Inaptitude physique: perspectives ouvertes et incertitudes induites par ...

Depuis la loi Rebsamen, si l'avis du médecin du travail mentionne que le maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé, ...
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GRP : feuillet⊕rapide JOB : fiscal⊕social DIV : mp⊕S25⊕regroupe1 p. 4 folio : 5 --- 3/12/015 --- 14H29

Actualité

Extraits du FRS 25/15

I Inaptitude physique : perspectives ouvertes et incertitudes induites par la loi Rebsamen EXECUTION DU CONTRAT

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Depuis la loi Rebsamen, si l’avis du médecin du travail mentionne que le maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé, l’employeur, dispensé de son obligation de reclassement, peut rompre le contrat de travail. Pour Frédéric Danneker, avocat, ce nouveau régime, limité à l’inaptitude d’origine professionnelle, pourrait être étendu, par le juge, à l’inaptitude non professionnelle.

1 L’article 26 de la loi 2015-994 du 17 août 2015, dite « loi Rebsamen », a apporté des modifications à différentes dispositions insérées dans la quatrième partie du Code du travail (santé et sécurité au travail). C’est cependant une phrase ajoutée par cet article 26 à une disposition législative – l’article L 1226-12 – de la première partie dudit Code, relative aux relations individuelles de travail, qui a le plus retenu l’attention des commentateurs. Jusque-là, en application de l’article L 1226-12, la rupture du contrat de travail du salarié dont l’inaptitude était d’origine professionnelle supposait que l’employeur justifie soit de l’impossibilité du reclassement soit du refus du salarié du reclassement proposé. Dans ces deux hypothèses, l’employeur est au préalable tenu de mettre en œuvre, de bonne foi, son obligation de reclassement, laquelle est une obligation de moyen.

Certainement guidé par un souci de pragmatisme, le législateur autorise l’employeur, depuis le 19 août 2015 précisément, à rompre le contrat de travail d’un salarié déclaré inapte consécutivement à un accident du travail ou à une maladie professionnelle dans une troisième hypothèse, à savoir « si l’avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ». 2

Frédéric Danneker est avocat au barreau de Paris (cabinet Danneker). Il développe une activité de conseil et de défense en droit du travail et protection sociale pour les entreprises et les particuliers. Précédemment juriste en droit social et DRH dans de grandes entreprises, il est titulaire d’un DESS en droit social et relations professionnelles.

L’aspect novateur de cette troisième hypothèse est d’affranchir l’employeur, sous conditions, de son obligation de reclassement.

Une application limitée à l’inaptitude d’origine professionnelle 3 Les observateurs ont aussitôt souligné que cette nouvelle possibilité de rupture du contrat de travail du salarié inapte était réservée, aux termes mêmes de la loi, à l’inaptitude d’origine professionnelle. Toutefois, il convient de rappeler que, lorsque l’inaptitude est consécutive à une maladie ou à un accident non /

Editions Francis Lefebvre e FRS 25/15

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GRP : feuillet⊕rapide JOB : fiscal⊕social DIV : mp⊕S25⊕regroupe1 p. 5 folio : 6 --- 3/12/015 --- 14H47

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Actualité EXECUTION DU CONTRAT H

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professionnel, le législateur n’a pas prévu les conditions permettant de justifier un licenciement pour inaptitude. C’est la jurisprudence (antérieure à la loi Rebsamen) qui est venue préciser que le licenciement d’origine non professionnelle devait être justifié par les mêmes motifs que ceux prévus à l’article L 1226-12 du Code du travail en cas de licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle : impossibilité de reclassement ou refus par le salarié du poste de reclassement proposé. Il n’est donc pas à écarter que, en l’absence de dispositions légales prévoyant expressément les conditions permettant de justifier un licenciement pour inaptitude non consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, la jurisprudence vienne étendre à l’inaptitude d’origine non professionnelle la nouvelle possibilité de rupture insérée à l’article L 1226-12 précité.

auprès de la caisse pour obtenir une prise en charge au titre des affections professionnelles (Cass. soc. 17-1-2006 no 0441.754). Dans ces situations, dans lesquelles, pour autant, la reconnaissance du caractère professionnel de l’affection est incertaine, la possibilité désormais prévue à l’article L 1226-12 du Code du travail de rompre le contrat de travail du salarié inapte aurait donc vocation à s’appliquer en cas d’avis du médecin du travail mentionnant expressément que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé.

