La responsabilité pénale des agents

Le droit pénal français obéit au principe de légalité des délits et des peines : les ..... l'interdiction des droits civiques et de famille, suivant les modalités prévues ...
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Marchés publics ou délégations de service public

La responsabilité pénale des agents La violation d'une disposition du code des marchés publics ou d'autres textes relatifs à la commande publique peut être constitutive d'une infraction pénale. Les investigations menées pour la recherche d'irrégularités administratives peuvent conduire à mettre en cause la responsabilité pénale des agents publics au titre du délit d'avantage injustifié mais également sur d'autres fondements. Cet article, paru dans le numéro 84 du Courrier juridique de février 1998, a été rédigé par Abdenour Touzi-Luond de la Commission centrale des marchés.

Le besoin d'une plus grande transparence de la vie publique s'exprime très nettement depuis une dizaine d'années. Les citoyens se montrent en effet plus attentifs sur l'exigence de moralisation dans l'action administrative. En outre, les difficultés que rencontrent les entreprises face aux nouvelles données de l'économie les rendent plus sensibles au respect du principe d'égalité d'accès à la commande publique ; l'activité financière des parquets se développe et concerne de plus en plus souvent les marchés publics et les délégations de service public. Diverses dispositions législatives sont venues renforcer les contrôles administratifs d'ores et déjà en vigueur. Depuis le premier code pénal, en 1810, plusieurs dispositions permettaient de sanctionner sévèrement les pratiques d'agents publics intervenant dans les marchés publics en raison d'ingérence, de prise de participation ou de corruption. L'institution d'un délit spécifique (le délit d'octroi d'avantage injustifié ou "délit de favoritisme"), conçue comme l'une des réponses à l'échec de la prévention de la corruption, a, de manière incidente, multiplié les interrogations sur la conformité des pratiques par rapport au droit de la commande publique, et traduit parfois sa complexité excessive. Certains acheteurs hésitent quelquefois à retenir le choix le plus efficace lorsqu'il n'est pas le moins disant, alors même que ce choix est autorisé dès lors que la procédure de passation a été bien conduite.

Les règles gouvernant la responsabilité pénale des agents Le droit pénal français obéit au principe de légalité des délits et des peines : les crimes et délits sont déterminés limitativement par la loi, et nul ne peut être incriminé pour un fait ou un comportement qui ne soit pas caractérisé par un texte comme constitutif d'une infraction.

Les conditions de la responsabilité pénale En matière de responsabilité pénale, le critère du rattachement de la faute à l'accomplissement du service est inopérant. La décision est examinée en tant que telle aux fins d'apprécier si elle est ou non constitutive de l'infraction. La responsabilité pénale d'un agent public pourra en conséquence être engagée même à raison d'une faute de sa part qui n'est pas détachable du service (1). Quels que soient sa qualité ou son statut, tout agent intervenant de manière déterminante dans la

procédure de passation des marchés est susceptible de faire l'objet de poursuites pénales. En fait, est le plus souvent concernée, pour l'État, la personne responsable du marché (PRM) qui est un fonctionnaire ayant délégation de pouvoir à cet effet ; interviennent également dans la procédure d'attribution des marchés d'autres fonctionnaires, généralement placés sous l'autorité hiérarchique de la PRM. Dans les collectivités locales, les services sont très largement associés à l'ensemble des travaux de passation des marchés, de l'analyse et l'expression des besoins jusqu'à la préparation des décisions prises par l'élu, la commission permanente ou la commission d'appel d'offres. La présente étude concerne ainsi toutes les catégories d'agents publics, titulaires et agents contractuels, personnes exerçant une fonction d'autorité, représentants de l'État et des collectivités territoriales, fonctionnaires et agents des collectivités locales, ou agents intervenant dans le cadre d'un établissement public industriel et commercial (ÉPIC) ou d'une société d'économie mixte (SEM). Mais il peut également s'agir de personnes, employées par une personne privée, chargées d'une mission de service public (2) et amenées à intervenir dans le cadre de la procédure d'attribution des marchés.

