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Foule sentimentale : influence des caractéristiques individuelles sur la contagion émotionnelle Margaux Lhommet, Domitile Lourdeaux, Jean-Paul Barthès Université de Technologie de Compiègne, CNRS Laboratoire Heudiasyc (UMR 7253) 60205 Compiègne Cedex, France {mlhommet,dlourdea,barthes}@utc.fr Les émotions jouent un rôle majeur dans les comportements individuels. De plus, des études en psychologie sociale montrent comment le phénomène de contagion émotionnelle entre individus influence les comportements collectifs. Nous proposons d’opérationnaliser ce phénomène, décrit par Hatfield et al. (1992), dans une architecture informatique. Ainsi, nous proposons un modèle computationnel de contagion émotionnelle basé sur les caractéristiques des individus telles que la personnalité OCEAN et les relations sociales. Notre modèle est implémenté au sein d’agents cognitifs, émotionnels et sociaux évoluant sur notre plateforme multiagent HUMANS»REPLICANTS et intégrant l’architecture cognitive Soar. RÉSUMÉ.

It is broadly known that emotions have a major role in individual behaviors. Moreover their automatical spread between individuals influences collective behaviors. We propose to operationalize this phenomenon, described by Hatfield et al. (1992). Therefore, we propose a computational model of emotional contagion based on OCEAN personality traits and social relationships of each individual. Our model is implemented into HUMANS»REPLICANTS, our multi-agent system where everyone is represented by an emotional, social and cognitive agent and uses the Soar cognitive architecture. ABSTRACT.

MOTS-CLÉS : intelligence KEYWORDS: emotional

émotionnelle, personnalité, cohésion sociale, système multi-agent.

intelligence, personality, social cohesion, multi-agent system. c 2012 Lavoisier DOI:10.3166/RIA.26.281-308

Revue d’intelligence artificielle – no 3/2012, 281-308

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1. Introduction Une crise militaire ou humanitaire est un évènement qui, s’il est mal géré, peut avoir des conséquences humaines et environnementales désastreuses. Lors d’une crise, les organismes chargés de la sécurité civile (sapeurs-pompiers, police, associations humanitaires) doivent généralement prendre en charge un grand nombre d’individus susceptibles de céder à la panique. Une gestion intelligente des victimes est donc indispensable, et les secours doivent s’intéresser aussi bien aux individus qu’à la foule dans son ensemble. Ces dernières années, la formation à la gestion de crises militaires ou humanitaires a connu un essor considérable, afin d’apprendre aux acteurs de la sécurité civile à gérer efficacement menaces terroristes et catastrophes naturelles. Les formations en situation réelle requièrent des moyens financiers et humains considérables. En effet, s’il est possible de réaliser des scénarios relativement simples via des jeux de rôle (de type prise d’otage ou évacuation d’avion) dans lesquels des acteurs mènent l’apprenant à des situations prédéfinies, il est difficile de regrouper et de gérer plusieurs centaines de figurants pour leur faire jouer le rôle des victimes. De plus, les possibilités scénaristiques restent limitées par ce qui est techniquement réalisable ; par exemple, il est impossible d’envisager des formations réalistes sur l’explosion d’une centrale nucléaire ou l’attaque NRBC 1 d’une ville. Les simulations informatiques apportent une réponse à ces problèmes, car elles permettent de modéliser autant de victimes qu’on le souhaite et de confronter l’apprenant à toutes sortes de scénarios, et ce, à moindre coût. Une simulation destinée à la formation à la gestion de crise propose à un (ou plusieurs) apprenant d’incarner un avatar dans un environnement virtuel représentant le site où se déroule la crise. Les victimes (et dans certains cas les autres intervenants) sont représentées par des personnages virtuels autonomes (PVA) gérés par la simulation. Le système doit proposer à l’apprenant d’interagir avec ces individus de manière isolée, par exemple, pour soigner un blessé, mais aussi de s’adresser à un ensemble d’individus, par exemple, pour indiquer à un groupe de victimes de se rassembler à un endroit. Enfin, l’apprenant doit pouvoir influencer le comportement de la foule à l’échelle globale par ses actions sur l’environnement, par exemple, en ajoutant des barrières de sécurité afin de restreindre et canaliser les déplacements. Il est donc nécessaire d’offrir à l’utilisateur la possibilité d’interagir finement avec les PVA en proposant différents niveaux d’action. Dans chaque cas, les PVA ciblés doivent réagir de manière crédible et les résultats de cette interaction doivent avoir des incidences sur le comportement général de la foule. Pour cela, le comportement de chaque PVA doit être cohérent avec les actions de l’utilisateur et avec l’évolution de la situation, tout en influençant celui des personnes qui l’entourent.

1. Le sigle NRBC désigne les armes nucléaires, radiologiques, bactériologiques ou chimiques. Ces armes sont dites de destruction massive, car leurs effets sont dévastateurs et difficiles à contrôler. Renforcer la protection contre ces menaces est l’une des priorités de la Défense et Sécurité nationale française.

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En 1895, Le Bon (1895) écrit la première étude sur les foules, qu’il définit comme « une réunion d’individus quelconques, quels que soient leur nationalité, leur profession ou leur sexe, et quels que soient aussi les hasards qui les rassemblent ». Une foule est donc hétérogène, c’est-à-dire composée d’individus présentant des caractéristiques propres telles que la personnalité, les désirs et buts, les normes sociales, culturelles ou religieuses auxquelles ils obéissent ainsi que les relations sociales qu’ils entretiennent les uns avec les autres. C’est l’ensemble de ces particularités, combinées entre elles, qui détermine la réaction émotionnelle de chaque individu face à un évènement, et la décision à prendre pour réaliser ou s’approcher de ses buts. De plus, Le Bon (1895) déclare que « chez une foule, tout sentiment, tout acte est contagieux, et contagieux à ce point que l’individu sacrifie très facilement son intérêt personnel à l’intérêt collectif ». La prise de décision individuelle n’est donc pas toujours réalisée dans un objectif d’accomplissement personnel, mais est grandement influencée par la foule. Si Le Bon (1895) remarque qu’« il est facile de constater combien l’individu en foule diffère de l’individu isolé; mais il est moins facile de découvrir les causes de cette différence », il propose cependant une ébauche de réponse en décrivant pour la première fois le phénomène de contagion émotionnelle. Par la suite, de nombreux psychologues et sociologues se sont intéressés à ce phénomène. Parmi eux, Hatfield et al. (1994) définissent cette contagion comme « The tendency to catch (experience/express) another person’s emotions (his or her emotional appraisals, subjective feelings, expressions, patterned physiological processes, action tendencies, and instrumental behaviors) ». Les auteurs précisent que cette contamination découle de notre capacité inconsciente et automatique à percevoir, analyser, interpréter et mimer les émotions et les intentions d’autrui. N’étant pas consciente, cette contagion s’applique entre toutes les personnes du groupe, bien que son intensité dépende de nombreux facteurs. Cette théorie a été confirmée et étoffée par de nombreuses études et expériences. Par exemple, dans un contexte professionnel, Barsade (2002) note que la contagion d’émotions positives dans un groupe améliore la coopération, permet d’éviter les conflits et augmente l’impression de performances ressentie par ses membres. Nos travaux portent sur la modélisation informatique de l’émergence de comportements de foule à partir des comportements des individus qui la composent. Nous proposons de baser ces comportements individuels sur une architecture cognitive permettant aux PVA d’adapter finement leur raisonnement à l’environnement et à ce qu’il s’y déroule. De plus, afin de composer une foule hétérogène, les agents présentent des caractéristiques individuelles (émotions, humeur, personnalité, relations sociales, normes socioculturelles) qui influencent leurs comportements. Chaque PVA est un agent au sein d’un système multi-agent. Un modèle de contagion émotionnelle est mis en place afin de représenter l’influence entre les PVA. Cette simulation est utilisée pour la formation à la gestion de crise et doit être réactive aux actions de l’utilisateur. La problématique qui se pose est celle du passage à l’échelle. La modélisation des émotions, des relations sociales et de l’influence inter-agent nécessite la mise en place de processus cognitifs complexes, et cette difficulté est décuplée par le grand nombre d’agents nécessaires pour constituer une foule. En effet, le processus décisionnel classique d’un agent émotionnel et social consiste à réaliser de la planification