« En cas de doutes, l’employeur aura tout intérêt à interroger par écrit le médecin du travail sur la portée exacte de l’avis rendu »

4 Il serait d’ailleurs souhaitable, pour la cohérence du dispositif relatif à l’inaptitude, que la jurisprudence emprunte cette voie, car il peut être juridiquement discutable que les conditions pour justifier d’un licenciement pour inaptitude soient plus souples en présence d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle qu’en présence d’un accident ou d’une maladie non professionnelle. En effet, la législation tend à assurer une protection particulière aux victimes d’affections d’origine professionnelle.

Quelques précautions à prendre en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle 5 Les dispositions de l’article L 1226-2 du Code du travail enjoignent à l’employeur de proposer au salarié inapte à la suite d’une maladie ou d’un accident non professionnel « un autre emploi approprié à ses capacités ». Si le médecin du travail a délivré un avis d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise, en pratique, il conviendra pour l’employeur de lui demander par écrit des précisions sur les mesures envisageables pour reclasser le salarié. Dans deux arrêts récents, rendus en application des textes applicables avant la promulgation de la loi Rebsamen, la Cour de cassation a jugé que l’employeur n’avait pas l’obligation d’effectuer de nouvelles recherches de reclassement, dès lors que le médecin du travail lui avait précisé que tout reclassement du salarié était exclu en raison d’un danger pour sa santé et sa sécurité (Cass. soc. 24-6-2015 no 13-27.875 : RJS 11/15 no 707) ou que l’état de santé du salarié était incompatible avec l’exercice d’une quelconque activité dans l’entreprise (Cass. soc. 24-6-2015 no 14-10.163 : RJS 11/15 no 707).

La notion élargie d’inaptitude d’origine professionnelle 6 Dans quel cadre se situer (inaptitude d’origine professionnelle ou non professionnelle) lorsque la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie du salarié est incertaine ? La Cour de cassation juge, de manière constante, que le statut protecteur accordé aux victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles s’applique dès que l’employeur a connaissance de l’origine professionnelle de son affection (Cass. soc. 10-7-2002 no 00-40.436 ; Cass. soc. 23-9-2009 no 0841.685). Elle considère que c’est nécessairement le cas lorsque l’employeur est informé que le salarié a engagé une procédure

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Attention à bien respecter le formalisme

7 Si l’employeur peut être dispensé de son obligation de reclassement et rompre le contrat de travail du salarié inapte consécutivement à un accident du travail ou une maladie professionnelle, c’est à la condition que « l’avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ». Il conviendra, avant d’engager la procédure de licenciement du salarié inapte à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, sans mettre en œuvre l’obligation de reclassement, de vérifier que les termes de l’avis du médecin du travail sont strictement conformes aux nouvelles dispositions. En cas de doutes, l’employeur aura tout intérêt à interroger par écrit le médecin du travail sur la portée exacte de l’avis rendu : celui-ci implique-t-il que le maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé, au sens de l’article L 1226-12 du Code du travail ? On peut en effet penser que l’avis du médecin du travail mentionné par ce texte vise l’avis d’inaptitude lui-même mais aussi, le cas échéant, l’avis qu’il peut donner dans un courrier adressé à l’employeur postérieurement à l’avis d’inaptitude.

8 En pratique, et jusqu’à présent tout au moins, il était plus fréquent que l’avis du médecin du travail mentionne, le cas échéant, l’inaptitude à tout poste dans l’entreprise plutôt que le caractère gravement préjudiciable à sa santé d’un maintien du salarié dans l’entreprise. En présence d’un avis stipulant exclusivement l’inaptitude à tout poste dans l’entreprise, à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, l’employeur est toujours tenu de respecter son obligation de reclassement, les possibilités de transformation de postes de travail ou d’aménagement du temps de travail faisant partie des mesures que l’employeur est tenu d’envisager à cette fin (C. trav. art. L 1226-10). Il conviendra alors que l’employeur, là encore, demande par écrit des précisions au médecin du travail sur les mesures envisageables pour reclasser le salarié. Si ce dernier répond qu’aucune mesure n’est envisageable, l’employeur aura quand même intérêt, par précaution, à lui faire préciser par écrit si son avis implique que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé, au sens de l’article L 1226-12 du Code du travail. 9 En conclusion, il sera particulièrement intéressant d’analyser les premières décisions des juges du fond sur l’application de cette nouvelle disposition, avant que la Cour de cassation n’en soit saisie. C’est en effet l’œuvre prétorienne qui viendra en l’espèce, comme souvent en droit du travail, clarifier l’application des textes de loi.