forum cett-2005

24 nov. 2005 - Qu'est que le CETT et pourquoi ce carrefour d'échanges ? Qu'est-ce qui ..... Le Conseil Général n'étant pas financeur, prescripteur, contrôleur ou tarificateur des TPSE .... pare-feu, pour éviter une expulsion par exemple.
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24/11/2005 Intervention de Mr Bertrand RAVON, Sociologue, Maître de Conférence à l'Université Lumière Lyon II.

Introduction: Universitaire, je dirige un master pro pour des travailleurs sociaux ayant déjà une expérience professionnelle et qui au terme de 10 à 15 ans de travail, en moyenne, éprouvent le besoin de réfléchir à leurs actions et se tournent vers une formation réflexive. L'objectif de cette formation est d'offrir aux professionnels des outils de recherche. Je me présente non pas comme un sociologue de l’expertise mais davantage comme un sociologue de l’accompagnement, du soutien des travailleurs sociaux. Ayant beaucoup travaillé sur « qu’est-ce que d'avoir le souci de l’autre, qui sont les praticiens du souci de l’autre », j’ai réalisé ces études sans m'intéresser beaucoup à l'usager justement pour pouvoir focaliser mon regard sur la pratique et sur l’organisation de la pratique. J’ai travaillé sur les travailleurs sociaux en général, les éducateurs, les bénévoles de l'action caritative, et à présent je travaille sur les « psychistes » : ceux qui, aux frontières de l'accompagnement social et de la santé mentale, s'intéressent à l'accompagnement de la souffrance psychique. Au travers de toutes ces études, j’ai compris que pour avoir le souci de l'autre cela suppose une expérience sociale vécue, une expérience du mépris social. Je ne connais pas de vrais travailleurs sociaux qui n'aient pas vécu, expérimenté, voire dépassé, cette expérience du déni social, de la mal reconnaissance. Tout au long de ma carrière, j’ai rencontré beaucoup de gens qui ont passé leurs vies à aider les autres et, parmi eux, beaucoup sont ce que j’appelle « des pattes cassées », au sens propre comme au figuré. Nombre de gens que j’ai rencontrées se sont en effet eux-mêmes cassé une jambe et l'expérience de l’hospitalisation a pu être parfois décisive dans l’histoire de leur « vocation » à aider autrui. J’ai compris la nécessité de réfléchir à la tension entre l'attachement pour le souci d'autrui et la nécessité de s’en détacher. Il y a là une tension permanente qui est le nerf de la guerre. N’étant pas un spécialiste des travailleurs sociaux de la TPSE, j’ai été frappé, en lisant différents textes, par cette tension et par l’autocritique permanente des travailleurs sociaux en la matière.

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On peut se demander « qu'est-ce qu'un sociologue qui se soucie de ceux qui se soucient des soucis des autres ? ». En tant qu’universitaire, je risque fort de devenir un chercheur confiné, réduit au huit clos des laboratoires, éloigné des tumultes de l’actualité sociale. Pour conjurer ce risque, je cherche toujours et avant tout à travailler avec ceux que j’appelle « les chercheurs de plein air » et dont l’activité consiste justement à mener euxmêmes une enquête sur le terrain de leurs exercices professionnels. Il est intéressant d'essayer de comprendre, au cours de ce forum, deux ou trois caractéristiques de ces enquêtes de plein air et d’interpréter la demande de réflexion collective constitutive du CETT.  Qu’est que le CETT et pourquoi ce carrefour d’échanges ? Qu'est-ce qui explique ce besoin de venir des quatre coins de France pour se rencontrer ?  Pourquoi ce besoin de penser le travail relationnel dans la TPSE comme une relation de service ? Pourquoi autant insister sur le mot « service » répété cinq fois (dans le titre) ? On verra que le travail social n'est pas une relation de service mais plutôt, comme l'a dit Michel Autès, « une relation de service sans service ».  Amener quelques éléments socio historiques sur la transformation des relations d'aide individuelle, liées à la crise de l'état social, c'est-à-dire liées à la question posée par la nécessité de penser la subjectivité de tout un chacun comme une question collective. 1 - Les délégués à la TPSE : entre ambivalence et mal-reconnaissance La TPSE est une terrain formidable avec en permanence une tension entre la relation tutélaire et la relation d’accompagnement. C'est une relation à sémantique variable, différente d’un Service à l’autre et le travail ambivalent des travailleurs sociaux est à la fois un bricolage sémantique et un bricolage pratique. Les travailleurs sociaux ont un savoir faire formidable dans la gestion de l'ambivalence. Ce travail est, à la fois un bricolage sémantique, discursif, contorsionniste et à la fois un bricolage pratique. Cela reste pour moi une énigme que j’espère résoudre au long de ce forum. Par exemple, sur le plan pratique les travailleurs sociaux TPSE ont un rapport spécial à l'argent qui consiste à arriver à prendre l'argent social et à le transformer en un levier d'aide éducative.

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Et puis il y a ce bricolage sémantique, discursif, de contorsionniste qui permet, selon les directives, « de juger » ou « d’éduquer », « de surveiller » ou « d’accompagner », « de contraindre » ou « de protéger », « de sanctionner » ou « d’accompagner», etc. Les travailleurs sociaux tiennent en permanence ce paradoxe, cette tension entre deux termes dissemblables, contradictoires que l’on appelle un oxymore. On pourrait dire que les travailleurs sociaux sont des « rois de l’oxymore ». Certains sociologues philosophes pensent que la transformation du monde, l’innovation, vient de cette capacité à fabriquer des oxymores. Il semble important de rapporter cette capacité à fabriquer des oxymores à une nouvelle manière de penser l’action commune, l’action démocratique, que l'on trouve surtout du coté des politiques environnementales et que certains appellent la démocratie dialogique (Cf. M. Callon, P. Lascoumes et Y. Barthe, Agir dans un monde incertain, Seuil, 2001). Il est très intéressant de voir comment les travailleurs sociaux cherchent à se mettre dans des postures où il ne faut pas trancher. L’auteur Michel CALLON et Cie, dans son livre « Agir dans un monde incertain » parle de décider sans choisir, sans trancher. Cette activité consiste à décider sans choisir les décisions uniques, en essayant de construire des décisions mesurées plutôt que de vouloir uniquement par la raison, par un seul argument, essayer de définir une fois pour toutes La Norme (avec un grand L et un grand N). On va au contraire multiplier les arguments, enchaîner des arguments secondaires, essayer d’appliquer différentes mesures à la fois, avec des normes d’action juridiques et sociales. Bref, on va chercher à travailler dans une pluralisation des normes. Selon Michel CALON, la meilleure façon d'y arriver c’est de multiplier les points de vue, enchaîner les rendez-vous, développer les chaînes des arguments, multiplier les prises qu'on a sur l’action. Ce qui compte, la qualité du résultat, c'est de multiplier les procédures et multiplier les prises et c'est ce qui permet de construire la justesse des procédures. Décider sans trancher c’est extrêmement difficile. Il faut pouvoir s’appuyer sur des collectifs hybrides, des acteurs différents, des évaluateurs, des donneurs d'ordre, souvent très différents qui n'ont ni les mêmes enjeux ni les mêmes cultures professionnelles, et les faire travailler, les faire vivre et surtout les faire reconnaître comme étant tous concernés par un problème commun et partagé. Les délégués à la tutelle sont les parents pauvres du travail social car méconnus. A l’instar des associations qui luttent par exemple contre les maladies orphelines, ils doivent se faire reconnaître en termes d’arguments mais aussi en nombre et arriver à se mobiliser au niveau national. D’où le CETT.

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En tout cas, lorsque qu’on est face à un mandat pratique mal reconnu l’enjeu ce n’est pas seulement de rendre légitime cette pratique, de la faire connaître ; l’enjeu c’est de la généraliser, ou du moins de l'associer, à des pratiques existantes et donc de multiplier les acteurs. Les délégués à la tutelle ont un travail de reconnaissance qui consiste à multiplier les acteurs à mobiliser et qui, de ce fait, demande à territorialiser les pratiques, à savoir réunir tous les gens concernés par le problème sur un même territoire. Ils doivent le faire à la fois sur le plan de la pratique, en s'associant à différents interlocuteurs (l'AEMO, les éducateurs, etc…), et à la fois en mobilisant tous ces interlocuteurs et en affirmant que leur cause est juste et qu'ils tiennent à leurs mesures de tutelle. Les délégués souffriraient donc d'ambivalence et de mal reconnaissance. 2 - La TPSE : une relation de service… au service de la relation ? Pourquoi penser ce travail relationnel comme une relation de service ? Il faut penser le métier des délégués, ce travail relationnel, comme un métier comme les autres. Cela évite de penser que le professionnel est désintéressé et que le bénéficiaire est confiant (il faut éviter l'angélisme). Par ailleurs, cela permet de reconnaître le travail social dans la chaîne des différentes professions. Le sociologue américain Ervin Goffman, dans son livre « Asile » a écrit des passages remarquables là-dessus, en comparant deux métiers de la réparation : les garagistes et les travailleurs sociaux :  un client  un usager  un garagiste  un travailleur social  un objet défectueux (la voiture  le comportement, par exemple) Le schéma de la réparation est une configuration spécifique de l'aide. Dans les deux cas, autour du client, du praticien et de l'objet défectueux, il y a trois types de compétences relationnelles :  La compétence technique - la relation de service repose sur un diagnostic technique de la défaillance.  La compétence contractuelle – qui définit les modalités de la réparation (le coût, la durée, l'engagement des deux parties, …).  La compétence civile ou rituelle – qui correspond aux « civilités », aux échanges ordinaires propres à toute conversation (dire bonjour…).

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La différence c'est que pour le travailleur social (contrairement au garagiste) le client est aussi l'objet défectueux. De même il est impensable de poser le diagnostic isolé, indépendamment de ce qui se passe dans la relation (compétence civile). Dans le cas du garagiste, le diagnostic technique ne changera pas si le client ne lui dit pas « bonjour » ou « merci ». Par contre le travailleur social tiendra compte de la rupture des civilités, ce qui en soi représente déjà une défaillance et qui va alimenter le diagnostic. Le garagiste peut poser les 3 compétences l'une après l'autre, mais le travailleur social devra quant à lui les considérer en même temps. Autrement dit, Goffman nous invite à différencier la relation d’aide de toute autre relation de service, en indiquant que ce qui caractérise la relation d’aide c’est l’impossibilité de traiter les trois composantes (technique, contractuelle et civile) de la relation sur des plans isolés les uns des autres ou dans des temps différents. Nous revoilà au point de départ : toute la question c’est l’orchestration, l’assemblage des différents composants de la relation d’aide. Le risque de penser la relation d'aide, la relation tutélaire ou d'accompagnement, comme une relation de service c'est donc d'écraser la spécificité de la relation. De surcroît, si dans le travail social on identifie le client à l'objet défectueux, il s’agit également de le penser comme une personne à part entière, c’est-à-dire un être de relation. Toute la difficulté est de savoir comment on va faire ce travail d'identification : comment va-t-on faire exister tel ou tel usager comme une personne, une famille, etc ? C'est là que la question de la politique apparaît, car on balance entre deux grandes sphères de justice. Pour schématiser, on oscille souvent entre une justice de la redistribution et une justice de la reconnaissance. Avec les TPSE, et du fait que la question de l’argent est très présente, on pense immédiatement à la seule justice de redistribution. Or la question de la reconnaissance est également essentielle. La solidarité ce n’est pas seulement de la redistribution de biens matériels, mais c’est aussi la reconnaissance des gens et de leurs propres raisons de vivre, notamment de vivre ensemble. L’être social est en effet caractérisé par des besoins de reconnaissance ; il a besoin d’être valorisé, qualifié, connu, respecté, visible. Tout être social a besoin de construire un rapport positif à soi-même, lequel est indissociable d’un besoin de confirmation par autrui, que l’on peut retrouver dans l’amour (intimité, confiance), le droit (valeur égale des personnes, respect), ou le travail (contribution à la société, à la solidarité).