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sociale, c’est-à-dire qu’il évalue l’impact de chaque action possible sur chacun des autres agents avant de prendre une décision. La complexité de la planification sociale est donc exponentielle en fonction du nombre d’agents en présence. Nous proposons ici de remplacer cette planification sociale par une planification qui consiste à n’évaluer que l’impact des actions possibles sur l’agent lui-même. Le phénomène de contagion émotionnelle, parce qu’il est automatique, inconscient et ne met pas en jeu de cognition, nous permettra de transformer l’influence inter-agents en un processus de complexité linéaire et ainsi d’apporter une solution au problème de passage à l’échelle. Dans cet article, nous nous intéressons plus particulièrement aux facteurs individuels qui régissent la contagion émotionnelle. Parce que ces travaux sont à mi-chemin entre informatique et psychologie, nous reviendrons tout d’abord sur les modèles issus de la psychologie couramment utilisés en informatique dans le domaine de la modélisation d’agents cognitifs. Nous évoquons quelques modèles de foules puis décrivons les modèles de contagion existants. Enfin, nous présentons notre modèle d’agent cognitif émotionnel et social, puis notre modèle de contagion émotionnelle, issu de résultats d’études psychosociologiques portant sur l’impact des différences individuelles sur la contagion. Enfin, nous décrivons notre plateforme REPLICANTS puis nous illustrons notre modèle avec deux exemples simples avant de conclure.

2. État de l’art 2.1. Personnalité, émotions et humeur 2.1.1. Personnalité La psychologie de la personnalité postule que les comportements et expériences des gens sont déterminés par des caractéristiques relativement stables, appelées traits. La polémique a longtemps porté sur le nombre de traits nécessaires pour définir la personnalité d’un individu. Ainsi, Eysenck (1947) propose un modèle en deux traits (extraversion et neuroticisme), qu’il enrichit par la suite d’un troisième trait (psychotisme) (Eysenck, Eysenck, 1976). De leur côté, Costa et McCrae (1985) développent un modèle en trois traits (neuroticisme, extraversion et ouverture à l’expérience) auquel ils ajoutent deux traits (agréabilité et caractère consciencieux) (Costa, McCrae, 1996). On retrouve ce modèle en cinq facteurs sous les noms FFM (Five-Factor Model), Big Five ou OCEAN (de la première lettre de chacun des traits qui le composent). Il a été prouvé, aussi bien d’un point de vue théorique qu’expérimental, que ce modèle décrit de manière exhaustive toutes les dimensions des autres modèles de personnalité, et en particulier le modèle en trois traits d’Eysenck et Eysenck (1976) qu’il affine. Le tableau 1 décrit ces cinq traits à l’aide de couples d’adjectifs, le premier représentant le trait présent pour une valeur négative du facteur et le second pour une valeur positive. Ainsi, une personne ayant une valeur positive d’ouverture à l’expérience sera dite « imaginative », alors qu’une personne ayant une valeur négative sera considérée comme « terre-à-terre ».

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Tableau 1. Les cinq traits de personnalité OCEAN (O) Ouverture à l’expérience Terre-à-terre - Imaginatif Non créatif - Créatif Conventionnel - Original Peu curieux - Curieux Conservateur - Libéral

(C) Caractère consciencieux Négligent - Consciencieux Paresseux - Travailleur Désorganisé - Organisé Retardataire - Ponctuel Sans but - Ambitieux Versatile - Persévérant

(E) Extravertion Réservé - Affectueux Solitaire - Grégaire Silencieux - Bavard Passif - Actif Sérieux - Gai Insensible - Passionné

(A) Agréabilité Impitoyable - Se laisse attendrir Suspicieux - Confiant, naïf Avare - Généreux Antagoniste - Consentant Critique - Indulgent Irritable - Coulant

(N) Neuroticisme Calme - Inquiet D’humeur égale - Capricieux Content de soi - S’appitoie À l’aise - Timide, gêné Peu émotionnel - Emotionnel Robuste - Vulnérable

La personnalité d’un individu est décrite par une valeur pour chacun des cinq traits de personnalité. Cette valeur peut être obtenue par des questionnaires ou dérivée de scores obtenus sur des échantillons. En effet, les profils de personnalité sont généralisables et directement comparables entre groupes composés d’individus d’âge, de sexe et de culture similaires. De plus, des études en génétique comportementale ont permis de prouver que les traits de personnalité sont déterminés génétiquement et sont donc relativement insensibles à l’environnement. La personnalité d’un individu adulte ne varie pas et peut donc être considérée comme statique 2 . 2.1.2. Émotions et humeur Malgré les différentes approches proposées par les psychologues pour catégoriser les émotions, tous s’accordent pour différencier émotion et humeur. Selon eux, l’émotion a une très courte durée d’apparition (quelques secondes), car elle devien2. McCrae et Costa (2003) proposent une analyse étendue de la dynamique, ou plutôt de l’absence de dynamique, de la personnalité chez l’adulte.

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drait désorganisante de par son intensité. L’humeur, au contraire, dure plus longtemps. Ainsi, la colère durera tout au plus quelques minutes, tandis que l’humeur irritable pourra durer plusieurs jours. La plupart des auteurs définissent l’humeur comme l’agrégation temporelle des différents états émotionnels traversés par l’agent. Il existe de nombreux travaux sur la modélisation informatique des émotions et la majorité d’entre eux se focalise sur des individus isolés. Les applications sont généralement centrées sur le domaine des agents conversationnels animés (ACA) dont la prise de décision vise la construction de dialogues avec un interlocuteur humain et le rendu visuel des émotions ressenties. Suivant les théories cognitivistes, les émotions d’un individu sont issues de l’évaluation cognitive (appraisal) des évènements en fonction de paramètres qui lui sont propres. La théorie émotionnelle OCC d’Ortony et al. (1988) est la plus répandue dans le domaine informatique. Elle détermine 22 émotions ainsi que les étapes de l’évaluation cognitive d’une situation de manière computationnelle. Cette évaluation cognitive se compose de trois niveaux : elle spécifie comment les évènements, les actions des autres agents et la perception des objets sont confrontés aux buts de l’agent, à ses critères d’acceptabilité morale (standards), et à l’attractivité des objets (préférences) afin de générer l’état émotionnel ressenti par l’agent. Par exemple, la perception d’un évènement permettant d’atteindre ou de s’approcher d’un but déclenche de la joie, le fait de réaliser une action contraire à la morale génère de la honte alors que la perception d’un objet donnera de l’envie ou du dégoût. À ces émotions sont associées des intensités qui reflètent l’impact de l’émotion sur l’état mental général de l’agent. La théorie OCC n’explique cependant pas comment interpréter cet état émotionnel, en particulier quels en sont les effets sur la prise de décision. Bien qu’il puisse également être utilisé pour représenter les émotions, le modèle continu PAD (Pleasure-Arousal-Dominance) (Mehrabian, 1996b) est généralement utilisé pour décrire l’humeur d’un agent. Le modèle PAD permet de représenter cette humeur dans un espace continu en trois dimensions. Afin de définir l’humeur neutre d’un agent, Mehrabian (1996a) propose la relation 1 qui relie le modèle de personnalité OCEAN (Costa, McCrae, 1992) en cinq dimensions et l’espace PAD en trois dimensions. Humeur = (P, A, D)

