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qu' « un bon produit d'exportation est né en Algérie : le roman policier ...... satellites. 69 . « La cagoule, une impression d'inachevé », article anonyme, ...... Roger Vilatimo achève de convaincre le lecteur de la dimension artificielle des.
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ECOLE DOCTORALE DROIT ET SCIENCES HUMAINES .CENTRE DE RECHERCHE TEXTE ET HISTORE UFR des Lettres et Sciences Humaines

FORMATION DU ROMAN POLICIER ALGERIEN [l962-2OO2] Volume 1

Par Miloud BENHAÏMOUDA Thèse présentée pour l'obtention du grade de Docteur De l'Université de Cergy-Pontoise Discipline : Littérature comparée Année Universitaire 2004-2005

JURY : Christiane CHAULET ACHOUR, Professeur, Directrice de thèse Béatrice CORMIER, Professeur à l'université de Cergy-Pontoise, membre Daniel DELAS, Professeur émérite à l'université de Cergy-Pontoise, membre Dalila MORSLY, Professeur à l'université d'Angers, rapporteur Nourredine SAADI, HDR à Suniversité d'Artois, rapporteur

INTROD UCTION La présente thèse s'assigne pour propos la genèse du roman policier algérien de 1962 à 2002. Nous nous efforcerons, dans un premier temps, de légitimer l'objet de notre étude ainsi que la phase historique considérée. Nous traiterons dans une seconde partie de la définition du genre et, enfin, des instruments d'analyse mis en œuvre au fil de la recherche. 1. DIGNITÉ ÉTHIQUE ET ESTHÉTIQUE DU ROMAN POLlClER

En matière de littérature comparée, la recherche ne s'épuise pas intégralement dans la froide analyse du fait littéraire mais gagne à intégrer, outre l'énoncé des données constitutives de l'objet, une modalité éthique (faute de quoi: l'étude encourrait le grief d'inanité.) Dans cette perspective, l'intérêt pour le genre policier se rattache à une ample problématique, celle du processus (jamais acquis ni réalisé définitivenicnt) de marche vers la modernité. Le phénomène de sécularisation propre à l'histoire récente des nations développées évolue diversement dans d'autres aires culturelles. Au Maghreb, l'aspiration à la distinction du politique et du religieux, portée par une fraction de la société civile et par l'avant-garde politique, s'inscrit dans un contexte globalement défavorable, au moins à court terme, car comme le note Charles Bonn dans son ouvrage La littérature algérienne de, langue française et ses lectures : « le triomphe de la laïcité (. ..) reste difficilement concevable pour

qui connaît quelque peu la situation sociale et politique des pays du ~ a ~ h r e b ' . ) ) Toutefois, « la littérature algérienne de langue française ayant surtout été d'essence laïque2 », la censure, l'excommunication et le scandale furent souvent son lot. Le rejet de cette littérature explique, à fortiori, la suspicion à l'endroit du

' . Charles BONN, La littérature algérienne de langue jtcinqnise el ses lectures, I t t i l r g ~ t t t ~c.1~ t ~ ~ ~ Discours d'idées, (Sherbrooke, Québec, Canada), Éditions Naaman, coll. « Études »,no 6, 1974, p. 90. .Ibid,p. 36.

roman policier, genre par essence rationaliste, et dont le territoire : « s'étend entre deux limites : la logique pure et l'expérience pure3.»

À cet egard, le genre policier, que de nombreux critiques posent en équivalence avec la modernité littéraire et sociologique4, constitue précisément la catégorie romanesque (à l'exclusion des scories "bas de gamme" in6vitables à tous les rayons de la production littéraire, légitimée aussi bien que sérielle) emblématique de l'aspiration, ressentie de plus en plus largement, au libre exercice de la raison. La fiction policière est certainement le domaine romanesque cultivant la disposition mentale la plus radicalement opposée aux croyances, préjugés, coutumes, attitudes asservissant l'esprit humain à la crédulité, l'intolérance, l'illusion et la tyrannie. Nul mystère qui ne soit, en définitive, résolu dans les limites de la raison5. Le roman policier donne à voir un univers affranchi des visions, des effrois, et des erreurs de I"'obscurantisme", un monde accessible (au moins tendanciellement) dans sa totalité à la connaissance analytique et discursive de l'homme moderne ;par exemple, Sherlock Holmes, comme d'autres

Maxime CHASTAING, Ainsi, le postulat fondamental de la présente recherche réside dans la reconnaissance des valeurs éthique et esthétique du genre policier qui nous semblent résulter de la notion de contrainte : alors que le roman "littéraire" s'assigne ses limites propres et ne doit surmonter que les résistances qu'il s'est lui-même fixées (puisqu'il est réput6 genre sans lois), le roman policier renoue avec une conception ancienne :

. Nouredine ABA, « Noureddine Aba contre GBrard de Villiers D, Propos recueillis par Lazhari Labter, Révolution Africaine, no 1225,21 aoQt 1987, pp. 38-39.

38

celle de chartes poétiques contraignantes, justiciables

naturellement de

transgressions. Prenant acte de la prééminence (au moins quantitative) du roman policier dans le domaine de la fiction, de son essaimage dans des aires culturelles nouvelles, de sa transposition selon des supports nouveaux (théâtre, cinéma, télévision, bandes dessinées, jeux de société, jeux vidéos, etc.), nous tenterons de décrire son acclimatement dans le contexte social et culturel algérien. La dimension éthique (et donc humaine) de la production policière détermine notre conception de la formation du roman policier algérien ; nous la comprenons comme indissociable de l'histoire sociale et politique nationale dont elle épouse le cours.

La connexion entre l'actualité et le roinan poliçicr es1 rCvC1Ec par lu symétrie entre la succession des trois sous genres principaux du domaine policier algérien (romans d'espionnage, romans de procédure policière, romans noirs) qui coïncide approximativement avec les trois grandes phases de l'histoire algérienne récente :

-

Faveur du roman d'espionnage militaire au cours de la période

confiante des options dirigistes et volontaristes qui s'achève en 1979, avec la fin de règne de Houari Boumediène (27- 12-1978) ;

- Apparition

entre 1979 et 1988 du roman de procédure policière qui

tente de témoigner (dans les étroites limites tracées par le fonctionnement bureaucratique de l'edition d'État, par la censure et l'intériorisation du discours

l9 . Claude AVELINE, (( Double note sur le roman policier en général et la "siiite policiére en particulier", in La double mort de Frédéric Belot, (1932), Mercure de France, (( Bibliothéque du Club de la Femme », 162, p. 236.

((

politiquement correct D) des symptômes du

((

blocage du système4' N et de

sérieux dysfonctionnenlents tels que : la constitution de fortunes rapides, les premières contestations (spontanées, démocratiques, islamistes, culturelles) du régime, la stagnation économique et ses corollaires, à savoir, pénuries, marché informel, corruption, chômage, criminalité, etc. ;

-

Enfin, essor du roman noir diffusant Lin discours véhément de

dénonciation sociale et politique à partir de 1988, dans un environnement de violence et de relative ouverture politique et médiatique. La corrélation entre la genèse du genre policier et l'histoire sociale et politique dicte, à son tour, le type de plan adopté qui obéit (globalement) à un ordre d'exposition chronologique. Il convient cependant de concéder que toutè ponction dans le continuum historique (pour le cas qui nous occupe, 1962-2002) marque nécessairement une part d'arbitraire : un phénomène humain, social, culturel ou politique quelconque se trouve pris à l'intersection de chaînes de causes et d'effets multiformes, inséré dans des rapports de surdétermination qui rendent contestable un bornage temporel strict ; aussi, les divisions par époques, phases, périodes, comportent-elles inévitablement une part d'arbitraire liée à des préoccupations d'ordre didactique et pragmatique (nécessité de concilier l'ordre de la recherche et celui de la présentation finale.) Par exemple, quelques ouvrages, quelquefois en raison des délais prohibitifs de l'édition, dérogent à la périodisation par sous genre et s'insèrent malaisément selon un ordre de succession chronologique : ainsi, en 1989 et 1990 paraissent respectivement Le.y barons de la pénurie puis L 'empire des démons de Saïd Smaïl. La thématique de ces deux romans (la corruption facilitée par le monopole economique d'État) apparaît quelque peu anachronique au regard des mutations que connaît le pays et inconsistante après le soulèvement populaire de

1988 et les menaces de déstabilisation qui s'ensuivent.

. Cj Benjamin STORA, in Algérie / Histoire contemporaine 1830-1988, (Paris, Éditions La Dtcouverte, 199 1-1993-200 l), Alger, Casbah Éditions, 2004, le chapitre intitult « Le blocage du

40

Cette rupture par rapport à l'actualité lors de la publication se vérifie davantage encore pour les romans de Didier Daeninckx, Meurtres pour mémoire (1984)' de Mohamed Benayat, Fredy la rafale (1991), de Francis Zamponi, Mon colonel (1999), et de François Muratet, Le pied-rouge (1999). Ce sont là les

quelques romans à déroger à l'office fréquemment assigné au roman policier : la représentation de l'actualité. C'est pourquoi nous avons jugé fécond de réunir ces ouvrages dans un même volet, celui du roman policier politico-historique4'. En revanche, Le meurtre de Sonia Zaid un roman d'énigme pure de Rahima Karim, publié en 2002, et qui s'éloigne intentionnellement de l'actualité pour situer son intrigue à Alger en 1987, ne s'intègre dans aucun mouvement d'ensemble et constitue une initiative et une expérience purement originales. Ici, l'époque et le sous genre choisi (le roman problème) ne signalent pas de connexion manifeste avec l'histoire actuelle. De même, Meurtres en Sérail de' Charaf Abdessemed, marqué par le registre de l'humour noir et de la dérision, représente une expérience absolument originale. Par ailleurs, des ouvrages d'un même auteur, parus approximativement à la même époque peuvent être abordés selon des perspectives et dans des volets distincts. Les deux romans de Lakhdar Belaïd, par exemple, sont justiciables de traitements différents : en effet, le premier, Sérail killers a pour substance constitutive l'histoire algérienne et à ce titre trouve logiquement sa place dans le chapitre « Fiction policière et histoire revisitée », le second, Takjr Sentinelle, où les mêmes héros sont de retour et qui entre dans une tentative de pratique sérielle

sera opportunément classé au chapitre (( Le roman policier sériel ». Ainsi, le plan obéit à une double exigence : respect de la chronologie qui permet de restituer la production romanesque dans son contexte social et historique et respect de

s sttme (1 979-1 988), pp. 295-3 16. En réalité, si ces romans, ceux de Didier DAENINCKX. de Francis ZAMPONI. de François MURATET et de Mohamed BENAYAT, s'éloignent de l'actualité immédiate pour situer leur action dans le passé de la guerre d'Algérie, ils rejoignent par un autre côté l'actualité dans la mesure où il s'inscrivent dans un travail de mémoire algéro-fiançais qui constitue lui-même un phbnomtne médiatique et culturel inscrit dans l'histoire des mentalités. Indirectement, ils reflètent à leur façon, eux aussi, les préoccupations collectives les plus immédiates.

".

l'harmonie thématique qui confère à chaque partie une certaine cohérence en incluant sous un même chapitre des production comparables. Abstraction faite de ces rares romans, le plan chronologique (le moins subtil, mais peut-être le plus difficilement contestable) permet de révéler la logique sociale de la production policière et l'homogénéité des sous genres pour chaque période considérée, Cette étude comprend trois parties essentielles : La première se fixe pour objet la description du contexte politique et culturel algérien au sein duquel émerge le roman policier en mettant l'accent sur les pesanteurs diverses (institutionnelles, culturelles et morales) qui rendent intelligibles le déficit quantitatif et qualitatif du genre. La deuxième partie analyse les romans à thèse, d'espionnage antisioniste ou économique, publiés entre 1970 et 1980 avec l'approbation active de la SociétE Nationale d'Édition et de Diffusion, ouvrages qui ne sont pas exempts des reproches (facilité, manichéisme, racisme) imputés à leurs homologues français, et notamment les séries SAS de Gérard de Villiers. Nous avons également annexés dans cette deuxième partie les romans (pour la plupart) de procédure policière publiés entre 1980 et 1991, contemporains des dysfonctionnements divers qui, rétrospectivement, présagent les insurrections d'octobre 1988. Ces ronians de procédure policière, certes moins conformistes que les récits d'espionnage des années 70, perpétuent néanmoins un discours balisé par les contraintes bureaucratiques et idéologiques de l'édition d'État.

La troisième partie, et la plus importante, a trait au roman noir publié a l'étranger ou en Algérie et se subdivise en 8 volets thématiques ; la nécessité du classement thdmatique procède ici de l'extrême brièveté de la période de publication. En effet, hormis Yasmina Khadra qui inaugure sa série des enquêtes du commissaire Llob en 1990, Didier Daeninckx dont Meurtres pour mémoire sort en 1984, et Mohamed Benayat qui publie Fredy lu rufille en 1991, tous les auteurs de romans noirs recensés ont été publiés entre 1998 et 2002 (cJ: bibliographie). À l'intérieur de ce bref intervalle, il est illusoire de distinguer des cycles, des phases ou des courants déterminés. Nous avons donc opté pour une

répartition établie sur une affinité thématique ou formelle telle que nous l'exposons ci-après :

1 / Diversité du roman noir algérien : En guise de prélude, ce chapitre expose la diversité du corpus qui inclut certains romans fiançais dont la thématique est proprement algérienne.

2 / Caractères esthétiques des romans noirs de Yasmina KItadra : La série des cinq aventures du commissaire Llob, signées des pseudonymes Commissaire Llob puis Yasmina Khadra, constitue une unité thématique et esthétique remarquable justiciable d'un traitement separé. 3 / Un contexte défnvorable d I'idition polici2re f6nzitzinr :

Ce bref chapitre est un prélude au suivant dans lequel Catherine Simon occupe une place notable. 4 / L a mise en accusation de l'État :

L'inclusion de ces trois romanciers (Catherine Simon, Abdelkader Djemaï et Azouz Begag) dans un volet commun procède de leur affinité idéologique : la critique politique radicale du pouvoir (militaire, policier, administratif, financier) auquel est imputée la responsabilité dans l'exercice de la violence par le biais du monopole politique et de l'arbitraire. 5 / Fiction policière et Histoire revisitée :

Le roman politico-historique à structure policière (représenté par Didier Daeninckx, François Muratet, Francis Zamponi et Mohamed Benayat) est un domaine romanesque qui vise au travers du prétexte d'une enquête policière à revisiter l'Histoire algéro-française ; 6 /Formes policières du roman algérien :

Ce volet inclut le recours aux structures et à la matière policière dans une ambition essentiellement littéraire chez deux auteurs : Boualem Sansal et Salah Guemriche) ; 7/ Le roman policier sériel :

Il s'agit de tenter de dresser un bilan de l'écriture sérielle dans le roman policier algérien

8 /Les inclnssnbles : Enfin, des expériences inclassables : le roman policier humoristique de Charaf Abdessemed ou l'unique whodunit de Rahima Karim. C'est par réaction au constat de la quasi impossibilité d'embrasser exhaustivement le phénomène d'hégémonie littéraire généré par l'expansion, l'extrême diversité qualitative, thématique, et les tirages prodigieux du roman policier français ou anglo-saxon, que nous avons pressenti l'intérêt d'une étude de la genèse du roman policier algérien : le développement en Algérie (mais également en France compte tenu de l'immigration, de l'exil ou de circonstances opportunes en matière d'édition) de ce genre littéraire offre un champ d'observation suffisamment ample pour nourrir la matière d'une étude, et suffisamment restreint pour rendre possible un parcours exhaustif et prévenir toute omission majeure. En effet, alors que le lecteur français ne peut qu'être impressionné, enthousiasmé (et paradoxalement découragé) par le volume des tirages et la rotation de plus en plus rapide des titres qui rendent partiale (et partielle) toute volonté de représenter distinctement l'évolution du roman policier français, l'amateur de polars algériens peut prétendre rendre compte de façon quasi exhaustive de la production policière dont le corpus rassemble 42 romans publiés par 23 auteurs sur trois décennies. La cohérence et I'exhaustivité du corpus sont fonction, dans une notable mesure, de la rigueur de la définition du genre policier. En effet, le domaine policier algérien n'est pas toujours un objet donné, immédiatement distinct, perceptible à l'observation par les seuls signes du paratexte éditorial. ainsi que cela peut être le cas dans le contexte de production littéraire de masse fiançais et anglo-saxon. La tentative de définition proposée ci-après contribuera à la différenciation de la fiction proprement policière au sein du roman algérien d'expression française.

Ill. PRÉCARITÉ DU GENRE POLICIER EN ALGÉRIE

A cette première difficulté (mineure) d'identifier le roman policier grâce au seul paratexte, viennent se greffer dans le contexte algérien deux obstacles supplémentaires :

1 1 Alors que dans les sociétés hautement industrialisées la surabondance de la production policière représente un fait massif, tangible, ramenant essentiellement la question de la définition du genre à sa dimension éditoriale et commerciale, en Algérie, l'insuffisance et l'irrégularité de la production restreignent la visibilité de la fiction policière parmi la variété de publications indifférenciées.

A titre de comparaison indicative, une étude sur le seul roman d'espionnage français entre 1965 et 1977, fondée sur un corpus de quatre cent quarante-six volumes (soit 30 % de la production totale) évalue à environ mille cinq cents le nombre de titres pour ce seul sous-genre et pour la période considéréed2.En revanche, en 1990, l'article de synthèse de Hadj Meliani

((

Le

roman policier algérien »43 répertorie vingt-quatre volumes publiés entre 1967 et 1998, parmi lesquels seulement neuf romans d'espionnage. En 1992, la thèse de Rédha Belhadjoudja Traitement de la notion de suspense dans le roman policier algérien ou la naissance du polar en ~ l ~ é r enregistre i e ~ ~ dix-sept romans, huit

nouvelles et trois albums de bandes dessinées entre 1967 et l'année de soutenance de cette thèse. En 1998, Beate Bechter-Burstcher estime à vingt-deux le nombre de romans policiers algériens parus entre 1970 et 1998. Notre corpus, toutes catégories de romans policiers confondues compte 42 volumes.

42. Erik NEVEU, L'idéologie dans le roman d'espionnage, Paris, Presses de la Fondation Nationales des Sciences Politiques, 1985, p. 59. 4 3 ~ a d jMILIANI (( Le roman policier algdrien n, in Paysages littéraires algériens des années quatre-vingt dix: Témoigner d'une tragédie, sous la dir. de Charles Bonn et de Farida Bouali Paris, L'Harmattan, 1999. 44 Redha BELHADJOUDJA, Traitement de la notion de suspense dans le roman policier alg6rien ou la naissance du polar en Algérie, Thèse de Magister sous la dir. de Mme Christiane ChauletAchour, Universitt d'Alger, côte no 7001 3, 1992.

En 1987, dans un dossier consacré au roman policier par Révolution Africaine, on pouvait lire, sous la plume d7Abdelmadjid Kaouah, l'interrogation

suivante : « Youcef Khader, Abdelaziz Lamrani, Larbi Abahri, Zehira Berfas (Houfani), Djarnel Dib, une équipe - disparate - fondc-t-ellc un gcnrc, bouleverse-t-elle la morosité de l'édition ?45)) Dans le même dossier, jugement comparable de Chaffik Benhacène selon lequel le roman policier n'existe que (( par à-coups, à la faveur de tentatives personnelles de jeunes débutants beaucoup plus que comme genre dûment agréé46.)) Une quinzaine d'années plus tard, même si le nombre d'auteurs de romans policiers s'est notablement accru, ccs observations demeurent pcrtincntes. En 1992, Rédha Belhadjoudja, amateur éclairé et auteur de la première étude systématique de l'émergence de ce genre en Algérie, exprime des réserves comparables quant au fait même d'une pratique organisée, régulière, sérielle et massive de l'écriture policière; ainsi dès l'introduction de sa thèse, il en relève le caractère sporadique : Les tentatives de production dans ce genre particulier étant peu nombreuses, nous e s t 4 possible de parler d'une pratique de I'écriture policière ou bien ne s'agit4 là que d'un "incident littéraire" beaucoup plus en rapport avec une conjoncture historique et /ou politique ?47

Toutefois, même si, en raison de la persistance de ce phénomène littéraire remontant à 1970, l'on accorde à la somme de ces expériences dispersées, discontinues et fragiles la modalité de genre, il reste que son expression n'a certes pas le caractère abondant et planifié qu'on lui connaît ailleurs. Cette incertitude quant à la convenance de la notion de genre rend peutêtre intelligible une récurrence curieuse ; alors qu'en Europe des voix récurrentes

Abdelmadjid KAOUAH, ), in Paysages littéraires algériens des années 90: Témoigner d'une tragédie ? sous la dir. de Charles BONN et Farida BOUALIT, Paris L'Harmattan, pp. 105- 1 17. 53 . Rédha BELHADJOUDJA, Traitement de la notion de suspense dans le roman policier algérien ou La naissance du polar en Algérie, Th&se de Magister, sous la dir. de Christiane 48.

49

. Abdelmadjid

abstraits du substrat social, culturel et écononlique qui assure leur viabilité. Ces constats de naissance du genre policier algérien outre, qu'ils traduisent une aspiration à l'avènement d'un phénomène dont on ne perçoit encore que les symptômes avant-coureurs, révèlent une ambiguïté dans l'intelligence de la notion de genre. En effet, celle-ci repose sur l'aspect quantitatif de la production qui se décompose en ensembles ou classes de textes liés par un plus petit dénominateur commun d'invariants ou de caractéristiques collectives récurrentes. Or, la mise en évidence de ces traits récurrents suppose une production suffisamment diversifiée et significative pour former un système viable susceptible de proliférer en sous genres apparentés : whodunit, roman de ratiocination, thriller, roman problème, récit à structure inversée, etc. Pour le cas algérien, plutôt que d'existence avérée du genre policier, on préfèrera parler plus précisément d'expériences autonomes dans un même domaine d'intérêt. Or, ces tentatives disparates, isolées, au tirage et au public restreints, se prêtent malaisément au classement générique même s'il est toujours possible de repérer dans un corpus de 42 volumes des sous-catégories distinctes.

2 1 En outre, l'absence de signes paratextuels clairs rendent conjecturale l'assignation d'un roman dans une catégorie donnée et inclinent les critiques, universitaires ou de presse, à révoquer en doute la validité opératoire de la notion même de genre policier. L'identification immédiate du produit "roman policier" à partir des seuls indices paratextuels demeure aléatoire ; en effet, la notion de collection est quasiment étrangère aux pratiques éditoriales de la S.N.L.D. q u i néglige pratiquement toute différenciation paratextuelle bien que son domaine d'attribution couvre « les sujets les plus disparates, allant de la théologie aux

CHAULET-ACHOUR, Institut des Langues Btrangères, DBpartement de français, Bibliothèque centrale de 1'Universitt d'Alger, 1992.

sciences pures en passant aussi bien par l'histoire et les sciences sociales que par )) le roman et la n~uvelle.'~

Revenant sur la question du genre, Rédha Belhadjoudja note dans la conclusion de sa thèse le caractère inconsistant et irrationnel de la pratique éditoriale de la S.N.E.D.oÙ «les projets de collectons voient leurs chances d'éclore et de durer dépendre de la volonté et de la longévité au poste de responsable de projet55.» Les maisons d'édition, étatiques ou privées, qui relayeront la S.N.E.D. à sa dissolution en 1983, ne corrigeront pas fondamentalement ce type de pratique; aussi, compte tenu de l'absence de collections, de séries, de paratexte éditorial explicite, de magazines spécialisés, le repérage des ouvrages justiciables de l'appellation "roman policier" repose sur la notion de contenu. Seront ainsi tenus pour policiers les ouvrages dûment répertoriés comme tels par I'édition algérienne ou française ainsi que ceux dont la structure et le sujet coïncident avec l'une des catégories du genre policier dont nous proposons une tentative de définition ciaprès. IV. ESSAI DE DEFINITION DU GENRE POLICIER

Dans cet effort de définition du genre, la première difficulté résulte de l'embarras des critiques et des historiens de la littérature eux-mêmes dès lors qu'ils tentent de spécifier l'essence de la fiction policière, au point que souligner le défaut de caractères intrinsèques du roman policier constitue le rituel inaugural de leurs ouvrages.

Par exemple, en' 1983, Uri Eisenzweig note à propos de la littérature policière «une double absence : celle d'une définition précise et celle d'une véritable tradition critiques6. )) Toujours la même année, Alain Demouzon porte 54

((La politique et l'organisation de I'édition et de la dirfiisioii cil Algdricn, Ali IAlB ET Mohamed M'HAMDI BOUZNINA, in Aspects de l'information au Maghreb, ouvrage collectif, Editions du Centre Maghrébin d'Etudes et de Recherches Administratives, 1980, p. 92. " ~ é d h aBELHADJOUDJA, op. cil., p. 235. 56 . Uri EISENWEIG, (( Présentation du genre », Le roman policier in Lit/c;rrrt~~re no 49, Paris, Larousse, février 1983, p. 3.

un jugement comparable, en l'agrémentant d'humour : « Personne [écrit-il] n'a jamais pu définir ce qu'était un roman policier autrement que comme un aquarium percé. Polar ne colmatera pas les brèches en pommes d'arrosoir5'.

