakes Shipping, une entreprise établie à Toronto. «Dès l’ouverture de la Voie maritime, on constatait un important phénomène d’obsolescence. Les navires étaient tout

simplement trop vieux ou trop petits. Ils ne rapportaient pas. Il nous fallait accroître la taille de notre flotte, et ce, pour deux raisons: nous débarrasser des navires de canal, d’une part, et de l’autre, répondre à l’accroissement soutenu de la demande pour le transport du charbon et du minerai de fer.» Upper Lakes était, à l’époque, propriétaire de vingt-neuf vaisseaux, dont quinze étaient des navires de canal aptes à transporter entre 2000 et 3000 tonnes de fret. Au bout de cinq ans, tous ces petits navires avaient été retirés du service, deuxième étape d’un programme de modernisation de la flotte, qui avait en réalité commencé au début des années cinquante, en prévision de la construction de la voie maritime. En 1952, Upper Lakes accordait un contrat à un chantier naval de Midland, en Ontario, pour la construction de deux vraquiers longs de 644 pieds, destinés au transport de minerai, de charbon et de céréales. Ces navires furent baptisés Gordon C. Leitch, du nom du fondateur de l’entreprise, et James Norris, en l’honneur du magnat de l’industrie céréalière, domicilié à Chicago, qui détenait un intérêt de 65 pour cent dans la société. Six ans plus tard, Upper Lakes construisit un navire long de 681 pieds aux chantiers en cale sèche de Port Weller, dont elle avait fait l’acquisition en 1956. On avait besoin de ce navire, destiné à la Voie maritime, pour répondre aux conditions d’un contrat à long terme visant à fournir du charbon et du minerai de fer à la Dominion Foundries and Steel (Dofasco), de Hamilton. On donna à ce bâtiment le nom de Frank A. Sherman, en hommage au président du conseil de Dofasco.

Avant même que la Voie maritime ait atteint ses dix ans, les services postaux du Canada et des États-Unis avaient émis des timbres dénotant son succès remarquable. cgvmsl Une fois la Voie maritime ouverte, Upper Lakes dut faire diligence pour remplacer la capacité porteuse qu’elle avait perdue en mettant au rancart les navires de canal. Au bout du compte, elle avait, en l’espace de dix ans, construit, ou acheté en vue de les remettre à neuf, treize navires. Elle avait acquis quatre pétroliers, dont elle avait, dans ses chantiers de Port Weller, accru les dimensions de la coque, de jusqu’à 200 pieds parfois, et les avait convertis en vraquiers. Elle fit également l’acquisition de quatre vaisseaux plus anciens, variant en longueur de 550 à 600 pieds, qui pouvaient êtres mis en service immédiatement. Enfin, elle construisit quatre auto-déchargeurs—les Cape Breton Miner, Ontario Power, Canadian Century et Canadian Progress—qui furent utilisés principalement pour fournir en charbon les centrales électriques d’Hydro Ontario. Tous les autres principaux acteurs canadiens du transport maritime mirent sur pied des programmes de renouvellement de leur flotte. Pour quelques-uns d’entre eux, pareille initiative présentait un défi complexe, comme l’écrivait Edgar Collard dans Passage to the Sea: The Story of Canada Steamship Lines. «La perspective alarmante était que la flotte de CSL allait devoir être reconstruite. Un trop grand nombre de ses navires étaient trop petits. Néanmoins, tous les navires de canal de CSL devraient être entretenus et maintenus en ordre d’appareillage jusqu’au jour

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Pierre Camu, président de l’Administration de la voie maritime de 1965 à 1973, à droite, rencontre David Oberlin, administrateur de la Saint Lawrence Seaway Development Corporation, à Massena, dans l’État de New York. cgvmsl même de l’ouverture de la Voie maritime. CSL aurait à se préparer à affronter le nouvel ordre des choses tout en restant prisonnier de l’ancien.» Tout comme Upper Lakes, CSL entreprit de bâtir en fonction de la Voie maritime, avant même le début de la construction du nouveau réseau. En novembre 1953, l’entreprise lança le T.R. McLagan, un navire long de 714 pieds, muni d’un barrot de 70 pieds. Le navire pouvait traverser le canal Welland, mais les dirigeants de CSL avaient parié que les écluses, le long de la nouvelle voie maritime, seraient assez spacieuses pour livrer passage au T.R. McLagan.

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Le boom véritable se produisit dans les années 1960. L’un après l’autre, les navires sortaient de chantiers navals de la société, à Lauzon, au Québec, et des localités ontariennes de Midland, Collingwood, Kingston et Port Arthur : le Murray Bay, en 1960 ; l’English River, le Fort Chambly, le French River et le Whitefish Bay, en 1963 ; le Saguenay, en 1964 ; le Rimouski et le Stephen B. Roman, en 1965. À la fin de la décennie, CSL avait achevé la construction de sept autres navires. En dernier ressort, cette période exceptionnelle de construction navale modifia l’équilibre de la concurrence entre les transporteurs maritimes. Algoma Central Marine, dont le siège social est maintenant à St. Catharines, était un petit transporteur, par comparaison avec des sociétés telles Scott Misener Steamships, N.M. Patterson & Sons et Hall Corporation of Canada. «Nous avons pris notre essor presque sans nous en rendre compte», affirme Peter Cresswell, un ancien président d’Algoma. «L’une des raisons qui nous ont permis de croître est que nous avons rapidement opté pour des auto-déchargeurs, alors que d’autres parmi nos concurrents n’avaient pas fait le même pari. Les auto-déchargeurs coûtent plus cher à construire, mais sont plus profitables. Ils ne requièrent pas l’utilisation d’installations situées sur la rive. Vous pouviez ainsi disposer de votre fret très rapidement. Il fallait vingt-quatre heures à un vraquier pour décharger une cargaison de minerai de fer, et jusqu’à deux jours pour une cargaison de céréales. Les auto-déchargeurs ne nécessitent que de huit à dix heures.» Algoma entreprit elle aussi son programme de construction avant la mise en exploitation de la Voie maritime, avec le E.B. Barber, un cargo général long de 564 pieds, construit en 1953 et converti en auto-déchargeur au début des années 1960. Elle lança le Sir Denys Lowson en 1964, le Roy A. Jodrey en 1965, l’Algorail et l’Algocen en 1968, enfin l’Agawa Canyon en 1970. L’expansion de la flotte se

Au moment de son ouverture, la Voie maritime était en mesure de desservir 90 pour cent des navires du monde entier. Après une première décennie, les flottes de trente pays utilisaient le réseau. poursuivit jusqu’au début des années 1980. La société avait alors construit quatorze navires. À la fin des années 1960, les propriétaires de navires construisaient des bâtiments d’une longueur de 730 pieds, le maximum permis en raison des dimensions des écluses de la Voie maritime. Trente-huit de ces navires étaient en service, dont cinq lancés au cours de la seule année 1968. Tous avaient été construits dans des chantiers maritimes canadiens. La Voie maritime avait également servi de catalyseur pour la conversion des navires de la vapeur au diesel. Jack Kinnear, un ancien dirigeant au sein de la société de transport maritime Carryore, qui devait par la suite fusionner avec Algoma, note que la plupart des navires en service sur les lacs avant l’ouverture de la Voie maritime étaient actionnés par des turbines alimentées au mazout. «Ces navires ne pouvaient descendre plus loin que la ville de Québec, parce qu’ils y rencontraient rapidement de l’eau salée, explique notre interlocuteur. Les navires plus anciens avaient besoin d’eau douce pour chauffer leur chaudière.» L’ouverture de la Voie maritime entraîna également des améliorations dans les principaux ports des Grands Lacs. La plupart durent être agrandis pour desservir la nouvelle flotte de navires de même que les océaniques, beaucoup plus gros, qui pénétraient à l’intérieur des terres. Les chenaux d’accès furent approfondis. Des travaux de dragage furent entrepris aux abords des quais, des jetées et des postes de mouillage. Les hangars de terminaux de fret, les silos à céréales, les systèmes transporteurs et les pipelines furent modifiés ou reconstruits pour répondre aux exigences d’un accroissement du trafic. Au moment de son ouverture, la Voie maritime était en mesure de desservir 90 pour cent des navires du monde entier. Après une première décennie, les flottes de trente pays utilisaient le réseau. Elles venaient notamment du Japon, de la Thaïlande, de Taïwan, de Grèce, d’Angleterre et de

Russie. Cela démontrait que les sociétés internationales de transport maritime avaient reconnu le fait que la Voie maritime était une artère commerciale indispensable, qui donnait accès au cœur de l’Amérique du Nord. Qui plus est, le réseau fonctionnait si bien durant ces dix premières années qu’il avait à jamais imposé silence aux sceptiques et aux irréductibles qui s’étaient pendant si longtemps opposés au projet et en avaient entravé la réalisation. Pendant la phase d’exécution des travaux, les planificateurs de la Voie maritime avait prévu qu’en 1969 le volume annuel des marchandises acheminées sur la section Montréal-lac Ontario atteindrait 50 millions de tonnes, et 60 millions sur la section du canal Welland. Le sommet, pour la décennie, fut atteint en 1966, quand le volume sur la section Montréal-lac Ontario dépassa 44,67 millions de tonnes, alors que 53,77 millions de tonnes transitaient par le canal Welland. Deux ans plus tard, les chiffres étaient semblables: 43,5 millions pour la section Montréallac Ontario, et 52,68 millions pour le canal Welland. La voie navigable aurait vraisemblablement atteint ou dépassé les volumes projetés en 1968, mais les avait ratés en grande partie à cause d’une grève de trois semaines des employés de la Voie maritime. Quoi qu’il en soit, le réseau entier manutentionnait trois fois plus de marchandises que ne l’avait fait, dans sa dernière année d’exploitation, l’ancienne voie navigable fragmentée. Ainsi, il y avait moult raisons de réjouissances quand la Voie maritime acheva sa dixième année d’exploitation. Pierre Camu résuma les défis et les réalisations dans une allocution prononcée à l’occasion de la conférence annuelle de la Dominion Marine Association et de la Lake Carriers’ Association. «Il fallait amener le milieu des affaires—les importateurs, les exportateurs, les transporteurs en vrac, les sociétés d’hydroélectricité et les producteurs d’acier—à considérer la Voie maritime comme une artère

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Le 27 juin 1969, à Montréal, Pierre Trudeau et Richard Nixon dévoilaient une plaque destinée à commémorer « l’amitié et la collaboration » qui avaient mené à la construction de la Voie maritime. cgvmsl commerciale efficace, rapide et sécuritaire» déclara le conférencier. «En dix ans, nous avons amélioré l’image de la Voie maritime au point que ceux qui, en 1959, tendaient à la considérer comme une réalisation superflue en étaient venus, en 1965, à la conclusion qu’elle était utile et, en 1969, qu’elle était devenue nécessaire.» Cet été là, pour marquer le dixième anniversaire, des cérémonies publiques furent organisées à Morrisburg, en Ontario, à Sault Ste. Marie, à Massena, dans l’État de New York et dans plusieurs autres localités le long de la Voie maritime. L’événement le plus notable se déroula le 27 juin 1969, à l’exposition Terre des hommes, site d’Expo 67 deux ans plus tôt. Le premier ministre Pierre Trudeau s’y trouvait, de même que le président des États-Unis, Richard Nixon, qui faisait sa première visite au Canada depuis son élection en 1968, ainsi que plusieurs dignitaires politiques. Les deux dirigeants dévoilèrent une plaque qui se lisait ainsi: «Cette plaque commémore l’amitié et la

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collaboration entre les États-Unis et le Canada en ce jour du 10e anniversaire de la Voie maritime du Saint-Laurent.» Le premier ministre Trudeau parla le premier, suivi par le président Nixon. «Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur le Président», déclara le premier ministre, s’adressant en français, «pour saluer le travail que nos deux peuples ont accompli de concert, pour constater le progrès économique qui en a découlé, mais, par-dessus tout, pour démontrer que cette voie navigable […] peut servir, non de barrière entre nos deux peuples, mais comme une passerelle de bienvenue, de progrès et d’accès» [traduction libre]. Le président exprima des sentiments semblables, puis ajouta: «S’il me vient une pensée à laisser à cet auditoire distingué, c’est celle-ci: je crois que l’esprit qui a construit cette voie maritime est l’esprit dont le monde a besoin aujourd’hui pour rassembler les peuples du monde entier.»

3 | Croissance et optimisme, 1969–1979 Debout sur la passerelle du SS Georgian Bay, tard l’après-midi du 15 décembre 1972, le capitaine Arthur Perry guidait son navire, un bâtiment long de 630 pieds, en direction sud, depuis le lac Ontario, et s’apprêtait à entrer dans les eaux noir d’encre du canal Welland. Le soleil était déjà couché et il neigeait abondamment. C’était, pour le Georgian Bay, le dernier parcours de la saison, un trajet de 43 kilomètres sur le canal, en direction de son poste hivernal de mouillage à Port Colborne, sur le lac Érié. Ce voyage était également le dernier pour le capitaine Perry, qui prenait sa retraite après une carrière passée sur les lacs. Le moment était historique, enfin, pour l’Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, pour les sociétés de transport maritime qui utilisaient le canal, de même que pour les résidents qui vivaient sur ses bords. Ce transit était le dernier à travers une étroite bande du canal, longue de 14,5 kilomètres, qui traversait la ville de Welland et qui était devenue un obstacle majeur tant pour les navires que pour les véhicules et les trains. Au point culminant de la saison de navigation, quelque cinquante laquiers et cargos transocéaniques étaient immobilisés à chacune des extrémités du canal en raison d’un goulot d’étranglement qui se formait au milieu. Et, pour chaque transit (7000 au cours de la saison de 1972), les moteurs de voitures tournaient au ralenti et les automobilistes rageaient aux abords de six ponts que l’on avait élevés ou fait pivoter pour livrer passage. Un grand nombre des 45000 résidents de Welland en étaient venus à exécrer les retards ainsi causés, et des milliers d’entre eux étaient sur place, par cette nuit hivernale, pour voir passer le dernier navire. Ils avaient allumé des feux le long du parcours et avaient immobilisé leurs véhicules, dont ils faisaient clignoter les phares au passage du Georgian Bay, tandis que, dans leurs maisons, les propriétaires allumaient et éteignaient à répétition les lumières. Sur les bords du canal, les enfants s’amusaient à lancer des boules de neige contre les

Un laquier traverse le centre-ville de Welland, interrompant la circulation le long de la rue Main, une voie à sens unique, et créant une longue file de véhicules tournant au ralenti sur le côté est du pont. thies bogner flancs de fer du gros laquier. À 20 heures, le navire fit entendre son sifflet à l’approche du pont numéro 13, à l’intersection de la rue Main, au centre-ville, où, pendant quarante ans, le pire de la congestion de la circulation avait sévi. Massée sur dix rangs, la foule poussa des hourras en réponse. Les bras du numéro 13 furent soulevés pour ce dernier passage et quand, lentement, ils redescendirent, certains, dans la foule, entonnèrent une version locale d’une vieille chanson populaire britannique: «Welland bridge is coming down, coming down, coming down. Welland bridge is coming down…» Quand ils eurent terminé, leur attention se reporta sur le maire de la ville, Alan Pietz, qui, jubilant, s’approcha d’un microphone posé sur une

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ci-dessus : Vue aérienne du canal Welland en direction nord

depuis Port Colborne, avec le passage à travers la ville de Welland, à gauche et une excavation en vue du parcours du nouveau chenal, à droite. tim root Plan montrant le canal Welland et le parcours du chenal détourné, représenté par la ligne pointillée en gras.

à droite :

cgvmsl

estrade et déclara: «C’est la fin d’une époque et le début d’une nouvelle.» Cette ère nouvelle s’amorça le 28 mars 1973. Ce jour-là, le NM Senneville, un vraquier chargé d’orge en route vers Port-Cartier, au Québec, pénétra dans le canal à Port Colborne et effectua le premier passage commercial dans un nouveau chenal qui contournait la ville. L’ouvrage avait coûté 188 millions de dollars, et sa construction s’était étendue sur cinq ans. Le nouveau chenal était plus large, plus profond et plus droit que celui qu’il remplaçait, et son inauguration fut encore une fois l’occasion de réjouissances, bien que sur une échelle moindre que celles qui avaient marqué la

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fermeture du canal trois mois plus tôt. Des centaines d’écoliers avaient obtenu congé pour être témoins de l’événement, et la ville avait organisé un feu d’artifice. «Vous nous avez gâtés», déclara à cette occasion le capitaine du Senneville, W.T. Elliott, à des dignitaires de l’Administration de la voie maritime. Ce sentiment faisait écho à ceux de bien d’autres marins au cours des années. «C’était une amélioration importante», se rappelle le pilote à la retraite Charles Tully, qui commençait à l’époque sa carrière sur les lacs. «L’on n’avait plus à se préoccuper des ponts. Le nouvel ouvrage offrait tout l’espace voulu pour croiser d’autres navires. De notre point de vue, cela faisait une différence considérable.»

Sous le canal de détournement, on avait creusé un tunnel pour les trains et les véhicules automobiles.

Le canal de détournement de Welland, nom que l’on avait donné à cette initiative, était le plus gros projet d’immobilisations entrepris au cours des deux premières décennies d’exploitation de la Voie maritime. Il améliorait la rapidité et la sécurité de la navigation. Il permettait à l’industrie du transport maritime de satisfaire à la demande accrue qui résultait de la croissance de l’économie canadienne. Qui plus est, c’était, pour reprendre les mots du rapport annuel de la Voie maritime pour l’année 1972, «un exploit dans le domaine du génie», et l’entreprise avait pu être menée à terme «dans des délais sévèrement limités et sans aucune interruption de la circulation routière, ferroviaire ou maritime». Le nouveau chenal faisait 13,3 kilomètres de longueur. Il était d’une largeur de 350 pieds, et d’une profondeur de 30 pieds. La planification de cette entreprise colossale avait été amorcée au milieu des années 1960, quand des dirigeants de l’industrie du transport maritime et des élus municipaux s’étaient plaints que les retards et les perturbations sur le réseau étaient devenus intolérables. En mai 1966, peu de temps après en avoir obtenu l’accord gouvernemental, l’Administration de la voie maritime entreprit d’acquérir les 6500 acres de terre requis pour le creusage du nouveau chenal et, quatorze mois plus tard, la construction démarrait. Au moment de l’achèvement du projet, quelque 4000 personnes y avaient œuvré. Ces travailleurs avaient extrait 65 millions de tonnes de terre, de glaise et de vase. Ils avaient déplacé des lignes ferroviaires appartenant à trois chemins de fer, soit le Canadien National, le Penn Central et le Toronto, Hamilton, and Buffalo. Ils avaient posé 160 kilomètres de nouvelles voies, construit une gare, un centre de contrôle, des gares de marchandises et de triage. Sous le canal de détournement, ils avaient creusé un tunnel pour les trains et les véhicules automobiles. Ce tunnel faisait 1 080 pieds de longueur, 116 pieds et demi de largeur et 35 pieds de hauteur. Il était assez

Le tunnel de la rue Main en cours de construction à l’été de 1971. Tout le trafic ferroviaire et routier passerait désormais sous le nouveau chenal pour assurer une navigation plus sécuritaire et mieux ordonnée. au bas : On aperçoit des aqueducs-siphons qui furent construits pour gérer le débit de la rivière Welland. cgvmsl au haut :

spacieux pour accueillir trois lignes ferroviaires et une route à deux voies. Enfin, les mêmes travailleurs avaient creusé une route à quatre voies sous la rue Main, au centre de Welland, et déplacé 80 kilomètres de voies artérielles. La rivière Welland avait dû être détournée pour passer sous la déviation. Cette manœuvre

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Le 25 août 1974, un navire propriété d’une filiale de la Bethlehem Steel, le Steelton, transitant par le canal Welland, entra en collision avec le pont de Port Robinson. C’était le pire accident à survenir en plus de quarante ans. La voie navigable resta fermée jusqu’au 8 septembre. thies bogner avait nécessité la construction d’un siphon contenant quatre conduits, chacun d’une largeur de 94 pieds et d’une longueur de 638 pieds, soit assez grands pour répondre aux exigences de débits de pointe de 12000 pieds cubes d’eau à la seconde. Enfin, des lignes de transport d’électricité, des conduites de gaz, des lignes téléphoniques et des conduites d’égout avaient dû être déplacées et réinstallées en fonction des besoins de la nouvelle infrastructure. «Nous ne voulions d’aucun pont mobile sur le nouveau chenal», se rappelle l’ancien président de la Voie maritime, Bill O’Neil, qui était responsable de la construction de cet ouvrage. «Nous en avions assez des interruptions de traversées et, ainsi, nous

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avons construit partout des tunnels pour remédier à la situation.» L’inauguration du canal de détournement survint au moment où les entreprises de transport maritime éprouvaient du mal à suivre le rythme d’une économie alors en pleine expansion. En 1969, année qui marquait la fin de la première décennie d’exploitation de la Voie maritime, 48,56 millions de tonnes de marchandises avaient transité par le canal Welland. En 1973, le volume du trafic avait atteint 60,96 millions de tonnes, un nouveau record, et la quatrième hausse d’affilée en autant d’années. De même, un nouveau sommet—52,28 millions de tonnes—était atteint sur la section Montréal-lac Ontario. Le volume connut une chute prononcée sur les deux sections en 1974, en raison, d’une part, de conflits de travail et, d’autre part, du pire accident à survenir sur le canal Welland au cours de ses quarante-deux années d’exploitation. Le canal resta fermé pendant quinze jours—du 25 août au 8

«Vous entriez au bureau d’embauche du syndicat des gens de mer, rue King, et le tableau d’a∫chage était couvert d’o◊res d’emploi.» Bruce Duffett · matelot de 3e classe septembre—après que le Steelton, un laquier long de 620 pieds, propriété d’une filiale de la Bethlehem Steel, installée à Buffalo, eut complètement détruit un pont levant à Port Robinson. Selon un rapport de l’accident dans le Toronto Star, la collision s’était produite à 4h20 du matin, faisant trembler les maisons qui se trouvaient à proximité et éveillant la majeure partie des habitants de la localité. Les contrepoids du pont, pesant chacun 300 tonnes, s’étaient retrouvés l’un profondément enfoncé dans la chaussée, au-dessous, l’autre dans la vase et la saleté du fond du canal. Après les revers de 1974, le volume des marchandises transportées sur la Voie maritime s’accrut annuellement pendant quatre saisons consécutives. À la fin de la seconde décennie d’exploitation, les deux sections servaient conjointement de passage, annuellement, à plus de 74,3 millions de tonnes de fret, près de deux fois et demie les volumes atteints en 1959. Mais les chiffres ne dépeignaient qu’une partie de l’histoire. «La Voie maritime s’est révélée l’un des investissements les plus remarquablement profitables qu’ait jamais appuyés le Canada», déclarait Ralph Misener, président du conseil de Scott Misener Steamships, une société de transport maritime établie à St. Catharines, en Ontario, dans une allocution prononcée à Regina, en janvier 1974, devant les membres de la Palliser Wheat Growers’ Association. «La Voie maritime a consolidé la position du Canada en tant que pays possédant une marine marchande virile. Elle a attiré de nouvelles cargaisons qui, auparavant, atteignaient la côte Est du pays par les chemins de fer américains, et elle a généré de façon soutenue des dividendes étonnants grâce au stimulant qu’elle a fourni au développement et au progrès économique.» La vie était belle pour la Voie maritime, pour les sociétés de transport maritime ainsi que pour les hommes et les femmes à leur emploi. «En juillet

Le terminal de l’Iron Ore Company of Canada, à Sept-Îles, au Québec. Le minerai de fer et les céréales comptaient pour 79 pour cent du trafic sur la Voie maritime au cours des années 1970. cgvmsl 1976», se rappelle Bruce Duffett, un matelot de 3e classe, dont la carrière sur les lacs s’est étendue sur trois décennies, «j’ai quitté Terre-Neuve en voiture, avec cinq camarades, pour me rendre à Toronto. Vous entriez au bureau d’embauche du syndicat des gens de mer, rue King, et le tableau d’affichage était couvert d’offres d’emploi. Nous avons tous trouvé du travail sur les navires, ayant presque champ libre quant au choix de nos postes. Je n’avais pas la moindre expérience quand j’ai commencé.» L’aide-mécanicien Jacques Dumont, un Québécois originaire de Cap-Chat, en Gaspésie, a conservé des souvenirs semblables. «Vous pouviez monter à bord d’un navire à l’écluse 1 du canal Welland et, si le capitaine ne vous plaisait pas, descendre à l’écluse 3, puis monter à bord d’un autre bâtiment. J’ai pris un emploi comme huileur à Montréal, uniquement dans le but de me rendre au bureau du syndicat, à Thorold, en Ontario. J’ai été renvoyé à Cardinal, ai filé en autobus jusqu’à Thorold et obtenu un autre emploi en moins de rien.»

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«Gigantesque vente de blé en perspective; entente de 500000000$ avec les Soviétiques» Globe and Mail, 14 septembre 1963

Le président de la Voie maritime, Paul Normandeau, à l’extrême droite, rencontre une délégation de hauts responsables de l’industrie soviétique du transport maritime en tournée au Canada en décembre 1974, au moment où l’URSS procédait à des achats records de céréales. cgvmsl Des douzaines de types de marchandises et de produits divers transitaient par la Voie maritime à cette époque: de la pierre, du sel, du soufre, des produits chimiques, du mazout et du ciment, pour n’en énumérer que quelques-uns. Mais les céréales et le minerai de fer dominaient sans conteste le marché. Sur une majorité d’années, ces marchandises comptaient, en termes de volume, pour 70 pour cent environ des biens transportés, et la demande pour ces matières premières propulsa les tonnages de la Voie maritime à des niveaux inconnus jusqu’alors. Depuis des décennies, le Canada exportait du blé et d’autres grains cultivés dans les trois provinces des Prairies. Mais ce commerce connut

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des changements considérables au cours des années 1960 et 1970, quand l’Union soviétique entreprit de négocier des achats importants de ces produits. La Voie maritime tira des avantages majeurs de ce changement de donne. Tout au long des années 1950, la Russie avait annuellement exporté de petits volumes de céréales, principalement dans le but d’en obtenir des devises étrangères, mais de mauvaises récoltes, au début des années 1960, renversèrent le courant. En 1962, le gouvernement communiste de Nikita Khrouchtchev annonça une augmentation des prix de la viande, du beurre et d’autres denrées de première nécessité. Cette annonce déclencha des mouvements d’agitation un peu partout à travers le pays et, dans la ville de Novotcherkassk, des grèves et des manifestations. Bien que le soulèvement ait été court et brutalement réprimé, il eut néanmoins un effet durable. L’année suivante, les autorités soviétiques donnèrent leur accord, pour la première fois, à des

importations massives de céréales. À l’été de 1963, des représentants d’Exportkhleb, l’agence d’État dont relevaient les ventes à l’étranger, se mirent à la recherche de grains céréaliers à acheter. Une importante délégation arriva à Ottawa fin août, établit ses quartiers au Château Laurier et entreprit des négociations avec le gouvernement canadien. Les entretiens se déroulaient en privé, mais après quinze jours de tractations à huis clos, le secret commença à s’ébruiter. Le 14 septembre 1963, le Globe and Mail titrait à la une: «Gigantesque vente de blé en perspective; entente de 500000000$ avec les Soviétiques». Deux jours plus tard, le ministre canadien du Commerce extérieur, Mitchell Sharp, et S.A.Borisov, premier sous-ministre du ministère soviétique correspondant, signaient une entente qui prévoyait l’expédition par le Canada de 228 millions de boisseaux de blé à la Russie et à ses satellites d’Europe de l’Est. C’était, dans l’histoire du Canada, la plus importante transaction impliquant des céréales. «Cette annonce marquait un tournant dans l’histoire du commerce céréalier d’après-guerre, ainsi que dans l’histoire de l’Union soviétique ellemême», écrivait Dan Morgan dans son livre Merchants of Grain, paru en 1979. «La récolte de céréales avait connu un échec, mais, cette fois, l’on ne demandait pas aux Russes de se serrer la ceinture. À l’exemple de pays riches tel le Japon, Khrouchtchev couvrait le déficit par des importations.» Immédiatement après la signature du contrat, les Soviétiques commencèrent à dépêcher des flottes de cargos vers les ports canadiens de l’Atlantique et du Pacifique, et le ministre du Commerce extérieur, Mitchell Sharp, affirmait aux journalistes que la plus grosse part des céréales seraient expédiées par le Saint-Laurent. L’effet de cette décision devint rapidement apparent dans les volumes de céréales qui transitaient par Thunder

Bay, à l’extrémité ouest du lac Supérieur, et par la Voie maritime: 6,5 millions de tonnes en 1962, 8,8 millions en 1963, 11,6 millions en 1964, 10,9 millions en 1965 et 12,9 millions en 1966. Les Russes persistaient à acheter année après année parce que, écrivait Morgan, «l’agriculture soviétique […] continuait à représenter un échec désastreux en comparaison avec les normes de l’Occident. Les fermes collectives et les fermes d’État étaient inefficaces pour toutes sortes de raisons—facilités de transport insuffisantes, mesures incitatives inadéquates, investissements aux mauvais endroits, déprime rurale. […] Les échecs en matière de récoltes, quand ils se produisaient, étaient habituellement colossaux.» À la fin des années 1960, les autorités soviétiques tentaient d’accroître la taille de leurs troupeaux de bétail afin d’être en mesure de mettre plus de viande et de volaille sur les tables russes. Cela signifiait qu’au sein d’une société où sévissait la pénurie, d’énormes quantités de céréales servaient à l’alimentation animale. Peu avant Noël 1970, le régime annonça que le prix des aliments allait augmenter, ce qui ne faisait qu’aggraver la situation. C’en était trop pour les travailleurs polonais des villes de Gdansk et de Szczecin, qui se mirent en grève par mesure de protestation.

