Guinée-Bissau : Réformer les lois électorales

latitude d'adopter des mesures visant à vérifier les listes électorales. Dans la ... Secteurs administratifs. Nombre d'électeurs inscrits. Nombre de députés. 1.
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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

Guinée-Bissau : Réformer les lois électorales Résumé Depuis son passage au multipartisme en 1994, la Guinée-Bissau a organisé cinq élections législatives et présidentielles. Des progrès importants ont été faits pour améliorer les textes électoraux avant les dernières élections législatives de 2014, mais des insuffisances évidentes doivent encore être corrigées. Des réformes du cadre électoral sont nécessaires pour améliorer la transparence et l’intégrité des élections, clarifier et renforcer les attributions de la Commission nationale électorale et rectifier des incohérences entre les dispositions constitutionnelles et les lois électorales. Cette étape est également un préalable à l’organisation d’élections locales qui doivent donner corps à une décentralisation prévue dans la Constitution mais jamais mise en oeuvre.

NOTE D’ANALYSE 2 | MAI 2018

Principales recommandations Renforcer l’indépendance de la Commission nationale électorale (CNE) en lui donnant un accès direct à une allocation annuelle inscrite au budget national. Envisager la possibilité de confier à la CNE l’entière responsabilité du recensement électoral et lui donner les moyens nécessaires à cette mission. Renforcer les commissions régionales électorales afin de permettre à la CNE de mieux maîtriser le processus électoral. Réviser le découpage électoral et l’attribution des sièges en fonction des données démographiques actualisées afin d’améliorer la représentativité de l’Assemblée nationale populaire. Afficher le procès-verbal de dépouillement dans chaque bureau de vote pour améliorer la transparence des élections. Définir, dans le cadre d’une consultation inclusive, un modèle de décentralisation et un type de gouvernance locale adaptés au contexte bissau-guinéen.

Cette note se focalise sur la réforme des lois électorales, qui doit être analysée à la lumière des insuffisances de la législation électorale et des écueils rencontrés lors des derniers scrutins de 2012 et 2014. Quant aux élections locales, prévues par la Constitution, elles n’ont jamais été organisées. La question du cadre électoral est d’autant plus importante et urgente que s’approche l’échéance des élections législatives de 2018.

La législation électorale : des efforts de consolidation inaboutis En plus des dispositions prévues par la Constitution, qui sont peu détaillées, le cadre législatif qui régit les élections comprend : • la loi sur l’élection à la présidence de la République et à l’Assemblée nationale populaire (loi n°10/2013 du 25 septembre 2013) ; • la loi sur la Commission nationale électorale (loi n°12/2013 du 27 décembre 2013) ; • la loi sur le recensement électoral (loi n°11/2013 du 25 septembre 2013) ; • la loi-cadre sur les partis politiques (loi n°2/1991 du 9 mai 1991) ; • la loi sur l’observation internationale des élections (loi n°4/1994 du 9 mars 1994) ; • le Code pénal, dont certaines dispositions fournissent des éléments supplémentaires en lien avec les élections.

La révision du cadre électoral de 2013 s’est faite sous la pression née de la nécessité d’organiser des élections législatives et présidentielles Des progrès ont déjà été accomplis pour améliorer le cadre électoral, notamment pendant la période de transition qui a suivi le coup d’État du 12 avril 2012, survenu entre les deux tours d’une élection présidentielle. La volonté de combler un certain nombre de lacunes s’est traduite par des modifications successives apportées par la loi n°10/2013 du 25 septembre 2013 sur l’élection à la présidence de la République et à l’Assemblée nationale populaire (ANP), portant modification de la loi n°3/1998 du 23 avril 1998 ; la loi n°11/2013 du 25 septembre 2013 portant sur le recensement électoral ; et la loi n°12/2013 du 27 décembre 2013 portant sur la composition de la Commission nationale électorale (CNE). La révision du cadre électoral de 2013 s’est faite sous la pression née de la nécessité d’organiser des élections législatives et présidentielles pour mettre un terme à une transition controversée. Elle a apporté des changements importants dans le dispositif électoral. Afin de garantir la transparence du processus, la composition du secrétariat exécutif de la CNE a été révisée. Auparavant, ses membres étaient élus par