))

Une décennie plus tard, Jacques Dubois renchérit en observant que

((

le

genre policier semble rebelle à tout statut établi. Sans cesse il fuit et se dérobe à la définition, comme s'il était plusieurs en uns8. )) En 1993, André Vanoncini, dans un ouvrage A vocation didactique, estime encore « difficile de décrire Ics formes élémentaires d'un genre qui suscite des divergences rien que par les noms choisis pour les désigners9. » En 1996, remarque comparable de Franck Evrard : ) d'Irlande ou par la bataille de Majuba. D, ihicl., p. 17. . Deux personnages du roman de Rahima KARIM, Le meurtre de Sonia Zaid rêvent du jour oii la profession de détective sera reconnue : ((Quelques coups et la porte s'ouvrit laissant passer Kacem. 11 s'avança vers Sarah, souriant, la main tendue : Promets-moi que, le jour où l'État autorisera l'ouverture d'agences de détectives privés, tu seras mon associée. Sarah tendit la main à son tour et, en souriant, lui répondit : Bien stîr. C'est toujours utile d'être associé avec la police ... », Alger, Éditions Marsa, 2002. » Cette scéne est censée se dérouler en 1987. 6 . Adléne MEDDI, Le casse-tête turc, Alger, Éditions Barzakh, coll. « Noir Barzakh », no 1 , 2002, quatriBrne de couverture. Cette collection est consacrde à Moncef Chergui alias le (( Scorpion D, un transfuge de la police politique dont il réprouve les méthodes peu orthodoxes, la défense d'intérêts privés peu avouables et notamment la féroce répression d'octobre 1988 (cf: Nabil BENALI, A lu m6rnoire du Commandant Larbi, chap. 2). 11 s'agit d'une série conçue sur le modéle de celle du (( Poulpe » fondde par Jean-Bernard POUY en 1995 aux Éditions Baleine et qui consiste à confier chaque

-

Dans la tradition paralittéraire algérienne, l'absence du récit policier analytique, du roman-problème ou du roman noir dont le héros est un détective privé, est en relation avec la gestion politique du pays. En effet, le choix d'un enquêteur privé comme héros révèle, par contraste ironique, l'inefficacité de la police d'État7 et seuls un régime libéral, une démocratie parlementaire à l'occidentale, sont en mesure d'en tolérer l'inscription au registre dcs prol'cssioiis indépendantes et l'expression au plan romanesque. L'inattention A l'endroit du classement d'un ouvrage dans I'iiiic dcs sous catégories du genre policier8 peut déterminer l'omission

d'implications

idéologiques notables. Par exemple, selon un récent article de synthèse assez représentatif de la diversité du roman policier algérien des années quatre-vingt, le roman

Adel s'emmêle (1988) de Salim Aïssa peut être considéré comme un

roman-problème, une murder par$. » Ce qu'il est en effet, partiellement. Pour autant, se limiter à cette désignation équivaut à omettre une part notable de sa nouvelle aventure du héros (Gabriel Lecouvreur alias le Poulpe) A un auteur différent. La série algdrienne du « Scorpion )) marque le pas : deux numéros seulement, parus en 2002. . Antonio GRAMSCI note, dans son article « Sur le roman policier », la signification idéologique du personnage du "privé" : « L'activité "judiciaire" a toujours suscité de l'intérêt et continue à le faire ; l'attitude du sentiment public envers l'appareil de la justice (toujours discredité, d'où le succes du policier prive ou amateur) et envers le délinquant a souvent changé ou du moins a pris diverses colorations. D, in Gramsci dans le fexfe, Recueil idalisk soiis la tlii. dc I:i.niiqois Iticci cii collaboration avec Jean Bramant, Paris, Éditions Sociales, 1977, p. 657. (C'est nous qui soulignons.) 11 convient de noter que le fonctionnaire de police et le détective privé ne partagent pas exactement le même domaine de compttence. Le premier est (théoriquement) au service de la collectivité et dispose de pouvoirs étendus en matiére d'investigation, d'interrogatoire et d'arrestation ; en revanche, le privé n'a légalement aucun pouvoir d'interrogatoire et doit simplement rapporter à son client les résultats de son enquête. La désignation globale du genre par la formule roman policier recouvre les sous catégories suivantes : roman-rébus, roman-jeu, roman-puzzle, roman-probléme. roman de détection, murder Party, whodunit ; toutes ces appellations sont synonymes, A des nuances près, de roman policier classique de tradition surtout anglo-saxonne dont l'âge d'or se situe vers 1925. La désignation globale roman policier recouvre également d'autres sous catégories : le roman de procCdure policiere soucieux de l'authenticité factuelle de l'enquête menée par l'équipe d'une institution officielle, le tliriller o u sliocker qui joue avec les nerfs des lecteurs, I'inverted novel ou rCcit h structure inversCe dans lequel le lecteur est témoin du crime, le roman noir h caractère sociologique et politique d'origine américaine, le polar et le nCo-polar qui sont l'équivalent français du roman noir américain, le roman d'espionnage dont les héros (l'espion - toujours étranger, qui pratique le « deuxiéme plus vieux métier du monde » - et l'agent secret ou spécial au service de la Nation ) défendent la raison d ' h i coniic dcs coiispiiiitioiis iii~eiii;itioii;ilcï.( I i i liste de ces sous genres n'est pas exhaustive). 9. Nora Alexandra KAZI-TANI, « Le roman policier en Algérie D, in Langues el Liff&-atzrre, vol. no 6 , 1995 (Revue de l'université d'Alger), p.32.

'

'.

signification car, Adel s1ernm21e excède la représentation stricte que nous uvoiis du roman-problème. Ce classement nous semble problématique. En effet, si ce roman présente indiscutablement certains traits du sous-genre : whodunit (qui a fait cela?),

notamment en raison de I'importai~ce particiilidrc uccoidCc

;III

cotlc

herméneutique et à sa primauté par rapport à l'action pure, il se distingue passablement du roman-problème, au moins par deux caractéristiques : en premier lieu, par son inscription dans la configuration du récit réaliste par opposition à l'essence autoréférentielle et à l'atmosphère raréfiée de la murder party, ensuite, par la disparité des fins que s'assignent le fonctionnaire de ce récit de procédure policière et le détective de la murder party. Alors que l'inspecteur Adel (comme l'ensemble des fonctionnaires de police) se voit confier iinc iiiission d'intCrEt collectif à accomplir, en principe, dans les liniites de la loi, mission dont la finalité est une inculpation, une sanction sociale, le détective, lui, est en quête de la seule vérité, abstraction faite de toute préoccupation de répression sociale ; et, si la sanction advient, c'est moins par exigence éthique que de façon purement contingente. Cette sorte de pur exercice intellectuel du détective privé ou amate~ir exalte l'autonomie absolue de la raison de sorte que l'application de la loi devient purement facultative.

A ce propos, la lecture des romans de la Chronique de Wrightsville, d9Ellery ~ueen", est tout à fait emblématique de l'absence de châtiment du criminel, la thèse implicite étant d'abord que l'exercice de la raison est une activité esthétique qui trouve en elle-même son propre accomplisscmcnt ct cnsiiitc que le crime, au-delà d'un

certain seuil social, est justiciable d'une thérapie

interne ; sa publicité risquant d'exposer ail scandale le prestige des iioiabilitEs. I,n 'O. Pseudonyme commun de deux cousins, Manford LEPOFSKY ( 1905-197 1 ) et Daniel NATHAN(1905-1982) crtateurs des enquêteurs Richard Queen et de son fils Ellery. La chronique de Wrightsville est la saga d'une ville imaginaire comprenant les romans suivants : La ville maudite (1942), Le renard et la digitale (1945), La décade prodigieuse (1948), Coup double (1 950)' Le roi est mort ( 1 952). A propos de Wrightsville, Daniel FONDANECHE écrira : (< Cette ville imaginaire est une sorte de vivarium oii évoluent des êtres représentatifs de la socittt américaine, des possédants aux déclassés et dans ce milieu exptrimental les cousins Queen vont créer un certain nombre de situations typiques permettant des intrigues savantes. D, Paris, Éditions Ellipses Marketing S.A., 2000, p. 54.

socikté étanche des possédants possède ses propres défenses internes contre l'intrusion du mal, qui rendent inutile la triviale vigilance policière à son endroit. Ainsi, l'assignation ambiguë d'un roman policier dans un sous genre donné peut déterminer une lecture lacunaire, dans la mesure où l'identification d'un texte comme échantillon standard d'une tradition, indépendamment des écarts qu'il peut présenter par rapport à cette tradition, suscite une perception du

~ d'attente » modelé par la familiarité du lecteur à sens circonscrite à 1 ' horizon I'égard des propriétés générales de cette tradition. Si le choix d'un détective privé comme héros peut s'avérer problématique, au rebours, l'assignation d'un policier d'État à la fonction de sujet détermine une perspective idéologique ambiguë, suspecte d'apologie de I'autorité en place. Cette thèse rend intelligible le refus de nombre de romanciers algériens d'6prouvcr

leur talcnt dans cette catégorie romancsqiie ; par exemple, feu ta lia^

Djaout (1954-1993)' l'un des plus lucides et des plus critiques à l'égard de I'autorité politique, fonde son rejet du genre policier sur la dénonciation du mythe du "bon flic". Dans un article intitulé « Une étiquette d'etagiire dans Ic magasin littéraire », il justifie ainsi son éloignement et sa suspicion à I'égard du roman policier, (prévention assez paradoxale puisqu'elle n'exclut pas Ic dcsscin d'cn écrire un et la conscience de la difficulté d'un genre « citoyen à part entière dans

'

l'irascible République des ~ e t t r e s ' ») : C e qui m'a le plus démobilisé a l'endroit du roman policier, c'est ce côté de roman sdcurisant oii le mal finit toujours par être maîtrisé et où l'ordre est glorifié. N'ayant jamais eu une sympathie débordante pour les policiers et assimilés (commissaires, inspecteurs et autres agents), je :es voyais mal dans des postures de htros - au ddtriment des bandits, des clochards. des voyous, des névrosés et des laissds-pour-compte - figures pour moi plus avenantes. Cette désaffection relative n'empêchera sans doute pas que j'en écrive un, un jour, pour me distraire et sous un pseudonyme, un roman policier ou ni 12 l'inspecteur ni son adjoint n'auront la part belle .

" . La formule est de Tahar DJAOUT qui concluait ainsi son article (dans l'ensemble assez dépréciatif) et son vœu : c< J'entends d'ici quelque auteur chevrnnnd inc rCtorqiicr clii'hirc iiii roman policier n'est pas h la portée du premier venu. », REvolirlion Afkicrritie, 2 1 mîit 1087. 11" 1225, p. 38. Tahar DJAOUT, « Une étiquette d'étagére dans le magasin littéraire », Révolurion Africaine, ibid.

''.

On pressent que cette expérience, vœu pieux pour jamais depuis le 2 juin 1993, eût certainement contrevenu aux canons de maintes chartes poétiques et abouti à une formule anticonformiste et insolite du roman policier. Le blâme de monologisme moralisateur porté par Tahar Djaout à l'encontre du récit policier n'est pas une simple vue de l'esprit ; par exemple, le "~ au téléfilnl compte-rendu que le très officiel quotidien El ~ o u ~ j a h i uconsacre

policier d'Abdelaziz Tolbi, intitulé La cagoule (1 971)' atteste la fonction édifiante et civique attachée aux fictions policières moralisantes, tolérées et encouragées par les pouvoirs publics. Dans la notule anonyme signalant le tournage du film, est prononcé l'éloge de « ceux qui ont contribué (police, douane et actcurs amateurs) à un ouvrage cinématographique à caractère éducatif

D

et sont soulignées

((

la

modestie des enquêteurs de la police, celle du con~missaireet de son adjoint, qu'on gagticrait A populariser » ainsi que

((

l'originalité de ce film [qui] ne

réside pas dans l'imitation d'un certain type de malandrins internationaux mais [dans] son contcnu rnora~isatcur'~. D Ainsi les romanciers qui, négligeant les risques d'ambiguïté et de récupération idéologique, expérimentent ce typc dc récit dans leqlicl I'cnqiiS.tcur appartient à la police officielle, s'exposent aux blâmes de compromission avec le pouvoir en place, émanant de leurs pairs, de la critique ou du public. Pour sa part, Yasmina Khadra, en raison de sa notoriété internationale, du mystère ayant longtemps entouré son identité véritable, puis de la révélation déconcertante en janvier 2001 " de son passé d'officier de ~ ' A . N . P . a' ~été en butte à ce type d'accusation. C'est par exemple en référence à la thèse de la fonction

aliénante du motif du "flic honnête" que Salim Bachi dénonce le caractère 13. El Moudjahid (Le Combattant), quotidien du secteur étatisé, sous tutelle du Ministère de l'Information, créé le 22 juin 1965 suite à la fusion de deux journaux, Alger Ripublicain et Le Peuple ; l'équipe d'obédience marxiste d'Alger. Républicain sera en fait écartte au profit de la tendance gouvernementale du quotidien Le Peuple. El Moudjahid hérite du titre homonyme de l'organe central du F.L.N. créé à Tunis au niois de juin 1956 et qui disparaît en aoat 1964. 14. ANONYME, El Moudjahid, « La cagoule : une impression d'inachevt! D, mercredi 17 mars 1971, p.5. (C'est nous qui soulignons). . Cf:« Yasmina Khadra se démasque », propos recueillis par Jean-Luc DOUIN, Le l\.londe, vendredi 12 janvier 200 1 .

''

mystificateur imputé à la trilogie policière de Yasmina ~ h a d r a " . Que les propos désobligeants de cette censure tiennent, pour une part probablenîent, à des rivalités de métier n'en invalide pas foncièrement l'intérêt :

Elle [la trilogie de Yasmina Khadra] véhicule un mythe, qui est celui du bon flic. Ce n'est pas rCaliste. I I n'y a pas de bon flic en Alg6rie... Cette idée d'une rCpression clean, ça fait partie des mensonges qu'on v6liiculc dcpuis treille ails. l'out le monde sait qu'on torture dans les commissariats. Tout le monde sait qu'il y a des exécutions sommaires 18.

En fait, Salim Bachi reconduit (ou redécouvre) la proposition de Claude Prévost, énoncée dans son ouvrage Lifférafure,Polifique, Id2ologie. sur la filiation de ce type de héros - le bon flic - et la mystification implicite que son emploi cautionne : «Le thème du shérif-honnête-mais-impuissant vient du western et sert à démontrer que ce n'est pas la loi qui est fautive ou les structures de la société, mais 1 ' ~ o m m e ' ~» . Lors de la révélation de l'identité de Yasmina Khadra, la critique d'humeur d'une certaine presse parisienne renouvellcrû ces accusations contre le personnage idéologiquement suspect du Commissaire Llob (et simultanément contre son géniteur spirituel), récriminations lestées, pour l'occasion, de malveillance manifeste contre cet écrivain venant tout juste

((

de sortir du bois

[...] emperruqué depuis dix ans sous un faux prénom de femmeZ0)) ; c'est le cas

par exemple de l'éreintement commis par Florence Aubenas dans son article « Yasmina recadré )) où l'on peut lire qu'art cles journaux, y compris les magazines spécialisés teis Détective ou la défunte et très épli6mèrc rcvuc Police, 56.

37

Ihid., p. 3 1 1 .

La rubrique du courrier du cœur s'impose, non sans quelques tiraillements, en inênie icnips que la rupture de 1988. 38 , Le défunt magazine Algérie Acfuulité rapporte un événement rarissime : le journal télévisé ouvre sur un fait divers. Résumt des faits : le rapt d'un bébé dans une clinique de Constantine par une femme stérile. En moins de vingt-quatre heures la ravisseuse est appréhendée. Algérie Actualité commente ainsi le traitement médiatique de ce fait divers : « Essayons d'analyser les images [...] Qu'a-t-on vu au juste, ce soir à la télé ? Les parents du bébé kidnappé. Un jeune barbu (le pbre), une jeune femme en hidjab (la mère). Un couple islamiste en somme. De l'autre des flics, qui font vaillamment leur boulot [...] Moralité : le pouvoir en place protège tout le monde y compris les islaniistes. » Algérie Actualité, (2-5 au 4-9 1991), « Un fait divers ouvre le J.T. de 20 heures ». ,

quand elle existe, se caractérise par une narration lacunairc, ~iialadroite,soiivent malaisément intelligible ainsi que par une tournure moralisatrice et hypocrite. Ce type de magazine fonde son chiffre d'affaire sur l'information graveleuse à scandale agrémentée de titres racoleurs, tout en se disculpant par des analyses édifiantes nourries par des référents religieux et moraux. Les types du "préfecturier", du chroniqueur judiciaire, tels que le roman ou la presse judiciaires les représentent dans l'esprit

: gravitant dans les

prétoires, les Palais de Justice ou les grands commissariats, ont longtemps été anachroniques voire "exotiques" en Algérie. Qui voudrait, comme Charles Auguste Dupin, le héros d'Edgar Allan Poe dans Le mystère de Mnrie Roget (1844), résoudre une énigme policière par la seule lecture des quotidiens. ou plus modestement encore suivre le développement journalistique d'une affaire se heurterait à une impossibilité. Il advient fréquemment en effet quc la presse, a p r h avoir signalé un crime particulièrement exceptionnel, néglige dans les livraisons ultérieures de rendre compte du développement de l'affaire, soit par clusscmeii~cl abandon de l'enquête, soit en raison de la saturation de l'actualité, soit encore par désintérêt ou pour quelque autre obscure raison. Cette réticence ancienne à l'endroit du fait divers résulte pour une part de l'orientation politique du régime. Ainsi, un responsable de l'appareil du Parti peut déclarer aux premières années de l'indépendance : L'information quotidienne au sens de l'actualité quotidienne. ne les intéresse (les organes centraux du parti) que subsidiairement lorsqii'elle est rattachée

. On pourrait citer comme modkle inégalable de la chronique judiciaire française l'exemple de la regrettée Madeleine JACOB décédée à 89 ans en 1985 dont le quotidien Lih6r~rliontraça un portrait mtmorable : « Une grande journaliste. Celle qui a tout vu. Qui a tout fait. En tête de liste, on citait le procès de Nuremberg [...] On disait qu'elle était communiste. D'ailleurs son dernier eniployeur était le directeur de l'Humanité Dimanche. On ajoutait qu'elle avait connu tout le monde tout petit. Les magistrats comme les avocats. [...] De Vogue oit elle avait debuté en 1923 d I'llumtr en passant par I'CEuvre, le Petit Journal, Messidor, Libération (l'ancien) et France-Soir, elle avait fini par oublier le sens des cdrtmoniaux judiciaires pour ne s'intéresser qu'à leur forme. Avec elle, les procès ttaient dtfinitivement devenus des spectacles puisqu'ils n'avaient plus pour elle d'autre sens que leur esthétique. Elle ne parlait plus que des qualités d'orateur d'un avocat ou d'un procureur. De la bonne ou de la sale gueule du suspect. De la facilité d'élocution d'iiii témoin. De son allure ou de sa bêtise qu'elle saluait par des phrases prononcées suffisamment fort pour qu'il les entende : "Lamentable...")), Gilles MILLET, Libérurion, mercredi 14 août 1985, p. 8. 39

h des phénoinénes relevant de l'analyse iiécessaire pour expliqiier 3 fond les situations importantes , [comiiie à l'Est tiiic presse socialisie se rcliise aux 4 sptcuiations, au sensationnel, à l'anathème .

h

La nature conservatrice du régime, le type monolithique de transmission culturelle par les médias .ainsi que la forme de gestion inspirée du socialisme excluaient ou restreignaient de facto le genre du fait divers. On sait, en effet que ce dernier peut être utilisé par les médias afin d'accroître le nombre potentiel de téléspectateurs ou de lecteurs destinataires des messages publicitaires diffusés par ces mêmes médias4' ; en d'autres termes la fascination publique pour le fait divers peut servir d'amorce à des fins commerciales et publicitaires. Dans un contexte de rareté ou de pénurie clironique, de monopole cult~irel et économique, la publicité demeure une activité indigente, maladroite et marginale el l'acculturation du public prei~dd'autres foriiics, (la propagande par exemple), que l'appât par une information divertissante daiis Inqiiellc le fait divers peut occuper une place non iiCgligeable. Or, le fait divers n'a pas une simple fonction récréative et divertissante, étrangère à 'la gravité des questions socialcs ; il importe, en outre, de relativiser l'autonomie sémantique (et

l'insignifiance)

attribuées au fait divers par la

critique structuraliste, et de réviser l'attitude péjorative dont on l'entoure.

Révolution Africaine, no 285, Novembre 1965. Cité par Braliim BRAHIMI, « La doctrine de I'information en Algtrie », in COLLECTIF, Aspects de l'information au Maghreb, Alger, Centre Maghrébin d'Études et de Recherches Administratives, 1980, p. 79.

40.

. Maurice DUVERGER explique ainsi le lien entre : l'économie, la publicité et le caractère divertissant de l'information : « [...] la finalité principale de l'appareil coiistitiié par les joiiriiaux et les émetteurs de radio et de télkvision est de faire vendre le maximum de produits grâce A la publicitt, laquelle devient la source essentielle de leur financement [...] Cela oblige h toucher le maximum de lecteurs, d'auditeurs ou de spectateurs [...] I I faut donc écarter tout ce qui peut choquer ou diviser, et tout ce qui paraît ennuyeux ou difficile au premier abord. Le conformisme politique, social et religieux, la recherche du sensationnel et du pittoresque dans l'information, les jeux infantiles et faciles, [...], les beaux crimes et les belles filles sont ainsi devenus l'une des bases de I'acculturation permanente en Occident. n, Sociologie de Io polifiq~îe, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Thémis / Science politique », 1973, p. 155, (c'est nous qui soulignons.)

4'

Certes, à l'intérieur de ses strictes limites textuelles « il constitue un être immédiat, total, qui ne renvoie [.. .] à rien d'implicite42 », et dans une perspective exclusivement structuraliste encore, le fait divers correspond bien à une figure de rhétorique (le plus souvent, l'antithèse ou le paradoxe) ; cependant, restreindre cette catégorie d'événements à leur dimension purement contingente et à leur seule forme rhétorique, c'est les amputer de leurs significations sociale et historique. Dans un article paru en 1999, Dominique Kalifa rappelle opportunément, la prise de conscience des historiens quant à la nécessité de lever l'exclusion infligée au fait divers, qui le relégua longtemps (dans une excommunication partagée avec le roman policier) dans les « dessous honteux du journalisme et de la littérature". » II partage également le souci récent des historiens de prendre Icurs distances avec le credo de la critique structiiraliste qui le définit exclusivement comme « un invariant de nature trai~shistoricliic,sortc clc tlikinc "fixé" seulement capable de renvoyer à quelques interrogations de nature universelle et intemporelle44» au profit d'une perception nouvelle « le [...] considérant davantage comme une brèche ouverte sur le fourmillement du social, "la vie fragile" ou la "geste des obscurs" [ . . . I ~» ~ Une lecture assidue de la presse algérienne révèle la fréquence considérable

de certains types de crimes ; par exemple, on n'épuisera pas

l'explication des infanticides commis par les mères célibataires (ou par leur entourage) en négligeant des facteurs tels que : la structure problén~atiquede la famille tiraillée entre patriarcat et société conjugale sur le modèle occidental, l'absence d'éducation sexuelle, l'hypocrisie sociale à propos des sujets liés a la fécondation et à la sexualité, la méconnaissance en matière de contraception, la sujétion féminine et le poids d'archaïsmes et d'impostures morales de toutes

42.

Roland BARTHES, « Structure du fait divers », in Essais critiques, Paris, Éditions du Seuil,

1964, p. 189.

43 . Dominique KALIFA, « Usages du faux 1 Faits divers et romans criniinels au XIX' sit'cle P. in Annales/ Histoire, Sciences Sociales, Paris. Éditions des Hautes Études en Sciences Sociales, 54' annde, no 6, Novembre-DCcembre 1999, p. 1346. 44 . Id, p. 1346. 45 . Id., p. 1346.

sortes. Se contenter de noter que ce phénomène peut se ramener à la figiire du paradoxe (la mère dont le rôle est précisément de protéger l'enfant est celle qui lui donne la mort) c'est l'amputer de son ancrage culturel et de sa signification en matière de psychologie criminelle. Dans la même perspective, l'augmentation stupéfiante des cas de suicides dont la presse se fait l'écho doit être comprise en rtfdrence 21 la conjoncturc gdndrale du pays. Non seulement la nature du fait divers est révélatrice des soubassements d'une société, mais encore, comme la mode ou la chanson, elle marque une époque, rappelle une atmosphère, inspire des formes d'art (chanson, roman, etc.) et demeure indissociable des autres aspects de l'actualité : la génération contemporaine d'Henri

and ru^^

n'est pas celle de Marie Besnard, bien moins

encore celle de Guy Georges. A cet égard, Alphonse Boudard, un fin connaisseur des bas-fonds de Paris; note dans son savoureux récit autobiographique, Le cafë du pauvre, le lien symbolique d'une époque avec ses grands criminels : Ça marque une période les assassins célkbres autant que les militaires et les hommes politiques [...] comme le mobilier ou les fringues. J'appartiens, moi, B la génération du docteur petiot4'.

