Hostellerie du vieux Pérouges

5 janv. 2013 - En 1942, les Allemands ont occupé la zone sud de la France. .... lourd : on a pris leur richesse économique, il y a eu un chômage terrible en.
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ENTRETIEN 5 JANVIER 2013 Hostellerie du vieux Pérouges - Secrétaire général du Comité de défense et de conservation du vieux Pérouges (association Loi 1901)

Présentation (Baptiste Thivend) Dans le cadre du concours d'histoire à l’occasion du 50e anniversaire du rapprochement franco-allemand, concours auquel participent 60 lycées, sur le thème : « Montrer comment s’est passé le rapprochement franco-allemand dans les communes, notamment au travers des comités de jumelages » Georges Thibaut « J’ai bientôt 80 ans, né en 1934, je suis un enfant de la guerre ; j’ai connu la guerre pendant toute ma jeunesse. En 1937-1938, j’avais 4 ans… A cet âge, on se souvient de certaines choses… Donc, il y avait une grande tension entre la France et l’Allemagne. « Entrevue de Munich » qui a donné lieu à un accord : on a cru que cela maintiendrait la paix. Pourtant un an après, la guerre a été déclarée. En 1939, j’ai vu mon père, mobilisé, partir à la guerre. En 1942, les Allemands ont occupé la zone sud de la France. Ils ont occupé la Valbonne ainsi que des maisons à Pérouges. Je me souviens du 30 août 1944 : c’était un mercredi, jour de marché à Meximieux. Les américains étaient là… distribuaient des chewing gum à tout le monde, et là deux avions allemands sont passés et ont mitraillés la grande rue et le marché. 1er septembre 1944 : bataille de Meximieux que nous avons subie de plein fouet. Plein d’obus sur la tête. Le père de ma femme a été tué par les Allemands. Nous avons été mêlés à cela… Mon grand-père me racontait déjà la guerre de 1870 et celle de 14-18… On se demandait comment on allait régler tout cela. En 1952 : Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer… Nous sommes devenus amis avec les Allemands et tout ce passé a été effacé. Tout cela m’a marqué… Je suis heureux d’en parler : nous sommes en paix avec les Allemands. Toute la paix en Europe ». Question (Baptiste) : la bataille de Meximieux… Georges Thibaut : « Une bataille militaire : il y a plus de dégâts militaires que civils. Le 15 août 1944 : débarquement des alliés en Provence. La plus grosse armée française a poussé les Allemands dans le midi pour prendre Marseille. Les Allemands ont fait remonter leurs troupes dans la vallée du Rhône afin de rejoindre l’Allemagne. Une armée américaine a remonté la route Napoléon : les Américains sont allés très vite, sans tirer un coup de fusil… Ils ont libéré le 23 août 1944 Grenoble, puis à travers l’Isère, sont revenus à Meximieux le 30 août 1944. Ils devaient traverser la Dombes pour

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couper la route aux Allemands, lesquels avaient encore 150 000 hommes et des pièces d’artillerie. Lyon a été libérée le 3 septembre 1944. Les Allemands ont voulu protéger leurs troupes depuis Lyon : ils ont envoyé la 11e division de Panzer (division blindée d’élite de l’armée allemande), regroupé à Rillieux, puis à Miribel. A Miribel, il y avait un groupe de jeunes maquisards, le « camp des noyers », avec environ 250 jeunes du maquis. Les Allemands ont détruit ce camp et les jeunes maquisards se sont repliés à la Valbonne. Le 31 août (1944), les Allemands sont venus attaquer la Valbonne ; il y avait deux chars américains qui protégeaient Pérouges. Ce jour là, il y a eu un gros orage à Pérouges, du coup, ils ont cessé de se battre… Les Américains et les maquisards se sont repliés le 1er septembre 1944 à Pérouges et les Allemands les ont complètement encerclés à Pérouges. Il y a eu une énorme bataille de chars : les Américains et les maquisards ont « mis au tapis » 25 chars allemands, de 35 à 45 tonnes. C’était donc surtout une bataille de troupes. Cependant, la population civile a quand même subi ces attaques : tous les toits de Pérouges ont été abîmés, mais il n’y a pas eu de maisons démolies. Les plus gros dégâts se sont trouvés sur la place de Meximieux. Il y a eu 2 civils tués à Pérouges, des gens qui sont sortis pour s’enfuir. Une dizaine de personnes à Meximieux, 10 à 20 maquisards ont été arrêtés, fusillés ou déportés ». Question (Baptiste) : Que pensaient les habitants de l’armistice ? Georges Thibaut : « Un soulagement énorme… Déjà lors de la libération. Sur les relations France-Allemagne, nous n’étions pas exactement informés de ce qui se passait… Pour nous, les Allemands étaient des salopards, des nazis. Ils avaient commis des crimes, des assassinats, des exactions… Quand il y avait un officier allemand, on le voyait faire le salut « Heil Hitler ». Ce n’est qu’après qu’on nous a appris qu’il y avait eu une véritable dictature en Allemagne et que tout cela a été tout aussi terrible pour les Allemands que pour les Français. Les premiers camps ont été installés en Allemagne pour y envoyer des Allemands opposants. Il y avait deux catégories d’Allemands : soit ils étaient « fanatisés », soit ils avaient peur. Une dictature très pénible. Il y avait une armée allemande avec une tradition de nobles, de « Von ». Et à côté une tradition de SS. Rommel – qui a fait la guerre en Afrique (surnommé « Le renard du désert ») : quand il a vu que Hitler était fou, a essayé de le faire assassiner1. Hitler a échappé à l’attentat et Rommel « s’est suicidé d’une balle dans le dos »2. Les Allemands, on les appelait « les boches ». J’étais pensionnaire. J’avais un copain à Châtillon, dont le père était un des chefs du maquis. Il a été arrêté par les Allemands 15 jours avant la libération et fusillé. Ce qui a été marqué sur sa tombe « sauvagement assassiné par les 1 2

