Immatriculer son entreprise : l'impact indirect de la loi Macron

10 juin 2015 - groupement d'intérêt économique (G.I.E.) regroupant les principaux greffes des tribunaux de commerce français. Depuis 1986, les greffes ont ...
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10 JUNE 2015

Immatriculer son entreprise : l’impact indirect de la loi Macron Malo de Braquilanges Diplômé de Sciences Po Paris. Sous la direction de Pierre Aïdan, docteur en droit et diplômé de Harvard.

Chroniques juridiques

Temps de lecture : 3 min

Publié le 10 juin 2015 Immatriculer son entreprise, c’est-à-dire pour une société, effectuer les formalités de création auprès du greffe compétent, est aujourd’hui possible en ligne, notamment via le site Infogreffe. Ce site a été mis en place par un groupement d’intérêt économique (G.I.E.) regroupant les principaux greffes des tribunaux de commerce français. Depuis 1986, les greffes ont œuvré pour la  dématérialisation  des formalités juridiques liées à la création de sociétés, d’abord grâce au minitel puis via Internet. Infogreffe permet non seulement d’immatriculer son entreprise en ligne mais aussi d’obtenir via Internet des informations concernant les entreprises: copie des statuts, extraits K-bis, copie intégrale des comptes annuels, etc.. Chaque copie d’acte est payante. Un extrait K-bis coûte environ 4 euros. Ce site est aujourd’hui très sollicité par les entreprises qui apprécient sa simplicité d’utilisation*.  Toutefois, ce modèle semble en partie remis en cause. Le projet de la loi Macron entend  rendre public et gratuit l’accès aux informations dont disposent les greffes. Cet objectif s’inscrit dans le cadre plus général de la politique Open Data  menée par le Gouvernement depuis plusieurs années sous l’impulsion de la mission Etalab/SGMAP. L’idée est non seulement de mettre gratuitement à disposition de public les données publiques** mais aussi de favoriser les innovations permettant l’exploitation de ses données par le public. De leur côté, les représentants des greffes considèrent qu’une telle politique serait, à terme, contre-productive. En amputant considérablement leur budget, la mise en œuvre de cette réforme pourrait mettre en frein au processus de dématérialisation des formalités et ainsi pénaliser les entreprises.  Qu’en est-il ?

La situation actuelle Une des missions des greffes des tribunaux de commerce est de collecter les informations fournies représentant légal pour  immatriculer son entreprise en France. Immatriculer son entreprise à l’étranger nécessite des démarches différentes qui ne sont pas traitées ici.  Les greffes collectent également des données relatives à l’état de la société comme le dépôt des comptes annuels par exemple. Ces données sont inscrites au Registre du commerce et des sociétés puis transmises à l’INPI qui crée le RNCS. Le RNCS est une compilation au niveau national de toutes les données contenues dans les RCS locaux. Lorsqu’il s’agit d’immatriculer son entreprise, il faut donc effectuer les formalités auprès du greffe du Tribunal de commerce compétent territorialement. Aujourd’hui, il est possible d’inscrire son entreprise par Internet. Parallèlement, l’INPI est elle chargée de diffuser les informations collectées auprès de 11 licenciés (c’est-à-dire ceux qui ont accès à la base de données du RNCS). Cet accès illimité au registre est conditionné à l’obtention d’une licence dont le coup s’élève à 230.000€.Or, depuis 2009, la diffusion de ces données est gérée par Infogreffe (sur délégation de l’INPI). Les greffes centralisent donc toutes les données relatives à la création, à la vie et à la disparition des entreprises. Ils doivent cependant transmettre ces données à l’INPI qui les archive. En contrepartie, l’INPI touche 14 millions. Pour ce transfert, les greffes touchent annuellement une somme d’environ 11 millions d’euros.

Ce que le projet de loi veut modifier L’objectif de la loi est de conserver le système de collecte des données par le greffe auprès de chaque Tribunal de commerce. Autrement dit, il faudra toujours immatriculer ou déclarer son entreprise auprès du greffe en lui acquittant  des frais d’environ 50 à 80€ selon le type de société créée. En revanche, pour accéder à ces données, le Gouvernement prévoit qu’il faudra désormais se tourner vers l’INPI. L’INPI serait désormais chargée du partage gratuit des données. A l’appui de ce projet de loi, le Gouvernement déplore que l’accès aux données du RCNS soit onéreux et souhaite en rendre l’accès public et gratuit. L’objectif poursuivi est de permettre la création de biens et de services fondés sur l’agrégation, la diffusion et la réutilisation des données. Le Gouvernement espère notamment que cela offrira des opportunités économiques aux entreprises innovantes. D’après lui, la situation actuelle est dommageable à la concurrence, à la croissance et à l’emploi. De leur côté, les greffes proposent au gouvernement de centraliser eux mêmes les informations et de les publier gratuitement. Ils disposent pour ce faire du site Infogreffe alors que l’INPI devrait constituer et organiser un site similaire.  L’Autorité de la Concurrence a rendu un avis à propos de cette mesure***. Elle estime que la tenue du RCNS peut aussi bien être centralisée autour du GIE Infogreffe qu’à l’INPI. Elle souligne que la tenue du registre par les greffes aurait pour effet de supprimer les frais liés au double rôle de l’INPI et des greffes.  Si les greffes sont particulièrement remontés contre ce projet de loi c’est aussi car il est susceptible d’impacter leur rémunération. En effet, le monopole dont ils disposent pour la diffusion électronique des données leur confère une véritable rente.

L’impact sur la création et le développement des entreprises Sur le plan de la création d’entreprise, il faudra toujours immatriculer son entreprise et s’acquitter d’une redevance pour ce service. En revanche, pour avoir accès aux K-bis ou aux documents publics de concurrents, aucun règlement ne devra être effectué.  Les greffes redoutent que la réforme conduise à une perte de qualité dans la tenue et l’actualisation du RCNS. Ce registre constitue un indicateur fiable permettant aux entreprises d’obtenir des informations sur leurs concurrents. Cela conduirait à une perte de sécurité juridique significative. Chaque année, les greffiers investissent pour développer et améliorer leur service. Reste à déterminer dans quelle mesure la réduction de leur budget les empêchera de poursuivre les innovations numériques. Certains craignent également que le transfert de compétences provoque un ralentissement significatif de la dématérialisation mise en place par Infogreffe. Le G.I.E. a oeuvré dans le sens de la dématérialisation des services et informations rendues aux entreprises. Cela facilite la vie des entrepreneurs en améliorant et en accélérant leurs démarches. Le ralentissement de la dématérialisation aurait un impact négatif sur la création et le développement des entreprises. Il n’est actuellement pas possible de savoir quel sera le contenu du texte adopté. Espérons  qu’il ne nuise pas au processus de dématérialisation des formalités juridiques. D'autant plus que des initiatives privées ont d’ores et déjà amorcé le mouvement en proposant des services en ligne. Par exemple, il est désormais possible de créer sa société en ligne ou d’éditer un contrat de travail, par exemple avec Legalstart.fr. L'un des objectifs de la loi Macron est de favoriser l'innovation, il serait dommage que l'adoption de cette réforme ait l'effet inverse.  

* Selon le CNCGT, le site a attiré 12 millions de visiteurs uniques en 2011. ** Conformément au principe général de réutilisation libre, facile et gratuite fixé par les circulaires du Premier ministre du 26 mai 2011 et du 13 septembre 2013 relatives à l’ouverture des données publiques. *** Avis n° 15-A-02 du 9 janvier 2015 relatif aux question de concurrence concernant certaines professions juridiques réglementées.