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GUINÉE-BISSAU : RÉFORMER LES LOIS ÉLECTORALES

l’ANP, le président étant choisi par le parti majoritaire et le secrétaire exécutif par la seconde force politique. Désormais, le secrétariat exécutif de la CNE est composé uniquement de magistrats proposés par le Conseil supérieur de la magistrature à l’ANP, qui procède à leur élection1. Quant au recensement, la loi de 2013 a mis fin au débat sur l’adoption d’une carte électorale biométrique ou d’un système manuel amélioré2. L’ANP s’est prononcée en août 2013 à l’unanimité en faveur d’un système d’inscription électorale dit « manuel amélioré et électronique ». La carte d’électeur se présente dorénavant sur un support plastique portant la photographie et l’empreinte digitale de son titulaire ainsi qu’un numéro de série. Il s’agit d’un compromis, la plupart des partis souhaitant un système entièrement biométrique, donc plus sécurisé, qui aurait toutefois requis un financement plus important et un processus de recensement plus long.

Des réformes majeures pour remédier aux principales insuffisances du cadre électoral Clarifier les rôles de la CNE et du GTAPE L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a dépêché, en décembre 2013, une mission d’information et d’évaluation préélectorale. D’après le rapport de cette mission, les principales difficultés se situent « au niveau de la répartition des compétences et la coordination des efforts dans la gestion du processus électoral, de la conduite des opérations de recensement des électeurs et de la formation des acteurs prenant part au dit processus »3. Le rapport évoque clairement les défis liés au manque de coordination entre la Commission nationale électorale (CNE), qui organise et supervise les opérations de vote, et le ministère de l’Administration territoriale, qui assure la tutelle administrative du Bureau technique d’appui au processus électoral (GTAPE), chargé du recensement électoral. Alors que le GTAPE dispose d’une grande marge de manœuvre dans la conduite du recensement électoral, étape cruciale en amont de tout processus électoral, le rapport indique une faible implication de la CNE, qui devrait pourtant superviser le processus.

Le problème de la répartition des tâches et des responsabilités entre la CNE et le gouvernement à travers le GTAPE reste un handicap majeur La mission de l’OIF souligne également les nombreux problèmes posés par la conduite du recensement, marquée par le renoncement à l’élaboration d’une liste électorale biométrique au profit d’une liste dite « manuelle améliorée ». Les aspects techniques et opérationnels concernant le recensement électoral dissimulent en réalité les questions fondamentales de la clarification des rôles du GTAPE et de la CNE et de la possibilité d’une supervision par la CNE du travail de l’équipe technique sous la tutelle du gouvernement.

Principales institutions intervenant dans le processus électoral

Commission nationale électorale (CNE) Organise, supervise et gère les processus électoraux et référendaires

Bureau technique d’appui au processus électoral (GTAPE) Organise et gère l’inscription des électeurs

Commissions régionales électorales (CRE) Fournissent des informations sur le processus électoral et transmettent les résultats des votes

NOTE D’ANALYSE 2 | MAI 2018

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Une des recommandations de cette mission est de « donner les moyens à la CNE pour qu’elle puisse se repositionner dans son rôle de contrôle et de supervision du processus électoral et qu’elle s’implique dans l’administration du système informatique du recensement électoral ». Avec un fort soutien international sur le terrain, les élections de 2014 se sont déroulées dans des conditions jugées acceptables et leurs résultats ont été considérés comme crédibles. Le problème de la répartition des tâches et des responsabilités entre la CNE et le gouvernement à travers le GTAPE reste cependant un handicap majeur. Le rapport final de la mission d’observation électorale de l’Union européenne (UE) fait un constat identique.

Renforcer la CNE et assurer son indépendance financière Le rapport de l’UE salue la performance de la CNE, qui a gagné en crédibilité depuis que la loi du 27 décembre 2013 impose un secrétariat exécutif composé exclusivement de magistrats, en théorie non partisans. Les représentants des partis politiques ont eu un large accès aux informations tout au long du processus électoral en participant aux réunions plénières de la CNE. Le rapport de l’UE souligne néanmoins que le fait que la CNE ne dispose pas du pouvoir d’élaborer et de modifier des normes relatives aux aspects techniques de l’administration électorale constitue un handicap4.

