La Vallée des Saints

Jean-Yves Le Bacle, dirigeant d'une filiale de Mitsubishi, et sa femme ont découvert la vallée par hasard l'année dernière, et se sont pris au jeu. Avec un couple ...
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La Vallée des Saints

Le projet fou

de Philippe Abjean Faire tailler les statues de mille saints bretons, financer ce projet par des fonds privés et trouver un endroit en pleine nature pour les exposer. C’est le pari complètement fou qu’a lancé Philippe Abjean il y a cinq ans. Vingt-sept statues ont déjà été créées. Elles ont été érigées près de Carnoët, une petite ville de 750 habitants dans les Côtes-d’Armor. PAR DÉBORAH COEFFIER PHOTOS GWÉNAËL SALIOU

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fondateur ? Après un appel à candidature, plusieurs villes étaient en concurrence pour accueillir les géants de pierre. Explication de Muriel Brizai : “Quand Philippe Abjean et Sébastien Minguy, le trésorier de l’association, sont venus visiter le site, ils sont littéralement tombés amoureux du panorama. Et en faisant quelques recherches, ils se sont rendu compte que l’histoire du site était intrinsèquement liée aux légendes des saints bretons”. En effet, saint Gildas serait passé par là, au 6e siècle et y aurait fondé un ermitage. Selon la légende, il aurait figé les oiseaux qui pillaient un potager et ne les aurait libérés qu’après leur avoir fait promettre de ne plus revenir. On sait aussi que la colline – qui est un tumulus datant du néolithique – est une ancienne motte féodale qui permet de voir jusqu’à trente kilomètres à la ronde. Trois voies romaines convergeaient également à Carnoët. Un lieu chargé d’histoire, donc, pour un projet qui veut mettre en scène les mythes armoricains.

12 000 € entre l’achat du bloc de granit, son transport, le matériel, l’hébergement, la restauration et la rémunération des sculpteurs. Les collectivités n’ont pas eu à verser un seul centime pour ce projet titanesque. Depuis 2009, plus de 450 000 € ont été récoltés, une véritable prouesse dans un pays rongé par la crise économique. Les 1 500 donateurs, appelés les compagnons, viennent de tous horizons. Pour la statue de saint Telo, 243 personnes originaires de la commune portant le même nom ont formé le premier compagnonnage. Certains résident actuellement aux États-Unis et au Canada. Chacun a donné selon ses moyens, et en moins de deux mois, le compte y était. La statue a pu voir le jour en 2011. Pour Sébastien Minguy, “au-delà du projet artistique, il y a une vraie aventure humaine”. D’autres financent, seuls ou à plusieurs, une statue qui leur tient particulièrement à cœur. Une femme a par exemple financé entièrement la statue de saint Gildas, en hommage à son fils décédé. Jean-Yves Le Bacle, dirigeant d’une filiale de Mitsubishi, et sa femme ont découvert la vallée par hasard l’année dernière, et se sont pris au jeu. Avec un couple d’amis, ils décident de sponsoriser entièrement saint Émilion (oui,

1 500 DONATEURS

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e rendre sur le site de la Vallée des Saints tient de l’expédition. À vingt minutes de Carhaix, il faut prendre la direction de Carnoët pour trouver Quenequillec. Les routes sont cahoteuses mais sous le soleil du Kreiz Breizh, en cherchant ce coin perdu, il y a comme un air de vacances. En se garant sur le petit parking, on ne se doute pas de ce qu’on va découvrir un peu plus haut. Muriel Brizai, la guide-conférencière entreprend de nous faire visiter le site. On grimpe un peu et là… surprise ! Sous nos yeux, vingt-sept statues absolument gigantesques trônent au milieu de la nature. Elles sont majestueuses et déconcertantes. Les granits blanc, jaune ou rose scintillent sous la lumière du matin. La vue, somptueuse, nous donne à voir les vallées et les collines verdoyantes en contrebas. DURÉE DU CHANTIER : ENTRE 20 ET 25 ANS

Le projet de la Vallée des Saints est un pari complètement fou. Une idée quelque peu farfelue qui a germé dans la tête de Philippe Abjean en 2008 : faire tailler les statues de mille saints bretons et les installer quelque part en Bretagne. Ces statues mesurent quatre mètres de haut. Les styles sont variés, on passe du réalisme au plus stylisé d’une effigie à l’autre. Certaines rappellent sans aucun doute les géants de l’île de Pâques. Selon les estimations, il faudra entre vingt et vingt-cinq ans pour voir le projet des mille statues aboutir.