Rommel : « complot des généraux » ou « opération Walkyrie » Hitler a fait assassiner Rommel par les SS et a fait passer cela pour un accident. 2

boches le 14 août 1944 ». Sa veuve a toujours refusé de changer l’appellation (de « boches » en « Allemands ») ; c’est son fils, qui a ensuite accepté que l’on indique « Allemands » à la place de « boches ». Puis la paix… Adenauer. » Question (Baptiste) : les premiers échanges franco-allemands dans les années 70-80… Georges Thibaut : « Les mentalités avaient complètement changé. Les échanges avec les jumelages n’auraient jamais pu avoir lieu 5 ans après ces événements, car les gens avaient trop souffert. Une anecdote, car je connais bien Tulle… Cette ville a énormément souffert à cause des Allemands : ces derniers y ont envoyé une division SS. Ils ont ramassé 1000 hommes, qui étaient encadrés par les Allemands et les ont fait parcourir toute la ville. Tous les 50 ou 100 mètres, les Allemands s’arrêtaient et pendaient aux balcons 5 à 6 types, devant tout le monde : c’était atroce ! Il y a eu 100 hommes pendus. Le curé de Tulle a essayé de négocier, le maire s’est porté comme otage. 500 hommes ont été relâches, mais 400 ont été envoyés en déportation et la moitié d’entre eux sont morts dans les wagons. 10 ans après, pourtant, les gens (de Tulles) ont créé un comité de jumelage avec une ville allemande, dont le maire (de cette ville allemande) avait aussi été déporté à Dachau ». Question (Baptiste) : Comment avez-vous vécu ce rapprochement avec l’Allemagne ? Georges Thibaut : « Comme un soulagement, au fils des ans. J’ai fait 2 ans et demi de service militaire. La paix est la plus belle chose qui existe. Les Allemands en « civil » sont des gens comme nous. Il existe toute une civilisation : musique, littérature, arts… On s’est aperçu que même un Français, dans une troupe, muni d’une mitraillette, devenait un animal… La guerre rend les hommes comme des animaux : il faut la paix. En 1938, avec les entretiens de Munich3, on voulait éviter qu’Hitler envahisse l’Europe et il voulait envahir la Tchécoslovaquie, car toute une partie était habitée par des Allemands et il y avait des mines de charbon. On n’aurait jamais dû céder devant Hitler car, en 1938, il n’était pas encore prêt (pour la guerre). Pendant la guerre, on était ouvert (l’hostellerie de Pérouges), même s’il n’y avait rien à bouffer ! On avait 200 Allemands, la troupe, qui se saoulaient la gueule. On n’était pas maître : c’était pénible. Mon père était prisonnier. Ma mère avait beaucoup de mal avec les officiers allemands ; un jour, ils lui ont tiré dessus, alors qu’ils étaient saouls… Il y a quand même eu une enquête et leurs supérieurs ont exigé qu’ils présentent leurs excuses à ma mère. 3

Conférence de Munich, entre Chamberlain représentant l’empire britannique, Daladier représentant la République française, et pour l’Allemagne ???? 3

La moralité : ce ne sont pas les Allemands qui sont en cause… Ce qui est en cause, c’est la guerre. Il faut toujours favoriser la négociation et sauvegarder la paix. En 1914, la France était vainqueur et à la suite de cette guerre, on a humilié les Allemands, sur le plan militaire et économique. On a supprimé leur armée et pris leurs mines (Traité de Versailles en 1919). Les Allemands ont payé un tribut très lourd : on a pris leur richesse économique, il y a eu un chômage terrible en Allemagne… Résultat : une énorme rancœur des Allemands qui nous en ont voulu, ce qui a amené la guerre suivante. En 1945, les Français ont adopté une politique contraire et nouvelle avec le Plan Marshall4. Les Américains ont dit : il ne faut pas laisser les Allemands avec leur chômage : on va reconstruire la France et l’Allemagne. On a restauré l’Allemagne qui est riche grâce au Plan Marshall ».

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Plan Marshall (US, 1947) : programme de rétablissement européen pour aider la reconstruction de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale. 4