. L'affaire Henri Désiré Landru, (1 869- 1922) l'assassin de 283 femmes entre 19 14 et 192 1, par l'appât au mariage, est certainement, en partie liée aux effets sociaux de la première guerre mondiale : détresses féminines, augmentation du taux de veuvage, mobilisation de la police sur des tâches en rapport avec la situation de guerre. Landru, pris davantage par hasard qu'au terme d'une enquête laborieuse, fut guillotiné à l'aube du 25 février 1922, à Versailles. Cfi, Dktective, no 72, 09- 16 aoGt, p. 8. 47 . Alphonse BOUDARD, Le café du pauvre, Éditions de la Table Ronde, coll. « Le Livre de Poclie n, no 5996, 1983, p. 83. Les crimes du docteur Petiot, eux, s'inscrivent dans le contexte politique précis de la seconde guerre mondiale et de l'occupation allemande, (1940-1944) ; ce type de criminel ne pouvait prospérer ailleurs que dans le climat des persécutions antisémites orchestrées par l'administration française en collaboration avec le régime nazi. Henri AMOUROUX, mettant en relief le lien entre le contexte historique et l'affaire Petiot, résume ainsi l'affaire : « Spéculant sur le désir de fuite, non seulement des Juifs mais aussi de certains mauvais garçons parisiens, le docteur Petiot les attire dans son cabinet de la rue Le-Sueur. [...] des clients riches car Petiot, qui promet le passage pour l'Amérique du Sud, ne veut traiter qu'avec des gens fortunés [...] On sait comment. asphyxiés, puis découpks en morceaux et brfilés dans la chaudi6re (III ccntral. les honinies et les femmes qui avaient eu le tort de faire confiance au docteur Petiot achevaient leur voyugc dans la rue Le Sueur [...] Le "succ&s"de Petiot et l'impunité dont i l bdndficia loiigtcnips 6cl;iirrnt d'iin jour exact cette époque où l'on fait confiance B n'importe qui et oii la disparition cc Ic silericc d'un homme n'inquiktent aucun de ses proches. », La vie des Français sous I'occtrpution, Tome 1, 46

Remarque analogue de Pierre Daninos dans un essai consacré à la bêtise bourgeoise. À propos de la génération de ses aînés il ironise : « Il n'était pas jusqu'aux grands criminels de leur temps qui n'éveillassent chez eux une sorte d'admiration terrifiée. Il n'y avait plus de Landru. )> Et l'auteur d'ajouter malicieusement en bas de page : « Longtemps après, j'eus un petiot4*.» Que les pouvoirs, quelle que fût leur nature, aient usé du fait divers comme d'un leurre destiné à canaliser l'attention sur l'aspect spectaculaire, factice et frivole de l'actualité, au détriment de l'essentie~~~, ne modifie pas fondamentalement

la valeur

intrinsèque du fait divers comme indice

symptomatique de l'état profond d'une société. A cet égard, la plupart des historiens ct des théoriciciis du genre

conviennent que le roman policier, en tant que rameau du récit réaliste, puise une large part se sa substance à la rubrique des faits divers5". Selon Ics ternies de --

-

Les années grises, Paris, Éditions Arthtme Fayard, coll. « Le Livre de Poche n, no 3242, 1961, p. 13 1. (C'est nous qui soulignons.) A noter que le mode opératoire du docteur Petiot, (l'asphyxie puis la crémation) présente une analogie troublante avec les méthodes nazies visant A la (( soliition finale ». 48. Pierre DANINOS, Le jacassin, Éditions Hachette, 1962, p. 18. 49 . Ce sont essentiellement les marxistes qui ont mis en avant le caractère "aliénant" du fait divers. Dans le domaine du roman "mttapolicier" de tendance libertaire, on peut citer l'exemple du Voleur (1 897), de Georges DARIEN, (1 862-192 l), qui fait le procés de la société capitaliste. A propos du fait divers, on peut lire le morceau de bravoure suivant : (( Vous prenez au sérieux les jértmiades des personnes bien pensantes qui déplorent que les journaux publient les comptes rendus des crimes ? Mais ces personnes-là sont enchantées que les feuilles publiques racontent en détail les forfaits de toute nature et impriment au jour le jour des romans-feuilletons sanguinaires. Les journaux, amis du pouvoir, savent bien ce qu'ils font, allez ! Leurs comptes rendus ne donnent guére d'idées dangereuses, mais ils satisfont des instincts qui continuent A dormir, nourrissent de rêves des imaginations affamées d'actes. 11 ne faut pas oublier que les crimes de droit comniun, accomplis par des malfaiteurs isolés, sont des soupapes de sQret6 au mécontentement gCnCral ; et que le récit Cmouvant d'un beau crime apaise maintes coléres et tue dans I'cruf bien des actions que la Société redoute. D. Paris, (Jean-Jacques Pauvcrt, 1955), Christian Roiiigois cl Doiiiiiiiquc clc Rous, coll. 10 1 18. 11" 580 1 587 1588, p. 215. (C'est nous qui soulignons.) 'O. Cf., Franck EVRARD, Lire le roman policier, Paris, Dunod, 1996, p.77 et suiv. Cf:tgalement la thtse de doctorat d'Estelle MALESICI ; le lien etitrc Ic fait divcrs ct I'iiispii-atioii policitre est noté sans toutefois que soit relevée la minoration de la thématique criininelle et judiciaire dans la presse algérienne (et maghrébine en général) : (( S'inspirant de la criminalit6 urbaine, le genre policier a pu ainsi transformer le fait divers en fait littéraire, offrant à son texte une caution rtaliste tout en transposant la réalité à un univers totalement fictif, l'acte d'écriture supplantant le simple narratif, propre au reportage ou à l'article de presse par exemple. D, Le roman policier à 1 'épreuve des littératuresfrancophones des Antilles et du Maghreb : Enjeux critiques et esthétiques, Université Michel de Montaigne-Bordeallx I I I , (sous la dir. de Martine MATHIEU-JOB), décembre 2003, p. 60.

Franck Evrard « le fait divers joue le rôle de réserve d'exemples criminels, de fabuleuse mémoire historique du mal, dans laquelle le détective peut puiser"

D,

non seulement le détective, mais également son créateur. En fait, la rubrique des faits divers irrigue non seuletncnt la veine thématique du roman populaire, du drame de boulevard, du roman judiciaire puis policier, mais a d'abord stimulé l'inspiration des grands romanciers classiques du

XIXe siècle. Albert Thibaudet rappelle, à ce propos, le profit que que comme un personnage romanesque doté de densité tangible, comme Madame Bovary que, selon Albert Thibaudet,

((

tout homme rencontre plusieurs fois dans sa vie44.))

Relisons une séquence de l'instruction : Le juge s'est alors levé, comme s'il me signifiait que l'interrogatoire était termind. II m'a seulement demandé du même air un peu las si je regrettais mon acte. J'ai réfléchi et j'ai dit que, plutôt que du regret véritable, j'éprouvais un certain 45 ennui. J'ai eu l'impression qu'il ne me comprenait pas .

A partir de la définition encore virtuelle du genre du roman du crime, on serait fondé à estimer L 'étranger comme un roman policier dont certains éléments (énigme, enquête, opérations discursives de la pensée analytique) font défaut, l'éloignant ainsi de la catégorie policière dans sa stricte acception traditionnelle. On ne peut en effet l'inclure dans aucune de ces sous catégories policières : ni dans le

((

whodunit ? » dont l'intérêt porte sur l'identité du coupable, ni dans le

récit à structure inversée (inverted novel), ni dans le récit à suspense ; en dernière instance, la seule catégorie avec laquelle il présente quelque affinité serait celle du roman noir à caractère réaliste et social, associée à celle du roman du crime en raison de la densité sémantique de ce thème et des potentialités infinies d'interprétations sous le rapport sociologique. L'exploration psychanalytique s'avérerait séduisante, s'il ne s'y attachait un risque de fourvoiement, d'approximations, et de discrédit, liés à la complexité démesurée de ce champ d'investigation au regard de nos limites en la matière. Le dossier Meursault en lui-même, au fond, semble ne passionner que bien peu de monde, à commencer par l'institution policière :

((

La première fois au

commissariat, mon affaire semblait n'intéresser personne46. )) Comment, d'ailleurs, un cas aussi "limpide" - « un drame crapuleux de la plus basse espèce aggravé du fait qu'on avait affaire à un monstre moral4' H, selon 43

44

. Hiroshi MINO, « Le débat sur L'étranger au Japon », op. ci!., p. 157. . Albert THIBAUDET, Histoire de la littératurefvançaise de Chateaubriand à Valkry, (1936),

Paris Librairie Stock, Delamain et Boutelleau, coll. (( Marabout Université »,no MU 360, p. 339. . Albert CAMUS, L'étranger, 1942, Éditions Gallimard, coll. (( Le Livre de Poche D, no 406, 1957, p. 103. 46, Albert CAMUS, ibid., p. 93. 4s

les termes du ministère public

- pourrait-il susciter la curiosité, l'intérêt,

l'émoi

ou la compassion ? En effet, selon l'avocat de l'accusation, Meursault aurait « tué pour des raisons futiles et pour liquider une affaire de mœurs inqualifiable4'.

))

Meursault, « u n demi raté [?], intellectuel échoué dans un emploi d'insignifiant bureaucrated9», narre dans la preniii.rc partic du roi11;iii Ics joiii-s qui le mènent, par une suite de coïncidences malencontreuses, de la mort de sa mère au meurtre irrationnel d'un « Arabe » sur une plagc dlAlgcr. Pour l'accusation, les faits sont on ne peut plus limpides, il s'agit d' : ((

[. ..] un cœur dur qui n'aimait pas sa mère, un dévoyé qui fréquentait la pègre et

qui a tué un homme dans une affaire crapuleuse50.» L'intérêt médiatique de l'affaire s'amplifie, il est vrai, à la suite d'un nouveau concours de coïncidences malencontreuses (après celles de la compromission dans les frasques équivoqum du peu recommandable Raimond Sintès et de la fatalité du soleil !) : hasards de la vacuité du calendrier judiciaire estival, affaire du parricide programmée le lendemain de celle du meurtre de l'"Arabe", attitude non-conformiste dc Meursault au regard des normes éthiques conventionnelles et, enfin, impression plutôt défavorable de l'assistance. Au fond, L'Étranger, lu selon la stricte factualité de l'anecdote, ne serait, au mieux, que la sordide chronique, la triviale anecdote de rixes ethniques à motivations sexuelle et crapuleuse des faubourgs mal famés d'Alger, à peine dignes d'un entrefilet dans la presse, si, au-delà du réquisitoire de l'accusation du ministère public, ne se profilaient une pyramide sociale et les types humains d'une structure politique en voie de désagrégation. Le monde romanesque des petits ~ l a n c de s L 'Étranger est fortement ancré dans cette Alger de 1942, capitale d'un empire languissant, où survit une mosaïque de communautés méditerranéennes menacées à un triple plan : d'abord par la défaite de 1940 (syniptônie fiinestc Albert CAMUS, ibid., p. 14 1. Idem. Pierre-Henri SIMON, L'homme en procés (Malra~ur-Surtre-Cuntt~~-Suint-E.~~~p~~ry) (Edition originale, Neuchâtel, 1950, kditions de la Baconnière), Petite Bibliotlièque Payot, p. 98. La formule « demi rat6 » n'engage que l'auteur. 'O. Ibid., p. 99.

47. 48. 49

d'autres déroutes possibles) mais aussi, et surtout, pour le contexte algérien, par la maturation de la conscience nationale associée à l'essor démographique de la population autochtone qui tend par son poids humain a menacer l'équilibre colonial. L'absence des Algériens dans la constellation des personnages pourrait bien correspondre à une forme de satisfaction imaginaire, compensatoire d'un déséquilibre démographique et d'exigences politiques dont Camus, en raison dc sa collaboration à Alger Républicain, n'ignorait pas l'urgence.

L 'étranger figure le peuple des petits Blancs besogneux : Célestin, le cabaretier bonasse empêtré dans ses tautologies : « Pour moi. c'est un malheur. Un malheur, tout le monde sait ce que c'est. Ça vous laisse sans défense. Eh bien ! pour moi c'est un malheurS'.», Marie, la dactylo en mal de mariage, Raymond Sintès, le souteneur "à la redresse", le pitoyable Salamano, l'aimable ménage des Masson, le nostalgique concierge parisien de l'asile de, Marengo, ainsi que le sous-prolétariat, fondu, imperceptibles2, dans la langueur secrète d'une communauté attendant son heure, - les "Arabes" silencieux en bleu de chauffe, la prostituée "mauresque" invisible, battue, et muette, comme d'ailleurs l'infirmière arabe de l'hospice qui dissimule son visage marqué d'un chancre sous « un bandeau qui faisait le tour de la tête5'



-, bref l'atmosphère

d'un monde s'éteignant imperceptiblement (l'Algérie française des petits Blancs 5I

. Cf:L'étranger, op. cit., chap. III, 2' partie, p. 136.

. La critique a beaucoup reproché fi Albert Camus la place infime de "l'Arabe" dans ses récits. I I convient de rappeler la subordination politique du peuple algérien au cours de la 1"' partie du XXe sikcle ; ainsi, les romans de Camus seraient en quelque sorte conformes A la situation historique. D'autre part, l'absence, le manque, dans un roman peuvent être interprktés de façons diverses : rejet conscient ou non d'un thème pénible, homologie avec la réalité socio-historique : 1' "Arabe" est absent du roman comme il l'est de l'Histoire ; pourtant, une absence dans une fiction peut acqudrir davantage de prksence qu'un BlCment expressément mis en valeur, exemple : Le vendredi 26 août 1853, en pleine rddaction du modble du roman réaliste, Madame Bovary, Flaubert adresse à sa maîtresse une lettre contenant une phrase insolite. A propos de Don Quichotte, il écrit ceci : « Quelle pauvre création, par exemple, que Figaro à côté de Sancho ! Comme on se le figure, mangeant des oignons crus et talonnant le roussin, tout en causant avec son maître. Comme on voit ces routes d'Espagne, qui ne sont nulle part décrites. [Souligné par nous] Mais Figaro où e s t 4 ? A la comédie française. Littérature de société. D, Gustave FLAUBERT, lettre A Louise Collet, 26 août 1853, in Extraits de la Correspondance ou Préface à la vie d'Écrivain, Présentation et choix de Genevikve BOLLBME, Éditions du Seuil, 1963, p. 145. Éliminons les personnages arabes du roman, que reste-t-il ? Peu de chose. Les décrire, en faire même des héros, aurait-t-il confdré au roiiinti davaiiiagc tlc "rcspcci~ibiliiL'polititltic"? 52

tournés vers le port et la mer), et au-delà de cette galerie de gagne-petits, la magistrale image d'une capitale, relais des institutions et du pouvoir parisiens, dont le petit peuple algérois ne comprend plus la langue, celle d'une Alger officielle, disposée à se reconvertir selon les nécessités de la recomposition du capitalisme mondial. Nul texte plus que « L'été à Alger )) ne suggère ces sentiments d'exultation éphémère et d'angoisse morbide de la mort chez un peuple jovial et sombre, tourné vers la mer, dispensatrice d'un imminent salut, et tout absorbé à se Iii^iterde vivre sans espoir, dans la dilapidation de l'instant, comme si la prémonition l'avait saisi que le temps lui est compté54. Ainsi, Meursault est bien moins "étranger" en ce qu'il aurait commis un assassinat le séparant de la communauté des hommes - le meurtre d'un Arabe par un Européen, même en fin de période coloniale, requalifié en homicide involontaire ou en simple accident, se serait vraisemblablement soldé par une relaxe ou une sanction modérée

- ou

encore parce qu'il est "différent", mais

parce que Camus, ayant eu la prescience que la France officielle, (celle des affaires, de la politique, de la justice et des médias) ne parlant plus le langage des petits Blancs et les ayant déjà abandonnés à leur existence sordide (Cf: le chapitre

II sur le dimanche à Alger), devait représenter la mise à mort d'un innocent souhaitant pour son exécution au nom du Peuple Français, l'accueil de la foule « avec des cris de haine. ))

L'Étranger, est en premier lieil un ron~an "IittCrairc". poEiiqiic.

philosophique, psychologique et social ; pourtant un climat policier semble émaner des circonstances du meurtre, moins transparentes qu'il n'y paraît d'abord, puisque le ((journal » minutieux de Meursault qui a convaincu le lecteur de son absolue sincérité lorsque celui-ci a imputé son acte au destin, à l'action 53

. Albert CAMUS, L'étranger, (1942), kditions Gallimard, coll. « Le Livre de Poche N, no 406, p.

13.

. (( [...] II n'y a rien ici pour qui voudrait apprendre, s'dduquer ou devenir meilleur. Ce pays est sans leçons. II se contente de donner, mais à profusion. I I est tout entier livrd aux yeux et on le connaît dés l'instant où l'on en jouit. Ses plaisirs n'ont pas de remède, et ses joies restent sans espoir. Ce qu'il exige, ce sont des âmes clairvoyantes, c'est-à-dire sans consolation. », Albert CAMUS, « L'dtd A Alger », in Noces suivi de L'éfé, (1939), Paris, Galliniard, coll. « Folio », no 16, 1959, p. 33-34.

54

fatale du soleil, entre en contradiction, dans la deuxième partie, avec la version rationnelle, vraisemblable du ministère public. L'affaire paraît alors, d'ailleurs si transparente que l'instruction judiciaire tourne au catéchisme ; le juge (comme d'ailleurs l'aumônier de la prison, chap. V, deuxième partie) est en effet davantage intéressé par la contrition et la rédemption de l'accusé que par une claire intelligence des faits. Cependant, le lecteur, témoin du meurtre, ne peut suivre l'interprétation de l'avocat de l'accusation. Si, dans les strictes limites de la fiction, il n'y a eu ni préméditation, ni volonté manifeste de tuer, et si, par conséquent, l'acte peut être qualifié d'homicide involontaire, l'interprétation du meurtre de « l'Arabe » comme point d'orgue du roman a pu donner lieu à des explications psychanalytiques, (élimination sur le mode du phantasme de la population algérienne) ou politiques, (représentation par la fiction de la situation coloniale) relativement convaincantes.

L'Étranger n'est pas un roman policier pour au moins deux raisons : d'abord, du fait du poids de l'intention philosophique et morale de Camus. développée dans Le Mythe de Sisyphe ( 1 942), et, au plan du contenu romanesque, par la nature d'un homicide dont les auteurs furent le destin, le hasard, le déterminisme historique, quelque nom que l'on veuille donner à ces agents, et non la libre détermination du meurtrier. En réalité, il n'y a pas de "solution", de dernier mot, dans ce récit d'une complexité redoutable qu'est L 'Étranger : en effet, les séquences prises une à une marquent une extrême limpidité de la syntaxe, de la sémantique et de lu narralion. Pourtant, la lecture du roman achevée, un mystère demeure, métaphysique, celuilà : comment les noces de la mer et du soleil peuvent-elles, au paradis de l'universalisme méditerranéen, tourner au sang ? Question d'autant plus insoluble que Camus a selon les termes de Sartre (( soigneusement extirpé la causalitéss » de manière à rendre perceptible la notion d'absurde, essentielle pour la lecture de ce roman.

55.

Jean-Paul SARTRE, Situations 1, p. 12 1

L'unique clin d'œil ironique de ce roman à la fiction policière ou politique, évoque le cliché littéraire et cinématographique de la scène du (( troisième degré » au cours de laquelle le policier retranché dans la pénombre, oriente un halo de lampe vers l'accusé : [...] il avait sur son bureau une seule lampe qui éclairait le fauteuil où i l m'a fait asseoir pendant que lui-même restait dans l'ombre. J'avais ddjh lu une description semblable dans des livres et tout cela m'a paru un jeu 56 .

L'instruction est au regard de la détresse de Meursault, ce que le roman policier est à par rapport à la vie et au crime véritables : un simulacre insignifiant. Une question tout de même demeure, purement policière celle-là, et à laquelle nulle réponse persuasive n'a pu être trouvée. Relisons la désormais très célèbre scène du meurtre : Tout mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j'ai touchd le ventre poli de la crosse et c'est là, dans le bruit A la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux. Alors, j'ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et c'était quatre coups brefs que je frappais sur la 57 porte du malheur ,

Cette scène pose effectivement une question policière qui demeurera sans réponse et ti propos de laquelle le lecteur peut spéculer à loisir. La question, peutêtre futile, mais en matière de rapport de police il n'y a pas de détail insignifiant, est celle-ci : Pourquoi, pourquoi avez-vous tiré sur un corps à terre ? Là encore, je n'ai pas su répondre. Le juge a passé ses mains sur son front et a répété sa question d'une voix un peu altérée : (< Pourquoi ? II faut que vous me le disiez. Pourquoi ? Je me 58 taisais toujours .

Si manifestement, L 'Étranger excède la définition du roman policier, sa facture dépouillée, sa forme narrative, les thèmes du silence et de la mort de la Albert CAMUS, L'étranger, (Paris, Gallimard, 1942), coll. (( Le livre de poche )), no 406, p. 94, (c'est nous qui soulignons). ". Albert CAMUS, L'Étranger, op. cit., p. 90. 56.

mère, ont pu influencer quelques séquences du roman, 31, rue de 1 'Aigle de Abdelkader Djemaï. Nous pourrions également citer, de Jean Pélégri, Le Maboul dont l'action se situe pendant la guerre de libération et dont la notice en quatrième de couverture signale une bien lointaine affinité avec le genre policier :

Ce roman nous raconte l'histoire d'un meurtre commis par un maboul [...] histoire tragique - policiére d'une part, puisque le meurtrier, un ouvrier arabe d'une ferme s'interroge sur les motifs d'un acte auquel la fatalité l'a conduit 59 et qui se termine par une erreur de victime (mais est-ce vraiment une erreur ?). . .

Le Maboul est certes un roman du crime, cependant son classement dans la catégorie policière nous semble très largement usurpé, voire irrecevable, eu égard à l'absence des traits constitutifs du genre : dimension lierméiieutiqiic de

l'énigme, récit de l'enquête débouchant sur le récit rétrospectif du crime.. . Eh outre, l'inflation lexicale et la complexité sémantiques, la large part faite au courant de conscience, les notations annexes, périphériques par rapport à l'intrigue, la dimension morale de l'ouvrage, l'éloignent indiscutablement du type policier conventionnel. Ce simple inventaire illustratif n'a pas pour visée de couvrir l'ensemble de la production policière ou para policière française inspirée par la thématique algérienne mais d'en suggérer la variété tant factuelle qu'idéologique ; nous ne saurions la conclure sans évoquer les épisodes de l'organisation secrète (( La Main rouge6' n qui ont pu donner lieu à des aventures de guerre et d'espionnage assez médiocres.

. Albert CAMUS, L 'ktranger,

op. cil., P. 100. Jean PELEGRI, Le Maboul, Paris, Editions Gallimard, coll. NRF D, 1 963. (Quatrième de couverture anonyme). (C'est nous qui soulignons.) 60. (( La Main Rouge », nom d'une sociétd secrète regroupant des partisans de l'Algérie française ; selon Douglas PORCH (Histoire des services secrets fiançais, Albin Michel, 1997) et Frédéric LAURENT (L'orchestre noir, Paris, Éditions Stock) cette organisation structurée comme un service secret paraIlde n'aurait Cté en fait qu'une création des services spéciaux français dirigés par Constantin Melnik, sous le Gouvernement de M. Michel Debré. On attribue notamment A cette organisation des attentats contre des navires approvisionnant en armes le F.L.N.. des assassinats de sympathisants et de militants de la cause algérienne. Suite B de nombreux scandales internationaux (par exemple, l'assassinat du professeur Laperches, à Liège, le 25 mars 1960), (( La Main rouge » sera dissoute vers la fin 1960 par le S.D.E.C.E., et la plupart de ses membres se reconvertiront dans l'O.A.S..

58

59.

On ne saurait également omettre, parmi les classiques « Nouveaux Mystères de Paris )) de Léo Malet, Les eaux troubles de ~crvel"', évoquant des agissements liés aux hold-up et trafics d'armes du F.L.N. à Paris, mais d'où les personnages algériens sont étrangement absents. Il est navrant de devoir signaler, pour l'anecdote, que Léo Malet, (1 909- 1996)' le "père" (surréaliste) de Nestor Burrna, le plus original, le plus parisien, le plus libertaire, le plus anticonformiste des privés français, n'a jamais représenté les Algériens que comme des (( krouias, pas trop mal fringués, mais nostalgiques et désœuvrés comme ils le sont tous6* D, des ((

((

andouilles de krouias"

3»,

des « enfants de chamead4 D, ou encore comme

un bicot à l'allure torve, proposant à la sauvette, dans le creux de sa main

bistrée, des cibiches américaines [. . .] 6"»

C'est encore Nestor Burma affirmant

trks strieusement que (( lorsqu'on dit bicot, le rasif [rasoir] n'est pas loin.. ."

))

Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler que la publication des (( Aventures '.

de Nestor Burma, détective de choc )) s'étend de 1943 (120, rue de la Gare) à 1971 (Nestor Burma court la poupée), et coïncide justement avec la phase de décolonisation, ce qui restitue dans leur contexte socio-politique des notations qui pourraient n'apparaître que comme le reflet anodin de la gouaille et de l'argot parisiens67. 61

Léo MALET, Les eaux troubles de Javel, Paris, Robert Laffbnt, coll. (( Les nouveaux Mystères de Paris n, 1957. 62. Lé0 MALET, Casse-pipe à La Nation, Paris, Robert Laffont, coll. (( Les nouveaux Mystères de Paris D, 1957, p. 16. Curieuse rencontre, Léo Malet aurait-il emprunté ce trait de (( psychologie collective N des Algériens à Albert Camus, selon lequel ils (les Algériens, au sens de Français d'Algérie) nourriraient (( la plus singulière vocation pour l'ennui H ? in Noces, Paris, Éditions Gallimard, NRF, 1947, p. 55. . 63. Lé0 MALET, L'ours et la gulotfe, Paris, Robert Laffont, coll. (( Les nouveaux Mystères de Paris D, 1955, p. 24. 64. Idem. 65. Ldo MALET, M'as-tu vu en cadavre ?, Paris, Robert Laffont, coll. (( Les Nouveaux Mystères de Paris »,1955, p. 19. 66. Lto MALET, Les rats de Montsouris, Paris, Robert Laffont, coll. (( Les Nouveaux Mystères de Paris ». 1955, p. 70. 67 . La caricature des Algériens dans les romans de Léo Malet correspond à la représentation de cette communauté selon l'imaginaire populaire de droite tel que le décrit Jean-Paul ROUX : (( Chez nous, pendant leur séjour et plus encore s'ils restent, ils apportent une image de l'islam. C'est celle d'un islam fort misérable, sous-alimenté, miné par la tuberculose, en rupture de traditions et de foi, dépenaillé, sale, vivant dans des taudis, moralement douteux, accusé de vendre des photos pornographiques ou de crapuleusement assassiner. Tel du moins le voit-on de loin, du haut des trottoirs quand il creuse les chaussées avec les marteaux pneumatiques (travail que les Français ne veulent plus faire), à la sortie des cabarets quand on flâne devant les affiches

Toutefois, à la réserve de ces notations racistes (que l'autodidacte libertaire et surréaliste gratifie avec autant de libéralité aux personnages Juifs), notations peu nombreuses il est vrai compte tenu de la dimension de l'œuvre (plus d'une trentaine de romans pour les seules aventures de Nestor Burma), on devra reconnaître les indiscutables qualités des romans de Léo Malet : humour irrévérencieux, sens de la progression dramatique, art du dialogue, etc. On ne saurait désigner l'ensemble du roman policier français comme une catégorie romanesque globalement raciste, cependant une part de la production policière française (dont le volume reste à déterminer) diffuse une image affligeante de 1'

((

Arabe

))

; or, 1'

((

Arabe D, dans le contexte français, désigne

prioritairement le Maghrébin et particulièrement 1 ' ~ l ~ é r i e n ~ ~ .