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Enfin, cerise sur le gâteau pour Philippe Abjean, des neuf communes en compétition, Carnoët était la plus centrale et la plus petite : “C’était un défi. On savait qu’on ne pourrait pas compter sur les finances de la commune. C’était plus intéressant que d’aller à Carhaix où on aurait pu s’appuyer sur l’or des Vieilles Charrues.” Une remarquable particularité de cette association est qu’elle vit uniquement du mécénat. Et pourtant, ce projet requiert d’importants moyens. Chaque statue coûte Qui sont ces saints et comment peut-on arriver à ce chiffre impressionnant de mille ? Tous font partie de la très riche et très généreuse mythologie bretonne qui invoquait un saint pour chaque problème de la vie quotidienne. Une poignée d’entre eux seulement fut canonisée par Rome. La plupart furent proclamés saints par la voix du peuple. Certains étaient des moines et des ermites arrivés de la grande Bretagne entre le 3e et le 6e siècle. À cette époque, des villages entiers fuyaient les invasions des Scots et des Pictes pour se réfugier en Armorique. D’autres seraient directement issus des anciens dieux auxquels l’Église a fini par donner un visage chrétien. Enfin, la plupart étaient tout simplement des hommes – réels ou imaginaires – considérés par le peuple comme des bienfaiteurs, des hommes et des femmes qui avaient fait le bien autour d’eux, comme Hervé, le patron des aveugles, ou Brigitte qui protégeait les femmes enceintes et les… cochons. Et comme dans tout mythe, une part de magie, de fantastique même s’est glissée parmi ceux qui sont considérés comme authentiques : Brieuc aurait ainsi arrêté d’une main une meute de loups qui l’attaquait, Pol Aurélien aurait terrassé un dragon. Et pourquoi choisir Carnoët, cette petite bourgade du Centre-Bretagne pour mettre en valeur ce patrimoine

“Cette société repose sur le jetable et l’éphémère. Nos statues seront encore là dans des centaines d’années.” Philippe Abjean

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UN PROJET “À CONTRE-COURANT DE TOUT”

oui, c’est un Breton) parce que l’histoire leur plaît et que “je ne voulais pas qu’on me le pique”, s’esclaffe le chef d’entreprise. Il trouve le projet “génial”, fait sa promotion dans son entourage et envisage même de s’engager l’année prochaine avec sa société. Gilles Collet, le président Bretagne de Système U Ouest et propriétaire du magasin de Trégastel, s’est lancé dans l’aventure en finançant la statue de saint Guirec “sans le dire à personne”. Il veut rester neutre et discret sur l’opération. Il explique sa participation au projet parce qu’il est “Breton et fier de l’être”. L’idée de participer à une entreprise plus spirituelle que celle de la grande distribution lui plaisait. “On ne parle pas rentabilité ou rendement, ça change agréablement. Vous savez, je dis non tous les jours à des partenariats de quelques centaines d’euros, mais je trouve qu’il faut aider l’association rien que pour le courage des gens qui en font partie.” La participation initiée par Hervé Le Goff, des Super U de Brest, a fait tache d’huile. Et aujourd’hui, tous les Super U bretons veulent s’investir dans le projet. Ils ont déjà financé sept statues, dont trois cette année. À l’aise Breizh, la mythique entreprise morlaisienne a aussi fait partie des premiers donateurs. Cette participation