(1)

P = 0, 59 ∗ A + 0, 19 ∗ N + 0, 21 ∗ E A = 0, 57 ∗ N + 0, 30 ∗ A + 0, 15 ∗ O D = 0, 60 ∗ E + 0, 32 ∗ 1 + 0, 25 ∗ O + 0, 17 ∗ C Egges et al. (2004) définissent un modèle générique de l’impact de la personnalité OCEAN sur le ressenti émotionnel OCC (émotions et humeur). Les auteurs implémentent ce modèle au sein d’un agent conversationnel capable d’interpréter l’état émotionnel d’un interlocuteur humain et d’adapter son propre état pour synchroniser ses réponses faciales et textuelles. El Jed et al. (2004) étendent ce modèle pour évaluer

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l’état émotionnel de l’utilisateur et animer son avatar en conséquence (animations faciale, gestuelle et perceptive). Le module d’évaluation prend en entrée les évènements de l’environnement et les actions réalisées par l’utilisateur auxquels sont associés des impacts émotionnels précalculés, et modifie son humeur en prenant en compte la personnalité et la contagion émotionnelle (les processus régulant cette dernière ne sont cependant pas explicités). Gebhard (2005) propose le formalisme ALMA qui combine les émotions (OCC), l’humeur (PAD) et la personnalité (OCEAN) d’un ACA. ALMA est intégré dans le projet « Virtual Human » qui propose un environnement virtuel de formation peuplé de deux agents virtuels, une enseignante et un étudiant (en compétition avec l’apprenant). La personnalité de ces deux agents peut être modifiée afin de changer leurs comportements : par exemple, l’étudiant virtuel peut être soit fainéant, soit ambitieux, et donc répondre de manière plus ou moins pertinente aux questions de l’enseignante. Chaque étape du dialogue est évaluée afin de générer un état mental sur lequel sont basées l’expression faciale, l’intonation, la gestuelle, la posture et la réponse de l’agent. Lazarus (1991) complète la théorie OCC en définissant deux étapes. Si la première, l’évaluation cognitive (appraisal), consiste toujours à déterminer l’état émotionnel de l’agent suite à un ou plusieurs évènements, la seconde calcule la capacité de l’agent à faire face aux conséquences de cet évènement et permet de choisir une stratégie (coping) lui permettant de réagir. Il peut s’agir d’une action concrète dans l’environnement (coping centré problème) ou d’une réévaluation de l’état émotionnel (coping centré émotion), comprenant par exemple la relaxation, le déni ou la culpabilisation. Cette théorie émotionnelle très complète fait appel à des processus cognitifs de très haut niveau et difficiles à implémenter informatiquement. Elle est donc rarement utilisée pour implémenter les émotions d’agents informatiques. On peut néanmoins citer les travaux de Gratch et Marsella (2004) qui définissent EMA, une architecture d’agent cognitif émotionnel et social capable de raisonner sur des connaissances incertaines et de planifier ses comportements en fonction de ses émotions et de ses relations avec d’autres agents. Ainsi, l’agent est capable de faire des compromis sur ses propres désirs en ne choisissant pas toujours d’effectuer l’action la plus désirable si une autre lui permet d’aider un agent qu’il apprécie ou de nuire à un agent qu’il n’aime pas. Ces travaux ont été appliqués pour créer des humains virtuels ayant un rendu graphique des émotions ressenties et des processus décisionnels cognitifs extrêmement puissants.

2.2. Modèles de foules Le pionnier dans le domaine de l’émergence de comportement macroscopique à partir de comportements microscopiques est Reynolds (1987). Ses travaux concernent l’émergence de la formation « en V » des nuées d’oiseaux, le comportement de ces derniers étant décrit par seulement trois équations. C’est la naissance du domaine de l’animation comportementale qui se focalise sur la perception, les déplacements et les évitements des agents de la simulation. Dans cette lignée s’inscrit la majorité des travaux sur la modélisation de foule : simulations pour l’évacuation de bâtiments

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(Braun et al., 2005) ou encore piétons pour l’animation de villes (Shao, Terzopoulos, 2007). Ces modèles ne permettent cependant pas (ou peu) d’interaction entre la foule et l’utilisateur. Musse et Thalmann (2001) proposent viCrowd, un modèle de foule dont le comportement est défini à trois niveaux (individuel, groupe et foule) qui permet de modéliser de larges foules dans lesquelles les individus présentent des comportements crédibles. Cependant, ces comportements sont réactifs et ne permettent pas d’interactions fines avec l’utilisateur. De plus, ils ne prennent pas en compte les émotions et la personnalité. Silverman et al. (2002) implémentent des foules composées d’agents émotifs répondant à des normes socioculturelles pour réaliser des simulations pour l’entraînement militaire (par exemple la gestion d’une foule de manifestants). L’appartenance des individus à des groupes d’intérêt commun est fixe et le modèle ne prend pas en compte la contagion des émotions. Adamatzky (2005) propose un modèle de foule dans lequel la contagion des émotions se fait via un modèle issu de la chimie artificielle : les émotions sont représentées par des molécules et les interactions sont basées sur des formules chimiques. Le comportement des agents est déterminé par une machine à états.

2.3. Modèles computationnels de contagion 2.3.1. Modèles épidémiologiques et à seuils Il existe de nombreux travaux sur les phénomènes de contagion dans les domaines de la biologie (modèles épidémiologiques) et des sciences sociales (propagation des rumeurs, des tendances d’achat, des avis politiques). Dodds et Watts (2005) proposent de classer ces modèles en deux groupes. Les modèles d’interaction indépendante, aussi appelés modèles épidémiologiques car largement utilisés par les mathématiciens pour représenter la propagation des maladies infectieuses, ne prennent pas en compte les caractéristiques individuelles ni les expositions répétées ; et les modèles à seuils qui définissent des conditions nécessaires avant que l’infection ne puisse avoir lieu et qui correspondent aux phénomènes de contagion sociale. Durupinar (2010) présente un modèle de foule composé d’agents dotés d’une personnalité, d’émotions et d’une humeur. Les actions qu’un agent peut réaliser sont définies par son rôle qui est statique (par exemple manifestant, leader, policier). La prise de décision est directement déterminée par des tendances à l’action reliées à la personnalité des agents. L’auteur y intègre la contagion des émotions en utilisant un modèle à seuil probabiliste : chaque agent dispose d’une jauge de contamination et d’un seuil au-dessus duquel il est considéré comme contaminé. À chaque pas de temps, les valeurs de contamination des agents voisins s’ajoutent (cette valeur est égale à 0 si l’agent n’est pas contaminé). Si cette valeur de contamination est supérieure au seuil de l’agent cible, celui-ci devient contaminé.