11.2. Le guet-apens d'Alger de Pierre Nord Nous ne saurions conclure cette partie,

((

Fiction policière et imaginaire D,

sans Cvoquer le roman d'espionnage de Pierre Nord, Le guel-Apens d ~ ~ e rqui' ~ , narre les machinations des gaullistes, des pétainistes, des nazis, des Américains à sollicitantes et qu'il va gagner sa vie d'un vice qui est le nôtre. »,Jean-Paul ROUX, L 'islam en Occident / Europe / Afrique, Paris, Payot, (( Bibliothbque Historique D, 1959, p. 232. . Cf: le chapitre intitulé , in Ln Quinzaine Littéraire, no 362, le' / 15 janvier 1982 , p. 8. (C'est nous qui soulignons.) 93.

-

-

rapides tendent A estomper les différences nationales ou à les rendre mutuellen~ent plus familières, que des expériences algériennes purement individuelles se font jour dans le créneau du polar, que l'actualité algérienne est propice à l'essor de cette catégorie romanesque ; il est vrai également que nombre d'arguments mentionnés dans ce premier chapitre sont quelque peu datés, notamment les notations sur l'archaïsme de la criminalité. Par exemple, dans une étude parue en 1971, Jean Pinatel note l'apparition de formes modernes de criminalité en Algérie : « Les études les plus récentes de criminologie algérienne montrent que l'on trouve dans les villes l'essentiel de la délinquance professionnelle ou intellectuelle (escroqueries, recels, abus de confiance, crimes techniquement préparés)96. D Toutefois, nous maintenons l'essentiel de notre proposition sur le rapport conflictuel, antagonique, irréductible entre une conception métaphysique e t religieuse de la vie et une forme littéraire largement inspirée du déterminisme scientifique et de tous les attributs de la modernité En dépit de ces résistances d'ordre politique et culturel, c'est paradoxalement par une initiative dirigiste des éditions d'État que le roman policier, plus précisément d'espionnage va être introduit en Algérie. C'est cette première expérience locale d'acclimatement du roman d'espionnage qui fait l'objet de la suite de ce panorama du roman policier algérien.

Jean PINATEL, La société criminogène, Paris, Calmann-LCvy, 197 1, p. 27. Cette criminalité moderne s'oppose aux infractions les plus courantes relevCes au cours de la période coloniale : « Les mêmes délits se retrouvaient toujours dans toute l'Algérie (vol de bestiaux, coups de couteaux, &gorgement, usage des armes il feu, mutilations nasales et génitales, viols. », ibiu!, pp. 26-27.

96.

DE UXIÈMEPARTIE :LE ROMAN D ' ESPIONNAGE ET POLICIER À THÈSE

« Et il le roman policier ainéricninl se cl&veloppcctrvec rrnc belle cotut(incr. jusqu 'h engendrer des vocations qui, le plus souvent, aboirtii-ent air rorncrn d'esp~orinrtge [.. .] qui, de Jean Bruce et Paul Kenny jusqu 'à l'ignoble S.A.S., peut se targuer d'être Iq forme la plus réactionnaire des fictions populaires. »

Yves DI MANNO, «Roman policier et société D, in Europe, no 571-572, novembre-dkcembre 1976, p. 123.

((

Sans Éric An~bler,l'espionnage ne serait pas un genre littéraire. nmis un sale

métier. »

François FORESTIER, quatrieme de couverture, in Éric ~ m b l e rComplot , ri Genève, (1969), Paris Éditions Gallimard, 1988.

CHAPITRE I UNE CATÉGORIE COMPENSATOIRE : LE ROMAN D'ESPIONNAGE

Le 25 juillet 1970, proclamation en capitales dans le quotidien El Moudjahid : « Le roman policier algérien est né » ; un article élogieux d9Abderrezak Merad signale la publication par la s.N.E.D.~ de deux romans : Délivrez la Fidayia !et La vengeance passe p a r Ghaza, d'un auteur jusqu'alors inconnu, Youcef Khader, qui devait signer avant la fin de la même année, deux autres volumes aux titres tout aussi comminatoires : Pas de "Phantoms"pour TelAviv, et Halte au plan"terreur", suivis en 1972, par Les bourreaux meurent aussi et Quand les "Panthères" attaquent ..., six titres du même auteur constituant la

première série algérienne narrant les aventiires d'un même I~éros,l'agent M.S. 15: alias Mourad Saber. Or, cette annonce de l'avènement du roman policier algérien est approximative pour au moins trois raisons : d'abord parcc qu'elle saluc, comme le suggèrent les titres, la parution de romans d'espionnage, et non policiers dans la rigoureuse acception du terme3, approximative également, dans la mesure où la *

. Nous empruntons occasionnellement à Rédha BEL1 IADJOUDJA le tableau des abrÇviations des titres des romans d'espionnage de Youcef KHADER : D. L. F. : Délivrez la Fidayia !- L. V.P. P.G. : La vengeance passe par Ghaza - H.A. P. T. : Halte au plan "terreur"- P. D. P. P. T. : Pas de "Phantoms"pour Tel-Aviv - L. B. M. A. : Les howreaux niezrrenr aussi - Q.L.P.A. : Quand les "Panthères attaquent. Cf: Rédha BELHADJOUDJA, Traitement de la notion de suspense dans le roman policier algérien ou la naissance du polar en Algérie, thtse de magister sous la direction de Christiane CHAULET-ACHOUR, Université d'Alger, 1992, ouvrage dactylographié, côte 70 0 13, Biblioth6que Centrale de l'Université d'Alger. Les romans dlAbdelaziz LAMRANI sont notés : P.A.T.A. pour Pi&e Ù Tel-Aviv et D.C.A. pour "D'!contre-attaque. *. S.N.E.D, sigle de la Société Nationale d'Édition et de Diffusion créée par décret le 27 janvier 1966 et dissoute pour raisons économiques au mois d'avril 1983. Elle sera remplacée par quatre entreprises étatiques: l'Entreprise Nationale du Livre, (ENAL), l'Entreprise Nationale de Arts Graphiques, (ENAG), l'Office National des Messageries de Presse et I'OMice National des fournitures éducatives et culturelles. CCf:Gabriel VERALDI : (( Des ressemblances superficielles font que l'on associe constamment et machinalement ces deux genres. Mais les vrais spCcialistes ne s'y trompent pas. "Le roman d'espionnage a beau emprunter, i l'occasion, les procédés du roman policier, i l est d'une autre nature que ce dernier", concluent Boileau-Narcejac. Et Julian Symons : "On a déjà dit que la fiction criminelle est un hybride et que trop la diviser en catégories favorise la confusion plutôt que la clarté ; cependant, dans cette forme hybride, les histoires de détectives et de criminels I

signature "Youcef Khader" est un pseudonyme derrière lequel se dissimule un auteur qui n'est pas algérien (tout au moins selon la signification strictement juridique du terme), et enfin, peut-être approximative et contestnblc en cc sens qu'une expérience antérieure dans le même domaine aurait été tentée en 1967~, avec la parution du roman d'Abdelaziz Lamrani, Piège à Tel-Aviv, suivi en 1973 par D.contre-attaque. Une semaine après l'annonce de la naissance du genre policier, la presse évoquera à nouveau ces premières publications de Youcef Khader. En effet, en riposte a un réquisitoire5, paru dans El Moudjahid, d'une lectrice outrée par le caractère stéréotypé et antisémite de ces ouvrages, Youcef Khader, conformément

appartiennent h une différente lignée que les histoires d'espions et de thrillers." Cette lignée propre au roman d'espionnage, que l'on n'indique pas, est celle de la fiction guerritre. >), cité par Gabriel VERALDI, in Le roman d'espionnage, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que Saisje ? », no 2025, p. 20. Selon Julian Symons, le roman d'espionnage devrait donc être classé dans le genre du roman de guerre. Bien plusieurs historiens et critiques isolent soigneusement roman policier et roman d'espionnage, nous prenons le parti de les inclure dans une même étude pour au moins deux raisons : d'une part, la modicité du corpus algérien dans les deux genres, et d'autre part, le maintien de la tradition inverse qui consiste B les associer. ' . La datation probl6matiqiic dit roman. I'i>gc N nl-,lviv rCsiillc tlc I'iibscncc d'iii(lici~îioii éditoriale précise. A noter les divergences à propos de la date de parution de ce "premier" roman policier algbrien. Christiane CHAULET-ACHOUR dans son Dictionnoire de.^ oeuvres algériennes en languefrançaise, (Éditions de L'Harmattan, 1990, p. 281), Rédha BELHADJOUDJA dans sa thtse de magister, Traitement de la notion de suspense dans le roman policier crlg+ien ou L a naissance du polar en Algérie, (sous la dir. de Christiane CHAULET-ACHOUR, Université d'Alger, Institut des Langues Étrang&res, côte 70013, 1992, Bibliothèque centrale de l'université d'Alger), ainsi que Nora Alexandra KAZI-TAN1 dans son article, « Le roman policier en Algérie », (in Langues et Littératures, no 6, 1995, pp. 31-38), indiquent 1967 comme année de parution du roman de Abdelaziz LAMRANI, Piège à Tel-Aviv. I I semble raisonnable, au regard des arguments présentés par Beate BECHTER-BURSTCHER, d'opter pour 1980 comme année de publication. Pour les détails de l'argumentation, cf: la thbse de doctorat de Beate BECHTER-BURSTCHER, Entre affirmation et critique / Le clkveloppenieni hi roman policier algérien d'expression française, (sous la direction de Guy DUG AS et Robert JOUANNY, Université de Paris Sorbonne, Paris IV, mai 1998, pp. 26-3 1). Hadj Miliani, dans son article, c( Le roman policier algtrien », in Paysages littéraires algériens des années 90, L'Harmattan, 1999, propose également 1980 comme date de parution. De même Jean DÉJEUX, propose 1980 comme date de parution pour Pidge à Tel-Aviv, cf: Dictionnaire des auteurs maghrébins de languefrançaise, Paris, Karthala, 1984. L a question demeure cependant ambigu8 dans la mesure où l'absence d'information fiables des catalogues d e la SNED et du paratexte des romans ne permet pas d'ktablir une datation précise. (c'est nous qui soulignons.) . « Les grisailles d'une série noire D, Zohra SELLAMI, El Moudjahid, Samedi le' aoQt 1970. Cette intervention décapante retient approximativement les griefs suivants contre les romans de Youcef KHADER: stéréotypie des scénarios et des personnages, antisémitisme, érotisme de bazar, propagande hors de propos. Cf: reproduction de cette lettre en annexe.

à son droit de reponse, transmet à cet organe une mise au point laissant filtrer

quelques indices sur son identité véritable ; il révèle ainsi : Je vous signale [...] que je suis membre de la Société des Gens de Lettres de France. Eh oui, je suis Français. Youcef Khader n'est qu'un pseudonyme adopté pour la circonstance, destiné ii assurer ma sécurité. Le destin en votre personne, me contraint à passer outre à ce qui constituait ma plus sûre garantie de protection ; car i l est malsain dans notre monde d'a~dourd'hui d'oser dénoncer les visées criminelles des impérialo-sionistes 6.

Ce secret du pseudonyme, occasionné probablement davantage pour des motifs idéologiques et commerciaux que pour les raisons romanesques invoquées sur le ton de la rhétorique déclamatoire propre à l'époque, perdurera puisqu'en

1984, le même quotidien, annonçant la parution d'un album de bandes dessinées tiré de Halte au plan terreur, se gardera de rappeler la véritable identité de l'auteur7. Ces données extra littéraires, en dépit de leur inconsistance en tant ' qu'instruments d'analyse critique, rendent légitime l'interrogation sur la finalité du recrutement d'un auteur de romans d'espionnage français, relativement bien intégré dans le circuit hexagonal de la production littéraire de masse, et dont on n'a aucune raison sérieuse de penser (en dépit de ses bonnes intentions affirmées) qu'il se soit signalé en dérogeant a l'orientation générale du roman d'cspionnagc communément perçu comme la « forme la plus réactionnaire des fictions populaires8. D Sous le pseudonyme de Youcef Khader, se dissimule en fait le prolifique romancier français d'origine catalane, Roger Vilatimo (19 1 8- 1980), dit Vlatimo, alias Rog Lati, Tim Oger, alias Roger Vlim, Will Rogers, écrivain à l'imagination prodigue, à l'existence picaresque, marquée sur sa fin par l'infortune, et auteur d'une bonne centaine de roiilans d'cspionnagc (et « Les grisailles d'une serie noire, La critique art difficile ... n, Youcef KHADER, El Moudjahid, samedi 8 aoQt 1970, p. 9. M. A. (Anonyme), « Mourad Saber en b.d. D, El Moudjahid, 8 février 1984, p. 8. La notice annonce la publication par l'Entreprise Nationale du Livre d'un album de bandes dessinées narrant les aventures de S.M.15 signé Rafik RAMZl ; la suite paraîtra dans un second volume du même dessinateur, l'année suivante, aux mêmes éditions. '. Yves DI MANNO, « Roman policier et société », Europe, no 571-572, novembre-décembre 1976, p. 123. Nous aurons l'occasion, en fin de chapitre de vérifier l'hypothèse de l'écart, sous le 6.

'.

accessoirement érotiques ou pornographiques), publiés pour l'essentiel aux Editions de l'Arabesque et à celles du Fleuve ~ o i r ~ . Rendre intelligible la suspension de la défiance du pouvoir politique à l'endroit de cette forme marginalisée de la production littéraire qu'est le roman policier ou para policier, puis le recrutement d'un auteur français de romans d'espionnage et la publicité faite à ses ouvrages, nécessite un rappel sommaire des conditions générales de la production culturelle au cours de la première décennie de l'indépendance et notamment parmi ces conditions : l'organisation du marché du livre. 1. LA S.N.E.D. APPAREIL IDEOLOGIQUE D'ÉTAT

Décrétée le 27 janvier 19661°, sur ordonnance du Président du Conseil et Chef du Gouvernement, confiée à la gestion d'un ancien ministre de la fonction publique, M. Saïd Amrani, la Société Nationale d'Édition et de Diffusion, dont la création fut annoncée à la presse nationale par le Ministre de l'Information, apparaît bien dès l'abord, compte tenu du parrainage du régime et de la solennité accordée à l'événement, comme la volonté d'extension du champ d'intervention de l'appareil politique dans les secteurs des médias et de la production littéraire, ce qui ne demeure pas sans incidences sur la production littéraire et particulièrement sur l'objet de notre recherche, le roman policier. En effet, l'annonce officielle de la suppression du quasi monopole de l'Agence Hachette-Algérie, filiale des Messageries Hachette de Paris, au privilège rapport idtologique, de Roger VILATIMO, alias Youcef KHADER, dans les romans qu'il publia la fin de ce chapitre.) en France. (Cf: , Cf. In biogrnphie dc Roger VI1,ATIMO par Picrrc TtJRPIN, iii Rcviic Fhcrq~c~ iio 1 . 'O . Beate BECHTER-BURSTCHER indique, à tort, 1967, comme date de la création de la S.N.E.D.: (( C'est durant cette période où les dirigeants algériens s'efforcent de forger la politique et I'idtologie du jeune État que la Socittt nationale d'tdition et de diffusion (SNED) est crkte en 1967, et ce n'est certainement pas par hasard si les premiers romans policiers algériens sont publits par cet tditeur. D, Entre aflrmation et critique / Le développement du roman policier algérien d'expression française, thése de doctorat, sous la dir. de Guy DUGAS et Robert JOUANNY, UniversitC de Paris Sorbonne, Paris IV, mai 1998, pp. 43-44. Hormis, cette erreur de datation, notre analyse confirme le rapport établi entre l'idéologie officielle et le quasi monopole de la SNED en matikre d'édition.

exclusif de l'État algérien, est sans équivoque. Le 2'7 janvier 1966, le Ministre de l'Information annonce à la presse nationale convoquée pour la circonstance : Cette Société Nationale d'Édition ct de Diffusion se voit octroyer à titre exclusif les monopoles réglementaires suivants : monopole de diffusion commerciale, monopole d'importation de toutes publications, journaux, périodiques, revues, brochures, livres, monopole de diffusion sur l'ensemble du territoire, II monopole d'exportation de toutes publications, des livres produits en Algérie .

L'argumentaire officiel justifiant la cessation de l'activité du groupe Hachette-Algérie repose sur deux séries de charges à l'encontre de l'entreprise française ; la première met en avant des raisons à caractère économique et social, la seconde, plus substantielle ou tout au moins plus abondamment développée, des considérations politique et idéologique visant à la proscription d'un vaste pan de la production littéraire, conventionnellement désigné du terme de paralittérature, et dans lequel le roman policier figure en bonne place, aux côtés du photo-roman, du roman sentimental, érotique, pornographique, du roman d'espionnage, des illustrés, et de divers ouvrages à vocation "scientifique", jugés contraires aux options politique et aux fondements religieux du régime. Concrètement, qu'était-il imputé à faute au groupe Hachette qui motivât son éviction du marché algérien ? Cette décision est à replacer dans la série des nationalisations fondées sur l'ambition, selon les termes du discours de l'époque, de parachever la restauration de la souveraineté nationale. Dans cette optique, le pouvoir allégua notamment l'insuffisance d'investissement local de l'agence Hachette-Algérie, conséquence du rapatriement de ses bénéfices, malgré un substantiel chiffre d'affaires évalué à 36 millions de dinars pour l'année 1964, la classant

selon le ministre de

l'information, « en tête de toutes les agences Hachette dc France et de ~ ' é t r a n ~ e rD' ~ .

". DCclaration de M. Bachir BOUMAZA à la presse, El Moudjahid, vendredi 28 janvier .

1966, p.

3. 12. (( CrCation d'une société nationale d'édition et de diffusion n, El Moudjahid, vendrcdi 28 janvier 1966, p.3.

On lui fit également grief de ses prix, jugés prohibitifs au regard du niveau de vie des catégories populaires, et enfin, de ses infractions (avérées ou supposées) à la législation du travail qui occasionnèrent, dans les mois précbdant sa liquidation, des conflits syndicaux largement rapportés par la pressc. Indépendamment de la question des torts ou du bon droit de l'une ou l'autre partie, question étrangère à notre propos, il convient de noter l'intérêt accordé par le discours autorisé aux arguments d'ordre idéologique. Par discours autorisé, il faut entendre, outre les discours et déclarations officielles, la masse d'analyses, de commentaires et d'éditoriaux dans la mesure où « la presse algérienne indépendante ne dispose que d'un secteur gouvernemental. [que] l'agence

nationale A.P.s.'~, très bien montée, jouit du monopole de

l'information [et que] les journalistes [. . .] payés comme des fonctionnaires [. . .] sont tous recrutés dans le parti'4. )) Ainsi, ce statut d'allégeance autorise la perception du discours de cette institution sous tutelle comme un simple relais idéologique du pouvoir. Les considérations politiques semblent avoir pesé autant, sinon davantage, que les raisons économiques dans la décision de nationaliser le groupe Hachette. C'est ce qui ressort en tout cas des explications fournies au plus haut niveau et à travers lesquelles se profile une conception rigide de la culture comme patrimoine intangible, frappé de forclusion. Le ministre de l'information s'explique ainsi : Cette décision s'inscrit clans Ic caclrc cl'iiiic opiioii. cclic ti'uiic protection et d'une promotion économiqiie, mais aussi et surtout celle d'une promotion culturelle. En effet, A l'heure actuelle, en mati6re de culture, les vChicules premiers viennent de I'extCrieur. Cet envahissement de notre vie culturelle, qui a des répercussions sensibles sur la vie politique, est contraire A 1s toutes nos options .

l 3 . Ahmed BEN BELLA, Président de la RCpublique, précise ainsi le rôle de 1'A.P.S. : (( II est clair que cette agence ne peut être simplement un organisme de diffusion des faits, mais elle doit être surtout politique et iddologique, au service de la nation et de toutes les forces vives du pays ),, Interview accordCe B 1'A.P.S. sur le rôle de la Presse D, in Les discours du Président Ben Bella, Alger, RCpublique Algérienne DCmocratique et Populaire, annCe 1963, 1" trimestre, p. 4, 05 janvier 1963. (C'est nous qui soulignons). '4. Christiane SOURIAU-HOEBRECHTS, op. cil., p. 248. 15. ((Création d'une sociCtt nationale d'kdition et de diffusion D, El Moudjahid, vendredi 28 janvier 1966, p. 3. (C'est nous qui soulignons).

Et l'orateur de poursuivre : Sur le plan culturel, servant surtout de relais à une culture étrangère sans tenir compte de nos options fondamentales, Hachette a contrarie l'action dit 16 gouvernement .

La défiance marquée par le pouvoir à l'égard des rapports cultiirels avec l'étranger, particulièrement avec la France et l'Europe libérale, procède de sources diverses : indépendance récente, volonté de se démarquer de l'ancienne métropole, démonstration anticapitaliste, patronage de l'État sur le culte et suspicion à l'endroit de certaines productions "infra littéraires" estimées moralement suspectes, par exemple les séries bas de gamme des romans d'espionnage, telle la série S.A.S. de Gérard de villiersi7jugée particulièrement raciste et obscène. Pourtant, les pouvoirs publics ne se limitent pas seulement à décrypter cè type d'ouvrages et à en dénoncer les dangers à l'intention du public, mais établissent en outre une véritable censure tendant à marginaliser toute forme de production policière et para policière. C'est à lin liaut niveau dc la Iiiérarcliic qiic le roman policier est désigné dans sa globalité (entre autres catégories) comme reliquat odieux de la colonisation, justiciable à ce titre de la proscription. C'est ce que révèlent les propos tenus à la presse par le directeur général de la S.N.E.D. ; cet ancien ministre de la fonction publique justifiait ainsi la création de cette entreprise : Les publications introduites par les monopoles étrangers dans notre pays visaient en véritC à la stagnation, à l'appauvrissement intellectuel de notre peuple. I I suffit de voir les innombrables romans policiers, d'amour, de gangsters, les revues plus ou moins malsainesi8 qui étaient jetées en quantité industrielle sur notre marché19 !

Bachir BOUMAZA, (( Création d'une socikté nationale d'édition n, vendredi 28 janvier 1966, 3. . C/ en annexe les accusations portées contre Gérard de VlLlERS par Noureddine ABA ; FJ également la défense de Gérard de VILLIERS contre le reproche de racisme émis par la presse française de gauche. Au lecteur de juger. C'est nous qui soulignons. '? Déciaration de M. Saïd AMRANI, prCsident de la SNED,El Moudjahid, dimanche 30 et lundi 3 1 janvier 1966, p. 1. M.

'.