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Le projet a aussi un volet économique. Les fondateurs de l’association veulent faire du lieu une vitrine du granit breton, véritable richesse du sous-sol de la région. Les nuances de couleur vont du rose (Perros-Guirec), au bleu (Lanhélin), en passant par le jaune (Bignan). C’est aussi une manière de soutenir l’activité des carrières qui est en baisse, car elles subissent la concurrence des pays émergents comme la Chine, et de donner du travail aux sculpteurs et tailleurs de pierre “qui ne croulent pas sous les commandes”, selon Philippe Abjean. Celui-ci explique le succès de ce projet fou parce qu’il est “à contre-courant de tout et c’est pour ça que ça marche. Premièrement, dans une société sécularisée, on met l’accent sur les racines spirituelles. À contrecourant d’une sous-culture mondialisée, on fait le pari de mettre en avant une culture populaire spécifique bretonne. Dans une société qui repose sur le jetable et l’éphémère, on met en place un projet de statues qui seront encore là dans des centaines d’années. Dans une société en pleine crise économique, on ne travaille qu’avec des fonds privés. C’est la part de folie de ce projet mais comme c’est le cas de tous les projets en Bretagne. Finalement, c’était une folie d’installer les Vieilles Charrues à Carhaix. Personne n’y croyait mais ça a marché. C’était une folie de lancer une compagnie maritime sur le bras le plus large de la Manche, pourtant la Brittany Ferries existe depuis plus de quarante ans. Les Bretons ne sont bons que dans la démesure, que dans les projets qui les dépassent.”

LIONEL LE SAUX

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était presque un devoir pour le patron Erwann Créac’h : “Cette idée un peu dingue nous rappelait notre histoire. C’était un projet un peu fou. Si on ne leur filait pas un coup de main, qui l’aurait fait ?” El Globos, le graphiste de la célèbre Bigoudène qui orne les coffres de voiture, a d’ailleurs fait le design de tous les produits dérivés de la Vallée des Saints. Une idée dingue peut-être, mais avec 40 000 visiteurs en 2012, elle tient la route. Le site est appelé à se développer. Sébastien Minguy se veut ambitieux : “À terme, on fera sûrement deux chantiers par an, au lieu d’un seul actuellement.” La veille bâtisse en ruine, juste à côté de l’accueil actuel, est en passe d’être rénovée pour agrandir la boutique, construire une salle de conférence et des sanitaires. Il faudra recueillir 350 000 € pour les travaux. Cette boutique commence à engendrer des recettes puisque cette année, l’association a pu engager Muriel Brizai. La guide, spécialiste d’histoire médiévale, organise sur demande chaque jour, de mars à novembre, pour 5 € par personne, des visites qui durent entre une et deux heures et demi. Elle part de l’aire de sculpture, continue sur le site en lui-même où Muriel conte la légende de chaque saint, et se termine par l’exploration de la chapelle Saint-Gildas, en bas de la colline. Pour la conférencière, “c’est un rêve de s’occuper d’un tel endroit”. Elle est aussi en charge de toutes les animations. Au mois d’avril, une chasse aux œufs pour les enfants de Carnoët et un rassemblement de vieilles voitures ont été organisés. “Ça a super bien marché donc on recommencera l’année prochaine !”, s’enthousiasme-t-elle.

LES SCULPTEURS

“On y arrive parce qu’il y a une énergie de groupe” Le chantier 2013 débutera le 10 juin et durera jusqu’au 6 juillet. Neuf nouvelles sculptures prendront place auprès de leurs vingt-sept grandes sœurs. Pour les sculpteurs, c’est un véritable travail de titan.

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ous les étés, c’est le branle-bas de combat pour la dizaine de sculpteurs qui officie dans la Vallée des Saints. Ils ont quatre semaines et pas un jour de plus pour extraire, des blocs

de granit de plusieurs tonnes, les statues qui iront rejoindre les autres déjà exposées. Pour David Puech, le coordinateur de l’équipe, c’est un véritable challenge. “On y arrive parce qu’il y a une énergie de groupe. Si on était seul devant son bloc, ce serait impossible à faire.” Les sculpteurs vivent donc un mois sur le site en caravane ou en roulotte. Ils dorment ensemble, mangent ensemble, travaillent ensemble. “On vit un peu comme des moines”, rigole David Puech. Entre eux, aucune compétition. Ce qui n’est pas toujours

