Europe et Culture - un couple à réinventer

multilatérales face à la mondialisation. Maxime Gueudet ... Et c'est évidemment le second volet qui, au bout d'un moment, devient la condition du premier. ».
73KB taille 3 téléchargements 50 vues
Europe et Culture : un couple à réinventer ? Essai sur 50 ans de coopération culturelle européenne Anne Marie Autissier Agrégée de lettres modernes et docteur en sociologie, Anne-Marie Autissier enseigne la sociologie de la culture et les politiques culturelles européennes à l’Institut d’études européennes de l’université de Paris VIII. Elle préside aussi l’association éditrice de la revue Culture Europe International et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l’Europe, dont notamment « L'Europe de la culture : histoire(s) et enjeux » (2005), et « Guide du cinéma et de l'audiovisuel en Europe centrale et orientale » (1992). Ses thèmes de recherche et de publications sont les politiques et pratiques culturelles en Europe et les coopérations multilatérales face à la mondialisation. Maxime Gueudet, membre de Génération.s, nous donne son analyse de l’ouvrage « Europe et Culture : un couple à réinventer », en revenant sur 50 années de coopération culturelle européenne, et explique pourquoi nous devons toujours considérer l’Europe de la culture comme un enjeu prioritaire aujourd’hui. Conceptualisée depuis Érasme, l’idée d’une Europe unie par la culture est aujourd’hui plus que jamais nécessaire. « Le monde entier est notre patrie à tous » écrivait l’humaniste, phrase militante qui résonne avec toujours autant de force à notre époque. Depuis les premiers programmes financés à la suite de la signature du traité de Maastricht en 1992, l’Union européenne (UE) a réaffirmé la nécessité de soutenir la culture, de faire connaitre les cultures spécifique des pays membres, au sein de l’Union et dans le monde. Il est également nécessaire de faire émerger une culture européenne, au-delà d’une adhésion à l’UE. En effet, les institutions européennes n’ont pas le monopole du sentiment européen, et la défiance croissante des citoyens européens et de certains membres de l’Union ont malheureusement comme conséquence la diminution du sentiment européen. Quels sont alors les dispositifs culturels mis en place par l’UE ? Quels bénéfices apportent-ils aux citoyens de l’Union et aux Etats-membres ? Quelles critiques adresser à leur encontre ? Mais avant tout : comment réaliser enfin l’utopie d’une culture commune, partagée, et le sentiment de compréhension mutuel ?

Europe et Culture : dispositifs et programmes « En fait, construire l’Europe de la culture, c’est entreprendre deux démarches simultanées et contradictoires : valoriser les éléments de la culture commune sans lesquels un projet politique commun ne pourrait durer ; reconnaître et valoriser les éléments de différence culturelles. Et c’est évidemment le second volet qui, au bout d’un moment, devient la condition du premier. » Dominique Wolton, dans son ouvrage l’Autre mondialisation, paru en 2003, résume simplement la politique culturelle de l’UE en deux courants : la promotion de la culture européenne et la promotion des éléments des cultures spécifiques. Ce dernier élément fait partie intégrante du vocable culturel depuis les années 70, et sera réaffirmé par Catherine Trautmann en 1998 (« la diversité culturelle est l’objectif, l’exception culturelle le moyen »). La convention de l’UNESCO de 2005, portant sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles grave dans le marbre cette notion essentielle.