En contrôlant l’allocation des ressources, un parlement ou un gouvernement peut vider de tout son sens le principe d’indépendance de la CNE Le document souligne également la dépendance financière de la CNE à l’égard de l’ANP qui, en libérant les ressources à son rythme, peut influencer le travail de la CNE. La dépendance financière est généralement une limite très forte à l’indépendance réelle des institutions. En contrôlant l’allocation des ressources, un parlement ou un gouvernement peut vider de tout son sens le principe d’indépendance. Trois des recommandations importantes de la mission de l’UE plaident en faveur d’un renforcement du mandat et de l’indépendance de la CNE : • Attribuer à la CNE la prérogative d’adapter et d’actualiser les procédures techniques électorales, de clarifier les points omis par la loi et d’effectuer les ajustements nécessaires dans tous les aspects de l’organisation ; • Renforcer l’indépendance de la CNE en lui donnant un accès direct à une allocation annuelle inscrite au budget national ;

LA CNE DEVRAIT AVOIR LA COMPÉTENCE DE LA CONDUITE DU RECENSEMENT ÉLECTORAL

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• Mieux définir la compétence de la CNE en matière de supervision du recensement électoral, qui est du ressort du GTAPE, afin de renforcer le rôle de la Commission et son implication dans le processus, créant ainsi les conditions d’une plus grande intégrité des élections. La mise en œuvre de ces recommandations requiert une révision de la loi sur le recensement électoral et de celle concernant la CNE. Même si la

GUINÉE-BISSAU : RÉFORMER LES LOIS ÉLECTORALES

mission de l’UE ne va pas jusqu’à proposer clairement la prise en charge de toutes les étapes du processus électoral par la CNE, cette option devrait être considérée dans la perspective d’une consolidation de la législation électorale. Dans des contextes politiques marqués généralement par un niveau élevé de méfiance des partis à l’égard de l’administration publique, il paraît souhaitable de confier l’intégralité de l’organisation des élections à un organe indépendant comme la CNE et de lui offrir de solides garanties légales qu’elle disposera des ressources nécessaires à l’accomplissement de son mandat. En Afrique de l’Ouest, quelques organes de gestion électorale ont des prérogatives très larges et pourraient inspirer la révision de la loi sur la CNE et l’évaluation des besoins supplémentaires en ressources humaines et matérielles nécessaires à un mandat étendu.

Des dispositions transitoires et des Commissions régionales électorales permanentes La CNE devrait avoir la compétence de la conduite du recensement électoral, même si elle peut mobiliser à cet effet des moyens humains et matériels normalement affectés à d’autres institutions. La CNE pourrait, sans aucune ambiguïté, être le seul organe chargé des élections, y compris du recensement et de l’actualisation des listes électorales. Cependant, le dispositif actuel serait maintenu pendant une période transitoire qui prendrait fin après les législatives prévues en 2018, avec le principe d’une subordination immédiate du GTAPE à la CNE. Cette dernière aurait toute la latitude d’adopter des mesures visant à vérifier les listes électorales. Dans la perspective d’un élargissement de ses compétences, la loi concernant la CNE devrait aussi prévoir une modification des commissions régionales électorales (CRE) (chapitre II de la loi n°12/2013). Ces commissions régionales sont composées d’un président choisi par les membres du secrétariat exécutif de la CNE et des représentants des partis politiques ou coalitions de partis participant aux élections et, éventuellement, des représentants de candidats indépendants.

Il paraît souhaitable de confier l’intégralité de l’organisation des élections à un organe indépendant comme la CNE Les seuls membres permanents des CRE sont leurs présidents, qui ont la même durée de mandat de quatre ans renouvelable que les membres du secrétariat exécutif de la CNE. Les autres membres, représentants des partis et de candidats indépendants, n’en font partie qu’à titre temporaire, en période électorale. Investis 90 jours avant le scrutin, leurs fonctions cessent à la publication du rapport final des élections par la CNE, soit dans un délai de 15 jours après la proclamation des résultats définitifs5.