le cas sur des chantiers publics. Le tailleur de pierre explique qu’ils “veillent les uns sur les autres. Il y a une véritable harmonie, ce qui nous permet de donner le meilleur de nous-mêmes”. Chaque chantier commence de la même manière. Le bloc est dégrossi par tous puis chaque sculpteur va apposer sa patte et façonner la pierre comme il l’entend. Au-delà du défi artistique, il y a un défi physique : “Nos corps sont mis à mal”. Ils sont payés 3 500 € pour ce travail. Patrice Le Guen, 65 ans, le doyen de l’équipe, affiche déjà cinq statues à son palmarès. Pour lui, c’est un projet unique qui permet de mettre en valeur la sculpture monumentale : “Cette aventure artistique permet de mutualiser les différents coûts qu’aucun sculpteur n’aurait les moyens de financer tout seul”. En effet, il faut faire venir les blocs sur le site, utiliser beaucoup de matériel, louer des échafaudages, déplacer les statues grâce à des grues... Le site donne aussi la possibilité aux jeunes générations de sculpteurs de toucher rapidement au monumental. On retrouve une nouvelle fois l’idée de transmission d’un patrimoine en danger. Les tailleurs de pierre et sculpteurs ne sont plus très nombreux en Bretagne. “L’idée, c’est aussi de transmettre le flambeau aux jeunes”, rappelle Patrice Le Guen. Parmi les artistes, on compte aussi un Indien, Seenu Shanmugam, et une Portugaise, Ines Ferreira, une façon subtile de montrer que le projet se veut ouvert à tous les styles et à la diversité en général. Ils ont été recrutés par le bouche à oreille, mais aussi grâce à un appel à candidature (qui est toujours ouvert sur le site www.lavalléedessaints.com). Avis aux amateurs.

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PHILIPPE ABJEAN

Nouveau missionnaire Le professeur de philosophie aime les projets un peu fous. La Vallée des Saints, c’est lui. Le Tro Breizh, c’est lui. Pourtant, ce Saint-Politain hyperactif trouve qu’il n’en fait pas assez et est déjà parti sur deux nouvelles idées.

“C

e ne sont pas juste des récits de bonne femme qu’on se racontait le soir, au coin du feu. C’est beaucoup plus profond que ça. Il y a une part historique mais aussi mythique.” C’est ainsi que Philippe Abjean résume le projet pharaonique de la Vallée des Saints, au milieu des milliers de livres qui l’entourent dans son salon. Pour certains, l’homme de 60 ans pourrait paraître austère. Pourtant, sa mine sérieuse laisse parfois échapper un sourire calme. Il est pudique et préfère parler des faits plutôt que de lui. Ses aventures commencent en 1990 lorsqu’il propose au maire de Saint-Polde-Léon de fêter le 1 500e anniversaire de la naissance de saint Pol Aurélien, fondateur de l’évêché de la ville. Contre toute attente, le rassemblement de 144 bannières fait salle comble. “Les gens n’arrivaient même pas à entrer dans la chapelle”, se souvient-il. DE SEPT À MILLE SAINTS

En 1994, fort de ce succès, Philippe Abjean relance le pèlerinage du Tro Breizh. Au Moyen Âge, chaque breton devait faire une fois dans sa vie le tour des sept anciens évêchés de la région : Saint-Pol, Tréguier, Saint-Brieuc, SaintMalo, Dol-de-Bretagne, Vannes et Quimper. Tous les étés, 1 500 personnes font à pied une étape. Philippe Abjean n’est pas peu fier de ce projet auquel peu de gens croyaient : “C’est la plus grande randonnée spirituelle sur une aussi longue

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période en France.” Il explique la réussite de son entreprise par une métaphore explicite : “On a simplement mis un vin nouveau dans une eau très très vieille.” Finalement, de la mise en valeur d’un saint, on passe à sept, puis à mille avec la Vallée des Saints. Philippe Abjean veut rester humble. “Les gens me demandent souvent pourquoi j’ai fait ça et je leur réponds que je n’en ai aucune idée. C’est peut-être ce qu’on appelle la vocation.” Pour le fondateur de l’association de Carnoët, il y a tout de même une certaine logique. Il veut mettre à l’honneur ce patrimoine oublié qui est une des bases de la culture populaire bretonne. Les légendes de la vie des saints sont de véritables récits fondateurs qui racontent la naissance des paroisses, des collectivités. La Vallée est donc une mise en scène de la mythologie bretonne. Pour le professeur de philosophie du lycée Notre-Dame-du-Kreisker, à Saint-Pol-de-Léon (qu’il a lui-même fréquenté), ces récits sont une mémoire collective mais aussi des messages à portée universelle : “C’est une invitation à l’aventure, au dépassement de soi et à faire le bien autour de nous. Mon intuition est que ces mythes ont encore des choses à nous dire, ils ont une actualité. Je veux montrer la modernité de ces choses-là”. LA FRANCE, TERRE DE MISSION

