La peau s'expose à Québec

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La peau s’expose à Québec par Lise Montas

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culières, autant de clefs pour MUSÉE DE LA CIVILISAsaisir ce que la peau tente TION DE QUÉBEC présente d’exprimer ou ce que l’on en ce moment une grande essaie de lui faire dire. Obexposition consacrée exjets anciens, œuvres contemclusivement à la peau huporaines, œuvres photomaine. Intitulée « Parole de graphiques, installations et peau », l’exposition propose œuvres d’art classique se un métissage de l’art, de la côtoient. science médicale et de l’anLe corps dépouillé de thropologie à partir d’objets l’écorché illustre la distance provenant de prestigieuses que l’être humain met entre collections américaines et lui-même et son propre européennes. William Pink, Smugglerius, d’après Carlini de William Hunter. Plâtre, 1834 (oricorps. Devenu objet d’obserDès l’entrée, le surprevation, le corps a perdu un nant Smugglerius, un écor- ginal 1775), Royal Academy of Arts, Londres. ché réalisé en plâtre par William Pink, en 1834, nous in- peu de son mystère, laissant à l’être qui l’habite le soin de terpelle. Plus nous avançons dans la salle, plus la question se refaire une identité. La peau humaine, organe vivant, a de l’identité et de l’intégrité de l’homme moderne se pose cette particularité d’être un organe visible, reflet de l’indià nous et nous transpose. Des pratiques courantes ou loin- vidu, et l’un des vecteurs de sa communication avec autaines, des techniques anciennes ou contemporaines, des trui. Selon les époques, les cultures et les lieux, la peau a été rituels initiatiques ou symboliques attirent notre attention. émettrice de signes et porteuse d’une charge symbolique. Au fil de l’exposition, certains ornements, tels que les laNous découvrons des images que nous avons intériorisées ou exorcisées, ainsi que des conventions et des règles que brets, suscitent notre intérêt. Les labrets buccaux d’Éthiopie sont portés par les jeunes filles Surma à l’âge du manous essayons de déjouer ou de reconnaître. Les objets sont regroupés autour de thématiques parti- riage (20 ans). Une incision dans la lèvre inférieure permet

Photos : Jacques Lessard.

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Geneviève Cadieux, La fêlure au cœur des corps, 1990, collection Musée du Québec.

Le Médecin du Québec, volume 38, numéro 5, mai 2003

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Photo : Jacques Lessard.

sent leur barbe dans un filet de réd’insérer un bâtonnet qui sera remsille, alors qu’un turban en pointe placé ensuite par des bâtonnets plus enveloppe leur chignon. volumineux. Le labret en terre cuite Plusieurs objets illustrent l’initiaest une parure. tion dans diverses sociétés où le Un dilatateur en bois, en provepassage à l’âge adulte est marqué nance du Brésil, est un cylindre despar un rituel. L’adolescent doit faire tiné à agrandir la perforation du preuve de courage et d’endurance. lobe de l’oreille chez les Indiens En Amazonie, il doit, par exemple, d’Amazonie. Quant au perçage, il supporter avec sang-froid et imest pratiqué dans les cultures tradipassibilité les morsures des fourmis tionnelles, à des fins religieuses, Atta introduites à l’intérieur d’un esthétiques ou identitaires. Les incigant. La scarification constitue égasions dans la peau sont ornementées lement un rite initiatique. On end’os, anneaux ou flèches. Ces signes taille la peau, en Amazonie, au de courage et de résistance à la doumoyen d’une dent d’agouti (petit leur marquent aussi la place de l’inrongeur). La cicatrisation se fait à dividu au sein de son groupe. Les techniques de perçage sont Table de toilette, époque gréco-romaine. Travertin, marbre, l’aide de feuilles de roucou. Le corps bronze. Deutsches Hygiene-Museum, Dresde. est ensuite enduit de genipapo, utilisées en Occident depuis des générations. Au Moyen-Âge, celui qui portait l’anneau à arbre dont le fruit produit un jus bleu foncé noircissant au l’oreille était un l’étranger venu d’Orient, qui portait les contact de la peau qui, ainsi, restera marquée pour la vie. En suivant les différentes sections de l’exposition, on stigmates de la différence et de l’exclusion. Les origines du tatouage sont mal connues. On sait que constate que la peau est une tablette d’écriture qui identiles Inuits et certains peuples aborigènes d’Amérique pra- fie la personne et sur laquelle s’inscrivent des marques natiquaient cet art bien avant l’arrivée des Européens. Le mot turelles et culturelles La peau constitue aussi une frontière « tatouage » est issu du terme polynésien « tatau » qui si- qui nous sépare du monde extérieur. Elle est un organe de gnifie « dessin écrit sur la peau ». Les tatouages japonais communication avec notre entourage, mais aussi un vésont déjà mentionnés dans des textes chinois de la dynas- hicule de nos émotions. Les soins de la peau sont évoqués par de nombreux obtie Han (206 av. J.-C. – 200 ap. J.-C.). Décrié par l’Église en Occident, le tatouage a connu néanmoins un engoue- jets, comme les pots à onguent et les flacons à parfum. ment particulier dans la haute société européenne et amé- Pendant l’Antiquité, en Égypte, la peau est frottée avec du ricaine du XIXe siècle, avant de devenir, beaucoup plus natron, ce limon du Nil aux propriétés bienfaisantes. En tard, le signe distinctif de certains groupes marginaux. À Grèce, on prend des bains parfumés à l’ambroisie ; le corps cet égard, on peut admirer des instruments de tatouage fait l’objet de massages aux huiles odorantes. Et c’est en Italie que les thermes se développent. Les prêtres égyptiens polynésiens. De la perruque bleutée et enduite d’onguent odorant sont considérés comme les premiers parfumeurs. Ils utilides belles Égyptiennes, aux coiffures extravagantes des saient les onguents et les huiles parfumées afin d’insuffler dames à la Cour du Roi-Soleil, se déroule devant nos yeux l’âme divine aux statues et d’animer les momies. Les moulages du Musée de l’Hôpital Saint-Louis de Paris tout un pan de l’histoire de la parure féminine. Ce souci du paraître concerne toutefois les hommes également, eux ont permis, dès le milieu du XIXe siècle, de faciliter l’étude qui ont porté les cheveux longs et la perruque jusqu’à la des différents aspects des affections dermatologiques. Le Révolution française. modeleur Jules Baretta a réalisé plusieurs milliers de mouLes Sikhs, fidèles à Shiva, dont la chevelure est le sym- lages, ce qui constituait à l’époque une importante innobole de la générosité des dieux, ont fait du port de la barbe vation dans l’enseignement de la dermatologie. Il a été raet des cheveux longs l’un de leurs signes distinctifs. Ils pidement imité à travers l’Europe et l’Amérique. On peut conservent leurs cheveux intacts durant toute leur vie, ils voir plusieurs de ses moulages de cire à Québec. les roulent et les nouent sous un turban. Ou encore, ils écraL’exposition prendra fin le 31 août 2003. c

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Le Médecin du Québec, volume 38, numéro 5, mai 2003