février-mars 1999 Eau plus nette ? oui ou non P.19-22

échantillons (des autres fleuves), ni combien il y en avait, ni quelle méthode a été utilisée. Pour comprendre le Saint-Laurent, ajoute M. Green, il faut regarder ...
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Vol.16, nº1 - février-mars 1999 Eau plus nette ? oui ou non P.19-22 - Anne Vézina La vie serait impossible sans eau. Cette simple vérité n'a toutefois pas empêché les humains de malmener les cours d'eau, en y jetant leurs déchets d'une main et en arrachant les milieux humides de l'autre. Depuis les années 70, cependant, différentes mesures environnementales ont eu des retombées bénéfiques sur la santé des cours d'eau, en général, et du Saint-Laurent, en particulier: interdiction des phosphates dans les détergents, élimination du plomb dans l'essence, bannissement des BPC dans les huiles, mise au rancart de pesticides persistants tels le DDT et le Mirex ... Tout le monde s'entend pour dire que la pollution a nettement diminué depuis le pic des années 60. Le bilan des 15 dernières années, par contre, ne rallie pas les troupes. Les chercheurs d'Environnement Canada affirment que le Saint-Laurent se porte plutôt bien, alors que des environnementalistes rétorquent qu'il n'y a pas eu de baisse notable de la pollution depuis le milieu des années 80, et ce, malgré les réductions de rejets de contaminants. Pas étonnant que le public ait de la difficulté à se faire une idée, fait remarquer Pierre Béland, directeur de l'Institut national d'écotoxicologie du Saint-Laurent (INESL). Comme la Seine? L'automne dernier, Environnement Canada annonçait, avec tambours et trompettes, que l'eau du Saint-Laurent s'était améliorée et se comparait favorablement à certains fleuves européens, comme la Seine. Le Ministère s'appuyait sur un bilan des contaminants, réalisé par le Centre Saint-Laurent (CSL). Dans le cadre de cette étude, des chercheurs avaient mesuré 87 contaminants, pendant 18 mois, à trois endroits dans le fleuve: à Cornwall, pour évaluer les apports du lac Ontario, à Carillon, pour les apports de l'Outaouais, et à Québec. Il s'agissait de dresser un bilan entrée-sortie des contaminants. Nous voulions savoir si le Saint-Laurent était un puits ou une source pour différents contaminants, précise Thanh-Thao Pham, une des auteurs de l'étude. S'il en sort plus qu'il en entre, cela signifie que certaines sources se trouvent à l'intérieur du fleuve. C'est le cas avec les BPC : la concentration moyenne mesurée à Québec est trois fois plus élevée qu'à Cornwall. Mais faute de stations d'échantillonnage entre ces deux points, les chercheurs sont incapables de dire d'où proviennent ces BPC. Ils affirment seulement que ces teneurs se comparent avantageusement à celles d'autres cours d'eau dans le monde. Ces affirmations sont malhonnêtes, rétorque Daniel Green, de la Société pour vaincre la pollution (SVP): Ils ne disent pas où ont été pris les échantillons (des autres fleuves), ni combien il y en avait, ni quelle méthode a été utilisée. Pour comprendre le Saint-Laurent, ajoute M. Green, il faut regarder ses diverses sections. Dans le lac Saint-Louis, par exemple, une analyse de données recueillies par la SVP et le ministère de l'Environnement et de la Faune (MEF) n'a pas révélé de diminution de mercure dans les poissons, entre 1986 et 1994. Or, chez les poissons piscivores, notamment, les taux de mercure dépassent souvent la norme pour la consommation humaine. Il y a eu une réduction entre 1975 et 1986, mais pas depuis lors; il y aurait peut-être même eu une légère augmentation en 1992 et 1993.