Philippe Abjean part du principe que le discours d’un recul de la religion dans notre société est une théorie fausse. Il énonce haut et fort ses convictions : “L’idée est de montrer que face à cette espèce de résignation, il n’y a pas de fatalisme. Il suffit de se retrousser les manches”. En donnant des buts concrets aux gens, ils réinvestiront naturellement les églises, pense-t-il. Pour lui, la France est redevenue une terre de mission. L’Église a voulu intellectualiser la religion, en faire une affaire de tête et non pas une affaire de cœur : “Finalement, une mémé qui égrène son chapelet en sait sûrement plus que le théologien qui a un doctorat”, rigole-t-il. Le parcours de Philippe Abjean ne le prédestinait pas à de telles entreprises. Il est né dans l’Aube, en avril 1953, d’un père bretonnant et d’une mère

champenoise, dans une famille catholique de six enfants. Très rapidement, la tribu s’installe à Saint-Pol-de-Léon, où le jeune Philippe passe son enfance et son adolescence. Une fois le bac en poche, il se lance dans des études de philosophie à Brest et à Poitiers. Il se tourne vers l’enseignement, notamment après sa rencontre avec Nicolas Grimaldi, son maître à penser, qui enseigne aujourd’hui à la Sorbonne. Philippe Abjean aime transmettre. Cette notion est au cœur de ses projets associatifs comme dans son travail de professeur : “J’ai des élèves adorables, respectueux, attentifs. C’est encore un bonheur d’enseigner”. Il a, par ailleurs, travaillé au Cameroun pendant cinq ans : “J’ai failli ne jamais rentrer. Pour moi, c’était le paradis sur terre. Les gens étaient heureux même s’ils étaient

églises et les chapelles qui doivent être rasées. L’idée est de racheter ces édifices et de les faire restaurer par des bénévoles. Pour lui, “les Ouvriers du bon Dieu (le nom de ce projet) est un mouvement de réappropriation des lieux religieux”. Mais Philippe Abjean pense déjà à un autre chantier, celui de la Vallée de la Paix. Il souhaite fonder à Essaouira, au Maroc, une sorte de musée en plein air. Le but serait de reconstituer le patrimoine architectural africain qui est en train de disparaître. Sur un immense terrain, chaque type d’habitat traditionnel serait représenté. “L’Unesco tire la sonnette d’alarme car il ne restera plus rien d’ici quelques années, si on continue à ce rythme’. “UN ÉLECTRON LIBRE”

Le dernier projet est encore au stade de l’esquisse : “La Bretagne a fourni des milliers de missionnaires dans le monde entier. Il y a des milliers de textes qui relatent ces aventures humaines extra-

“Mon intuition est que ces mythes ont encore des choses à nous dire, ils ont une actualité. Je veux montrer la modernité de ces choses-là.” pauvres. Il y avait une vraie qualité de vie et un sens des relations humaines”. Il n’a jamais tout à fait oublié sa vie là-bas : “Parfois, je pense à y retourner. L’idée de m’occuper d’un dispensaire de lépreux me trotte dans la tête. Mais je n’ai pris aucune décision pour le moment”. Ce goût pour l’aventure est au centre de la ribambelle de projets de Philippe Abjean. Son prochain bébé est un peu fou comme tous les autres. Le professeur s’est mis en tête de sauver les

ordinaires Mais comment garder cette mémoire missionnaire ?”. Les idées fourmillent dans la tête de Philippe Abjean. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce missionnaire d’aujourd’hui trouve qu’il n’en fait pas assez. Quand on lui demande si on peut le qualifier d’hyperactif, il répond qu’il ne l’est pas du tout. Mais il reconnaît que s’il avait eu une vie de famille avec une femme et des enfants, cela aurait rendu ses projets beaucoup plus difficiles. Aurait-il pu être prêtre ? Non. “Je n’aurais pas eu la liberté que j’ai aujourd’hui. Je suis trop électron libre. Si on parle de manière imagée, il y a le troupeau, le berger, et moi je suis bien dans la peau du chien de berger.”

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