Devoir d'obéissance et responsabilité pénale Le marché public est une opération économique complexe qui nécessite l'addition de compétences administratives, juridiques et techniques. De ce fait, la procédure implique généralement la collaboration de plusieurs personnes, ce qui peut aboutir à la mise en jeu de la responsabilité pénale de plusieurs intervenants à cette procédure. Les personnes qui ont concouru à l'élaboration de l'acte sans en être directement l'auteur peuvent néanmoins être entendues dans le cadre d'une procédure pénale. Pour qu'elles soient susceptibles d'être poursuivies, il convient d'apprécier si elles ont accompli des actes ayant influencé la prise de la décision (3). Toutefois, l'article 122-4 du code pénal prévoit que n'est pas pénalement responsable la personne qui agit sur commandement de l'autorité légitime. Ce principe ne souffre qu'une limite, en droit pénal, dans l'hypothèse où l'ordre est manifestement illégal. Et si l'article 28 (4) du statut général de la fonction publique exige, en outre, que l'exécution de l'acte compromette gravement un intérêt public, la deuxième condition sera presque toujours remplie lorsqu'une sanction pénale sera encourue. En revanche, l'agent peut être mis en cause lorsqu'il a dépassé les instructions données. Les difficultés pratiques ne peuvent être sous- estimées, en particulier dans le domaine des marchés publics, qui, le plus souvent, exige une démarche collégiale. Une illustration de ces difficultés peut être donnée à partir de la mission confiée à un service de conclure et d'exécuter un marché dans un délai incompatible avec la durée des procédures, et sous des conditions où l'urgence résulterait de considérations propres à l'auteur de l'ordre. Le fonctionnaire qui n'appellerait pas l'attention sur les obligations réglementaires et exécuterait l'ordre peut-il être regardé comme ayant, le cas échéant, porté atteinte au principe d'égalité d'accès des entreprises à la commande publique ? Une autre illustration peut être apportée avec la commission d'appel d'offres (CAO). La mise en cause de la CAO en cas d'irrégularités n'est juridiquement pas possible (5) : se pose alors le problème de la preuve de la responsabilité individuelle des membres de la CAO.

Les manquements pouvant faire l'objet d'une qualification pénale L'intention en matière d'infraction à la réglementation des marchés, nécessaire pour que l'infraction soit constituée, ne se traduit pas nécessairement par l'existence d'une volonté malveillante. L'agent public s'expose également à des poursuites pénales lorsque le juge répressif constate la simple existence d'avantages injustifiés. L'élément intentionnel de l'infraction est présumé constitué, tout particulièrement s'agissant des professionnels (6), dès lors qu'il y a un manquement aux règles garantissant la liberté d'accès et d'égalité des candidats à la commande publique. Des procédés utilisés lors de la commande publique, qui ont pu paraître anodins pour de nombreux décideurs,

sont ainsi concernés du seul fait que celle-ci ait pu procurer au bénéficiaire un avantage injustifié. Il est important de rappeler une différence d'approche radicale entre les usages admis dans le secteur commercial privé et les principes généraux de la commande publique. Le droit commercial n'impose pas aux entreprises de respecter le principe d'égalité de traitement entre les fournisseurs ; la stratégie de l'offre, c'est-à-dire la pratique par laquelle une entreprise ayant à vendre un produit, prend l'initiative de le proposer à un client, qui accepte d'en discuter les modalités d'acquisition, sans avoir l'obligation de consulter les concurrents, est largement acceptée ; les achats peuvent en outre être conclus aux conditions du fournisseur. En revanche, le droit de la commande publique, pour garantir le principe général de l'égalité d'accès à la commande publique, la transparence dans le choix et l'efficacité de l'action administrative, prescrit à l'administration de définir ses besoins, et impose aux entreprises de répondre dans le respect du règlement de la consultation. Le droit de la commande publique est antinomique de la pratique commerciale de la stratégie de l'offre. Le risque de fausser la concurrence et de rompre l'égalité de traitement est donc réel pour les fonctionnaires qui acceptent de faire appel à une entreprise pour rédiger le cahier des charges si cette collaboration ne s'inscrit pas dans un cadre préétabli, ou qui engagent des négociations avant tout appel à la concurrence. Au stade de l'expression des besoins, le fractionnement artificiel de marchés pour réduire ou supprimer les contraintes imposées par le code des marchés publics est analysé comme une pratique discriminatoire par le juge. De la même manière, un délai de publicité insuffisant, eu égard à l'importance du marché, peut être discriminatoire et porte alors atteinte au principe d'égalité des candidats dans les marchés, si seules quelques entreprises privilégiées, et a fortiori une seule, peuvent se porter candidates ou présenter une offre. L'octroi d'informations privilégiées accordées à un candidat au marché peut s'analyser comme une fuite organisée de renseignements. Le rédacteur du cahier des charges ou le décideur qui communiquerait à l'avance à un soumissionnaire des éléments déterminants romprait le principe d'égalité de traitement des candidats et serait susceptible de poursuites pénales. De même, est condamnable l'insertion de clauses techniques sur mesure dans le cahier des charges, alors qu'il est connu qu'elles ne pourront être satisfaites que par une seule entreprise, ou des éléments subjectifs tels que les réalisations précédentes "dans la région", la proximité de locaux (7), etc.; sont également condamnables l'omission de rejet d'une offre non conforme à l'objet du marché pour permettre à son titulaire de concourir, ou le recours à une procédure sans mise en concurrence, en dehors des cas prévus par le code des marchés publics.