À la fin des années 1960, les autorités soviétiques tentaient d’accroître la taille de leurs troupeaux de bétail afin d’être en mesure de mettre plus de viande et de volaille sur les tables russes. Peu de temps après, les Soviétiques entreprirent une fois de plus de parcourir le monde à la recherche de nouvelles sources de céréales. Dix-huit mois plus tard, ils effectuaient une transaction qui demeure encore aujourd’hui la plus importante de l’histoire du marché céréalier. Cette fois, ils avaient été capables de se ravitailler auprès de sociétés privées américaines, parce que le gouvernement des États-Unis avait levé les

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La pression qui pesait sur le transport des céréales fit en sorte que la Voie maritime dut prolonger la saison de navigation et en hâter l’ouverture. Dans cette photo, on aperçoit le vapeur Canadian Hunter, propriété de Upper Lakes Shipping, qui redescend le SaintLaurent avec un chargement de céréales, le 26 mars 1974—date d’ouverture la plus hâtive à ce moment-là. cgvmsl/ottawa citizen restrictions visant les exportations destinées à l’Union soviétique. L’ampleur des achats de la Russie est évidente dans une note de l’Agence centrale de renseignement des États-Unis, adressée à Carroll Brunthaver, secrétaire adjoint du département américain de l’Agriculture, le 31 août 1972: La somme totale des contrats de céréales passés avec tous les pays contractants pour livraison au cours de l’exercice financier de 1973 s’élève maintenant à 24,2 millions de tonnes, une valeur de près de 1,5 milliard de dollars, soit trois fois la quantité importée au cours de l’exercice de

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1972 et plus de deux fois le montant des achats effectués après les récoltes désastreuses de 1963 et de 1965. Un contrat récent portant sur un million de tonnes de graines de soja destinées à l’alimentation animale et à la fabrication d’huile végétale porte le total des achats à près de 1,6 milliard de dollars. Ces importations de céréales viendront en grande partie des États-Unis, soit 17,5 millions de tonnes, le reste provenant du Canada, de France, d’Australie et de Suède. Cette énorme transaction et d’autres survenues tout au long des années 1970 allaient mettre à dure épreuve les capacités du système canadien de manutention des céréales. Elles assuraient en outre que la Voie maritime fonctionnerait annuellement au maximum de sa capacité, ou tout près, depuis le moment de l’ouverture de la navigation, au printemps, jusqu’à celui de sa fermeture, au début de l’hiver. Dans des centaines de localités des

provinces des Prairies, les agriculteurs transportaient leurs céréales jusqu’à des silos à grain répandus dans les campagnes. Les chemins de fer en faisaient la collecte et les transportaient jusqu’à Thunder Bay, à l’époque l’un des ports les plus grouillants d’activité au pays. Selon le Greenwood’s Guide to Great Lakes Shipping, il y avait vingt et un silos terminaux à la tête des Grands Lacs. Le plus petit pouvait contenir 1,75 million de boisseaux, le plus grand neuf millions. Plus de 1700 personnes travaillaient dans le port et, de temps à autre, les cours de triage étaient encombrées de quelque 8000 wagons couverts attendant d’être déchargés. « Nous travaillions à plein rendement», se rappelle Gene Onchulenko, un résident de Thunder Bay qui était employé sur le front d’eau à l’époque. «Il y avait beaucoup plus de navires que maintenant. Nous chargions des céréales sans arrêt. Je me rappelle un week-end où nous avons assuré le départ de dix navires.» Les céréales destinées à la Russie se rendaient à des terminaux détenus par des intérêts américains à Baie-Comeau et à Port-Cartier, les deux ports en eau profonde, près de l’embouchure du Saint-Laurent, qui avaient la capacité de recevoir les gros cargos de l’Union soviétique. Certains de ces cargos étaient de vieux pétroliers qui, nettoyés, avaient la capacité de transporter trois fois autant de fret qu’un laquier. Les céréales d’origine américaine transitaient également vers ces terminaux par la Voie maritime, mais à raison d’une partie seulement, le reste étant exporté à partir de Houston ou de La Nouvelle-Orléans. «Je me souviens des files d’attente», déclare Tom Brodeur, vice-président, Ventes et marketing à la société CSL, qui travaillait à l’époque sur les lacs. «Aujourd’hui, vous estimez qu’il y a problème si vous devez attendre une journée à Baie-Comeau pour décharger. La moyenne, à l’époque, était de cinq jours environ. Il y avait des engorgements considérables à tous les silos du Saint-Laurent.»

Un auto-déchargeur débarque du charbon aux docks de Stelco dans le port de Hamilton en novembre 1973. La production mondiale d’acier connut un essor considérable au cours des années 1970 et les usines canadiennes eurent parfois de la di∫culté à se procurer su∫samment de minerai pour répondre à leurs besoins. hamilton port authority Bob Charman, un ancien vice-président, Ventes à la CSL, se rappelle les pressions extraordinaires qui caractérisaient alors le transport des céréales: «Les Russes exerçaient des pressions sur la Commission canadienne du blé, et celle-ci, en retour, faisait pression sur nous pour accélérer l’acheminement des cargaisons, parfois même quand la chose était presque impossible, explique notre interlocuteur. En décembre, le temps était horrible. Nous devions composer avec le brouillard, la glace, le vent, la giboulée et la neige. C’était dur pour nos équipages. Nous courions beaucoup de risques.» Et quand un navire avait déchargé ses céréales sur le Saint-Laurent, il y avait toujours du minerai de fer qui attendait à Baie-Comeau, à Port-Cartier, ou plus loin en aval, à Sept-Îles. En amont du fleuve, les cales à marchandises étaient toujours pleines de minerai destiné aux aciéries de Hamilton ou de Sault Ste. Marie, sur le côté canadien, ou de Cleveland, de Detroit, ou d’autres centres, sur le

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Des navires à quai, le long de la jetée no 21 de Dofasco, déchargent du matériau en vrac destiné à l’industrie de l’acier. hamilton port authority

côté américain. Pendant une bonne partie de la décennie, les usines pouvaient à peine produire assez rapidement pour faire face à la demande. La production mondiale d’acier s’accrut, passant de 650 millions de tonnes en 1971, à 705 millions l’année suivante, et à 780 millions en 1973. Elle fit un autre bond important en 1974, pour atteindre 795 millions, avant de chuter à 723 millions de tonnes en 1975. Elle reprit toutefois son élan un an plus tard et augmenta annuellement jusqu’à la fin de la décennie. En 1979, la production globale avait atteint 827 millions de tonnes. Les industries canadienne et américaine de l’acier avaient suivi

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des trajectoires semblables et, dès le début de la décennie, les dirigeants de l’acier manquaient de mots pour décrire cette flambée d’activité. «Je n’ai jamais rien vu de pareil», déclarait au Financial Post, en juin 1973, Peter Gordon, président de la Steel Company of Canada, installée à Hamilton. «Et le phénomène est le même dans chaque pays producteur—aux États-Unis, en Europe de l’Ouest et au Japon.» «Nous avons dû avancer de plusieurs années notre planification en raison de l’essor inattendu de la demande», déclarait, de son côté, Frank Sherman, président de la Dominion Foundries and Steel, également de Hamilton. «Notre taux de production, à l’heure actuelle, a déjà atteint le niveau prévu à l’origine pour 1976–1977.» Le Financial Post rapportait, à l’automne de 1973, que toutes les principales aciéries canadiennes fonctionnaient à plein rendement et que le nombre de grands projets de nature industrielle et commerciale alors à l’état de planification allait maintenir la demande à des niveaux très élevés pendant des années à venir. Les services publics d’électricité prévoyaient que leurs besoins s’élèveraient à 1,2 million de tonnes entre 1974 et 1980 pour des projets de production d’énergie déjà en marche ou encore en voie d’élaboration. L’industrie pétrolière et gazière avait besoin de 635000 tonnes d’acier afin d’accroître sa capacité de raffinage, de construire des usines pétrochimiques et de mettre en œuvre des projets d’exploitation des sables bitumineux. De nouveaux ponts, des viaducs, des autoroutes en exigeraient 200000 tonnes. First Canadian Place, une tour de bureaux de soixante-douze étages, appelée à devenir le siège de la Banque de Montréal, était en construction à l’angle des rues King et Bay, au centre-ville de Toronto, et allait requérir 42000 tonnes d’acier de construction. Ce n’était là qu’un exemple de plus de cinquante projets de construction commerciale ou industrielle qui nécessiteraient environ 816000 tonnes d’acier.

Les aciéries elles-mêmes étaient au nombre des utilisateurs du produit parce qu’elles étaient en expansion en vue de faire face à la demande. En juin 1975, Algoma Steel, de Sault Ste. Marie, publiait des annonces pleine page dans la presse d’affaires, sous le titre: «Le Canada obtient quotidiennement 5000 tonnes de plus de fer en fusion». La société annonçait l’achèvement d’un nouveau haut fourneau—le no 7—une expansion de ses installations, qui avait coûté 50 millions de dollars. «Pour fabriquer plus d’acier, Algoma a besoin de plus de fer, affirmait la société. Le haut fourneau no 7 nous le fournira. Cet ouvrage fait 30 étages de hauteur et possède un creuset de 35 pieds de diamètre, ce qui en fait l’un des plus gros hauts fourneaux du Canada. Quand il aura atteint son plein rendement, le no 7 fournira à nos aciéries à l’oxygène suffisamment de fer en fusion pour accroître notre production d’acier brut à 4000000 de tonnes par an.» Au même moment, Stelco entreprenait la conception d’un nouveau complexe intégré de fabrication d’acier—le premier à voir le jour en Amérique du Nord en plusieurs décennies. La société avait acquis 6600 acres de terre. Le coût du projet allait s’élever à 500 millions de dollars. Et il allait transformer du tout au tout la petite communauté agricole de Nanticoke, sur les rives du lac Érié, à soixante kilomètres à l’ouest de Hamilton. «L’accroissement de la production d’acier sur cette propriété va mener Stelco fort avant dans le XXIe siècle, écrivait W.L. Dack dans le Financial Post, et ouvrira la voie à une capacité annuelle de production de plus de 12 millions de tonnes.» Les mises de fonds de la Stelco liées au projet de Nanticoke s’accroissaient toutefois au moment où la demande d’acier plongeait. Une récession entraînée par la hausse des prix du pétrole et une inflation galopante frappa l’économie en 1975. La production mondiale d’acier chuta de neuf pour cent cette année-là et celle des États-Unis de vingt pour cent, tandis que l’industrie canadienne

produisait quatre pour cent de moins. Selon le journaliste d’affaires canadien Peter Foster, il s’agissait du «revers le plus traumatisant de l’histoire de cette industrie dans l’après-guerre». Quand la récession prit fin, les producteurs nord-américains d’acier furent confrontés à un autre défi embarrassant. De l’acier à bas prix en provenance du Japon, d’Europe et de pays aux économies émergentes, dont le Brésil, la Corée du Sud, et certains pays d’Afrique avait commencé à inonder le marché nord-américain et à gêner la production locale. L’industrie se colleta avec ce problème pendant deux ans, jusqu’au moment où la reprise économique se fit sentir et, pour les producteurs canadiens d’acier, la décennie se termina à peu près comme elle avait commencé.

Les mouvements de céréales et de minerai de fer—les navires en aval remplis à craquer de céréales, ceux en amont gonflés à bloc de minerai—avaient propulsé la Voie maritime et l’industrie du transport maritime sur les Grands Lacs vers la meilleure décennie qu’elles aient connue. Leurs carnets de commandes étaient remplis. Les usines fonctionnaient à pleine capacité ou presque, et les sociétés faisaient état de robustes hausses de la production. Stelco et Algoma accrurent chacune leur rendement de 12 pour cent en 1978, et Dofasco de six pour cent. Vers la fin de 1979, le Financial Post déclarait: «Les trois principaux producteurs d’acier voient peu de nuages à l’horizon. Ils ont des commandes en carnet, la plupart de leurs clients sont assujettis à des contingentements et ils ont été incapables de répondre à toutes les demandes d’exportation en provenance des États-Unis.» Les mouvements de céréales et de minerai de fer—les navires en aval remplis à craquer de céréales, ceux en amont gonflés à bloc de minerai— avaient propulsé la Voie maritime et l’industrie du transport maritime sur les Grands Lacs vers la

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«Exception faite de construire un nouveau canal, aucune amélioration ne paraît o◊rir l’accroissement marqué de capacité qui nous permettra de continuer à utiliser nos installations pendant encore plusieurs années» Paul Normandeau · président de la Voie maritime, 1973–1980

Avec l’accroissement annuel du trafic le long de la voie navigable, la congestion sur le canal Welland demeurait un défi majeur. L’Administration de la voie maritime répondit à cette situation en concevant et en produisant plusieurs prototypes d’un remorqueur de manœuvre, capable de guider les navires à l’entrée et à la sortie des écluses du canal. L’illustration cidessus présente un écorché de ce type d’engin, pour en montrer le fonctionnement. phil jenkins meilleure décennie qu’elles aient connue. Pendant des années, les aciéries et les centrales électriques de l’Ontario avaient brûlé du charbon américain, transporté à bord de trains de 100 wagons, à partir de mines situées en Pennsylvanie, au Kentucky et en Virginie, avant d’être transbordé sur des laquiers à Toledo, Sandusky, Ashtabula et autres ports de l’Ohio, puis transporté de là jusqu’à Hamilton, Toronto et Sault Ste. Marie. Entré en scène au milieu des années 1970, le charbon canadien en provenance de l’Ouest devint rapidement la marchandise qui connut la plus forte croissance parmi celles qui étaient transportées sur les lacs.

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Dans le but de diversifier leurs sources d’approvisionnement, Hydro Ontario et les producteurs d’acier entreprirent d’acheter du lignite en Saskatchewan et de la houille en Alberta et en Colombie-Britannique. Stelco prit livraison de 270000 tonnes en 1975, qui transitèrent par des installations existantes à Thunder Bay, et Hydro Ontario fit l’acquisition de 180000 tonnes. Mais ce n’était là qu’un début. Un terminal charbonnier occupant 236 acres était en construction sur l’île McKellar, à l’embouchure de la rivière Kaministiquia, qui se jette dans le lac Supérieur, à proximité de Thunder Bay. La construction fut achevée à l’automne de 1978. Au cours de sa première année complète d’exploitation, le nouveau terminal avait manutentionné 365000 tonnes de charbon. En 1980, ce chiffre avait atteint 2,4 millions de tonnes. Le réseau devait fonctionner avec le plus d’efficacité possible pour gérer les volumes en question, et l’Administration de la voie maritime mit sur pied nombre de mesures pour assurer ce bon fonctionnement, particulièrement par temps froid.

Le directeur de l’exploitation, A.M. Luce, passa en revue quelques-unes de ces mesures en février 1974, à l’occasion de la conférence annuelle de la Dominion Marine Association et de la Lake Carriers’ Association. Des portes spécialement isolées avaient été installées à l’écluse de Côte-Sainte-Catherine, de même qu’à l’écluse supérieure de Beauharnois, en vue de réduire au minimum les accumulations de glace. La Voie maritime se livrait également à des expériences qui consistaient en l’application d’un revêtement époxydique aux murs d’écluses dans le but d’y prévenir la formation de glace. Des buses étaient déjà en place à Saint-Lambert et à CôteSainte-Catherine pour chasser la glace des écluses, et on en installait à l’écluse supérieure de Beauharnois ce même hiver. «Nous avons l’intention, poursuivait le conférencier, de continuer à étudier les problèmes liés aux biefs et structures de divers canaux. Nous continuerons à moderniser les installations dans les écluses en vue d’améliorer notre capacité de fonctionner par temps froid.» Deux ans plus tard, le président de la Voie maritime, Paul Normandeau, s’adressant à une réunion conjointe des deux organismes, décrivait un projet encore plus ambitieux en vue d’accroître la capacité du réseau: la création de remorqueurs de manœuvre qui seraient fixés à la poupe ou à la proue des navires transitant par le canal Welland, pour guider leur entrée et leur sortie des écluses. «Nous estimons qu’utilisés de concert avec un système précis de guidage, ces engins de manœuvre marins spécialement conçus offrent la méthode la plus directe et la moins coûteuse d’obtenir un accroissement important de la capacité de notre Voie maritime, expliquait le président. Nous croyons que cette mesure pourrait suffire à répondre à la croissance du trafic attendue au cours des vingt prochaines années.» Ces remorqueurs étaient des plateformes semblables à des barges. Ils faisaient cinquante-

La Voie maritime acheta deux vieux navires en vue de procéder à des essais sur l’eau avec ces remorqueurs. La photo ci-dessus montre un essai particulièrement bien réussi, avec le Marinsal, sur le canal Welland, vers 1979. phil jenkins deux pieds de largeur et dix-huit pieds de profondeur, et l’un de leurs flancs se distinguait par un cran en V, destiné à recevoir la proue d’un navire. Un seul engin de fabrication japonaise, d’une puissance de 3600 hp, actionnait deux propulseurs, ou hélices, larges de six pieds, situés aux deux angles. Ces propulseurs avaient la capacité de déplacer le navire vers la gauche ou la droite, ou de le faire avancer ou reculer. Leur mise en service éliminerait, pour le capitaine et l’équipage, la nécessité d’avoir recours au mur de guidage pour engager le navire dans une écluse. Ils donneraient aussi suffisamment de stabilité pour que l’équipage n’ait plus à amarrer le navire avant que le niveau de l’eau soit élevé ou abaissé dans l’écluse.

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Des scientifiques tentaient de déterminer les moyennes relatives aux conditions de la glace sur les Grands Lacs.

Le président estimait que la Voie maritime aurait besoin d’une flotte de trente remorqueurs, au coût total de 50 à 65 millions de dollars, chiffre qui fut par la suite porté à 100 millions. Les études techniques de la Voie maritime prévoyaient que ces remorqueurs pourraient réduire de 20 pour cent le temps qu’un navire mettait à franchir une écluse. «Exception faite de construire un nouveau canal, aucune amélioration ne paraît offrir l’accroissement marqué de capacité qui nous permettra de continuer à utiliser nos installations pendant encore plusieurs années», déclara le conférencier. Le programme de remorqueurs n’en était encore qu’à ses débuts au moment où le président Normandeau avait pris la parole devant les représentants de l’industrie du transport maritime et, au cours des cinq années qui suivirent, les ingénieurs de la Voie maritime soumirent les plateformes à des essais sur l’eau. L’organisme acquit deux vieux navires en vue de ces essais, le Marinsal, un bâtiment jaugeant 8600 tonneaux, et le Menihek Lake, dont la capacité s’élevait à 36400 tonneaux. Les remorqueurs furent soudés à la proue et à la poupe des deux navires parce que, à l’époque, les ingénieurs n’avaient pas encore déterminé la meilleure façon de fixer les plateformes aux divers types de navires auxquels ils auraient affaire. Ces remorqueurs fonctionneraient sans équipage. Des câbles ombilicaux devaient relier la plateforme à une console portable, installée sur la passerelle, d’où le capitaine contrôlerait le mouvement du navire. Les essais expérimentaux consistaient à faire transiter les navires par le canal Welland, et les nouveaux engins réalisèrent ce que l’on attendait d’eux, selon un rapport paru dans le Fairplay International Shipping Weekly daté du 17 mai 1979 : «La manœuvrabilité a été jugée exceptionnelle, rapportait la revue spécialisée. Le positionnement peut être maintenu avec précision, sous toutes les conditions de courant et de vents,

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au moyen d’un réglage soigneux des commandes du propulseur.» Les remorqueurs en étaient encore au stade embryonnaire de leur développement, et la Voie maritime continua pendant plusieurs années de perfectionner le concept. Entre-temps, l’industrie privée exerçait des pressions sur l’Administration de la voie maritime en vue de garder le réseau ouvert de plus en plus longtemps chaque année et, ainsi, de prolonger la saison de navigation. En 1974, l’Administration de la voie maritime annonça la fermeture du canal Welland pour le 30 décembre. Mais Stelco et plusieurs autres entreprises firent pression pour un délai, et l’Administration prolongea l’ouverture du canal jusqu’au 17 janvier 1975, soit dix jours de plus que le record précédent, établi trois ans auparavant. Les autorités américaines, elles, allèrent encore plus loin. Pour la première fois dans l’histoire de la Voie maritime, elles gardèrent ouvertes tout l’hiver les écluses de Sault Ste. Marie, en grande partie pour répondre au désir de la US Steel et du directeur de sa division maritime, William H. Ransome, un ardent défenseur de la navigation à longueur d’année. À la mi-février, neuf des quarante navires de l’entreprise transportaient encore du charbon, des boulettes de minerai de fer et de la pierre à chaux depuis Twin Harbors, au Minnesota, aux usines de la société, à Chicago. À la mi-mars, le nombre de navires était tombé à cinq. «Mais ces navires», écrivait John Dalrymple dans Canadian Shipping and Marine Engineering, «barattaient encore dans les écluses du “Soo” et se faufilaient à travers les détroits de Mackinac en dépit des avertissements des assureurs.» À la même époque, les gouvernements canadien et américain, de même que ceux de l’Ontario et du Québec, et ceux de six États américains avaient contribué financièrement à une étude de plusieurs millions de dollars, dont le but était d’en arriver à prolonger la saison de

navigation. Des scientifiques tentaient de déterminer les moyennes relatives aux conditions de la glace sur les Grands Lacs et se livraient à l’examen de diverses méthodes destinées à réduire les accumulations de glace dans les canaux et les écluses. Des chercheurs examinaient la possibilité d’installer des diffuseurs de bulles d’air sur le sol des écluses pour pousser vers le haut de l’air plus chaud, de façon à maintenir l’eau à la surface audessus du point de congélation. Ils envisagèrent également l’éventualité d’installer des conduites de chauffage le long des murs d’écluses. L’autre défi qui se posait était de garder libres les couloirs de navigation sur les lacs et les rivières. Les chercheurs examinèrent la possibilité d’accroître la vitesse d’écoulement des eaux des rivières et celle de détourner vers la Voie maritime des effluents d’eau chaude en provenance d’usines et de centrales électriques. Les technologies de déglaçage paraissaient les plus prometteuses. Pendant plusieurs hivers, à partir de 1974–1975, la Garde côtière canadienne se livra à des essais avec des brise-glaces, de même qu’à des expériences avec une technologie de coussins d’air élaborée à Calgary en vue d’une

Le CSL Saguenay, un navire long de 730 pieds, en route vers Hamilton, depuis Sandusky, en Ohio, avec une cargaison de charbon, quitte l’écluse 7 le 4 janvier 1974. Le Saguenay fut le dernier navire à traverser le canal Welland cette année-là. cgvmsl utilisation dans l’Arctique. C’est cette dernière technologie qui se révéla la plus efficace, selon Bill O’Neil, qui était alors commissaire de la Garde côtière. Des véhicules à coussin d’air pouvaient être attachés sur le devant de brise-glaces ou être autopropulsés, comme un aéroglisseur. Des jupes souples en caoutchouc étaient tendues comme un rideau de douche sur le pourtour d’une barge de façon à créer un coussin d’air qui soulevait le vaisseau au-dessus de la surface de l’eau et lui permettait de se déplacer en direction d’une nappe de glace. Le poids du vaisseau produisait des vagues sous la glace, et le mouvement des vagues entraînait le bris de la surface glacée et sa dispersion. En février et mars 1976, la Garde côtière fit sur le Saint-Laurent l’expérience de cette nouvelle technologie, couplée à celle de brise-glaces traditionnels, aussi bien en amont qu’en aval de Montréal. «Ces progrès laissent entrevoir des

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Détail d’une publicité de la société Stephens-Adamson pour le système d’auto-déchargement dit de «boucle en C». Cette réclame a paru dans un magazine canadien de transport maritime dans les années 1970. Le texte explique comment la société, alors installée à Belleville, en Ontario, avait conçu et fabriqué des systèmes d’auto-déchargement depuis 1908. possibilités séduisantes dans le domaine des technologies du déglaçage, écrivait peu après Bill O’Neil dans Canadian Shipping and Marine Engineering. Ils favorisent notre objectif, qui consiste à allonger la saison de navigation sur le réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent.» La prolongation de la saison resta un sujet de débat et d’étude jusqu’à la fin de la décennie. En 1978, à l’occasion de la rencontre conjointe de la Dominion Marine Association et de la Lake Carriers’ Association, plusieurs experts livrèrent des communications sur les avantages et les inconvénients de pareille mesure. La navigation à longueur d’année sur l’ensemble ou, à tout le moins, sur une partie du réseau permettrait une utilisation plus rationnelle du capital investi dans le transport maritime. Les ports pourraient être utilisés de façon continue. Les manufacturiers seraient en mesure de fonctionner avec des stocks moindres de matières premières, et les emplois saisonniers seraient transformés en travail à plein temps. Mais il y aurait aussi de nombreux inconvénients. Les conditions de travail à bord des navires, dans les ports ainsi que dans les écluses et sur les canaux deviendraient plus ardues. Les frais d’assurance augmenteraient. Les systèmes diffuseurs de bulles d’air, les estacades à glace et les aides à la navigation devraient être améliorés et modifiés. La

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Garde côtière devrait mener des opérations ininterrompues de reconnaissance aérienne sur l’état des glaces et briser la glace sur les couloirs de navigation de façon à les garder ouverts. Le Corps of Engineers de l’armée américaine entreprit une étude sur la navigation d’hiver et en vint à la conclusion qu’elle vaudrait aux États-Unis des bénéfices substantiels. Toutefois, avant d’engager des dépenses en immobilisations pour prolonger la saison, l’Administration de la Voie maritime retint les services de la firme LBA Consulting Partners, d’Ottawa, pour évaluer les retombées économiques de pareilles mesures. Les consultants déposèrent leur rapport en octobre 1978. Ils en étaient venus à la conclusion que le Canada et les États-Unis devraient investir 30 millions de dollars pour prolonger la saison jusqu’à neuf mois et demi, et 440 millions, en excluant le coût de brise-glaces, pour la porter à onze mois. Tout au long des années 1970, les sociétés de transport maritime firent leur part pour accroître le volume des marchandises transitant par la Voie maritime. Elles poursuivirent les programmes de renouvellement de leurs flottes qui avaient été amorcés dans les premières années d’exploitation du réseau. La plupart des nouveaux navires furent construits selon les spécifications maximales admissibles sur la Voie maritime. Des améliorations apportées à la conception des coques et des cales

Les années 1970 furent des années pleines d’entrain et d’optimisme. L’humeur du temps appelait à la fête au moment où s’achevait la décennie.

permirent d’accroître les tonnages. Mais l’innovation la plus marquante de la décennie fut incontestablement la mise au point du système d’auto-déchargement appelé «de boucle en C». Les technologies d’auto-déchargement étaient en usage sur les Grands Lacs depuis le milieu des années 1920 et, au fil des ans, les sociétés de transport maritime avaient investi dans des systèmes améliorés. Au début des années 1960, deux types de technologie étaient monnaie courante: l’un utilisait des élévateurs à godets, l’autre comptait sur une série de courroies inclinées pour élever les cargaisons depuis le sol des cales jusqu’à la flèche de déchargement sur le pont et sur le rivage. Selon Ed DeRoche, vice-président directeur au sein de CSL International, à Boston, c’est un ingénieur de la Canada Steamship, Bill Johnston, qui proposa l’idée de la boucle en C à la fin des années 1960. Ce dispositif utilisait deux larges courroies qui, comme le pain dans un sandwich, retenait les marchandises en place tandis qu’elles étaient hissées en vue du déchargement. «À la CSL, nous prenions toutes sortes de mesures pour accroître le taux de déchargement, explique notre interlocuteur. La saison n’avait que neuf mois et nous voulions déplacer plus de tonnes de marchandises. L’une des options à notre disposition consistait à améliorer les déchargeurs.» Pour mettre au point la boucle en C, CSL s’associa avec la division Stephens-Adamson de AllisChalmers Canada. Ed DeRoche s’était joint à la CSL au début de 1972 et se rappelle avoir vu un modèle de mise au point technique de ce dispositif sur un des chantiers de la division Stephens-Adamson, à Belleville, en Ontario. Au milieu des années 1970, le nouveau système avait été mis en place à bord de quatre navires de la CSL, le J.W. McGriffin, le H.M. Griffith, le Louis R. Desmarais et le Jean Parisien. En peu de temps, les concurrents commencèrent eux aussi à adopter cette technologie. La boucle en C présentait plusieurs avantages. «Une fois que vous aviez placé la marchandise

entre les deux courroies, elle y restait, précise M. DeRoche. Le déchargement s’accomplissait beaucoup plus proprement parce qu’il y avait moins de débordements. Le matériel était d’un entretien plus facile, et le dispositif lui-même était beaucoup plus rapide que tout autre système. On pouvait décharger à un rythme de 6000 tonnes à l’heure. C’était du jamais vu.» § Les années 1970 furent des années pleines d’entrain et d’optimisme. L’humeur du temps appelait à la fête au moment où s’achevait la décennie. La Voie maritime marqua son vingtième anniversaire par des cérémonies, le 7 septembre 1979, dans les sections est et ouest du réseau. En matinée, une foule de 600 personnes se joignit aux représentants des gouvernements canadien et américain pour une cérémonie d’hommages, tenue devant l’écluse Eisenhower sur le Saint-Laurent, tandis que quelque 200 personnes participèrent à une cérémonie semblable sur le canal Welland au cours de l’après-midi. «Au moment où la Voie maritime s’apprête à entreprendre sa troisième décennie d’existence, déclara l’ambassadeur du Canada aux États-Unis, Peter M. Towe, c’est avec plaisir que nous entrevoyons la poursuite de notre collaboration avec nos homologues américains. L’on peut dire que les rêves qui unissent deux pays comme les nôtres sont beaucoup plus forts que ceux qui les divisent. La Voie maritime du Saint-Laurent est un exemple éclatant des rapports qui caractérisent les relations entre les États-Unis et le Canada.» Le sous-secrétaire d’État américain, Luther H. Hodges, parla avec une éloquence semblable. «La Voie maritime sert de modèle à d’autres pays du monde, déclara-t-il. Elle m’apparaît comme un ruban qui relie nos deux pays. Comme nous aurons l’occasion de le constater au cours des vingt prochaines années, la Voie maritime est appelée à jouer un rôle de plus en plus vital dans les affaires du monde.»