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La principale critique apportée à ces modèles est qu’ils catégorisent les individus dans des groupes selon le fait qu’ils sont soit contaminants, soit susceptibles d’être contaminés, mais jamais les deux à la fois, ce qui est incompatible avec la définition de la contagion émotionnelle donnée par les psychosociologues. En effet, dans le cas des émotions, chaque agent est continuellement contaminant et contaminé. 2.3.2. Modèle ASCRIBE Bosse et al. (2009) proposent ASCRIBE (Agent-based Social Contagion Regarding Intentions Beliefs and Emotions), un modèle computationnel de contagion émotionnelle basé sur les modèles de dissipation thermique utilisés en physique. À chaque pas de temps, conformément aux observations des psychologues (Hatfield et al., 1994 ; Hareli, Rafaeli, 2008), les individus transmettent leur état émotionnel et sont impactés par celui des autres. Afin de prendre en compte les spécificités individuelles, le modèle ASCRIBE définit un ensemble de paramètres qui déterminent la capacité d’absorption et de transmission des émotions 3 de chaque agent et qui sont reprises dans le tableau 2. Tableau 2. Caractéristiques ASCRIBE relatives à la contagion d’un agent émetteur E et d’un agent receveur R qE qR ηE δR αER

Intensité de l’émotion ressentie par l’émetteur Intensité de l’émotion ressentie par le receveur Capacité de l’émetteur à contaminer les autres agents Capacité du receveur à être contaminé par les autres agents Force du canal d’échange de l’émetteur vers le receveur

À chaque pas de temps, chaque agent calcule la valeur moyenne transmise par les agents qui l’entourent et met à jour son état émotionnel. En particulier, les auteurs démontrent que l’émotion du groupe converge vers la moyenne pondérée des états émotionnels des agents. L’évolution dans le temps de l’émotion ressentie par chaque agent R, situé au sein d’un groupe d’agents G, est définie par l’équation différentielle (2). dqR ∗ = γR (qR − qR ) dt

(2)

γR représente la force globale avec laquelle l’agent R reçoit l’émotion des agents du groupe. Elle est définie par la formule (3) et nécessite de calculer γRE la force avec laquelle l’agent R reçoit l’émotion de chaque agent E du groupe (formule (4)). Plus le canal de communication αER entre les deux agents est fort, plus les émotions sont

3. Les émotions du modèle ASCRIBE sont définies de manière ad-hoc et ne sont pas basées sur un modèle issu de la psychologie.

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transmises. Si γER = 0, l’agent R n’est pas impacté par l’émotion de l’agent E. Si γER = 1, la contagion de cette émotion est à son maximum. X γR = γER (3) E∈G

γER = ηE × αRE × δR

(4)

∗ qR , définie par la formule (5), représente la moyenne de l’émotion transférée à R, pondérée par la capacité de l’agent émetteur E et la force du canal d’échange entre E et R (formule (6)). X ∗ qR = ωER × qE (5) E∈G

ηE .αER X∈G ηX .αXR

ωER = P

(6)

Bosse et al. (2009) proposent de lier la capacité d’un agent à influencer émotionnellement les autres agents à la capacité de cet agent à externaliser et afficher l’émotion ressentie. Ainsi, l’extraversion, l’expressivité ou l’énergie d’un agent a pourraient permettre de déterminer la valeur ηa (par exemple, l’émotion propagée par un agent introverti sera moins intense que s’il était extraverti). Ils proposent de lier δa (la capacité d’un agent a à être influencé par les émotions des autres) à sa flexibilité émotionnelle. Enfin, αBA (la force du canal d’échange de l’émetteur b vers le receveur a) serait corrélée au type et à l’intensité du contact entre les deux agents, par exemple la distance qui les sépare ou le degré d’attachement. Ils ne proposent cependant pas de modèle formel permettant de déterminer ces valeurs. Afin de valider ce modèle, Bosse et al. (2011) tentent de reproduire, à partir d’une vidéo, une situation de panique de foule et mesurent les écarts de comportement entre la foule réelle et la foule modélisée. Ils s’inspirent d’un incident survenu le 4 mai 2010 à Amsterdam : lors de la minute de silence d’un rassemblement national, un individu a commencé à hurler, provoquant un mouvement de panique générale. Cette modélisation se déroule en plusieurs étapes. Tout d’abord, les auteurs extraient manuellement les comportements d’une dizaine d’individus présents sur la vidéo (en l’occurrence, il s’agit de reporter, frame par frame, les coordonnées géographiques de ces personnes). Ensuite, une foule est modélisée : les comportements possibles des agents sont définis (« rester au même endroit » ou « se déplacer dans une direction ») et leurs paramètres ASCRIBE sont initialisés par défaut. Les auteurs définissent ensuite des fonctions d’évaluation afin de pouvoir comparer les différences entre le comportement des individus et celui des agents. Dans le cas présent, il s’agit de calculer la distance euclidienne entre la position notée sur la vidéo et celle des agents dans la simulation. Les auteurs appliquent ensuite une méthode de calibrage pour déterminer les valeurs optimales des paramètres de chaque agent, en accord avec les résultats voulus. Tsai, Bowring et al. (2011) proposent de comparer les modèles de contagion émotionnelle de Durupinar (2010) et de Bosse et al. (2009). Pour cela, ils implémentent

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ces modèles de contagion émotionnelle au sein de trois foules dans le moteur de simulation d’évacuation ESCAPES (Tsai, Fridman et al., 2011) : une foule sans contagion émotionnelle (modèle ESCAPES brut), une foule avec le modèle de contagion de Durupinar et une foule avec le modèle de contagion ASCRIBE. Les auteurs utilisent le processus de validation par vidéo expliqué ci-dessus, et notent que la la foule implémentant le modèle de contagion ASCRIBE produit un résultat 14% meilleur (en termes d’écarts observés) que celle avec le modèle de contagion de Durupinar, celui-ci étant équivalent au modèle ESCAPES brut, sans contagion émotionnelle. Bien qu’il propose des résultats en accord avec des comportements de foule observés en situation réelle, deux principales critiques peuvent être apportées au modèle ASCRIBE. Dans ce modèle, il est nécessaire de déterminer des distributions pour chacune des deux caractéristiques des agents (capacité à contaminer et capacité à être contaminé) ainsi que la force du canal d’échange de chaque couple d’agents. Or, Bosse et al. (2009) les calibrent afin qu’ils soient en accord avec les résultats attendus. Il est donc délicat de conclure sur une supériorité du modèle ASCRIBE car son efficacité dans des cas d’utilisation autres que le rejeu d’un sénario existant et ayant servi à calibrer le modèle reste à prouver. De plus, bien qu’ancré dans la théorie en psychologie, le modèle ASCRIBE reste flou sur la détermination des caractéristiques individuelles régissant la contagion émotionnelle, ce qui empêche d’implémenter des agents cognitifs capables de prendre des décisions complexes. En effet, il existe un lien entre les composantes individuelles (telles que la personnalité et les buts) et le comportement d’un agent. Or la proposition faite par les auteurs d’ASCRIBE manque de formalisme ; comment déterminer l’extraversion, l’expressivité d’un agent ? Et quel est l’impact de ces attributs sur la prise de décision ? En toute logique, un agent extraverti aura une grande force de contagion et sera donc un leader naturel. Il imposera son état émotionnel à des agents moins extravertis qui auront tendance à adapter leur comportement pour améliorer leur propre état émotionnel, et donc par la même occasion, celui du leader. Dans le modèle existant, il n’existe pas de lien entre ces différents niveaux, ce qui limite les comportements à des quasi-réflexes (l’agent a trop peur, il décide de fuir l’endroit où il se trouve) et ne permet donc pas de raisonnements cognitifs. 2.4. Positionnement Nous souhaitons voir l’impact des interactions entre l’utilisateur et les individus sur la foule dans son ensemble. Pour cela, nous avons besoin de modéliser chaque humain de manière individuelle au sein de la foule. Notre approche est donc celle des systèmes multi-agents dans laquelle chaque humain est représenté par un agent informatique capable de prendre des décisions de manière autonome. Les agents sont dotés de personnalités variées pour simuler des foules hétérogènes. En situation de crise, l’évolution de la situation dépend fortement du climat émotionnel de la foule. Afin de voir émerger l’influence des agents les uns sur les autres, nous avons donc