LES CRE DEVRAIENT ÊTRE CONSTITUÉES D’UNE ÉQUIPE PERMANENTE

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Répartition des députés par circonscription électorale Nombre d’électeurs inscrits

Nombre de députés

CATIÓ

17 775

3

BEDANDA / CACINE / QUEBO

27 866

4

BUBA / EMPADA

18 118

3

FULACUNDA / TITE

13 506

3

BISSORÃ

32 398

5

FARIM

23 383

4

MANSABA

21 398

3

MANSOA / NHACRA

36 736

4

QUINHAMEL

19 892

3

SAFIM / PRÁBIS

30 518

3

BOLAMA / BIJAGÓS

17 052

3

BAFATÁ / GALOMARO

40 118

6

BAMBADINCA / XITOLE

26 889

3

14

CONTUBOEL / GANADU

30 247

5

15

BOÉ / PITCHE

25 650

4

GABÚ

37 845

4

PIRADA

13 111

3

18

SONACO

16 606

3

19

BIGENE / BULA

42 340

5

CAIÓ / CANCHUNGO

29 827

5

CACHEU / SÃO DOMINGOS

25 824

4

Circonscriptions

Régions

1 2 3 4

TOMBALI

QUÍNARA

5 6 7

OIO

8 9 10 11

BIOMBO BOLAMA

12 13

16 17

20

BAFATÁ

GABÚ

CACHEU

21

Secteurs administratifs

22

AFRIQUE

AFRIQUE

14 282

1

23

EUROPE

EUROPE

8 030

1

24

BISSAU

18 929

3

25

BISSAU

37 908

4

BISSAU

23 400

3

BISSAU

28 596

4

28

BISSAU

40 082

3

29

BISSAU

57 182

3

775 508

102

26 27

BISSAU

TOTAL

Source : Relatório Final das Eleições Gerais de 13 a 18 de Abril de 2014 da CNE – COMISSÃO NACIONAL DE ELEIÇÕES.

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Pour que la CNE assume l’entière responsabilité du processus électoral, y compris le recensement et les campagnes d’éducation électorale et civique sur tout le territoire, elle devrait s’appuyer sur des CRE constituées d’une petite équipe permanente autour de leur président. Selon le même schéma que la plénière de la CNE, la CRE intégrerait également les représentants des partis et des candidats pendant les périodes électorales.

recommande de « revoir la répartition des sièges par circonscription électorale afin de promouvoir une égalité des suffrages reflétant la répartition de la population avec un nombre similaire d’électeurs pour élire des représentants dans tout le pays ». La CNE recommande également dans son rapport de 2014 la révision de l’attribution des sièges aux circonscriptions afin de garantir une meilleure justice électorale6.

Revoir le découpage électoral et envisager la création d’une circonscription nationale

Il faudrait réexaminer le titre VI de la loi électorale portant sur les élections législatives, notamment les articles 114 et 115 sur les circonscriptions électorales, et le nombre et la répartition des sièges. Dans la mesure où cette répartition devrait refléter les dynamiques démographiques des régions et de la diaspora, une option serait de mentionner dans la loi électorale, et éventuellement dans la Constitution, les principes devant guider le découpage électoral et l’attribution des sièges ainsi que l’institution chargée de réexaminer régulièrement cette répartition selon les données de recensement les plus récentes.

Une des insuffisances du cadre électoral actuel, malgré les améliorations qu’il a connues depuis 2013, est la détermination du nombre de sièges de député attribué à chaque circonscription électorale et le découpage de ces dernières. La loi électorale dispose que la répartition des sièges par circonscription est présentée en annexe de la loi (article 115 de la loi n°10/2013). Le tableau fixant cette répartition semble donc être une donnée figée, alors même qu’elle n’a pas été faite sur la base des données actualisées de la population de chaque circonscription.

Une répartition des sièges qui ne prend pas mieux en compte les réalités démographiques a des implications politiques importantes Comme le signale le rapport de la mission de l’UE, la répartition actuelle ne respecte pas le principe de l’équivalence des votes puisque le ratio peut passer d’un siège de député pour 4 370 électeurs à Gabu à un siège pour 19 061 électeurs dans le secteur autonome de Bissau, la capitale. Une répartition des sièges qui ne prend pas mieux en compte les réalités démographiques a des implications politiques importantes. Des partis bien implantés dans des circonscriptions particulièrement bien dotées en nombre de sièges par rapport à leur population bénéficient d’un avantage sur les autres. L’absence d’une règle de calcul permettant d’avoir une répartition des sièges et un découpage des circonscriptions neutres et équitables crée généralement un doute sur la représentativité de l’ANP. La recommandation de la mission de l’UE correspond donc à la nécessité de donner autant que possible le même poids au vote de chaque électeur. La mission