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4 | Des années di∫ciles, 1980–1992

La cérémonie annuelle dite du haut-de-forme, antérieure à l’existence de la Voie maritime, marque le passage du premier navire de la saison sur le canal Welland au printemps. L’événement photographié ici se tint sur le pont d’un autodéchargeur remontant, amarré à l’écluse 3. thies bogner L’air était frais et humide le matin du 24 mars 1980, en raison d’une tempête qui, au cours de la nuit, avait répandu de la pluie et de la neige mouillée sur une grande partie du sud de l’Ontario. Dans la péninsule du Niagara, les températures oscillaient autour du point de congélation, engourdissant de froid quelques centaines de braves—des employés de la Voie maritime, des retraités, des mordus du transport maritime et des politiciens locaux—qui s’étaient réunis peu avant 10h30, à l’écluse 3 du canal Welland, pour la cérémonie dite du haut-deforme, qui marque annuellement le passage du premier navire de la saison dans la Voie maritime. C’est au H.M. Griffith—battant pavillon de la Canada Steamship Lines—que revenait cet honneur. C’était l’ouverture la plus hâtive de la Voie maritime en ses vingt et une années d’existence, mais le temps faisait des siennes. Le Griffith était immobilisé à l’écluse 2, en raison d’une accumulation de glace. Les éclusiers travaillaient avec des gaffes

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pour dégager le navire et les dignitaires de la Voie maritime ne cessaient de consulter leurs montres. En fin de compte, à 11h20, la cérémonie dut être déplacée sur les lieux où se trouvait le navire. À midi, le maître du Griffith, le capitaine Jim Playford, mit pied à terre et le vice-président de la région de l’Ouest, Malcolm Campbell, lui présenta le haut-deforme symbolique. «J’espère que vous ne penserez pas que c’est ainsi que nous exploitons le canal Welland pendant toute la saison, dit le viceprésident Campbell à la foule. Nous avons l’habitude d’être beaucoup plus efficaces.» Le personnel du canal prouva rapidement que ce n’étaient pas là de vains mots. Au coucher du soleil, le H.M. Griffith filait gaiement sur le lac Érié, à destination de Cleveland, pour y prendre une cargaison de charbon, et cinq autres navires avaient transité par le canal. La section est de la Voie maritime était également entrée en service ce jour-là et, avec la bousculade et l’agitation habituelles, une nouvelle saison de transport maritime venait de s’amorcer. Au sein de l’Administration de la voie maritime, toutefois, les choses étaient loin de tourner rondement. L’organisme vivait une transition majeure. Paul Normandeau avait démissionné en janvier 1980, après avoir occupé pendant sept ans le poste de président. Le pays était en période électorale au niveau fédéral, et la campagne prit fin au début de février, Pierre Trudeau et le Parti libéral obtenant une majorité. Jean-Luc Pepin, devenu ministre des Transports, annonçait le 4 juillet la nomination de Bill O’Neil au poste de président de l’Administration de la voie maritime. Pour M. O’Neil, un ingénieur civil âgé de 53 ans qui avait grandi à Ottawa et étudié à l’Université de Toronto, cette nomination représentait en quelque sorte un retour au bercail, puisque plus tôt dans sa carrière il avait été pendant seize ans cadre supérieur à la Voie maritime. «Cela faisait bon de revenir, se rappelait-il lors d’une entrevue accordée plusieurs années plus tard. Je me sentais tout à fait

chez moi. Je connaissais le réseau. Pas de courbe d’apprentissage pour moi à surmonter au moment de mon entrée en fonction.» Bill O’Neil s’était joint en 1955 à l’Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, qui venait alors d’être mise sur pied. Il avait quitté un poste au sein de la division des services de canaux du ministère des Transports, à Ottawa, pour rejoindre un groupe d’ingénierie à Montréal, au sein duquel il avait travaillé brièvement aux études préparatoires du canal de la Rive Sud. Peu de temps après, il s’installait à St. Catharines pour superviser le dragage du canal Welland, de même que les autres améliorations nécessaires pour faire en sorte que la vieille voie maritime serait compatible avec la nouvelle. Au moment de sa démission de la Voie maritime, en 1971, M. O’Neil était responsable de la conception et de la réalisation du projet de détournement du canal Welland. Son personnel avait mené les études de faisabilité, mis sur pied les équipes d’ingénieurs et accordé les contrats aux

Présentation du haut-de-forme au capitaine Ted Courtemanche, du NM Meaford, un navire de la société Upper Lakes Shipping, le 29 mars 1974. Les trois hommes à droite sont Allan Luce, alors directeur de l’exploitation à l’Administration de la voie maritime; Tom Quigg, vice-président; et Malcolm Campbell, directeur de la région de l’Ouest. cgvmsl sociétés externes qui devaient exécuter le gros du travail. Il quittait la Voie maritime pour devenir commissaire de la Garde côtière canadienne, à Ottawa. Quand, neuf ans plus tard, il revint sur un terrain qui lui était familier, il faisait néanmoins face à des défis bien différents de ceux que son prédécesseur avait dû relever. Le pays était sous le coup d’une récession, la pire, au dire de certains observateurs, depuis la Crise des années 1930. L’économie avait été paralysée par une inflation galopante, un taux de chômage élevé, des hausses de taux d’intérêt qui battaient tous les records, la flambée des prix du pétrole et des déficits gouvernementaux qui ne cessaient de croître. Les dépenses de

4 · Des années difficiles | 63

Les exportations de céréales canadiennes s’accrurent toutefois—l’un des rares motifs d’espoir dans une année qui vit l’ensemble des volumes de marchandises décroître de 10 pour cent sur les deux sections de la Voie maritime.

En 1984, la Voie maritime organisa une cérémonie pour marquer vingt-cinq années d’exploitation du réseau. Sur cette photo, Bill O’Neil, alors président de la Voie maritime, observe Lionel Chevrier, au moment où il allume les bougies du gâteau d’anniversaire. gracieuseté de bernard chevrier consommation fléchissaient. Les ventes de voitures étaient en baisse. L’industrie canadienne de l’acier, quant à elle, souffrait d’un excédent de capacité et baignait dans d’importants déficits. La demande de minerai de fer—l’une des deux marchandises qui constituaient la pierre angulaire de la Voie maritime —s’effondra abruptement. Les expéditions de céréales américaines étaient elles aussi en baisse en raison de l’évolution de la scène politique internationale. L’Union soviétique avait envahi l’Afghanistan au début de 1980, entraînant, de la part de Washington, un embargo sur les expéditions de céréales en direction des pays du bloc communiste. Les exportations de céréales canadiennes s’accrurent toutefois—l’un des rares motifs d’espoir dans le cours d’une année qui vit l’ensemble des volumes de marchandises décroître de 10 pour

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cent sur les deux sections de la Voie maritime. Au cours des deux saisons suivantes, l’industrie du transport maritime continua d’éprouver les effets de la récession. La Dominion Marine Association rapporta que 12 pour cent de la flotte canadienne était paralysée en 1981 et que, l’année suivante, 20 pour cent des navires étaient immobilisés. La situation était encore pire du côté américain, où un cinquième de la flotte était inactive en 1981, et 41 pour cent en 1982. En 1981, les deux flottes, canadienne et américaine, ainsi que des océaniques d’origine étrangère transportèrent 50,6 millions de tonnes sur la section Montréal-lac Ontario, et 58,9 millions de tonnes le long du canal Welland, en gros le même tonnage que l’année précédente. Mais, en 1982, le volume des marchandises décrut de 15 pour cent sur la section est, et de 17 pour cent sur la section ouest. Les revenus d’exploitation de la Voie maritime s’affaissèrent de tout près de 10 millions de dollars, pour s’établir à 52 millions de dollars. Selon le rapport annuel de 1982, l’Administration de la voie maritime fut forcée d’effectuer «certaines coupures importantes dans son budget d’exploitation et d’entretien en vue de maintenir un capital de roulement suffisant». L’une des victimes de ces mesures d’austérité fut le programme de remorqueurs, qui dut être mis en veilleuse indéfiniment. La conjoncture était difficile, mais les dirigeants de la Voie maritime restaient optimistes quant à l’avenir. «Nous connaîtrons une baisse cette année, avouait le président dans une entrevue accordée au Globe and Mail en juin 1982 mais, l’an prochain, nous pourrions bénéficier d’une hausse substantielle. C’est un rendement en dents de scie—toujours à la hausse—et il nous faut constamment conserver un pas d’avance sur la demande.» L’optimisme du président était fondé sur deux rapports consacrés aux perspectives d’avenir à long terme de la Voie maritime. En 1981, le groupe

d’étude sur les Grands Lacs mis sur pied par l’Ontario en venait à la conclusion qu’en 1985, l’accroissement du trafic serait cause de congestion et que la Voie maritime atteindrait sa capacité maximale de transit peu de temps après. La seconde prévision relative au trafic fut émise par Acres Consulting Services, de Toronto, et Data Resources, de Lexington, au Massachusetts. L’Administration de la voie maritime et la Saint Lawrence Seaway Development Corporation avaient commandé ce rapport au début de 1980, et les deux firmes présentèrent les résultats de leur enquête en février 1982. Elles concluaient que «les mouvements du trafic sur les deux sections, Welland et Montréallac Ontario, [allaient s’accroître,] mais à un rythme plus lent que par le passé». Les experts-conseils prévoyaient que le trafic sur la section Montréal-lac Ontario atteindrait 60 millions de tonnes en 1985, et 80 millions de tonnes en 2000. Ils faisaient preuve d’optimisme quant aux perspectives d’avenir du canal Welland, estimant que les volumes de marchandises atteindraient près de 70 millions de tonnes en 1985, et 90 millions de tonnes au tournant du siècle. En fait, tant la section est que la section ouest connurent une remontée modeste du trafic en 1983, et de nouveau en 1984. Mais l’ensemble du réseau subit deux revers inattendus qui remirent en question la réputation de la Voie maritime en tant que voie navigable sécuritaire et fiable. Le premier incident se produisit à 7h30 du matin le 21 novembre 1984. L’on était en train de soulever la travée mobile d’un pont levant près de Valleyfield, au Québec, pour livrer passage à un navire. Cette travée faisait 215 pieds de long, pesait 1400 tonnes et n’était qu’une section d’une autoroute combinée avec un passage de chemin de fer au-dessus du canal de Beauharnois, qui faisait 3300 pieds de large. Le pont avait été érigé au moment de la construction de la Voie maritime, et était en exploitation depuis vingt-cinq ans. Des milliers de fois la travée avait été soulevée sans

L’Administration de la voie maritime dut dépêcher sur les lieux, depuis Montréal, une grue flottante autotractée, munie d’une flèche de 250 pieds, pour dégager la poulie et l’arbre endommagés. Cette photo montre la grue flottante et la travée du pont, coincée à environ un quart de sa montée. cgvmsl incident à une hauteur de 114 pieds et demi, puis ramenée à niveau. Cette fois-ci, elle se coinça à environ un quart de sa montée. «Le coordonnateur du canal de Beauharnois appela au secours et un groupe d’entre nous se rendit sur les lieux», se rappelle Pat Dalzell, qui était alors ingénieur des contrats régionaux au centre d’entretien de la Voie maritime, à Brossard. «Nous ne savions pas ce qui avait pu se produire. Ma première réaction fut de me dire que nous étions dans un sale pétrin. L’hiver approchait et il nous fallait faire sortir les océaniques.» En fait, les navires immobilisés commencèrent bientôt à s’accumuler sur les eaux du lac SaintFrançois, à l’ouest du canal de Beauharnois, et sur le lac Saint-Louis, à l’est. Le 26 novembre, la Presse canadienne rapportait que trente-deux navires en aval et vingt-huit en amont étaient à l’ancre entre Montréal et Prescott. Vingt-deux autres océaniques se trouvaient ailleurs sur le réseau, audelà de Prescott.

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«Pendant quelques nuits, je dus dormir sur une table à dessin, dans une roulotte installée sur le chantier, et le grutier dormait sur le sol, à mes côtés.» Pat Dalzell · ingénieur à la Voie maritime

Cette photo montre la flèche de 250 pieds en position verticale, prête à enlever le matériel endommagé. Le mauvais temps entrava les e◊orts de réparation. Plusieurs jours de vents forts et d’eau agitée empêchèrent de soulever la poulie, qui pesait trente tonnes. cgvmsl Pendant ce temps, des efforts frénétiques étaient en cours pour réparer le pont. Pat Dalzell et ses collègues avaient rapidement compris ce qui s’était produit. Le mécanisme élévateur comprenait quatre grosses poulies, deux pour chaque pylône du pont. Celles-ci faisaient 15 pieds de diamètre et 46 pouces de largeur au moyeu. Seize câbles d’acier mesurant deux et un huitième de pouces de diamètre étaient tendus sur chacune des poulies. Les câbles étaient attachés à la travée et aux contrepoids de béton, un pour chaque pylône, pesant chacun 750 tonnes et enfermés dans un coffre d’acier.

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Quand un navire transitait par le canal, les poulies pivotaient environ deux fois et demie sur un arbre, qui faisait quelque deux pieds de diamètre et neuf pieds de long. De chaque côté, les contrepoids s’abaissaient au fur et à mesure que la travée s’élevait. Une fois passé le navire, la manœuvre était renversée. La travée descendait, les contrepoids remontaient, et les poulies pivotaient deux fois et demie. Après un quart de siècle d’utilisation et des milliers de tours à haute contrainte, l’arbre d’acier forgé de l’un des moyeux s’était fendu et brisé, entraînant l’affaissement de la poulie contre le pylône. La Voie maritime dut s’en remettre à des entrepreneurs de l’extérieur pour réparer le pont, puisqu’elle ne possédait ni le personnel ni l’outillage nécessaires. Le premier défi, explique M. Dalzell, consistait à édifier deux pylônes temporaires pour supporter la travée et les contrepoids. Une fois cette tâche accomplie, les entrepreneurs tournèrent leur attention vers l’enlèvement de la poulie fracassée. La Voie maritime dépêcha sur les lieux, depuis Montréal, une grue flottante autotractée, de type Hercules. Cette grue faisait 75 pieds sur 200 et était normalement utilisée pour lever les portes d’écluse quand elles avaient été accidentellement endommagées par des navires. Une grue de 200 tonnes munie d’une flèche de 250 pieds fut placée sur le pont de la grue Hercules et positionnée en vue de la manœuvre à effectuer. C’est alors que la température se mit à faire des siennes. Pat Dalzell se rappelle que plusieurs jours de grands vents et d’eau agitée empêchèrent de dégager la poulie, lourde de trente tonnes, du pylône contre lequel elle reposait et de l’abaisser sur le pont de la grue Hercules. «Le moindre vent exagérait le mouvement au sommet de la flèche, explique-t-il. Pendant quelques nuits, je dus dormir sur une table à dessin, dans une roulotte installée sur le chantier, et le grutier dormait sur le sol, à mes côtés. Nous espérions que le vent s’apaiserait juste

avant le lever du soleil, pour nous permettre d’abaisser le faisceau.» La poulie contenant dans son moyeu l’arbre fracassé fut portée dans un atelier d’usinage de la Dominion Bridge, à Lachine et, une fois de plus, un défi d’importance se posa, celui de retirer l’arbre de sa gaine. John Vazalinskas, qui était alors ingénieur de l’entretien général de la région Est de la Voie maritime, supervisa ce travail. «Peu importe ce que nous tentions, nous n’arrivions pas à retirer les morceaux.» On tenta d’abord de jumeler azote liquide et lampe à souder, avec l’espoir que le froid de l’azote amènerait l’arbre à se contracter, tandis que la chaleur de la flamme dilaterait le moyeu de la poulie. Cette méthode ayant échoué, la poulie fut placée sur une presse de 1000 tonnes, cette fois dans l’espoir de forcer la sortie de l’arbre de son moyeu. Plutôt, c’est la presse qui se tordit. En fin de compte, M. Vazalinskas et l’équipe de la Dominion Bridge décidèrent de forer l’arbre hors de sa gaine. La poulie fut cramponnée au plateau tournant d’un tour vertical, un dispositif semblable à un tour conventionnel, qui entreprit d’aplanir l’arbre à partir de son centre en direction de sa circonférence. «Nous avons aplani vingt-quatre heures par jour pendant quelques jours, se rappelle-t-il. J’étais incapable de dormir, la plupart du temps, et je me tourmentais comme un père qui attend la naissance de son enfant.» Le pont fut enfin remis en service le 9 décembre—dix-neuf jours après la panne. Cent soixante-cinq navires attendaient alors de pouvoir poursuivre leur voyage, 104 en aval et 61 en amont. Grâce au beau temps,—et à un effort extraordinaire de la part du personnel de la Voie maritime, des pilotes et des équipages—à la date du 15 décembre l’arriéré avait été surmonté. La Voie maritime resta ouverte, cette saison-là, jusqu’au 2 janvier 1985, et le pont de Valleyfield de même qu’une seconde structure, semblable, le long du canal de Beauharnois, furent maintenus en

Une grue abaisse une poulie, faisant quinze pieds de diamètre, depuis la tour du pont de Valleyfield. Ces poulies pivotent sur un arbre d’acier et supportent les seize câbles d’acier qui servent à élever et à abaisser la travée du pont. Des fissures apparues dans l’arbre avaient empêché la poulie de pivoter au moment où l’on élevait la travée pour livrer passage à un navire. cgvmsl position levée jusqu’à la fermeture du réseau pour l’hiver. Les ingénieurs de la Voie maritime avaient découvert des fissures dans plusieurs autres arbres, et l’entreprise ne pouvait courir le risque d’une seconde défaillance. Les travées de tous les ponts levants de la région de l’Est furent enfin abaissées après que le dernier navire fut sorti du réseau, et les pièces défectueuses furent remplacées au cours de l’hiver. De nombreuses pressions avaient pesé tout l’automne sur les employés de la Voie maritime chargés de remettre en service le pont de Valleyfield, mais leurs efforts furent reconnus. «Plusieurs d’entre nous reçûmes des lettres du ministre fédéral des Transports à l’époque, Don Mazankowski, se rappelle M. Vazalinskas. Il nous remercia personnellement de la contribution que nous avions apportée à l’économie canadienne.» La section juridique de la Voie maritime, elle, était encore aux prises avec les répercussions de la panne du pont de Valleyfield, soit des

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Plus d’une douzaine de cargos attendaient de transiter par le canal au moment de l’accident et furent forcés de jeter l’ancre ou de s’amarrer.

À la fin d’octobre, les travailleurs avaient enlevé environ 2 000 verges cubes de décombres de béton, pesant 5 000 tonnes. Sur cette photo, on aperçoit les travailleurs en train d’ériger l’échafaudage nécessaire à la coulée du béton. cgvmsl douzaines de poursuites et des réclamations totalisant plus de 200 millions de dollars, quand une deuxième mésaventure tout aussi dévastatrice survint le 14 octobre 1985, jour d’Action de grâce. À 10h25 du matin, un céréalier appartenant à des intérêts américains, le Furia, était amarré dans l’écluse 7 du canal Welland. Long de 564 pieds, le vaisseau était chargé de 16775 tonnes de blé et s’apprêtait à entreprendre sa descente de l’échelle d’écluses en direction du lac Ontario. Dans l’écluse, l’eau avait été abaissée. La porte s’ouvrit. Le navire se détacha du mur. Il commença à avancer, puis s’arrêta si brusquement, au dire du capitaine, qu’on aurait pu croire qu’il s’était échoué. Les membres de l’équipage et les éclusiers découvrirent alors qu’une partie du mur ouest s’était effondrée. Des responsables de la Voie maritime furent sur les lieux en quelques minutes. «Nous pouvions apercevoir de gros morceaux de béton qui reposaient contre la coque, se rappelle l’ingénieur de travaux publics Robert Poe. Nous ne

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connaissions pas l’étendue des dommages, ni la cause de pareil effondrement.» Les réponses à ces questions ne viendraient que plus tard. Il fallait, en toute priorité, libérer le navire de l’écluse. Le maître-éclusier ferma la porte aval. À 18h15, il entreprit, lentement, le remplissage de la chambre. Par bonheur, le Furia, par une légère embardée, arriva à se dégager des décombres de béton qui reposaient à bâbord, sur 250 pieds de long, de la proue jusqu’à la partie centrale de la coque. L’eau souleva de 38 pieds le gros vraquier, le maîtreéclusier et son équipe laissèrent échapper un soupir de soulagement, et le capitaine fit sortir le navire de l’écluse à reculons et l’amarra au mur d’approche. Il était alors 21h25, et la nuit était tombée. Plus d’une douzaine de cargos attendaient de transiter par le canal au moment de l’accident et furent forcés de jeter l’ancre ou de s’amarrer. Pour chaque jour où leur navire était immobilisé, les sociétés de transport maritime étaient exposées à perdre entre 5000 et 10000 dollars. Leurs clients étaient touchés eux aussi. «Mon Dieu!», s’écria John Hanieski, président du conseil de la DetroitWayne County Port Authority, en apprenant que le canal était temporairement fermé. «C’est un gros, un très gros problème, particulièrement en ce moment, où bien des entreprises sont à mettre à niveau leurs stocks en prévision de la fermeture de la Voie maritime pour l’hiver.» Les responsables de la Voie maritime ne pouvaient offrir aucun réconfort. «Je n’ai aucune idée du temps qu’il faudra pour rétablir la situation, parce qu’il faut d’abord comprendre ce qui s’est produit», déclara Malcolm Campbell, qui était alors vice-président pour la région de l’Ouest. «Nous n’avons jamais fait face auparavant à un problème semblable.» Le lendemain matin de l’incident, les ingénieurs de la Voie maritime entreprirent d’évaluer les dommages. Robert Poe et plusieurs de ses collègues montèrent à bord d’un canot d’aluminium long de douze pieds, équipé d’un moteur hors-

bord. L’eau fut abaissée jusqu’au sommet de la ligne de faille, et la petite équipe put apercevoir de près, pour la première fois, la fracture. Celle-ci courait sur environ le tiers de la longueur de l’écluse et, en certains endroits, elle avait causé l’effondrement de près de la moitié des quatre-vingts pieds de hauteur du mur. Entre-temps, les cadres supérieurs de la Voie maritime avaient obtenu d’entrepreneurs de l’extérieur, capables de procéder à la réfection du mur, des propositions en ce sens et avaient passé la journée à les examiner. Le 16 octobre, ils accordaient des contrats à Pitts Engineering et à Canron. «Cela marquait le début de vingt et un jours de travail ininterrompu, se rappelle M.Poe. Nous travaillions par périodes de douze heures, sept jours sur sept. Une équipe travaillait le jour, l’autre la nuit.» Les entrepreneurs eurent recours à des chargeuses frontales et à des pelles rétrocaveuses pour enlever la terre du remblai—un mélange d’argile et de limon—mis en place plusieurs années auparavant contre la face extérieure du mur endommagé. Le but de cette opération était

Les réparations étaient presque achevées au moment où fut prise cette photo. Le canal Welland fut rouvert le 7 novembre, après avoir été fermé pendant près de vingt-quatre jours. cgvmsl d’atténuer la pression qui s’exerçait contre le mur et d’empêcher un nouvel effondrement. Pendant que le remblai était excavé, on installait des étais entre les murs est et ouest afin de stabiliser la structure. Deux barges furent introduites par flottement dans la chambre le matin du 18 octobre. Au cours des cinq jours qui suivirent, des travailleurs mirent en place quatorze de ces pièces de renfort, une rangée de six près du sommet de l’écluse, et une autre trente-neuf pieds plus bas. Ayant bien assujetti le mur, les entrepreneurs introduisirent dans l’écluse, à bord des barges, des béliers à marteaux hydrauliques. Ces machines, semblables à une pelle rétrocaveuse, étaient équipées de bras articulés munis d’un dispositif ressemblant à un marteau perforateur qui devait servir à briser le béton endommagé sur la face de la fracture. Huit jours plus tard, le 26 octobre, l’écluse avait été vidée, et l’ampleur des dommages pouvait enfin être déterminée avec justesse.

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Entreprise en novembre 1986, la réhabilitation du canal Welland s’étendit sur une période de sept ans et coûta 175 millions de dollars. Entre autres travaux, ce programme comprenait la remise à neuf de la face des murs d’écluse. En certains endroits, on dut arracher jusqu’à trente pouces de béton à l’aide d’outils spécialisés, ou avoir recours, comme on le voit dans cette photo, à des explosions contrôlées. cgvmsl D’énormes blocs de béton asymétriquement fracassé reposaient sur le sol de la chambre et, derrière eux, une cavité béante, d’une hauteur équivalente à quatre étages d’un immeuble, et d’une profondeur de douze pieds, s’étalait à la vue. Tout compte fait, 2000 verges cubes de décombres de béton, d’un poids estimé à 5000 tonnes, avaient dû être enlevées par camion. Une fois achevé le nettoyage, les entrepreneurs procédèrent au coffrage de la cavité. Le dispositif fut ancré au mur du fond, et les travailleurs entreprirent d’y couler du béton par gâchées, ou portions, qui ne faisaient pas plus de huit pieds et demi de haut. La première gâchée fut coulée le matin du 30 octobre, la dernière à 21 heures le 4 novembre. Ce même soir, les équipes commencèrent à retirer les étais et à nettoyer le chantier. L’écluse 7 fut remise en service à 5h43 du matin, le 7 novembre. Le Furia fut le premier navire à la franchir, ayant été immobilisé pendant vingt-trois

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jours, dix-neuf heures et dix-huit minutes. Cent trente autres navires attendaient de transiter par le canal. Tandis que les réparations s’accomplissaient, des ingénieurs de la firme Acres International tentaient de déterminer la cause de l’effondrement. Quelques années plus tard, en raison de poursuites découlant de l’incident, la Voie maritime commanda une autre étude, menée, celle-là, par deux ingénieurs de l’Université de Waterloo, Roger Green et Leo Rothenburg. Les constats de cette étude variaient quelque peu par rapport à ceux de la première, mais les deux équipes étaient pareillement venues à la conclusion que plusieurs problèmes étaient à l’origine des fractures survenues à l’intérieur du mur. Dans un premier temps, l’âge de l’écluse constituait un facteur qui avait contribué à l’effondrement. L’écluse était en service depuis plus de cinquante ans. Elle avait servi à quelque 380000 transits. Chaque fois que l’écluse se vidait, puis se remplissait, l’effort imposé par la charge s’accroissait, puis retombait. Quand l’eau était abaissée, le poids de l’argile du remblai faisait ployer le mur imperceptiblement vers l’intérieur. Quand la chambre était pleine, l’eau procurait du support au mur, contrebalançant ainsi la pression qui s’exerçait contre le pan externe. Avec le passage des années, des conduites d’écoulement encastrées dans le remblai s’étaient bouchées, et

l’argile était devenue saturée. Cet état de fait poussa les charges qui pesaient contre le mur bien au-delà de la capacité prévue par la conception technique et entraîna la formation de fissures, invisibles à l’œil nu, dans les profondeurs de l’ouvrage. Une deuxième source de difficultés était une sorte de buse, ou conduite forcée, qui courait tout le long du mur ouest de l’écluse 7, de même que des écluses qui se trouvaient immédiatement audessous. Ce dispositif, qui faisait 6300 pieds de long et huit pieds six pouces de diamètre, livrait de l’eau à la centrale électrique, propriété de la Voie maritime, située à proximité de l’écluse 3. Il était revêtu d’acier à l’intérieur, sur presque toute sa longueur, sauf à l’écluse 7. La pression de l’eau entraîna la formation de fissures, dans lesquelles l’eau s’infiltra avant de les pousser de plus en plus profondément dans le béton, au point que l’intégrité du mur s’en trouva gravement compromise. Vers la fin de novembre 1986, une pleine année après la grave défaillance à l’écluse 7, le ministre fédéral des Transports, John Crosbie, annonçait que le gouvernement allait consacrer, sur une période de sept ans, 175 millions de dollars à un programme de réhabilitation du canal Welland. La Voie maritime avait en main les rapports de trois sociétés d’experts-conseils et, sur la foi des conclusions de ces rapports, on élabora un plan destiné à assurer la viabilité de la Voie maritime pendant encore une bonne partie du vingt et unième siècle. Ce programme comportait trois éléments principaux: le renforcement et la stabilisation des murs d’écluse, la rectification des dommages survenus, de même que des réparations aux murs d’approche, au sommet et à la base des écluses. Tout le travail devait se faire au cours des trois mois, entre la fin de décembre et la fin de mars, où le canal était fermé pour la saison. Des équipes de construction regroupant parfois jusqu’à 700

travailleurs durent œuvrer dans le froid hivernal et sous la contrainte d’échéanciers très serrés. Le programme comportait tant de projets que la réhabilitation du canal prit effectivement les sept années prévues à l’origine. En fait, l’Administration de la voie maritime dépensa encore 29 millions de dollars durant le dernier hiver, celui de 1992–1993, plus qu’elle n’en avait dépensés dans chacune des saisons précédentes. On comprend facilement que le travail sur les écluses constituait la part la plus importante du projet de réhabilitation, et qu’il commençait habituellement par le renforcement des murs. Les entrepreneurs perçaient des trous, horizontalement et verticalement, certains à une profondeur de quatre-vingts pieds, et y installaient des tiges d’acier à haute résistance, qui faisaient un pouce et trois huitièmes d’épaisseur. De gros boulons étaient fixés à l’extrémité supérieure et l’on utilisait des vérins pour les étirer, de manière à comprimer et à renforcer le béton. Par après, la terre du remblai, à l’extérieur du mur—principalement de l’argile ou de l’argile limoneuse—était excavée. De nouveaux réseaux d’évacuation et de drainage, consistant en conduites de huit pouces de diamètre, étaient mis en place, et de la petite pierre poreuse servait désormais de matériel de remplissage. La plus grosse tâche consistait à réparer les faces intérieure et extérieure des murs, et ce travail devait être bien planifié et exécuté par étapes. Les équipes de construction ne pouvaient travailler que sur un côté du mur à la fois quand elles refaisaient la face, parce qu’elles ne pouvaient décaper les deux faces en même temps. Les équipes utilisaient des explosifs, des béliers à marteaux hydrauliques et des marteaux perforateurs pour enlever jusqu’à trente pouces de béton. Couler du béton en hiver présentait des défis inusités. Les granulats devaient être réchauffés à l’avance, à la vapeur ou à la