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choisi de modéliser le phénomène de contagion émotionnelle entre les agents composant la foule. Nous pensons que cette approche permettra d’obtenir des comportements macroscopiques émergents crédibles tout en permettant à l’utilisateur d’interagir finement avec la simulation. Si le modèle computationnel de contagion émotionnelle ASCRIBE semble en accord avec les études réalisées par les psychologues, en permettant en particulier de reproduire des situations observées, celui-ci nécessite un grand travail de paramétrage et ne permet pas de modéliser des agents cognitifs capables de rendre compte de prises de décision complexes. Notre objectif n’est pas d’obtenir des résultats de contagion meilleurs, en termes de réalisme par rapport à une foule observée, que ceux du modèle de contagion ASCRIBE, mais de l’enrichir avec des agents cognitifs basés sur des théories issues de la psychologie. Cela nous permettra, d’une part, d’assurer une cohérence entre les processus inconscients des agents (la contagion émotionnelle) et leurs processus conscients (la prise de décision). Et, d’autre part, de modéliser des interactions plus fines entre les agents et l’environnement, ainsi qu’entre les agents et l’apprenant et donc de rendre plus efficace la formation à la gestion de crise. Nous proposons un modèle d’agent cognitif émotionnel et social, basé sur des modèles issus de la psychologie et de la sociologie, ainsi qu’une méthode pour déterminer les paramètres individuels qui régissent la contagion émotionnelle définis par le modèle ASCRIBE. 3. Modèle de l’agent Nous modélisons chaque individu de la foule par un agent autonome cognitif, émotionnel et social. Chaque agent est caractérisé par un ensemble de composantes individuelles, telles que sa personnalité, des buts qu’il cherche à accomplir et les relations sociales qu’il entretient avec les autres agents. 3.1. Caractéristiques individuelles 3.1.1. Personnalité Puisque nous voulons modéliser une foule hétérogène, les agents qui la composent doivent montrer des personnalités variées. Nous utilisons le modèle OCEAN (Costa, McCrae, 1996), introduit en 2.1.1. Ainsi, le vecteur de personnalité Pi d’un agent i est défini par le vecteur (7). Nous avons choisi de représenter chaque trait sur l’intervalle [−1, 1]. Un agent ayant une valeur d’extraversion entre −1 et 0 sera considéré comme introverti, alors qu’une valeur entre 0 et 1 signifie qu’il sera plutôt extraverti.   PO  PC    5  Pi =  (7)  PE  , ∈ [−1, 1] .  PA  PN

Foule sentimentale

293

3.1.2. Relations sociales Les individus qui composent la foule sont sociaux. Après avoir analysé la littérature, Ochs et al. (2009) retiennent le modèle dimensionnel des relations interpersonnelles de Svennevig (1999) qui définit une relation sociale avec les variables suivantes : – le degré d’Appréciation d’un agent pour un autre, – la Dominance qui correspond au pouvoir qu’un agent peut exercer sur un autre agent, – la Solidarité c’est-à-dire le degré de similarité entre deux agents, en termes de buts, croyances et valeurs, – la Familiarité qui permet de caractériser le type et la quantité d’informations échangées entre deux agents. Du point de vue d’un individu a, la relation sociale entre deux individus a (luimême) et b est définie par le vecteur (8). Cette relation n’est pas symétrique, c’està-dire qu’il est possible que Ra/b 6= Rb/a , autrement dit que la relation qui lie a à b ne soit pas identique à celle qui lie b à a. Ochs et al. (2009) définissent un modèle de la dynamique des relations sociales fondé sur les types d’émotions ressenties par les agents en relation. Nous utilisons ce modèle pour représenter les relations sociales entre nos agents.  Appa/b Domina/b  4  =  Solida/b  , ∈ [0, 1] . F amia/b ] 

Ra/b

(8)

3.1.3. Émotions et humeur Nous avons choisi d’utiliser la théorie émotionnelle OCC (Ortony et al., 1988). Cette théorie spécifie comment les évènements, les actions des autres agents et les objets sont confrontés aux buts de l’agent (ses désirs), à ses standards (l’acceptabilité morale des actions), et à ses préférences (l’attractivité des objets) afin de générer des émotions. La théorie OCC définit 22 émotions, chacune d’entre elles disposant d’une émotion contraire, soit 11 couples d’émotions. L’état émotionnel E d’un agent à l’instant t est décrit par le vecteur (9) qui représente l’intensité de chaque émotion ressentie par l’agent. 

 I1  I2  11  E(t) =   · · ·  , ∈ [−1, 1] . I11

(9)

À chaque instant, l’agent ressent une humeur qui reflète son état émotionnel. Cette humeur est une agrégation des différents états émotionnels ressentis par l’agent au

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cours du temps. Dans notre modèle, nous avons choisi de représenter l’humeur de l’agent par une variable, Humeur(t), contenue dans l’intervalle [−1, 1]. −1 représente une extrême mauvaise humeur, 1 une très bonne humeur, 0 étant une humeur neutre 4 . 3.2. Dynamique d’un agent La figure 1 représente les cinq étapes du cycle de vie d’un agent. Celui-ci est basé sur le cycle classique perception-décision-action des agents cognitifs auquel se rajoutent un module d’évaluation cognitive (2) et un module de contagion émotionnelle (3). L’agent perçoit son environnement et met à jour ses croyances (1), ressent des émotions et gère ses relations sociales (2), subit la contagion émotionnelle (3), prend des décisions (4) et enfin agit (5). Agent

Environnement

(2) Évaluation cognitive Mise à jour de l’état émotionnel (1) Perception Mise à jour des relations

(5) Action

(3) Contagion émotionnelle

(4) Décision

Figure 1. Cycle d’un agent Les agents de notre plateforme sont cognitifs. Nous utilisons l’architecture cognitive Soar (Laird et al., 1987) pour modéliser les processus cognitifs de chaque agent. Soar est une architecture cognitive créée en 1983 à partir des travaux d’Allen Newell sur les théories unifiées de la cognition (Newell, 1990). L’objectif de Soar est de modéliser les processus cognitifs sous-jacents à l’intelligence humaine afin de voir celle-ci émerger artificiellement. Soar a été utilisé dans de nombreux travaux d’intelligence artificielle visant à simuler la prise de décision humaine, et est donc particulièrement adapté à notre cas. Nous décrivons plus en détail le module d’évaluation cognitive (2) et le module décisionnel (4) car ils sont cognitifs et gérés par des règles Soar. Le module de contagion émotionnelle (3) est décrit dans la section 4.

4. L’étude de la pertinence d’utiliser un modèle plus complexe pour la représentation de l’humeur (par exemple le modèle PAD) pourra conduire à d’autres travaux.