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La politique de l'Etat social, la politique de solidarité, repose sur ces deux éléments, la redistribution et la reconnaissance. Comment ces deux référents de la politique se jouent-ils dans les pratiques de la TPSE ? Enfin, l’obstacle sérieux associé à la notion de service correspond au risque de bureaucratisation du service. Ce phénomène transversal à toute action publique porte le risque de dérive gestionnaire ou « managériale », lorsque la dimension politique (la définition de l’horizon de l’action), dimension qui est au cœur du programme institutionnel, se met à être dévalorisée, au profit des seules procédures, qui du coup n’existent que par et pour elles-mêmes (c’est particulièrement le cas dans les actions, par projet, avec exigence d’évaluation et de partenariat). La question est donc davantage celle de la coproduction de la relation d’aide, que celle de la production du service. Parce que la coproduction de la relation d’aide, qui nécessite un réseau local d'acteurs diversifiés et donc suppose une pluralité des normes d’action, peut facilement être récupérée par la bureaucratisation ambiante et ses notions cardinales de flexibilité et de qualité, il est impératif de renouveler les pratiques pour continuer à durer (ce qui est la mission de toute institution). Si la TPSE n’est pas une relation de service, comment alors la penser ? J’ai été frappé par l’objectif, souvent rappelé, « de retour à l’autonomie des familles ». Pourquoi retour ? Cela voudrait dire qu'à un moment ces familles auraient été autonomes ? Pourquoi vouloir à tout prix penser l'autonomie au travers du fantasme de l'émancipation de ces familles ? Pourquoi vouloir la libéralisation totale des familles dont on sait qu'elles sont durablement aliénées ? Ne nous cachons pas la face, on n'est plus dans ce moment extrêmement riche du progrès social, donc ne cherchons plus à émanciper ces familles, c'est contreproductif. Ne cherchons pas à les rendre autonomes. Il y a une dépendance vis-à-vis des services sociaux qui est morbide et qu'il faudrait rendre sympathique, salvatrice, afin d'obtenir une meilleure dépendance. Il ne faut pas viser l'autonomie, mais viser une meilleure dépendance. En faisant ça on peut travailler beaucoup plus facilement et plus efficacement en se demandant comment rendre les usagers « mieux dépendants » ou « mieux acteurs de leur dépendance ». Je travaille actuellement avec des psychiatres sur la mobilisation des acteurs de la santé mentale et comment faire des patients actifs (alors que les patients sont par définition passifs), comment les faire acteurs de leur passivité.

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Plutôt que de vouloir guérir l'inguérissable, émanciper l'impossible, il s'agit de mieux organiser pragmatiquement une meilleure dépendance. On le pense déjà pour les personnes âgées, cela peut marcher. On le pense également avec certains tuteurs des personnes majeures. Pour bien se détacher (s'émanciper) il faut d’abord être attaché. 3 - Les transformations de la relation d’aide (Cette partie, initialement prévue, n’a pu être développée faute de temps. Elle est reprise ici partiellement)

Nous serions passés d’une relation d’aide socio-éducative (avec ses modèles normatifs du travail sur autrui) à une relation d’aide beaucoup plus localisée, beaucoup plus personnalisée, fondée sur des pratiques d’accompagnement (travail avec autrui). Décontractons ces deux modèles qui bien souvent co-existent. Modèle du « travail sur autrui » fondé sur un idéal (re)éducatif à visée émancipatrice La relation d’aide est, selon Robert Castel, un type de technicité professionnelle situé au cœur de la pratique du travail social, qui « repose sur l’interaction entre un professionnel compétent (…) et un usager, en vue d’améliorer l’état de l’usager ». Il s’agit de remédier à un dysfonctionnement en mobilisant une compétence professionnelle de type « technico-psychologique ». Une fois mesuré par les différentes techniques d’essence psychopédagogique (enquête sociale, test psychotechnique, case-work, entretien psychothérapeutique, etc.), le manque devient réparable, aménageable, transformable, en un mot perfectible ; s’ouvre alors l’horizon d’attente de la réparation, de la guérison, de l’adaptation, ou de l’intégration. Les inégalités sociales, pensées comme des retards sont de ce fait potentiellement effaçables. La relation d’aide est ainsi inscrite dans un rapport enchanté à l’avenir (forte croyance dans le progrès social) ; elle est fondée sur la longue durée (celle de la progression possible de la personne ou du groupe aidé) et non sur l’urgence des situations d’intervention… Modèle du « travail avec autrui » fondé sur l’urgence de l’intervention sociale Par contre, lorsque les usagers sont pensés à partir des problèmes de la conjoncture (chômage, divorce…), avec le risque imminent de décrochage de la vie collective (thème de la vulnérabilité de masse et de la désaffiliation, thème de la désocialisation), la relation d’aide devient alors (ou est pensée comme) le dernier attachement au social. Dans ce cas, la question n’est plus celle de la progression socio-éducative de l’usager dans la vie sociale, mais celle de son maintien dans les mondes qu’il est susceptible de traverser. Plus encore, l’impératif de co-production de l’aide augmente : il s’agit d’abord d’éprouver ici et maintenant qu’il y a une possibilité de réponse à la « perte » de lien social, l’enjeu de l’intervention étant bien de rétablir ou de maintenir le contact. Ce qui se passe dans la relation d’aide devient du même coup le garant de l’efficience de l’aide elle même : il s’agit d’instaurer un monde de relations qui 17

est justement pensé comme faisant défaut. Bref, le temps long de la réparation (par intercession) cède le pas au temps réel de l’intervention (dans l’interaction). Cette analyse pose la question de la symétrisation. Tendue vers l’idéal éducatif du travail social, l’aide marque tout à la fois la solidarité entre aidants et aidés et le rapport pédagogique qui les réunit dans une relation dissymétrique (l’éducateur tirant sa force de l’universalité et de l’objectivité de sa mission : il doit tout apprendre à l’usager et ne saurait rien apprendre de lui). Mais lorsque l’aide n’est tenue que par l’horizon de la situation d’aide elle-même – ce que dit très bien le maître mot d’accompagnement – la relation entre aidants et aidés change de sens, et devient même le principal enjeu du travail. Travail de resymétrisation, au sens d’une aide définie à partir de la recherche de l’assentiment de la personne aidée et de la promotion du respect et de la dignité de la personne. L’écart (quel qu’il soit) entre aidant et aidé est mis à l’épreuve et au travail réflexif sur soi et dans la relation (supervision, analyse de la pratique). Le regard compassionnel pur et « innocent » ou la posture arrogante de celui qui sait pour l’autre ne sont plus de mise et sont des travers régulièrement dénoncés. Je fais l’hypothèse que tout délégué à la tutelle aux prestations sociales enfants se retrouve très souvent dans la tension entre ces deux conventions de la relation d’aide, entre contrainte et accompagnement.

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24/11/2006 Intervention de Mr Michel RISMANN – Juge des Enfants Vice-Président chargé du Tribunal pour Enfants de Valence

Nous avons essayé sur le département de mieux coordonner, au niveau institutionnel, le suivi de la tutelle aux prestations sociales enfants (TPSE) ; un livret est en cours d’élaboration, à l’usage des professionnels ; il s’agit d’une opération de communication autour de cette mesure, mal connue, dans sa spécificité judiciaire. Ce chantier a été un peu mis en jachère, il y a eu d’autres priorités ; les projets de loi, qui suscitaient certaines interrogations, mais avaient stimulé la réflexion, ont été provisoirement mis de côté. De même, il a été difficile à notre niveau, d’assurer un audiencement régulier des dossiers, les échéanciers habituels du Tribunal pour Enfants n’englobant pas toujours cette mesure, ce qui provoque des retards d’audiencement qui se fait, au mieux, à l’arrivée du rapport du délégué, bien souvent avec un mois de retard, au pire, qui ne se fait pas, lorsqu’au rapport est joint l’accord écrit de la famille au renouvellement, ce qui permet au juge de justifier l’économie d’une audience, vieille pratique récurrente, qui réapparaît vite si l’on y prend garde. Je le regrette, et pense que nous avons, tous, une part de responsabilité ; à coup sûr, cela témoigne de l’extrême difficulté pour tous les acteurs d’inscrire la TPSE dans un champ authentiquement judiciaire, parmi les différentes mesures à la disposition du Juge des Enfants, pour servir les familles confrontées à de graves difficultés mettant en péril les conditions d’éducation des enfants. J’emploie à dessein, ce mot de servir, dans sa signification la plus noble (se mettre au service de, à la disposition de, prendre soin de...) ce qui exige beaucoup de savoir-faire, de rigueur et d’humilité. Je trouve, en effet, que la formulation choisie dans la plaquette d’invitation, un peu “fourre-tout”, évoque un peu trop une terminologie culinaire, hôtelière (qui sert-on en premier ? l’usager, l’enfant, les parents, le juge, le conseil général, quel est, au juste, le protocole ? etc...) et illustre un peu certaines dérives où le juge (qui est aussi mis à cette place) se borne à recueillir l’accord de la famille (“je vous la ressers pour un an”). Il me semble qu’effectivement, l’idée d’un référentiel de la TPSE, définie comme l’une des missions spécifiques de la protection de l’enfance, de soutien à la parentalité, avec une inscription dans le code civil, peut la dépoussiérer de ces vieilles pratiques routinières qui nous déconsidèrent un peu, le juge, le travailleur social et les familles ; Nous voilà ainsi ramenés sur le terrain des valeurs, qui sous-tendent nos interventions.

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Je vous propose de reprendre un peu le fil de mon intervention de l’an dernier au moins sur certains points et d’abord sur ce que sont les grands principes qui apparaissent dans l’intervention judiciaire de la TPSE :  le fait générateur de la tutelle doit être un motif grave (un déni de la prise en compte des besoins des enfants, dans la gestion des allocations familiales) qui exige le recours à la contrainte que représente une mesure judiciaire, les signalements ne font pas toujours bien apparaître la façon dont les parents, à travers l’affectation des prestations, prennent soin de leurs enfants ; le parquet de la Drôme, organe de filtre des signalements est très attentif et rigoureux sur ce point ;  il s’agit d’une mesure, qui, parce qu’elle porte atteinte aux prérogatives de l’autorité parentale, relève d’un cadre procédural très formel ; le judiciaire doit normalement y mettre les formes : convocations par lettre recommandée, audience, possibilité d’être assisté d’un avocat, voies de recours, toutes ces règles garantissent la place faite au citoyen justiciable, auquel la société demande des comptes sur la façon dont il gère les prestations familiales. C’est donc une décision grave, qui n’est pas destinée à durer, et qui doit donc être réévaluée régulièrement, dans ce cadre ritualisé, tiercéisé par le juge et la procédure. Je souhaite maintenant aborder la façon dont le juge se représente les valeurs qui sous-tendent l’intervention éducative dans le cadre de la TPSE. Il me semble, que l’exercice de la tutelle nécessite une approche spécifique, singulière. Il ne s’agit pas d’un travail éducatif comme les autres : comment, à partir de l’argent perçu par les parents pour les enfants, construire un projet qui préserve les conditions de vie de ceux-ci ? J’évoque une forme de déontologie particulière à cette mission, qui suppose une intrusion finalement assez violente (transfert de la perception de l’argent), dans un domaine qui relève traditionnellement de l’intimité de la vie familiale. Comment envisager une relation à partir de cette intrusion ? L’apport du cadre institutionnel paraît fondamental dans cette rencontre avec la famille, la médiation institutionnelle semble très importante, au moins au démarrage de la mesure, pour évaluer un premier diagnostic, prendre le temps d’entamer un travail avec la famille. Le juge confie une mesure à une association, à un Service, pas à un délégué, donc à une équipe spécialisée avec des outils spécifiques. Il semble important qu’il n’y ait pas, d’emblée, un premier contact avec la famille et un travailleur social mais plutôt avec les membres d’une équipe et que cela se passe au Service, pour marquer que c’est bien une équipe, qu’elle dispose d’une organisation et d’une compétence particulières, ainsi que des formes pluridisciplinaires spécifiques permettant d’aborder cette prise en charge.