Les dispositifs mis en place par l’UE depuis 1992, sont-ils cependant de taille à protéger et promouvoir la diversité culturelle européenne ? Depuis les premiers pas de l’Union Européenne dans le domaine de la culture, les secteurs de prédilection sont le patrimoine, le cinéma ainsi que l’audiovisuel. Ces choix ne sont pas anodins, il sont avant tout économiques. Pour le premier, il s’agit d’une obligation de la part des Etats-membres (« chaque partie contractante prendra les mesures propres à sauvegarder son apport au patrimoine culturel commun de l’Europe et à en encourager le développement. »). Le patrimoine monumental, ressource importante pour le tourisme, est bien évidemment encouragé. Mais doit-on signaler les faibles soutiens européens à la restauration et à la préservation du patrimoine en Europe, malheureusement soumis à l’appréciation des gouvernements nationaux ? L’exemple italien est frappant : c’est l’UNESCO qui a dû tirer la sonnette d’alarme en 2008, face au dépérissement des sites de Pompéi and Herculaneum. Concernant le cinéma ainsi que l’audiovisuel, ces secteurs sont évidemment porteurs pour l’Europe en terme de soft power à l’étranger et font ainsi l’objet d’attention particulière. Il en est de même pour les « industries culturelles », nouveau terme pour caractériser les secteurs de la culture, rejoints par l’audiovisuel. C’est avec cette idée, profondément économique, que le programme Média de l’UE sera fondé en 1991. Ce programme vise à constituer un environnement favorable pour toutes les entreprises de l’industrie audiovisuelle, et ainsi contrer la domination américaine sur le marché européen. Un fond de soutien « Eurimage » est aussi institué pour promouvoir les productions cinématographiques européennes. Se sont ensuite développés plusieurs programmes européens, visant à remplacer les centaines de programmes non-visibles. En 2002, le programme Culture 2000 voit le jour, notamment pour aider au financement des réseaux européens, des festivals, et des études sur la coopération culturelle européenne. Le programme des villes Européennes de la culture est également rattaché à ce programme. Il a aujourd’hui été remplacé par le programme Europe Créative. Les capitales européennes de la culture : un vrai succès ? Ce programme, parmi les plus connus en Europe, est né en 1985, soutenu par la ministre grecque de la culture Melina Mercouri, ainsi que par Jack Lang. Chaque ville européenne peut ainsi se proposer « d’ouvrir au public européen des aspects particuliers de la ville désignée ». Trois critères sont retenus pour qualifier la ville candidate : la dimension européenne du projet, l’aspect participatif, mais également la régénération urbaine liée au projet. Le financement de la part de la Commission européenne est minime au regard du coût total des projets (1,5 million d’euros de subvention pour un budget total de 150 millions d’euros pour Marseille-Provence-Côte d’Azur en 2013) Certaines villes ont ainsi pu prendre un nouveau départ et augmenter leur fréquentation touristique, comme Glasgow en 1990 ou encore Lille en 2004. Le succès de certaines éditions masque cependant assez mal les ratés de ce programme. Les éditions organisées en Europe de l’Est font face à un grave manque de visibilité, les villes retenues font rarement un suivi dans le temps des politiques entamées, rapprochant ainsi le programme d’un festival plutôt que d’une

politique ancrée dans le temps.

Le financement des réseaux européens est intéressant à analyser, au vu notamment de la confiance gagnée auprès des institutions européennes. La création des réseaux culturels européens s’est faite suite au constat de l’éloignement des bureaucrates européens des questions artistiques et culturelles. La faible connaissance des institutions européennes par les artistes et les travailleurs culturels, ainsi que l’opportunité de former de nouveaux marchés ont également encouragé la création de réseaux culturels européens. Ces réseaux, comme IETM pour le théâtre, ou Trans Europe Halles pour les friches culturelles, se constituent comme lobbies culturels. Ils sont un médiateur entre les programmes européens et leurs membres nationaux, mais également un médiateur entre les initiatives culturelles nationales elles-mêmes.

