Grâce à son arbre, l'enfant est plus fort

l'évolution de la société », rappelle Barbara. Couvert. Ainsi, une femme subissant le scandale d'être ... Le psychanalyste revient sur l'importance de débusquer.
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Psychologie

“ Grâce à son arbre, l’enfant est plus fort ”

Gare aux interprétations

Alors qu’un traumatisme initial peut se répéter de manière identique (peur des souris, échec scolaire, accident de la route…), ou se métamorphoser en une angoisse non clairement identifiée, d’autres peuvent muter au fil des générations. « Nous sommes marqués par notre histoire familiale, mais aussi imprégnés de l’évolution de la société », rappelle Barbara Couvert. Ainsi, une femme subissant le scandale d’être fille-mère en 1850 aura une fille qui enfantera elle-même hors mariage et ainsi de suite, jusqu’au XXIe siècle, avec une descendante qui sera mère célibataire. « L’événement reste le même, mais son sens change », précise la psychothérapeute. Ces liens inter­g énérationnels sont l’objet d’études scientifiques, notamment en neuro­biologie. « Le professeur Jean-Pol Tassin, neuro­biologiste et spécialiste du fonction­nement de la mémoire à l’Inserm et au Collège de France, a montré en 2002 que certains types de trans­mission d’informations inter­personnelles se produisent en m i l l i s­ e c o n d e s , e t d o n c n e s o n t p a s conscients », écrit Anne Ancelin Schützenberger dans Psycho­généalogie. « Le nouveau domaine de l’épigénétique nous aide à mieux comprendre comment les facteurs sociaux et environnementaux peuvent influencer l’expression des gènes. » Mais prudence. Une coïncidence de dates ou la répétition de certains maux dans une famille n’ont pas forcément un sens caché. « Attention aux interprétations magiques », alerte Colette Esmenjaud. Bien qu’à l’origine de cette méthode, Anne Ancelin Schützenberger fait aussi la part des choses : « Le hasard existe. Le tout est de voir si les hypothèses avancées font sens pour le patient… Et s’il guérit par la suite. » ■

À

lire n Les Fantômes familiaux, de Bruno Clavier (Payot, 2013). Le psychanalyste revient sur l’importance de débusquer les traumatismes survenus dans le passé. Des fantômes que l’on porte parfois encore en soi plusieurs générations plus tard.

UN MODÈLE POUR CHAQUE HISTOIRE ■ Dans son livre D’où je viens, moi ? (Courrier du livre, 2003), Denise Rebondy souligne que l’arbre généalogique peut s’adapter à la diversité des schémas familiaux. Pour les enfants adoptés, il est possible de faire figurer la nouvelle famille au moyen d’une greffe. Dans le cas des petits en famille d’accueil, on peut imaginer un arbre tuteur venant soutenir l’arbre de naissance. Chez les familles recomposées, l’enfant peut représenter les liens affectifs par un ruban ou un petit cœur. L’essentiel est de tout montrer, mais sans confusion.

La psychothérapeute Denise Rebondy utilise la généalogie pour aider les petits dans une situation familiale complexe à se structurer.

■ La réalisation

D

enise Rebondy a développé une méthode pour accompagner les très jeunes adoptés, nés sous X, placés en foyer, ou issus de familles recomposées. En les aidant à construire leur arbre généalogique, elle les épaule dans la découverte de leurs origines afin qu’ils trouvent un équilibre intérieur.

PATRICK TOURNEBOEUF/TENDANCE FLOUE

uu un problème avec la séparation, qui la faisait terriblement souffrir. » En dehors de la psychogénéalogie, le psychodrame aide à panser les blessures du passé. La thérapeute, accompagnée de professionnels, va faire jouer à son patient le rôle de chaque protagoniste : l’arrière-grand-père, la grand-mère et, de manière symbolique, l’adieu, par des changements de rôles. « Cela permet d’achever une tâche du passé. »

La Vie. Comment conseillez-vous d’aborder la généalogie avec un enfant en quête d’identité ? Denise Rebondy. Les enfants qui vivent des situations familiales compliquées ont souvent une idée confuse de leur généalogie. Cette absence de repères dans la filiation engendre un très grand désarroi. Il y a ceux qui pensent qu’ils ne sont nés de personne, ou « qu’un papa est un monsieur qui marche dans la rue ». Certains petits évoluant dans des familles recomposées perçoivent le ou la nouvelle compagne comme un parent biologique. Afin de ne pas embrouiller davantage leur esprit, je préconise d’abandonner l’idée de l’arbre généalogique de toute la famille pour privilégier un arbre qui part de l’enfant. * Exemple tiré de Psychogénéalogie, d’Anne Ancelin Schützenberger (Payot, 2012).

Dans quelle mesure la réalisation d’un arbre peut-il rassurer un enfant en perte de repères familiaux ? D. R. Le type d’arbre que je propose situe l’enfant dans sa lignée avec clarté. Les petits y attachent b e a u c o u p d ’ i m p o r t a n c e, m ê m e c e u x q u i n e connaissent pas leurs parents, car il leur permet d’assimiler le fait qu’ils ont aussi un père et une mère.

Cela les met au même rang que les autres et, en même temps, ils se sentent uniques parce qu’ils comprennent que leur histoire l’est. L’appartenance, c’est la première sécurité, le signe fondateur d’une histoire qui conduit à l’individuation et à la réalisation de soi. L’arbre généalogique donne à l’enfant un schéma intérieur stable qui lui sert ensuite de modèle pour ranger ses connaissances. Il se sent alors plus fort pour aborder les apprentissages.

Un enfant qui n’est pas au clair avec sa généalogie peut-il rencontrer des difficultés scolaires ? D. R. Tout enfant qui construit son moi procède, en fait, à l’organisation de son univers intérieur. En partant de son expérience sensorielle, il se

d’un arbre généalogique va donner aux enfants adoptés, placés ou issus de familles recomposées un schéma intérieur stable, essentiel pour aborder les apprentissages.

fabrique un système de rangement : la nuit n’est pas le jour, le bruit n’est pas le silence. Il y aura ensuite : hier n’est pas demain, papa n’est pas maman, etc. Ce premier schéma s’enrichira au fil du temps, mais sa structure est une base qui accompagnera la personne tout au long de la vie. Il est donc très important que les choses soient en place au départ. Dans cette perspective, la rencontre avec la généalogie peut être un moment déterminant. J’ai travaillé avec des enfants qui étaient bloqués à l’école, surtout en mathématiques. En creusant un peu, je me suis rendu compte qu’ils avaient une vision floue de leur histoire. Grâce à l’arbre, nous avons remis les choses en ordre et leurs résultats se sont améliorés.

Ne risque-t-on pas, en évoquant l’histoire familiale, de réveiller des blessures ? D. R. Le processus est souvent long. Parfois, il faut se répéter car, sur le moment, l’enfant n’est pas encore prêt à entendre son histoire. De cinq à dix ans, c’est la période idéale. Je conseille de ne pas précéder ses demandes sur ce qui est personnel, il est préférable d’attendre que les questions viennent de lui. Chaque enfant a sa manière à lui de tricoter son récit familial et, si son histoire est difficile, de trouver le chemin vers une résilience. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR PAULINE HAMMÉ

ANNE-LAURE FILHOL

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Généalogie

Hors-série La Vie

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