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Dans le déroulement de la mesure, le juge ressent beaucoup l’approche du premier aspect du paradoxe contenu dans la mission de tutelle (se substituer à, mais aussi soutenir, aider). C’est-à-dire que le Service se substitue à la famille et la représente dans les différents aspects de la gestion. Mais on ne ressent pas suffisamment l’autre aspect du paradoxe, qui est celui de la transmission des connaissances professionnelles, du soutien et de la défense des droits (par exemple en matière de vétusté, d’insalubrité, de problèmes avec les bailleurs, les créanciers etc...). Le recours aux avocats et à un réseau pluridisciplinaire peut être utile aux travailleurs sociaux dans la gestion de ces mesures, le but étant, avant tout, de réinscrire les familles dans leur place de citoyens. Ce deuxième aspect de soutien et d’accompagnement existe bien mais il n’apparaît pas suffisamment dans les rapports aux juges qui portent plus sur les comptes et la gestion. La particularité de la mesure de TPSE, c’est l’argent que perçoivent les familles. Cet argent qui va devenir vecteur d’évolution et de progrès et à travers lequel on va évaluer l’attention que les parents portent à leurs enfants. Or l’argent renvoie à des questions très importantes comme celle de la nourriture et de toute sa symbolique, la lingerie, la question des biens matériels, l’importance des animaux domestiques pour certaines familles, etc ... Il semble important de restituer dans les rapports aux juges ces questions et ce qu’elles représentent pour les familles. Il faut attirer l’attention des juges sur ces questions qui peuvent constituer des outils intéressants pour travailler le décalage culturel dans certains fonctionnements, où les familles vont prendre dans la société de consommation les choses qui leur apparaissent symboliquement comme extrêmement importantes et qui nous semblent dérisoires par rapport aux enjeux et aux dangers dans lesquels peuvent se trouver les enfants. Comment peut-on apprendre aux familles à composer avec la société et à trouver satisfaction et induire malgré tout des changements à partir de cette question d’argent ? La mesure de tutelle doit être limitée dans le temps, elle doit être provisoire. Il faut savoir se fixer des objectifs qui peuvent être limités mais évalués régulièrement pour éviter ces tutelles “au long cours”. Pour conclure, dans le cadre des mesures de TPSE, le Service est au service du Juge et vice-versa. Il ne faut pas hésiter à demander des audiences intermédiaires (ce qui est très rare de la part des organismes de tutelle) pour recadrer ou réévaluer les objectifs. Si les travailleurs sociaux utilisent bien le juge et si le juge sait également bien utiliser les travailleurs sociaux, la famille sera mieux servie aussi.

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24/11/2005 Intervention de Mr Christian CLAUZONNIER Responsable de la Sous Direction Enfance Famille au Conseil Général de la Drôme

Je vous propose d'articuler mon intervention selon les points suivants : 1) Quelle légitimité pour intervenir dans ce Forum du CETT ? 2) Politique et organisation de l’action sociale et médico-sociale dans la Drôme 3) La population drômoise 4) La TPSE, une prestation méconnue 5) Le sens de l’action et le projet Je représente à la fois : une collectivité territoriale, donc ayant une politique départementale, une administration, tenue de respecter des règles de droit et de bureaucratie, et la notion de service public, cette notion du service rendu au public me semblant très importante à l'heure actuelle. 1) Quelle légitimité pour intervenir sur ce sujet ?

Le Conseil Général et la TPSE

 n'est pas financeur  n'est pas prescripteur mais gestion des missions en propre  n'est pas contrôleur mais financeur des dispositifs (Aide à domicile, ASE, etc.)  et aussi coordinateur de l’action sociale et médico-sociale au travers des lois de décentralisation

Le Conseil Général n'étant pas financeur, prescripteur, contrôleur ou tarificateur des TPSE, j’estime ma légitimité à intervenir dans ce forum limitée et je la pose à deux niveaux à travers : 1° - la coordination des actions médico-sociales, notamment des lois de décentralisation ; 2° - l'articulation de la TPSE à la fois sur les missions d'aide sociale à l'enfance et sur les missions de la lutte contre les exclusions.

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2) Politique et organisation de l'action sociale et médico-sociale 2-1 Une politique nationale Au niveau politique et en termes d'organisation, dans le cadre de la Commission Enfance Famille, il y a une nécessité de suivre les indications de la loi et les décrets d'application. Une collectivité locale c'est d'abord des fonctionnaires qui appliquent la loi et ses décrets. Au titre de l'Aide Sociale à l'Enfance les missions sont :  sensibiliser les acteurs départementaux sur les questions de maltraitance ;  organiser le recueil des informations signalantes ;  favoriser et organiser l’aide à domicile (action éducative, finance, prévention spécialisée) ;  gérer un dispositif d’accueil d’urgence ;  prendre en charge sur le plan éducatif des mineurs confiés par les magistrats ;  financer les décisions prises par les magistrats (AEMO, garde directe,..) ;  contrôler et tarifier les établissements et services de l’ASE (loi du 2/01/2002). Au titre de la lutte contre les exclusions il faut gérer de plus en plus des dispositifs comme le RMI, le FSL, les Fonds d'aide énergie, la lutte contre les expulsions… Tous ces aspects ont des articulations sur le travail au quotidien des délégués qui gèrent les questions des mesures de TPSE. 2-2 Une politique départementale A coté de l'application des politiques nationales, le Conseil Général, en tant que collectivité locale, a aussi une obligation de formalisation de schémas départementaux. A défaut, le Préfet a le pouvoir de se substituer au Conseil Général et réaliser un schéma départemental. A l'heure actuelle, la majorité des départements formalisent leurs schémas départementaux. Le schéma départemental, élaboré sous l’autorité du Président du Conseil Général, est un document de programmation des priorités stratégiques et opérationnelles des autorités publiques locales. Il s'agit d'arriver à fabriquer un « collectif hybride » (en référence à l’intervention d’un précédent conférencier) pour avoir une vision partagée du besoin de la population et à partir de là essayer de mettre en place des axes stratégiques et des objectifs opérationnels sur 5 ans. Cette période de 5 ans est intéressante car cela permet d'avoir une continuité des actions publiques au-delà des échéances électorales. Dans le département de la Drôme le schéma Enfance Famille a été validé en 2003. Il y a eu un changement politique entre temps et la nouvelle majorité a pris en compte ce schéma sur tous les aspects, tout en ajoutant son empreinte particulière.

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Ce schéma départemental en cours jusqu'en 2008 porte sur 4 axes : développer

la prévention sous toutes ses formes le dispositif protection développer la politique jeunesse coordonner les acteurs au niveau local et départemental adapter

Tous ces dispositifs de prévention concernent également les services prestataires des TPSE. A coté du schéma départemental, il y a une doctrine politique départementale qui se repère au travers des discours officiels mais surtout au travers de l'évolution des budgets votés. Dans la Drôme il a aujourd'hui une forte volonté de développer la prévention, c'est-à-dire développer une palette de réponses en amont de l’intervention judiciaire et développer aussi une dynamique territoriale, une reconnaissance des spécificités territoriales. Cela se fait avec une méthodologie basée à la fois sur une volonté de concertation avec le milieu associatif et les autres partenaires locaux, mais également sur une volonté d'évaluation. Il y a une obligation de systématiser les conventions d'objectifs et de moyens avec l'ensemble des partenaires. Tout cela se passe dans un contexte général assez tendu du fait de la décentralisation, du transfert de charges, direct ou insidieux, de la part des services de l’Etat sur les Conseils Généraux qui, du coup, doivent mettre en place de nouvelles politiques, comme la politique des personnes handicapées et la Maison du Handicap, un vrai défi pour les départements, ou la politique autour des personnes âgées avec le maintien au domicile et le fait de devoir produire de l'hébergement de qualité pour ces personnes. Pour les départements ce sont là deux secteurs très importants, amenés à se développer dans les années à venir et la question est de savoir comment les autres secteurs vont se développer aussi, notamment le secteur Enfance Famille. Concernant ce secteur, les consignes aujourd'hui sont des consignes de redéploiement sur un certain nombre d'enveloppes financières. 2-3 Une organisation L'organisation est au service du projet politique. Actuellement dans la Drôme, comme dans beaucoup de départements, on est dans un système de logiques verticales par mission (sous direction enfance famille, sous direction prévention santé, lutte contre les exclusions) mais tout cela doit se regrouper sur le plan territorial. L'enjeu étant d'arriver à croiser à la fois le vertical et l'horizontal.

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Cela oblige à se recentrer sur les missions prioritaires, ce qui peut expliquer la tendance à oublier un peu la TPSE au fil des années. Au niveau des centres médico-sociaux les travailleurs sociaux ont eu beaucoup de travail concernant l'APA, le RMI, etc. et la TPSE, du coup, est devenue un peu périphérique car les Conseils Généraux ne sont pas directement impliqués. Effectivement, si ce type de mesure était inscrit au Code Civil avec une obligation de financement au niveau des départements, ceux-ci seraient beaucoup plus impliqués, du moins du point de vue institutionnel. 3) La population drômoise La Drôme est un petit département avec une population de 437000 habitants, assez rurale, avec beaucoup de personnes âgées dans l'est du département. La population urbaine se concentre le long du couloir rhodanien. Les voies de communication sont peu développées. Le secteur agricole est en grande difficulté et le secteur industriel peu important. Toutefois, on peut noter un petit développement de la haute technologie et des services. Le département est attractif sur le plan de la migration de la population, mais il attire aussi une population en grande difficulté. En regardant la typologie de la population drômoise, on constate une forte augmentation du RMI depuis 2004 et qui continue en 2005. Le département présente les plus forts taux d’ AAH et d’API de la Région Rhône Alpes. Le taux de chômage est également le plus fort de la Région. On peut constater aussi un des plus forts taux de personnes en surendettement. Dans le domaine de l'Aide Sociale à l'Enfance on se rend compte que la Drôme avait le plus important nombre d'enfants placés de Rhône-Alpes, jusqu'en 1999 (900). Depuis il y a eu une diminution progressive, avec une stagnation en 2004 et une importante progression en 2005 (pour l'instant les raisons n'ont pu être expertisées, en interne ou de manière partenariale). 4) La TPSE – une prestation méconnue Que devient la TPSE dans ce contexte ? Le travail social est en lien avec la gestion de la misère et de la pauvreté. Dans ces termes la TPSE se situerait sans doute à l'articulation de la protection de l'enfance et de la lutte contre les exclusions Cette prestation est devenue, ave le temps, méconnue, peu visible et reste assez « confidentielle ». Depuis quelque temps, on essaye de la rendre un peu moins confidentielle, avec l'aide notamment de Mr RISMANN, des Services de l'état, de l'UDAF, des travailleurs sociaux, et on travaille sur le « Guide à l'usage des intervenants sociaux ».