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295

3.2.1. Évaluation cognitive Notre module d’évaluation cognitive comporte deux étapes. La première correspond aux processus décrits par la théorie des émotions OCC (Ortony et al., 1988) et permet définir l’état émotionnel d’un agent à partir de ses perceptions, selon qu’il s’agisse d’un évènement, d’une action réalisée par un agent, ou d’un objet. La seconde étape, composée des éléments grisés dans les figures 2, 3 et 4 est une surcouche qui permet, d’une part d’obtenir une humeur, et, d’autre part, de gérer les relations sociales des agents. Un ensemble de règles Soar spécifie les différents processus mis en jeu dans ces deux étapes et détermine, à partir d’un ensemble de perceptions, l’état émotionnel et les relations sociales de l’agent. Buts

Évènement

Calcul de la désirabilité

Humeur

Émotions potentielles

Filtrage des émotions

Mise à jour de l’humeur

Émotions ressenties

Figure 2. Évaluation cognitive d’un évènement La figure 2 représente les étapes suivies par le module d’évaluation des évènements. Les ellipses représentent les processus et les rectangles les variables qu’ils mettent à jour. Les éléments grisés ne font pas partie de la théorie OCC et sont rajoutés dans notre modèle. Tous les évènements perçus sont susceptibles d’influencer l’état émotionnel de l’agent. Un évènement est défini comme désirable (respectivement indésirable) s’il permet d’augmenter (respectivement de diminuer) le degré de réalisation d’un (ou de plusieurs) désir(s) de l’agent. Par exemple, si « Rester en vie » a une importance supérieure à celle de « Être riche », une explosion blessant l’agent sera jugée plus indésirable que la perte de son porte-monnaie. L’intensité de l’émotion potentielle rattachée à un évènement dépend de la désirabilité de celui-ci à l’instant t. Préférences

Objet

Calcul de l’attrait

Humeur

Émotions potentielles

Filtrage des émotions

Mise à jour de l’humeur

Émotions ressenties

Figure 3. Évaluation cognitive d’un objet La figure 3 représente les étapes suivies pour évaluer l’impact émotionnel de la perception d’objets. Chaque agent dispose d’un ensemble de préférences envers les objets, personnes et situations afin de lui permettre de déterminer s’il doit ressentir de l’attrait ou du dégoût. De la même manière que pour l’évaluation des évènements, les émotions potentielles générées par les objets sont ensuite filtrées et agrégées en humeur.

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Humeur

Mise à jour de l’humeur

Émotions potentielles

Filtrage des émotions

Émotions ressenties

Impact relation potentiel

Mise à jour de la relation

Buts Action Évènement

Calcul de la désirabilité

Évaluation du mérite/blâme Auteur Standards

Relation

Figure 4. Évaluation cognitive d’une action

La figure 4 représente les étapes suivies par le module d’évaluation cognitive des actions et de mise à jour des relations sociales. Tout d’abord, l’agent évalue l’action comme s’il s’agissait d’un évènement : il génère des émotions potentielles qui sont par la suite filtrées et agrégées en humeur. Ensuite, il confronte cette action à ses standards socio-culturels afin d’attribuer du blâme ou du mérite à l’auteur de l’action et modifie, selon sa personnalité, sa relation avec l’auteur de l’action. Par exemple, un agent intransigeant (avec une agréabilité négative, soit PA < 0) sera moins tolérant et un agent réalisant une action qu’il jugera négative baissera rapidement dans son estime. 3.2.2. Décision La plupart des agents cognitifs émotifs et sociaux effectuent une planification sociale (le modèle le plus complet étant celui de Gratch (2002)). Dans ce contexte, l’agent sélectionne l’action qui lui permet d’optimiser son propre état, mais également celui des agents qui l’entourent. Ainsi, il pourra réaliser des compromis et par exemple décider d’effectuer une action qui n’est pas forcément la meilleure pour lui, mais permet de rapprocher ses amis ou d’éloigner ses ennemis de leurs buts. Ceci nécessite, d’une part d’avoir un modèle de chacun des autres agents explicitant leurs buts et caractéristiques individuelles et d’autre part, pour chaque plan et chaque agent, d’imaginer l’impact émotionnel et social de l’action en jeu sur ce dernier. La complexité de la planification sociale est donc exponentiellement dépendante du nombre d’agents en présence. Nous proposons ici de remplacer cette planification sociale par une planification dans laquelle l’agent ne considère que l’impact émotionnel des actions sur lui-même. C’est-à-dire qu’en fonction de ses caractéristiques individuelles et de ses buts, l’agent sélectionne, parmi toutes les actions qu’il peut réaliser dans l’environnement, celle qui lui permet de maximiser son propre état émotionnel, sans prendre en compte l’impact de ses actions sur les autres agents. Pour réaliser cela, nous disposons d’un ensemble

Foule sentimentale

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de règles Soar qui permet d’évaluer l’état émotionnel résultant du choix d’une action et ainsi de décider de l’action la plus pertinente. 4. Modèle de contagion émotionnelle Le modèle ASCRIBE (Bosse et al., 2009), propose un modèle computationnel de contagion émotionnelle cohérent avec les études réalisées par les psychologues (cf. 2.3.2). Cependant, le modèle d’agent qu’il met en jeu n’est pas basé sur des modèles issus de la psychologie et de la sociologie et ne permet pas de modéliser des prises de décision complexes. En effet, il est nécessaire, pour obtenir des comportements cohérents, de relier les composantes individuelles telles que la personnalité ou les buts des agents aux processus régissant la contagion émotionnelle et la prise de décision. Nous proposons d’enrichir le modèle ASCRIBE en associant les paramètres individuels qui régissent la contagion émotionnelle aux caractéristiques individuelles des agents. S’il n’existe pas de modèle formel reliant les caractéristiques individuelles d’un individu à sa participation au phénomène de contagion émotionnelle, de nombreuses expériences en psychologie se sont intéressées à ce sujet et ont permis de faire ressortir quels facteurs pourraient influencer la contagion émotionnelle. Selon (Hatfield et al., 1992), la contagion émotionnelle intervient entre chaque individu, celui-ci étant à la fois contaminant et contaminé. Ils précisent également qu’elle serait modulée par deux facteurs : la capacité d’infection des individus contaminants, et la sensibilité à la contagion des contaminés. Ces deux facteurs correspondent aux paramètres η et δ du modèle ASCRIBE. Deux facteurs modulent la capacité d’infection η d’un individu : – sa capacité à ressentir des émotions fortes, – sa capacité à exprimer (facialement, vocalement et/ou posturalement) des émotions fortes. Au contraire, un individu est susceptible à la contagion δ : – s’il est plus attentif aux autres qu’à lui-même, – s’il se considère plutôt comme dépendant des autres qu’individualiste, – s’il peut lire les émotions faciales des autres individus et tend à les imiter, – s’il est conscient de sa réponse émotionnelle, – s’il est émotionnellement réactif. De plus, un individu est plus sensible aux émotions des personnes qu’il aime ou qu’il admire et inversement moins sensible à celles des personnes qu’il n’aime pas ou ne respecte pas. Cela correspond au canal de communication, α, défini par le modèle ASCRIBE. Ces facteurs, énoncés tels quels, ne sont pas directement intégrables dans notre modèle. Cependant, (Hatfield et al., 1992) décrivent pour chacun d’entre eux les expériences ayant eu lieu afin de les valider. Nous nous basons sur celles-ci pour adapter

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ces facteurs aux composantes de notre modèle (personnalité OCEAN, relations sociales et émotions OCC agrégées en humeur) (voir tableau 3). Tableau 3. Influence des différences individuelles sur la contagion émotionnelle η/δ/α η η δ δ δ δ δ α

Adjectif Ressent des émotions Affiche des émotions Attentif aux autres Dépendant des autres Imite les émotions des autres Conscient de ses émotions Émotionnellement réactif Amour, admiration, respect

Interprétation EA+ (charismatique), E+, C- (impulsif) Humeur+ A+, OA+ (amical) O+ (sensible) ERelation +