La culture selon l’Union Européenne : amour et désamours Concernant la circulation des œuvres et des artistes, l’UE s’est construite au bénéfice des artistes et de leurs créations. Le formulaire A1 et la directive sur les travailleurs détachés bénéficie ainsi aux artistes, comme il bénéficie aux salariés européens des autres secteurs d’activités. La circulation des œuvres est également facilitée par la libre circulation des biens et des capitaux en Europe. Cependant, il faut reconnaître la difficulté pour Bruxelles de consacrer dans les faits une exception à la culture. En effet, le détachement est en réalité une réelle difficulté pour les artistes de certains pays membres de l’Union, dont les administrations peinent à délivrer ce formulaire. L’exportation illégale de biens culturels est formellement interdite depuis les années 2000, mais l’application d’un taux réduit de TVA a eu pour conséquence de faire diminuer le volume d’achat d’œuvres d’arts en Europe, du fait du surenchérissement des prix. En cause, la méconnaissance par les bureaucrates européens du secteur culturel. Concernant la TVA, toujours, le taux réduit est appliqué pour certaines exceptions culturelles figurant à l’annexe de la directive éponyme. Cependant, celle-ci ne concerne que certains secteurs, dont sont exclus notamment la musique enregistrée, et pendant longtemps le livre numérique, qui était catégorisé comme « fourniture de service » et non comme bien culturel. Plusieurs questions sont actuellement dans le viseur des institutions européennes, et viennent fondamentalement remettre en question notre vision du soutien à la culture : les aides nationales au cinéma, le périmètre de l’audiovisuel public, ou encore la création d’un droit d’auteur européen harmonisé.

Manifeste pour une Europe de la culture Il est aujourd’hui indispensable que l’Union européenne renforce son soutien à la culture. Les programmes successifs font état de soutien aux initiatives européennes et transnationales, et parfois les directives protègent les industries culturelles. L’Europe fait aujourd’hui face à de nouveaux défis que la culture peut lui permettre de relever :

-

Une initiative européenne doit être prise à l’encontre des GAFAN. En 2015, la directive SMA (service des médias audiovisuels) oblige les fournisseurs de services audiovisuels à respecter les principes de l’Union européenne, et notamment le pluralisme des médias, la promotion de la diversité culturelle. Au nombre de ces obligations figure celle d’un investissement dans un contenu original. Une initiative européenne est nécessaire pour faire appliquer cette directive à Netflix, Amazon et Google, afin de les obliger à investir dans des productions européennes et ainsi contribuer au financement des industries culturelles européennes.

-

L’Union européenne doit protéger en Europe la diversité des opinions, et ainsi protéger les artistes des dérives nationalistes des Etats-membres. En Hongrie, par exemple, les dépenses culturelles ont augmenté, mais au profit d’une « culture nationaliste » et d’une histoire révisée. Au Portugal et dans d’autres pays, la crise économique a frappé de plein fouet les industries culturelles désormais fermées ou asphyxiées. Protéger la diversité culturelle européenne, c’est également soutenir les institutions nationales mises en danger par les politiques nationales où la baisse des subventions nationales.

-

Il est nécessaire de faire de la culture européenne un outil de dialogue dans la mondialisation. A l’heure de la mondialisation des échanges et dans un contexte de migrations accrues, l’Union doit soutenir davantage les initiatives de dialogue entre l’Europe et le reste du monde. La captation du dialogue euro-méditerranéen par la France et certains autres Etats-membres, puis son enterrement, est à déplorer. Le travail de dialogue est désormais assuré par la fondation Anna Lindh, mais le dialogue devrait reprendre au niveau européen, avec notamment des programmes dédiés. L’apprentissage et le partage mutuel entre l’Europe et le reste du monde devrait être le nouveau point de départ de la politique culturelle internationale de l’UE.

-

Il est plus que nécessaire de lutter contre l’hégémonie des industries culturelles et de promouvoir également les autres expressions. La concentration des politiques culturelles sur l’audiovisuel, le cinéma et le patrimoine nuit fortement à l’affirmation d’une culture européenne diversifiée. La récente fusion des programmes Média et Culture sont un mauvais signal pour l’affirmation des autres expressions culturelles.

-

Il est temps que l’Union européenne se penche sur la constitution d’un public européen, autrement que dans une logique quantitative et marketing, propre à l’évaluation de ses investissements et de ses politiques. Il est important que l’Europe se dote enfin d’un projet culturel européen, qui renforce le sentiment européen des citoyens de l’Union et qui soit vecteur de lien social.