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Quantitativement, cette mesure est peu importante. Dans la Drôme elle représente environ 200 mesures à l'année sur environ 7000 familles aidées. Par ailleurs, je constate que la TPSE a fait l'objet de peu de publicité de la part des acteurs publics et de l'association gestionnaire. On a des messages contradictoires sur cette prestation, comme par exemple la question de l'adhésion. En effet, certains professionnels des centres médico-sociaux pensent encore que l'adhésion de la famille est un préalable à la demande de TPSE. Un facteur qui contribue également à la méconnaissance de cette mesure est l'important turn-over des professionnels dans le département. D'où l'importance pour le service prestataire de mettre en place un système de communication visant à informer régulièrement les différents services sociaux du département sur la TPSE. Je relève également un déficit de repérage en termes d'évaluation et en termes de résultats de cette prestation qui concerne des personnes en très grande difficulté. Je rejoins l'avis de Mr RISMANN sur la confusion entre lutte contre les exclusions et protection de l'enfance. Les signalements parfois font apparaître les questions de lutte contre les exclusions où la tutelle est positionnée comme un pare-feu, pour éviter une expulsion par exemple. Alors que les incidences d'une mauvaise gestion sur la situation des enfants n'apparaissent pas suffisamment. 5) Le sens de l'action et le projet Considérant la TPSE comme une mesure à l'articulation de la protection de l'enfance et de la lutte contre les exclusions, il semble important de clarifier son contenu et d'harmoniser les pratiques. Il faudrait se saisir des outils et des références de la loi du 2 janvier 2002, où il y a des éléments qualitatifs à récupérer, pour poser des valeurs et principes d'actions (décrets d'application, contractualisation, chartres des droits et libertés, dossiers individuels …). J’ai rencontré dernièrement des délégués à la tutelle qui disent que les signalements sont souvent trop tardifs, ce qui les met en difficulté et ne permet pas une démarche de prévention suffisante. Il serait intéressant d'améliorer le travail en amont et utiliser le service prestataire comme une aide technique, comme un service de conseil. De même, durant le temps de la prestation, il serait intéressant de clarifier le rôle de chacun, de définir comment articuler les différentes interventions (notamment le rôle des allocations mensuelles). Il semble important aussi d'arriver à mieux travailler en aval : au moment où la mesure se termine, à la demande du service prestataire ou par décision du magistrat, comment se fait l'articulation et le passage de relais éventuel avec les collègues des services sociaux ?

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Peut-être faudrait-il également investir les centres de formation, pour leur transmettre des informations correctes sur ce type de mesure et ainsi mieux former les étudiants ? Pour suivre ce type de mesure de manière sereine, il faudrait se doter d’outils communs d’évaluation et de pilotage et se rencontrer tous les trimestres. Il semble important de promouvoir, comme cela s’est fait pour les AEMO il y a des années, une diversité des modes de prises en charge proposée aux familles (prestation judiciaire et administrative). C’est le débat autour des prestations relevant de l'Action Educative Budgétaire. Progressivement les Conseils Généraux se dotent de conseillères en économie sociale et familiale et, dans le cadre des programmes de lutte contre les exclusions, ils développent des modes de prise en charge contractualisés. Il y a là un enjeu pour mieux articuler des prestations qui ne sont pas de même nature mais qui doivent rester complémentaires et s’adapter au mieux à la situation particulière de chaque personne.

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24/11/2005 Débat avec les intervenants de la matinée

Mr HORRENT – UDAF 16 J'ai beaucoup apprécié l'intervention de Mr RAVON qui à travers ses propos donne un sens au mot ambivalence qui m'apparaît comme une richesse. En tant que chef de service je rencontre beaucoup de partenaires et on voit la mesure de TPSE comme une porte d'entrée pour permettre à d'autres intervenants de participer à l'évolution de la famille. Mr CANTELE – ADSEA 38 Je partage l'avis de Mr RISMANN sur la conclusion négative de Mr RAVON et ma question est : faut-il encore des délégués à la tutelle pour maintenir les gens dans la dépendance, même s'il s'agit d'une meilleure dépendance ? Mr RAVON L'autonomie c'est être bien entouré. Mais plus on est bien entouré plus l'ensemble de la société est solide. Plus on est autonome plus on est entouré. Les plus libres sont ceux qui ont le plus d'amis. C'est le paradoxe de la socialisation. La liberté consiste à choisir ses liens. La liberté comme détachement des liens c'est la mort. Il faut transformer les attaches morbides en salvatrices et se poser la question « qu'est-ce que la bonne dépendance ? ». Mr CLAUZONNIER A mettre la barre trop haute est-ce que l'on ne met pas les gens en dépendance ? Comment dans une épreuve va-t-on favoriser la réussite de l'autre ? Mr GERMAIN – UDAF 15 Si la TPSE est inscrite dans le Code Civil quels seront les critères ? Quels seront les critères pour inscrire la TPSE dans le champ de la protection de l'enfance ? Comment le département pourra-t-il intégrer la TPSE et quels sont les critères et la notion de danger ? Mr RISMANN Le texte est clair : « déni des besoins des enfants ». Les critères y sont ; peut-être faudrait-il les reformuler ? Si la mesure était inscrite au Code Civil, peut-être pourrait-on redéfinir les critères et avoir une analyse plus fine du signalement. On a beaucoup de mal à se recentrer sur la question du déni de l'enfant.

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Mr CLAUZONNIER Au Conseil Général nous avons moins ce regard car nous ne sommes pas prescripteurs des mesures deTPSE. Nous avons des difficultés à travailler les indicateurs de danger. J'insiste sur l'importance pour le Conseil Général d'une réflexion sur les indicateurs partagés s'il y a accord sur l'interprétation. Mr RISMANN Reste la question d'appréciation individuelle du prescripteur et du juge. Cela restera toujours une appréciation, une interprétation individuelle. Mais je suis d'accord pour la réflexion. Mr VEYRON – ADSEA 38 Comment assurer la bonne gestion des prestations familiales sans savoir comment protéger les enfants ? Pourquoi tant dissocier les choses ? Mme GROSDUBOIS - UDAF 37 A propos des indicateurs, est-ce que des parents qui dépensent trop pour les enfants sont des parents mal traitants ? Par dépenser trop, j'entends dépenser plus que ce que l'on a. Quel est le rôle du travailleur social ? Mr VEYRON – ADSEA 38 Il faut voir la façon d'utiliser les prestations familiales mais aussi la capacité des parents à gérer. Il est difficile de dissocier, on ne peut pas faire l'un sans l'autre. Mr Eric GOYARD – CSEB 34 Le rôle de la TPSE serait d'aider les parents à aider autrement les enfants. Mr RISMANN Il y a des mesures qui durent depuis 10 ou 15 ans, les renouvellements se font presque d'office. On se demande quel est le rôle du juge là dedans ? Il faut recibler la TPSE, d'où la nécessité de l'inscrire au Code Civil. Dans la question de l'évaluation par rapport aux enfants, il faut préserver l'intérêt des enfants. Mr RAVON A propos de la question « dépenser trop » et « faire des cadeaux », en vous écoutant, je suis en train de m'apercevoir comment la mesure judiciaire donne un caractère d'obligation. Cette force d'obligation de la relation tutélaire, qu'elle tient du judiciaire, permet de mettre au travail des question comme « qu'est-ce que c'est être dépensier, qu'est-ce que c'est donner trop de cadeaux ? ». Il y a une force d'obligation qui est une condition de possibilité du travail relationnel et de son élaboration. Dans la tutelle aux prestations sociales ce n'est pas seulement l'argent qui est le levier mais aussi la force d'obligation. Ça permet de « déstigmatiser » beaucoup de choses parce que ça évite de mettre les gens dans des situations de responsabilisation. Ca ne les responsabilise pas, ça les oblige à penser.

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Mr CHEFNEUX – UDAF 69 Quant au positionnement des juges, il est vrai qu’ils ont pas mal évolué quant à la reconnaissance de la mesure de TPSE comme une prérogative. En général, maintenant, on travaille bien ensemble, du moins c'est le cas dans le Rhône. Dans son livre « l'atelier du juge » Laurence BELON dit qu'il est indécent qu'un juge prenne ces décisions, il faut à tout prix déjudiciariser, par contre il faut garder l'AEMO... Mme Véronique DARNAL – ADSEA 69 Laurence BELON viendra présenter son livre à Lyon. Je sais qu'il y a des passages dans cet ouvrage où la mesure de tutelle est mise en question. Je trouve que c'est toujours intéressant d'entendre des avis de magistrats par rapport à cette mesure. Je pense que c'est aussi à partir de ces points de vue que l'on peut se rendre compte que l'on a aussi à balayer devant notre porte en termes d'évaluation et de partenariat. Donc, je prends tous les arguments que vous pourrez me transmettre pour pouvoir rencontrer Mme BELON et lui donner mon point de vue ainsi que les vôtres. Q : Mme Marie-Agnès NOEL – UDAF 54 La TPSE a un problème de mal reconnaissance. La question est : à force de l'entendre, n'est-il pas plus confortable de rester dans un statut de parent pauvre du champ social ? Et je renvoie à l'intervention de Mr CLAUZONNIER qui nous disait qu'il faut que les associations aillent de l'avant et soient plus offensives pour se faire connaître. L'évaluation sur la qualité de nos prestations va être faite à travers cette grille de lecture qu'offre, maintenant, la loi du 2 janvier 2002. Cette grille de lecture que nos partenaires auront et qui va être pratiquement le seul champ d'évaluation externe. Mr Rolland CARO – UDAF 50 J'aimerais apporter un témoignage : en 2000 nous avons eu affaire à un juge qui a souhaité ne pas judiciariser les situations des familles qui avaient des problèmes économiques. Cela a fait baisser le nombre de mesures de notre Service qui est passé de 400 à 300 mesures en 18 mois. En décembre 2000 on est venu au CETT à Paris. En 2001 on s'est mis au travail et on a rencontré le juge qui nous a fait une proposition. Il nous a imposé par exemple des mesures de 6 mois. Il souhaitait savoir, avant de mettre en place les mesures de TPSE, si les familles étaient effectivement prêtes à travailler avec nous dans le cadre de la TPSE et si au niveau du budget cela valait le coup. Cela nous a obligés à nous remettre en cause et à mettre en place des outils. Nous avons introduit des mesures où, d'entrée, nous étions en gestion directe et pendant six mois nous observions ce que la famille faisait de son argent et comment elle fonctionnait. On a dû rebondir aussi sur la famille et la précarité ; on a mis en place une action formation qui a débouché en 2004 sur un colloque, au niveau de La Manche, pour mieux informer les partenaires de la pratique de cette TPSE. 31

Il y a eu un travail sur la psychologie et aussi un gros travail sur la profession des délégués à la tutelle. Et puis nous avons fait des propositions car il ne s'agissait pas seulement de faire un état des lieux pour se donner bonne conscience. La loi du 2 janvier 2002 est arrivée et on l'a utilisée puisque aujourd'hui on a un livret d'accueil avec un contrat à coté que l'on formule avec la famille. L'ancien directeur est parti l'an dernier et le nouveau directeur a jugé que l'on avait des outils intéressants mais qu'il fallait se bouger. Donc, l'année dernière le programme a été rétabli. Nous sommes retournés vers les assistantes sociales du département pour les informer très largement. Puis, nous avons réinvité les juges à venir nous voir pour leur expliquer et aussi pour faire l'état des lieux de cette mesure dans leurs têtes. Au niveau du schéma départemental on a travaillé avec le CREAHI (Centre Régional d’Etudes et d’Actions sur les Handicaps et les Inadaptations) en Basse Normandie, qui est responsable de la mise en place de l'évaluation préalable pour le schéma départemental. Donc, d'entrée le CREAHI nous a introduits comme acteurs dans ce schéma départemental. Concernant le nombre de mesures, on était dans une descente qui a duré, et depuis on est dans la stabilisation (voire une petite montée). En quelques mots, le contexte nous a obligé, les partenaires nous ont obligés, à nous remettre en cause et à proposer des choses. C'est le témoignage de ce qui s'est passé dans notre Service en 4 ans, de 2001 à 2005 Mme BINET – ADSEA 38 Dans le cas des mesures de tutelles vous faites un contrat avec les familles ? Mr Rolland CARO – UDAF 50 Dans la loi du 2 janvier 2002 il y a deux aspects. Un premier aspect qui demande que l'usager soit bien informé de ce qu'on va mettre en place pour lui. Il y a aussi l'accès de l'usager à son dossier, on travaille avec un dossier ouvert, un dossier organisé et toutes les informations sont partagées. Bien sûr le cadre judiciaire met un bémol concernant le rapport adressé au juge. Mais de plus en plus ce rapport est élaboré avec la famille. Le livret d'accueil est un document de 3 ou 4 pages qui présente l'institution et comprend les coordonnées de l'intervenant, un plan d'accès pour que les personnes puissent venir nous voir, les horaires. Le contrat est un contrat de projet et de moyens élaboré avec la famille et signé par elle et le délégué, et contrôlé par le Service. Evidemment, ce n'est pas un contrat où les partenaires sont au même niveau. Cela permet de mettre en mots ce que l'on va faire avec la famille, comment cela va se faire et de mettre aussi des évaluations.