Ce rôle pourrait être dévolu au secrétariat exécutif de la CNE, qui présente à priori les meilleures garanties de neutralité politique. Une autre option serait de prévoir une commission dédiée à cette question au sein de l’ANP, mais le risque d’une politisation d’un exercice qui devrait être essentiellement technique serait plus important. Pour bon nombre d’acteurs politiques et de la société civile, la révision de l’attribution des sièges aux circonscriptions électorales doit s’accompagner d’un réexamen de la méthode d’attribution des sièges7. Le découpage électoral et l’attribution des sièges aux circonscriptions sont en effet intimement liés au mode de scrutin. La Guinée-Bissau a adopté le système de représentation proportionnelle avec la « méthode d’Hondt » comme formule d’attribution des sièges parlementaires. Les candidatures se présentent en listes plurinominales et fermées proposées par les partis politiques ou coalitions de partis, dans lesquelles les candidats apparaissent par ordre d’inscription. Pour ces acteurs, ce système tend non seulement à favoriser les grands partis, mais il ne permet pas aux partis de faire élire à l’ANP leurs membres les plus

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outillés pour jouer un rôle constructif dans le travail législatif. Les partis ont en effet intérêt à choisir leurs candidats exclusivement sur la base de leur capacité à engranger des voix au niveau local. La création d’une liste nationale, sur laquelle les partis ou coalitions pourraient proposer leurs candidats les plus compétents pour effectuer leur travail de député, pourrait être envisagée. Se pose ici le dilemme entre nécessité de représentation démocratique des citoyens et exigence de qualité dans le travail attendu de l’ANP.

Des réformes pour améliorer la transparence et l’intégrité des élections La confirmation de l’identité par les témoins lors du recensement électoral Pour améliorer l’intégrité des processus électoraux et lutter contre une des sources présumées de fraudes citées par de nombreux acteurs politiques et de la société civile bissau-guinéenne, il faudrait réexaminer les conditions requises pour l’inscription des électeurs pendant le recensement. Lorsqu’ils ne possèdent pas de carte nationale d’identité, les citoyens peuvent prouver leur identité entre autres par des témoignages de citoyens dûment recensés (article 22 de la loi sur le recensement électoral). Cette disposition a le mérite de favoriser l’inclusion électorale de citoyens des zones rurales isolées qui ne possèdent pas de documents officiels d’identité, mais elle ouvre aussi la porte à des pratiques frauduleuses et à des anomalies dans les listes électorales. Le déplacement d’électeurs d’une circonscription à une autre peut avoir des conséquences sur les résultats des élections législatives. II serait opportun d’instaurer un nombre minimal de témoignages requis (trois par exemple) et d’exclure qu’une même personne puisse témoigner de l’identité de plusieurs autres.

Le déplacement d’électeurs d’une circonscription à une autre peut avoir des conséquences sur les résultats des élections législatives

Chronologie des élections présidentielles et législatives depuis 1994 • Élections présidentielles: 1994, 1999, 2005, 2009, 2012, 2014 • Élections législatives: 1994, 1999, 2004, 2008, 2014

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Pour éviter des tensions liées à cette pratique, il est nécessaire de mettre en place un système d’état civil performant capable de produire des documents indispensables pour une inscription sur la liste électorale. Ceci passe par le renforcement des capacités de l’administration et plus particulièrement de la justice. Le dernier recensement général de la population date de 2009, ce qui témoigne d’une connaissance assez limitée des données démographiques et d’état civil fiables.

Fournir un cadre légal à l’observation électorale nationale La présence d’observateurs indépendants pendant tout ou partie des opérations électorales permet d’améliorer la transparence et l’intégrité des

GUINÉE-BISSAU : RÉFORMER LES LOIS ÉLECTORALES

élections. Des missions internationales d’observation électorale ont été déployées de longue date en Guinée-Bissau. L’UE en a par exemple envoyé en 2005, 2006, 2008, 2009 et 2014. La CEDEAO et l’Union africaine en ont également dépêché régulièrement. Mais s’il existe depuis 1994 une loi encadrant l’observation internationale des élections, l’observation nationale ne fait toujours pas l’objet d’une législation. Cela n’a toutefois pas empêché les organisations de la société civile de s’engager dans l’observation électorale. En 2014, le Groupe des organisations de la société civile pour les élections (GOSCE) a joué un rôle appréciable. Il est néanmoins nécessaire,8 comme le recommande la CNE, d’amender la loi sur l’observation internationale pour y intégrer les organisations de la société civile nationales. La loi actuelle ne reconnaît explicitement comme observateurs internationaux que les représentants de l’Organisation des Nations unies, l’Union africaine, l’UE et des « personnalités invitées » par la CNE.