Beaucoup plus bas sur le fleuve, Pierre Béland de l'INESL n'a pas, non plus, remarqué d'amélioration notable chez les bélugas. Entre 1982 et 1994, les niveaux de BPC ont légèrement diminué chez les mâles, mais non chez les femelles. Qui plus est, les teneurs en DDT chez ces dernières étaient plus élevées en 1993 et 1994 qu'entre 1982 et 1985. Les animaux peuvent être contaminés même si l'eau est redevenue propre, soutient Pierre Béland. Le problème viendrait des sédiments souillés par toutes ces années d'insouciance environnementale. Les contaminants sont remis en circulation par les vers et les larves qui entrent dans la chaîne alimentaire. Là où il y a concentration, il faudrait enlever les sédiments contaminés, renchérit Daniel Green. Après avoir diminué considérablement dans les années 70 et 80, le niveau de pollution semble se stabiliser. En viendrons-nous à considérer comme acceptable un certain taux de pollution, comme on le fait pour le chômage? se demande Guy Larochelle de Stratégies Saint-Laurent. C'est à voir, dit-il. Chose certaine, faire baisser la pollution résiduelle coûte énormément cher. Les coliformes En attendant, ce qui empêche les gens de profiter davantage du fleuve, en s'y baignant par exemple, ce n'est pas tant la pollution chimique que la contamination par les coliformes fécaux qui proviennent des déjections humaines et animales, et ce, malgré le programme d'assainissement des eaux lancé par le gouvernement du Québec en 1978. Aujourd'hui, plus de 97% de la population riveraine du Saint-Laurent est desservie par une station d'épuration. Malgré cela, on ne peut toujours se baigner, ni à Québec, ni à Montréal. À Montréal, le problème vient du fait que le traitement physicochimique n'enlève qu'environ le quart des coliformes fécaux. En été, la Communauté urbaine de Montréal (CUM) rejette 920 milliards de coliformes à la seconde à sa station de l'est de l'île de Montréal, et ce, après épuration! Grâce au fort pouvoir de dilution du SaintLaurent, la concentration en coliformes s'estompe vite, mais compromet quand même la baignade jusqu'à Bécancour, souligne Serge Hébert du MEF. Il faudrait que la CUM et les autres grosses municipalités de la région désinfectent leurs eaux usées. Mais le MEF a interdit la désinfection au chlore, la seule solution qui, jusqu'à tout récemment, s'offrait aux stations d'épuration pour traiter de grandes quantités d'eaux usées riches en matières organiques. La raison de l'interdiction est que le chlore entraîne la formation de produits cancérigènes. Sauf que la CUM pourrait maintenant utiliser des lampes à rayons ultraviolets. Il lui en coûterait une quarantaine de millions de dollars pour s'équiper : une goutte d'eau comparé au milliard 400 millions déjà investis, mais une goutte d'eau importante pour les secteurs affectés par cette pollution. La qualité de l'eau autour de l'île s'est quand même grandement améliorée depuis la mise en service de la station d'épuration de la CUM, souligne Guy Deschamps, biologiste à la Division de l'assainissement de l'air et de l'eau de la CUM. Par temps sec, elle rencontre les normes pour la baignade, sauf dans la portion est de la rivière des Prairies. En temps de pluie, toutefois, la situation se gâte.

C'est que l'eau de ruissellement accumule des métaux, des matières en suspension et des coliformes fécaux. Là où l'eau de pluie est dirigée vers les égouts sanitaires, il y a débordement lorsqu'il pleut abondamment. Il faut alors rejeter le surplus - eau de pluie et eaux usées mélangées - directement au fleuve sans les traiter. L'idéal, selon Guy Deschamps, serait de ralentir l'arrivée des eaux pluviales dans les égouts, par exemple, en construisant des réservoirs souterrains. À Québec, la Ville est prise avec le même problème. On pourrait ouvrir certaines plages à la baignade, mais il faudrait les fermer aux premiers signes de pluie, explique Guy Larochelle de Stratégies SaintLaurent. L'agriculture en cause Pour l'ensemble des cours d'eau du Québec, la situation s'est aussi améliorée, mais l'agriculture demeure une source importante de pollution. Entre 1979 et 1994, le phosphore et l'azote ammoniacal (qui provient des déjections humaines et animales) ont diminué, mais les concentrations sont encore passablement élevées, juge