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Mr Christian GAU – UDAF 11 Je pense que le débat illustre bien que le juge des enfants est bien l'initiateur de cette mesure et que c'est lui qui est au cœur de ce dispositif. Ce qu'a vécu le Service des tutelles de l'UDAF de la Manche, avec cette remise en cause du Service, est tout à fait positif. Mais qu'adviendra-t-il si demain le juge demande tout à fait autre chose. Ca veut dire qu'à chaque fois il faut s'adapter à la façon dont fonctionne le juge des enfant ?. Et je pense que tant que les juges des enfants ne se positionneront pas clairement, au plan national, par rapport à cette mesure, sur ce qu'ils souhaitent et ce qui la porte, comment nous, en tant que Services, pouvons-nous adapter nos projets à quelque chose qui est une nébuleuse de pratiques nationales ? Il y a un moment où on a du mal à suivre cette position des juges par rapport à cette mesure Il me semble qu'il faut, à un certain moment, que les magistrats de la jeunesse au niveau national se positionnent. Quels projets faire puisqu'on ne sait pas exactement si cette mesure est porté, si elle n'est pas portée, si elle est refusée … Mr CLAUZONNIER Le Conseil Général peut avoir parfois la même situation que vous, à savoir avoir parfois des pratiques complètement différentes d'un juge à l'autre. Et négocier une politique départementale c'est très compliqué s'il faut la négocier de manière différente avec trois juges qui ont des personnalités et des pratiques différentes. C'est un vrai casse-tête et pour arriver à se sortir de ce casse-tête (et ce en partie grâce à l'intervention de Michel RISMANN) il faut se dire essayons de travailler non pas au niveau institutionnel avec tous les juges, mais avec le Président du Tribunal pour enfants et, éventuellement, avec la Présidente du TGI pour asseoir la relation contractuelle et en passant par un écrit. Et ce pour se dire que, si l’on a un écrit qui est solide, qui a du sens, qui a du contenu, qui a des procédures, on peut faire l'hypothèse que si le juge s'en va, il y aura ensuite quelqu'un d'autre, mais à 80% les choses auront été posées et installées et qu'il y aura une continuité de l'action publique et donc, du coup, un peu moins de flottement. Le juge reste le juge, mais on peut adoucir les choses et il me semble qu'aujourd'hui la juridiction va dans le sens d'une meilleure coopération. Mr RISMANN Il y a différents niveaux de réponse à cette question, le premier étant au niveau législatif. Il me semble que si la loi clarifiait les choses, forcément il en irait mieux du coté de l'interprétation qui en est faite par les juges. Pour clarifier les choses au niveau de cette tutelle, si on la maintient clairement dans le champ de la protection de l'enfance ou on l'affiche plus clairement au niveau de la loi, je pense qu'il y aura moins de problèmes d'interprétation derrière, moins de marge.

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Le deuxième niveau c'est au niveau des juges au plan national. L'association des magistrats de la jeunesse (dont je fais partie mais on est assez peu représentatif actuellement on doit représenter environ un tiers des juges des enfants) c'est plutôt une instance de réflexion, de proposition. On peut prendre une position au niveau associatif mais on ne peut pas engager tous les juges. Il me semble qu'il y a un niveau local de la juridiction en elle-même. Il appartient à la juridiction de s'organiser, de provoquer des rencontres entre les juges. On essaye de le faire dans la Drôme, on n'est pas toujours d'accord sur tout, mais on essaye de discuter et d'essayer vis-à-vis de l'extérieur d'envoyer quelque chose d'assez commun sur les choses importantes, même si dans le détail – dans les conduites d'entretien, dans les échéances – il peut y avoir des choses qui tiennent à la personnalité de chacun. Dans chaque juridiction il y a un Vice Président chargé du Tribunal pour Enfants mais ce n'est pas du tout un statut, c'est un grade dans la fonction judiciaire. Justement dans l'association des juges des enfants on se bat pour que cela corresponde à un statut avec une reconnaissance, un rôle d'animation, de coordination, qui soit reconnu davantage. Effectivement, au niveau hiérarchique, actuellement, comme le disait Mr CLAUZONNIER, c'est le Président du Tribunal « le patron du tribunal » et c'est à ce niveau là que les choses vont se passer au niveau hiérarchique. C'est un peu compliqué et on ne va pas du tout dans le sens de la reconnaissance d'un statut de Vice Président ou du Président du Tribunal pour Enfants. L'évolution de la fonction judiciaire c'est de plus en plus une mobilité accrue, on demande aux juges d'être plus mobiles (y compris en terme d'avancement on nous appâte avec ça aussi) et il est vrai que vous allez de plus en plus être confrontés à cette mobilité des juges où l'on voit cette circulation régionale des magistrats. D'où l'intérêt, au niveau du schéma départemental ou d'autres instances, d'essayer d'arriver à définir des espèces de protocoles, qui ne pourront jamais lier le juge mais, au moins, lui donner envie de s'y intéresser. Ce que je voudrais - en tout cas j'y suis très attaché dans ce département-là - c'est d'essayer à différents niveaux, et notamment dans le groupe de travail sur la tutelle, de trouver un protocole qui donne envie aux futurs collègues de s'y intéresser et de modifier aussi les pratiques pour que les choses ne s'arrêtent pas avec un changement de magistrat. C'est donc une réponse à différents niveaux, mais le premier paraît très important : que les choses soient clarifiées au niveau de la loi et qu'il y ait un positionnement plus clair. Mr Eric GOYARD – CSEB 34 (secrétaire général CETT) Dernièrement, notre collègue Fabiene OCIO ayant fait une intervention à l’Ecole Nationale de la Magistrature (compte-rendu à consulter sur le site du CETT), il a été possible de voir à quel point les magistrats en formation ne connaissent pas la TPSE. Cela montre bien l'importance d'un positionnement national effectivement, mais cela montre bien aussi sur le terrain local notre capacité à faire des propositions, notre capacité à montrer que la TPSE, telle qu'on l'organise et telle qu'on la met en œuvre sur nos territoires, est une mesure utile et efficiente.

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Mme Fabienne OCIO – UDAF 82 (administratrice CETT) Cela fait deux ans que j'interviens à l'Ecole Nationale de la Magistrature. Les interventions ont lieu au mois de mars en année de spécialisation. La première fois où je suis intervenue, il y avait treize futurs juges qui allaient sortir formés six mois plus tard. La deuxième fois il y avait 24 futurs juges pour enfants qui allaient prendre leurs postes. On travaillait en équipe sur des dossiers, envoyés au préalable, que j'avais choisis parmi les situations particulières. Les questions portaient sur toute la pratique de la mesure. Plusieurs de ces futurs magistrats ont été très critiques. Mais il y avait énormément de participants qui posaient des questions très intéressantes. La mesure de tutelle cela représente très peu de temps dans leur formation et je crois que, à la sortie de l'école, ils ne connaissent pas notre pratique et sont très surpris. Comment peut-on arriver à ce que cette mesure soit prise en considération dans la formation des juges ? Par rapport aux travailleurs sociaux, je pense qu'ils doivent connaître tous les outils qu'ils ont à leur disposition pour aider les familles à s'en sortir. Je crois que c'est aussi de la responsabilité de chacun de s'intéresser à ce qui existe et de s'en servir. Mr RISMANN Les critiques à la TPSE portaient sur quoi ? Etait-ce autour des questions sur les libertés individuelles des familles qui seraient mises en cause par cette mesure ? Mme Fabienne OCIO – UDAF 82 (administratrice CETT) C'était surtout le choix de la mesure qui était mis en question. Il y avait aussi, au niveau de la pratique, toute la partie des bons alimentaires – pourquoi, qu'est-ce que c'est ? Mais pas tant sur la liberté des familles. Mme CLAYER - UDAF 53 Au-delà de ce qu'a ressenti Mme OCIO par rapport à ces critiques, cela me rassure beaucoup qu'un juge se pose la question des libertés individuelles. Mr GARNIER - UDAF 37 Par rapport aux attentes des magistrats et des partenaires, on a élaboré et rédigé un projet de service et notre réflexion c'était de se dire que plutôt que de se positionner toujours par rapport aux attentes des partenaires, on devait présenter le service que l'on souhaite rendre, comment on souhaite le rendre et en expliquant les moyens que l'on mettra en œuvre pour le rendre. Cela nous a permis d'avoir une position beaucoup plus claire sur la façon dont nous souhaitons rendre ce service là, à partir des choix que nous avons faits, et je crois que cela permet d'informer les magistrats quand ils prononcent ce type de mesure sur les attentes et le service que l'on rendra.

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24-11/2005 Table ronde animée par Mr Eric GOYARD

Mme Christiane COUPET, ex-bénéficiaire d’une TPSE Mme Geneviève LAURENT, CAF Lyon Maître Corinne ROMAND, Avocate au Barreau de Valence Mme Françoise BUCHET, Déléguée à la tutelle UDAF de la Drôme Mme Bernadette BOURGADE, Responsable Service Contentieux – Auvergne Habitat Mr Michel RISMANN, Juge des Enfants TGI de Valence Mr Jean Pierre VEYRON, Délégué à la Tutelle – Sauvegarde de l’Isère Mr Christian CLAUZONNIER, Sous Direction Enfance Famille -CG -Drôme

Préambule Chacun des intervenants à la table ronde avait été préalablement invité à réfléchir aux questions suivantes :  Les valeurs attachées à la mesure de Tutelle aux Prestations Sociales Enfants ;  Les finalités de cette mission : protection de l’enfance ? soutien à la fonction parentale ? restauration d’une citoyenneté ? contrôle social ? aide éducative budgétaire ? ...  Quel service rendons-nous ou pouvons nous rendre ?... Quel service peut-on attendre de nous ?...  Qui servons-nous : l’enfant ? le ou les parents ? la famille ? la société ? la justice ? les politiques ? des politiques sociales ? une solidarité ?... Ces questions, données à titre indicatif, devaient permettre à chacun des intervenants de développer un court exposé du regard porté sur l’exercice des mesures TPSE en sa qualité propre. La restitution de l’échange engagé à partir de cette table ronde est retranscrite ici sous la forme de thématiques repérées au fil des débats, dans lesquelles sont regroupés des propos des intervenants et des réactions des auditeurs.