Les dispositions régissant l’annonce des résultats au niveau des circonscriptions électorales pourraient être modifiées pour améliorer la transparence Publier les résultats de chaque bureau de vote Les dispositions régissant l’annonce des résultats au niveau des circonscriptions électorales (article 84 de la loi électorale) pourraient être modifiées pour améliorer la transparence. Comme le recommande la mission de l’UE de 2014, la CNE pourrait communiquer, en sus des résultats centralisés au niveau de chaque circonscription, ceux de chaque bureau de vote, avec affichage du procès-verbal du dépouillement dans chaque bureau. Cette bonne pratique permet aux électeurs et aux représentants des partis de procéder eux-mêmes aux vérifications utiles, ce qui renforce la crédibilité des résultats centralisés par les CRE et la CNE.

Harmoniser les règles du financement électoral avec celles du financement des partis politiques Les dispositions législatives sur le financement électoral, prévues par le chapitre III de la loi sur l’élection à la présidence de la République et à l’ANP, devraient être harmonisées avec celles qui organisent le financement des partis dans la loi-cadre sur les partis politiques. Le financement électoral serait alors clairement identifié comme une composante du financement politique qui doit faire l’objet d’un encadrement élaboré. La note sur la loi sur les partis politiques propose des options pour encadrer le financement public des activités politiques, y compris des campagnes électorales. Il sera impératif d’assurer la cohérence des articles relatifs au financement dans la loi-cadre sur les partis politiques et dans la loi électorale.

DONNER UN CADRE LÉGAL À L’OBSERVATION NATIONALE AU MÊME TITRE QUE L’OBSERVATION INTERNATIONALE

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Mettre fin aux incohérences dans les délais et les calendriers d’organisation des élections Les réformes électorales et constitutionnelles doivent permettre de corriger des incohérences reconnues par tous lors des situations exceptionnelles de vacance du pouvoir pour cause de décès du président dans l’exercice de ses fonctions. Le délai prévu par la Constitution (article 71) pour organiser une élection présidentielle anticipée, de 60 jours après la déclaration de vacance, est bien trop court quand le dispositif électoral, y compris le recensement, n’est pas immédiatement opérationnel.

L’identification du mode de gouvernance locale devrait se faire à partir d’un processus consultatif transparent et inclusif Par ailleurs, la loi électorale fixe la période entre le 23 octobre et le 25 novembre de l’année correspondant au terme de la législature et du mandat présidentiel pour la tenue des élections législatives et présidentielle. Bien qu’elle ne s’applique pas en cas de dissolution de l’ANP ou de vacance de la présidence (article 3 de la loi), cette disposition peut créer des difficultés politiques inutiles. Il paraît plus approprié de lier la date des élections législatives et présidentielle à la durée des mandats respectifs des députés (quatre ans) et du président (cinq ans), et ce quelles que soient les circonstances provoquant les élections. S’agissant de la situation exceptionnelle résultant de la vacance du pouvoir présidentiel, une option serait d’allonger dans la Constitution le délai maximal de 60 à au moins 90 jours pour l’organisation d’un nouveau scrutin. Une autre solution pour limiter l’organisation à répétition d’élections coûteuses dans un pays qui a d’énormes besoins socioéconomiques serait de prévoir l’intérim du président par une autre personnalité de l’État, comme le président de l’ANP, jusqu’à la fin du mandat en cours. Cette option serait d’autant plus envisageable que le président n’est pas censé jouer un rôle de premier plan dans le régime politique de la Guinée-Bissau. Cette disposition serait conforme avec la ligne générale préconisée dans le cadre de l’élaboration d’une nouvelle Constitution.