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Tout le travail devait être accompli pendant les mois d’hiver, et la coulée du béton par températures froides présentait des défis inusités. L’eau et les granulats devaient être réchau◊és à l’avance, pour faire en sorte que le nouveau béton adhère à l’ancien. thies bogner chaleur sèche. De même, l’eau devait être chauffée à 40 o C et ajoutée aux bétonnières contenant déjà les granulats, avant que l’on ne puisse y introduire le ciment. Le béton était coulé dans le coffrage à une profondeur maximale de cinq pouces à la fois. Enfin, les surfaces existantes devaient elles-mêmes être chauffées au moins jusqu’à 5 o C pour faire en sorte que le nouveau béton adhère à l’ancien. Le sérieux problème survenu à l’écluse 7 entraîna une multitude de poursuites contre la Voie maritime et des réclamations de plusieurs millions de dollars en dommages. Mais ce n’était pas là la seule difficulté à laquelle l’entreprise eût à faire face. Par pure coïncidence, le volume des marchandises transitant par la Voie maritime, en 1985, diminua de 20 pour cent—«soit la baisse la

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plus sévère depuis l’ouverture du système en 1959», selon le rapport annuel. «Cette situation était d’autant plus perturbatrice qu’elle était inattendue, poursuivait le rapport. Une baisse marquée des deux principales cargaisons passant par la Voie maritime—les céréales et le minerai de fer—correspond à la perte presque totale du tonnage.» Les cargaisons de minerai de fer n’avaient jamais connu de véritable reprise après la récession dévastatrice de 1981. En fait, l’industrie américaine de l’acier consacra la majeure partie de la décennie à la restructuration et à la rationalisation de ses activités. Par ailleurs, l’embargo américain sur le chargement de céréales destinées à l’Union soviétique demeura en vigueur, ce qui entraîna une réduction permanente des transits de céréales et d’autres marchandises américaines par le SaintLaurent. En 1985, enfin, les mouvements de céréales canadiennes le long de la Voie maritime chutèrent eux aussi, en raison de changements fondamentaux touchant le flux de la circulation des marchandises

«Les revers de fortune de la Voie maritime ne sont pas un simple phénomène passager. Ils représentent un changement structurel.» Don Rothwell · président, Great Lakes Waterways Development Association sur le réseau, état de fait que le président O’Neil dut reconnaître dans une entrevue accordée en janvier 1986 au Financial Post. «Tout le réseau des Grands Lacs se trouve coincé, à l’heure actuelle», déclara M. O’Neil. Don Rothwell, président d’un groupe d’usagers connu sous le nom de Great Lakes Waterways Development Association, ne mâcha pas davantage ses mots: «Les revers de fortune de la Voie maritime ne sont pas un simple phénomène passager. Ils représentent un changement structurel.» La Commission canadienne du blé avait commencé à détourner de la Voie maritime des exportations qu’elle dirigeait plutôt vers le port de Vancouver, ou encore vers un terminal flambant neuf, situé à Prince Rupert, qui avait été érigé par un consortium d’entreprises. Pendant la campagne agricole se terminant le 31 juillet 1983, les transporteurs des Grands Lacs avaient manutentionné 57 pour cent des exportations de céréales en provenance des Prairies, alors que 41 pour cent avaient transité par des ports de la côte Ouest. Pendant la campagne de 1984–1985, à peine 47 pour cent des exportations de céréales étaient passées par la Voie maritime. La majorité d’entre elles avaient été acheminées en direction ouest. En 1988–1989, autre année difficile, tout juste 38 pour cent des exportations canadiennes de céréales avaient utilisé la Voie maritime, alors que 61 pour cent avaient quitté le pays par la côte Ouest. Trois ans plus tard, en 1991–1992, la part de la Voie maritime dans le mouvement des exportations était tombée à 27 pour cent. Ces céréales embarquées à Vancouver ou à Prince Rupert pouvaient être acheminées par le canal de Panama et atteindre les marchés d’Europe ou d’Afrique du Nord aussi rapidement que les céréales expédiées vers l’est en direction de Thunder Bay, puis, par la suite, par le Saint-Laurent. Qui plus est, il était devenu plus économique d’acheminer des céréales par les ports de la côte

La réhabilitation des écluses en escaliers fut e◊ectuée au cours de l’hiver de 1992, la dernière année de la durée du projet. Ces écluses étaient construites de panneaux, ou monolithes, et la remise à neuf de la face des murs fut exécutée en conformité avec la structure d’origine. cgvmsl Ouest, comme le faisait observer le président et chef de la direction de CSL, Paul Martin, à l’occasion d’une allocution prononcée devant les membres du club Rotary de St. Catharines, au printemps de 1986. «Pour le dire sans détour, déclara le conférencier, la Voie maritime du Saint-Laurent et le canal Welland ne sont plus concurrentiels. Selon la Commission canadienne du blé, il en coûte davantage par tonne pour expédier en Europe des céréales de l’Ouest par l’Atlantique plutôt que par le Pacifique. Une comparaison semblable existe, pour l’expédition de céréales américaines, entre la Voie maritime et le fleuve Mississippi.» La législation fédérale, par l’entremise de la Loi sur le transport du grain de l’Ouest (LTGO),

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adoptée en novembre 1983, encourageait également les agriculteurs des Prairies à expédier leurs céréales vers les ports du Pacifique. Selon un rapport daté de 1992, préparé par Transmode Consultants pour Transports Canada, «[l]a LTGO avait créé une situation par laquelle un producteur [des Prairies], quel que soit son lieu de résidence, verrait ses frais de transport remboursables réduits, et ses bénéfices d’exploitation accrus si ses céréales empruntaient la route [de la côte Ouest]. Il apparaît donc que la LTGO a créé une distorsion entre les conditions économiques véritables de la route [de la côte Ouest] d’une part, et celles de la Voie maritime, d’autre part, et qu’elle a artificiellement modifié leurs positions concurrentielles respectives». Pour aggraver la situation, la production mondiale et la consommation de grains céréaliers connaissaient elles aussi des changements. Plusieurs pays d’Europe de l’Est et d’Europe de l’Ouest—qui pendant des années avaient importé du blé—étaient devenus auto-suffisants et exportaient même une part de leurs récoltes, grâce, en grande partie, à d’opulentes subventions à l’agriculture accordées par l’Union européenne. Au même moment, de nouveaux marchés pour les céréales canadiennes s’ouvraient dans la région de l’Asie et du Pacifique. Entre 1978 et 1982, à peine plus de 23 pour cent des exportations étaient destinées à l’Europe de l’Ouest. En 1990, tout juste six pour cent étaient destinées à l’Europe toute entière. Par comparaison, les exportations vers l’Asie atteignaient 43 pour cent, de 32 pour cent qu’elles avaient été pendant la période 1978–1982. Aucune solution miracle ne pointait à l’horizon pour résoudre rapidement le déclin des expéditions de céréales ou de minerai de fer. En conséquence, le bilan de la situation financière de la Voie maritime essuya une débâcle significative. Les revenus de 1985 étaient inférieurs de 13 millions de dollars par rapport aux attentes, tandis que les

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dépenses dépassaient de près de 16 millions de dollars les prévisions, en grande partie en raison de coûts imprévus reliés au grave incident survenu à l’écluse 7. L’exercice se soldait donc par une perte de 25,2 millions de dollars, la plus importante en près d’une décennie. Le volume total des marchandises acheminées en 1986 restait pratiquement le même par rapport à 1985, mais la haute direction avait eu le temps de s’adapter aux changements en cours. Les prévisions de recettes furent réduites en réponse à la baisse du volume des cargaisons. L’on coupa également dans les dépenses, en partie par des réductions au sein du personnel de l’exploitation et de l’entretien. Ces mesures permirent à la Voie maritime de limiter ses pertes d’exploitation, pour l’année 1986, à 4,4 millions de dollars. Presque tous les intervenants du transport maritime sur les Grands Lacs—les transporteurs, les ports, les chantiers maritimes—connurent des ennuis. Au port de Thunder Bay, environ 1000 travailleurs dans les silos terminaux, soit la moitié de la main-d’œuvre, furent sans emploi pendant la majeure partie de 1985. À la fin de la décennie, le nombre de silos encore en exploitation était tombé à quatorze, de vingt et un qu’il avait été, et les pertes d’emploi étaient devenues permanentes. Le même sort toucha le personnel navigant. En 1980, le nombre de membres des sections locales des Grands Lacs au sein du Syndicat international des marins (SIU) atteignait 8000. Au printemps de 1986, il ne restait plus que 5000 membres, et la plupart d’entre eux ne travaillaient pas à plein temps. «Le syndicat s’accroche à la bouée de sauvetage du partage d’emplois», écrivait Carey French, en avril 1986, dans le Globe and Mail. «À compter de la présente saison, un timonier membre du SIU, travaillant à bord d’un laquier, doit passer à terre un mois sur quatre.» Les trois chantiers maritimes ontariens, situés respectivement à Port Weller, Collingwood et Thunder Bay, faisaient face à des perspectives

d’avenir encore plus sombres. Ils étaient tous en fin de contrats, mais aucun d’entre eux ne comptait de nouvelles commandes en carnet. Plusieurs des sociétés de transport maritime éprouvaient elles aussi de très sérieuses difficultés. Le président de la Dominion Marine Association, dont le siège social se trouvait à Ottawa, Norman Hall, déclarait dans une entrevue accordée à la presse que treize des plus anciens laquiers, équipés de systèmes de propulsion désuets, avaient été retirés du service en 1984 et 1985. Une enquête menée au début de juillet 1986 auprès des transporteurs maritimes des Grands Lacs révélait que 43 cargos sur 133 étaient temporairement inactifs. Le ralentissement de l’activité entraîna une compression majeure de l’industrie du transport maritime sur les Grands Lacs. En 1980, on comptait, selon le Greenwood’s Guide, quatre-vingt-neuf flottes—trente et une d’entre elles canadiennes— sur les lacs. Dix ans plus tard, on ne comptait plus que vingt-quatre flottes canadiennes sur un total de soixante-huit. Les pertes comprenaient de vieilles sociétés d’origine familiale, établies depuis

Cette photo montre les écluses en direction aval. Suite aux défaillances du réseau éprouvées au cours des années 1980, la Voie maritime a adopté une approche globale à la gestion de l’infrastructure. En conséquence, la voie navigable n’a eu à déplorer aucune défaillance majeure depuis plus de vingt ans. thies bogner

longtemps. L’une des premières à déclarer forfait fut la société Halco, établie à Montréal. L’entreprise avait été fondée en 1930 par Frank Augsbury, d’Ogdensburg, dans l’État de New York. Au début des années 1980, les descendants du fondateur détenaient encore le contrôle de la société, qui exploitait une flotte de dix-sept navires, y compris des vraquiers, des pétroliers et des autodéchargeurs. Selon Tom Brodeur, vice-président de CSL, qui avait entamé sa carrière chez Halco, la société avait trop compté sur le transport de céréales américaines en direction du Bas-SaintLaurent et sur celui du minerai de fer dans la direction opposée. En 1983, la Banque Royale du Canada, principale créancière de Halco, prit le contrôle de

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Les transporteurs qui survécurent au resserrement du milieu des années 1980 tendaient à être ceux qui avaient consacré des investissements importants à l’acquisition d’auto-déchargeurs.

La réhabilitation du canal Welland comprenait la réfection de quelques-uns des murs d’approche, le processus illustré dans cette photo. thies bogner la flotte dans le cadre d’un plan de restructuration financière. En 1986, elle avait décrété la cessation de ses activités. «C’était déprimant que de travailler dans pareille atmosphère, se rappelle M. Brodeur. Nous éprouvions du mal à faire des affaires parce que les clients doutaient que nous serions encore là pour assurer le service aprèsvente. Personne ne voulait nous accorder de crédit. Personne ne voulait nous donner de contrats.» D’autres sociétés se trouvèrent elles aussi en difficulté pour la même raison: elles avaient trop compté sur les céréales et le minerai de fer. Ou encore, elles possédaient trop de vraquiers, qu’il fallait charger et décharger à l’aide de matériel en place sur la rive. Les transporteurs qui survécurent au resserrement du milieu des années 1980 tendaient à être ceux qui avaient consacré des investissements importants à l’acquisition d’auto-

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déchargeurs, affirme Peter Cresswell, qui était à l’époque président d’Algoma Central. Algoma avait assemblé une flotte d’autodéchargeurs à partir de la fin des années 1960, et quand les difficultés des années 1980 se dissipèrent, elle apparut comme l’un des transporteurs les plus solides sur les lacs. Les autodéchargeurs coûtaient quelque 10 millions de dollars plus cher à construire que les cargos, explique M. Cresswell. Ils réclamaient des équipages plus importants et coûtaient davantage à exploiter. Mais utilisés à bon escient, ils étaient à la longue plus profitables. «Ce sont tout simplement des navires plus efficaces, fait-il observer. Ils peuvent être chargés et déchargés tellement plus rapidement qu’un cargo. Ils sont plus efficaces aussi sur de courtes distances parce que vous utilisez le matériel d’autodéchargement plus fréquemment. C’est ce qui nous a permis de nous maintenir en activité après la chute de la demande de céréales et de minerai de fer. Nous étions en mesure de transporter du sable,

de la pierre à chaux, des granulats, de la bentonite et d’autres marchandises.» La crise du milieu des années 1980 entraîna également un changement fondamental dans la façon de penser des administrateurs de la Voie maritime et de leurs partenaires au sein de l’industrie du transport sur les Grands Lacs. Ensemble, ils conclurent qu’ils devaient tous assumer un rôle plus actif dans la promotion du réseau et dans la façon d’y mener des affaires. Ce nouvel état d’esprit ouvrit la voie à la mise sur pied de missions commerciales. La première de ces initiatives se déroula en janvier et février 1985, suivie d’une deuxième en mars 1987. «Quelques-uns des avantages de notre superbe voie navigable demeurent un mystère pour les décideurs dans le domaine de l’acheminement des marchandises», déclarait Bill O’Neil à une revue de transport maritime peu de temps avant le départ de la mission de 1987. «Nous espérons que cette mission réussira à leur fournir les renseignements nécessaires en vue de modifier cette situation.» La délégation comprenait des représentants de l’Administration de la voie maritime et de son pendant américain, la Saint Lawrence Seaway Development Corporation, de même que de hauts responsables de ports maritimes, de sociétés de transport maritime et de sociétés de services de marine. La délégation s’arrêta à Oslo, à Copenhague, à Dusseldorf, à Anvers et à Londres. En octobre 1987, une conférence axée sur des questions de mise en marché se tint à Chicago et une troisième mission commerciale fut organisée en mars 1989. Trentedeux représentants prirent part à ce déplacement d’une quinzaine de jours et s’arrêtèrent à Londres, à Anvers, à Madrid, à Tunis et à Casablanca. Au moment où la décennie s’achevait, l’Administration de la voie maritime fit l’expérience d’une autre transition majeure. Vers la fin de 1989, Bill O’Neil remettait sa démission pour devenir secrétaire général de l’Organisation maritime internationale, à Londres. Le 10 janvier 1990, le

ministre des Transports, Benoît Bouchard, annonçait que Glendon Stewart était nommé président et chef de la direction de la Voie maritime. Âgé de 54 ans, natif de Victoria, en ColombieBritannique, le nouveau président était un ingénieur civil qui avait entamé sa carrière au sein de la division des services de marine du ministère des Transports. De 1968 à 1975, il avait exercé les fonctions d’adjoint exécutif auprès de Pierre Camu, lorsque ce dernier occupait le poste d’administrateur de la division et détenait des responsabilités de surveillance auprès de la Voie maritime, de la Garde côtière et du Conseil des ports nationaux. De 1975 jusqu’à sa nomination à la Voie maritime, M. Stewart avait occupé plusieurs postes à la Garde côtière, dont celui de commissaire adjoint, à Ottawa. Le nouveau président entrait en fonction au moment où une transformation majeure était en cours à l’échelle mondiale. La guerre froide tirait à sa fin. L’Union soviétique se désintégrait. Ses satellites d’Europe de l’Est—la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie et la Roumanie, parmi d’autres—déclaraient leur indépendance. La liberté, la démocratie et le capitalisme prenaient la place des dictatures et des économies centralement dirigées de l’ère communiste. Tous ces événements allaient avoir un profond effet sur les ventes canadiennes de céréales aux pays de l’ancien bloc communiste et, en dernier ressort, sur la Voie maritime, comme le faisait observer M. Stewart lors d’une allocution prononcée en avril 1990 à l’occasion de la réunion semestrielle de la Great Lakes Commission des États-Unis. «Ces pays européens vont gagner en efficacité et, ainsi, en productivité, et leur rapport de dépendance à l’égard de l’économie des pays de l’Ouest ne sera plus aussi marqué qu’il a pu l’être dans le passé, déclarait-il. Nous sommes d’avis que le développement de l’esprit d’entreprise ne se produira pas du jour au lendemain, et qu’il faudra

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quelque temps pour que ces pays se libèrent du dirigisme étatique.» Le président estimait que les ventes de céréales aux anciens pays communistes commenceraient à décliner vers le milieu ou la fin des années 1990. Entre-temps, le mandat qu’il avait reçu du gouvernement était clair. «Quand je suis entré en fonction, le ministre m’a dit: “Nous voulons que vous procédiez au redressement de cette entreprise”, se rappelle M. Stewart. Il était plus vraisemblable que nous atteindrions le seuil de rentabilité en réduisant les coûts plutôt qu’en obtenant de nouvelles sources de revenus.» Néanmoins, sous son leadership, l’Administration de la voie maritime déploya des efforts tant du côté des revenus que du côté des dépenses. Peu avant l’ouverture du réseau en 1990, l’Administration mit en place un programme incitatif en matière de droits de péage, dans l’espoir d’attirer de nouveaux clients. Ce projet pilote s’appliquait aux cargos qui n’avaient pas transité par une écluse de la Voie maritime au cours des trois saisons précédentes ainsi qu’aux cargaisons qui représentaient moins de cinq pour cent du trafic moyen vers une destination particulière pendant la même période. Des réductions de 25 pour cent s’appliquaient au péage depuis le moment de l’ouverture de la navigation jusqu’à la fin du mois de juin. La remise augmentait à 50 pour cent pour les mois traditionnellement lents de juillet, août et septembre, puis retombait à 25 pour cent pour le reste de la saison. Les transporteurs bénéficièrent de rabais totals de 306000 dollars en 1990 sur 745000 tonnes de nouveau fret. L’année suivante, ils épargnèrent près de 681000 dollars sur 2,1 millions de tonnes. La Voie maritime proposa également des ristournes sur volume, qui connurent un succès plus important encore. Les transporteurs maritimes avaient droit à des rabais de 20 pour cent pour des marchandises qui dépassaient la moyenne transportée sur cinq ans depuis certains ports

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déterminés du réseau, ou d’outre-mer selon le pays d’origine. En 1991, quelque 5,1 millions de tonnes de fret furent jugées admissibles, et les transporteurs touchèrent des rabais de 1,1 million de dollars. Le président Stewart instaura également un programme d’austérité qui allait transformer profondément l’organisme. Sur une période de quatre ans, lui et son équipe de cadres supérieurs réduisirent la masse salariale de 13 millions de dollars, pour la ramener à 45 millions de dollars annuellement. Ils informatisèrent le plus grand nombre possible d’opérations, éliminèrent le chevauchement des tâches et réduisirent les recoupements. «Nous avons fait face au déclin des revenus en réduisant nos coûts», explique-t-il. Le monde s’était transformé, et l’organisme qui exploitait la Voie maritime avait subi le même sort. Mais, bien qu’elle ait connu des difficultés, la voie navigable n’en restait pas moins un élément vital de l’infrastructure du transport au Canada. Un rapport préparé à l’intention du ministère fédéral des Transports vers la fin de l’année 1992 en venait à la conclusion que la contribution de la Voie maritime à l’économie canadienne s’élevait annuellement à 2,1 milliards de dollars. Elle générait des emplois pour 17500 personnes, y compris 9000 d’entre elles qui œuvraient directement dans le secteur des services de marine. Un second rapport, publié par le Comité permanent de la Chambre sur les transports, déclarait en conclusion: «Le bien-être économique futur du réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent est très important pour la prospérité sociale et économique de la région centrale du Canada. Il est crucial non seulement pour Thunder Bay et pour les autres ports de l’Ontario et du Québec qui bordent le réseau, mais également pour l’industrie agricole, le secteur manufacturier et l’industrie minière de l’Ontario et du Québec. Il est vital, en outre, pour les intérêts à long terme de l’agriculteur de l’Ouest, qui vit enclavé dans ses terres» [traduction libre].

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Où qu’il se tournât durant ses deux premières années à la présidence de l’Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, Glendon Stewart entrevoyait des signes de difficultés. L’économie canadienne était en récession. Les marchés mondiaux de produits de base subissaient des transformations qui influaient de façon négative sur la Voie maritime. D’importatrice nette de céréales qu’elle avait été auparavant, la Communauté européenne était devenue exportatrice. La Russie, ébranlée par la désintégration de son ancien empire, se trouvait dans l’impossibilité de régler le coût de ses achats de blé canadien. Qui plus est, les politiques fédérales en matière de transport favorisaient les chemins de fer et les ports de la côte Ouest, au détriment du réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent. Le volume des marchandises transitant par la voie navigable avait décru de 50 pour cent par rapport au sommet qu’il avait atteint vers la fin des années 1970. Les expéditions de céréales, de minerai de fer et de charbon étaient toutes en baisse. La Voie maritime perdait de l’argent et ne réussit à éviter de faire appel à une aide financière gouvernementale qu’en puisant dans les réserves qu’elle avait accumulées pendant les années qui lui avaient été favorables. Le président Stewart en vint à la conclusion que la Voie maritime devait s’adapter ou courir le risque d’être marginalisée en permanence. La culture d’entreprise avait commencé à changer sous la présidence de William O’Neil mais, sous bien des aspects fondamentaux, l’Administration de la voie maritime, en 1992, restait le même organisme qu’elle avait été en 1959, l’année où elle avait commencé à exploiter la voie navigable intérieure qui rendait possible la navigation commerciale depuis le golfe du Saint-Laurent jusqu’à l’extrémité ouest du lac Supérieur. Le siège social de l’entreprise se trouvait toujours à Ottawa. Des bureaux régionaux continuaient d’exister à SaintLambert, au Québec, et dans les deux

Glendon Stewart accéda à la présidence de l’Administration de la voie maritime durant la période la plus di∫cile des premières cinquante années d’existence de la voie navigable et guida l’entreprise dans une transformation complète. cgvmsl municipalités ontariennes de Cornwall et de St. Catharines. La feuille de paie comptait encore près de 1000 employés. Finalement, et c’était là sans doute l’élément le plus important, l’Administration de la voie maritime demeurait une société d’État. Le gouvernement fédéral était propriétaire de l’infrastructure de la Voie maritime, qui comprenait les écluses, les canaux et les chenaux de navigation, de même que les ponts, les immeubles et même une petite centrale hydroélectrique. La Loi sur l’Administration de la voie maritime, adoptée par le Parlement au milieu des années 1950, établissait le mandat de l’entreprise. Le premier ministre nommait le président de la Voie maritime. Chaque année, le président préparait un plan d’entreprise qu’il soumettait au ministre fédéral des Transports

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pour approbation. En 1977, dans le cadre d’une restructuration financière, le gouvernement décida que la Voie maritime devait devenir financièrement autonome. Mais des pertes continuelles, à partir de 1983, compromirent le statut de l’Administration en tant qu’entreprise quasi-indépendante, fonctionnant à distance des autorités politiques. Il fallait agir, et le président Stewart mit en place un plan radical de redressement, qui s’étendait sur plusieurs années. Quand l’initiative fut arrivée à terme, l’Administration de la voie maritime était un organisme beaucoup réduit de taille et allégé, sa culture d’entreprise avait été transformée, et les pertes financières avaient été remplacées par des profits. Qui plus est, l’entreprise était prête pour la commercialisation, c’est-à-dire prête à être transformée de société d’État qu’elle était en entreprise autonome à but lucratif, qui serait gérée par les usagers du réseau.

«Il nous fallait travailler en équipe, nous axer sur les résultats et nous faire les champions de l’autonomie financière.» Glendon Stewart · président de la Voie maritime, 1990–1997 «Il nous fallait devenir une entreprise moins lourde, animée par un esprit d’entreprenariat», se rappelait M. Stewart, dans une entrevue accordée plusieurs années plus tard. «Il nous fallait travailler en équipe, nous axer sur les résultats et nous faire les champions de l’autonomie financière. Le but que nous poursuivions désormais était celui de l’excellence à faible prix de revient.» Pour concrétiser des changements aussi fondamentaux, le président et son équipe de direction durent s’assurer de la plus large collaboration possible. Ils menèrent des études tant à l’interne qu’à l’externe. En novembre 1990, l’Administration de la voie maritime et la Saint Lawrence Seaway Development Corporation (SLSDC) réunirent le premier Sommet de la Voie maritime. Cette rencontre rassembla quelque 70

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participants venus des deux côtés de la frontière, y compris des armateurs, des représentants des autorités portuaires, des exploitants de silos, des agents de pilotage et des leaders syndicaux. L’objectif était d’examiner divers moyens de réduire les coûts, d’améliorer l’exploitation du réseau et d’offrir à l’usager final une solution de rechange plus attrayante en matière de transport. Pareil rassemblement aussi imposant en termes de participants se révéla lourd à gérer et stérile. Les réunions qui suivirent regroupèrent moins de la moitié du nombre de représentants que la réunion initiale et, avec le temps, l’on finit par former un comité de six personnes chargées de formuler des recommandations. Pourtant, à la fin de 1994, il était devenu clair que le sommet ne produirait pas les résultats attendus. «Il y avait trop d’intérêts divergents, explique M. Stewart. Il était difficile de rassembler tous les intervenants et de les amener à cheminer dans la même direction sans conflits, ou sans que soit divulguée de l’information commercialement sensible.» En dernier ressort, les études menées à l’interne et les changements mis en place allaient se révéler plus fructueux. Le changement organisationnel s’amorça sérieusement au printemps de 1991, quand la Voie maritime retint les services de la société d’experts-conseils Coopers and Lybrand pour aider la haute direction à trouver des moyens de réduire les recoupements et les frais d’administration. Les consultants recommandèrent des investissements dans les nouvelles technologies, de même qu’une restructuration des deux divisions régionales d’exploitation, restructuration qui permettrait à l’Administration de la voie maritime d’éliminer de la feuille de paie environ 100 postes sur une période de trois à cinq ans. Les mêmes experts-conseils suggérèrent également de réorganiser les équipes de préposés aux écluses en réduisant le personnel de quatre à trois par écluse. À l’époque, un opérateur logé

dans une tour de contrôle était responsable de l’ouverture et de la fermeture des portes, ainsi que du remplissage et du vidage de la chambre. Un maître-éclusier et deux préposés aux amarres étaient postés sur le mur, chargés principalement d’amarrer les navires. Les consultants recommandèrent de transférer les commandes dans un kiosque posé directement sur le mur. L’opérateur continuerait à assurer le contrôle des portes et les mouvements de l’eau, mais aiderait également à l’amarrage des navires. De cette façon, un poste de préposé aux amarres par équipe pourrait être éliminé. Tout compte fait, en 1993, 52 emplois avaient été éliminés, entraînant des économies de 3 à 4 millions de dollars par an. Coopers and Lybrand avait proposé les grandes lignes d’un plan de réorientation. Le président Stewart et son équipe de direction se tournèrent alors vers le personnel en vue de recueillir des propositions qui leur permettraient d’élaborer pour l’entreprise un plan stratégique de dix ans. La haute direction sollicita des idées à tous les niveaux hiérarchiques. «Il nous fallait des chiffres, se rappelle M. Stewart. Autrement, nous nous serions retrouvés avec de grandes déclarations vides qui n’exprimeraient pas la nécessité de l’exercice auquel nous nous livrions.»