Le pouvoir de contagion η d’un agent ne dépend que de sa personnalité et est donc statique (formule (10)). Π est une fonction permettant de combiner les traits de personnalité et est dépendante de l’implémentation. η = Π(−PE , PA , PE , −PC )

(10)

La susceptibilité à la contagion δ(t) d’un agent dépend de son humeur et évolue au cours du temps. Elle est définie par la formule (11). Π0 est une fonction permettant de combiner les traits de personnalité, et Φ est la fonction qui combine l’importance de la personnalité à l’humeur. δ(t) = Φ(Humeur(t), Π0 (PA , −PO , PA , PO , −PE ))

(11)

La force du canal de communication entre deux agents a et b dépend de la relation sociale de a vers b et est définie par la formule (12). ∆ est une fonction qui calcule la force de la relation sociale en transformant le vecteur 3D de relation sociale en valeur sur l’intervalle [−1, 1]. αa/b (t) = ∆(Rb/a ) (12) Lors de la phase de perception, chaque agent perçoit l’humeur et le pouvoir de contagion η des agents qui l’entourent. On considère que les agents voisins d’un agent a sont ceux situés à une distance inférieure à d. Bien que les études en psychologie insistent sur l’importance de l’attention de l’agent dans le phénomène de contagion émotionnelle, nous ne modélisons pas la perception de manière fine. De nombreuses études montrent que les individus sont plus attentifs aux personnes avec lesquelles ils ont des relations sociales positives. Comme nous prenons en compte ces relations sociales dans notre calcul de contagion émotionnelle, nous proposons un moyen détourné de modéliser l’attention et donc son impact sur la contagion émotionnelle.

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Le module de contagion émotionnelle applique le processus de contagion émotionnelle du modèle ASCRIBE en utilisant les valeurs de δ et η définies ci-dessus et les relations sociales comme canal de communication α. 5. Implémentation et résultats 5.1. HUMANS»REPLICANTS Nous implémentons ce modèle de contagion émotionnelle au sein de notre plateforme REPLICANTS. REPLICANTS est une plateforme multi-agent écrite en C++ qui implémente le modèle d’agent présenté dans la section 3 et intègre l’architecture cognitive Soar (Laird et al., 1987). REPLICANTS fait partie de HUMANS (HUmans Models based Artificial eNvironments Software platform), une plateforme logicielle visant à supporter des environnements virtuels rendant compte de comportements humains et basés sur des analyses de l’activité humaine. HUMANS comporte également des modules permettant de suivre l’activité de l’apprenant, HUMANS»MONITOR (Amokrane et al., 2008), ou encore de générer des scénarios pédagogiques de manière dynamique, en accord avec le profil de l’apprenant, HUMANS»SELDON (Barot et al., 2011). REPLICANTS dispose d’un moteur de génération d’agents cognitifs et propose une interface graphique qui permet d’inspecter et de modifier les caractéristiques des agents (figure 6 et figure 7). Les processus cognitifs (évaluation cognitive et décision) peuvent être gérés via les outils fournis dans la Suite Soar. On dispose ainsi d’un débugger, SoarJavaDebugger, qui permet de visualiser en temps réel l’état des processus cognitifs, tandis que les règles de comportement Soar peuvent être rédigées avec un éditeur prévu à cet effet, VisualSoar. 5.2. Caractéristiques individuelles et contagion émotionnelle Nous avons implémenté de la manière suivante les fonctions de calcul de pouvoir de contagion η (formule (13)) et de susceptibilité à la contagion δ (formule (14)) d’un agent. La force du canal de communication α est définie par la relation sociale entre les agents (formule (15)). Ces formules sont facilement adaptables. Il est ainsi possible pour un formateur de les recalibrer en fonction des besoins.

ηa =

δa (t) =

f (−PE ) f (PA ) f (PE ) + f (−PC ) + + 2 4 8

(13)

f (PA ) + f (−PO ) f (PA ) + f (PO ) + f (−PE ) 1 + Humeura (t) + + 10 5 5 (14)

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( x, avec f (x) = 0, αa/b (t) =

si x ≥ 0 sinon

Appb/a + Dominb/a + Solidb/a + F amib/a 4

(15)

5.3. Exemple 1 Dans ce premier exemple, nous proposons une implémentation simple de notre modèle de contagion émotionnelle. Pour cela, nous modélisons trois individus, Bob, Anna et Pablo dont les personnalités et caractéristiques individuelles de contagion émotionnelle 5 sont décrites par les vecteurs (16) et les relations par le tableau 4. Bob et Anna ont des relations très mauvaises (valeurs nulles pour chaque composante des relations sociales) ; par contre, tous deux apprécient Pablo. De son côté, Pablo a des relations identiques avec Bob et Anna. Ainsi, le canal de communication entre Bob et Anna est nul dans les deux sens, alors qu’il est de force moyenne entre Pablo et Bob et Pablo et Anna.  0.78  0.6     = −0.4 −0.4 0.6

PBob

 −0.6  0.16     = −0.56 −0.36 0.94 



PAnna

PP ablo

  −0.06 −0.18    =  0.06   0.38  0.92

ηBob = 0.2

ηAnna = 0.28

ηP ablo = 0.125

δBob = 0.436

δAnna = 0.172

δP ablo = 0.120

(16)

5.3.1. Résultats La figure 5 montre l’influence de la contagion émotionnelle sur l’évolution de l’humeur dans un cadre où les individus sont initialisés avec des humeurs arbitraires et où aucun évènement ne se produit dans l’environnement. L’humeur des agents évolue donc uniquement à cause de la contagion émotionnelle. On peut remarquer que, conformément aux études précédentes, les humeurs des agents convergent assez rapidement. On peut également remarquer l’importance des relations sociales : entre t0 et t10, l’humeur d’Anna tend vers celle de Pablo, qu’elle apprécie, et ignore Bob, qu’elle n’apprécie pas. De plus, entre t10 et t50, l’humeur de Pablo, bien qu’influencée par celle de Bob, est tout de même plus proche de celle d’Anna. Ce phénomène s’explique par le fait qu’Anna a une plus forte capacité de contagion (η) que Bob, car Pablo a les mêmes relations sociales avec Anna qu’avec Bob. 5. Les valeurs δ indiquées ici correspondent à la susceptibilité à la contagion pour une humeur neutre, c’est-à-dire Humeur(t) = 0.

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Tableau 4. Relations sociales et force du canal de communication Bob Bob

Anna

Pablo

-

  0 0  RelA/B =  0 0 αB/A =0  0.5 1  RelP/B =  0.2 0.9 αB/P = 0.65

Anna   0 0  RelB/A =  0 0 αA/B = 0 -

RelP/A αA/P

Pablo  0.8 0  RelB/P =  1 0.5 αP/B = 0.575   0.6 0.5  RelA/P =  0.3 0 αP/A = 0.35