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GUINÉE-BISSAU : RÉFORMER LES LOIS ÉLECTORALES

Les élections locales en question Les élections locales sont prévues par la Constitution depuis 1994. Or, aucune élection locale n’a été organisée en Guinée-Bissau à ce jour. Les autorités au niveau local sont nommés par le ministère de l’Administration territoriale et du Pouvoir local. Cette situation présente des limites évidentes quant à l’effectivité de la démocratie locale. En 2015, le gouvernement avait proposé une loi inscrite à l’ordre du jour de l’ANP. Celle-ci n’a pu se réunir à cause de la crise politique qui prévaut depuis lors. Ce texte, soumis par le ministère de l’Administration territoriale et du Pouvoir local, est considéré par certains acteurs parlementaires, qui ne s’entendent pas sur le nombre de municipalités, comme étant en décalage avec la réalité sociopolitique du pays. En outre, l’organisation d’élections locales dans le contexte actuel risque de diviser davantage le pays à travers une multiplication localisée des centres – et donc des luttes – de pouvoir. Certes, les élections locales pourraient aussi diminuer l’âpreté de la lutte politique en offrant de nouvelles options au niveau local pour les acteurs politiques. L’absence d’élections locales depuis plus de 20 ans est souvent présentée comme découlant d’un manque de volonté politique. Une analyse pragmatique de cette question révèle d’autres raisons : la difficulté d’entamer un processus de décentralisation quand l’État central est lui-même faible et instable ; l’existence de pouvoirs locaux traditionnels influents qui s’inquiètent d’être marginalisés par de nouvelles autorités élues ; le manque de ressources financières suffisantes et de ressources humaines compétentes pour mettre en œuvre la décentralisation. Le contexte appelle à un examen approfondi du type de gouvernance à mettre en place au niveau local et de l’articulation entre ce pouvoir et les autres paliers de pouvoir officiel et traditionnel. L’identification du système adéquat devrait se faire à partir d’un processus consultatif transparent et inclusif. La nécessité, à terme, d’organiser des élections locales ne fait pas de doute. Mais en l’absence de consensus national sur les modalités d’introduction d’une gouvernance locale, et compte tenu de l’instabilité et des tensions politiques qui prévalent dans le pays, il paraît difficile d’imaginer

l’organisation d’élections législatives et locales

Notes

couplées en 2018.

1 Article 3 de la loi n°12/2013 du 27 décembre portant sur la CNE.

Il conviendrait en premier lieu de se concentrer sur les réformes des textes législatifs qui seront nécessaires dans la perspective des élections législatives et présidentielle prévues respectivement en 2018 et en

2 Article 24 de la loi n°11/2013 du 11 septembre portant sur le recensement électoral.

3 Rapport de la mission francophone d’information et d’évaluation préélectorale, décembre 2013.

4 Rapport de la mission d’observation électorale de l’UE, 2014, p.17 5 Article 20 la loi n°12/2013 du 27 décembre portant sur la CNE.

2019. Dans un second temps, le type de gouvernance

6 Rapport final des élections générales de 2014, CNE, p. 87.

locale à mettre en place pourrait faire l’objet d’une

7 Entretiens avec des acteurs politiques et de la société civile, Bissau, mars-

large consultation.

juin 2017.

8 Rapport final des élections générales de 2014, CNE, p. 87.

L’introduction d’un mode de gouvernance locale n’est, au départ, pas une question électorale. C’est un choix d’organisation politique dont les modalités doivent reposer sur la réalité du contexte bissauguinéen et sur une réflexion préalable plus large liée à la décentralisation et la déconcentration du pouvoir. La traduction dans une loi électorale de la modalité de gouvernance locale choisie et l’organisation d’élections locales ne devraient intervenir que dans un troisième temps.

Conclusion La lecture des différents textes législatifs électoraux et l’identification des insuffisances, des incohérences et des marges d’amélioration possibles soulignent l’impératif d’une révision simultanée de ces lois et de la Constitution. Derrière les formulations juridiques et la technique électorale doit s’exprimer un choix clair sur l’organisation du pouvoir politique et la régulation de la société, en tirant les leçons de l’histoire du pays. Afin de construire un système démocratique stable, reposant sur l’équilibre des pouvoirs, l’État de droit et une représentation de la diversité culturelle, économique et sociale, les réformes doivent avoir pour objectif le renforcement des institutions. Elles doivent également préciser, autant que possible, les compétences, les responsabilités et les limites de

