La publicité pour le cinéma à la télévision, encore un tabou !

Exception culturelle. Alors, quelles en sont les raisons ? Pre- mièrement, le renchérissement des campagnes de sortie. Comme la publi- cité directe n'existe pas, ...
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Débat

La publicité pour le cinéma à la télévision, encore un tabou ! Il est un sujet que l’on évoque peu en France : la diffusion de publicités pour le cinéma sur le petit écran. Face aux bouleversements actuels, le secteur de la distribution peut-il encore faire l’économie de ce débat ?

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andis que l’industrie cinématographique est accaparée par la révolution numérique qui s’impose peu à peu – dans les salles de cinéma, les laboratoires et les habitudes de travail des distributeurs –, un sujet reste tabou en France : la diffusion de publicités pour le cinéma à la télévision. Si avec le décret du 27 mars 1992, certains secteurs interdits jusqu’alors à la promotion télévisuelle en ont été affranchis, le cinéma n’est pas concerné. Les spots publicitaires dédiés ne sont diffusés que sur les chaînes par abonnement à option cinéma. D’après le Centre national du cinéma et de l’image animée, la part d’achats d’espaces publicitaires sur le support télévision représentait 0,7 % des frais d’édition des films d’initiative française en 2009… soit une part minime. Alors que la télévision reste, après le bouche à oreille, le medium référent pour la majorité des spectateurs, et que débarque la télévision connectée, pourquoi n’a-t-on pas encore sauté le pas ? Si ce statu quo touche toutes les catégories professionnelles, du producteur au distributeur, en passant par le vendeur international et l’exploitant – sauf les distributeurs s’appuyant sur de grands groupes audiovisuels, telle la SND –, la question ne cesse de trotter dans les esprits.

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Alors, quelles en sont les raisons ? Premièrement, le renchérissement des campagnes de sortie. Comme la publicité directe n’existe pas, le cinéma a depuis longtemps trouvé une parade en faisant de la promo sur les antennes via une éditorialisation, à l’instar des modules réalisés par AlloCiné pour France 2, des interviews d’acteurs dans les journaux télévisés… Les chaînes aident ainsi les films qu’elles préachètent en leur offrant une couverture médiatique gratuite. Introduire la publicité pour le cinéma à la télé aurait du coup, comme conséquence immédiate, l’explosion des coûts. Or, selon les statistiques du CNC, le budget moyen de promotion d’un film français frôlait déjà les 300 000 € en 2009. A part les grosses productions hexagonales et les studios américains, les autres n’auraient donc pas les moyens de financer une campagne de pub sur petit écran. Une objection que réfute

le Syndicat national de la publicité télévisée par la voix de son délégué général, Nicolas Braganti. “Tout le monde est capable de trouver sa place compte tenu de l’offre pléthorique. Le marché de la publicité a changé, il est aujourd’hui accessible à tous, tous les tarifs sont possibles. Le temps où les six chaînes gardaient leur pré carré est terminé. Un distributeur de films peut lancer une campagne ciblée pour un prix allant jusqu’à 500 € brut sur la TNT et jusqu’à 150 € brut le spot sur le câble. Tout dépend de la chaîne et de l’heure de passage choisies”, précise-t-il. Christophe Courtois, de la SND, renchérit, en insistant sur la possibilité de créer une communication ciblée, destinée à des niches très définies. Les grands circuits commercialisent les bandes-annonces et profitent déjà, plus que les autres salles, de ces revenus additionnels avec des tarifs dignes d’un passage télé (100 000 € la case Gold, diffusion dans le noir) et certains multiplexes font de la publicité pour des émissions de télévision. Deuxième élément avancé par toutes les catégories interrogées (FNCF, ARP, distributeurs indépendants, CNC, exploitants, vendeurs…) : notre sacro-sainte exception culturelle. Elle peut paraître, aux yeux de Bruxelles, défendue bec et ongles, mais les chif-

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Exception culturelle

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fres ne lui donnent pas tort. Sans publicité cinéma à la télévision, la France reste la championne en termes de fréquentation dans les salles avec, l’an passé, plus de 206 millions de spectateurs. La part du film français est bien plus importante que dans les pays avoisinants avec, au premier trimestre 2011, une PdM des films français atteignant les 44,6 %, celle des films américains, 38,4 %, et celle des autres films, 17 % (source CNC).

Quid à l’étranger ? En observant les résultats dans les Etats frontaliers, surtout en Allemagne et en Italie, deux types de cinématographie ont, au fil du temps, vu le jour : les films ayant un budget pub télé et les autres n’en ayant pas. Une décision qui se prend en amont, puisqu’il faut compter 300 000 € à 400 000 € de frais supplémentaires. De facto, la distinction ne se fait plus entre films d’auteur et films commerciaux, mais entre films destinés aux multiplexes et films projetés dans les salles d’art et d’essai sans support promotionnel télévisé. La publicité a-t-elle permis la hausse de la fréquentation là-bas ? La diversité est-elle préservée ? Les films étrangers sont-ils bien exposés ? Sans conteste, la réponse est non. L’unique conséquence est l’augmen-

tation des budgets, puisque la promotion d’un film ne se passera pas pour autant d’affichage, un gros poste dans les plans de sortie. Pour voir les effets de concentration que peut entraîner l’autorisation de la publicité, il suffit d’examiner le cas du DVD, qui bénéficie du droit de pub. On ne constate pas la diversité des éditeurs, bien au contraire ! Aux Etats-Unis, où le maillage des salles est beaucoup moins serré, la publicité pour le cinéma à la télévision est monnaie courante, grevant les budgets des majors, à tel point que sortir un film est devenu tellement cher qu’elles ont baissé leur volume de production de 20 %, et que les producteurs de films d’auteur plus modestes ont tendance à disparaître. On comprend pourquoi les distributeurs tentent de trouver des moyens de distribution alternative afin de minimiser les coûts de sortie (Netflix, VàD). Chez nous, le débat n’est pas encore à l’ordre du jour, mais il ne saurait tarder. L’application des décrets SMAD devrait soulever le sujet de la publicité autorisée sur les plateformes vidéo. Qu’en sera-t-il des chaînes telles que AlloCiné TV passant par l’IP ? Sera-t-elle astreinte à cet inter-dit ? Si elle propose une programmation dédiée au cinéma, n’aura-t-elle pas le droit, au même titre que TPS Star ou CinéCinéma, d’y avoir recours, elle aussi ? Au vu de la chute de la fréquentation dans les salles, depuis le début de l’année 2011, qui frappe durement la petite et moyenne exploitation, et qui commence à toucher les multiplexes, la réflexion ne devrait-elle pas être relancée ? Serait-il possible, sans enfreindre les règles de la concurrence, de proposer un cadre réglementaire strict qui ne favorise pas les plus gros ? Ne peut-on pas réfléchir à des partenariats ou des placements de produits d’affiches cinéma dans les fictions télé ? L’heure ne paraît pas à la discussion. L’arrivée très prochaine des télévisions connectées et l’importance prise par la publicité pour le cinéma sur le Web ne pourront néanmoins pas empêcher que l’on continue à se poser cette question épineuse. Il est sûrement urgent d’attendre ! ■ ■ ■ Emma Deleva

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