Devoir de probité dans les marchés publics et sanctions pénales Les manquements au devoir de probité constituent des cas particuliers de responsabilité pénale des agents publics. Ces manquements sont définis au chapitre II du titre III du livre IV du NCP : "Des atteintes à l'administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique".

Les manquements commis lors de la passation de la commande publique En vertu de l'article 121-3 du NCP, " il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre". Cependant la jurisprudence considère que pour certains délits " l'intention coupable " découle de la nature même de l'infraction. Si une règle est transgressée alors que l'auteur est censé la connaître, les tribunaux considèrent que le fait de l'avoir transgressée peut être suffisant pour démontrer l'intention coupable. Cette intention, même dépourvue de toutes visées frauduleuses, est réputée coupable du seul fait de la violation d'une prescription légale ou réglementaire.

L'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics Créé par la loi n¡ 91-3 du 03 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marché, le délit d'octroi d'avantage injustifié, couramment appelé délit de favoritisme, est actuellement défini par l'article 432-14 du NCP (8) (voir encadré, p. 8). La loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques a étendu le champ de constatation du délit aux conventions de délégation de service public. Enfin, l'article 10 de la loi du 8 février1995 a soumis au texte les contrats passés par les SEM d'intérêt national chargées d'une mission de service public. Elle y a également inclus les contrats passés par les ÉPIC. La peine maximale encourue est de deux ans de prison et 200 000 F d'amende. Le juge adapte la peine à la personnalité du prévenu et au rôle qu'il a joué. Sauf si le juge décide d'en relever l'intéressé, elle est en revanche assortie du prononcé d'une peine d'interdiction d'inscription sur les listes électorales, en application de l'article L 7 du code électoral, dans sa rédaction issue de la loi organique du 19 janvier 1995 (J.O. du 21/01/1995). L'article 432-17 précise les peines complémentaires. (voir encadré p. 8). Il semble qu'un débat s'instaure sur la question de savoir ce qui constitue l'élément intentionnel. Il convient en réalité de discerner deux éléments intentionnels, de nature différente mais susceptibles de produire les mêmes conséquences en pratique : le premier est lié à la volonté délibérée de conférer à une entreprise un avantage, en lui permettant de remporter la compétition ou en n'organisant aucune mise en concurrence réelle sans motif objectif ; le second est de nature différente : il est lié à la volonté de se soustraire à des règles de procédure, pour échapper à des contraintes et à des contrôles, sans pour autant vouloir nécessairement avantager telle entreprise. La question se pose de savoir si les deux situations peuvent conduire de manière égale à une incrimination pour délit d'avantage injustifié. Pour sa part, la mission d'enquête sur les marchés publics et les délégations de service public (MIEM) s'attache toujours à démontrer l'élément intentionnel lié à la première hypothèse. La difficulté est plus grande d'apprécier le risque lié à une faute de la seconde catégorie, relevant de la violation du code des marchés, sans intention d'avantager spécifiquement une entreprise, mais dans le seul but de se soustraire à des formalités. Il semble que le Parquet retienne ce motif comme étant constitutif du délit. Il a été dans plusieurs affaires suivi par la juridiction de jugement. Si l'erreur a été commise de bonne foi, c'est-à-dire sans volonté de se soustraire à une règle mais en raison d'une mauvaise compréhension des textes, la MIEM paraît considérer que l'infraction pourrait ne pas être retenue. Toutefois, l'appréciation des faits reposera sur la qualification et la formation des agents. Ainsi la MIEM considère-t-elle que la difficulté de compréhension des textes est atténuée par le fait que " les fonctionnaires (...) qui passent des marchés sont des professionnels qui peuvent toujours obtenir l'aide ou l'assistance des services juridiques, administratifs et techniques de l'État (9). " La position de la MIEM doit être mise en regard des décisions de certains tribunaux correctionnels qui laissent supposer que l'intention résulterait de la seule signature du contrat en violation des procédures. Ce qui rejoint la position de la Cour de cassation à l'égard des professionnels. Les infractions ou tentatives d'infractions sanctionnées à ce jour par les tribunaux sont multiples : prévoir des clauses techniques sur mesure, donner des informations, faire jouer la préférence locale (10), sous-estimer des prestations offertes par une entreprise en en choisissant une autre, partager un marché entre plusieurs entreprises, minorer le marché et conclure ensuite des avenants, limiter la publicité à un journal local, réduire les délais de réception des offres. En revanche, il importe peu de rechercher si l'agent a ou non retiré un avantage en contrepartie du délit commis, l'article 432-14 ne visant que l'avantage injustifié procuré à autrui. De manière générale, l'article 432-14 du NCP n'impose pas de rapporter la preuve d'un lien de causalité entre la rupture d'égalité et l'attribution effective du marché puisque la seule tentative est sanctionnable. Il en sera ainsi des tentatives d'avantager une entreprise même si elle ne parvenait