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 Témoignage de Mme Christiane COUPET, ex-bénéficiaire d’une mesure TPSE J’habite dans la Drôme et j’élève seule mes cinq enfants. Pendant sept ans j’ai bénéficié d’une mesure de TPSE. J’estime que cette mesure et les trois délégués qui se sont succédés ont beaucoup apporté à ma famille. La mesure a débuté en 1997, lorsque j’ai dû quitter mon mari pour des raisons de violence physique et morale. Cette mesure m’a été imposée, et n'ayant pas été avertie, au début je l'ai mal pris et me suis sentie comme quelqu’un qui n’était plus capable de rien. Les tutrices venaient au domicile deux fois par mois et faisaient le point avec moi sur tout : les charges à payer, les achats de vêtements, les cadeaux de Noël, l’argent à mettre de coté, les projets... J’ai appris à gérer mon budget et j’ai appris à déterminer les priorités, notamment les priorités pour les enfants. C'est ainsi qu'il m’a été possible d'échelonner mes dettes et, en l’espace d’un an, les régler toutes (environ 40 000 FF) sans jamais avoir eu d'huissiers à ma porte. Avec le soutien apporté par cette mesure, j’ai pu mettre de l’argent de coté et me reloger en HLM. Ensuite j’ai pu récupérer mes affaires personnelles, vu que j’avais quitté en urgence le domicile familial. Plus tard, un autre projet a pu aboutir, celui d'acheter une voiture qui me permet d’aller au travail et de faire mes courses. Je tenais à ce que les enfants, surtout les aînés, soient présents lors des visites des tutrices. Ils participaient aux entretiens, voyaient que l’on mettait de l’argent de coté, demandaient si on pouvait faire certains frais comme pour les vêtements, les loisirs etc. et participaient aux projets. Ce fonctionnement a beaucoup profité aux enfants. Une de mes filles, aujourd’hui jeune maman, se sert de ces enseignements, sait gérer son budget, prévoit ses charges et fait attention aux priorités. Je tiens à préciser que la TPSE ça ne sert pas uniquement à gérer l’argent. Les tutrices ont aussi le rôle de confidentes. Elles ont su m’écouter sans me juger. Ce sont des personnes qui dans leur travail essaient de faire au mieux avec les gens dont elles s’occupent. La mesure TPSE m’a permis aussi d'apprendre à dire non à mes enfants quand il le fallait, en leur expliquant qu’il y avait des priorités. Cette mesure m’a beaucoup aidé à me développer et à m’affirmer en tant que mère de famille et en tant que femme également. J’avoue que pendant ces 7 années, avec mes tutrices, j’ai fait du très bon travail. Ma mesure de tutelle est terminée depuis juillet 2005 et cela se passe très bien.

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Mr Michel RISMANN Dans ce que Mme COUPET nous a dit de son expérience, ce qui m’a beaucoup frappé c’est que la mesure lui est « tombée dessus comme ça », on ne lui a pas donné le choix. Est-ce que Mme COUPET a vu un juge ?

Mme Christiane COUPET Non pas du tout. En fait, mes enfants étaient déjà suivis par une AEMO et l’intervenante avait vu les difficultés de mon ménage et les difficultés financières que j’avais. Elle ne m’a pas laissé le choix, ou je partais avec les enfants ou je restais mais on me retirait mes enfants. Il faut dire que j’avais une AEMO qui était très sévère Donc j’ai choisi la première solution. Je n’ai pas cherché à comprendre, j’ai contacté mon assistante sociale de secteur et on a mis en place un accueil d’urgence. Je suis partie avec mes cinq enfants, les papiers, des vêtements et j’ai laissé ma maison, tous les meubles… Puis, j’ai reçu un courrier comme quoi j’étais sous tutelle, point. Je n’y étais pas préparée du tout. La tutrice est venue m’expliquer en quoi cela consistait. Cette mesure a duré sept ans et a très bien réussi. Mr Christian CLAUZONNIER – C.G. 26 Dans l'intervention de Mme COUPET il y a trois points qui m'ont beaucoup plu et qui résument en peu de mots la tutelle aux prestations sociales :  vous avez parlé du rôle de confidente en parlant du travail de la déléguée à la tutelle et cela me fait penser à la confiance.  vous avez dit à un moment « mon projet a abouti » et je trouve que c'est important car cela veut dire qu'il y a un projet conjoint qui a été pensé ensemble.  vous avez dit aussi « j'ai fait du bon travail » et cela me semble essentiel car si seul le délégué travaille ce n'est pas possible. Mr TERRIEN - UDAF 37 Quand on a une mesure de tutelle les prestations familiales vont transiter par une association. Le bénéficiaire ne peut pas disposer de ses ressources, cela peut être frustrant. Mme Christiane COUPET Je ne percevais plus les prestations qui étaient mes seuls revenus. Au début je l'ai ressenti comme une contrainte, une obligation. Ensuite avec les explications de la tutrice j'ai mieux compris. En travaillant avec la tutrice on était sur la même longueur d'onde, je lui soumettais mes idées mes projets que l'on voyait ensemble et mes projets ont pu aboutir. Si j'avais pu percevoir directement les prestations et que j'avais eu une aide éducative à coté peut-être que j'aurais eu la faiblesse de dépenser. Je pense que la tutelle était préférable.

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Mme Marie-Agnès NOEL Il est intéressant de relever dans l'intervention de Mme COUPET le fait que ses enfants participaient aux rencontres avec les tutrices, prenaient part aux choix des priorités et du coup l'apprentissage de la gestion du budget a profité également à ses enfants. La mesure de tutelle porte bien sur l’ensemble de la famille, mais bénéficie aux enfants à travers la relation que l’on a avec les parents. Mme Myriam ESTIENNEY - UDAF 70 Dans le cas de Mme COUPET, j'ai été frappé par son absence à l'audience lors de l'attribution de la mesure de tutelle. Ce n'est pas étonnant que Mme COUPET ait été surprise en apprenant qu'elle avait une tutelle. Mr Bertrand RAVON – Sociologue Mme COUPET, vous êtes restée sous tutelle 7ans. Cela crée forcément des liens. Comment fait-on pour gérer la sortie de la tutelle ? Mme Christiane COUPET On sort de la façon la plus naturelle possible. Ayant appris à gérer le budget, j’ai commencé à avoir une somme d’argent sur un compte que je gérais toute seule. Puis un bilan a été fait, un rapport a été fait au juge des enfants et la mesure de tutelle a été levée.  La TPSE dans sa mission de protection juridique et de rétablissement des droits des usagers Maître Corinne ROMAND – avocate au Barreau de Valence Les interventions de ce matin ayant soulevé des questions sur le maintien de la mesure de TPSE et la nécessité d'y apporter des améliorations, je tiens à faire remarquer le discours très positif de Mme COUPET en qualité d'usager. Il a été dit que la mesure de TPSE est très mal perçue à l’Ecole Nationale de la Magistrature, j’estime que du coté des avocats c'est encore pire. La procédure est très peu connue et, en 20 ans de carrière, je n’ai jamais eu à faire appel dans le cadre d'une TPSE. De plus, avec le mot tutelle, on a souvent tendance à confondre légèrement cette mesure avec la tutelle des majeurs. Le rôle des avocats, dans le cadre de l'intérêt des usagers de la TPSE, est l'intervention au niveau de la protection de l’enfance. Ils pourraient en effet apporter une aide aux travailleurs sociaux dans les démarches et peut-être apporter un regard sur un certain nombre de procédures, comme les procédures d’expulsion et les procédures de surendettement. Peut-être pourraient-ils intervenir dès le début, avant la commission de surendettement, et agir au niveau des organismes de crédit par exemple ?

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Si ce rôle est inexistant aujourd'hui, c'est peut-être du fait d'un manque de communication dans les deux sens. D'autre part, peut-être que les avocats sont mal perçus car il y a un rapport à l’argent qui est néfaste, ambigu. Mais on peut être avocat et travailler à aider les gens et faire partie du réseau des travailleurs sociaux, au travers de l’aide juridictionnelle, par exemple, un outil très utile pour aider les gens à sortir des situations difficiles. Il y a sûrement encore beaucoup à faire au niveau de l’accès aux droits. On pourrait intervenir en tant que conseil au niveau des gens en difficulté, non pas lorsqu’on a atteint une situation de crise et qu’il faut se battre pour obtenir des délais ou suspendre une expulsion, mais plutôt intervenir avant la crise. Cela rejoint un peu ce qui a été dit ce matin, c'est-à-dire : est-ce que la TPSE se met en place quand il faut, ou est-ce que le signalement a lieu trop tard ? En ce qui concerne le regard des avocats sur les familles dans le besoin, la profession est en train d’évoluer avec des formations en matière de médiation. L’avocat peut avoir un rôle de soutien et non pas être l'adversaire des juges ou des services de tutelle. Ce rôle de conseil en amont pourrait aider dans les directions à prendre, apporter d’autres éléments en matière de droits du consommateur, des procédures d’expulsion, de surendettement etc. en y apportant un autre regard ou un autre point de vue. Ceci pourrait être important aussi quand on se pose la question de savoir si l’enfant est vraiment au centre de la mesure de TPSE (ou si c’est plutôt la famille) et quelle place a-t-on accordé à l’enfant dans l’intervention. Les avocats sont très peu sollicités au niveau de la TPSE (du moins dans la Drôme) et du coup ils sont très peu outillés. Le problème pour les avocats c’est aussi de savoir : « doit-on intervenir favorablement pour expliquer aux familles que c’est quelque chose dont elles ont besoin pour les aider à rebondir, ou doit-on intervenir en se braquant contre le Juge des Enfants et expliquer que la mesure est une façon de s’introduire dans leur vie privée et que c’est un contrôle social ? On a un rôle, encore une fois, ambivalent comme d’ailleurs la mesure est elle- même ambivalente ». Mr Alain GERMAN – UDAF 15

A propos de la possibilités que les usagers ont de faire appel, il faut préciser que, souvent, quand on arrive au tribunal pour enfants dans le cadre d’une mesure de TPSE on a suivi un processus et un parcours tellement longs qu’à un moment les gens n’ont pas forcément le choix et se trouvent, comme Mme COUPET, face à une mesure, où en amont on ne leur a pas expliqué leurs droits. Même si le magistrat donne le droit de faire appel, nous ne pouvons pas forcément aider les familles à le faire, car au moment où on va recevoir la mesure et prendre contact avec eux, le délai est passé. De plus, des années et des années de suivi social font que les gens n'ont plus la capacité de faire valoir leurs droits. C’est peut-être à nous de leur restituer cette capacité et ce droit.