L’amarrage d’un navire dans une chambre d’écluse se fait en quatre étapes. Sur cette photo, un préposé aux amarres commence par lancer une corde de nylon aux matelots de pont à bord du navire. Les matelots attacheront cette corde à un câble d’amarrage en acier tressé. Le préposé met en marche un petit moteur, qui bobine la corde et le câble. Enfin, le préposé passe la boucle du câble autour d’un bollard et les matelots de pont bobinent à leur tour le câble pour attacher le navire. ron samson

Ce remue-méninges et ces discussions à l’interne débouchèrent sur une réunion de deux jours, appelée Vision 2002, tenue à l’hôtel Ramada Inn de Trenton, en Ontario, en octobre 1992. Cinquante-deux cadres supérieurs de tous les secteurs de l’entreprise participèrent à cette rencontre qui constituait une expérience nouvelle pour la plupart d’entre eux. «Ça, c’était du nouveau à la Voie maritime», se rappelle le gestionnaire des ressources humaines Jean-Guy Lauzon, qui était présent. «C’était, à ma connaissance, la première fois que se dessinait une vision stratégique. Nous avions un service de planification, mais il travaillait isolément. Ce projet intéressait toute l’entreprise.» Dans son mot d’ouverture, le président Stewart exposa en des termes on ne peut plus clairs les défis auxquels faisait face l’entreprise. Le trafic était tombé de 42,1 millions de tonnes en 1988, à un peu

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Tout navire commercial qui navigue sur la Voie maritime porte sur sa coque un certain nombre de marques. Les marques de Plimsoll, à la gauche, sur cette photo, indiquent la profondeur maximale à laquelle un navire peut être chargé, en fonction des conditions météorologiques. Les colonnes de chi◊res, à la droite, sont des échelles de tirant d’eau en graduation métrique et impériale. Ces échelles indiquent la profondeur du navire, ou son tirant d’eau, sous la ligne de flottaison. ron samson

ci-dessus :

La tâche consistant à faire pénétrer un navire «seaway-max» dans une écluse est délicate. Ces navires peuvent atteindre jusqu’à 740 pieds de longueur et 78 pieds de largeur, alors que les écluses ne font que 80 pieds de large.

page ci-contre :

Le capitaine du Canadian Transport a orienté la proue du navire vers le mur d’approche, dont il se sert pour guider le navire. au milieu : Le capitaine fait avancer le navire le long du mur d’approche, mais tient la poupe à distance du mur et alignée sur l’entrée de l’écluse. au bas : Ayant atteint le bout du mur d’approche, la proue du Canadian Transport est correctement alignée sur l’entrée de l’écluse et pénètre dans la chambre. ron samson au haut :

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moins de 32 millions de tonnes en 1992. Les revenus restaient stables à environ 70 millions de dollars par année, mais les coûts étaient à la hausse et la Voie maritime perdait de l’argent—11 millions de dollars en 1992, contre 1,8 million de dollars l’année précédente. «Selon le scénario que nous adopterons, prévint-il l’assemblée, nous risquons de nous retrouver à bout de ressources d’ici deux ans à peine.» Le plan de survie qu’il proposait comprenait un accroissement des revenus et une réduction des dépenses. La Voie maritime pouvait accroître ses revenus par divers moyens, soit par de nouvelles initiatives de marketing, soit encore en tentant d’attirer de nouveaux types de cargaisons ou en augmentant les péages. Elle pouvait réduire les coûts en pratiquant des coupures au sein du personnel, en se dessaisissant d’immeubles et autres propriétés excédentaires ou en transférant à des agences gouvernementales la responsabilité de ponts et de tunnels. De concert avec ces mesures à caractère spécifique, le président insistait sur la nécessité d’une mutation plus ample dans les attitudes et les approches. «Il nous faut définir où nous voulons en être en 2002 et décider comment nous allons y parvenir, dit-il, puis élaborer une culture d’entreprise et un style de gestion compatibles avec cette vision.» Le premier jour de la rencontre, les employés furent répartis en quatre groupes différents. On leur demanda de réfléchir sur l’image que la Voie maritime devrait projeter d’elle-même dans dix ans. Ils devaient également s’interroger sur la façon dont l’entreprise devait s’adapter aux conditions changeantes du marché, sur le visage que prendrait la hiérarchie organisationnelle et sur le nombre de personnes que l’entreprise aurait à son emploi. On leur demanda en outre de se pencher sur des questions telles que la viabilité financière de l’entreprise, l’état de l’infrastructure, les droits de péage et les revenus. Les idées mises de l’avant devaient avoir un caractère aussi spécifique que

possible, et toutes furent dûment notées. Un second exercice consistait à imaginer la taille et l’état de l’Administration de la voie maritime au cours des trois premières années durant lesquelles elle entreprendrait d’atteindre les objectifs de restructuration fixés en vue de l’an 2002. La rencontre généra de nombreuses idées, qui furent par la suite utilisées pour formuler un énoncé de vision—«De concert avec nos partenaires, nous sommes les chefs de file pour répondre aux besoins de nos clients en matière de transport»—et pour élaborer quatre objectifs stratégiques: améliorer la part de marché de la Voie maritime, maintenir l’infrastructure en état sécuritaire et fiable pour les usagers, exploiter la Voie maritime de manière rentable et optimaliser le potentiel de tous les employés. Guidée par cet énoncé de vision et les objectifs spécifiques qui y étaient rattachés, la Voie maritime réussit, en deux ans à peine, à redresser sa situation financière de façon remarquable. La capacité porteuse du réseau fut accrue en permettant à de plus gros navires, plus lourdement chargés, de transiter par les écluses et les canaux. Le tirant d’eau maximum fut porté à 26 pieds et trois pouces, de 26 pieds qu’il était auparavant. L’on autorisa également le passage de navires à barrots de 78 pieds, contre la limite auparavant autorisée de 76 pieds. Enfin, la limite de longueur des bâtiments fut portée de 730 à 740 pieds. La Voie maritime entreprit également de se défaire d’immobilisations excédentaires. En 1992, elle réalisa 2,3 millions de dollars en liquidant 29 propriétés. L’année suivante, 22 propriétés furent vendues, rapportant 1,6 million de dollars. En mai 1995, l’entreprise avait réalisé 7 millions de dollars à même la vente de terres qu’elle n’utilisait pas, et les revenus de location de certaines propriétés et autres immeubles avaient dépassé 8 millions de dollars. Au début de l’année 1993, l’entreprise lança un programme de primes de départ volontaire en vue de réduire les effectifs, principalement par retraite

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anticipée. «Cette mesure était destinée au personnel de l’exploitation et de l’entretien, mais tout le monde pouvait s’en prévaloir, se rappelle Jean-Guy Lauzon. Les intéressés devaient présenter une demande. Nous n’avons jamais forcé qui que ce soit à partir. Nous offrions des forfaits de départ, et plusieurs employés des secteurs de l’exploitation et de l’entretien choisirent de s’en prévaloir.» En avril 1994, le président Stewart informait les députés membres du sous-comité de la Voie maritime au sein du Comité permanent de la Chambre sur les transports que, sur une période de quatre ans, l’Administration avait réduit ses effectifs de 230 années-personnes, ou 25 pour cent, en pratiquant des coupures dans les domaines de l’administration, de l’ingénierie, de l’exploitation et de l’entretien. Cette rationalisation avait été réalisée grâce à l’apport de nouvelles technologies, à la combinaison des groupes de travail et à l’élimination des recoupements et du dédoublement des tâches. Aux écluses, par exemple, on fusionna le personnel des opérations et celui de l’entretien, de façon à ce que les deux groupes puissent se prêter mutuellement assistance quand le besoin s’en faisait sentir. Les opérateurs travaillaient à l’entretien quand aucun navire ne franchissait les écluses, tandis que le personnel de l’entretien prêtait assistance au fonctionnement de ces dernières quand des navires y transitaient. Grâce à des mesures semblables, la Voie maritime avait réduit son budget de fonctionnement de 12 millions de dollars et était en très bonne voie d’atteindre l’objectif qu’elle s’était fixé, soit la limitation des effectifs à 600 personnes en l’an 2002. Concurremment, l’entreprise déployait de vigoureux efforts dans le but d’accroître sa part de marché. Son programme de réduction des péages se révéla l’un des outils les plus performants à cette fin. Cette initiative prévoyait des remises

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pour nouveaux usagers et des ristournes sur volume pour les sociétés de transport maritime dont les tonnages, dans une année donnée, dépassaient les moyennes historiques. «Cette initiative a eu pour effet de générer plus de 26 millions de dollars en nouveaux revenus de 1990 à 1994 et, sur la même période, environ 6 millions de dollars en remises pour les usagers» [traduction libre], déclarait le président Stewart devant le Comité permanent de la Chambre sur les transports en 1995. L’Administration poursuivait également ses efforts de marketing au moyen de missions commerciales et en rencontrant les usagers finals pour leur faire valoir les avantages de la voie navigable. Ces efforts commencèrent à produire des résultats en 1993, quand la section Montréal-lac Ontario manutentionna 300000 tonnes de charbon des Appalaches, destiné à Énergie NouveauBrunswick. Les sociétés de transport maritime étaient elles-mêmes à la recherche de nouvelles cargaisons, avec des résultats parfois étonnants. Du charbon en provenance du bassin de Powder River, au Montana, transita par la Voie maritime pour la première fois en 1993, grâce à une entente novatrice entre Venture Fuels et Canada Steamship Lines, de Montréal. Venture acheminait normalement le charbon de Powder River à ses clients européens par le réseau du fleuve Mississippi. Mais quand des inondations se produisirent le long du fleuve, cet été-là, Venture entreprit de livrer le charbon par rail à des ports situés sur le lac Supérieur, d’où il était transféré à bord d’auto-déchargeurs appartenant à CSL. Ces navires transportaient la cargaison jusqu’à Sept-Îles et la transbordaient directement sur des navires Panamax de CSL pour la traversée vers l’Europe. Le charbon atteignit les clients au moment voulu et à un prix concurrentiel. L’entrée en scène de nouveaux usagers, de même qu’un accroissement des expéditions de nouvelles marchandises permirent à la Voie

maritime de réduire sa perte, pour l’année 1993, à 6,1 millions de dollars, par comparaison à 11 millions de dollars en 1992. L’année suivante fut marquée par de nouveaux progrès. Le mouvement des cargaisons sur la section Montréal-lac Ontario atteignit 38,4 millions de tonnes, en hausse de 20 pour cent. Le trafic sur le canal Welland s’accrut de près de 25 pour cent, à 39,7 millions de tonnes. Les revenus de péage atteignirent 76 millions de dollars, soit 28 pour cent de plus que ce qu’ils avaient été en 1993. Cinquante-neuf navires transitèrent par le réseau pour la première fois, et quarante-six y refirent une apparition après des absences allant parfois jusqu’à six ans. Une autre réduction des effectifs, équivalente à quatre-vingttrois années-personnes, épargna 4,5 millions de dollars en charges salariales. Les résultats d’exploitation nets montraient un profit de 15,5 millions de dollars, le premier depuis 1983. Ces résultats marquaient le début d’un redressement soutenu. La Voie maritime réalisa un profit de 238000 dollars en 1995, sur des revenus de 80 millions de dollars. L’année suivante, près de 50 millions de tonnes de marchandises transitèrent

Le 10 mai 1996, le NM Algosoo, propriété d’Algoma Central, transita par le canal Welland, en route pour décharger à Lorain, en Ohio, une cargaison de minerai de fer. Il acheminait la deux milliardième tonne de fret à franchir la voie navigable depuis 1959, et la Voie maritime tint une cérémonie sur le pont du navire pour marquer l’occasion. thies bogner par le réseau, et les revenus atteignirent 88,6 millions de dollars, le plus haut niveau de toute l’histoire de l’Administration. Trois mille neuf cent cinquante-trois navires transitèrent par la voie navigable, soit le relevé de trafic le plus important depuis l’année 1988. Qui plus est, le 10 mai 1996, la Voie maritime atteignit un jalon important. Le NM Algosoo, propriété d’Algoma Central, transita par le canal Welland, en route pour décharger à Lorain, en Ohio, une cargaison de minerai de fer qu’il avait prise en charge à Pointe-Noire, au Québec. L’Algosoo acheminait la deux milliardième tonne de fret à franchir la Voie maritime depuis 1959. Entre-temps, le changement organisationnel se poursuivait. En 1994, l’Administration mit sur pied un processus de gestion de la qualité totale pour faire en sorte que l’action des employés, à tous les

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niveaux, soit axée sur les besoins de la clientèle. Des conseils de la qualité furent établis, l’on détermina les besoins de la clientèle et des mesures de rendement furent mises en place. On établit des programmes pour former le personnel en fonction de cette nouvelle approche. Le rapport annuel de 1995 résumait en ces mots la transformation globale qui résultait des tous ces efforts: «La satisfaction de notre clientèle est devenue le moteur de tous les rouages de la Voie maritime […] l’avenir de la Voie maritime, en tant qu’axe de transport important, dépend de la satisfaction des besoins de ses clients qui veulent un service rentable, fiable et rapide.» En 1994, l’Administration avait également mené un sondage parmi les usagers, initiative qui mit au jour deux sujets de préoccupations. Le premier avait trait aux temps de transit. Le second portait sur le système destiné à signaler la position des navires, de façon à ce que les sociétés de transport maritime puissent déterminer avec une plus grande précision le moment d’arrivée de leurs bâtiments aux écluses et dans les ports. La Voie maritime s’empressa d’examiner les deux problèmes. De manière à améliorer les temps de transit, l’Administration prit deux engagements, soit que 95 pour cent de tous les navires franchiraient chaque section de la voie navigable dans la limite de quatre heures de la durée moyenne de transit, et que 90 pour cent la franchiraient dans la limite de deux heures de la durée moyenne. En se basant sur 3000 navires par saison, cela voulait dire que seuls 150 navires, ou 5 pour cent, pourraient dépasser de plus de quatre heures la durée moyenne. La Voie maritime mit également au point un code spécial de retard en vue de cerner les causes de retard et d’en imputer la responsabilité. Ce code comprenait cinq catégories: les retards imputables aux pannes à bord des navires, aux accidents, aux infractions aux règlements; ceux qui sont attribuables au vent, à la glace, à la visibilité ou à d’autres circonstances d’ordre environnemental;

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ceux qui résultent de pannes des structures ou du matériel d’exploitation; ceux qui engagent la responsabilité des partenaires de la Voie maritime, tels les chemins de fer ou les compagnies d’électricité; ceux, enfin, qui résultent de la gestion du trafic. Ce système fut mis en vigueur au début de la saison de navigation de 1996. Les résultats de cette première année d’application indiquaient que 92 pour cent des navires sur la section Montréal-lac Ontario et plus de 95 pour cent de ceux qui avaient transité par le canal Welland avaient complété le passage à l’intérieur des quatre heures de la durée moyenne de transit. En réponse aux préoccupations relatives à la détermination de la position des navires, la Voie maritime fit l’acquisition d’un nouveau système informatisé de visualisation graphique, qui fournissait des données mises à jour toutes les dix minutes sur le canal Welland, et toutes les quinze minutes sur la section Montréal-lac Ontario. Ce système indiquait aux employés de la Voie maritime la position exacte de chacun des navires le long du réseau et les tenait au fait des conditions météorologiques de même que de l’utilisation prévue des écluses. Les expéditeurs et les destinataires avaient accès à ces renseignements par l’entremise d’un système de réponse vocale interactif, et la Voie maritime avait déjà entrepris des démarches en vue de rendre tous ces renseignements disponibles sur Internet. Les changements intervenus au début des années 1990 étaient partie intégrante d’un effort de plus grande portée destiné à préparer la Voie maritime à la commercialisation, initiative commandée par le fait que le gouvernement fédéral était à court d’argent. Les Libéraux de Jean Chrétien avaient pris le pouvoir vers la fin de 1993, au moment où le pays s’acheminait vers une crise sérieuse des dépenses publiques après vingt-cinq années de déficits budgétaires. Les frais croissants du service de la dette minaient l’aptitude d’Ottawa

le contrôle des espèces exotiques envahissantes

L’Étude des Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent résume le problème succinctement et de manière catégorique: «L’introduction d’espèces exotiques envahissantes (EEE) dans le bassin des Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent, en particulier depuis les eaux de ballast des navires océaniques, représente l’un des problèmes environnementaux les plus difficiles et les plus étendus de ceux qui affectent ces eaux.» Plus de 185 espèces envahissantes ont été introduites dans le Saint-Laurent et les Grands Lacs au cours des deux derniers siècles, en provenance de sources variées—l’aquaculture, les marchés de poisson vivant, la pêche sportive, le commerce des animaux domestiques, les poissons-appâts et les plantes de jardin, ainsi que la vidange des eaux de ballast des océaniques. L’exemple consigné le plus ancien de l’apparition d’une espèce aquatique envahissante est celui de la lamproie marine, qui atteignit les Grands Lacs par le canal Érié dans les années 1820. Depuis 1990, les scientifiques ont documenté l’apparition de quelque 12 nouvelles espèces—aucune d’aussi triste notoriété que la moule zébrée, un mollusque de la grosseur d’un ongle, venu de la mer Caspienne. Entrée en Amérique du Nord vers la fin des années 1980, à même l’eau de ballast d’un cargo océanique, elle s’est répandue depuis lors dans tous les Grands Lacs de même que dans des rivières et de nombreux lacs en Ontario, au Québec ainsi que dans plusieurs États américains. L’entrée en scène de la moule zébrée a coïncidé, tant au Canada qu’aux États-Unis, avec des efforts pour mettre fin à l’introduction d’espèces envahissantes. En 1989, Transports Canada énonçait, à l’intention des navires pénétrant dans les Grands Lacs, des directives facultatives relatives à l’échange des eaux de

La moule zébrée, un mollusque exotique envahissant, de la grosseur d’un ongle, est arrivée vers la fin des années 1980 et s’est répandue rapidement dans d’autres lacs et rivières du bassin hydrographique des Grands Lacs. environmental protection agency

ballast—la première tentative en vue de maîtriser le problème. De son côté, la United States Coast Guard rendait publics, en 1993, les premiers règlements s’appliquant aux navires en provenance de l’Atlantique qui pénétraient dans les Grands Lacs avec de l’eau de ballast à bord. Cette réglementation obligeait ces navires à échanger leur eau à 200 milles, au moins, du littoral. Les bâtiments qui ne pouvaient, pour des raisons de sécurité, échanger leur eau douce pour de l’eau salée étaient tenus de la retenir dans des réservoirs scellés ou de la faire traiter au moment du déchargement. Entre-temps, l’industrie du transport maritime se préoccupait elle-même de cette question. En 1991, l’Organisation maritime internationale (OMI) avalisait le principe de l’échange des eaux de ballast et publiait un ensemble de lignes directrices préliminaires. Des lignes directrices mises à jour furent rendues publiques en 1997 et, en 2004, des représentants de 74 des pays membres de l’OMI

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avaient adopté la Convention pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires. Cette convention devait entrer en vigueur 12 mois après qu’elle eut été ratifiée par 30 États membres représentant 35 pour cent du tonnage de la marine marchande à travers le monde. En septembre 2000, la Fédération maritime du Canada (FMC) adoptait un code des meilleures pratiques en matière de gestion des eaux de ballast à bord des océaniques qui pénétraient dans le réseau. Et, quatre mois plus tard, en janvier 2001, la Lake Carriers’ Association des États-Unis et l’Association des armateurs canadiens rendaient publiques des pratiques volontaires de gestion destinées à réduire le transfert d’espèces aquatiques nuisibles par l’entremise du transport maritime intérieur. Les deux corporations responsables de la Voie maritime mirent en place, en 2002, des dispositions réglementaires obligatoires fondées sur le code de la FMC et adoptèrent également les pratiques volontaires de gestion de la Lake Carriers’ Association et de l’Association des armateurs canadiens. Aucune de ces mesures ne réussit à satisfaire les critiques de l’industrie du transport maritime. Au début de 2003, l’ancien député libéral Herb Gray, coprésident canadien de la Commission mixte internationale, suggéra au Comité des pêches de la Chambre des communes de recommander la désignation, par le gouvernement, d’un ministère responsable de cette question, plutôt que de la laisser rebondir sans cesse entre le ministère de l’Environnement et ceux des Pêches et des Transports. Johanne Gélinas, ancienne commissaire fédérale à l’environnement et au développement durable, fut encore plus explicite dans ses critiques quand elle comparut devant le même comité. «On ne décèle aucun consensus sur les priorités, déclara-t-elle, aucun accord sur qui fait quoi, et aucune capacité de mesurer le progrès en rapport avec les engagements du

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gouvernement. On ne trouve aucun geste pratique, de la part du gouvernement, pour empêcher ces espèces envahissantes de causer des dommages aux écosystèmes du Canada» [traduction libre]. Les choses étaient toutefois sur le point de changer. Désormais, les navires ayant de l’eau de ballast à bord et pénétrant dans la Voie maritime depuis l’Atlantique pour se diriger vers un port canadien étaient tenus d’échanger leur eau de ballast à 200 milles, au moins, du littoral et dans des mers qui faisaient au minimum 2000 pieds de profondeur. Les navires ne transportant pas d’eau de ballast devaient rincer à l’eau salée leurs réservoirs et leurs systèmes de ballast afin de détruire tous les organismes qui étaient toujours présents dans l’eau résiduaire et le sédiment. Ces dispositions créaient néanmoins, selon les observateurs scientifiques, une divergence, de même qu’une lacune majeure entre les règlements canadiens et américains, puisque les règlements américains ne s’appliquaient qu’aux navires contenant de l’eau de ballast. Avant l’ouverture de la saison de navigation de 2008, la Seaway Corporation américaine accepta d’harmoniser son approche aux pratiques canadiennes. «Le contrôle de l’introduction de nouvelles espèces envahissantes est la priorité environnementale numéro un des gouvernements et des industries maritimes», a déclaré Collister Johnson Jr., administrateur de la Saint Laurence Seaway Development Corporation. Richard Corfe, président et chef de la direction de la CGVMSL, ajoutait pour sa part: «Cette entente démontre la volonté ferme des deux corporations de la Voie maritime, des gouvernements canadien et américain ainsi que de l’industrie du transport maritime de gérer avec efficacité la question des eaux de ballast et d’appliquer à chacun des océaniques qui pénètrent dans notre réseau les meilleures pratiques en place au sein de l’industrie.»

à assurer des services efficaces et à répondre à de nouveaux défis et à de nouveaux besoins. Le gouvernement se devait de réduire ses obligations financières là où la chose était possible, ce qui entraînait la nécessité d’examiner et de remettre en question la presque totalité de son action. Au sein du gouvernement Chrétien, le ministre des Transports, Doug Young, apparut bientôt comme l’un des réformateurs les plus énergiques et les plus efficaces. Il secoua de fond en comble son ministère et orchestra un remaniement majeur des secteurs aérien, ferroviaire et maritime. Il réduisit les subventions et dégagea le gouvernement fédéral de ses obligations en matière de propriété et d’exploitation d’aéroports, de systèmes de contrôle de la circulation aérienne, de ports et autres installations. Sous sa direction, le ministère des Transports mit à peu près complètement fin à son rôle d’intervenant direct dans le mouvement des marchandises et des personnes et assuma un rôle plus limité, qui s’en tenait à la réglementation. Dans ces circonstances, la Voie maritime ne pouvait espérer demeurer à l’abri de ces changements. En novembre 1994, l’Administration de la voie maritime prépara à l’intention du ministre un rapport intitulé Un plan pour commercialiser la Voie maritime du Saint-Laurent et, en mars 1995, le président Stewart en présenta les recommandations au Comité permanent de la Chambre sur les transports. La direction supérieure de l’entreprise avait examiné neuf options—depuis le maintien du statu quo, jusqu’à la fermeture du réseau. Elle avait été guidée dans sa réflexion par trois principes: offrir aux usagers un meilleur service, réduire les coûts d’ensemble tant pour le gouvernement que pour les usagers et accroître la compétitivité de la Voie maritime. Le président déclara aux députés qu’il y avait à son avis trois options réalistes. La première consistait à conserver à l’Administration de la voie maritime la responsabilité de la voie navigable, mais d’étendre son autorité jusqu’à Thunder Bay, et de

lui assigner, en plus, la responsabilité d’encadrer la Garde côtière et l’Administration de pilotage des Grands Lacs. Ce scénario était celui que favorisait M. Stewart. Il fit valoir que cette façon de faire permettrait aux trois organismes de combiner les lieux d’activité et les installations, épargnant ainsi de 10 à 20 pour cent de leurs coûts d’exploitation annuels combinés, soit de 15 à 30 millions de dollars. La seconde option consistait en un partenariat public-privé. Le gouvernement demeurerait propriétaire du réseau et conserverait la responsabilité des dépenses en capital les plus importantes. Mais une société privée, sans but lucratif, ou un consortium, assurerait l’exploitation de la Voie maritime et utiliserait les revenus des péages pour couvrir les coûts d’exploitation et d’entretien de base. Ou encore, Ottawa pourrait se départir entièrement de la Voie maritime en en transférant l’infrastructure et les coûts d’immobilisation connexes à une société privée. M. Stewart n’était que l’un des nombreux témoins à comparaître, ce printemps-là, devant le comité, qui tenait des audiences en vue de conseiller le ministre sur la forme et l’orientation d’une nouvelle politique maritime nationale. Les députés soumirent leur rapport en mai 1995 et le ministre Young comptait rendre public un plan directeur sur l’avenir de la Voie maritime, de la Garde côtière et des ports nationaux au plus tard en septembre. Cet été-là, il tint des consultations directes avec l’industrie. Au cours de ces discussions, la firme d’ingénierie et d’experts-conseils SNC-Lavalin, de Montréal, apparut comme un acheteur possible pour la Voie maritime. À la mi-décembre 1994, M. Stewart avait rencontré le président de SNC, Bernard Lamarre, et son frère Jacques, qui était alors vice-président de la firme, au restaurant parisien Le Métro, situé au centre-ville d’Ottawa. Les deux frères avaient alors posé des questions détaillées sur les dépenses, les revenus et la

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structure de gestion de la Voie maritime. M. Stewart rencontra de nouveau Bernard Lamarre, au même restaurant, au début du mois de mai 1995 et, cette fois, l’homme d’affaires exprima son intérêt pour les ponts Jacques-Cartier et Champlain, qui relient Montréal à la rive sud du Saint-Laurent, et dont la gestion relevait de la Voie maritime. L’intérêt manifesté par SNC attira l’attention de Norman Hall, qui était alors président de l’Association des armateurs canadiens (AAC). Cette situation l’inquiétait et il proposa à son conseil d’administration de préparer une proposition de prise en charge en son propre nom. «L’industrie manifesta en premier lieu son intérêt pour la Voie maritime parce que le ministre Young avait affirmé qu’il voulait la mettre en vente», se rappelait M. Hall dans une entrevue accordée au magazine Canadian Sailings, «et en second lieu parce que nous avions entendu dire que SNC-Lavalin était très intéressée à mettre la main sur la voie navigable.»

Les deux parties s’étaient mises d’accord sur un partenariat public-privé semblable à celui qu’avait évoqué Glendon Stewart au moment de sa comparution devant le comité des Transports. M. Hall adressa à son conseil d’administration une mise en garde: «Vous savez ce qui se produira si ces gens-là réussissent dans leur entreprise. Ils n’utilisent même pas la Voie maritime. Ils voudront s’enrichir à même les coûts d’ingénierie et d’infrastructure qu’une Voie maritime qui prend de l’âge impose automatiquement. Dieu sait ce que seront les péages dans ce contexte.» Norman Hall avait en tête un plan qui ressemblait fortement à celui du président Stewart. «Nous devrions envisager la possibilité qu’une nouvelle corporation de la Voie maritime assume la responsabilité de toutes les questions relatives à l’aide à la navigation sur les Grands Lacs, proposa-til à ses collègues du conseil. Ne serait-il pas plus

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sensé que la Voie maritime soit responsable du déglaçage sur les lacs, des aides à la navigation, en somme qu’elle remplace entièrement la Garde côtière? La corporation pourrait demander des soumissions et trouver des fournisseurs de services qui feraient le travail pour moins cher.» De son côté, SNC comprit rapidement que les péages nécessaires pour couvrir les coûts d’exploitation et les dépenses en immobilisation seraient prohibitifs et renonça à poursuivre l’affaire. Mais, en manifestant de l’intérêt, elle avait néanmoins eu un profond effet sur l’avenir de la Voie maritime. L’AAC fut à l’origine de la mise sur pied d’un groupe d’usagers en vue de préparer une soumission. Les membres du groupe comprenaient quatre armateurs (Algoma Central, Upper Lakes Shipping, Canada Steamship Lines et Fednav International), trois sociétés céréalières (James Richardson & Sons, Louis Dreyfus et Cargill) de même que les aciéries Stelco et Dofasco. Le groupe négocia avec le gouvernement pendant un an environ. Entre-temps, toutefois, un remaniement ministériel vint interrompre les négociations. Doug Young fut muté à un autre ministère et remplacé aux Transports par David Anderson, de la Colombie-Britannique. À la mijuillet 1996, cependant, le ministre Anderson et Robert Swenor, premier vice-président chez Dofasco, avaient signé une lettre d’intention en vue de créer une société sans but lucratif qui prendrait les commandes de la Voie maritime, peut-être dès le 1er janvier 1997. Les deux parties s’étaient mises d’accord sur un partenariat public-privé semblable à celui qu’avait évoqué Glendon Stewart au moment de sa comparution devant le comité des Transports. Le gouvernement resterait propriétaire des écluses, des canaux et des installations connexes. Il aurait également la responsabilité des réfections et des mises à niveau majeures. Les utilisateurs exploiteraient la voie navigable et s’occuperaient de l’entretien de routine.