pas à obtenir le marché. De la même manière, le prévenu ne peut invoquer la défaillance du contrôle de légalité pour limiter sa responsabilité. En effet, ce contrôle ne peut avoir pour effet d'effacer les irrégularités pouvant être commises par l'autorité concernée. En définitive, le juge se fonde sur le comportement de l'auteur et sur l'importance des textes méconnus pour déduire le caractère intentionnel de l'infraction, mais il recherche aussi si les irrégularités ont eu une incidence sur le marché passé et sont susceptibles d'avoir eu une incidence sur la décision prise (tribunal de Coutances). Il importe enfin de noter que la commission du délit de favoritisme peut s'accompagner de la commission d'autres délits dont l'existence sera prise en considération dans l'appréciation de la sanction. Par ailleurs, si la faute peut être considérée comme une faute de gestion, la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) est compétente (11). La CDBF est une institution originale. Juridiction de l'ordre administratif, mais à caractère répressif, elle prolonge et complète l'action de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes (CRC). Elle sanctionne des agents du secteur public pour des infractions qui incluent les irrégularités commises dans la passation et l'exécution de marchés publics. L'article L 313-6 du code des juridictions financières (12) définit l'avantage injustifié. On ne peut que souligner, en matière de marchés publics, la parenté entre la formulation de cet article et la définition du délit de "favoritisme" prévu à l'article 432-14 du code pénal. Mais c'est devant les juridictions pénales que les sanctions encourues sont les plus lourdes (13). Près de la moitié des 48 arrêts rendus par la CDBF au cours des dix dernières années porte sur des irrégularités relatives à la passation et à l'exécution de commandes publiques. La prise illégale d'intérêts L'article 432-12 du code pénal prohibe " le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ". Peuvent notamment être concernés les représentants de l'État au conseil d'administration des sociétés dès lors qu'ils exercent, pour le compte de l'État, une mission de surveillance de la société dont ils sont membres du conseil d'administration. Dans le délit de prise illégale d'intérêts (ou délit d'ingérence), le comportement est délictueux par le seul fait que le fonctionnaire contrevient volontairement aux prohibitions des articles 432-12 et 43213 du NCP (voir encadré p. 8). Il n'est pas nécessaire que l'agent public ait agi dans une intention frauduleuse (14). Il suffit qu'il ait pris sciemment un intérêt illégal dans une affaire soumise à sa surveillance ou qu'il administrait (15). Cette situation peut se réduire à de simples pouvoirs de préparation ou de proposition de décisions prises par d'autres. L'agent doit prendre, recevoir ou conserver quelque intérêt que ce soit dans l'opération ou l'entreprise. Le délit peut être caractérisé même en l'absence de gain ou avantage personnel (16). La seule mise en place du dispositif juridique devant déboucher sur l'avantage suffit. Sauf cas exceptionnels (art. 122-4 du code pénal), l'autorisation accordée par l'administration à l'agent ne constitue pas une cause exonératoire de sa responsabilité pénale. L'ingérence est un délit continu. Le délai de prescription court donc à partir du moment où cesse le délit. Ces agissements peuvent ainsi être réprimés même s'ils sont découverts plus de trois ans après la prise d'intérêts. La peine encourue est de cinq ans de prison et 500 000 F d'amende. Les peines complémentaires sont précisées à l'article 432-17 du NCP. Le faux et usage de faux Le faux ou l'usage de faux commis par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, agissant dans l'exercice de ses fonctions, est un crime puni d'une peine de quinze ans de réclusion criminelle et de 1 500 000 F d'amende (article 441-1 du NCP). La