Si le vocable "censure"20, à connotation négative. est piidiquement

évité, il n'en constitue pas moins le terme approprié pour désigner les périphrases du discours autorisé : sélection c dans le domaine de l'importation [de] tous les ouvrages, publications et écrits 2' », « assainissement du marché noyé par une multitude de publications plus abrutissantes et plus avilissantes les unes que les autres 22 )), choix et contrôle (( des livres et publications diverscs mis en vcntc 23 D par la nouvelle société d'édition, etc. La presse va ainsi diffuser un discours excessif, acerbe, dogn~ütiquc, sentencieux où sont enveloppés dans la même exécution : les romans de Graham Greene comme ceux de James Hadley Chase, de Slaughter, de Ian Fleming, des héros tels que Zorro, Davy Crocket, Tintin, Tarzan, Maciste, Frankenstein, ~ r a c u l a ~ 'des , ouvrages sur l'occultisme, sur la Bible, les "romans à l'eau de rose", les romans noirs ; et toute cette production hétéroclite, désormais prohibée ou à peine tolérée, ira alimenter les circuits du commerce informel. Que cet

. La réalité de la censure, toujours niée, fut reconnue par les responsables politiques eux-mêmes après la rupture de 1988 ; M. Belaïd ABDESSELEM, membre du comité central du F.L.N., Ministre de l'industrie et de l'énergie entre 1965 et 1977, Chef du gouvernement après l'assassinat de Mohamed Boudiaf, du 8 juillet 1992 au 20 août 1993, confiera : (( I I y avait une certaine censure. On ne pouvait pas s'exprimer surtout lorsqu'ils [les écrivains politiquesj mettaient en cause la ligne politique nationale. A cette époque, il n'y avait pas de liberté et on ne donnait pas libre cours à l'expression. », in (( Y a-t-il une littérature politique ? Avis partagés n, /-lori-ons, lundi 18 décembre 1989, p. 5. La réalité de la censure à l'importation était voilée par les périphrases de la langue de bois (choix, sélection, assainissement, etc.) ; par exemple on pouvait lire dans un article anonyme publié deux années avant la dissolution de la S.N.E.D. : H Les importations de livres doivent se faire sur la base d'études sérieuses qui tiendront h la fois comptc tlcs bcsoiiis et (les ciitc\ics itl(.ologiqiirs et culturels. D, Révolution Africaine, 2 au 8 mai 1980, p. 4 1. (C'est nous qui soulignons.) 21. Saïd AMRANI, El Moudjahid, dimanche 30 et lundi 3 l janvier 1966, p. 3. 22. Anonyme, El Moudjahid, 30et 3 1 janvier 1966, p. 3. 23. Allocution de M. Bachir BOUMAZA, ministre de l'information, El Moudjahid, vendredi 28 janvier 1966. 24 . Quarante ans apres l'indépendance, la presse privée rendra hommage à certaines de ces séries moins nocives et aliénantes que le discours social de l'époque le prétendait et à la capacité de discernement du jeune lectorat algérien. Djamel-Eddine MERDACI s'exprime ainsi à propos de la phase antérieure à 1962 : (( Les yaouleds brimés et frustrés de l'accès aux espaces de loisirs qu'étaient alors les petits Algériens découvrirent avec émerveillement ces personnages qui allaient devenir pour eux des éléments fondateurs de leur culture iconographique qui mènerait les uns vers l'amour du cinéma et les autres vers la passion de l'écriture. En ces temps troubles l'administration coloniale, qui censurait férocement toute velléité d'expression artistique du peuple algérien, ne se doutait pas qu'elle fournissait aux petits Algériens les éléments fondateurs d'une prise de conscience révolutionnaire. n, in N La bande dessinée dans I'AlgCrie coloniale / Des héros et des ,vaottleds », El Watan, jeudi 2 1 décembre 2000, p. 12. ?O

interdit vise pour une part notable la fiction policiére est attesté dc façon significative par un éditorial en première page intitulé métaphoriquement

(
>

ajusté au climat populiste, socialiste et bigot nourri par le discours social de l'époque. Tous les interdits, (alimentaires, sexuels) propres à Mourad Saber sont bien sûr absents des romans destinés à la consommation française : à l'abnégation et au sacrifice pour des valeurs nationales et religieuses s'oppose le seul intérêt

financier, à l'austérité et aux restrictions l'agrément du luxe,

à la tartuferie

pudibonde la sensualité, à la tempérance le plaisir de la bonne chère et de l'alcool,

à la foi l'indifférence religieuse. Quand Mourad Saber est idéaliste, tiersmondiste, Arabe et musulmai~,continent, tempérant, loquace ct austérc, Llidier Ic "Tueur" est respectivement : intéressé, capitalistc, Européen et incrédule, sensuel, intempérant, discret et voluptueux. Demeure comme fond commun entre les agents français et algérien, l'invulnérabilité du héros. Comme Mourad Saber, Didier est efficace, rapide, ((

adroit, rusé, implacable )) (p. 51), bref

un individu hors mesures, invulnérable

à toute forme de sentiments. )) ("T1'comme tueur, p. 45)

Au plan stylistique, nous retrouvons dans les deux périodes (française et algérienne) les mêmes métaphores animalières pour désigner les personnages et notamment celles qui entrent dans le champ séniantiquc de la prédation : coiiin-i~ dans la série des Mourad Saber, la prunelle est N

évoque le serpent de la bible )) (p. 48),

nocturne )) (p. 60)' sa souplesse est celle d' [celle d'un] rapace nocturne

))

(( ((

((

reptilienne

H,

(p. 34), l'homme

l'ail glacé [est celui ci'] un rapace un félin )) (p. 90), (( l'acuité de vision

("TMcomme tuew, p. 91), etc.

Rapaces, félins et reptiles forment la plupart des métaphores, pour la plupart connotées positivement mais qui peuvent s'inverser négativement, notamment dans les comparaisons avec les reptiles selon le code d'un fond culturel partagé. Roger Vilatimo a donc apporté au roman policier algérien sa faculté avérée de construire des intrigues (récompensée tout de même par le prix Cicéron - Oscar de l'espionnage, en 1967), ainsi que les poncifs, le ii-ianicl-iéisme et la violence propres au genre d'une façon générale. Pour le reste, notamment les harangues arabo-islamiques, tiers-mondistes, socialistes et antisionistes, il n'eut qu'à puiser dans les éditoriaux, chroniques et déclarations officielles. Un troisième roman de Roger Vilatimo, pris au hasard, Le t e t ~ p sdes rapaces, loin de soutenir les thèses socialisantes, tiers-mondistes, antisionistes et religieuses des récits édités à Alger, marque un indiscutable parti pris pour l'occident. Patrick MacGillie du S.D.C.E. affronte à Malte au profit de l'OTAN et de l'Intelligence Service britannique, ie parti travailliste maltais, les

nationalistes du C.L.E.M. (Comité de Libération des États de la Méditerranée regroupant les indépendantistes corses, sardes, siciliens, baléares et maltais) appuyés par les services secrets nassériens. La représentation positive de l'islam de la période algéroise est relayée dans cet ouvrage par une image moins complaisante que dans la série des S. M. 15 : la bigoterie de l'Algérien Mourad Saber et ses nombreuses citations religieuses : (( Ce qui est écrit est écrit )) (Quand les 'iPanthèresUattuqzient, p. 78), ((

L'avenir n'appartient pas aux hommes mais à Dieu

))

(Délivrez la Fiduyiu !) p.

120, (( Ceux qui auront accompli des œuvres pies, nous les feront certes entrer parmi les saints. )) (Quand les "Panthères attaquent ",p. 79), sont relayées par une indifférence religieuse foncière. Pour Karim Zeimon, l'agent égyptien, les cinq prières rituelles n'étaient ((à ses yeux [qii'] une mascarade sans ol?jct qu'il reléguait dans l'oubli des gestes inutiles depuis qu'il ne vivait plus en terrè d'islam.

D

(Le temps des rapaces, p. 130)

Une nouvelle incursion dans d'autres secteurs de I'ceuvre prolifique de Roger Vilatimo achève de convaincre le lecteur de la dimension artificielle des convictions affichées dans la série anti-sioniste algérienne. Dans son ronian intitulé Lecomte... opération chantage (écrit par Roger Vilatimo, sous le non1 et sur un scénario de F.H. Ribes) on est en droit de tolérer la composition structurelle imposée par le canevas que développe Roger Vilatimo comme "nègre" de F.H. Ribes, mais certainement pas

les images, les métaphores et l'enveloppe

sémantique du scénario qui lui sont totalement imputables. Dans cet ouvrage, le racisme

affleure à chaque 'page : par exemple, un personnage arabe est

systématiquement désigné du vocable "l'ArabeM,spécimen racial que l'on peut reconnaître à partir d'un examen rapide : (( Ce n'étaient pas des Arabes ... .l'ai vu ça à leurs mains parce que, pour le reste ... Ils portaient des cagoules9s.)) De même, alors que Youcef Khader, alias Roger Vilatimo, avait souligné la pauvreté des États arabes par opposition à la prospérité israélienne et au rapport particulier que les Juifs seraient censés entretenir avec l'argent, dans Lecomte... . F. H. RIBES, Lecomte... opération chantage, Éditions Fleuve Noir, coll. l'ombre n, no 1326, p. 47.

95

((

Combat de

opération chantage, le lecteur est invité à compatir avec l'Occident industrialisé en butte ((au chantage des gays producteurs de pétrole qui ne cessent de faire grimper leurs tarifs en flèche. Ce qui met en péril les économies chancelantes des nations de l'occident. » (pp. 35-.36) Exit les envolées tiers-mondistes de Youcef Khader qui adopte ici une vision plus pragmatique des choses et juge « impensable que la puissance industrielle qu'étaient les États-unis soit menacée de récession par la faute des sautes d'humeur de quelques potentats enturbannés ou de militaires bouffis de prétention. » (p. 120) De même l'islamophilie affichée dans la série antisioniste s'eston~pepour une représentation moins exemplaire ; le mus~ilman (ou plutôt le militant islamiste) revêt une physionomie moins avenante que dans les romans algériens, par exemple : II s'appelait Pasty Hobson. II avait le goût morbide des Black Muslims pour la violence sous toutes ses formes, dbs lors qu'elle intervient au détriment de ceux qui ont la peau blanche. Le meurtre Ctait sa façon de s'affirmer, de prendre sa revanche sur le monde des Blancs qui n'ont pour les Noirs que mépris. Cette rigueur ne l'empêchait nullement d'éprouver une attirance physique pour les femmes à la peau laiteuse. II en avait viol6 quelques unes au hasard de rencontres, à Central Park et ailleurs. Elles ne l'avaient pas dénoncé pour la simple raison qu'il avait pris soin de les Cgorger. [...] 96

Ainsi, la comparaison des diverses productions de Roger Vilatimo montre bien que les thèses affichées dans les six romans algériens sont incontestablement l'exécution de consignes d'une commande ponctuelle. Les romans d'espionnage algdriens sont justiciables de cette proposition valide pour une large part de ce type de production littéraire : « [...] la fiction d'espionnage a d'abord été essentiellement utilisée pour agir sur l'opinion à des fins politico-militaires97.» Ce point de vue s'applique non seulement au roman d'espionnage algérien, mais également à son homologue israélien, car à en croire Gabriel Véraldi, « ce genre est un des instruments favoris de la propagande israélienne [...]"

96

"

R)

. F-H RIBES, Lecomte ... opération chantage, op. cil., p. 125. . Gabriel VERALDI, Le roman d'espionnage, Paris, Presses Universitaires de France, colt.

« Que sais-je ? n, no 2025, 1983, p. 90.

Si l'expérience du roman d'espionnage n'avait pas représenté le résultat d'une commande officielle, l'histoire de l'Algérie aurait pu fournir la La certitude à propos du sort réservé au criminel, les développements moralisateurs, l'abus d'effets de style dramatiques éloignent ce récit du roman policier. Ces propos valent également pour L 'e:npire des démons qui convoque la même absence de suspense, le cliché du complot français ourdi par Madeleine (la bien nommée), vamp nymphomane qui mène à sa perte son amant Hocine traître a son pays sous l'effet de la passion amoureuse. Parmi les auteurs de romans policiers ou métapoliciers algériens, peu d'entre eux n'avaient, autant que Saïd

. (( Saïd Smaïl / Sur les traces des pénuristes », entretien avec Saïd S M A ~ Lréalisé par Youcef MERAHI, Révolution Afuicaine, no 1315, 19 mai 1989, p. 58. . Éléments biographiques puisés dans, Kader F. « Mémoires [orturées, de Saïd Smaïl 1 Les chemins dérangeants », El Moudjahid, lundi 6 décembre 1993, p. 21. Voir égaleiiicnt, Acliour CHEURFI, Écrivains algériens / Didionnaire biographique, Alger, Casbah ~ditions,2003. . (< Saïd SmaTl / Sur les traces des pénuristes D, entretien avec Saïd SMAIL réalisé par Youcef MERAHI, Révolution Africaine, no 13 15, 19 mai 1989, p. 593 32

''

Smaïl, les atouts documentaires du roman noir, mais peu non plus n'ont davantage dilapidé leur habileté narrative et leur maîtrise du sujet par l'abus du pathos, des rapports manichéistes, du discours moralisateur et, également par la hâte dans la rédaction, hâte d'autant

plus sensible à la lecture que les malfaçons

typographiques de l'édition étatique abondent. On peut considérer Saïd Smaïl comme le dernier auteur de romans policiers dans lesquels les thèses prônées (sans considération de leur générosité) s'exhibent avec autant d'indiscrétion sur le mode de l'intrusion d'auteur. De ce point de vue, on peut même dire que Saïd Smaïl prolonge une phase révolue du roman à thése puisque, un peu avant lui, Salim AÏssa ct Rnbali Zcglioiida avaient déjà minoré le discours social au profit de l'intrigue, des caractères, d'un souci plus affirmé de qualité stylistique et de timide contestation de l'ordre établi. La décennie 1980- 1990 constitue ainsi une période charnière entre, d'une part, la phase initiale de production policière diffusant les thèses officielles en matière de politique étrangère (l'antisionisme avec Youcef Khader et Abdelaziz Lamrani), de légitimation politique (le "nationalisme révolutionnaire" avec Mohamed Benayat), ou de gestion (l'économie administrée avec Larbi Abahri, Zehira Houfani et Saïd Smaïl), le dépérissement d'un système, phase au cours de laquelle paraissent des romans de procédure policière, (Djamel Dib, Salim Aïssa, Rabah Zeghouda), qui « racontent très bien ce climat de déliquescence douce et d'arrivisme clinquant qui annonce le grand chambardement d'octobre 8g3'

H

et

d'autre part la grande phase qui commence en 1990 avec Le dingue uu bislotiri du Commissaire Llob. Les quelques anachronismes notés dans les publications : par exemple, la défense du secteur étatique en 1989 et 1990 par Saïd Smaïl, ou le choix, par Mohamed Benayat, du thème de la guerre de libération en 1991, peuvent être rapportés aux délais de l'édition publique. Pour l'essentiel la thématique policière correspond globalement aux tendances lourdes de la vie politique algérienne sans pour autant la refléter fidèlement, ni l'analyser sans complaisance.

'' . Hadj MILIANI, « Le roman policier algérien

D,

in Paysages 1it1éraire.s algkriens des années

90, sous la dir. de Charles Bonn et Farida Boualit, L'Harmattan, 1999, p. 107.

Globalement, les années 1988, apparaissent comme une phase charnière au cours de laquelle le roman policier accède à une sorte de maturité en ce qu'il cesse (pour certains) de représenter une commande ou un ouvrage de circonstance. Il continue naturellement à diffuser un point de vue sur le monde, des opinions politiques, mais avec une distanciation et une autonomie sans commune mesure avec les premiers romans de l'édition nationale. Le chapitre suivant a pour objet le roman de procédure policière représenté par : Djamel Dib, Salim Aïssa et Rabah Zougheda. Il convient de signaler que le recours à la désignation "roman de procédure policière" ne doit pas être entendu à la rigueur : s'il s'agit de romans narrant effectivement des enquêtes menées par des équipes de fonctionnaires de police. Toutefois, ces romans conservent la figure du héros et s'éloignent manifestement du fonctionnement réel de la police officielle, soit par des situations rocambolesques (Djamel Dib) soit par le pastiche

du roman noir (Rabah Zeghouda).

CHAPITRE III LE ROMAN DE PROCÉDUREPOLICIÈRE Les émeutes d'octobre 1988 annoncent une rupture décisive dans l'histoire algérienne récente', rupture globale qui affecte aussi, nécessairement, le "champ" littéraire. À l'exclusion de la "littérature de l'exil"

- soustraite à

la censure

locale, et bien moins encline à l'intériorisation des interdits - le soulèvement populaire entérina le discrédit de la production romanesque de l'édition étatisée, (et celui, simultané, de ses attributs les plus notoires : la "langue de bois" et les thèmes obligés dont elle était, pour partie, constituée), en révélant, par la violence du bouleversement, son imposture et son conformisme, le tout sur fond de divulgation brutale de la déliquescence générale. La majeure partie de la production antérieure se révéla ainsi anachronique, obsolète, factice, doctrinaire, voire franchement illisible, et justiciable d'une lecture bien moins complaisante que celle que dont les rituelles chroniques de presse la gratifiaient jusqu'alors. Les premiers désordres apaisés, lorsqii'il apparut que le choc avait été décisif au point de rendre le changement inéluctable, les écrivains eux-mêmes, prirent conscience du décalage de leurs écrits par rapport à l'actualité. Par exemple, Leïla Aslaoui convient par un tour euphémique, dans un ((

Avertissement de l'Auteur D, du déphasage relatif (en raison précisément des

"événements" d'octobre) de son ouvrage, Dame Justice / Réflexions au fil des jours2 : « Commencé en 1985, cet ouvrage fut achevé en juillet 1986. Sa parution

'

. La stagnation économique, le déséquilibre de la balance des échanges au profit des fournisseurs étrangers, le surendettement, la démographie galopante, la déperdition scolaire, le chômage massif, les inégalités criantes, les pénuries chroniques, la montée de l'islamisme international et son influence sur la socidté algdrienne affaiblie et réceptive, I'exh-ême parcimonie dans l'attribution des visas ti destination de l'Europe, le repli sur soi généré par cette "fermeture des frontières", les infructueuses campagnes sporadiques de moralisation contre la corruption croissante. aboutirent aux émeutes populaires d'octobre dkjà annoncées par les revendications économiques, démocratiques, linguistiques et culturelles populaires des années 80. Mouvement spontané ou, en partie, canalisé par des clans du pouvoir favorables au changement ? La question demeure réguliérement posée par la presse. . LeTla ASLAOUI, Dame Justice / Réflexion au Ji1 des jours, Alger, Entreprise Nationale du Livre, 1990. Ce témoignage sur la justice n'est pas étranger au récit policier ; on y trouve en effet, outre une mine de renseignements d'ordre juridique, la relation d'une monstrueuse affaire :

en 1990 seulement, peut faire que les événements d'octobre le dépassent quelque peu3 , H Au cours de cette époque perturbée, trois romanciers peuvent être classés (à plus ou moins juste titre) dans la catégorie du roman de procédure policière,

catdgorie qui se différencie du récit d'espionnage antérieur en ce que l'enquête n'est plus confiée à un héros invincible, mais résulte de la coopération d'agents de la police officielle, même si par ailleurs un élément dominant émerge de l'équipe. Dans la veine du ( (p. 117) La seconde séquence s'éloigne de la fiction cinématographique pour narrer une scène d'agression bien réelle, au cours de laquelle l'inspecteur Adel s'interpose comme défenseur des faibles : Alors qu'il parvenait à la rue Hamani, Adel s'immobilisa. À quelque cent mètres plus bas, une bande de gaillards cernaient en marchant une jeune femme qui, visiblement, ne savait comment se sortir de cet étau lubrique. Elle tenait par la main un gamin portant un ballon rouge. Elle essayait en vain de s'échapper. Les gars ricanaient, lui susurraient des choses dont elle rougissait. Les gens passaient indifférents. Soudain affolée, la fille se mit à pleurer. Le gosse terrorisé se sauva plus loin et observait la scène en pleurant doucement, sans lâcher son ballon rouge. Les gens passaient indifférents. Alors, la fille bondit dans la forêt de bras dont ils l'entouraient, pour se dégager. On lui pinça u n sein, on lui tapota une fesse, bref. ... Elle s'éloigna en hurlant de terreur. Les gens passaient indifférents. Les gars riaient. L'un d'entre eux portait nerveusement sa main à la braguette. (p. 183)

Le roman policier plus qu'aucun autre genre introduit une ambiguïté dans la représentation du réel dans la mesure où l'interprétation du lecteur balance constamment entre les indices à stricte valeur fonctionnelle et les expansions libres apparemment immotivées. Les séquences citées n'ont pas de lien essentiel, nécessaire avec la logique du scénario : elles constituent de simples développements dont il est possible de rendre intelligible l'origine en la rapportant soit à un souci documentaire de témoignage (production d'un effet de réel) et d'ancra~edans une réalité sociohistorique donnée, soit à une visée édifiante, dans la mesure où il incombe à

l'enquêteur de réparer les désordres enregistrés. Ce dernier point fait l'objet de la partie suivante.

II. 2. Reliquats du discours social des romans policiers de la phase précédente

- A. L'empreinte du roman populaire

Autant l'investigation

demeure globalement dans les limites du

"vraisemblable" et autorise une vision réaliste d'Alger dans les années 80, autant au plan de la construction narrative. le scénario recourt aux artifices du roman populaire par les procédés et motifs suivants : - Les thèmes de la fausse mort et de la résurrection :

À l'épilogue, est révélée la petite enfance de l'assassin, Boudri Ahmed en réalité, nous ignorons son premier et véritable prénom car Ahmed est celui de d-

s8n jumeau. Tenu pour mort lors d'une vague de famine, et même ( de « ces lieux chargés d'histoire », (p. 221). Cette intervention prodigieuse vient à point dénouer une situation elle-même invraisemblable.

- Le détective redresseur de torts :

L'inspecteur Adel est non seulement fonctionnaire de police mais également justicier dans la mesure où de son propre chef, sans mandat d e sa hiérarchie, il répare les abus et les exactions, (cJ: chapitre premier et la séquence de l'agression citée ci-dessus).

- B. La "police story"

Outre les procédés conventionnels mentionnés, la faiblesse du canevas tient* si on la rapporte aux prescriptions du roman de procédure policière. au caractère totalement immotivé de l'enquête, au moins jusqu'à la moitié du roman environ où quelques indices infimes suggèrent à peine l'éventualité d'un meurtre déguisé. En effet. Adel s'emmêle enfreint l'une des règles du sous-genre de la "nol

--

s m r 4 w l stoi-) " qui iiiipliq~l.

LIIK

d a L i,*:,on ~ n i n ~ i a ~et L,JL

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évocation constante du travail policier quotidien et une importance déterminante

accordée à celui-ci dans la solution de l'affaire6'.

))

Dans cette perspective réaliste,

une telle affaire aurait été classée. D'ailleurs, le narrateur est lui-même conscient de la faiblesse de son scénario fondé sur la seule intuition du policier : « Rien de précis quant aux faits, et rien du tout, quant aux mobiles. » (p. 108) Selon toute vraisemblance, l'enquête sur la mort d'une « fille dépressive [aux] antécédents suicidaires, [qui] depuis plusieurs mois ne voit plus personne et vit en recluse, [qui] rentre seule vers 20 heures, s'enferme à double tour et met fin à ses jours [et qui] en plus [...] laisse un message. » (p. 82), une telle enquête se serait conclue par un verdict de suicide. Le seul fondement de l'investigation réside alors dans « une impression de mise en scène » (p. 108), et sur des « impressions fugaces [et] la nette sensation que quelque chose n'allait pas )) (p. 82) Naturellement, si Adel s'emmêle n'est pas véritablement un récit de procédure policière, ce roman satisfait néanmoins à l'exigence du sous-genre de la "police story" qui est une « forme de roman policier où la police tient [...] la \.edette 6' », par opposition à certains romans noirs ou d'énigme dans lesquels la police est disqualifiée ; par exemple, le premier chapitre pourrait être, sans dommage. intégralement supprimé dans la mesure où il n'a nulle valeur fonctionnelle, hormis celle de diffuser une image positive de la police, laquelle, selon l'inspecteur Adel, est davantage qu'

((

un appareil coercitif d'État. au service

d'un pouvoir politique donné ».(p. 13). La description des « états d'âme de ces flics en chair et en os D, (p. 13), le rôle chevaleresque de la police illustré par le châtiment du bureaucrate arrogant (chapitre premier), par celle des tourmenteurs de la jeune femme (cJ supra) ainsi que celui du "dragueur" importun (p. 200-201) classe bien Adel s'emmêle. . dans

le sous genre romanesque de la "police story". c'est-à-dire d'une catégorie tout à la gloire de l'institution policière.

Jean BOURDIER, op. cit., p. 267. BOURDIER. Histoire hr r o m u n policier, Éditions d e Failois, 1996, p. 265.

"'

.

"'

. Jean

II. 3. Ambiguïté idéologique Le choix d'un assassin détenteur d'« une attestation de moudjahid » (p. 21 7), « connu dans la région pour ses exploits contre l'armée coloniale, qui avait d'ailleurs pratiquement décimé sa famille par représailles » (pp. 67-68), bref le choix d'un notable, objet de la considération générale en raison de son passé militant, pouvait laisser croire à l'apparition dans le roman policier algérienne de la notion désignée par Jacques Dubois de l'expression « écart déontologique D, laquelle crée « un effet de scandale à chaque fois qu'elle placera en position de culpabilité un personnage, censé avoir en raison de son statut institutionnel ou social, un comportement au-dessus de tout soupçon62.)) Salim Aïssa aurait pu concevoir un imposteur algérien doté d'une personnalité complexe, définie par une apparence sociale honorable. un passé apparemment glorieux, mais masquant un fond secret, clandestin et criminel. Cette formule aurait pu correspondre, au plan de la fiction, à la contestation de la légitimation du pouvoir au nom de la guerre de libération, et refléter les scandales récurrents signalés par la presse à propos des falsifications de preuves de participation à la guerre63 . Toutefois, comme ce type d'écart déontologique (l'ancien moudjahid taupe des services français) aurait certainement été perçu comme littérairement incorrect et que, par ailleurs, le personnage du coupable devait nécessairement associer une apparence d'innocence et une réelle culpabilité, Salim Aïssa préféra opter pour le choix facile et éculé du double. En effet, la figure du double est avantageuse en ce qu'elle ne bouleverse aucun certitude et surtout pas celle de l'héroïsme : d'un côté. le valeureux Ahmed Boudri demeure un pur liéros de l'A.L.N. tombé au champ d'honneur, quant à son jumeau, Serge Derroc, il ne correspond pas à la figure du traître dans la mesure où, élevé dans une famille 62

. Jacques DUBOIS. Le romntî policier. oz, In rnodwniti. Paris, Nathan. cci'l. + 1 e teste à I'awvre », 1997. p. 1 10. 6?. . La presse témoigne des dénonciations récurrentes contre les faux anciens combattants désignés par l e c x détracteurs de cc moudjûhidine Taïwan » ; exemple ricent, un article d u quotidien El Wurat? intitulé « O N M 1 ILes rnoudjahidine contraints à se justifier », Djamel BENACHOUR, El Wutan, no 4235. lundi 25 octobre 2004, p. I 1.

française, il est demeuré, au contraire, fidèle à ses convictions initiales. Serge Derroc ne peut incarner le rôle du traître puisque son algérianité est simplement d'ordre

((

biologique », si l'expression est permise. Il est en quelque sorte une

"taupe française" des services spéciaux français, qui prolonge une guerre terminée au travers d'intrigues clandestines. C'est donc pour maintenir la nécessité de la dualité éthique du coupable et éviter le piège de l'écart déontologique (l'ancien maquisard en réalité traître) et reconduire le thème de la rancune et de la conjuration françaises, que Salim Aïssa optera pour l'artifice des frères jumeaux, artifice condamné par toutes les chartes du roman policier. D'un autre côté, l'inspecteur Adel est tout autant policier qu'héritier des "bandits d'honneur1' qui donnèrent

c
, il reste que les romans des années quatre-vingt, tous titres confondus, ont relégué dans les limbes du non-dit les moments forts de l'Histoire algérienne : traduction devant des tribunaux d'exception des responsables des manifestations (samedi 8, dimanche 9 et lundi 10 novembre 1986) interpellés a ~ o n s t a n t i n e les ~ ~ ,procès de 22 benbellistes en juin 1987, accusés d'atteinte à la sûreté et à l'autorité de l ' ~ t a t ~des ~ , 200 intégristes au tribunal de Médéa en juin et juillet de la même année75, l'accroissement du poids de l'élément religieux dans les fondements de l ' ~ t a t ' ~le, renforcement des disciplines religieuses dans l'enseignement17, etc. C'est au roman noir de la décennie suivante, affranchi des contraintes éditoriales et contemporain du chaos politique qu'il appartiendra de témoigner de cette époque troublée.