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Mr Eric GOYARD Par rapport aux propos de Maître ROMAND sur la position des avocats en tant que Conseil et sur l'aide juridictionnelle, il me semblait que cette dernière ne servait qu'en cas de procédures. Il me semblait aussi qu'il y avait un outil appelé comité départemental d'action au droit … Maître ROMAND A présent l'aide juridictionnelle n'est plus limitée aux procédures. En revanche, l'accès au droit est prévu dans les textes et existe bien, mais dans la pratique ce n'est pas encore au point. A Valence ont fait des permanences (j'en fais une tous les 3 mois), il arrive qu'il y ait des permanences en droit des enfants où il n'y a pas d'enfants. Un positionnement partenarial à définir ou redéfinir. Mme BOURGADE – Service Contentieux - Auvergne Habitat Je dirige le Service contentieux d'un office HLM à Clermont-Ferrand avec un parc de 10000 logements. On l'appelle service contentieux, mais en fait on fait plus de l'accompagnement de la famille, de l'accompagnement du locataire. Locataire que l'on connaît par son nom, qu'on est allé voir chez-lui et dont on connaît les enfants. Lorsqu'on est interpellé pour un loyer impayé, un rejet de prélèvement, en allant dans la famille on se rend compte qu'il y a d'autres problèmes derrière. Et c'est à partir de ce constat de problèmes autres que le paiement du loyer, que l'on est amené à intervenir auprès des services sociaux. Le travailleur social connaît toujours le bailleur de la famille. Par contre, en tant que bailleur, nous avons des difficultés à identifier le travailleur social référent. Avec l'expérience, on finit par se repérer au niveau des mesures, mais il y en a énormément. Et quand vous avez parfois deux ou trois intervenants dans une même famille, c'est un vrai casse-tête pour le bailleur, parce qu'il faut trouver celui dont le mandat ne s'arrête pas tout de suite. Dans les offices HLM il ne s'agit plus de service contentieux pur, il ne s'agit plus de faire des lettres de rappel, d'envoyer les huissiers… Dans notre organisme, on a estimé que l'on passait environ 10% de notre temps en courriers et procédures et 90% en démarches pré contentieuses amiables. On estime que ce service est plus un service de pré contentieux. J'ai été un peu étonnée quand j'ai entendu, ce matin, le questionnement par rapport à la tutelle aux prestations enfants : « doit-on aussi voir les parents ? »

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Pour moi, si on veut s'occuper d'un enfant dans une famille, on est obligé de voir à la fois l'environnement, la famille, le logement, l'environnement dans l'immeuble, dans le quartier. C'est un tout, on ne peut pas isoler un enfant en disant on va le protéger en ne regardant que lui et en l'isolant de tout. On est obligé de le prendre dans son contexte. C'est pourquoi cette question me surprend. J'ai envie de dire aussi que, par rapport aux intervenants dans les mesures de tutelle, le bailleur souhaiterait qu'il y ait un réel partenariat. Des fois on arrive à l'extrémité du dossier et c'est là que l'on s'aperçoit qu'il y a des intervenants dans cette famille. C'est dommage car on aurait pu faire ensemble un travail avant. Quelques fois l'intervenant a peur de dévoiler des choses sur la famille et de manquer de confidentialité. Or, en tant que bailleurs, on ne demande pas qu'on nous rapporte des faits personnels des familles locataires, mais simplement que l'on puisse faire appel à un référent lorsqu'on constate quelque chose. En allant dans la famille on constate des fois des problèmes d'hygiène très graves, des problèmes d'animaux domestiques, des problèmes de budget bien sûr, des problèmes de fréquentations d'un jeune. On peut donner une alerte et l'important c'est de savoir à qui donner l'alerte. Quand il y a une mesure comme la mesure de tutelle, à mon avis, c'est important que le bailleur soit au courant et connaisse le référent. On m'a demandé également de réfléchir à la question « Que sert-on ? » et à la suite il y avait les questions des politiques sociales. Je pense que, en tant que bailleur social, et dans la mesure où on nous demande d'intervenir sur plusieurs domaines, quelque part on est dans la paix sociale et on recule certaines échéances. Ca me révolte, mais d'un autre coté on est confronté à des familles dans de telles difficultés que l'on ne peut pas se poser la question de savoir si on sert véritablement la famille ou des politiques. Il y a urgence, la famille est en difficulté et il faut absolument intervenir, sans peut-être aller aussi loin. Dans le règlement de nos dossiers ce qui ressort c'est l'urgence. Et il y a de plus en plus d'urgences, et pas que dans les HLM. On a aussi la possibilité d'avoir une connaissance de nos locataires, dans la durée. J'ai une certaine ancienneté et c'est vrai que j'ai connu des familles au départ et j'en suis à présent aux petits enfants de ces familles. C'est vous dire si l'on connaît le parcours du locataire, sans pour autant entrer dans la vie privée des gens qui ne nous regarde pas. Un bailleur HLM surtout, quand il loue un appartement n'a pas envie d'expulser. Actuellement, on expulse exclusivement quand il y a un problème grave de comportement. Cette année on a fait une expulsion, pour laquelle il y avait justement une mesure de tutelle, mais il est vrai que l'on ne peut pas réussir à 100% à chaque fois. L'intérêt c'est de maintenir la famille dans le logement. Le bailleur est là, il est à disposition mais il a besoin d'être aidé.

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 Des regards de praticiens Mr Jean-Pierre VEYRON – Délégué à la tutelle – Sauvegarde de l’Isère A l’origine, j’ai une formation d’éducateur et depuis, peut-être, une quinzaine d’années je suis délégué à la tutelle. Je ne vais pas vous expliquer ce que c’est une journée d’un délégué à la tutelle, mais simplement je peux vous dire que, quand j’arrive le matin à mon bureau, soit je me mets à chanter J’ai reçu le Dieu vivant, soit C’est la lutte finale. Pour moi la tutelle aux prestations c'est l'accompagnement de la personne. C'est la question de l'être et de l'avoir. Le travail essentiel, sans oublier les enfants, c'est d'accompagner les parents. On parle ici de la tutelle et je n'ai pas encore entendu la notion de l'argent, je n'ai pas entendu qu'est ce que c'est l'argent pour chacun. Pour moi l'argent est un objet complexe. Dans ma façon de pratiquer et d'exercer la TPS il s'agit avant tout d'une rencontre avec les parents et les enfants. Ce n'est pas rien une tutelle aux prestations sociales. Ce n'est pas rien de rendre visite aux gens pour la question de l'argent. C'est une représentation tellement importante de « l'intimité » que je n'irai pas les interroger. En fonction du travail, à la fois d'accompagnement pratique et à la fois de la présence psychique de l'accompagnant et du sujet, à partir d'un moment, le sujet est à même de pouvoir faire part de qu'il a envie de révéler de son histoire, de son être. C'est un travail de longue haleine, mais j'ai l'impression que très souvent les gens sont à même de nous mettre dans ce type de situation. Il reste à savoir si nous sommes à même de les écouter. Le déficit d'être (entre guillemets) regardé, écouté, entendu etc. fait qu'une personne disponible permet et donne la possibilité à l'autre de s'exprimer. Dans la situation des couples, je suis à même de tout écouter sauf ce qui concerne la sexualité du couple, ce n'est pas de mon ressort. J'ai le sentiment que parler de son histoire c'est être dans la vie. Par contre, ne pas s'approprier son histoire c'est être dans la survie. Je pense que l'on n'a jamais été assez à l'écoute des gens dont on s'occupe. La représentation de la mesure de tutelle à l'extérieur est associée à une perte de liberté du citoyen. Par contre à l'intérieur c'est la reconstruction de la personne.

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Mme Françoise BUCHET – Déléguée à la Tutelle – UDAF 26 Je suis déléguée à la tutelle à Valence depuis 2ans. J'étais assistante sociale de secteur à l'origine et j'ai choisi de travailler dans le service des tutelles car je considérais que la tutelle était un outil important. Pour répondre à la question « Que sert-on ? », d'après mon vécu, je pense que le délégué, mandaté judiciairement pour intervenir dans la famille, apporte un certain soulagement dès la première rencontre, dès que le contact est établi. D'abord un soulagement moral puisque les parents peuvent manifester leurs craintes, ce que, d'après ce que j'ai constaté, ne s'est pas fait chez le juge lors de l'instauration de la mesure de tutelle. Il peut y avoir confusion entre la notion de danger des enfants et leur placement. On peut être riche et mettre ses enfants en danger, et être submergé par des difficultés financières et assurer la sécurité des enfants. Le délégué apporte aussi un soulagement pratique parce que le ou les parents ne sont plus seuls à porter leurs difficultés. Certaines familles ont parfois abandonné la gestion administrative. Le délégué doit rester vigilant et voir ce que la famille peut encore faire ou pas. Il entame un échange avec la famille autour de l'idée qu'elle a de ce qui l'a amenée à la mesure de tutelle. C'est important de passer cette étape pour savoir si la famille a une idée de pourquoi elle en est là. En proposant une mise à plat du budget, cela permet de mesurer la notion que le ou les parents ont de leur budget, quelles sont les priorités accordées, la nature des ressources et des dépenses. Cela permet aussi de voir qui fait quoi dans la famille et d'avoir une idée de l'éducation budgétaire. A partir de cette mise à plat du budget, il est également possible d'évoquer les démarches administratives faites ou à faire, comme les déclarations CAF par exemple. Cette mise à plat du budget permet aussi de voir si on va gérer de la précarité ou du dysfonctionnement. L'entretien permet de s'accorder sur les besoins de l'enfant. Souvent on constate que l'enfant n'a pas de besoins matériels, mais il y a des difficultés éducatives car certains parents ne savent pas dire non. Le dysfonctionnement peut être un dysfonctionnement du couple qui rejaillit sur l'enfant et le délégué va être comme un révélateur du ou des problèmes sousjacents. Je me suis occupée d'une situation où le couple était ensemble depuis 6 ans, avec 5 enfants, dont 4 du premier mariage de la mère. Il y avait deux salaires, une pension alimentaire de 1000 Euros, des prestations familiales pour 5 enfants et une situation sociale correcte. Il y avait des ressources mais les enfants n'avaient pas à manger. Le secteur a proposé très vite une mesure de tutelle.

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En démarrant la mesure, j'ai posé à plat le budget et il est apparu très clairement que le monsieur prenait en charge ce qui le concernait personnellement : les dépenses de voiture, carburant... Les charges du logement étaient assurées essentiellement par madame et il y avait des dettes, des crédits. Elle ne s'occupait pas du budget, pour elle c'était l'affaire du conjoint, elle se contentait de payer les factures quand elles arrivaient. On a dégagé des priorités et au bout de cinq mois la situation a commencé à se redresser et le budget à s'équilibrer rapidement. A ce moment, la dame, ayant clairement pris conscience du dysfonctionnement, a annoncé son souhait de se séparer de son conjoint. Cette mesure de tutelle a duré un an et n'a pas été suivie de renouvellement du fait de la séparation. Le délégué apporte aussi son aide technique grâce aux divers dispositifs existants. En fait, le délégué s'attache à trouver un terrain d'entente avec la famille pour la sortir d'une situation inconfortable. Le but étant, à plus ou moins long terme, d'arriver à renverser la vapeur, et passer d'un état où la famille subi la pression des factures et des créanciers pour arriver à un état où elle arrive à anticiper et à mieux dominer sa situation. Pour cela on s'attache à dégager des aides qui concernent tout ce qui est autour du logement et du cadre de vie, qui se doivent d'être sécurisants pour les enfants et la famille. Cette aide peut s'avérer plus ou moins longue. A la question « Qui sert-on ? », je répondrais la famille en priorité et dans sa globalité. Le but principal étant que la famille retrouve plus de sérénité et arrive à rendre son quotidien plus vivable. Si on n'a pas le minimum requis il n'est pas possible d'être bien et d'avoir la sérénité suffisante pour s'occuper des enfants. Dans le sens où on représente le lien social, on sert aussi la société en général. On a un rôle de médiateur et on encourage la famille à reprendre son autonomie. Avec le recul on s'aperçoit que la problématique des familles a changé. On évolue au milieu de tous ces problèmes de société. On a connu les problèmes de l'accession à la propriété, les problèmes de dettes avec les crédits à la consommation et maintenant on a la Banque de France et la PRP. On connaît de plus en plus les problèmes des jeunes, qui s'autonomisent de plus en plus tard, qui sont parfois confrontés aux problèmes de délinquance, ainsi que les difficultés que les parents ont à se situer et à impose des règles. Et, bien sûr, on a aussi les problèmes liés au logement et on pourrait dire aussi que l'on sert les bailleurs car certaines familles arrivent à trouver un logement parce qu'elles ont une mesure de tutelle.