  0.5 1  = 0.2 0.9 = 0.65

Figure 5. Évolution de l’humeur dans le temps

-

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5.4. Exemple 2 Dans un second exemple, nous proposons d’intégrer l’évaluation cognitive ainsi que la prise de décision dans un scénario simple de panique au cours duquel des feux se déclenchent dans l’environnement. Les agents peuvent choisir entre cinq actions : ne rien faire ou se déplacer dans l’une des quatre directions cardinales ("stay", "moveNorth", "moveSouth", "moveEast", "moveWest"). La position des agents ainsi que leur personnalité sont générées aléatoirement à l’initialisation de la simulation. Pour des raisons de simplification, cet exemple ne comporte que des évènements et les agents n’évaluent pas les actions des autres agents. 5.4.1. Évaluation cognitive L’évaluation cognitive d’un évènement est réalisée par l’application d’un ensemble de règles Soar. La première étape consiste à évaluer la désirabilité de l’évènement par rapport aux buts de l’agent. Dans notre exemple, les agents n’ont qu’un seul but, celui de rester en vie, et les feux qui se déclarent dans l’environnement sont toujours jugés indésirables. La règle Soar evaluate*desirability*event*fire permet d’associer, à un évènement perçu une désirabilité calculée en fonction de sa distance : plus l’évènement est près, plus il est indésirable. evaluate*desirability*event*fire{ ( ^perceptions.events.event ) ( ^type ^distance ) --> ( ^desirability (- 100 )) Ensuite, la règle Soar evaluate*emotions*event*desirability permet de générer une émotion potentielle pour cet évènement. Dans notre cas, l’émotion générée correspond à la désirabilité de l’évènement. evaluate*emotions*event*desirability{ ( ^perceptions.events.event ^potential-emotions ) ( ^desirability ) --> ( ^joy-distress ) Un ensemble de règles permet ensuite d’agréger les émotions potentielles, sans filtrage, afin d’obtenir une humeur. 5.4.2. Décision Dans le formalisme Soar, la prise de décision consiste à choisir un opérateur à appliquer. La règle qui gère l’opérateur relatif à l’action "moveNorth" est décrite par

Foule sentimentale

303

la règle Soar propose*action*moveNorth qui, si la cellule au nord de l’agent est libre, considère l’action comme possible. propose*action*moveNorth{ ( ^agent-position ) ( ^at-north.free true) --> ( ^operator +) ( ^name moveNorth) Dans le cas où plusieurs actions sont possibles, l’agent doit choisir celle qu’il préfère. Dans le formalisme Soar, cela s’appelle une Impasse, car l’agent ne dispose pas de suffisamment ou au contraire, de trop, d’information pour faire un choix. C’est dans ce contexte que Soar planifie. Nous avons fait le choix d’effectuer une planification émotionnelle, c’est-à-dire que l’agent va sélectionner l’action qui optimise son état émotionnel. L’agent va donc imaginer l’impact de chacune des actions possibles et évaluer l’état résultant afin de pouvoir faire son choix. Par exemple, dans le cas où l’agent doit choisir entre "moveNorth" et "stay", il va créer deux sous-états. Le premier correspond à l’application de l’action "moveNorth" décrite par la règle Soar *apply*action*moveNorth qui a pour effet de remplacer la position de l’agent par celle située au nord. apply*action*moveNorth{ ( ^operator.name moveNorth ^agent-position ) ( ( ^agent-position ^agent-position ) Suite à ce changement, la distance entre l’agent et chaque évènement perçu est automatiquement recalculée. Les règles d’évaluation cognitive sont ensuite appliquées afin de générer l’état émotionnel que l’agent ressentirait s’il effectuait cette action. Une fois que chaque action possible est évaluée, l’agent peut sélectionner celle qui maximise son état émotionnel et la transmet au module d’action pour la réaliser concrètement dans l’environnement. 5.4.3. Résultats Les figures 6 et 7 sont des captures d’écran de REPLICANTS prises lors de l’exécution du scénario décrit ci-dessus. La figure 6 montre la situation initiale, et la figure 7 l’évolution de la situation. Chaque petit disque représente un agent, dont le niveau de gris indique l’humeur. Plus le disque est clair, meilleure est l’humeur de l’agent. Dans la figure 6, le large disque grisé autour de l’agent sélectionné représente sa zone de perception. Les cercles de taille moyenne représentent les feux présents dans l’environnement. Il est possible de les déclencher via un clic droit dans la fenêtre. Le volet

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F IGURE 6. Situation initiale

F IGURE 7. Situation finale

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305

gauche contient la liste des agents alors que le volet droit propose de visualiser et éventuellement de modifier à la volée les caractéristiques de l’agent sélectionné (personnalité et humeur). On remarque tout d’abord que les agents ont essayé de rallier les positions non exposées aux feux. Pour certains la situation est sans issue. Le groupe de trois agents au nord est bloqué par des feux : chaque agent se trouve dans un état émotionnel désastreux, entretenu par la proximité des feux et par la contagion émotionnelle. Les agents situés au centre de l’environnement se sont regroupés dans une zone non exposée, et leur humeur s’est améliorée.

6. Conclusion Dans cet article, nous nous sommes intéressés au phénomène de contagion émotionnelle mis en exergue par un grand nombre de psychologues et sociologues, et avons proposé une architecture cognitive capable de supporter des agents cognitifs, émotionnels et sociaux. Nous avons également défini un modèle de contagion émotionnelle computationnel qui prend en compte la personnalité des agents et les relations sociales. Ces travaux sont basés sur le modèle computationnel de contagion émotionnelle ASCRIBE, qui a prouvé son efficacité en termes de reproduction de comportements de foules réelles, et l’enrichissent par l’utilisation de modèles issus de la psychologie et de la sociologie. Cela nous permet d’assurer une cohérence entre les processus inconscients des agents (la contagion émotionnelle) et leurs processus conscients (l’évaluation de leur état émotionnel et la prise de décision). Ces agents sont implémentés sur notre plateforme multi-agent REPLICANTS et les processus cognitifs de chacun d’entre eux sont assurés par un agent cognitif Soar. L’utilisation d’une architecture cognitive nous permet de modéliser des raisonnements complexes et des interactions plus fines entre les agents et l’environnement, ainsi qu’entre les agents et l’apprenant et ainsi de rendre plus efficace la formation à la gestion de crise. Dans la suite des travaux, nous testerons notre modèle sur plusieurs échantillons d’agents de grande taille et affinerons l’influence des relations sociales sur la contagion émotionnelle. Ensuite, nous nous intéresserons au phénomène de contagion d’états mentaux et à son influence sur la prise de décision individuelle. En effet, au-delà de la contagion émotionnelle, de nombreux auteurs mettent en évidence la transmission automatique des intentions et des croyances, bien souvent associée à la « perte d’individualité » des individus composant la foule. Nous étudierons en particulier l’influence des normes sociales définies par le groupe lors de la prise de décision individuelle. Tout comme les psychologues, nous pensons que ces normes sont dynamiques et évoluent en fonction des personnalités et désirs individuels de chacun des membres du groupe. Nous proposerons donc un modèle basé sur la cohésion sociale afin de répondre à la problématique de contagion intentionnelle. Enfin, nous conduirons des tests sur plusieurs scénarios de simulation, en particulier orientés sur la gestion de crise et mettant en jeu des foules, ainsi que sur la formation au management d’équipes.

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Nous pensons que ce modèle nous permettra d’obtenir des comportements individuels et collectifs représentatifs de ceux observés dans des situations de crise. Un second objectif sera de démontrer que ce modèle offre des possibilités d’interaction fines entre l’utilisateur et les individus de la foule : ceci passera par le couplage de REPLICANTS avec les autres modules de notre suite HUMANS, à savoir HUMANS»MONITOR et HUMANS»SELDON qui permettront d’adapter dynamiquement le scénario de formation au profil de l’apprenant. L’utilisation de la suite HUMANS permettra d’intégrer des facteurs humains dans des environnements virtuels et de former plus efficacement les utilisateurs. Remerciements Ces travaux sont menés dans le cadre d’une thèse financée par la Direction Générale de l’Armement. Les auteurs tiennent à remercier V. Lanquepin, V. Palancher, G. Ricaud et D. Lin, étudiants ingénieurs à l’Université de Technologie de Compiègne, pour leur contribution au développement de HUMANS»REPLICANTS.

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