77 . Laurence TREAT, Préface à COLLECTIF, Polar mode d'emploi: Manuel d'écriture criminelle, (1956), Amiens, Encrage, 1997, p. 1 1 . 7; . A.F.P., « Algérie / Les manifestants arrêtés A Constantine seront jugés par des tribunaux d'exception D. jeudi 13 novembre 1986, p. 3 74 . Frédéric FRITSCHER. (< Ouverture du procès des vingt-deux "benbellistes" P. Le .Monde, no 13 172, 5 juin 1987, p. O ". Id. 76. Frédéric FRITSCHER. u La nouvei!e Clirii.?t. nationale se réciaine davantage de l'islam niais rejette "estrémisme" et "formalisme" >). L g -.b~ciiiclc. jeudi 9 janvier 1986, p. 5. 77 . Id.

CHAPITRE IV DU ROMAN DE GUERRE AU ROMAN NOIR 1. THÉMATIQUE ÉPIQUE ET ÉCRITURE POLICIÈRE CHEZ M O H A M M E D

MOULESSHOUL

Au témoignage de l'auteur, sa passion de la fiction romanesque conjuguée à une incoercible aspiration à la création littéraire s'annonce précoce', fervente et

impétueuse, paradoxalement contrariée et stimulée par une triple contrainte d'abord, l'autocensure imposée par la discipline et l'obligation de réserve à laquelle tout militaire (fût-il simple

((

cadet de la ICévolution

corvées et devoirs contraignants de la réclusion dans

((

D) est

astreint, les

une gigantesque forteresse

aux murailles surélevées tapissées de lierre2 N et enfin, la censure3 exercée par la hiérarchie militaire ou l'indifférence des rédactions des publications auxquels l'enfant adresse ses premiers textes. Mohammed Moulessehoul concède que ses manuscrits étaient régulièrement refiisés en raison de

c
)

17

Hadj MILIANI, « Le roman policier algérien », in Paysages littéraires algériens des années quatre-vingt dix, sous la dir. de Charles BONN IE . Bouziane BENACHOUR. « Yasinina Khadra décline son identité », El Watan, vendredi 12 samedi 13 janvier 2001. La formule est certainement empruntée a Benjamin STORA , « Deuxième ;üerre d'Algérie ? )), Paris. Les Tenrps Modernes, no 580, janvier-février 1995. (C'est nous qui soulignons). 19 . Yasmina K H A D R A . Moi.i(~tui.(Baleine, 1997). Galliiiiard, coli. ), Propos recueillis par Jean-Paul MOREL, in Le Matin des Livrer, mardi 2 avril 1985, p. 27.

+

Américains, et un débutant, s'il voulait percer, n'avait d'autre ressource que de se placer sous la protection d'un pseudonyme américain.* » Pour ne citer que ceux-là : Jean Meckert devient ainsi John ~ r n i l a et ~, Boris Vian - aux Éditions du Scorpion -, Vernon ~ullivan." En revanche, l'esprit de la collection, reflétant l'essence du roman noir de l'école "hard boiled", (école des "durs à cuire") est, lui, particulièrement préjudiciable à la promotion de I'écriture policière proprement féminine. En effet, l'ensemble des propriétés du roman noir jure avec l'image sociale, la condition et la psychologie féminines, telles que la production idéologique des institutions et l'opinion publique les avaient modelées dans l'esprit public français au cours de la première moitié du

XXe siècle. En effet, le roman noir (et la

((

Série Noire D)se définissent globalement

par les traits suivants, davantage assortis au style de vie et à I'esprit public américains plutôt qu'à la gravité de la vénérable Europe ruinée par deux guerres mondiales : rejet de la prépondérance quelque peu surannée du code herméneutique, ainsi que de l'univers aseptisé, provincial, prude, bourgeois, hypocrite et guindé des énigmes genre "cottage, arsenic et vieilles dentelles" du roman post victorien, catégorie dans laquelle nombre de femmes s'étaient

*

. Pierre BOILEAU et Thomas NARCEJAC, Tandem ou 35 ans de suspense, Paris, Éditions Denoël, p. 6 1. . Jean AMILA, (1910-1995), pseudonyme de Jean MECKERT, auteur d'une vingtaine de (( Séries Noires )) dont la thématique exprime la révolte sociale. On retiendra de lui (parmi une ceuvre copieuse), La vierge et le taureau, (PdlC, 1971) qui lui vaudra une tentative d'assassinat, le coma et l'amnésie pour ses positions sur la décolonisation et les armes de destruction massive, et une autobiographie transposée, Le Boucher des Hurlus, (K Série Noire, no 1881 B), parue en 1982 ; pour plus de détails, voir le dictionnaire de Claude MESPLÉDE et Jean-Jacques SCHLERET, Voyage au bout de la Noire, op. cit. 'O . Vernon SULLIVAN, de son vrai nom Boris VIAN, (1920-1959), publie aux Éditions du Scorpion, (( en 1947 un roman de pure provocation intitulé J'irai cracher sur vos tombes, qui passa à l'époque pour quasi pornographique, déchaîna des poursuites judiciaires - et rapporta une assez jolie somme. Vian lui donna quelques suites de la même veine - Les morts ont tous la même peau, Et on tuera tous les affrew, etc. - mais avec un moindre succès. n, Jean BOURDIER, Histoire du roman policier, op. cit., p. 220. Pour davantage de détails, on pourra se reporter à la biographie très documentée de Boris VIAN par Noël ARNAUD. L'expérience de l'écriture policière de Boris Vian correspondait une opération commerciale inspirée par son éditeur Jean d'Halluin mais aussi et surtout > traditionnels du récit policier (victime, coupable, enquêteur, suspect)9 sur l'ouvrage de Azouz Begag. - L'enquêteur / le coupable / la victime :

La case de l'enquêteur demeure vacante : non seulement, le policier censé l'occuper n'enquête pas mais, s'il n'est pas le coupable de tous les crimes 8

. Yves REUTER, Le roman policier, Paris, Editions Nathan, coll. Nathan Université Lettres )), no 128, 1997, p. 56. 9 . Cf. Jacques DUBOIS, Le roman policier ou la modernité, Paris, Éditions Nathan, coll. « Le texte à l'œuvre », 1992, pp. 91-97.

perpétrés au fil des pages, il en partage la responsabilité avec toute sa corporation. L'absence et l'impossibilité absolues d'investigation dérivent de la nature de l'institution policière, en principe censée assurer la protection des personnes et des biens ainsi que le maintien de l'ordre, mais dénoncée par le narrateur comme globalement corrompue et criminelle. La fiction donne à voir une police qui non seulement néglige sa mission de prévention et de répression des délits, mais en outre tue, protège la corruption, bref adopte des mœurs et un comportement foncièrement criminels. Le roman se lit comme un réquisitoire contre les "services spéciaux" de la police et de l'armée : des corporations dont les officiers supérieurs seraient au service d'intérêts occultes et leurs subordonnés sommés d'accomplir le "sale boulot" sous peine d'être assassinés. Les crimes attribués aux forces de sécurité ponctuent la trame romanesque : une jeune sentinelle de faction devant un hôtel est abattue par des militaires et le narrateur témoin d'imaginer la version officielle : ), (p. 14)' c'est un « ogre N (p. 12)' un porc (p. 14), « un gros porc H (p. 35)' etc. La police se scinde en deux entités complémentaires : d'une part, les supérieurs hiérarchiques au service des « familles éminentes du pouvoir » posées

« comme des moustiques sur les veines d'importation de marchandises étrangères

depuis les premiers jours de l'Indépendance » (p. 24), et au service « des colonels qui ont ruiné le pays » (p. 95). D'autre part, les simples policiers : des « rats D, (p. 18), « des pions sur un champ de mines » (p. 21), des « vers de terre » p. 34, « payés pour mourir » (p.

3 3 , dont la peau vaut c< zéro plus zéro » (pp. 94, 121)' etc. Ainsi, du fait de l'absence d'enquête Le passeport n'entre ni dans la catégorie du roman d'énigme, ni dans celle du roman noir, et représente l'unique "roman de la victime" de notre corpus. En effet, le narrateur ne s'attache ni à la résolution intellectuelle d'une énigme, ni à la traque des méchants, mais a pour seule obsession d'échapper aux menaces qui le guettent. Le deus ex machina du faux passeport remis par une prostituée généreuse clôt le récit en mettant un terme à la "cavale" du héros. On observe donc que l'institution policière accumule les trois rôles suivants : - le rôle de l'enquêteur qui devrait fonder, en théorie, sa raison d'être,

mais qui se limite en fait à de simples patrouilles de surveillance au point que G

l'on faisait la queue dans les cimetières pour enterrer les morts et, [que] pendant

le temps d'attente, le peuple en colère exigeait des explications du Central. » (p.

89) -

celui du coupable car l'institution est accusée d'être au service des

« colonels » et non de la collectivité, - et enfin celui de la victime car les éléments suspects de différence (tel

Zouzou, le narrateur poète), de déviation, de rébellion ou de désertion sont inexorablement supprimés par leur propre hiérarchie.

-

Le suspect.

Reste la case du / des suspect(s) : elle est occupée par la représentation lointaine et oblique des terroristes islamistes jamais désignés comme tels dans le roman, ni d'ailleurs montrés ou dépeints. Constamment à l'arrière-plan, le lecteur ne perçoit leur présence qu'à travers leurs discours sur les fréquences radio de la

police (dont ils percent à jour ou reçoivent complaisamment les codes) ou à travers le discours rapporté du narrateur : (( Des villages entiers étaient laissés en proie , la nuit, à des hordes de bêtes [...] )) (p. 89). L'artifice de cette représentation transparaît dans l'ambiguïté de l'attitude du narrateur : paradoxalement, celui-ci soupçonne les terroristes d'être une création de l'État qu'il sert lui-même en tant que policier, mais se laisse en même temps « envoûter )) (p. 33) dans la bataille psychologique

que

mènent

les

islamistes par

leurs

« dons

musicaux

insoupçomés )) de récitants du Coran (p. 33) et en vient même à juger fondée leur propagande à propos des malversations des militaires : - Rien ne sert de courir, il faut partir à point ... votre combat est vain. Vous servez les intérêts des colonels qui ont ruiné le pays. Vous n'êtes pas aveugles. Vous voyez bien ... Allez faire un tour au port. Vous verrez la corruption. Les containers qui parlent ... et vous, vous allez attendre les voleurs à I'aéropo rt... Vous êtes des victimes... Dans la Toyota, nous étions paralysés. Ils savaient tout. Pire, ils visaient affreusement juste. Coulés a chaque salve. (p. 95)

Roman d'aventures en raison de sa structure en concaténation d'épisodes successifs, roman de la victime en raison de « la question [qui] est ici de savoir si la victime - qui peut être coupable en même temps train de se fermer sur elle

))'O,

- va

échapper au piège en

Le passeport peut aussi se lire comme le roman du

loser du perdant. III. LE ROMAN DU PERDANT

Zoubir El Mouss alias Zouzou semble un personnage bien peu crédible : né approximativement en 1953 (âgé de quarante ans en 1993") à (( Rillieux-la-Pape, 69, Rhône, Gaule )) (p. 149)' il a tout perdu. A commencer par la France son pays

. André VANONCINI, Le roman policier, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je ? », no 1633, 1993, p. 93. II . Pour l'âge du narrateur : (( - Elle est belle la petite, hein ? Attention. Elle est trop jeune pour toi. Tu vas l'effeuiller avec tes quarante ans. )) (p. 40) La datation de l'action est déduite de la mention de l'attentat de l'aéroport d'Alger en 1993 : « II y a quelques mois, un attentat à l'aveuglette avait réduit en miettes et en pâtés de viande des dizaines de vies humaines. H (p. 92) 10

(
,

meilleur spécimen [d'ouvrage paralittéraire] est celui dont on n'a rien à dire23

puisque sa facture est censée s'ajuster très précisément aux conventions du genre. Ainsi, selon ce système, toute création contrevenant aux principes du genre, se voit, de facto, assignée dans l'indécise variété du roman "littéraire". Néanmoins, il nous semble tout à fait contestable que le degré idéal d'un roman libellé d'anticipation, d'épouvante, de cape et d'épée, érotique, policier, ou de toute autre catégorie marginalisée, doive fatalement s'ajuster à des normes édictées dans quelque charte poétique, ou prescrites par les études de marketing des maisons d'édition. Certes, Le serment des barbares n'est pas un roman policier, mais cela ne tient ni à son originalité ni même à sa distance par rapport à un modèle générique donné, puisque maints romans (parmi les meilleurs), dûment estampillés sous le label policier, subvertissent régulièrement les lois du genre24. D'ailleurs,

en l'absence

de ces ruptures, gages d'un

constant

renouvellement, on comprendrait mal que le roman policier ait pu évoluer jusqu'à devenir le genre majeur actuel, depuis les "romans judiciaires1' d'Émile Gaboriau

(L 'affaire Lerouge, 1863) et de Wilkie William Collins (Lapierre de lune, 1868). Mais, si Le serment des barbares n'est pas un roman policier, c'est au moins pour deux raisons principales : - d'abord, l'intention déclarée de l'auteur qui n'a jamais ambitionné

d'écrire un roman policier contrairement à Yasmina Khadra, - et en second lieu, la dominante du roman qui n'est pas à caractère

herméneutique mais plutôt à ambition esthétique et didactique.

avril-juin 1970, p. 240, cité in Marc LITS, Le roman policier : introduction à la théorie et l'histoire d'un genre littéraire, Liège, CEFAL, 1999, p. 5 1. (C'est nous qui soulignons.) 23 . Id. " . Par exemple, le narrateur en position de coupable dans Le meurtre de Roger Ackroyd d9Agatha Christie, la mise au point du récit B structure inversée dans Service des aflaires classées de Roy Vickers, la synthèse poésie / énigme policière dans les ouvrages de Pierre Véry, ou le brouillage des frontières entre roman psychologique et roman policier chez Patricia Highsmith, marquent autant de ruptures dans l'histoire policière. Sans compter, bien entendu, toutes les expériences des

A aucun moment, dans les déclarations publiques de Boualem Sansal ne point l'allusion à un quelconque dessein d'écrire une fiction policière. À la question :

((

Pourquoi écrire et dans quel but ? », l'auteur répond :

((

D'abord,

écrire c'est un plaisir [...] J'ai eu envie d'écrire ce à quoi je pensais, à quoi je a Bien sûr, nous ne sommes pas obligé de prendre à la lettre la réfléchis~ais~~. suite des propos de Boualem Sansal lorsqu'il affirme qu'il

((

ne cherche vraiment

pas à témoigner ni à dén~ncer*~. D Cependant, à la différence de Yasrnina Khadra qui rendait hommage à la tradition littéraire policière, Boualem Sansal cite comme auteurs auxquels il s'identifie :

Louis Ferdinand Céline, Faulkner, Rachid

Boudjedra, Kateb Yacine. Voilà les gens qui m'inspirent. Et aussi beaucoup d'autres comme Boris Vian

[...12'

))

Les auteurs cités appartiennent à la sphère de

production restreinte, parmi lesquels, les rares à avoir pratiqué l'écriture policière, l'ont fait de manière oblique ou parodique : notamment Boris Vian (1920-1959) (dans les romans publiés sous le pseudonyme de Vernon ~ullivan*~) et William Faulkner (1897-1962) dont on suppose que son roman, Sanctuaire (193 1)' ((

synthèse du roman policier et de la tragédie grecque29D, aurait inspiré James

Hadley chase30 dans Pas d 'orchidéespour miss Blandish.

romans à la limite indécise entre polar et roman littéraire : Thérése Desqueyroux de François Mauriac, Un crime de Georges Bernanos, Le contexte de Leonardo Sciascia, ... 25 . Boualem SANSAL, On assume les contradictions D, entretien accordé à L'Expression, 2 avril 2002. 26 . Id. 27 . Id 28 . J'irai cracher sur vos tombes, Éditions du Scorpion, 1946. . Les morts ont tous la même peau, Éditions du Scorpion, 1947. . Et on tuera tous les aflreux, Éditions du Scorpion, 1948. 29 . Propos d'André Malraux rapportés (de façon approximative), par Marc SAPORTA, in Histoire du roman américain, Éditions Gallimard, coll. (( Idées Gallimard D, no 356, 1976, p. 267. 30 . James Hadley CHASE, pseudonyme de René RAYMOND, (1906-1985), adaptateur anglais du polar américain. Écrivain prolifique (89 romans), sa notoriété vit le jour en 1930, à l'occasion d'un succès de scandale : (No Orchids for Miss Blandish, 1939), Pas d'orchidées pour Miss Blandish, (Éditions Gallimard, coll. (( Série Noire », no 3, 1945 pour la traduction française) roman dans lequel on vit un "remake" de Sanctuaire de William Faulkner. Romancier doué, plein d'imagination, son sens de la construction romanesque, des rebondissements et du suspense lui valurent dans le monde et en Algérie l'engouement d'un public fidèle.

Si l'on conserve à l'esprit cet aveu de l'auteur sur ses références littéraires, la lecture du Sermenl des barbares ne manque pas de remettre en mémoire, intuitivement, la phrase ample, les constructions syntaxiques complexes, les enchâssements,

les

ruptures

thématiques,

la

ponctuation

inhabituelle,

l'accumulation métaphorique, la profusion des figures de rhétorique, l'ambiguïté, l'inflation et les digressions sémantiques communes a Faulkner, Céline et Boudjedra et, dans une moindre mesure, à Kateb Yacine. Le Serment des barbares, à l'instar des romans de Boudjedra, est crédité de la même complexité et présente cette typographie dense « que le lecteur aperçoit immédiatement

N

sous la forme de ces « pages qui sont des blocs de mots3' »,heureusement aérées par un sens du dialogue et de l'humour. Dans le domaine des formes policières du roman francophone contemporain, on pourrait faire ressortir la spécificité stylistique de Boualem Sansal en la comparant à celle (diamétralement opposée) du Belge, Georges Simenon, le père du commissaire Maigret auquel d'ailleurs un personnage du Serment compare l'inspecteur Larbi : « Oh, Maigret, d'où tu sors ? Y a rien de vrai chez nous. A la police, vous seriez les derniers à le savoir ? », (p. 79). Simenon ainsi que Sansal (édités chez ~ a l l i m a r d accèdent ~~) tous deux au saint des saints de l'édition française et de l'institution littéraire, mais par des voies esthétiques radicalement différentes. Alors que Simenon opte pour la sobriété, l'effet suggestif, le dépouillement, l'«écriture blanche », un usage minimaliste des ressources de la langue, et

((

fuit comme la peste [ce qui] a pour

nom gaspillage, profusion coulée, éruption des écritures flamboyantes (Céline) ou enlisement des écritures33», Boualem Sansal privilégie le foisonnement lexical, la complexité syntaxique et l'ambiguïté sémantique. Ainsi, en raison de sa présumée facilité, l'œuvre de Simenon réunit-elle

31

((

dominants et dominés culturels dans le

. Hafid GAFA~TI,Boudjedra ou lapassion de la modernité, Paris, Éditions Denoël, 1987, p. 60. (Propos tenus par Rachid BOUDJEDRA). 32 . Entre 1942 et 1954, les Éditions Gallimard publient 57 romans et recueils de nouvelles de Simenon ; parmi les plus célèbres : Les inconnus dans la maison, (1940), La veuve Couderc, ( 1 942), L 'ainé des Ferchaux, ( 1 945), etc. '3 . Alain BERTRAND, Georges Simenon :de Maigret aux romans de la destinée, Liège, Éditions du CÉFAL, coll. « Bibliothèque des Paralittératures », 1994, p. 12.

bureau enfume du quai des orfèvres3' », alors que les romans baroqÿcs de Boualem Sansal conviennent bien davantage à un public averti. Dans la même perspective, Simenon estime que son « plus grand roman, ce sera la mosaïque de tous [ses] petits romans », tandis que Boualem Sansal adopte plutôt la stratégie du monument littéraire, du chef-d'œuvre magistral. Le premier s'inscrit dans la logique sérielle du rendement, de la production dans l'acception industrielle et commerciale3' du terme (pas nécessairement incompatible avec la valeur littéraire) alors que le second perpétue une tradition, celle du chef-d'œuvre patiemment poli36. Dans Le serment des barbares le discours, la description sont quantitativement dominants par rapport au scénario proprement policier. Tout comme dans Tombéza (1 989) de Rachid Mimouni, l'intrigue policière est reléguée à l'arrière-plan, derrière la dénonciation des tares de la société algérienne. Ces

deux romans présentent au moins quatre analogies : un canevas policier (plus nettement marqué toutefois dans Le serment des barbares que dans Tombéza) qui sert de prétexte à l'enquête sociale, un réquisitoire véhément contre le régime algérien, un souci stylistique (bien plus marqué chez Sansl), et quelques motifs communs (notamment une représentation apocalyptique - mais crédible - de la situation sociopolitique algérienne, et de l'hôpital / mouroir en particulier). Alors que dans le roman policier (parfois aussi ou même plus volumineux que le roman "littéraire") la substance textuelle sert un propos didactique relatif au

j4. j5

Ibid, p. IO.

. Selon Alain BERTRAND, spécialiste et biographe de Simenon, ce dernier jouissait d'une

« étourdissante facilité d'écriture (quatre-vingts pages dactylographiées par jour) »,p. 117 ; « mise à part la Bible, au Verbe particulier, seuls les idéologues, Mao, Lénine et Staline ont écoulé plus d'exemplaires que Simenon, tandis que les populaires Earle Stanley Gardner, Agatha Christie et Barbara Cartland se coudoient sur la même ligne des quatre cents ou cinq cents millions d'exemplaires vendus. »,Georges Simenon :de Maigret aux romans de la destinée, Liège Éditions du CEFAL, coll. « Bibliothèque des Paralittératures », 1994, p. 121. . Boualem SANSAL confie a propos de sa pratique littéraire : « C'est effectivement mon premier roman [Le serment des barbares], mais j'ai beaucoup lu dans ma vie. Au départ, j'ai une formation classique : j'ai fait du latin et du grec au lycée, et ça m'a donné le goût de la langue, de l'étymologie, du sens. [...] J'écris comme ça et je le fais assez naturellement, encore que je travaille mon texte sérieusement, je travaille surtout beaucoup le rythme, mais je n'ai pas de recette particulière. », « L'actualité ça se vend, l'Algérie aussi », entretien de Boualem Sansal accordé à Ali Ghanem à Paris, pour le Quotidien d'Oran, 24 septembre 2000.

"

droit, à la pathologie criminelle, à la médecine légale, aux procédures policière et judiciaire, à la balistique, ou bien, par le biais des longueurs du récit, de la multiplicité des détails, et du souci stylistique, vise à mystifier et égarer la vigilance du lecteur de manière à entretenir la tension à un degré optimal, dans le roman de Boualem Sansal, la matière verbale est le lieu d'une vision a la fois subjective, émotive, et politique de l'histoire algérienne, particularité qui confère à ce texte une dimension plus idéologique qu'herméneutique.

Dans Le serment des barbares, l'ambiguïté (voire l'opacité) sémantique ne procède pas d'une énigme intrinsèquement textuelle comme ce peut être le cas dans certains romans policiers ou para policiers littéraires, par exemple, Le tour

d ë c r o d 7 de Henry James (1843-1916) ou La trilogie new-yorkaise de Paul Auster, romans dans lesquels la narration indirecte et le principe du point de vue (selon lequel le narrateur ajuste son savoir à celui de ses personnages) suscitent l'incertitude et la pluralité des interprétations du lecteur. Pas plus qu'elle ne procède d'une perturbation déroutante du rythme et de la chronologie du récit, comme c'est le cas dans Nedjma (1 956) de Kateb Yacine (1929-1989). Les difficultés du Serment des barbares peuvent résulter d'allusions non élucidées, de détails spécifiquement algériens méconnus d'un lecteur étranger insuffisamment informé, ou d'une lecture hâtive et inattentive impropre à la nature de ce texte. En réalité l'ambiguïté du roman de Boualem dérive essentiellement du référent (à savoir la confusion et le désordre algériens) dans la mesure où le texte entretient avec son objet une relation d'ordre analogique, au moins sous le rapport de la difficulté d'élucidation. L'indétermination du sens provient bien moins d'une complexité proprement structurelle, bien que cet ouvrage exige effort et attention sans faille, que de la nécessité pour le lecteur de combler certains "espaces blancs"

. En fait, Le Tour d'écrou est essentiellement un roman fantastique, bien que la dimension herméneutique y occupe une place notable. Marc SAPORTA, le préfacier du Tour d'écrou propose la métaphore suivante pour illustrer la lecture nécessairement ambiguë de ce roman : « Comme dans une vis sans fin, plus le lecteur tourne l'écrou pour serrer la vérité, plus la vis ellemême semble se prolonger à l'infini. », Paris, Éditions Seghers, coll. « Nouveaux horizons », no 1. 79, 1970, p. 12.