Plusieurs points clés restaient cependant à résoudre. Le gouvernement et les usagers devaient s’entendre sur une formule de partage des excédents d’exploitation. Le nouvel organisme devait se donner un conseil d’administration de même qu’une équipe de direction. Des décisions s’imposaient également quant à l’emplacement du siège social de l’entreprise et à la fermeture d’autres installations. Des oppositions au nouvel arrangement s’étaient par ailleurs manifestées au sud de la frontière. «Divers intérêts des ports des Grands Lacs et de l’industrie du transport maritime aux États-Unis ont exprimé de fortes réserves à la perspective d’une exploitation de la voie navigable par un groupe d’usagers et d’une augmentation éventuelle des péages, rapportait Canadian Sailings. Les dirigeants américains de la Voie maritime ont manifesté leur opposition à l’idée de remettre entre les mains de l’industrie privée des biens qui appartiennent à la collectivité.» La Saint Lawrence Seaway Development Corporation avait, elle, son propre ordre du jour. Elle préconisait la création d’une agence binationale pour gérer le réseau, et de hauts responsables des ministères des Transports des deux pays discutèrent de cette question au cours du même été. Ces pourparlers ne donnèrent pas de résultats et l’idée fut temporairement mise de côté. La transition entre l’ancien et le nouvel organisme connut un retard de près de deux ans, non en raison d’opposition venant de l’extérieur, mais par suite d’événements de nature politique survenus sur la scène canadienne. La Loi maritime du Canada devait être amendée pour permettre au ministre de dissoudre l’Administration de la voie maritime et de conclure une entente avec le groupe d’usagers. En septembre 1996, le ministre Anderson déposa un projet de loi qui incorporait tant ces changements que d’autres, qui devaient permettre la privatisation de certains ports et la réorganisation de la Garde côtière.

Le projet de loi fut adopté en troisième lecture à la Chambre des communes, mais mourut au feuilleton du Sénat au début d’avril 1997 quand le premier ministre Chrétien prorogea le Parlement et déclencha une élection générale fixée au 2 juin. Cela signifiait que le projet de loi devrait être déposé de nouveau, ce qui ne se produirait qu’après la rentrée des Chambres, à l’automne.

«Tout indique, poursuivait l’article, que la Voie maritime a atteint l’étape où ses opérations peuvent être prises en charge avec succès par l’industrie privée.» Wilbrod Leclerc · magazine Canadian Sailings Entre-temps, une relève de la garde se produisait au sein de l’Administration de la voie maritime. Le mandat de président de Glendon Stewart arrivait à échéance le 7 août 1997, date à laquelle il prit sa retraite. Il avait guidé l’entreprise dans le cours d’une transformation remarquable et s’était acquis le respect de l’industrie. «La gestion à son meilleur», clamait le titre d’un article consacré au président sortant dans Canadian Sailings. «M. Stewart peut être satisfait de son mandat à la tête de la Voie maritime», écrivait le correspondant outaouais du magazine, Wilbrod Leclerc. «Le tonnage et les revenus ont augmenté. Les coûts ont décru. Les effectifs ont été réduits. La gestion améliorée. Tout cela est signe d’une rationalisation réussie. La Voie maritime fonctionne maintenant selon des principes commerciaux.» «Tout indique, poursuivait l’article, que la Voie maritime a atteint l’étape où ses opérations peuvent être prises en charge avec succès par l’industrie privée. Le groupe d’usagers qui attend dans la coulisse pourra aller de l’avant avec un degré accru de confiance.» David Collenette devint ministre des Transports dans le gouvernement Libéral réélu et annonça la nomination de Michel Fournier au poste de président et de chef de la direction par intérim de

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Guy Véronneau, un ancien cadre supérieur de l’industrie de la construction navale, devint le premier président de la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent, qui venait d’être mise sur pied. Hésitant au départ à répondre favorablement aux tentatives faites pour le recruter, il accepta d’abord un mandat de trois ans, mais se plut su∫samment dans le poste pour y rester cinq ans. cgvmsl la Voie maritime. M. Fournier était un notaire public de Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec, spécialisé en droit commercial et en droit corporatif. Le gouvernement l’avait nommé, en 1995, à l’Administration de la voie maritime, où il avait été l’un de deux vice-présidents travaillant directement sous l’autorité de Glendon Stewart. Cet automne-là, le ministre Collenette déposa de nouveau le projet de loi destiné à amender la Loi maritime du Canada, et la Chambre des communes en fit l’adoption avant le congé parlementaire de Noël. Le Sénat l’adopta enfin au début de juin 1998, levant ainsi le dernier obstacle qui s’opposait au transfert du contrôle de la Voie maritime aux utilisateurs. Ce transfert se fit officiellement le 1er octobre 1998, et une cérémonie destinée à marquer l’occasion fut tenue à bord du NM Canadian

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Olympic alors qu’il transitait par le canal Welland. L’Administration de la voie maritime du Saint-Laurent devint la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent. Le siège social de l’entreprise déménagea d’Ottawa, pour s’installer à Cornwall. Le conseil d’administration nouvellement constitué était formé de neuf membres en provenance des industries du fer et de l’acier, du commerce des céréales, des sociétés de transport maritime, tant océanique qu’intérieur, et de trois représentants, respectivement, des gouvernements fédéral, de l’Ontario et du Québec. Le neuvième membre était le nouveau président, Guy Véronneau. Alors âgé de 61 ans, M. Véronneau possédait plusieurs années d’expérience à titre de cadre supérieur d’entreprise et était une figure de marque au sein de l’industrie de la construction navale, alors en déclin. Il avait entamé sa carrière à la fin des années 1950 dans le domaine du traitement mécanique des données, champ qui allait évoluer pour devenir celui de la technologie de l’information. D’abord entré au service d’une brasserie, il passa à un journal, puis devint directeur des systèmes et du traitement mécanique des données chez Marine Industrie Ltée (MIL), société manufacturière située à Sorel, au Québec, qui construisait des navires et des wagons de chemin de fer, et produisait du matériel hydroélectrique. Vers la fin des années 1970, MIL lui confia la responsabilité d’un projet de construction de cargos pour le gouvernement polonais et, en 1980, il devint vice-président de la division de construction navale. En 1986, il quittait ce poste pour aller occuper celui de vice-président, Marketing, à la division du transport en commun chez Bombardier. Trois ans plus tard, il revenait chez MIL, qui avait entre-temps fusionné avec Davie Shipbuilding, de Québec. M. Véronneau assuma la direction du chantier naval de Davie, jusqu’au moment où celui-ci fut vendu en 1996. Il prit alors sa retraite, déménagea dans les Cantons de l’Est, où il se trouvait toujours quand une

entreprise de recrutement s’adressa à lui, en juin 1998, au sujet du poste à la Voie maritime. «Je leur ai dit: “Mais vous êtes fous, non?”», devait se rappeler M. Véronneau quelques années plus tard. «J’avais passé sept années très difficiles au chantier naval et il me fallait me remettre de l’expérience. Je n’avais pas du tout l’intention de retourner au travail.» Mais le nouveau conseil d’administration de la Voie maritime tenait à se prévaloir de ses services. Ainsi, les chasseurs de têtes persistèrent et, à la fin d’août, il avait accepté. Le conseil souhaitait obtenir de sa part un engagement de deux ans. M. Véronneau accepta de rester en poste pendant trois ans, mais finit par y passer près de cinq ans. «Je m’y suis plu énormément, affirme-t-il. C’était un organisme très professionnel. Nous faisions nos premiers pas dans une relation complètement différente avec le monde.» Son arrivée coïncida toutefois avec un nouvel affaissement du volume des marchandises transitant par la Voie maritime. Cinquante millions et demi de tonnes franchirent le réseau en 1998, puis le volume déclina au cours de chacune des quatre saisons suivantes, s’établissant à 41,4 millions en 2002, la dernière année où M. Véronneau occupa le poste de président. Néanmoins, son mandat fut rempli de projets et d’initiatives, et il poussa plus avant la transformation de la culture d’entreprise lancée par Glendon Stewart. Son premier effort en ce sens fut la tenue d’une retraite des gestionnaires dans un hôtel situé du côté américain des Mille-Îles. Cette rencontre fut l’occasion d’une très vaste démarche de planification stratégique et d’une réitération de la mission, de la vision, des valeurs et des buts de l’entreprise. Mais, ce qui est tout aussi important, c’est que la démarche mena à l’élaboration de quelque cinquante plans d’action et que quatre équipes furent mises sur pied pour passer en revue la façon dont le travail s’accomplissait à la Voie maritime.

Ces équipes furent chargées de se pencher respectivement sur les questions suivantes: la gestion de projet et les dépenses en capital, l’entretien préventif et correctif, les tâches assignées aux équipes des écluses, et l’approvisionnement. Les recommandations contenues dans leur rapport indiquaient que le moment était vraisemblablement propice à la création d’une nouvelle structure organisationnelle, et la Voie maritime retint les services d’une société d’experts-conseils pour aider à sa mise en œuvre.

Avec le temps, le rôle joué par M. Véronneau dans la réorganisation de l’entreprise en vint à être apprécié par plusieurs de ses collaborateurs. Cet exercice entraîna un remaniement complet de la structure organisationnelle. Terminé en mars 2000, ce remaniement résultait en une délimitation plus claire et plus efficace des responsabilités respectives des bureaux régionaux et du siège social. Les vice-présidents régionaux responsables de l’exploitation, à Saint-Lambert et à St. Catharines, se virent confier deux responsabilités majeures: assurer de façon efficace le passage des navires sur leur section de la voie navigable et veiller à l’entretien de l’infrastructure. Les services auxiliaires, tels ceux des ressources humaines, des finances et de technologie de l’information, furent centralisés au siège social, à Cornwall, et un nouveau poste, celui de vice-président au développement stratégique et commercial, fut créé. «Nous prévoyons que cette nouvelle structure produira une meilleure coordination et communication entre les services d’ingénierie, d’entretien et d’exploitation […] ce qui améliorera le service à la clientèle tout en réduisant les coûts», écrivait M. Véronneau dans le rapport annuel de 1999–2000. Avec le temps, le rôle joué par M. Véronneau dans la réorganisation de l’entreprise en vint à être apprécié par plusieurs de ses collaborateurs.

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Pendant trois ans à partir de l’an 2000, on procéda au développement et à la mise à l’essai d’un système d’identification automatique. Cette technologie fut mise en service au printemps de 2003. Elle permettait un contrôle intégré et sans coupure du trafic entre les centres situés à l’écluse de Saint-Lambert, à l’écluse Eisenhower et sur le canal Welland. thies bogner «Nous cherchions quelqu’un qui soit capable de transformer la culture de l’entreprise, et Guy a fait ce qu’il fallait», devait déclarer par après le président du conseil, Robert Swenor. «Il a recueilli le respect de tous. » Albert Jacquez, qui était alors administrateur de la Saint Lawrence Seaway Development Corporation (SLSDC), ajoute: «Provenant du secteur privé, Guy apportait à notre voie navigable un esprit et une culture d’entreprise différents. Il accueillait le changement, l’embrassait avec enthousiasme. Il était axé sur le rendement et l’obtention de résultats dans tous les secteurs de l’entreprise.» M. Véronneau estimait qu’il était impératif d’améliorer les rapports de travail de l’entreprise

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avec les dirigeants de la SLSDC. C’est pourquoi il insista pour que la Voie maritime entreprenne de participer à des missions commerciales regroupant de hauts représentants de la corporation américaine et des dirigeants de l’industrie du transport maritime. L’amélioration des rapports entre les Canadiens et leurs collègues américains entraîna la réalisation de deux initiatives importantes en matière de technologie, qui sont venues renforcer le fonctionnement de la Voie maritime. En mars 2000, les deux organismes responsables de la Voie maritime lancèrent un projet conjoint, conduit par les Américains, en vue d’acquérir et de mettre à l’essai, un système d’identification automatique (SIA) ayant pour objectif d’améliorer le contrôle du trafic. Il fallut non moins de trois ans pour achever les essais, procéder à l’installation des divers éléments du système et s’assurer qu’ils fonctionnaient correctement, mais le jour de l’ouverture de la saison de 2003, le SIA état en parfait état de fonctionnement. Le SIA utilisait des transpondeurs et des systèmes mondiaux de localisation pour transmettre

des renseignements d’un navire à un autre, ou entre les navires et les centres de contrôle du trafic situés à Saint-Lambert et à St. Catharines du côté canadien, et à l’écluse Eisenhower du côté américain. Au fur et à mesure qu’un navire franchissait les écluses et les canaux, un transpondeur SIA installé à bord transmettait sa localisation aux centres de contrôle et aux autres navires. Sa position apparaissait sur les écrans d’ordinateur des centres de contrôle et des autres navires en transit, et évoluait à l’écran selon que progressait son voyage. Le système était également en mesure d’estimer l’heure d’arrivée à une écluse donnée et de fournir aux capitaines des renseignements précis sur la vitesse et la direction des vents, la profondeur de l’eau, l’état des glaces et la direction d’un changement de cap. «Avec le SIA, nous faisions d’une pierre deux coups, explique M. Véronneau. Le système améliorait la sûreté et la sécurité du réseau. Il en accroissait l’efficacité, et nous avions justement défini l’efficacité comme l’un des moyens pour développer l’entreprise.»

Sur cette photo, on aperçoit des employés de la Voie maritime à leur poste au centre de contrôle de St. Catharines. La Voie maritime fut la première voie navigable au monde à adopter une technologie aussi perfectionnée. thies bogner La seconde avancée technologique majeure fut la mise sur pied d’un site Web pleinement interactif, polyvalent et binational. La Voie maritime canadienne avait assumé la conduite de ce projet, et quand le site fut devenu pleinement fonctionnel, il offrait aux transporteurs maritimes un service sans égal. Ce site donnait aux armateurs, aux opérateurs et aux agents un accès en temps réel à des renseignements sur la localisation des navires de même qu’un accès en ligne à leurs comptes. Il permettait aux utilisateurs dont les bâtiments étaient vides de repérer des cargaisons, tandis que ceux qui en avaient à acheminer pouvaient localiser des navires. Le site proposait également une calculatrice capable de produire une estimation spécifique du coût d’une expédition de marchandises d’un point donné à un autre. Enfin, il permettait aux utilisateurs de remplir et d’acheminer en ligne des déclarations de dédouanement anticipé

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et de transit. Rapidement, le site attira quelque 70000 appels de fichier par mois et devint la source de renseignements la plus complète au sujet de la navigation commerciale sur la Voie maritime. M. Véronneau lança également l’idée de deux autres changements d’ordre technologique qui ne purent qu’être amorcés, mais non mis en œuvre, alors qu’il était encore président. Il chargea des membres du personnel supérieur de commencer à se renseigner auprès de diverses voies navigables à travers le monde sur un système d’amarrage mains libres pour les navires quand ils transitaient par une écluse. En d’autres mots, il souhaitait trouver une technologie qui permettrait de mettre fin à la pratique séculaire par laquelle les lieutenants, à bord des navires, passaient des câbles d’acier à des éclusiers qui amarraient le navire en attachant les câbles à des grosses bittes de fer appelées bollards. Enfin, M. Véronneau préconisait la mise sur pied d’un programme qui ferait appel à l’hydraulique pour remplacer les moteurs et les câbles d’acier utilisés jusqu’alors pour ouvrir et fermer les portes des canaux ainsi que les vannes d’entrée et de sortie de l’eau.

«Alors même que nous desservons nos clients actuels, nous devons également envisager l’avenir. Il nous faut promouvoir les avantages du transport maritime, en particulier les avantages, du point de vue de l’environnement, de réduire la pollution et la congestion.» Richard Corfe Entre-temps, en vue de réaliser des réductions de coûts, M. Véronneau en était venu à la conclusion que la Voie maritime devrait travailler de concert avec d’autres parties intéressées au sein du réseau. En 1999, lui-même et le président du conseil, Robert Swenor, entreprirent de tenir des rencontres avec des expéditeurs, des sociétés de transport maritime, des autorités portuaires et d’autres intervenants pour discuter de stratégie et de planification

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stratégique à la grandeur du réseau. Ces discussions menèrent à la formation d’un groupe appelé Le Forum des enjeux stratégiques de la Voie maritime. Placé sous la présidence de M. Véronneau, le forum comprenait des représentants de Cargill, de Stelco, de Québec Cartier, d’Algoma Central et de Fednav, des ports de Duluth, de Thunder Bay et de Montréal, ainsi que de la Saint Lawrence Seaway Development Corporation. Les membres du forum décidèrent de poursuivre quatre objectifs, soit d’améliorer la gestion de la voie navigable et de réduire les coûts, d’accroître les tonnages sur le réseau, d’en améliorer la compétitivité à long terme et d’obtenir un soutien gouvernemental adéquat. Ils formèrent des comités en vue de poursuivre chacun de ces buts. Le forum était une initiative de longue haleine qui se poursuivit au-delà du mandat de M. Véronneau comme président et chef de la direction de la Voie maritime. Dans le rapport annuel pour l’exercice 2001–2002, le président annonçait son intention de prendre sa retraite à la fin de l’exercice financier de l’année suivante, soit le 31 mars 2003. Il annonçait en outre qu’il avait déjà entrepris des démarches en vue de trouver quelqu’un pour lui succéder. M. Véronneau agit à titre de président d’un comité de sélection de trois membres. Le comité tint des entrevues avec des candidats possibles, tant à l’interne qu’à l’externe, avant d’arrêter son choix sur Richard Corfe, alors âgé de 54 ans, qui occupait les fonctions de vice-président de la région Maisonneuve de la Voie maritime, autrefois connue sous le nom de section Montréal-lac Ontario. M. Corfe était le premier employé de la Voie maritime en plus de trois décennies à être choisi pour diriger l’entreprise. «Le candidat choisi devait être en mesure de bien s’acquitter de ses fonctions, se rappelle M. Véronneau. Mais je dis au conseil qu’il serait avantageux de nommer un président choisi à

l’interne. Cela serait bon pour le moral des troupes et, après tous les changements survenus au cours de la décennie précédente, il était important pour nous de poursuivre notre chemin dans la même direction.» Ingénieur en mécanique, M. Corfe était né en Angleterre et y avait grandi. Il était diplômé de la City University de Londres. Il avait entamé sa carrière dans l’industrie du caoutchouc et du pneumatique, avant de se joindre à la Voie maritime en 1983 en tant que chef des services d’entretien. Au cours des deux décennies suivantes, il avait travaillé dans les sections Est et Ouest et détenu des postes qui touchaient à l’exploitation, au contrôle du trafic, à l’inspection des navires, aux relations avec la clientèle, à la sécurité et à l’environnement de même qu’à la négociation de conventions collectives. Le nouveau président héritait d’une organisation dorénavant allégée, efficace et financièrement saine en dépit du déclin des volumes de trafic éprouvé depuis 1998. La Voie maritime venait de compléter un cycle d’affaires de cinq ans. Elle avait atteint ses objectifs en matière de revenus, tout en maintenant ses coûts gérables à près de 5 pour cent au-dessous de ce que prévoyait le budget. Et l’entreprise avait consacré 123 millions de dollars à son programme de renouvellement de l’actif. Au moment où la Voie maritime s’engageait dans un nouveau cycle d’affaires de cinq ans, le président Corfe souhaitait égaler ces réussites, et même les dépasser, comme il l’expliquait dans le numéro de juin 2003 du Maritime Magazine: «Alors même que nous desservons nos clients actuels, nous devons également envisager l’avenir. Il nous faut promouvoir les avantages du transport maritime, en particulier les avantages, du point de vue de l’environnement, de réduire la pollution et la congestion. Il nous faut développer notre entreprise en mettant sur pied de nouveaux modes de prestation de nos services et en attirant de

Richard Corfe était le premier employé de la Voie maritime en plus de trois décennies à accéder à la présidence de l’entreprise. Il a été au premier plan des e◊orts destinés à accroître et à diversifier la nature des cargaisons transitant par le réseau. thies bogner

nouveaux types de cargaisons. Et il nous faut travailler de concert avec tous nos partenaires pour faire en sorte que des décisions éclairées soient prises en vue d’assurer l’avenir du transport partout au pays.»

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6 | La Voie maritime du Saint-Laurent: l’avenir

Au printemps de 1955, Evans McKeil rejoignait la ruée de travailleurs—des milliers de manœuvres, d’ouvriers qualifiés et d’ingénieurs—qui, en provenance de tous les coins du Canada, convergeaient vers Cornwall pour entreprendre la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent. Le jeune McKeil arriva sur place en tant que manœuvre. Employé au début, à bord d’une plateforme de dragage, à dynamiter, puis à sculpter un chenal de navigation à même le fond rocheux du fleuve, il repéra vite une occasion. Les embarcations servant à transporter les travailleurs vers leurs lieux de travail depuis leurs camps, leurs hôtels ou leurs pensions étaient rares. Avec l’aide de son père, William, McKeil fils construisit un bateau long de 40 pieds—le Micmac—et, au cours des trois saisons qui suivirent, exploita, jour et nuit, un service de navette depuis le début de la navigation, au printemps, jusqu’à la prise des glaces vers la fin de l’automne. L’entreprise se maintint jusqu’à l’hiver de 1958–1959, alors que le travail était à peu près achevé et que les contrats arrivaient à échéance. Mais la Voie maritime avait fourni l’occasion de mettre sur pied une entreprise appelée à durer. Le jeune entrepreneur s’installa à Hamilton, forma la société McKeil Marine et entreprit d’acquérir des remorqueurs. Au cours des quatre décennies qui suivirent, la petite entreprise familiale offrit des services à l’industrie du transport et de la construction maritime sur les Grands Lacs. Au début des années 1990, Evans McKeil céda l’entreprise à son fils Blair. Ce dernier s’engagea bientôt dans une nouvelle et audacieuse direction, celle du transport maritime, acheminant des cargaisons aller et retour, depuis le golfe du Saint-Laurent jusqu’au lac Supérieur, au moyen de bâtiments dits «intégrés». Ceux-ci réunissaient un remorqueur et une barge. Un cran en V dans la poupe de la barge permettait à la proue du remorqueur de venir s’y fixer. En l’espace de quinze ans, McKeil Marine devint le plus grand exploitant de remorqueurs et de

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barges sur le côté canadien de la Voie maritime et devait prendre livraison de cinq barges nouvellement construites entre 2008 et 2013. Ces navires font généralement 75 pieds de largeur, de 350 à 450 pieds de longueur et peuvent transporter de 10000 à 14000 tonnes de cargo, soit la moitié environ de la capacité de chargement des vraquiers et des auto-déchargeurs qui dominent le transport maritime sur les Grands Lacs. Ils compensent toutefois en polyvalence ce qui leur manque en volume. Certaines barges sont fermées. D’autres possèdent un toit escamotable. D’autres encore n’ont que des parois. Ces navires possèdent également un faible tirant d’eau, ce qui leur permet de naviguer dans des ports interdits aux vraquiers et aux auto-déchargeurs. Dans le cours d’une saison typique, les navires de McKeil Marine transportent du carburant aviation de Montréal à Hamilton, des sous-produits d’acier de Hamilton à Cleveland et du bois d’œuvre de l’île d’Anticosti, dans le golfe du Saint-Laurent, à Cacouna de même que du sel, en provenance de Windsor, à Bécancour et du coke, provenant de Hamilton, à Belledune, au Nouveau-Brunswick. En juillet 2005, McKeil Marine commença d’acheminer des lingots d’aluminium depuis le port de Pointe-Noire, près de Sept-Îles, jusqu’à TroisRivières puis, de là, de les faire transiter par la Voie maritime. Il s’agissait d’un nouveau type de cargaison et, à la fin de la saison de transport maritime de 2007, la société avait transporté plus de 300000 tonnes de lingots, tous produits par Aluminerie Alouette, la plus importante aluminerie en Amérique du Nord. «Notre entreprise a subi une cure de rajeunissement, déclare Blair McKeil. Nous avons contribué à l’expansion des affaires sur la Voie maritime. Nous avons consenti des investissements à long terme.» De ce point de vue, McKeil Marine ne représentait pas un cas isolé. Après quelque deux décennies de repli, au cours desquelles les volumes

de fret avaient connu des réductions et plusieurs sociétés aux vieux noms familiers (Halco, Misener, Parrish & Heimbecker) avaient quitté l’industrie, les grosses entreprises depuis longtemps établies avaient recommencé à investir. La majeure partie de l’argent disponible—largement au-dessus d’un milliard de dollars—était consacrée au remplacement de vraquiers et d’auto-déchargeurs. Mais une part des fonds était également utilisée pour l’acquisition de nouveaux types de navires qui pourraient bien représenter l’avenir du transport maritime sur les Grands Lacs. Fednav International, dont le siège social est à Montréal et qui est le plus important transporteur de classe océanique à utiliser la Voie maritime, est le chef de file en matière de construction de nouveaux navires. Fednav exploite une flotte de près de 100 navires, dont 22 lui appartiennent en propre et le reste est loué. De 50 à 60 de ces navires sont aptes à naviguer sur les Grands Lacs et la Voie maritime du Saint-Laurent. Le président et chef de la direction, Laurence Pathy, explique que de l’acier fini ou du demi-produit en provenance de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique du Sud constituent les principaux arrivages, alors que la

Fednav, dont le siège social est à Montréal, est le plus important usager de la Voie maritime dont les navires naviguent également en haute mer. La société a construit plusieurs générations de navires destinés au commerce sur le Saint-Laurent et les Grands Lacs. Le Federal Rhine, que l’on aperçoit ici dans l’archipel des Mille-Îles, est l’un de quatre navires de Fednav construit au chantier naval Jiangnan, à Shanghai, en Chine, dans la seconde moitié des années 1990. ron samson principale exportation consiste en céréales destinées à l’Afrique du Nord ainsi qu’à l’Amérique centrale et à l’Amérique du Sud. En 1994, Fednav a lancé un programme de renouvellement de sa flotte en commandant, au coût de 100 millions de dollars, six vraquiers de 34000 tonnes au chantier naval Jiangnan, de Shanghai, en Chine. Elle a pris livraison du dernier de ces navires dans la seconde moitié de 1997, après quoi elle a annoncé qu’elle avait commandé à la société Oshima Shipbuilding, d’Oshima, au Japon, quatre autres vraquiers, ceux-là de 35750 tonnes chacun. Peu après le tournant du siècle, Fednav commandait à des chantiers navals de Chine et du Japon, au coût de 200 millions de dollars, sept nouveaux bâtiments appelés à entrer en service

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À partir de la fin des années 1990, les grandes sociétés de transport maritime intérieur qui utilisent la Voie maritime ont investi largement, plus d’un milliard de dollars, dans le renouvellement de leur flotte. L’Algobay, que l’on aperçoit ici, est l’un des navires de la flotte de Seaway Marine Transport qui fut reconstruit à cette époque. cgvmsl entre 2008 et 2011. M. Pathy explique que la société a mis sur pied un programme à long terme de renouvellement de sa flotte, qui fera en sorte qu’elle continuera à commander de nouveaux navires et à retirer du service des bâtiments plus anciens. «Nous avons commencé à utiliser la Voie maritime dès son entrée en service, ajoute M. Pathy. Nous maintenons notre engagement envers l’avenir des Grands Lacs comme l’une des bases de notre entreprise.» Sur le plan national, Canada Steamship Lines (CSL) a consacré 225 millions de dollars, entre 1999 et 2007, à la remise à niveau de sa flotte de onze auto-déchargeurs. La partie avant de quatre navires et la section médiane de deux autres ont été munies de nouvelles coques. Les six bâtiments font maintenant 740 pieds de longueur et 78 de largeur, le maximum autorisé par les règlements de la Voie maritime. En même temps, CSL a aussi acquis des vraquiers. En 2003, elle achetait à Fednav le Birchglen et le Spruceglen, et plus tard acquérait d’autres bâtiments de la même société— le Lake Michigan, le Lake Superior, le Lake Erie et le Lake Ontario, qui devaient se joindre à la flotte de CSL en 2008 et 2009.

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Ces navires de Fednav avaient tous été construits au début des années 1980 mais, en dépit de leur âge, ils permettaient à CSL d’étendre sa portée et d’accroître ses activités. Ce sont des navires de haute mer, ce qui veut dire que CSL peut les utiliser depuis le Saint-Laurent jusque sur l’Atlantique et ce, à longueur d’année. Acquis au coût de quelque 50 millions de dollars, ils pourront, estime-t-on, demeurer en service pendant une période de dix à quinze ans. «La prochaine étape consiste à construire de nouveaux navires, explique Tom Brodeur, vice-président, Marketing et service à la clientèle. Certains de nos navires sont en passe de devenir très vieux et devront être remplacés.» Seaway Marine Transport, de son côté, envisageait un programme tout aussi ambitieux de renouvellement de sa flotte de vingt autodéchargeurs et treize vraquiers, propriété conjointe d’Algoma Central et du groupe Upper Lakes. La plupart de ces navires avaient été construits entre la fin des années 1960 et la fin des années 1970, et le temps était venu de les remplacer. En 2007, Seaway Marine retint les services de deux sociétés de l’extérieur pour concevoir les coques et les superstructures d’une nouvelle génération de navires qui pourraient être convertis de vraquiers en auto-déchargeurs, ou vice-versa. «Ils ont investi un million de dollars dans le développement de ce modèle, explique Graeme Cook, vice-président, Expansion des affaires, au sein du groupe Upper Lakes. On constatera dans ces nouveaux bâtiments un niveau de standardisation jamais vu parmi les navires de la génération précédente.» Les nouveaux navires ne représentaient que l’un des éléments du programme. Au début de 2008, Algoma annonçait avoir acquis, au coût de 38 millions de dollars, auprès de Viken Shipping AS, une société établie à Bergen, en Norvège, trois vraquiers adaptés aux dimensions de la Voie maritime, mais aptes également à naviguer en haute mer. Ces navires, qui étaient alors loués à Fednav,

devaient rejoindre la flotte de Seaway Marine d’ici à l’année 2012. Construits vers la fin des années 1980, l’on s’attendait à ce qu’ils puissent naviguer sous pavillon d’Algoma pendant au moins vingt ans. Deux autres vaisseaux de la flotte de Seaway Marine, le NM Algobay et le NM Algoport, étaient en voie d’être reconstruits. En novembre 2007, Algoma et Upper Lakes conclurent un accord en vue de consacrer environ 125 millions de dollars à la construction de nouvelles avant-coques autodéchargeuses destinées à être ajustées à la poupe remise à neuf des deux navires. La société Chengxi Shipyard Co., installée à Jiangyin, en Chine, obtint le contrat pour ce travail et estimait être en mesure de livrer un premier vaisseau en décembre 2009 et un second en septembre 2010. Le président et chef de la direction d’Algoma, Greg Wight, affirme qu’ajoutés aux vraquiers acquis de Viken, les navires reconstruits contribueront à maintenir la capacité et la marge de manœuvre de la flotte de Seaway Marine en attendant la construction des nouveaux bâtiments. «Ils vont combler l’écart jusqu’au moment ou nous pourrons mettre en service les nouveaux navires, explique-til. Ils constituent la première étape d’un projet majeur de renouvellement de notre flotte que nous allons entreprendre au cours des cinq à dix prochaines années.» § Au cours du dernier demi-siècle, les vraquiers et les auto-déchargeurs ont été le pivot de l’industrie du transport maritime sur les Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent. Depuis l’ouverture de la Voie maritime en 1959, ils ont acheminé près de deux milliards et demi de tonnes de marchandises, et ils en achemineront vraisemblablement le même volume, sinon plus, au cours des cinquante prochaines années, s’il faut en croire l’Étude des Grands Lacs et de la Voie maritime du SaintLaurent (GLVMSL), menée conjointement par le Canada et les États-Unis sur les perspectives d’avenir du transport maritime sur ce cours d’eau.