Jean Painchaud du MEF. Quant aux nitrates (des formes oxydées de l'azote), ils ont augmenté. La culture du maïs constitue un gros morceau du problème, surtout lorsque combinée à l'élevage du porc. Les champs de maïs reçoivent près de la moitié des pesticides utilisés au Québec, alors qu'ils n'occupent que 17% des superficies cultivées. Les agriculteurs, constate Jean Painchaud, ont tendance à surfertiliser dans l'espoir d'obtenir des rendements meilleurs. Et ils ne tiennent pas toujours compte de l'azote et du phosphore contenu dans le lisier de porc qu'ils épandent en plus des engrais minéraux. Il faudrait en venir à un bilan nul où les quantités de fertilisants utilisés au sol seraient égales à ce qu'utilisent les plantes. D'autre part, la culture du maÏs explique en partie l'augmentation des matières en suspension observée dans certains cours d'eau, la rivière Yamaska notamment. Ce type de culture, explique Jean Painchaud, laisse le sol à nu, ce qui augmente l'érosion et se répercute sur les cours d'eau, compte tenu de l'omniprésence du drainage agricole. Quand rien n'est fait pour contrer l'érosion dans les champs, le sol (et une partie des pesticides) est en effet évacué directement au cours d'eau par les fossés de drainage. Une portion des matières en suspension que cela créé dans les rivières se rend jusqu'au fleuve. Selon le bilan entrée-sortie réalisé par le Centre Saint-Laurent, les teneurs en matières en suspension à Québec sont beaucoup plus élevées qu'à Cornwall et à Carillon. Cela témoigne d'un apport considérable à l'intérieur du tronçon Cornwall-Québec, signale Than-Thao Pham. Mais les rivières ne sont pas la seule source de matières en suspension. Le fleuve aussi est soumis à l'érosion. Rives érodées Denis Lehoux, du Service canadien de la faune, a comparé des photos aériennes de 1964 et 1983. Il a mesuré qu'entre Cornwall et Sorel, l'érosion des rives des îles et de la terre ferme représentait une perte de 40 ha par année. Une vingtaine d'hectares supplémentaires disparaîtraient entre Sorel et Québec. Cette usure serait exacerbée par les vagues des bateaux : la voie maritime passe à moins de 600 m des rives à certains endroits, note M. Lehoux. Ce dernier ne peut cependant pas dire dans quelle proportion l'érosion des berges contribue à la charge en matières en suspension mesurée à Québec, ni si la vitesse de recul de la rive a changé depuis 1983.

Néanmoins, cette lente disparition des îles est un phénomène inquiétant, en soi et parce que ces îles protègent, de l'érosion, les milieux humides situés derrière elles. On ne sait pas combien de milieux humides le Saint-Laurent a perdu à cause de l'érosion depuis 15 ans. Mais Normand Traversy, du MEF, espère que le travail entrepris dans le cadre du Plan d'action Saint-Laurent aura à tout le moins permis de contrecarrer certaines pertes. À la fin de la troisième phase, qui vient de débuter, 13 600 ha auront été protégés. Des milieux humides ont aussi été aménagés ou protégés dans le cadre du Fonds de restauration de l'habitat du poisson, créé à partir des trois millions de dollars d'amende payés par la compagnie Tioxide pour avoir déversé illégalement des acides et des métaux lourds dans le fleuve. Et d'autres travaux ont été effectués par le plan conjoint des habitats de l'Est, une initiative canado-américaine. Pour sa part, le MEF a bien une politique de protection du littoral, mais cette politique est tellement compliquée que personne ne la comprend, fait valoir Guy Deschamps de la CUM. Par ailleurs, les milieux humides privés, ou appartenant à des municipalités, sont passablement vulnérables, estime Normand Traversy. Il s'agit d'endroits alléchants pour les promoteurs immobiliers, et les municipalités font l'objet de pressions pour les céder. Guy Larochelle, de Stratégies Saint-Laurent, note qu'on est encore loin d'une gestion intelligente de nos eaux. Selon lui, il faudrait, entre autres, instaurer un système de compensation financière pour équilibrer utilisation et protection des milieux. Les armateurs, par exemple, pourraient verser des redevances qui iraient à la consolidation des berges, dont l'érosion est en partie causée par les vagues de leurs bateaux. L'eau est un bien public, dit-il. Une autre vérité simple qu'on a tendance à oublier.