"

dans le texte à partir d'un savoir (pas nécessairenient disponible) sur l'histoire et 1'actualité algériennes. En gros, le roman contemporain se développe tendanciellement selon au moins deux voies : d'abord, dans une direction d'expansion et de profusion lexicale, fondée essentiellement sur l'énergie du mot, le souffle ample de la phrase, dans la tradition initiée par Proust, Claude Simon, Julien Gracq, ... (ligne à laquelle appartient Le serment et l'œuvre de Boudjedra), ensuite selon une tendance marquée par les exigences de complexité structurelle, de contraintes génériques, d'austérité verbale, de subversion des codes de la narration et des formes usitées de composition romanesque, représentée par Henry James, Nabokov, Luis Borges, les auteurs du "nouveau roman". S'il y a béance dans le roman de Boualem Sansal, cela ne tient ni à la construction romanesque (même si celle-ci n'est pas toujours linéaire), ni à la profusion sémantique, (même si elle offre une résistance peu commune) mais résulte du choix des thèmes : histoire occulte de la révolution algérienne, secrets politiques suggérés, usage de la parabole et de l'implicite... Afin de suggérer le type de rapport que Le serment des barbares entretient avec l'argument policier, on pourrait mentionner un usage approximativement comparable de greffe de ce matériau dans le roman "littéraire" en affirmant que le ressort de l'enquête sert dans Le serment des barbares (toutes choses égales par ailleurs) une fin symétrique à celle qu'elle vise dans La bête humaine de Zola. Ces deux ouvrages, certes tellement différents l'un de l'autre par la thématique, le style, l'époque, et la manière, ont au moins un point de convergence : la structure de l'enquête policière au service de l'analyse sociale ; dans le roman naturaliste, la veine policière sert de prétexte à la peinture de l'hégémonie bourgeoise sous le second Empire à travers l'aventure du rail, dans le roman baroque algérien, la genèse du pouvoir algérien depuis 1954 et sa nature maffieuse. On pourrait préciser avec davantage de précision la définition du Serment des barbares en le comparant à un classique du genre métapolicier : La

nuit du dkcre?

de Michel del Castillo, dont la trame policière sert de biais à une

évocation et un retour à la conscience d'lin pan de l'histoire du sujet narrateur et de l'Histoire contemporaine de l'Espagne depuis la guerre civile. Même si en termes quantitatifs la profusion verbale excède le récit pur, c'est pourtant le canevas policier du Serment des barbares qui rend possible son adaptation cinématographique39. Pierre Boileau et Thomas Narcejac, les célèbres "pères tranquilles" qui réinventèrent le roman et le cinéma à suspense français, estiment

qu'un roman policier contient en général plus de choses qu'on n'en

peut exprimer en quatre-vingt-dix minutes4'.

))

Avérée pour le roman policier,

cette proposition, que le tandem Boileau-Narcejac justifie par ses trente-six ans d'expérience romanesque et cinématographique (la citation date de 1986), l'est bien davantage encore lorsqu'il s'agit de transposer un roman aussi luxuriant que Le serment des barbares. L'une des difficultés de cette translation narrative tient certainement à la disparité entre la plasticité infinie de l'expression romanesque et les contraintes du langage cinématographique4'. Le traitement de l'image tentera de traduire la

38 39

. Éditions du Seuil, coll. u Points I Série roman D, no R88, 1981

. En janvier 2001, la presse annonce l'adaptation du Serment des barbares : la mise en scène devrait être confiée à Konstantinos COSTA-GAVRAS spécialiste du thriller politique qui a dirigé : (Compartiment tueurs, 1965 - d'après le roman de Sébastien JAPRISOT, 1961; L'n homme de trop, 1967 ; Z, 1969 - d'après le roman de Vassilis VASSILIKOS, 1966 -; L'Aveu, (d'après le roman d'Arthur LONDON, 1970 ; État de siège, 1973 ; Section Spéciale, 1975 ; Porté disparu, Palme d'Or de la 34e édition du Festival international de Cannes. La vedette américaine Al Pacino avait été pressentie pour le rôle de l'inspecteur Larbi ; par la suite, le choix se portera sur Omar Sharif. Jorge SEMPRUN est l'auteur du scénario : N Né à Madrid en 1923, fils d'un diplomate républicain espagnol, petit-fils d'un Premier ministre du roi Alfonso XII, Jorge Semprun n'a cessé d'interroger l'Histoire, celle de la guerre d'Espagne et du stalinisme, celle des camps d'extermination, celle des horreurs universelles et quotidiennes [...] N, Abdelhakim MEZlANl, L'Expression, lundi 8 janvier 2001, p. 17. Le projet d'adaptation est à nouveau évoqué lors d'un entretien accordé par Boualem SANSAL à L 'Expression : G Où en est l'adaptation de votre premier livre Le serment des barbares ? (( [...] Le scénario est terminé. 11 a été fait par Georges Semprun. Je crois savoir qu'ils en sont au stade de boucler le financement de l'opération. I I y aura Omar Sharif dans le rôle principal, celui de l'inspecteur Larbi. C'est difficile de démarrer un film, surtout qu'aussi bien Gallimard que Georges Semprun veulent en faire un grand film. Une sorte de superproduction. Cela demande beaucoup de moyens et de travail. C'est très dur [...] D, propos de Boualem SANSAL recueillis par O. HIND, in (( On assume ses contradictions D, L 'Expression,2 avril 2003. 40 . BOILEAU-NARCEJAC, Tandem ou 35 ans de suspense, Paris Éditions Denoël, 1986, p. 133. 4 ' . NOUSavouons notre incompétence en matière de transposition du récit romanesque au récit filmé, néanmoins une remarque de Umberto ECO suggère bien, même pour le néophyte, la difficulté de rendre fidèlement par l'image une expression métaphorique comme en fourmille Le

portée

idéologique du roman, mais on peut augurer que le scénario

cinématographique en conservera nécessairement le caractère policier. Jorge Semprun, que les Éditions Gallimard ont mandé pour l'élaboration du scénario note l'importance de la dimension policière pour l'adaptation. Après « une sorte de reconnaissance du terrain » à Rouiba, il confie au quotidien Liberté : « Je connaissais le roman, il m'a embaIlé, il m'a provoqué [...] Il y a une intrigue

policière qui permet de construire un argument dramatique42.» On peut supposer que les « digressions lyriques, philosophiques et politiques » seront plus difficiles à traduire en images, dialogues et situations. En fait, la dimension policière n'est pas seulement phagocytée par le discours romanesque, l'inflation lexicale et le souci stylistique ; on pourrait même soutenir que les mutations apportées dans la nature des ingrédients traditionnels de la fiction policière font du Serment des barbares le modèle de l'anti-polar et le lieu d'une chimérique investigation policière. IV. LA VEINE POLICIÈRE

On l'a dit : Le serment n'est pas, à rigoureusement parler, un roman policier. Certes, mais cet arrêt lapidaire ne définit nullement, ni n'évalue la veine policière du roman, veine que nous tentons de spécifier en usant comme référence et "pierre de touche" des éléments du "prêt-à-monter" du récit policier.

Serment des Barbares. Umbert ECO expose la complexité de la conversion d'un récit poétique en langage cinématographique : « Un metteur en scène pourrait « traduire » en film l'intrigue de Sylvie [Gérard de Nerval], et permettre au spectateur, par un jeu de fondus enchaînés et de flash-back, de reconstruire la fabula [séquence temporelle des péripéties] Cje préfere ne pas évaluer ses chances de réussite) : mais il est sûr qu'il ne pourrait pas traduire le discours [...] parce qu'il lui faudrait transformer les mots en images, et qu'il y a une différence entre &rire pâle comme la nuit et faire voir une femme pâle. », « Les brumes du Valois », in De la linérature, (2002), Éditions Bernard Grasset, 2003, p. 52. (C(est nous qui soulignons.) 42 . R. C., « Jorge Semprun / Le roman de Sansal m'a provoqué », Liberté, Lundi 29 janvier 2001, p. 1 1. (C'est nous qui soulignons.)

Selon Claude Amey, le « noyau structural fixe [...] constitutif du genre )) policier est constitué de ces

((

huit unités fonctionnelles qui constituent une

syntaxe narrative dépositaire de son sens43)) :

LA TRANSGRESSION LA CONCEPTION LE CRIME LA MANDA TZON L 'EAJQUETE L 'AFFRONTEMENT LA PUNITION

LA RÉCOMPENSE - La transgression :

Cette notion ne désigne pas ici l'infraction criminelle à l'origine de l'enquête. Pour Claude Amey, cette fonction narrative « est une constante » qui assigne la victime « en situation de transgression ». La victime est « elle-même criminelle, hors légalité [...], hors nonne, ou ayant commis un écart de conduite [ . . . I ~» ~ Cette idée de la responsabilité de la victime dans la genèse du crime peut paraître inhabituelle, insolite même, au regard de l'opinion commune et de la pratique judiciaire qui, en principe, se doivent de distinguer nettement criminels et victimes. Pourtant « c'est aux écrivains et aux romanciers que revient le mérite d'avoir attiré l'attention

sur la victime du crime longtemps avant que cette

victime ait suscité l'intérêt des spécialistes45.» La notion de responsabilité (voire de culpabilité) de la victime peut s'entendre de diverses manières : comme la . Claude AMEY, « Le roman policier comme jurifiction », in COLLECTIF, Dramaxes / De la fiction policière, fantastique et d'aventures, sous la dir. de Denis MELLIER et Luc RUIZ, Fontenay / Saint-Cloud, ENS ~ditions,coll. « Signes », 1995, pp. 72-73. 44 . Ibid., p. 73. 45 . EZZAT ABDEL FATTAH, La victime est-elle coupable ? / Le rôle de la victime dans le meurtre en vue de vue de vol, Montréal, Les Presses de l'université de Montréal, 1971, p. 1 1. 43

dualité d'un sujet aitemativement victime et crïminel (le pédophile lui-même victime d'abus au cours de son enfance), ou bien encore comme la disposition inconsciente d'un sujet à devenir victime du fait de tendances psychiques particulières : fatalistes, masochistes, ou autopunitives. Il ne s'agit pas de neutraliser les notions de culpabilité et d'innocence en les diluant dans une sorte de confusion éthique mais de montrer que criminels et victimes peuvent entretenir des rapports de réciprocité et partager (inégalement) la responsabilité de l'acte criminel, particularité qui nous semble se vérifier dans Le serment des barbares. Dans le roman de Sansal, les deux victimes initiales : Si Moh Lekbir et Abdallah Bakour sont désignées, à l'incipit, comme radicalement distinctes au plan éthique. Moh Lekbir « pourri de son vivant, diabétique, alcoolique, drogué, pédé » (p. 81) a une main dans tous les tripotages de la ville. Au rebours, Abdallah Bakour est présenté comme « un pauvre vieux, honnête et pieux, en tout cas inoffensif >) (p. 83). Nous serions donc en présence de deux victimes : la première, indiscutablement coupable, et la seconde, totalement innocente. Pourtant, il s'agit là d'une opposition factice puisque cet ouvrier agricole qui consacre sa retraite à l'entretien bénévole du cimetière chrétien, son ancien comparse Moh Lekbir, ainsi que Youcef alias "er'rougi" qui vivote de dinanderie à la Casbah, dissimulent tous un passé secret de "barbares" qui ont « abusé des

femmes et bu le sang de leurs enfants » (p. 357). Ni le temps, ni les remords, ne sauraient réparer leurs errements du temps où ils appartenaient aux troupes de Bellounis. On note également une généralisation de la culpabilité à l'ensemble du personnel romanesque. Dès les premières phrases du récit, le narrateur du Serment des

barbares exclut l'éventualité de l'aboutissement d'une quelconque enquête policière. Nous sommes loin ici de l'apparence de respectabilité, du climat feutré et "étrangement inquiétant" des classes moyennes post victoriennes, ou même de l'atmosphère glauque du milieu de la pègre américaine. Les romans fondés sur ces univers mettent, pour la plupart, un nom sur le crime et proposent un rétablissement final de l'ordre. Les mobiles y sont, le plus souvent, transparents :

appât du gain, convoitise d'héritiers impatients, passion amoureuse contrariée. jalousie, exaspération de maris désabusés, ...

Le serment représente un tout autre environnement. En effet, non seulement « rien n'a de sens » (p. 9) dans cette hécatombe opaque, aberrante où « les hommes meurent comme des mouches », (p. 9), mais encore les mots sont

impropres à définir, à nommer ce « charivari irrémédiable », (p. 9). On s'évertue, en vain, à poser un nom sur des crimes désignés par une kyrielle de termes qui révèlent par leur accumulation, à la fois, leur inadéquation fondamentale et leur signification approximative : « terrorisme », « animosité [qui] n'a pas de nom

H,

« guerre si on veut », « fureur lointaine et proche », « hérésie absurde et

vicieuse », « monstruosité à l'avidité spectaculaire», (p. 9), « génocide », (p. 10).

A la crise on « a donné tous les noms connus, plus quelques autres qui restent

à

comprendre », (p. 32) sans rendre pour autant plus limpides les choses. L'opacité est portée au superlatif puisque « Dieu lui-même, l'omniscient, l'incommensurable, le maître de tous les sommets et de tous les abîmes, s'y perd

))

(p. 26). La langue est donc inapte à éclairer une conjoncture indéchiffrable ; dans ces circonstances, désigner nettement des coupables s'avère d'autant plus illusoire que leur identité est problématique. Selon le narrateur, le coupable c'est « un peu tout le monde et personne dont on puisse dire : c'est lui, c'est cet homme. » (p. 9) Établir rigoureusement les responsabilités est, pour ainsi dire, impraticable dans la mesure où la culpabilité est diluée dans tout le corps social, chez les bons comme chez les méchants ; c'est d'ailleurs le point de vue du commandant Youssef l'un des rares personnages "positifs" du roman, avec l'inspecteur Larbi et Abadallah Bakour - selon lequel : « Lorsqu'un royaume est pourri, ses sujets ne le sont jamais moins » (p. 360). La société algérienne est présentée comme gangrenée par le crime dans la plupart de ses composantes humaines : Les tangos égorgent comme à l'Aïd, le gouvernement tue les femmes, l'école les enfants, la justice les honnêtes gens, le Grand Conseil les démocrates, les marchands le dernier client et l'organisation de l'armée secrète tout ce qui bouge dans le rang. (p. 277)

Dans ces conditions, l'élucidation des crimes semble bien compromise. L'univers du Serment des barbures est celui des interrogations sans réponses, du désarroi et de la méfiance généralisée : [...] a qui en appeler quand les juges sont des voleurs? [...] Comment distinguer un confident d'un judas, un voisin d'un tueur à gages, un homme d'une frappe, un collègue de bureau d'un espion ? Qui avoue ses crimes ? Qui se compte parmi les satyres ? (p. 278)

Bien sûr, "l'ère du soupçon" est une constante du genre. La fiction policière occidentale est, elle aussi, le lieu du doute généralisé ;pourtant, même si les suspicions, les ragots, les accusations, les interrogatoires, les aveux au cours de l'enquête, mettent à nu bien des secrets gênants, ne laissent personne indemne, et surtout pas les suspects - c'est-à-dire tout le monde - condamnés a traîner quelque

chose de leur innocence irréparablement éclaboussée, l'épilogue du

roman policier ordinaire est le moment d'un rétablissement global de l'ordre. Quant à l'inspecteur Larbi, (victime à l'épilogue), sa culpabilité procède d'une part de sa fonction : élément d'une institution gangrenée, la corruption générale ne saurait l'épargner. Sa culpabilité provient pour partie d'un sentiment de compromission, pour partie également de son passé d'ancien combattant (une faute dans la perspective du roman selon laquelle le changement politique aurait pu - et dû - prendre une autre voie que celle des armes), et enfin de la transgression (non pas éthique cette fois mais professionnelle) des consignes de sa hiérarchie qui lui avait assigné une enquête de pure routine et non la quête de la vérité. À signaler également l'imprudence de l'inspecteur Larbi indifférent aux avis charitables que son entourage ne cesse de lui prodiguer au point de défier ces

« barbares » dont il connaît la monstruosité. Ainsi, la transgression, au sens de culpabilité de la victime, est bien une fonction qui joue à plein dans t e serment.

-

La conception

Par "conception", il convient d'entendre la rationalité du crime conçu non comme acte passionnel, instinctif, mais comme « le fait d'un sujet juridique46. » Si la fonction précédente (la transgression, c'est-à-dire la responsabilité de la victime) peut sans dommage s'ajuster à la configuration actantielle, la notion de conception logique ne définit pas le crime dans Le serment des barbares. Non que le crime dans ce roman (et en Algérie) soit exempt de logique mais celle-ci demeure largement dissimulée, équivoque. Le crime, en raison de son opacité, ne peut faire que difficilement l'objet d'un traitement judiciaire : non seulement il s'agit de crimes massifs, collectifs, politiques, mais encore les institutions (police et justice) supposées résoudre ces affaires ne sont elles-mêmes pas indemnes de compromissions. Cette fonction n'apparaît pas nettement dans le roman de Sansal et le lecteur est contraint de combler les blancs du texte pour rationaliser les mobiles des criminels.

- Le crime

Dans le roman policier classique, le crime est une « unité fonctionnelle D, dont la « connotation existentielle, morale ou pathologique » est totalement dénuée de valeur et, « dans cette optique le crime est sans épaisseur, il est typiquement syntaxique4'. » En d'autres termes, dans un roman de logique et de déduction, l'assassin doit, non seulement concevoir un crime rationnellement explicable, juridiquement recevable en termes logiques de mobile et d'alibi, mais également et surtout « fournir un cadavre a l'auteur48. s On se souvient de la boutade (sérieuse) de S. S. Van Dine : « Pas de roman policier sans cadavre. Ce

. Claude AMEY, op. cit., p. 74. . Claude AMEY, op. cit., p. 74. 48 . Raymond CHANDLER, « L'art d'assassiner ou la moindre des choses n, in

46 47

tout, Paris, Presses de la Cité, coll. « Presses Pocket », no 641, p. 187.

La rousse rafle

serait trop demander a un lecteur de roman policier que de lui faire lire trois cents pages sans lui offrir un meurtre"". H Bien sûr, on pourrait relever dans Le serment, comme dans le roman problème, les artifices essentiels au maintien de la tension narrative ; pourtant, dans l'ouvrage de Sansal, le crime n'est pas un jeu, ni un prétexte littéraire, mais a été « remis entre les mains de gens qui le commettent pour des raisons solides50B même si par ailleurs ces raisons ne demeurent qu'imparfaitement découvertes. Alors que dans le roman classique le crime est circonscrit, déterminé, dans Le serment, la notion même de crime est impropre à définir la violence représentée. Recourir à la notion de crime (compris comme acte individuel. signature esthétique de l'assassin et défi lancé à la sagacité du détective) semble problématique quand les cimetières sont « une plaie béante [où l'on] excave à la pelle mécanique [et où l'on] enfourne à la chaîne » (p. 9). On voit ainsi que le crime n'est pas une cheville narrative commode mais un thème sérieux doté de dignité humaine et littéraire (requérant une lecture en termes politiques) qui distingue Le serment des barbares du roman policier ordinaire.

- La mandation

« "Mandation" est

ici une contraction

du

"mandement"

et de

l'c, in Voyage dans la culture en Algérie en 1979, Alger, Office des Publications Universitaires, 1984, pp. 147- 165.

BELAGHOUEG Zoubida,,

Yasmina Khadra, l'autre écriture D, in Algérie Littérature Action, no 43-44, septembreoctobre 2000, pp. 222-224. G Le roman algérien de langue franqaise de 1990 à 2000 : Troisième génération D, Les cahiers du SLDD, Université Mentouri de Constantine, no 1, décembre 2002, pp. 75-85. ((

BURSTCHER-BECHTER Beate,

- (( Naissance et enracinement du roman policier en Algérie D, in Algérie Littérature Action, no 3 1-32, mai-juin 1999, pp. 221-230. - « Yasmina Khadra D, (entretien avec Yasmina Khadra), in Le Maghreb Littéraire, Éditions La Source, Toronto, Canada, vol. IV, no 7,2000, pp. 79-90. - « Note de lecture à propos de À quoi rêvent les loups D, in Le Maghreb Littéraire, Éditions La Source, Toronto, Canada, vol. IV, no 8,2000, pp. 145- 149. DUMONT Jacques et LE BOUCHER Dominique,

Abdelkader Djemaï, une écriture de pierres n, (entretien avec Abdelkader Djernaï), in Algérie Littérature Action, no 7-8, janvier-février, 1997, pp. 18 1-186. ((

CASTEL Adel,

- G Double blanc La récidive de Yasmina Khadra n, in Algérie Littérature Action, II" 12 / 13, juin-septembre 1997, pp. 177-179. - (( Une Agatha Christie à l'algérienne », in Algérie Littérature Action, no 22-23, juinseptembre 1998, pp. 189- 192. KASSIS Paule,

note de lecture, rubrique 2000, pp. 1 57- 159.

((

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le moins documentaire) de tout le corpus. En effet, il correspond parfaitement aux critères qui définissent le roman policier classique ; ainsi, les aspects référentiels sont extrêmement stylisés, l'atmosphère raréfiée, la psychologie réduite au strict minimum, les descriptions allusives, au profit d'une intrigue dont on doit reconnaître l'intérêt. Ce récit est un authentique "whodunit" avec : un éventail de suspects, un suspect numéro évidemment innocent, un coupable inattendu, d'incontournables vérifications d'alibi, des recherches de mobiles, et une révélation finale inattendue. On serait tenté de s'exclamer : a Enfin, un "authentique" roman policier ! Un bon roman policier, un roman dont l'énigme placée au premier plan n'est pas

prétexte à un discours idéologique, même si par ailleurs le silence sur le contexte socio-historique peut être perçu en termes idéologiques. Un roman auquel on pourrait appliquer cette proposition de Todorov: " Le roman policier par excellence n'est pas celui qui transgresse les règles du genre, mais celui qui s'y conforme" D (Poétique de la prose, Seuil, 1971, p. 10). L'écart "positif', par comparaison avec des romans approchants aux plans formel et thématique (Adel s'einmêle ou Double Djo pour une muette pa:

exemple), réside certainement dans la sobriété de l'écriture et la quasi absence de références historiques et politiques. Hormis quelques allusions fbgitives à la Révolution, à la Révolution agraire, à la pénurie de matériaux de construction ou à la corruption, rien ne vient distraire le lecteur de la question centrale : qui a tué ? Le pacte de lecture tel qu'énoncé en quatrième de couverture :

Viendra-t-il

[l'inspecteur] à bout du rempart de mystère que dresse la famille Khan ? )) est scrupuleusement respecté.

IX. Yasmina KHADRA 1. Le dingue au bistouri, Alger, Editions Laphomic, 1990 (Paris,

Editions Flammarion, 1999 ;J'ai lu 2001) Le commissaire Llob reçoit l'ahurissant coup de fil d'un inconnu se prétendant sur le point de saigner sa victime et de lui arracher le cœur. Le correspondant anonyme précise même le lieu du crime, le quartier huppé de Hydra, sur les hauteurs d'Alger. Canular macabre ? Vraisemblablement. Pourtant, à trois jours de là, et à l'adresse indiquée, est signalé un cadavre dont le cceur a été

extrait : il s'agit d'un jeune médecin, apparemment sans histoire, Rachid Moumen. Le détraqué, qui a choisi le commissaire Llob pour confident en raison de sa probité, annonce cinq prochains crimes et lui donne rendez-vous au complexe culturel de Riad El Feth. Là, dans les toilettes pour dames, gît

((

effondrée sur le

bidet, une femme morte. Elle est nue au-dessus de la ceinture et elle a le ventre ouvert d'un bout à l'autre

))

(p. 54) ;le cœur a encore été prélevé.

L'enquête piétine. La presse s'émeut. Un journaliste, auteur d'un article outrageant à l'égard de celui que tout Alger nomme maintenant le

((

DAB )) (le

dingue au bistouri), a été agressé par le maniaque et un signalement du suspect peut enfin être diffusé. Une troisième victime est découverte dans une cave, une quatrième meurt d'un arrêt cardiaque avant le "rituel" de l'extraction du cœur.

Grâce au portrait robot diffusé par la presse, on localise le domicile du tueur ; dans le réfrigérateur, une sinistre surprise est réservée aux enquêteurs : « trois cœurs alignés sur un plateau inox » ! (p. 105)

Une nouvelle déposition, celle d'un certain ménage Blel, permet de résoudre l'affaire ; madame Blel, harcelée par le tueur en série, révèle qu'elle a fait partie, ainsi que les victimes précédentes, d'une même équipe médicale. Un cinquième meurtre, celui d'une infirmière reconvertie dans la danse de cabaret précipite la conclusion de l'affaire. C'est au domicile de madame Blel, l'unique rescapée de la série, que le commissaire Llob abattra, en état de légitime défense, le DAB. Mobile de la série sanglante : le docteur Rachid Moumen et son équipe s'étaient rendus coupables de négligence médicale ayant provoqué la mort de la femme et du bébé du meurtrier.

Le dingue au bistouri est une parodie de ce type de thriller structuré selon le procédé traditionnel d'une suite de meurtres dont il faut deviner le point commun pour en démasquer l'auteur, procédé mis au point par Agatha Christie dans Dix petits nègres (1939) et repris par William Irish dans La mariée était en

noir (1940). Ce premier roman du Commissaire Llob alias Mohamed Moulesshoul alias Yasmina Khadra, perpétue le thème de la vengeance d'un tueur en série mais a été également perçu, a posteriori, comme un récit qui, selon les termes du quatrième de couverture des Editions J'ai lu, : (( annonce avec une fulgurance prémonitoire les folies monstrueuses de la guerre à venir en Algérie. » A noter également, la liberté de ton (le roman est publié en 1990) par opposition au caractère généralement bien-pensant des romans édités en Algérie avant la révolte populaire d'octobre 1988.