tentative de commettre ce crime est passible des mêmes peines en application de l'article 441-9 du NCP. L'intention coupable de l'agent résulte, quel que soit son mobile, de sa conscience de l'altération de la vérité. Le juge du fond apprécie souverainement l'existence d'une intention frauduleuse en cette matière. La soustraction ou le détournement de biens L'article 432-15 du NCP réprime ces faits. Ces infractions dans la commande publique concernent la soustraction d'actes d'engagement, en tout ou en partie, afin de fausser le jeu de la concurrence ou de minorer les dépenses publiques pour en détourner une partie, sous l'habillage de fausses factures. La peine prononcée pour cette infraction peut aller jusqu'à dix ans de prison et 1 MF d'amende.

L'exemple du principal délit commis lors de l'exécution d'un marché public : abus de biens sociaux et recel Les articles 321-1, 321-9 et 321-12 du NCP concernent l'abus de biens sociaux (ABS) et son recel. La qualification de recel de ce délit trouve à s'appliquer à l'agent public qui a bénéficié de fonds ou prestations provenant d'un usage, contraire à l'intérêt d'une société, du crédit ou de biens lui appartenant. Ce délit pourra être établi contre un agent public, notamment dans les dossiers de fausses factures ou de surfacturations avec rétrocession d'une partie du gain au commanditaire public. L'élément intentionnel du recel consiste dans la connaissance de l'origine frauduleuse des choses recelées. Par exemple, afin de justifier sa décision de déclarer le prévenu coupable de recel d'ABS, la cour d'appel relève qu'il a bénéficié de travaux effectués dans une résidence lui appartenant et réglés par une société au moyen de fonds qu'il savait provenir de versements indus (17). Ce délit est fréquemment retenu, et ce pour différentes raisons. En effet, d'une part, il accompagne très souvent la commission d'autres infractions telles que la corruption ou le trafic d'influence. D'autre part, la relative facilité avec laquelle il peut être établi ainsi que le caractère de délit continu de l'infraction permettent de poursuivre les comportements frauduleux bien au-delà de la date de prescription de ces autres délits.

Les manquements commis lors des deux étapes de la procédure de conclusion d'un marché public La corruption passive et le trafic d'influence sont punis de dix ans d'emprisonnement et de 1 MF d'amende par l'article 432-11 du NCP. La corruption passive (18) Elle vise une personne investie d'une fonction publique qui sollicite ou accepte un don, une offre ou une promesse, un présent ou un avantage quelconque en vue d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte entrant directement ou indirectement dans le cadre de ses fonctions. L'élément intentionnel réside dans le grief de vénalité (19). Le délit de corruption suppose l'antériorité de l'offre par rapport à l'acte (20). La simple sollicitation de dons suffit à consommer l'infraction. La difficulté, s'agissant de ce délit, est de pouvoir mettre en avant tous ses éléments constitutifs, notamment l'existence du pacte de corruption, nécessairement antérieur à l'acte de corruption lui-même, et qui présente dans presque tous les cas un caractère occulte. Le trafic d'influence (21) C'est l'agissement par lequel la personne en cause use du crédit qu'elle possède, ou que l'on croit qu'elle possède, du fait de sa position, en vue de faire obtenir d'une autorité publique ou d'une administration, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable. Peu importe que la décision sollicitée soit parfaitement régulière et légitime. Ce qui est déterminant pour la réalisation