Sept ministères et organismes, y compris Transports Canada et le ministère des Transports des États-Unis, de même que les deux organismes nationaux responsables de l’administration de la Voie maritime, ont contribué à cette étude qui a été rendue publique à l’automne 2007. L’étude s’est penchée sur quatre sujets: l’importance, du point de vue économique, du réseau Grands Lacs-Voie maritime du SaintLaurent; les questions relatives à son impact sur l’environnement; les coûts associés à l’entretien et à la préservation de son infrastructure; les occasions et les défis que présente l’avenir. Les auteurs en sont venus à la conclusion que la Voie maritime a été un corridor vital pour le bassin des Grands Lacs et celui du Saint-Laurent, et qu’elle le demeurera. Depuis les années 1990 et le début du siècle présent, le réseau fonctionne à environ 60 pour cent de sa capacité et sert à acheminer annuellement quelque 40 à 45 millions de tonnes de fret, ce qui représente environ 1,2 milliard de dollars en coûts de transport chaque année.

Au cours du dernier demi-siècle, les vraquiers et les auto-déchargeurs ont été le pivot de l’industrie du transport maritime sur les Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent. «Un tel volume de trafic ne peut simplement pas être transféré à un réseau de transport terrestre déjà surchargé sans conséquences économiques graves pour les industries touchées, conclut le rapport. Le transport maritime demeure un complément essentiel et viable aux réseaux routiers et ferroviaires implantés dans la région.» Les auteurs estiment que le volume du trafic en vrac sur les deux sections de la Voie maritime pourrait s’accroître d’environ 20 pour cent au cours des vingt prochaines années, entraînant des avantages économiques additionnels, et exigeant le renouvellement de même que l’accroissement de la flotte intérieure existante.

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Cette a∫che a été conçue dans le cadre de la campagne de marketing en faveur de l’Autoroute H2O. Elle est destinée à expliquer quelques-uns des avantages économiques et environnementaux du transport maritime. Les navires produisent moins de bruit, sont plus sécuritaires et fournissent un meilleur rendement que les trains et les camions. cgvmsl Toutes ces observations constituent de bonnes nouvelles pour l’environnement puisque le transport maritime présente deux avantages majeurs. Il est le mode de transport le plus économique, et l’étude GLVMSL en vient à la conclusion qu’il est aussi le moins dommageable pour l’environnement. «Le secteur des transports dans son ensemble, écrivent les auteurs de l’étude, contribue pour 27% des émissions de [gaz à effet de serre]. Toutefois, moins de 3% des émissions de GES proviennent de l’expédition maritime. «Comme chaque navire transporte une très grande quantité de cargaison, l’expédition maritime demeure globalement plus économe en carburant que le train ou le camion; elle consomme le moins d’énergie et produit moins d’émissions», poursuivent les auteurs. En dépit de ces avantages, toujours selon l’étude, la navigation commerciale n’en a pas moins des effets adverses sur l’environnement, et ce, de diverses façons. Les navires utilisent un carburant de moins bonne qualité que les trains ou les camions, et leurs émissions comportent des quantités relativement élevées de dioxyde de

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soufre, d’oxyde d’azote et de matière particulaire. Le passage régulier de gros navires près du rivage, particulièrement sur le Saint-Laurent, a des effets à long terme sur les berges, les zones humides et les îles de même que sur les espèces aquatiques. Le dragage peut endommager l’habitat faunique ou le détruire et modifier les niveaux d’eau, tandis que les eaux de ballast lâchées par les navires de haute mer sont l’un des vecteurs d’introduction d’espèces aquatiques envahissantes. L’étude note toutefois que les deux organismes responsables de l’administration de la Voie maritime, canadien comme américain, ont adopté une série de politiques et de pratiques destinées à restreindre les dommages causés à l’environnement. Ils ont mis en place des directives rigoureuses en matière d’eaux de ballast. Dans le but de modérer l’érosion et d’améliorer la sécurité, les limites de vitesse ont été abaissées dans les chenaux étroits. Des avis de sécurité relatifs au tirant d’eau sont diffusés pour mettre en garde les capitaines et les officiers à bord des navires, ce qui aide à réduire les échouages et autres perturbations. Des normes de qualité en matière de carburant ont été adoptées, avec pour objet de limiter les émissions nocives. Enfin, les autorités portuaires contrôlent l’ancrage, la gestion des déchets et toute autre pratique qui peut nuire à la qualité de l’eau. En bref, les auteurs du rapport concluent: «Ces 20 dernières années, les industries qui utilisent le réseau GLVMSL et les organismes qui en sont responsables ont assumé la fonction de gérance environnementale.» § L’entretien de l’infrastructure—responsabilité conjointe de la Voie maritime et du gouvernement fédéral en vertu de l’accord de commercialisation de 1998—constitue un second défi majeur. L’infrastructure, sur la section Montréal-lac Ontario, comprend cinq écluses, six ponts levants, deux ponts basculants et un pont tournant. Les coûts

d’exploitation de base sont en moyenne de quelque 31 millions de dollars par an. La facture pour le canal Welland est plus élevée, s’établissant, selon les années, entre 38 millions et 41 millions de dollars, mais le matériel y est beaucoup plus important: onze écluses, trois ponts levants et huit ponts basculants. Dans le cadre d’un plan quinquennal de renouvellement des actifs qui s’est étendu de 2003 à 2008, les dépenses en immobilisations ont atteint 170 millions de dollars. Transports Canada a contribué près de 108 millions de dollars, alors que la Corporation de Gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent (CGVMSL) a fourni le reste, soit un peu plus de 62 millions de dollars. Le projet le plus important touchait le canal Welland et consistait en la conversion à l’hydraulique du matériel mécanique d’origine. Entrepris en 2005, l’achèvement de ce projet est prévu pour 2010. Le reste des fonds a été affecté à diverses autres tâches, telles du dragage, des réparations aux écluses et aux ponts, le remplacement d’autres pièces de matériel mécanique et la mise à niveau de systèmes électriques, explique le directeur du service d’ingénierie civile de structures à la Voie maritime, Mike Whittington. Entre-temps, Ottawa avait accepté de participer au second plan quinquennal (2008-2013) de renouvellement des actifs, évalué, celui-là, à 270 millions de dollars. Sur le canal Welland, la Voie maritime entrevoyait de compléter, au coût de quelque 30 millions de dollars, la transition à l’hydraulique. On espérait également achever la réfection de la face des murs d’écluse commencée vers la fin des années 1980, après l’effondrement du mur ouest de l’écluse 7 en octobre 1985. Le travail avait été entrepris dans le cadre du programme de réhabilitation du canal Welland et devait s’étendre sur sept ans, mais le financement fourni par le gouvernement fédéral se révéla inadéquat et les fonds furent épuisés avant que la tâche pût être menée à terme.

L’entretien d’une infrastructure vieillissante, tel ce pont levant, à l’écluse de Saint-Lambert, constitue un défi majeur. Mais le programme exhaustif de gestion de l’infrastructure en place à la Voie maritime, de même que l’initiative continue de renouvellement des actifs ont fait de la voie navigable l’une des plus fiables au monde. ron samson Toutefois, le projet de loin le plus important, appelé à s’étendre sur dix ans et à coûter 80 millions de dollars, avait trait aux bajoyers à l’entrée des écluses du canal Welland. Ces ouvrages consistaient en pieux de gros bois, surmontés d’une calotte en béton. Vieux de quarante ans et en état de détérioration, les pieux devaient être remplacés par des pieux métalliques et munis de nouvelles calottes. Au-delà de l’année 2013, la Voie maritime fera face à un défi d’entretien encore plus important,

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Les céréales, le minerai de fer et les marchandises en vrac demeurent la pierre angulaire du transport maritime commercial sur la Voie maritime. Mais, au cours des années récentes, grâce, notamment, au marketing agressif des deux corporations responsables de la voie navigable et de leurs partenaires, celle-ci a réussi à attirer d’autres types de cargaisons. Cette photo montre un océanique remontant, qui transporte des pales d’éolienne. ron samson soit la réfection de la face des murs de quatre des cinq écluses de la section Montréal-lac Ontario. L’on s’attend à ce que le projet nécessite seize années de travail et coûte jusqu’à 350 millions de dollars. Un phénomène connu sous le nom de réaction alcaline des granulats est à la source d’un certain gonflement des murs et de la formation de lézardes, résultant en un mauvais alignement de la machinerie, comme les portes et les vannes, et un rétrécissement progressif des sas d’écluse. Le gonflement des murs s’est manifesté entre le milieu et la fin des années 1990, explique le président de la Voie maritime, Richard Corfe. Au moment d’entreprendre les préparatifs liés aux travaux à être exécutés au cours de l’hiver, les équipes d’entretien commencèrent à éprouver des difficultés à mettre en place les poutrelles d’arrêt dans les crans pratiqués au sommet et au bas des écluses. «Nous nous demandions ce qui se produisait, se rappelle M. Corfe. Il fallait raboter les poutrelles pour arriver à les mettre en place.»

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Les ingénieurs de la Voie maritime finirent par déterminer que le problème était causé par une réaction de l’alcali contenu dans le mortier de ciment à des composants du granulat. Le gonflement progresse lentement, au rythme d’un pouce environ tous les cinq ans. «Théoriquement, nous comptons 80 pieds entre les murs, explique M. Corfe. En réalité, nous en sommes rendus à 79 pieds six pouces, ou sept pouces en certains endroits.» La solution consistera vraisemblablement à forer les murs de la surface à la base. Ces murs font environ 20 pieds d’épaisseur au somment et 50 d’épaisseur à la base. On y installera ensuite des dispositifs d’ancrage pour bien les assujettir. Puis, à l’aide de charges explosives, de pelles rétrocaveuses et de marteaux perforateurs, jusqu’à trois pieds de béton seront arrachés aux murs. Pour terminer, on en reconstruira la surface à l’aide de béton contenant des granulats appropriés. En plus des projets de renouvellement des actifs envisagés conjointement par la Voie maritime et Transports Canada, la Corporation elle-même a investi dans les nouvelles technologies de pointe. En 2007, elle a entrepris de mettre à l’essai, sur le canal Welland, un système d’amarrage mains libres, concept préconisé par Guy Véronneau alors qu’il occupait le poste de président. L’un des objectifs que l’on poursuivait était de réduire le temps mis par un navire à franchir une écluse. Un autre consistait à mieux utiliser les services du personnel d’écluse en lui confiant du travail d’entretien plutôt

En 2008, la Voie maritime a mené des essais à l’écluse 7, où l’élévation du niveau des eaux est de 47 pieds et demi.

que de l’affecter à la tâche monotone et routinière du maniement des câbles d’amarrage. La Voie maritime fit l’acquisition de la technologie mains libres de la société Cavotec MoorMaster, installée à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, et la mit à l’essai, au cours de l’été 2007, à l’écluse 8 du canal Welland parce qu’elle élève ou abaisse les navires uniquement de trois pieds. «Nous avons aplani bien des difficultés et décelé les problèmes qui restaient à résoudre», explique Mike Whittington. En 2008, la Voie maritime a mené des essais à l’écluse 7, où l’élévation du niveau des eaux est de 47 pieds et demi. Le système mains libres remplace les câbles d’amarrage utilisés jusqu’ici par deux caissons sous vide, ou boîtiers en acier, de forme rectangulaire, faisant quelque quatre pieds sur huit, et qui sont recouverts, comme la tête d’un tambour, d’un joint d’étanchéité en caoutchouc. Une pompe retire l’air de ce dispositif, créant ainsi un vide qui fait en sorte qu’il adhère solidement au flanc du navire. L’appareil est rattaché à une cuve de flottaison qui se déplace verticalement sur des rails encastrés dans une rainure pratiquée dans le mur d’écluse. Si l’essai dans une écluse de pleine hauteur se révélait satisfaisant, la Voie maritime espérait installer ce système mains libres dans les six autres écluses du canal Welland. Cette initiative, qui se voulait davantage un projet d’ordre stratégique qu’une question de renouvellement de l’infrastructure, était destinée à améliorer le rendement du réseau. Le coût total du projet était estimé à 50 millions de dollars et, au printemps de 2008, la Voie maritime travaillait à l’élaboration d’une analyse de rentabilisation et négociait avec Transports Canada en vue d’en faire couvrir les coûts, en tout ou en partie, par ce ministère. Alors que ce projet, à l’origine, était envisagé comme une mesure destinée à réduire les coûts, il se transforma, par la suite, en un effort qui avait pour but d’amoindrir les obstacles à l’accès au réseau pour une vaste gamme de navires et d’offrir à la clientèle une plus grande souplesse et plus de

Les corporations canadienne et américaine responsables de l’administration de la Voie maritime de même que leurs partenaires au sein de l’initiative Autoroute H2O se sont employés à attirer sur le Saint-Laurent et les Grands Lacs le trafic de conteneurs. transports canada facilité en matière d’utilisation de la voie navigable. La Corporation voit ce programme comme la pierre angulaire de son initiative stratégique destinée à accroître l’achalandage sur la Voie maritime. § Avec une infrastructure fiable et bien entretenue, et un marché stable pour les marchandises en vrac, deux composantes de l’avenir de la Voie maritime sont déjà en place. Mais un défi majeur reste encore à relever: la diversification et l’accroissement des cargaisons transitant par le réseau. La Voie maritime travaille de concert avec les exploitants de navires, tant anciens que nouveaux, en vue d’attirer une part plus importante de marchandises diverses et de conteneurs, stratégie que préconisait l’Étude des Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent. L’entrée en service de remorqueurs et de barges, de même que de petits navires polyvalents est perçue comme une première étape en vue d’améliorer la gamme des marchandises acheminées sur le réseau. Et ces nouveaux types de navires pourraient très bien représenter un élément significatif de l’avenir du transport maritime sur les Grands Lacs.

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McKeil Marine a joué un rôle de leader en matière d’utilisation de remorqueurs et de barges en vue de mousser les affaires, mais d’autres sociétés ont également investi des ressources dans ce mode de transport. Upper Lakes a acquis des systèmes semblables à ceux qui sont en usage sur le fleuve Mississippi. Graeme Cook explique qu’en 2005, sa société a affrété deux remorqueurs et huit barges pour transporter des céréales—dont une certaine part destinée à des usines de fabrication d’éthanol—de Prescott, en Ontario, à des terminaux situés à Sorel, à Trois-Rivières, et à Sillery, au Québec. Chacune de ces barges fait 200 pieds de longueur sur 35 pieds de largeur et peut contenir environ 1500 tonnes de céréales. Un remorqueur pousse deux barges à la fois, côte à côte, une approche en usage sur le Mississippi, où un seul remorqueur pousse souvent jusqu’à huit barges à la fois.

«Nous voulons devenir un partenaire important dans l’acheminement de conteneurs.…» Richard Corfe Upper Lakes transporte en direction aval des barges remplies de céréales, qu’elle laisse à un terminal pour être déchargées. Le remorqueur repart en direction amont avec deux barges vides en vue de prendre une nouvelle cargaison à Prescott. Un voyage aller-retour de Prescott à Sorel nécessite trois jours et, en utilisant le système américain, appelé «drop-barge», qui consiste à se séparer de barges à divers points de raccordement en chemin et à en reprendre d’autres, les remorqueurs sont en activité la majeure partie du temps. «Le système en usage au Mississippi est l’un des modes de transport maritime les plus efficaces au monde, affirme Graeme Cook. Nous avons décidé de l’imiter. Inutile de tenter de réinventer la roue.» Au fur et à mesure que la Voie maritime s’adapte à la nouvelle donne, un potentiel important existe, selon l’étude, pour l’ajout de marchandises diverses. Ces prévisions se fondent sur la croissance prévue:

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d’abord, celle de l’économie de la région des Grands Lacs; celle, ensuite, du mouvement des conteneurs depuis l’Asie vers l’Amérique du Nord. L’étude prévoit que le produit intérieur brut des États et des provinces qui bordent les Grands Lacs fera plus que doubler, croissant de 6 billions de dollars en 2005, à 14 billions de dollars d’ici à l’an 2050. Cette situation entraînera une croissance importante de la population et une congestion tout aussi remarquable au sein des systèmes de transport terrestres. L’étude prévoit que le trafic mondial de conteneurs croîtra annuellement de 6,3 pour cent d’ici à l’année 2020. À cette date, près de 100 millions d’équivalents vingt pieds (EVP) atteindront chaque année l’Amérique du Nord. Mais, déjà aux prises avec la congestion, les ports de Los Angeles, de Seattle et de Vancouver, sur la côte Ouest, voient leur capacité d’expansion limitée par le fait qu’ils sont situés dans d’importantes zones urbaines. Selon le rapport, le tiers environ du trafic de conteneurs devra être détourné de la côte Ouest vers l’est. La moitié de ce volume transitera par le canal de Panama, et le canal de Suez apparaît de plus en plus comme une solution de rechange pour traiter l’excédent. Les marchandises traverseraient l’océan Indien, parcourraient la longueur de la mer Rouge, pour aboutir au canal de Suez et traverser par la suite la Méditerranée avant d’emprunter l’Atlantique Nord en direction de ports tels ceux de Halifax et de Norfolk, en Virginie. «Ces pressions et ces tendances pourraient créer des possibilités pour le réseau GLVMSL, conclut l’étude. Comme le réseau fonctionne à environ la moitié de son potentiel de capacité, il peut accueillir un trafic qui soulagerait au moins une partie de la congestion croissante des routes et voies ferrées de la région.» Une importante possibilité se dessine, à l’heure actuelle, d’entreprendre par la Voie maritime, à partir de ports en eau profonde, l’acheminement de conteneurs en direction des marchés de

consommation situés sur les Grands Lacs. Le transport maritime à courte distance—le mouvement de marchandises, principalement en conteneurs, par des voies navigables intérieures ou côtières, grâce à un réseau intégré comprenant des trains et des camions—constitue une autre façon d’accroître et de diversifier les cargaisons. Les gouvernements européens considèrent le transport maritime à courte distance comme un moyen de réduire la congestion sur les autoroutes en contournant les zones urbaines et en évitant les goulots d’étranglement de la circulation, et ils ont résolument favorisé cette façon de faire depuis le début des années 1990. Au cours de la dernière décennie, Transports Canada et le ministère des Transports des ÉtatsUnis ont examiné le potentiel que présentent les voies navigables pour réduire la congestion sur les routes et les chemins de fer. Le 16 juillet 2003, le Canada et les États-Unis signaient un protocole de coopération sur le transport maritime à courte distance, protocole que le Mexique a également paraphé un peu plus tard. Cet accord encourageait les trois pays à échanger de l’information sur des percées en recherche ou dans le domaine technologique qui pourraient servir à promouvoir le concept.

Un navire de transport maritime à courte distance de type RO/RO et LO/LO. Les camions peuvent utiliser la rampe arrière pour atteindre les cargaisons en pontée, alors que deux énormes grues sont utilisées pour soulever les cargaisons. upper lakes shipping «Nous voulons devenir un partenaire important dans l’acheminement de conteneurs, déclare Richard Corfe. Alors que la Chine, l’Inde et d’autres pays asiatiques sont en passe de devenir producteurs pour l’ensemble de la planète, plusieurs ports de la côte Ouest fonctionnent à pleine capacité ou presque. Nous nous attendons à ce qu’une part beaucoup plus importante de ces cargaisons débarque sur la côte Est de l’Amérique du Nord. Nous entrevoyons des opérations de transbordement de conteneurs entre des océaniques et des navires plus petits, de taille adaptée à des voies navigables. Ces navires livreront ensuite les marchandises par eau à tous les ports situés le long de l’Autoroute H2O—Montréal, Toronto, Hamilton, Cleveland, Detroit, Chicago—parce que les routes et les chemins de fer sont déjà congestionnés et que cette situation ne peut qu’empirer.» En dépit des risques inhérents, deux sociétés se préparaient à lancer, au printemps de 2008, des services de transport maritime à courte distance, à l’aide de navires porte-conteneurs de type européen,

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la question des péages La Voie maritime allait être libre de dettes en l’an 2008. Le premier président de l’Administration de la voie maritime du SaintLaurent, Lionel Chevrier, faisait cette prédiction hardie dans son livre de 1959 portant sur la construction de la voie navigable et les décennies de débats qui l’avaient précédée. Cette prédiction reflétait l’opinion, alors largement répandue, que les péages généreraient des revenus suffisants pour couvrir les coûts annuels d’exploitation et d’entretien, de même que le remboursement de la dette et les frais d’intérêt. Le gouvernement américain avait posé comme condition de sa participation au projet que la Voie maritime soit exploitée selon le principe du financement par l’usager. La question était complexe et les comités mis sur pied étaient aux prises avec un très grand nombre d’impondérables. Ils ignoraient quelle part du trafic consisterait en céréales, en minerai de fer et autres marchandises en vrac, laquelle serait constituée de semi-vrac, tels le bois de pâte et le sel, laquelle, enfin, consisterait en marchandises diverses. Ils devaient également mettre en place des tarifs qui ne feraient pas de distinctions injustes entre les produits de base, transportés par les plus gros navires, et les fournitures de tout genre, acheminées par des navires beaucoup plus petits. Au moment de l’ouverture du réseau, au printemps de 1959, les usagers de la section Montréal-lac Ontario étaient assujettis à un péage de quatre cents par tonneau de jauge brute, de quarante cents par tonne de chargement en vrac et de quatre-vingt-dix cents par tonne de marchandises diverses. Les navires transitant par le canal Welland payaient deux cents par tonneau de jauge brute, deux cents par tonne de vrac et cinq cents par tonne de marchandises diverses. Le gouvernement fédéral suspendit les péages sur le canal Welland en 1962 et, cinq ans plus tard, imposa un modeste droit d’éclusage,

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qui demeura en vigueur jusqu’en 1977. Les péages furent maintenus sur la section internationale, celle de Montréal-lac Ontario, bien que durant les années 1960 et jusque dans le cours des années 1970 ils soient restés bloqués à leurs niveaux premiers de 1959. Les péages étaient perçus par les autorités canadiennes, qui en retenaient 71 pour cent, alors que le solde—29 pour cent—était versé à la Saint Lawrence Seaway Development Corporation. Les revenus de péage s’accrurent de façon phénoménale entre 1959 et 1979, reflétant la croissance des volumes de cargaisons qui transitaient par la Voie maritime. Une majorité d’années, l’Administration canadienne de la voie maritime recueillit assez d’argent pour couvrir les dépenses d’exploitation et d’entretien. Mais il devint vite apparent que les péages ne généreraient jamais assez de revenus pour rembourser progressivement la dette liée à la construction de la voie navigable, qui était détenue par le gouvernement canadien. Pour aggraver la situation, l’Administration de la voie maritime était même incapable de couvrir en entier les frais d’intérêt annuel sur cette dette, si bien que chaque année l’intérêt demeuré impayé venait s’ajouter à l’ensemble de la dette. En 1959, la dette s’élevait à 283 millions de dollars, la majeure partie imputable à la construction de la section Montréal-lac Ontario. À la fin de la saison 1974, la dette avait bondi à 786,6 millions de dollars. Cette situation était intenable à long terme. Elle rendait impossible une planification financière réaliste. Elle ébranlait le moral de l’entreprise et portait préjudice à la perception que le public se faisait de la Voie maritime. Un an plus tard, la dette avait atteint 817 millions de dollars, et l’Administration de la voie maritime estimait qu’elle pourrait atteindre un milliard de dollars en 1981 à moins que des mesures correctives aient été prises entretemps. L’organisme tirait de l’arrière chaque année parce que, depuis 1973, les revenus des péages ne suffisaient plus à couvrir les coûts d’exploitation et d’entretien. Ces déficits annuels,

auxquels s’ajoutait l’intérêt qui ne pouvait être acquitté, accroissaient le total de la dette. En 1976, la direction de l’Administration de la voie maritime soumit au gouvernement un plan de restructuration de la dette, qui comprenait une augmentation des péages—la première depuis 1959—mesure à laquelle l’industrie du transport maritime s’opposait avec véhémence. Un éditorial paru dans le numéro de novembre 1975 de Canadian Shipping and Marine Engineering déclarait: «Depuis des années, Canadian Shipping demande l’abolition des péages sur la Voie maritime, estimant qu’ils sont punitifs et discriminatoires. Après tout, pourquoi la Voie maritime serait-elle traitée différemment de la route Transcanadienne? Toutes deux sont des artères économiques vitales et, pourtant, l’une impose des péages, alors que l’autre ne le fait pas.» En dépit de pareille opposition, le gouvernement approuva un train de mesures qui entrèrent en vigueur le 1er avril 1977. Ottawa convertit 625 millions de dollars de prêts en capital-actions ordinaire détenu par le gouvernement fédéral. La Voie maritime devait verser annuellement un pour cent au Trésor public à titre de rendement sur le capital investi. Une autre part de 216 millions de dollars en intérêts non versés fut transformée en prêt sans intérêt, dont le gouvernement, par la suite, n’exigea pas le remboursement. Les péages furent accrus sur les deux sections de la voie navigable à un niveau qui devait permettre de couvrir les coûts annuels d’exploitation, y compris l’amortissement comptable et le un pour cent de rendement sur le capital investi dû au gouvernement. L’augmentation des péages fut échelonnée sur une période de trois ans, à partir de 1978. Au même moment, la Voie maritime manutentionnait des volumes records de cargaisons. À la fin de la saison de 1979, l’Administration de la voie maritime pouvait faire état d’un niveau de revenus jamais atteint de même que d’un surplus de 1,4 million de dollars, le premier de toute l’histoire de la Voie

maritime. «Après toutes ces années de bilans déficitaires, écrivait le nouveau président, Bill O’Neil, dans le rapport annuel pour 1979, les résultats de l’an dernier sont assurément une source de grande satisfaction.» En vertu de cette restructuration financière, la Voie maritime était appelée à devenir une société d’État financièrement autonome. Mais l’atteinte de cet objectif allait se révéler un défi majeur au cours des deux décennies qui suivirent. Les volumes de cargaisons déclinèrent de façon marquée durant la récession du début des années 1980 et ne retrouvèrent jamais les niveaux atteints à la fin des années 1970. Le vieillissement de l’infrastructure entraînait un accroissement des coûts d’entretien. L’Administration de la voie maritime entreprit de réduire les dépenses et dut, de façon répétée, puiser dans les réserves liquides qu’elle avait accumulées pendant les bonnes années pour éviter de devoir faire appel à l’aide gouvernementale. Dans ces circonstances, une augmentation des péages était inévitable. Ceux-ci furent accrus en 1982 et, de nouveau, en 1983, puis furent gelés en 1984. L’Administration de la voie maritime et son pendant américain s’entendirent pour prolonger ce gel sur la section Montréal-lac Ontario jusqu’à la fin de la saison de 1988. À cette date, le canal Welland était devenu une source majeure des déficits annuels de la Voie maritime. Il en résulta que les droits d’éclusage furent rétablis sur le canal Welland en 1982 et que les péages sur cette section s’accrurent de 15 pour cent en 1985 et de huit pour cent tant en 1987 qu’en 1988. À la fin des années 1980, l’Administration de la voie maritime continuait à réduire les coûts, mais avait commencé à réfléchir sérieusement aux moyens à prendre en vue d’attirer une nouvelle clientèle qui lui permettrait d’accroître ses revenus. En 1990, on institua un programme de péages incitatifs à l’intention des transporteurs maritimes qui utilisaient la voie navigable pour la première fois et on consentit des remises aux transporteurs en fonction des volumes de marchandises acheminés. Par la

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même occasion, un nouveau tarif de péages fut approuvé, qui prévoyait une moyenne d’augmentations de 5,75 pour cent par an en 1991, 1992 et 1993. Entre-temps, les États-Unis avaient éliminé les péages sur leur portion de la Voie maritime en 1985, mais ceux-ci furent en réalité remplacés par une taxe d’entretien des ports, que les sociétés de transport maritime acquittent chaque fois qu’un de leurs bâtiments pénètre dans un port américain. Le gouvernement canadien continua jusqu’en 1995 à percevoir les péages auprès des navires transitant par les deux écluses situées du côté américain. Ces revenus étaient remis à la Saint Lawrence Seaway Development Corporation, qui les remboursait aux usagers. Depuis la commercialisation de la voie navigable, en 1998, la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent (CGVMSL) est autorisée, en vertu des ententes qui la lient à Transports Canada, à accroître les péages de deux pour cent par année. Ces ententes, d’une durée de cinq ans chacune, permettaient également à la Corporation d’accroître les