2. Lafoire des enfoirés, Alger, Editions Laphomic, 1993. Le docteur Malek Krim, informaticien de renom, ainsi que Daoud Brahamia, un gardien, sont abattus par balles au Centre national des recherches scientifiques où un super ordinateur 1'Emir 1 (( capable de rivaliser avec le NS-91 japonais » vient d'être commercialisé avec la collaboration de l'agence française

Arrelle. Sabotage, espionnage économique, motif extra professionnel ? L'affaire est confiée au commissaire Llob et à ses adjoints les inspecteurs Lino et Serdj auxquels on associe l'ignoble Bliss Nahs (en français Démon la Poisse), le mouchard du directeur de la police. Peu de temps après, l'assistante et fiancée de l'informaticien assassiné est découverte noyée, nue sur une plage d'Alger. L'enquête semble d'abord privilégier un mobile d'ordre privé : en effet, au domicile de la première victime, les policiers découvrent des photos obscènes et des lettres de chantage. Cependant, cette explication s'avère invraisemblable ; en effet, les assassinats et les péripéties se multiplient : le professeur Ramdani, un autre génie en informatique et ami de Malek Krim, meurt écrasé par une voiture en murmurant ce prénom : c Khaled D ; ~aâfer,un suspect, cadre à la sécurité au C.N.R.S., est exécuté devant son poste de télévision. Sabrina, la secrétaire du directeur du C.N.R.S.: suspecte également, est supprimée. Slimane, le directeur financier du Centre, est interpellé à l'aéroport, porteur d'une valise contenant cinq cents millions de francs. Des étrangers équivoques gravitent autour du C.N.R.S. et les services du contre-espionnage algérien sont sur les dents. Victimes et suspects éliminés, le commissaire Llob inculpe le directeur-général du Centre, parrain de tous ces crimes destinés à couvrir la vente frauduleuse à la firme française Arrelle du plan du nouvel ordinateur baptisé Khaled et mis au point par Malek Krim. Le commissaire Llob a supposé, en référence à l'Histoire de l'Algérie, que ((

si 1'Emir 1 est Abd El Kader, Khaled pourrait bien être 1'Emir II D. Ainsi,

l'ultime parole du professeur Ramdani donne-t-elle la clef de l'énigme. Polar et récit d'espionnage, ce roman perpétue l'ancienne thématique de l'intérêt national menacé par l'ancienne puissance coloniale. L'inconsistance de la fable (au sens formaliste de l'expression : la réalité évoquée, ici une sombre histoire d'espionnage scientifique) est compensée par l'acuité du regard et les multiples notations cocasses, amères, désenchantées, sur le quotidien déglingué de la vie algéroise.

3. Morituri, Editions Baleine, 1997, Trophée 813 du meilleur roman francophone, 1997. 1.

Le commissaire Llob reçoit l'ordre de représenter le directeur de la police à l'inauguration de la résidence du neveu de Ghoul Malek 1 ' ex-star ~ de la

République D (p. 20). A la réception donnée dans ce (( Taj Mahal pour eunuques revanchards » (p. 29)' Llob fera mauvaise figure parmi le gratin de Hydra : le milliardaire Dahmane Faïd, l'écrivassier du régime Sid Lankabout, Haj Garne N l'un des plus dangereux flibustiers des eaux troubles territoriales D, ... (p. 24) Le comédien Aït Méziane reçoit une menace de mort d'un chef terroriste, le mystérieux Abou Kalybse. Ghoul Malek, un ex-ponte du régime mais qui

((

continue de tirer les

ficelles à partir de sa majestueuse propriété d'Hydra» (p. 35), confie au commissaire Llob la mission de retrouver sa fille Sabrine. Seul indice : une photo. Une virée de la police aux Limbes rouges, un cabaret huppé fréquenté par la disparue, puis au Cinq étoiles, un palace des hauteurs d'Alger où Anissa, une amie de Sabrine Malek, exerce le plus vieux métier du monde, déclenche paradoxalement l'ingérence de Ghoul Malek le commanditaire de l'enquête : interdiction de fouiner aux Limbes rouges ! Sabrine a été vue pour la dernière fois en compagnie de Mourad Atti, un ancien taulard proxénète. Interpellé, ce dernier dénonce Haj Garne, l'un des barons d'Alger. Mais l'enquête piétine car l'accusateur, Mourad Atti, a opportunément disparu de la circulation ;il aurait été remis à 1'Observafoire des bureaux de sécurité. L'identification de deux terroristes, abattus au cours d'un assaut donné pour délivrer des otages, oriente encore une fois l'enquête vers le même milieu des nantis d'Alger. L'un des deux criminels éliminés, Brahim Boudar, principal instigateur des pillages d'octobre 88, avait pour acolyte Mourad Atti ; il avait

également un lien avec les Limbes rouges ou il fut employé comme videur. L'autre, Daho Lamine, est le fils d'un milliardaire. Malheureusement le fil de l'investigation est rompu : l'Observatoire des bureaux de sécurité dément avoir appréhendé Mourad Atti. D'ailleurs, on retrouve son cadavre dans un dépotoir communal. Anissa, l'amie de Sabrine Malek, promet des révélations au commissaire Llob, par malheur, la mort la rattrape au cours d'une soirée donnée par Fa Lankabout, l'épouse du scribe du régime. La piste d'Anissa, de son vrai nom Soria Atti, mène, une fois de plus, vers des noms de la pègre ou de la bourgeoisie d'Alger : le souteneur Mourad Atti, le .« tripoteur >) Haj Garne et feu Abbas Laouer, décédé entre les bras d'Anissa au cours d'une séance de sadomasochisme. Abbas Laouer, ex-directeur véreux de la Banque Nationale, qui laisse dans sa trésorerie un trou de 120 millions de $ ! Les assassinats s'accumulent : trois balles dans la nuque viennent rappeler que la lettre de menace au comédien Aït Meziane n'était pas une plaisanterie ; l'inspecteur Serdj est décapité. Le commissaire Llob démasque le fameux Abou Kalybse, commanditaire des assassinats d'intellectuels, qui n'est autre que Sid Lankabout, un intellectuel lui-même !

On apprend, in $ne, que l'on a fait appel à Llob pour neutraliser Sid Lankabout, un électron libre de la mafia politico-financière devenu gênant, mais qu'en réalité le véritable Abou Kalybse, l'éminence grise de tout le système, c'est Ghoul Malek. Sa propre fille, Sabrine, dont il avait chargé Llob de retrouver la trace, a été broyée par la machine criminelle qu'il avait lui-même mis en place aux Limbes rouges. Llob l'exécute. Ce roman propose quelques pistes de lecture sur l'actualité algérienne ; en épilogue, le « déballage » de Ghoul Malek expose les vues réactionnaires des concepteurs de la violence selon lesquels « la société obéit à une dynamique à trois crans. Ceux qui gouvernent. Ceux qui écrasent. Et ceux qui supervisent. D (p. 181)

A partir de ce schéma, le phénomène du terrorisme qui affecte le pays n'est que la taxe à payer, voulue par « ceux qui supervisent », à savoir la mafia politico-financière, « pour passer d'un système socialiste caricatural à l'ouverture du marché ». (p. 182) Le commissaire Dine propose une autre version ; dans son optique : « Toute cette putain de guerre, c'est elle [la mafia politico-financière] qui l'a

provoquée et c'est elle qui l'entretient. Un ramassis d'anciens politiques qui n'ont pas pardonné d'avoir été évincés, d'anciens patrons kleptomanes qui ont fini de purger leur peine et qui reviennent sur scène se venger, des administrateurs destitués, des revanchards qui veulent prouver je ne sais quoi ... toute une confiérie de responsables irresponsables dont les charniers d'aujourd'hui inspirent et titillent la vocation de charognards.. . » (p. 161)

4. Double blanc, Editions Baleine, 1997, Editions Gallimard, coll. « Folio policier »,2000.

Ben Ouda, un ex-commis de l'Etat, ex-diplomate, sollicite le concours du commissaire Llob afin de « dénoncer les tenants et les aboutissants de cette sotte tragédie » (p. 16) qui accable le pays. Il affirme être en possession d'un document « explosif » intitulé N.O.S.

Deux jours après, Ben Ouda est décapité dans son appartement ; sa tête, reliée à une bombe, a été disposée dans le bidet. Avant de se suicider, son « petit ami » révèle que les tueurs étaient à la recherche d'une mystérieuse disquette. Abad Nasser, un professeur d'université, ami du diplomate, est à son tour assassiné. Pendant son agonie, il rédige avec son sang un énigmatique message :

HIV. Des témoignages ont permis d'identifier les meurtriers ; il s'agit de quatre terroristes notoires : Merouane Sid Ahmed dit « T.N.T. », Blidi Kamel, Zaddam Brahim, un vétéran d'Afghanistan, et leur chef, Gaïd Ali, dit « le coiffeur ». La piste de l'émir Gaïd Ali conduit le commissaire Llob jusqu'à Athmane Mamar, un artisan hôspitalisé, dont les ateliers ont mystérieusement brûlé. Les

?

liens de Mamar avec l'affaire sont manifestes : son jardinier, Alla Tej, est le beaufrère de Gaïd, et feu le professeur Abad Nasser, son propre beau-frère. Marnar est également l'intermédiaire du milliardaire Dahrnane Faïd « capable de renverser la République rien qu'en éternuant » (p. 98) et qui avait refusé d'épargner à Ben la banqueroute financière car, selon ses mots, il « ne prête pas aux

Ouda

pucelles ». (p. 97) Les événements s'accélèrent ; les suspects sont abattus les uns après les autres. Ben Hamid, le cafetier islamiste dont le véhicule a été utilisé lors des deux crimes initiaux, ainsi que les terroristes qui ont éliminé Ben Ouda : 1' »Afghan )) Zaddam Brahim, Blidi Kamel, JO, une « fleur de trottoir » au service de la police, Brigitte la compagne de Merouane Sid Ahmed dit « T.N.T. B. Quant a Gaïd Ali, le chef des tueurs, il est abattu par la police. L'inspecteur Bliss Nahs suggère au comissaire Liob d'interroger Abderrahmane Kaak, un « ex-guichetier d'un cinoche de bas quartier » (p. 159), devenu mystérieusement milliardaire, et dédicataire du livre que Ben Ouda avait écrit avant de mourir. Le suspect explique la signification des lettres HIV : « HIV.. . IV est un quatre romain. Ca veut dire H4.. ., d'où l'hypothèse

4.. . Ben m'avait expliqué qu'il s'agissait d'un programme diabolique conçu par un groupe d'opportunistes pour faire main basse sur le patrimoine industriel du pays » (p. 161). Quant au sigle N.O.S. il signifie Nouvel Ordre Social ; ce document énonce « un ensemble de mesures draconiennes arrêté par les grosses fortunes en question pour imposer leur nouvelle option économique » (p. 163) ; il s'agit en d'autres termes de « déstabiliser l'économie nationale de façon à forcer 1'Etat à brader une partie de son patrimoine industriel » (p. 182). En réalité, la privatisation de l'économie ayant rendu caduc le système du prête-nom, Abderrahmane Kaak, homme de paille du milliardaire Faïd, a ourdi une scénario afin d'éviter de restituer les biens de Dahmane Faïd. Il a volontairement fourni les documents du plan HIV à Ben Ouda de façon à déclencher les représailles sanglantes de Faïd et par là-même le compromettre. Dahmane Faïd, le commanditaire de tous ces carnages, est appréhendé. Kaak se suicide.

5. L'automne des chimères, Editions Baleine coll « Instantanés de

polar », 1998, Editions Gallimard coll. « folio policier N, 2000.

Ce cinquième et dernier roman de la série des aventures du commissaire Brahim Llob, ainsi que le suggère son titre L 'automne des chimères, retrace la fin pitoyable de ce

((

petit fonctionnaire à deux sous )) (p. 120) qui a passé

((

trente-

cinq années à subir toutes sortes de vexations, à croire dur comme fer à l'ordre, aux principes, à la loyauté malgré les mensonges, les manœuvres démagogiques, les saloperies )) (p. 44). En instance de mise à la retraite en raison du scandale provoqué par son roman Morituri, Brahim .Llob refuse de faire amende honorable ;dès lors son sort est scellé. Mis à l'écart, menacé, cambriolé, miraculeusement indemne après l'explosion d'une bombe, il perd son ami Da Achour assassiné par des terroristes. Peu de temps après la collation donnée à l'occasion de son départ à la retraite, il succombe à un attentat. Les rôles sont maintenant inversés ; l'enquêteur est devenu victime. L'identité des coupables ? Le roman n'apporte pas de réponses : ((

Ça peut être n'importe qui : la mafia, les politiques, les intégristes, les rentiers

de la révolution, les gardiens du Temple, y compris les défenseurs de l'identité nationale qui estiment que le seul moyen de promouvoir la langue arabe est de casser le francisant D (p. 98). Le procédé du retour des personnages est à l'œuvre dans la conception de ce roman : le lecteur retrouvera l'inspecteur Lino, le commissaire Dine devenu un "ripoux" comme l'inspecteur Bliss Nahs, Da Achour le sage, mais également fera connaissance avec de nouveaux spécimen de la faune des quartiers huppés d'Alger : (( Soraya K, la madame Claude locale D, le journaliste Kader Laouedj «un lèche-botte d'une rare abjection»(p. 50), madame Zhor Rym une éblouissante et richissime veuve,

((

le docteur Lounès Bendi, érudit légendaire et

opportuniste invétéré.. . )) (p. 69), (( cheïkh Alem, fervent adepte de la sédition en

92, [...] arborant doctement sa barbe subversive comme un porc-épic ses piquants » (p. 69). .. Ce cinquième roman policier clôt les aventures du ir

commissaire Llob. Son combat contre le mal de l'intérieur du système confinait à l'absurde puisque la conclusion s'impose que l'origine du désordre réside précisément dans le pouvoir lui-même ou dans ceux qui I'instrumentalisent.

X . MEDDI (Adlène) Le casse-tête turc, Éditions Barzakh, coll. ((Noir Barzakh N, no 1, septembre 2002. Le

((

Scorpion » doit enquêter sur une série de meurtres d'une jeune

prostituée Nawal Benghara qui s'était réfugiée à Alger pour fuir la région de Chlef où toute sa famille a été égorgée. Le meurtre semble dénué de mobiles : elle n'a pas subi de violences sexuelles et ses bijoux ont été retrouvés sur les lieux du crime. L'affaire se obscurcit car les meurtres de prostituées se poursuivent ; on retrouve auprès des corps d'étranges objets : une petite fiole contenant ... des lames et un petit cadenas fermé. Les contacts du

((

Scorpion » dans la corporation policière, le milieu

algérois et le monde du renseignement le convainquent qu'il ne s'agit d'actes à motivation sadique. L'absence de traces suggère que l'assassin disparaît d'une façon mystérieuse. Le Scorpion )) trouvera la solution dans le réseau des galeries souterraines turques. Un roman dont l'intérêt repose sur les vignettes de la vie algéroise : descriptions des lieux, personnages typiques, mais également dans l'invention d'un langage débridé, plein d'humour, de trouvailles, de jeux de mots. de calembours. La grande Histoire n'est pas au rendez-vous, la fiction policière ((

haut de gamme )) non plus. Un roman agréable à lire. Sans plus.

XI. MURATET François, Le pied-rouge, Paris, Le Serpent à plumes, coll. « Serpent Noir »,1999 « Porteur de valises, déserteur, maoïste, Charles Vroelant, l'ami de Ben Bella et

du Che, est mort mercredi matin [9 avril 19971 comme il a vécu : mystérieusement. » (p. 86) Qui a bien pu assassiner, mutiler, (selon les vieilles méthodes employées de part et d'autre au cours de la guerre d'Algérie), dans un petit hôtel de Paimpol, Charles Vroelant alias Max, fondateur et secrétaire général de 1'O.C.P. (Organisation

Communiste Prolétarienne) d'obédience

marxiste-léniniste ?

Porteur de valises dans le réseau Jeanson, déserteur de l'armée française en 59 au profit de l'A.L.N., conseiller "pied-rouge" de Ben Bella jusqu'en 64, date à laquelle l'aile gauche du F.L.N. est écartée, Max regagne la France et fonde l'O.C.P. en 1966. La rencontre, la même nuit dans le même hôtel, entre Max et Frédéric Guillemin, l'un de ses anciens compagnons de lutte, trente après la création de l'O.C.P., est-elle fortuite ? Le mari de Nadia Guellab, épouse Deltour, la maîtresse de Guillemin, serait-il l'assassin ? Le mari trompé aurait simplement commis une erreur sur la personne, tuant et émasculant, dans la folie de la vengeance, le chef au lieu de son adjoint... Mais l'affaire est bien moins simple qu'un adultère qui tourne mal, car, que faisait Ahmed Larbi, ce Français d'origine algérienne, planqué près du lieu du meurtre, la nuit du crime ? Quel est le rôle de cet ancien du F.L.N., reconverti dans l'islamisme, gérant à ses heures d'une librairie islamique, connu pour ses accointances avec le F.I.S. ? Et qui est réellement Montoya, le sinistre veilleur de nuit de l'hôtel ? Quelle est sa véritable identité : Marty, soldat fanatique de l'armée française pendant la guerre d'Algérie puis de l'O.A.S. ? Juan Martinez, truand médiocre recruté par les "s'ervices franquistes" pour accomplir la sale besogne au pays basque ou contre les communistes ? Ou encore Mercader tueur au service du S.A.C. après la fin du franquisme ? Pourquoi la victime dissimulaits(

elle des documents confidentiels du F.I.S. ? Charles Vroelant avait-il vraiment rompu tout lien avec Alger ou travaillait-il aussi pour la Sécurité Militaire, ce que laisserait supposer son rôle d'observateur pour l'Algérie au cours d'entretiens secrets, avant Oslo, entre l'O.L.P. et Israël ? Les preuves détenues par Max sur la collusion entre « des islamistes radicaux

- les

combattants de l'islam, plus ou

moins en marge du FIS et, paraît-il, soutenus par les dollars saoudiens - et des chevaliers de l'Ordre du Nouveau Temple », proches du Front National fiançais, seraient-elles la cause de sa liquidation ? Un narrateur "omniscient", "absent", fait progresser l'enquête actuelle en la ponctuant d'analepses portant sur un traumatisme infantile de Guillemin, l'ami de la victime, sur le passé militant de Max (du syndicalisme étudiant aux luttes politiques françaises des années 70 en passant par l'expérience militaire dans une armée impérialiste et les souvenirs algériens) ainsi que sur le passé fasciste de l'inquiétant Montoya. L'enquête de Frédéric Guillemin et de la police, en remotant vers le passé, remonte également vers la vérité.

XII. SIMON (Catherine) Un baiser sans moustache, Editions Gallimard, coll. « Série Noire », no 2488,1998 Le chaos d'Alger, entre 1992 et 1995. Alya, issue d'un couple mixte, recherche sa mère, Yolande Benabdallah, mystérieusement disparue. L'enquête est menée par une sorte de « Club des cinq » algérois : Emna Aït Saada, truculente professeur de géologie, Taoufik Benslimane, journaliste sur la touche, Hocine, enfant prodige, sa grand-mère douée de pouvoirs de voyance, et Alya, la fille de Yolande. Le mystère de la disparition de Yolande est d'autant plus troublant que la famille Benabdallah est victime d'assassinats successifs : Ghania, la nièce, et Fatima, la première épouse de Hassan Benabdallah sont massacrées. Rabah Touati, le gardien de l'entrepôt de Hassan est égorgé. Hassan lui-même, victime d'un attentat, est achevé sur sor, lit d'hôpital. Tous les temoins du trafic louche qui

se déroule à l'entrepôt de Hassan sont éliminés : Lounès l'employé de la station service, des voisins trop curieux, ... L'enquête est particulièrement délicate et dangereuse, tant la situation socio-politique et sécuritaire est confuse ; en effet, selon Emna : « On ne sait même plus très bien ce qui se passe. On apprend les choses par bribes, on colle ensemble des bouts d'indice, on additionne des rumeurs. On dit que le GIA, infiltré par les flics, fait des carnages chez l'AIS. Et que L'AIS se venge en descendant des flics, qui eux-mêmes se rattrapent en torturant les jeunes qui, demain ... Quelle bouillasse ! » (U B.S.M, p. 2 15). L'enquête, qui mènera Emna à Mostaganem, Oran et dans un village côtier, Port-aux-Poules, près d'Arzew, débouche sur une culpabilité collective : sont ainsi impliqués dei « tueurs de la sécurité militaire », des islamistes, la

« maffia », un adolescent paumé amoureux de sa sœur, ... On apprendra finalement que Hassan Benabdallah et son frère Omar se livraient à un trafic d'armes alimentant le terrorisme islamiste sous le regard bienveillant et même la complicité de l'armée. C'est l'infortune de Ghania, la nièce d'Omar, engrossée par le responsable militaire protecteur du trafic qui déclenchera la cascade de meurtres : Hassan, ayant cessé l'approvisionnement des maquis, sera en butte à la vindicte des islamistes ; ses complices seront éliminés par la sécurité militaire pour leur faire garder le silence. Un roman à la thèse explicite : la violence algérienne de la dernière décennie serait aussi bien le fait des terroristes islamistes que des forces de sécurité. Bien que Catherine Simon prenne le soin de corriger une éventuelle mauvaise lecture de son roman, en précisant : « Attention, je ne blanchis pas les islamistes ! » (Interview, p. 7), son obstination à noircir l'image de l'armée et à perpétuer la question théoriquement dépassée (depuis le 11 septembre 2001) : c(

Qui tue qui ? », ainsi que la multiplication de séquences dans lesquelles

militaires et islamistes sont renvoyés dos à dos, aboutissent à une lecture partiale et erronée du conflit.

Un roman dans la ligne éditoriale du quotidien français, Libération, et qui devrait ravir mesdames José Garçon et Florence Aubenas. Les attentats et les massacres commis un peu partout de par le monde sont, sans équivoque, attribués aus extrémistes islamistes : seule l'Algérie pour on ne sait trop quelle raison ferait exception ; à chaque événement sanglant, se répètent les mêmes accusations faisant état de la compromission de l'armée. Abstraction faite de cette irrecevable lecture politique du conflit et de quelques invraisemblances du scénario, (scènes de divination ou élimination en mer d'un tueur de la sécurité militaire par Emna au moyen d'une bonbonne de gaz !), ce roman se lit avec plaisir, notamment en raison de l'humour des dialogues, des détails vrais du quotidien algérois. A regretter aussi, la volonté pédagogique trop soulignée de diffusion d'un discours féministe manifestement trop manichéiste. A trop vouloir prouver.. .

XIII. ZAMPONI (Francis) Mon colonel, Éditions Actes Sud, coll.

Babel Noir P, no 375, 1999

Qui a assasiné, M. Raoul Duplan, un ancien activiste O.A.S., colonel en retraite, de deux balles dans la tête ? Le G.I.A., pour le punir de «ses crimes commis contre le peuple algérien », (p. 17) comme le suggère une lettre de revendication ? Ou alors ses compagnons d'arme des « Commandos Delta » pour « sa trahison des idéaux de I'OAS » (p. 17) ?

A moins qu'il ne faille voir là, la main de la Sécurité Militaire algérienne irritée du rôle attribué à Raoul Duplan au sein du C.S.P.A.F. (Comité de Salut Public Pour Une Algérie Fraternelle), rassemblant : des harkis, des Juifs, des Kabyles, des Berbères arabes, et des pieds-noirs, comité ayant tenté « de susciter la création de maquis en Algérie et particulièrement en Kabylie. » (p. 13). Comité soupçonné également d'un attentat contre le Consulat d'Algérie à Marseille en

1986, et dont la dissolution aurait entraîné la mise sur pied

((

d'une structure

d'appui aux mouvements d'opposition au gouvernement algérien. N (p. 13) L'investigation policière s'avère ardue. Pas de témoins, pas de mobiles clairs. Qui pouvait bien avoir intérêt à éliminer ce

((

saint-cyrien, soldat puis

maquisard, déporté à Buchenwald, ancien de l'Indochine, [conjuré] au putsch des généraux en avril 1961, avant de devenir l'un des chefs de I'OAS.

))

(résumé, page

de garde), un demi-siècle après la cessation des hostilités ? Des lettres anonymes orientent l'enquête du S.R.P.J. de Montpellier. Elles révèlent successivement de façon énigmatique : ((

Le colonel est mort à Saint-Arnaud, [actuellement El-Eulma, dans l'Est

algérien] )) (p. 18) « Le commissaire Reidacher a travaillé avec le colonel Duplan. Sait-il

pourquoi il est mort ? )) (p. 67) ((

Le capitaine Roger doit pouvoir comprendre la raison pour laquelle le

colonel Duplan a été exécuté. Demandez-lui donc pourquoi il avait baptisé son domicile mas Saint-Arnaud. N, (p. 11 l), etc. Seront successivement entendus le fils de la victime, M. Bernard Duplan,

M. Lucien Reidacher l'ex-commissaire de Saint-Arnaud, localité où la victime séviçait pendant la guerre d'Algérie, M. Roger André, le suppôt du colonel Duplan dans sa conception sans états d'âme, pragmatique et totale de la guerre contre-révolutionnaire

:

((

encadrement

de

la

population,

action

psychologique, tortures, tout ce qui ensuite a été appliqué de façon systématique. en particulier pendant la bataille d'Alger en 1957, a été testé par lui à SaintArnaud. )) @. 170) La police entendra également M. Philippe Garraud, sous-préfet de SaintArnaud en 1957, M. René Ascencio, instituteur à la même époque dans la même localité. La découpage narratif alterne des correspondances policières, des notes des Renseignements Généraux, des comptes-rendus d'enquête, des rapports d'interrogatoire, mais également les lettres d'un jeune soldat français, servant sous le colonel Duplan, à son père. Airisi, le présent de l'enquête policière s'enchevêtre

avec le témoignage "autobiographique" et autorise une exploration cathartique d'un passé encore vivant. Sans "intrusions d'auteur", sans manichéisme, une redoutable efficacité de persuasion par la simple confrontation des positions idéologiques. À lire absolument.

II. DOCUMENTS DIVERS 1.