de ce délit, ce sont les moyens singuliers par lesquels cette décision est intervenue. Le respect des règles et des procédures est un principe de bonne gestion qui se suffit à lui-même. Il faut avoir désormais conscience que le non-respect des règles définies au code des marchés peut relever du droit pénal, notamment lorsqu'elles entraînent, du fait d'une rupture d'égalité entre les candidats, l'octroi à l'un d'entre eux d'un avantage injustifié. Il s'agit d'une évolution à laquelle il convient d'être particulièrement attentif, au-delà des aspects éthiques du respect du droit, auxquels chacun est spontanément sensible (22). L'évolution des demandes de conseil adressées à la Commission centrale des marchés - tant dans leur nombre que par leur nature - montre la recherche d'une amélioration constante des pratiques de la passation des contrats. Elle révèle également les difficultés rencontrées pour concilier efficacité et strict respect de la lettre des textes, tant pour des situations courantes liées à l'urgence impérieuse que pour la mise au point de contrats complexes ou à fort contenu conceptuel. En cette matière, la prévention des manquements doit passer par le respect des deux principes de transparence des décisions et d'efficacité de l'action administrative, qui fondent le droit de la commande publique. Elle passe aussi par une clarification des textes, mettant fin à ce "droit de l'interstice" (23) qui peut conduire à l'erreur des agents de bonne foi mais permet à d'autres de jouer sur certaines de ses ambiguïtés pour s'affranchir des principes de base. Ces éléments militent pour une réforme du droit de la commande publique dans le droit-fil des articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (24). Articles du nouveau code pénal relatifs aux atteintes de l'État De la prise illégale d'intérêts Art. 432-12 : Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende. Toutefois, dans les communes comptant 3 500 habitants au plus, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent chacun traiter avec la commune dont ils sont élus pour le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services dans la limite d'un montant annuel fixé à 100 000 F. En outre, dans ces communes, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent acquérir une parcelle d'un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d'habitation avec la commune pour leur propre logement. Ces actes doivent être autorisés, après estimation des biens concernés par le service des domaines, par une délibération motivée du conseil municipal. Pour l'application des trois alinéas qui précèdent, la commune est représentée dans les conditions prévues par l'article L 122-12 du Code des communes et le maire, l'adjoint ou le conseiller municipal intéressé doit s'abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou à l'approbation du contrat. En outre, par dérogation au deuxième alinéa de l'article L 121-15 du Code des communes, le conseil municipal ne peut décider de se réunir à huis clos. Art. 432-13 : Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 F d'amende le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire public ou agent ou préposé d'une administration publique, à raison même de sa fonction, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée, soit d'exprimer son avis sur les opérations effectuées par une entreprise privée, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de cinq ans suivant la cessation de cette fonction. Est punie des mêmes peines toute participation par travail, conseil ou capitaux dans une entreprise privée qui possède au moins 30 % de capital commun ou a conclu un contrat comportant une exclusivité de droit ou de fait avec l'une des entreprises mentionnées à l'alinéa qui précède.