Note méthodologiques Cette note fait partie d’une série de six notes d’analyse portant sur les réformes dont la GuinéeBissau a besoin pour renouer avec la stabilité, et qui sont notamment prévues par l’Accord de Conakry d’octobre 2016. Les premières notes portent respectivement sur la réforme de la Constitution, la réforme de la loi électorale, la réforme de la loi sur les partis politiques, la réforme du secteur de la défense et de la sécurité ainsi que la réforme de la justice. La sixième et dernière note synthétise les principales recommandations présentées dans l’ensemble des notes. Ces publications sont le résultat d’un travail de recherche de terrain et d’analyse mené de mars 2017 à janvier 2018 par une équipe de chercheurs du bureau de Dakar de l’Institut d’études de sécurité, avec l’appui d’experts bissau-guinéens, régionaux et internationaux. Elles ont été élaborées à la demande du Bureau intégré des Nations unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau (BINUGBIS) en vue de faciliter les discussions sur ces réformes au sein des forces vives de la société politique et civile en Guinée-Bissau.

chacune d’entre elles. Il est nécessaire que les lois permettent de construire des institutions qui ne se confondent pas avec les personnes qui les dirigent. C’est le sens des propositions de renforcement de l’organe de gestion des élections, des partis politiques comme animateurs de la vie politique et de clarification des dispositions électorales partout où existent des ambiguïtés évidentes.

NOTE D’ANALYSE 2 | MAI 2018

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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

À propos de BINUGBIS Le Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau (BINUGBIS) a été établi en 2009 par la résolution 1876 adoptée le 26 juin 2009 par le Conseil de sécurité de l’ONU. Le mandat du BINUGBIS, tel que précisé dans la Résolution 2404 du 28 février 2018, se concentre sur les priorités suivantes : i) soutenir la mise en œuvre de l’Accord de Conakry et faciliter un dialogue politique inclusif et un processus de réconciliation nationale; ii) soutenir, par de bons offices, le processus électoral afin de garantir des élections législatives inclusives, libres et crédibles en 2018; et iii) appuyer les autorités nationales dans le processus de révision de la Constitution. La Mission a également pour mandat d’appuyer, coordonner et diriger les efforts internationaux pour renforcer les institutions démocratiques et améliorer les capacités des organes étatiques, promouvoir et protéger les droits humains, soutenir la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité transnationale organisée, harmoniser et coordonner l’aide internationale en vue des prochaines élections.

À propos de l’ISS L’Institut d’études de sécurité (ISS) établit des partenariats pour approfondir les connaissances et les compétences en vue de garantir un meilleur avenir pour le continent africain. L’objectif de l’ISS est d’améliorer la sécurité humaine afin de parvenir à une paix et à une prospérité durables. Organisation africaine à but non lucratif, l’ISS a des bureaux en Afrique du Sud, au Kenya, en Éthiopie et au Sénégal. Le bureau de Dakar supervise, en plus de son personnel, des équipes basées en Côte d’Ivoire et au Mali. Le travail de l’organisation porte sur les thématiques liées aux crimes transnationaux, aux migrations, à l’analyse des conflits, au maintien et à la consolidation de la paix, à la prévention de la criminalité, à la justice pénale, et à la gouvernance. L’ISS mobilise son expertise, ses réseaux et son influence pour fournir, en temps utile, des analyses crédibles, des formations pratiques et une assistance technique aux gouvernements et à la société civile. Les actions de l’ISS favorisent l’élaboration de meilleures politiques et pratiques afin de permettre aux décideurs de relever les défis relatifs à la sécurité humaine auxquels l’Afrique est confrontée. Pour plus d’informations sur l’ISS, www.issafrica.org.

Remerciements L’ISS remercie le BINUGBIS pour sa confiance, sa collaboration et son appui dans le cadre de ce travail. L’équipe de mise en œuvre du projet exprime aussi sa reconnaissance à toutes les personnes qui ont contribué à l’élaboration de ces notes, en tant que chercheurs, consultants ou interlocuteurs, et dont les noms sont tus afin de préserver leur anonymat.

© 2018, BINUGBIS Les droits d’auteur sur l’intégralité de cette note sont conférés au Bureau intégré des Nations unies pour la consolidation de la paix en GuinéeBissau (BINUGBIS), et le présent document ne peut en aucun cas être reproduit en intégralité ou en partie, sans la permission écrite expresse de l’éditeur. Les opinions exprimées dans la présente note élaborée par le bureau de Dakar de l’Institut d’Études de Sécurité (ISS) ne reflètent pas nécessairement celles du BINUGBIS. Ce rapport est aussi disponible en anglais et en portugais. Image de couverture : BINUGBIS