à manutention à la fois horizontale et verticale, appelés RO/RO et LO/LO (d’après l’anglais roll on, roll off, load on, load off). La société Great Lakes Feeder Lines, installée à Burlington, en Ontario, prévoyait lancer le premier service régulier de porteconteneurs sur la Voie maritime par un parcours hebdomadaire reliant Halifax, Montréal et Toronto. Le président et chef de la direction, Aldert van Nieuwkoop, ancien cadre supérieur dans le domaine du transport maritime en Europe et ancien directeur du marketing à la Voie maritime, déclarait que sa société allait utiliser à cette fin un navire construit en Allemagne et vieux de vingt ans, le Dutch Runner. Ce bâtiment, qui fait 260 pieds de longueur et 51 pieds de largeur, peut transporter environ 3000 tonnes de marchandises. «Ce n’est pas un très gros navire», explique M. van Nieuwkoop, dont la société bénéficie de l’appui financier d’une firme

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péages de moins de deux pour cent, à condition que certains objectifs financiers aient été atteints. Le président de la CGVMSL, Richard Corfe, note qu’au cours de la première décennie qui suivit la commercialisation, les péages s’accrurent de 20 pour cent, alors que l’indice des prix à la consommation avait grimpé de 25 pour cent au cours de la même période. En 2008, la CGVMSL et Transports Canada ont paraphé une troisième entente de cinq ans, couvrant la période de 2008 à 2013. Les péages sont gelés pour les trois premières années, et le gel peut être étendu aux deux années subséquentes si la Voie maritime atteint les objectifs qu’elle s’est fixés relativement au recrutement de nouveaux usagers. «Au cours des dernières années, il nous a été possible de proposer aux usagers un environnement plus prévisible, déclare M. Corfe. Les revenus ont couvert chaque année les coûts d’entretien. Cet état de fait nous a permis de contribuer au coût de renouvellement des actifs. Pour les usagers, ces mesures ont entraîné une situation très stable. Meilleure que jamais auparavant.»

d’acheminement de marchandises située à Erie, en Pennsylvanie. «Mais nous desservons un marché en émergence, et nous comptons remplir le navire. Nous sommes des pionniers dans le domaine. Il faut cependant un plus grand nombre de navires de ce type sur ces eaux si nous voulons que les ports consentent à investir dans l’infrastructure nécessaire.» Upper Lakes, de son côté, a mis en service un navire américain, le John Henry, d’une longueur de 300 pieds et d’une largeur de 55 pieds, qui peut transporter 3000 tonnes de marchandises. Ce cargo est muni d’une rampe arrière et d’une rampe avant, ainsi que de deux grues pour charges lourdes, chacune assez puissante pour soulever ou abaisser 450 tonnes de marchandises. Graeme Cook explique qu’Upper Lakes se livrait à une expérience pour mettre à l’épreuve le marché. Au début, la société

comptait utiliser un remorqueur pour pousser le bâtiment, ce qui permettait d’éviter le coût d’y mettre en place un équipage, mais cette situation pourrait changer au gré de l’évolution des affaires. «L’un des problèmes que pose pour nous cette nouvelle génération de navires est que l’infrastructure nécessaire est inexistante dans les ports, fait observer M. Cook. C’est la vieille histoire de la poule et de l’œuf. Qui sera le premier à consentir des investissements en infrastructure? Devrons-nous d’abord faire nous-mêmes la preuve de l’efficacité du concept?» L’industrie a fait pression en faveur d’investissements, tant auprès du gouvernement fédéral que des gouvernements provinciaux, et elle a connu quelques succès dans ces démarches. Mais bien des obstacles matériels et réglementaires subsistent. Les frais imposés aux usagers pour le déglaçage, le dragage et le pilotage, de même que

Une carte montrant les ports partenaires de l’Autoroute H2O. cgvmsl

les péages de la Voie maritime contribuent tous à réduire la compétitivité de l’autoroute maritime. De même, des politiques gouvernementales désuètes, par exemple, les droits de 25 pour cent imposés sur les navires construits à l’étranger, font en sorte qu’il faut une bonne dose de courage quand on songe à investir dans de nouveaux services destinés au réseau. La collaboration entre l’industrie et les gouvernements a mené à la création de la Porte continentale et du Corridor de commerce OntarioQuébec, initiatives qui permettront de procéder à l’examen de quelques-uns de ces obstacles. Alors que la Voie maritime se préparait à marquer son cinquantenaire, la Corporation était occupée à fournir un soutien aux activités dans lesquelles était engagée toute l’industrie, à faire le

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marketing de l’ensemble du réseau au moyen de la marque Autoroute H2O et à investir dans la technologie afin de faire en sorte de maximiser les bénéfices du réseau dans l’avenir. L’initiative Autoroute H2O avait été lancée modestement au printemps de 2003 à l’aide de panneaux publicitaires érigés le long des autoroutes ontariennes de série 400 pour promouvoir les avantages environnementaux du transport maritime. Elle est devenue, depuis, la pierre d’angle de tous les efforts de promotion de la Voie maritime. L’objectif de la campagne est de faire valoir que le transport maritime s’intègre comme naturellement aux réseaux routiers et ferroviaires. Cette campagne vise aussi à accroître le trafic annuel sur le réseau lui-même, de quelque 40 millions de tonnes actuellement à son plein potentiel de 60 à 70 millions de tonnes. Entre-temps, les efforts de marketing ont gagné tant en étendue qu’en raffinement. De concert avec son partenaire américain, la Saint Lawrence Seaway Development Corporation, la Corporation a peu à peu recueilli l’appui de quarante-quatre parties intéressées, y compris les autorités des ports des principales destinations qui bordent la Voie maritime et de tous les transporteurs maritimes. Le contenu du message a également évolué. Le matériel de promotion attire maintenant l’attention sur le fait que l’option maritime est le mode de transport le plus économique en carburant, qu’elle produit moins d’émissions de gaz à effet de serre, qu’elle occasionne beaucoup moins d’accidents, et qu’elle est moins bruyante que les autoroutes et les chemins de fer. En outre, les eaux du Saint-Laurent et des Grands Lacs sont une autoroute naturelle. Le recours à ce mode de transport peut réduire la nécessité de construire de nouvelles routes et lignes de chemins de fer. § Telle se présentait la situation au moment où la Voie maritime des Grands Lacs et du Saint-Laurent achevait son premier demi-siècle d’exploitation et

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s’apprêtait à aborder le second. La Voie maritime se classe assurément parmi les plus grandes entreprises publiques du continent, et elle trouve aisément sa place parmi les voies navigables les plus importantes du monde. Son achèvement, au printemps de 1959, marquait la réalisation d’un rêve, vieux de plusieurs siècles, d’ouvrir le centre industriel du Canada et des États-Unis à la navigation de haute mer. La Voie maritime a transformé l’industrie du transport maritime sur le Saint-Laurent et les Grands Lacs. Elle a ouvert la voie à la création d’une nouvelle génération de navires plus gros et plus performants, conçus spécifiquement pour se glisser commodément à travers les quinze écluses du réseau. Elle est une artère vitale qui rend possible le mouvement rentable et ininterrompu de cargaisons en vrac depuis l’extrémité ouest du lac Supérieur jusqu’au golfe du Saint-Laurent. Elle apporte un soutien indispensable, quoique trop souvent passé sous silence, à l’économie des Grands Lacs. La Voie maritime a le potentiel nécessaire pour exercer un impact encore plus important dans l’avenir. Au moment où elle célèbre son cinquantième anniversaire, la Voie maritime des Grands Lacs et du Saint-Laurent fonctionne à environ 60 pour cent de sa capacité. De 40 à 45 millions de tonnes de marchandises transitent annuellement sur ses eaux. En diversifiant le fret transporté sur le réseau, 25 millions additionnels de tonnes de marchandises pourraient être acheminées par eau plutôt que par voie ferroviaire ou routière. La Voie maritime, ou l’Autoroute H2O, comme l’appellent ses promoteurs, peut réduire l’engorgement routier et la congestion ferroviaire. Elle peut aussi accroître sa contribution vitale à un système de transport plus sécuritaire, plus écologique et plus viable. Elle représente une occasion extraordinaire, qui attend encore d’être pleinement reconnue par les décideurs dans les capitales politiques de deux pays, de deux provinces et de huit États.

La Voie maritime du Saint-Laurent | Index

Acier, production d’, 53, 55; et importations, 54; déclin (1975), 55; reprise, 55 Acres International, 70 Administration de la voie maritime du Saint-Laurent. Voir sous «Voie maritime (organisme)» Administration de pilotage des Grands Lacs, 89 Afrique du Nord, 20, 73, 99 Agawa Canyon, 42 Algocen, 42 Algoma Central, 27, 42–43, 76, 85, 90, 96, 100, 101 Algoma Steel, 55 Algobay, 100, 100 Algomarine, 14, 24; transit par la Voie maritime, 13–18 Algoport, 100 Algorail, 42 Algosoo, 85, 85 Allis-Chalmers Canada, 61. Voir également «StephensAdamson» Aluminerie Alouette, 98 American Public Works Association, 19 Ames, Joe, 13, 17, 18 Anderson, David, 90 Ashtabula (OH), 20, 56 Assiniboine, 23, 23 Association des armateurs canadiens (AAC), 90 Atlantic Huron, 24 Augsbury, Frank, 75 Auto-déchargeurs, 24–25, 24, 26, 41, 42, 53, 60, 75–76, 84, 98, 99, 100; boucle en C, 24-25, 25, 26, 60–61, 60 Autoroute H2O, 21, 21–22, 24, 102, 105, 107, 111, 112

Baie-Comeau (Qué.), 53 Beaconsfield (Qué.), 15 Beauharnois, canal de, 15, 65, 67 Beauharnois, centrale électrique de, 15 Beauharnois, écluses de, voir sous «Écluses» Belleville (Ont.), 60 Bethlehem Steel, 48 Birchglen, 100 Bombardier, 92 Borisov, S.A., 51 Bouchard, Benoît, 77 Boucle en C, voir sous «Autodéchargeurs» Brésil, 22 Brise-glaces, 59, 60. Voir également «Coussins d’air…» Britannia, 29, 30, 31 Brockville (Ont.), 16 Brodeur, Tom, 23, 24, 53, 75, 76, 100 Brossard, (Qué.), 65 Buffalo (NY), 34, 40 Brunthaver, Carroll, 52 Bureau d’embauche du syndicat des gens de mer (Toronto), 49 Campbell, Malcolm, 62, 63, 68 Camu, Pierre, 38, 42, 43–44, 77 Canada Steamship Lines, 22, 2324, 23, 25, 35–36, 41-42, 53, 59, 61, 62, 73, 75, 84, 90, 100 Canadian Century, 41 Canadian Hunter, 52 Canadien Pacifique, Chemin de fer, 35 Canadian Olympic, 92 Canadian Progress, 41 Canadian Sailings, 90, 91 Canadian Shipping and Marine Engineering, 58, 60, 109

Canadian Transport, 82 Canron, 69 Cansfield, Donna, 23, 24 Cape Breton Miner, 41 Cape Vincent, 16 Cargill, 90, 96 Cargaisons, 20, 24, 49, 58; céréales, 20, 21, 32, 50–53, 64, 72, 74, 75, 78, 99, 106; minerai de fer, 20, 21, 33, 41, 50, 58, 53–55, 64; charbon, 20, 21, 41, 56, 58, 84; conteneurs, 21, 105–107, 110 Carryore, 43 Cavotec MoorMaster, 105 Changement climatique, voir sous «Réchauffement climatique» Charman, Bob, 53 Chengxi Shipyard Co. (chantier naval), 101 Chevrier, Lionel, 30, 31, 33, 64, 108 Chicago (IL), 21, 29, 32, 35, 41, 58, 77, 107 Chrétien, Jean, 86, 89, 91 Cleveland (OH), 21, 34, 53, 62, 98, 107 Coffin, Aaron, 27 Collard, Edgar: Passage to the Sea, 41 Collingwood (Ont.), 42, 74 Collenette, David, 91 Commission canadienne du blé, 53, 73 Commission mixte internationale, 88 Compagnie pétrolière impériale, 35 Contrecœur (Qué.), 34 Cook, Graeme, 100, 106, 110, 111 Coopers and Lybrand, 80

Index · Acier à Coopers | 113

Corfe, Richard, 21, 22, 24, 28, 88, 96, 97, 97, 104, 106, 107, 110 Cornwall, île, 16 Cornwall (Ont.), 15, 34, 79, 92, 93, 98 Cornwall Standard-Freeholder, 34 Cour Suprême (E.-U.), 34 Courtemanche, Ted, 63 Coussins d’air, technologie de, 59 Cresswell, Peter, 42, 76 Crise de 1929, 33, 63 Crosbie, John, 71 Dack, W.L., 55 Dalrymple, John, 58 Dalzell, Pat, 65–66 Davie Shipbuilding, 92 DeRoche, Ed, 61–62 Detroit (MI), 21, 34, 40, 53, 107 Detroit-Wayne County Port Authority, 68 Diefenbaker, John, 29 Diefenbaker, Olive, 29 Dofasco (Dominion Foundries and Steel Co.), 41, 54, 54, 55, 90 Dominion Bridge, 67 Dominion Marine Association, 43, 57, 64, 75 Dorval (Qué.), 15 Draenger, Werner, 13–14, 16, 17, 18, 26 Duffett, Bruce, 49 Duluth (MN), 18, 32, 33, 96 Dumont, Jacques, 49 Dutch Runner, 110 Eaux de ballast, gestion des, 87–88 E.B. Barber, 42 Écluses: Beauharnois, supérieure et inférieure, 15, 15, 57; CôteSainte-Catherine, 14, 38, 57;

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Eisenhower, 16, 61, 94; Iroquois, 16; Snell, 16; SaintLambert, 13, 14, 30, 37, 38, 38, 57, 94, 103; fonctionnement d’une, 20. Voir également sous «Welland, canal» Écluses jumelées. Voir sous Welland, canal Eisenhower, Dwight, 29, 29, 30, 34 Eisenhower, Mamie, 29 Elizabeth II, 29, 29, 30 Elliott, W.T., 46 Émard, Elzéar, 34 Énergie Nouveau-Brunswick, 84 English River, 42 Équipages: composition, 26; données démographiques, 26; taille, 26; recrutement, 27 Érié, lac, 17, 18, 32, 33, 36, 45, 55, 62 Espèces exotiques envahissantes, 87–88 Étude des Grands Lacs et de la Voie maritime du SaintLaurent, 87, 101–102, 105 Expo 67, 14, 34, 44 Fairplay International Shipping Weekly, 58 Federal Rhine, 99 Fédération maritime du Canada, 88 Fednav International, 90, 96, 99–100 Financial Post, 37, 54, 55, 73 First Canadian Place, 54 Fort Chambly, 42 Forum des enjeux stratégiques de la Voie maritime, 96 Foster, Peter, 55 Fournier, Michel, 91 Frank A. Sherman, 41

French, Carey, 74 French River, 42 Furia, 68, 70 Gélinas, Johanne, 88 Georgian Bay, 45 Globe and Mail, 29, 50, 51, 64, 74 God Save the Queen, 30 Golden Gate, pont, 19 Golfe du Saint-Laurent, 18, 79, 98 Gordon C. Leitch, 41 Gordon, Seth, 13, 26 Gordon, Peter, 54 Gray Herb, 88 Grands Lacs, bassin des, 20, 22 Great Lakes Commission (É.-U.), 77 Great Lakes Feeder Lines, 110 Great Lakes Waterway Development Association, 73 Green, Roger, 70 Greenwood’s Guide to Great Lakes Shipping, 35, 53, 75 Groupe d’étude sur les Grands Lacs (Ontario), 64-65 Guerre froide, 77 Hall Corporation of Canada (Halco), 42, 75, 99 Hall, Norman, 74, 90 Hamilton (Ont.), 20, 21, 53, 54, 55, 56, 59, 98, 107 Hamilton, port de, 53 Hanieski, John, 68 Haut-de-forme (cérémonie dite du), 22–23, 62, 62 H.M. Griffith, 61, 62 Hoover, barrage, 19 Horovitz, Aaron, 34 Houston (TX), 53 Humberdoc, 31 Hydro Ontario, 41, 56 Île de Montréal, 32

Île Sainte-Hélène, 14 Inde, 21 Industrie morutière (Atlantique), 26 Iron Ore Company of Canada, 33–34 Jacquez, Albert, 94 James Norris, 41 James Richardson & Sons, 90 Jean Parisien, 61 Jiangnan Shipyard (chantier naval), 99 John Henry, 110 Johnson Jr., Collister, 88 J.W. McGriffin, 61 Kaministiquia, rivière, 56 Kates, Peat, Marwick & Co., 37 Kahnawake, Territoire mohawk de, 15 Khrouchtchev Nikita, 50, 51 Kingston (Ont.), 31, 33, 42 Kinnear, Jack, 43 Koski, Henry, 37 Kroon, John, 36 La Ronde, 14 Labrador, 20 Lachine, rapides de, 32 Lake Erie, 100 Lake Michigan, 100 Lake Ontario, 100 Lake Superior, 100 Lakeview, cimetière, 39 Lamarre, Bernard, 89 Lamarre, Jacques, 89 Lancaster (Ont.), 14 Laprairie, bassin de, 14 Laurentian, 23 Lauzon (Qué.), 42 Lauzon, Jean-Guy, 81, 84 LBA Consulting Partners, 60 Leclerc, Wilbrod, 91 Leitch, Jack, 40

Liverpool (Angleterre), 32 Loi maritime du Canada, 91–92 Loi sur l’Administration de la voie maritime, 79 Loi sur le transport du grain de l’Ouest, 73–74 Lorain (OH), 85 Louis R. Desmarais, 61 Louis Dreyfus, 90 Luce, A.M., 57, 63 Macon, 35 Main-d’œuvre:recrutement de la, 27; vieillissement de la, 27. Voir également «Équipages» Marine Industrie Ltée, 92 Marinsal, 57, 57 Maritime Magazine, 97 Martin, Paul, 73 Massena (NY), 44 Massey, Vincent, 31 Mazankowski, Don, 67 McCormack, Dan, 22, 24 McKeil, Blair, 98 McKeil, Evans, 98 McKeil Marine, 98, 106 McKeil, William, 98 McKellar, île, 56 McNairn, Bill, 35 Meaford, 63 Méditerranée, 20, 106 Memorial (université) (TerreNeuve), 27 Menihek Lake, 58 Mesabi, chaîne de collines (É.-U.), 33 Micmac, 98 Midland (Ont.), 41, 42 Midwest (États-Unis), 20 Mille-Îles, archipel des, 16, 99 Milwaukee (WI), 29 Misener, 99 Misener, Ralph, 49

Mississippi, fleuve, 73, 84, 106 Montréal (Qué.), 13, 13, 14, 15, 16, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 38, 59 Montréal, port de, 13, 24 Morgan, Dan: Merchants of Grain, 51 Morrisburg (Ont.), 44 Morristown (NY), 16 Moule zébrée, 87, 87 Murray Bay, 42 Nanticoke (Ont.), 20, 55 Navires: période exceptionnelle d’expansion de la construction de, 41–43; «salés», 35, 36, 37, 43; taille des, 23–24, 43, 60–61; vieillissement des, 41, 43; vraquiers c. autodéchargeurs, 24–26, 76–77. Voir également «Vraquiers»; «Auto-déchargeurs»; «Remorqueurs et barges»; noms individuels de navires. Voir aussi sous «Voie maritime» New York Central Railroad, 40 Niagara, 23 Niagara, escarpement du, 16, 18, 28, 32, 38 Nieuwkoop, Aldert van, 110 Nixon, Richard, 44, 44 N.M. Patterson & Sons, 42 Normandeau, Paul, 50, 56–58, 62 Northwest Steamships, 35 Nouvelle-Orléans, La (LA), 53 Ô Canada, 30 Oberlin, David, 42 Ogdensburg (NY), 16 Onchulenko, Gene, 53 Ontario, lac, 14, 16, 17, 19, 32, 36, 39, 40, 45, 68 Ontario Power, 41

Index · Île à Ontario | 115

O’Neil, Bill, 48, 59, 60, 62–63, 64, 64, 73, 77, 79, 109 Organisation maritime internationale, 77, 87 Oshima Shipbuilding (chantier naval), 99 Owen Sound Transportation Co., 35 Panama, canal de, 19, 73, 106 Panamax (CSL), 84 Parrish & Heimbecker, 99 Partington, Peter, 23 Passerelle (de navire) 13, 17, 18, 45, 58 Pathy, Laurence, 99–100 Pepin, Jean-Luc, 62 Perry, Arthur, 45 Pitts Engineering, 69 Playford, Jim, 62 Philip, prince, 29 Picton (Ont.), 22 Pietz, Alan, 45 Poe, Robert, 68, 69 Pointe-Claire (Qué.), 15 Pointe-Noire (Qué.), 20, 85, 98 Pont no 15 (canal Welland), 40 Port Arthur (Ont.), 42 Port-Cartier (Qué.), 20, 45–46, 52, 53 Port Colborne (Ont.), 17, 18, 36, 45, 46 Port Weller (Ont.), 16, 28, 36, 40, 74 Port Weller, chantier en cale sèche de, 41 Porte continentale et Corridor de commerce OntarioQuébec, 111 Prairies, 20, 49, 53, 73, 74 Prescott (Ont.), 16, 33, 65 Presse canadienne, La, 65

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Privatisation: de l’infrastructure de transport, 21, 86, 89, 91 Projet X, 39. Voir également sous «Welland, canal» Projet Z, 39 Protocole de coopération sur le transport maritime à courte distance (Canada-É.U.Mexique), 107 Québec Cartier Mining, 96 Québec, ville de, 43 Queen Elizabeth Way, 39 Quigg, Tom, 63 Ransome, William H., 58 Récession: années 1970, 55, 63–64; années 1980, 72–76; années 1990, 79 Réchauffement climatique, 22, 102. Voir également sous «Voie maritime» Remorqueurs de manœuvre, 56–58, 56, 57, 64 Remorqueurs et barges, 98, 105–106 Rimouski, 42 Rive Sud, canal de la, 14, 15, 34, 63 RO/RO, LO/LO, 107, 110 Rothwell, Don, 73 Rotterdam (Pays-Bas), 32 Roy A. Jodrey, 42 Rt. Honorable Paul J. Martin, 23 Saguenay, 42, 58 Saint-François, lac, 15, 65 Saint-Hubert (Qué.), 29 Saint-Lambert (Qué.), 29 Saint-Laurent, fleuve, 13, 14, 16, 20, 27, 29, 31, 32, 33, 34, 35, 51, 52, 53, 58, 59, 72, 73, 75, 87, 90, 99, 100, 101, 102, 105, 112; potentiel hydroélectrique du, 33;

premières tentatives de navigation sur le, 32–33 Saint Lawrence Seaway Development Corp. (É.U.), 20, 21, 22, 42, 65, 77, 80, 88, 91, 94, 96, 108, 112 Saint-Louis, lac, 14, 15, 65 Saint-Zotique (Qué.), 15 Sandusky (OH), 56 Sault Ste. Marie (Ont.), 44, 53, 55, 56 Scott Misener Steamships, 42, 49 Seaway Marine Transport, 100 Seconde Guerre mondiale, 33, 34 Sept-Îles (Qué.), 20, 33, 49, 53, 84, 98 Senneville, 46 Sequeira, Ron, 22 Sharp, Mitchell, 51 Shell Canada, 35 Transport maritime, industrie du: faillites, 27, 99; stades précoces du développement de l’, 32–33; transformation de l’, 40-41, 98–101 SIA (système d’identification automatique), 94–95, 94 Simcoe, 31 Simpson, Cindy, 26 Sir Denys Lowson, 42 SNC-Lavalin, 89–90 Sommet de la Voie maritime, 80 Spagnol, Lou, 28 Spruceglen, 100 St. Catharines (Ont.), 22, 26, 28, 42, 49, 63, 73, 79, 93, 95 St-Régis, île, 16 Star Spangled Banner, 29 Steelton, 48, 48

Stelco (Steel Company of Canada), 53, 54, 55, 56, 58, 90, 95 Stephen B. Roman, 42 Stephens-Adamson, 60, 60, 61 Stevenson, Robert “Louie”, 35, 40 Stewart, Glendon, 77, 78, 79, 79, 80, 81–82, 84, 89, 90, 91, 92, 93 Suez, canal de, 106 Summerstown (Ont.), 15 Supérieur, lac, 18, 32, 51, 56, 79, 84, 98, 112 Swenor, Robert, 90, 94, 96 Tadoussac, 22, 24 Taxe d’entretien des ports (É.-U.), 110 Terre des hommes (exposition), 44 Texaco Canada, 35 Thorold (Ont.), 39, 49 Thunder Bay (Ont.), 14, 18, 20, 32, 51, 53, 56, 73, 74, 78, 89, 95, 96 Tibbets Point, 16 Titanic, 35 Toledo (OH), 20, 56 Toronto Star, 49 Toronto (Ont.), 21, 33, 49, 54, 56, 107, 110 Towe, Peter M., 61 T.R. McLagan, 42 Transmode Consultants, 74 Trudeau, Pierre, 44, 44, 62 Tully, Charles, 40, 46 Twin Harbors (MN), 58 Un plan pour commercialiser la Voie maritime du SaintLaurent, 89 Union européenne, subventions de l’, 74

Union soviétique: délégation commerciale, 50, 51; échec des récoltes (années 1960), 50–52; marché conclu sur les céréales, 50–53; invasion de l’Afghanistan/embargo américain, 64; démembrement, 77 Upper Lakes Shipping, 40, 41, 42, 52, 63, 90, 100, 101, 105, 107, 110 US Steel, 36, 58 Valleyfield, pont de (panne), 65–68 Vazalinskas, John, 67 Venture Fuels, 84 Véronneau, Guy, 92, 92, 93, 94, 95, 96, 104 Viken Shipping AS, 100 Vision 2002, 81–83 Voie maritime (organisme): actif, 21, 28, 83; Administration de la voie maritime du SaintLaurent, 21, 37, 45, 46, 58, 60, 64, 77, 79–91 et passim; commercialisation de la, 85–86, 89–91, 102-103, 108–110; Corporation de Gestion de la Voie Maritime du SaintLaurent, 21, 88, (création de la) 91, 102–103; grève (1968), 43; marketing, 21, 77, 82, 84, 111–112; missions commerciales, 22, 77, 84, 92; rapports annuels, 47, 64, 72, 86, 93, 96; restructuration (années 1990), 80–84, 85, 86, 91–93; système de gestion des infrastructures (1996), 28, 102–103; site Web, 95. Voir également «Autoroute

H2O»; «Remorqueurs de manœuvre»; «Saint Lawrence Seaway Development Corp.»; «Voie maritime (voie navigable)» Voie maritime (voie navigable): accidents, 19, 48–49, 48; améliorations apportées à, 37–40, 44, 45–48, 55–58, 64–65, 93–96, 102–105; caractère historique de, 30, 44; carte de, 19; cinquantième année d’exploitation de, 18, 111; concept artistique de, 16; congestion sur, 36–39, 45, 47, 53, 65; construction de, 30, 34–35, 98; effet sur l’économie, 22, 23, 43–44, 46–47, 49, 78; entretien hivernal de, 22, 27–28, 27, 57; et l’emploi, 19, 49, 60; et l’environnement, 19, 21–22, 23, 87–88, 101–102, 110; et la mise à niveau des navires, 23–24, 41–43, 75–76, 98–101, 105–106; et la politique, 33, 34, 44, 61, 86, 89, 111; gestion du trafic, 38, 86; inauguration de (1959), 29–31, 35; longueur de la saison de navigation, 20, 22, 23, 24, 31, 38, 57–59; marché conclu avec les Soviétiques sur les céréales, 51–53; péages, 78, 108–111; section Montréal-lac Ontario, 19, 22, 28, 43, 48, 64, 65, 84, 85, 86, 96, 102, 104; sécurité de, 19, 23, 28, 44; tonnage, 20, 31, 37, 38, 48, 50, 51, 56, 58, 61, 64, 72, 84, 88, 91, 96, 98, 100, 105;

Index · Stelco à Voie | 117

triomphe d’ingénierie, 19, 47; volumes de trafic, 20, 31, 43, 45, 51, 55–56, 64–65, 72, 73, 74, 81–82, 84, 85, 93, 96, 101. Voir également «Autoroute H2O»; «Cargaisons»; «Écluses»; «Main-d’œuvre»; «Navires»; «Remorqueurs de manœuvre»; «Voie maritime (organisme)»; «Welland, canal» Voie maritime des Grands Lacs et du Saint-Laurent (voie navigable). Voir «Voie maritime» Vraquiers, 24, 25–26, 41, 75–76, 98, 99, 100, 101 Welland, canal, 16, 17, 17, 18, 27, 28, 36–39, 42, 43, 45, 48, 48, 56, 57, 57, 58, 59, 62, 64, 65, 69, 84, 85, 86, 92; construction du, 19, 32–33; expansion du (années 1960), 37–38; canal de détournement, 39–40, 45–48, 46, 63; écluse 1, 17, 28, 39, 49; écluse 2, 18, 28, 39, 62; écluse 3, 18, 22, 39, 49, 62, 71; écluses jumelées (nos 4–6), 17, 18, 39; écluse 7, 18, 36, 39, 59; écluse 7, effondrement, 68–72, 103; écluse 8, 18; programme de réhabilitation (1986), 70, 71–72; projet de renouvellement des actifs (2003–2008, 2008–2013), 102–105 Welland (Ont.), 18, 40, 45–48, 45 Whitefish Bay, 42 Whittington, Mike, 103 Wight, Greg, 101 Young, Doug, 89, 90

118 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

La Voie maritime du Saint-Laurent : Cinquante ans et l’avenir à nos portes a été conçu et composé par Dennis Choquette à l’hiver 2009. Il a été imprimé, cousu à la machine Smyth et relié par Tri-Graphic, Ottawa. Le caractère de labeur est Neutra, 12/15; le caractère d’affiche est Cartier. Le papier est HannoArt, 100lb.