Au sens du présent article, est assimilée à une entreprise privée toute entreprise publique exerçant son activité dans un secteur concurrentiel et conformément aux règles du droit privé. Ces dispositions sont applicables aux agents des établissements publics, des entreprises nationalisées, des sociétés d'économie mixte dans lesquelles l'État ou les collectivités publiques détiennent directement ou indirectement plus de 50 % du capital et des exploitants publics prévus par la loi nû90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications. L'infraction n'est pas constituée en cas de participation au capital des sociétés cotées en Bourse ou lorsque les capitaux sont reçus par dévolution successorale. Des atteintes à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public Art. 432-14 : Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 F d'amende le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics et des sociétés d'économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l'une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. Peines complémentaires Art. 432-17 : Dans les cas prévus par le présent chapitre, peuvent être prononcées, à titre complémentaire, les peines suivantes : - l'interdiction des droits civiques et de famille, suivant les modalités prévues par l'article 131-26 ; - l'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27, d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle, l'infraction a été commise ; - la confiscation, suivant les modalités prévues par l'article 131-21, des sommes ou objets irrégulièrement reçus par l'auteur de l'infraction, à l'exception des objets susceptibles de restitution ; - dans le cas prévus par l'article 432-7, l'affichage ou la diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues par l'article 131-35. (Note 1) T.C.14/1/1935, Thépaz, Lebon, p. 224. (Note 2) Cassation criminelle, 11/1/1956, Bulletin criminel, n¡ 38 ; Cassation criminelle, 21/11/1985, Bulletin criminel, n¡ 370. (Note 3) Cassation criminelle, 22/06/1994, Bulletin criminel n¡ 247. (Note 4) On notera que l'article 25 du statut général impose la désobéissance si deux conditions sont réunies : illégalité manifeste de l'ordre et atteinte grave à un intérêt public ; cependant que l'article 122-4 du code pénal n'exige que la condition relative à l'inégalité manifeste comme condition à l'irresponsabilité pénale. (Note 5) MIEM, 4e rapport d'activité, année 1996, p. 23. (Note 6) Cassation criminelle, 25/04/1994, Bulletin criminel n¡ 203 ; Cassation criminelle, 12/07/1994, Bulletin criminel n¡ 280. (Note 7) C.E. du 9/07/1975, Ville des Lilas, " pour écarter la candidature (...) le bureau de l'adjudication s'est fondé sur la circonstance que les dépôts et garages de cette société étaient trop éloignés de la ville des Lilas ". (Note 8) Ce délit consiste, pour un acheteur public, à octroyer un avantage injustifié à une entreprise en n'appliquant pas les règles d'égalité et de publicité prescrites par la réglementation des marchés publics. (Note 9) Pancrazi G., "Les difficultés d'application du délit d'avantage injustifié dans les marchés et les conventions de délégation de service public", Gazette du palais, 14 / 03/1995, p. 7. (Note 10) Tribunal correctionnel d'Avranches, 26/03/1995. Cependant, une décision récente accueille la sauvegarde de l'intérêt local (favoriser des entreprises locales) avec bienveillance (TGI de Coutances, 30/09/1997). (Note 11) Voir article "La Cour de discipline budgétaire et financière face aux fautes de gestion" dans le n¡ 47 des NBB (16 au 30 septembre 1994). (Note 12) " Avoir procuré ou tenté de procurer à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité, etc. " (Note 13) Descheemaeker C., "La responsabilité des gestionnaires", septembre 1996, AJDA, p. 672. (Note 14) NCP, p. 519. (Note 15) TGL d'Orléans, 5/06/1996. En tant que président du syndicat intercommunal, le prévenu avait la surveillance de tous les contrats et actes passés en son nom. (16;) Cassation criminelle, 2/11/1961, Bulletin criminel n¡ 438. (Note 17) Cassation criminelle, 10/07/1995, Bulletin criminel n¡ 253. (Note 18) Cassation criminelle, 6/06/1983. Il résulte cependant que ces dons tendaient à l'accomplissement par R.R. d'actes qui, bien qu'en dehors de ses attributions personnelles, étaient facilités par sa fonction. (Note 19) TGI de Douai (5/12/ 1995) concernant un fonctionnaire territorial (directeur du service voirie) : " (...) il apparaît que les prestations exigées et fournies par les entreprises sont sans commune mesure avec les traditionnels cadeaux d'entreprise (...) ont été données dans la perspective de marchés futurs ou dans l'attente de la réception de travaux. " (Note 20) P. Truche et M. Delmas-Marty, L'État de droit à l'épreuve de la corruption, Mélanges en l'honneur de Guy Braibant, Dalloz, 1996, p. 720. (Note 21) TGI Rouen (13/06/1996) : " (...) le fournisseur avait tout intérêt de se soumettre aux volontés du donneur d'ordre (agent territorial contractuel) quand celui-ci sollicitait un avantage. " (Note 22) Les agents publics peuvent ne pas être les seuls à être mis en cause. La responsabilité pénale des élus locaux est également, au même titre, susceptible d'être mise en jeu. (Note 23) M. L. Pitois-Pujade, "Marchés publics : pourquoi et comment réformer ?" Annales des Ponts et chaussées, 1997, n¡ 84, p. 11-19. (Note 24) Article 14 de la DDHC " Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. " Article 15 : " La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration."

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