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« De quoi se sert-on ? ». La mesure de tutelle me semble être un outil mais il faut pouvoir l'exercer et parfois les mesures sont « inexerçables » du fait d'importants problèmes de violence. Il faut savoir s'en servir et pour cela il faut obtenir l'adhésion des familles à la mesure, l'adhésion à un objectif commun. Comment faire, à terme, pour que le juge constate qu'il n'y a plus de danger pour les enfants ? En fait, la mesure, qui est au départ contraignante et intrusive, va se transformer en relation d'aide. On va faire alliance avec la famille et travailler sur les conditions qui ont fait qu'on en est arrivé là. Savoir se servir de la mesure judiciaire c'est, de mon point de vue, être convaincu soi-même que la famille toute entière gagnera à fonctionner en meilleure adéquation avec son environnement. C'est être convaincu que certaines personnes ont besoin de repères. C'est être convaincu que c'est une chance de pouvoir se poser et que quelqu'un s'intéresse à votre situation. Si on arrive à dédramatiser la situation pour discuter du vrai problème on peu arriver à trouver la solution la moins mauvaise, en tout cas celle que la famille acceptera, même si pendant un temps c'est du contrôle. Mr Christian CLAUZONNIER – Conseil Général -Drôme Mme BUCHET a parlé de « chercher un terrain d'entente pour sortir d'une situation inconfortable ». Il paraît important, effectivement, de faire ce constat de situation inconfortable et d'essayer de trouver un autre équilibre. Mr RAVON avait parlé d'une dépendance plus acceptable. Cela me paraît être quelque chose que va dans la construction du sens de la pratique professionnelle. Mr Bertrand RAVON J'ai été très sensible aux différents témoignages et j'ai relevé dans l'intervention de Mme BUCHET l'utilisation répétée du terme « famille ». Vous parlez toujours de la famille, alors que dans la plupart des exemples on pourrait presque dire la mère, car il s'agit souvent de familles soit monoparentales soit en voie de le devenir. Cette question de la monoparentalité me semble très importante. Mme Françoise BUCHET Dès qu'il y a l'un des parents et des enfants je parle de famille. La famille a changé, c'est vrai, mais une famille est en constante évolution. Si le couple s'est défait la famille existe toujours. Je ne sais pas ce qu'en pense mes collègues. Mme Marie-Agnès NOEL Mme BUCHET nous a parlé de l'importance de savoir si on a à gérer de la précarité ou du dysfonctionnement. Ce serait un débat intéressant à mener.

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 En bref… Autour du débat contradictoire… Mr Eric GOYARD – CSEB 34 Ce matin il a été dit qu’il était important que la famille et les tuteurs soient présents à l’audience et qu’il y ait débat contradictoire. La question est : qu’est ce que le contradictoire peut amener dans l’exercice de la mesure ? Mr Michel RISMANN Il me semble fondamental que le travailleur social soit présent pour qu'il y a ait cette discussion autour de la mesure, où l’on discute des priorités, des projets pour l’année à venir... La première audience de la validité de la tutelle ou pas permet de voir si, effectivement, on est dans les conditions d'ouverture de la tutelle, et si, effectivement, la situation des enfants renvoie aux éléments du signalement. Ensuite on discute du projet, et là-dessus cela m'intéresserait d'avoir davantage d'éléments sur le projet, sur les objectifs, même modestes, d'une année sur l'autre, pour pas que ce soit une mesure qui s’éternise pendant des années. Autour de l’instrumentalisation… Mr Jean-Luc POIDEVINEAU – l’UDAF 49 J'aimerais mettre en évidence la tendance à l’instrumentalisation de la mesure par différents facteurs. J’ai pu constater au fil des années que de nombreux acteurs se servaient de la mesure aux fins des organismes qu’ils représentaient. C'est le cas des Offices HLM, qui, au travers de leurs services contentieux, de temps en temps dénoncent des situations de danger auprès des enfants parce que les parents ne réglant pas le loyer il y a risque d’expulsion. C'est aussi le cas du FSL, où parfois des aides sont accordées à condition qu’il y ait une mesure de tutelle derrière. Je pense également aux travailleurs sociaux et aux assistantes sociales qui, ayant épuisé différentes mesures et n’ayant trouvé de solution, orientent ensuite la famille vers les TPSE. La mesure devient comme un extincteur servant uniquement pour « éteindre le feu ». Quid ensuite de l'intervention réelle du délégué à la tutelle. Nous sommes complètement centrés sur une mission qui n'était pas la nôtre au départ. Donc, je souhaitais mettre en évidence dans les questions « Que sert-on ? » et « Qui sert on ? » cette instrumentalisation de la TPSE . Mme Bernadette BOURGADE – Auvergne Habitat A propos des mesures prises au moment de l’expulsion, à mon avis, ce n’est pas forcément la faute du bailleur, ce n'est pas le bailleur qui demande la mesure. Peut-être que cela a été signalé avant et que le travail ne s’est pas fait. Si on arrive à une mesure de tutelle au moment de l’expulsion, c’est peut-être qu’auparavant le travail social n’a pas été fait. Il me semble qu’on a tendance à parler de « servir le bailleur » quand on règle une dette de loyer, alors que cela paraît plus normal de payer la facture EDF. Mr Alain GERMAN – UDAF 15 48

Le problème de la « solvabilisation » des organismes ce ne sont pas les offices HLM mais les organismes de crédit non bancaires. Malgré les aides sociales accordées, si les gens n’ont pu payer le loyer, c’est que la banque a prélevé un crédit. Dans ce cas, avec toutes les aides sociales apportées, on peut se demander qui on « solvabilise » et pour qui ? Ce n'est pas gênant que les aides servent à payer un loyer, mais que des sociétés de crédit appartenant aux banques accordent des crédits à des personnes n’ayant que les prestations, ça l'est un peu plus. Mr Christian CLAUZONNIER Sur la question de l'instrumentalisation, c'est caricatural de penser qu'il n'y a qu'une seule collectivité qui pourrait instrumentaliser les délégués à la tutelle ou une association. Souvent il y a des tentatives d'instrumentalisation de part et d'autre - le secteur associatif essaye d'instrumentaliser les pouvoirs publics et vice versa. Si on a un projet clair on sait où on habite. Et si on sait où on habite on peut négocier et on moins tendance à se faire instrumentaliser car on a une identité. Autour de l’autorité parentale… Mr Michel RISMANN Je profite pour vous demander comment vous faites pour associer l'autre le parent qui n’est pas allocataire ? Comment l’associer aux choix par rapport aux enfants, s’il a l'autorité parentale ? Comment font les travailleurs sociaux dans ces situations? Mr Didier CHEFNEUX – UDAF 69 La question sur l'autre parent est un vrai problème. Il y a peut-être deux façons de voir les choses. Si la question était de savoir qui est l’allocataire désigné et où vivent les enfants, la réponse serait restrictive et on ne prendrait en compte que les conditions de vie actuelles des enfants. Il me semble qu’avec le développement de la médiation familiale on essaye maintenant de travailler autrement. Mme Fabienne OCCIO – (CETT) – UDAF 82 Concernant les situations de garde alternée, sachant que la CAF ne reconnaît qu'un seul allocataire, comment devons-nous nous positionner dans ces situations ? Maître Corinne ROMAND La CAF ne reconnaît qu'un allocataire et, comme il n'y a pas de réglementation, les juges considèrent que c'est aux parents de se mettre d'accord.

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Mr Michel RISMANN C'est le juge des affaires familiales qui statue sur les conséquences de la séparation des parents et prend en compte le fait que la CAF ne reconnaisse qu'un allocataire, en y tenant compte dans le montant éventuel de la pension et la répartition de la liquidation de la communauté. J'ai envie de vous renvoyer la question et demander comment vous faites pour travailler avec l'autre parent qui n'est pas allocataire mais a l'autorité parentale ? La réponse n'est pas juridique. N'attendez pas de réponse du juge des enfants qui n'a pas ce pouvoir de répartir autrement quelque chose qui a été décidée par le juge des affaires familiales. Evidemment cela va compliquer votre mission, mais cela peut être riche et intéressant. Mme Marie-Christine BENICHOU – (CETT) ADSEA 93 Au-delà de l'organisation qu'il faut que l'on trouve, il y a les questions des besoins essentiels de l'enfant. Mme Christine KLEIN - Udaf 69 Dans le cas d'une situation de garde alternée 1 an sur 2, les prestations avaient été payées au père pendant un an, puis l'enfant est allé chez sa mère. Il a fallu faire la démarche auprès de la CAF et les allocations ont été payées ensuite à la mère. On peut se trouver parfois dans des situations d'ordonnance de milieu de TPSE où il manque l’enfant. En général la CAF paie les allocations mais, à la limite, pourrait ne pas payer ces prestations pour cet enfant qui ne figure pas sur cette ordonnance. Sur la question de l'autorité parentale, Cette question des parents séparés pose une limite pour l'action de l'AEMO avec l'obligation pour les éducateurs de s'adresser aux deux parents. L'autorité parentale est exercée dans deux domiciles différents et les éducateurs sont référents d'un seul domicile, celui de l'allocataire. Donc, on parle du parent absent, mais on parle essentiellement du quotidien au domicile. Souvent, l'interlocuteur c'est l'autre conjoint qui n'est pas le père. D'où la complexité de l'exercice de l'autorité parentale et de notre regard sur qui exerce une autorité sur l'enfant, qui n'est pas exactement la même chose que l'autorité parentale au sens juridique. Mme Brigitte JOLY – Sauvegarde de l'Ain Dans la question de l'autorité parentale partagée le travailleur social est référent de l'un des parents (et du coup du nouveau conjoint). Votre interlocuteur direct est celui pour qui s'exerce la mesure, c'est à dire le père ou la mère. Effectivement, on peut se poser la question de savoir si vous avez aussi à interroger le beau père ou le conjoint de la maman. Est-ce qu'il ne faudrait pas arriver à réunir les titulaires ? Le cadre de l'intervention est celui de l'allocataire chez qui vit l'enfant, il n'y a donc pas de légitimité à interroger l'autre parent.

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Mme DARNAL – Sauvegarde du Rhône Le père absent a un droit de garde et devrait être associé à la mesure. Il a sûrement une action dans les projets de l'enfant. Mr Didier CHEFNEUX – UDAF 69 Il est peut-être question de notion d'allocataire et de bénéficiaire ? Une allocation peut avoir 3 bénéficiaires au domicile et un autre ailleurs. Il y aurait une réflexion à mener avec la CAF et les juges sur la possibilité de confier tout ou partie des allocations. Mr Alain GERMAN - UDAF 15 Dans le cadre d'un juge unique cela devrait être plus facile. Mr Michel RISMANN Je ne crois pas que le Juge des Enfants et le Juge des Affaires Familiales soient regroupés. Ce n'est plus d'actualité, avec la décentralisation le projet est ralenti. Autour des relations aux pouvoirs publics et en particulier aux élus… Mr Bertrand RAVON Je trouve que c’est important de préciser que tout ce que l’on entend ici devrait être davantage publié à l’extérieur. Si les élus connaissaient un peu mieux ce type de fonctionnement, peut-être seraient-ils dans une autre réflexion. Mr Jean-Pierre VEYRON Vous parlez de mieux se faire connaître à l’extérieur, moi je me demande si la TPSE n’est pas en crise d’identité. J'ai essayé, par moi-même et avec les collègues de l'institution où je travaille, de la définir. Mais j'ai l'impression que ce travail de la tutelle aux prestations ce sont les autres qui le définissent. Par exemple, sur mon secteur, dans l’Isère, je suis en très, très, mauvaises relations avec le Conseil Général. On ne s’aime pas. J'ai l'impression que le Conseil Général nous définit et va déterminer ce travail que l'on doit faire au quotidien. A partir du moment où il y a une mesure de tutelle, quand l'usager s'adresse à l'assistante sociale de secteur, on lui dit que le Conseil Général n'a pas à y répondre car il y a une mesure de tutelle. Mr Christian CLAUZONNIER Je crois que parfois on a tendance à croire que les élus ont une connaissance peu concrète des situations, ce qui est faux. Les élus sont souvent des élus municipaux. Ils font des permanences en mairie et sont très près du terrain. On est surpris par leur connaissance des situations individuelles et des détails très concrets de la vie des gens.

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