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un casse-tête. Ce sont les ..... sensibilité, pas seulement avec leur technicité. Puisqu'ils peuvent ..... les autres dans leur sensibilité et les amè- nent eux aussi à ...
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Inventer l’accompagnement des adolescents en situation de handicap moteur en SESSD

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Inventer l’accompagnement des adolescents en situation de handicap moteur en SESSD Recherche-action rédigée par Carine Maraquin, psychologue, SESSD Évry

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Groupe de travail • Animateur 

Paul Perez, psychologue, formateur consultant

• Co-encadrant

Dominique Leviel, conseillère réseau enfance jeunesse

• Participants

Nathalie Adnot, ergothérapeute, SESSD La Rochelle Isabelle Bada, assistante sociale, SESSD Alès Hélène Chevalier, ergothérapeute, SESSD Alès Nicole Couriol, éducatrice, SESSD Gap Stéphanie Dubois, psychomotricienne, SESSD Thionville Catherine Gabet, éducatrice spécialisée, SESSD Épinal Mélanie Jacquot, psychologue, SESSD Thionville Marie-Noël Lacour, psychologue, SESSD Arpajon Delphine Lefevre, parent, SESSD Plescop Carine Maraquin, psychologue, SESSD Évry Geneviève Masson, kinésithérapeute, SESSD Évry Guillaume Motard, éducateur spécialisé, SESSD Niort Dominique Nadaud, éducateur spécialisé, SESSD La Rochelle Paquita Pasquet, aide-médico-psychologique, SESSD Épinal Daniel Perrin, parent, SESSD Niort Simon Pitaud, éducateur, SESSD Alès Annaïck Plouhinec, éducatrice spécialisée, SESSD Plescop Pascale Rousselon, éducatrice, SESSD Arpajon

• Écriture du document 

Carine Maraquin, psychologue, SESSD Évry

Nous remercions Delphine et Geneviève pour leur relecture.

SESSD : Service d'éducation et de soins spécialisés à domicile

Objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Modalités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Participants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La forme de cet écrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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L’adolescence des jeunes en situation de handicap en SESSD . . . . . . . . . 9 1 – À quoi reconnaît-on les adolescents en SESSD ? . . . . . . . . . . . . . . . . 9 2 – Remettre en cause les adultes mais aussi s’appuyer sur eux . . . . . . 11 3 – Trouver son groupe et créer du lien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 4 – La sexualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 5 – Prendre conscience de ses limites mais aussi de son handicap . . . . 16 6 – Exprimer de l’agressivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 7 – La question de l’autonomie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 8 – La scolarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 9 – L’adolescent et les soins (rééducation et éducation) . . . . . . . . . . . . 23 10 – Faire avec sa famille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

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Le vécu des familles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

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Les professionnels et l’institution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

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Parents et professionnels, se rencontrer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

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Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

1 – Une crise familiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 2 – La fratrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 3 – Du lien social à travers le SESSD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

1 – Les professionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - Une confrontation fragilisante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - Se choisir mutuellement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - La sexualité ? De qui ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - Le domicile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - La scolarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 – L’institution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - Un groupe pour les professionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - La question de l’arrêt du suivi à l’adolescence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

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Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

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Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

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Sommaire

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1 - Nous parlerons ici de SESSD (Service d’éducation et de soins spécialisés à domicile), appellation spécifique choisie par l’APF pour désigner un SESSAD (Service d'éducation spéciale et de soins à domicile).

Cette recherche-action ne remet pas en question la place des adolescents dans les SESSD. Elle repose au contraire sur l’idée que l’accompagnement d’un SESSD est utile aux adolescents et vise à justement ne pas répondre au processus d’adolescence par une rupture thérapeutique. Elle vient, à partir de ce principe, questionner nos pratiques. Comment accompagne-t-on aujourd’hui des adolescents en SESSD ? Comment les professionnels prennentils soin des adolescents, avec ce que ça leur fait de les accompagner ? Elle vise à développer de nouvelles compétences chez les professionnels des SESSD pour leur permettre d’ajuster leurs pratiques aux caractéristiques et aux besoins des adolescents en situation de handicap moteur.

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Il y a encore quelques années, l’absence de structures de soutien dans les collèges faisait qu’un certain nombre d’enfants quittaient les SESSD vers l’âge de 12 ans pour intégrer un établissement spécialisé. Aujourd’hui, avec la création des Unités pédagogiques d'intégration (UPI), les jeunes des SESSD peuvent poursuivre leur scolarité au collège, puis au lycée, ou dans leur quartier. Les SESSD peuvent poursuivre les accompagnements, à la demande des parents, des établissements scolaires, ou par suite logique d’un soutien entamé depuis longtemps. Quelques rares structures ont fait le choix de les laisser voler de leurs propres ailes, souvent devant la pression d’une liste d’attente remplie d’enfants plus jeunes pour lesquels la prévention leur

paraît primordiale. Les autres les suivent mais en se questionnant fortement sur l’opportunité de leur suivi ou sur ses modalités. • Comment continuer les soins d’un corps devenu mature sexuellement ? (Comment toucher, comment prendre en compte les changements liés à la puberté ?) • Comment garder une " bonne distance " qui ne sera plus la même que dans l’enfance, trouver d’autres repères. • Comment faire face aux questionnements que ces jeunes ne manquent pas d’adresser aux adultes sur leur devenir de femme ou d’homme, au-delà du handicap…

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es professionnels des Services d’éducation et de soins spécialisés à domicile (SESSD1) s’interrogent depuis plusieurs années sur l’accompagnement des enfants devenus adolescents. Car les adolescents confrontent les équipes à de nouvelles problématiques : modification des modalités relationnelles, provocations, questionnements concernant le handicap ou la capacité de plaire avec ce corps-là, refus de soins, tensions familiales autour du projet… Quel accompagnement inventer pour s’adapter à ces nouveautés ?

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Introduction

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Cet écrit est une trace d’échanges qui ont eu lieu entre des professionnels de SESSD et des parents usagers de SESSD de la France entière. En véritable petit laboratoire déterminé, nous avons partagé nos expériences, nos difficultés, nos solutions trouvées ou imaginables, afin que d’autres puissent y trouver un soutien dans leurs démarches. Il est rédigé principalement à l’intention des professionnels mais intéressera aussi certainement les parents. Il constitue un outil pour transmettre à nos pairs ce que notre exercice professionnel ou notre expérience de parents nous a enseigné. Le contenu de nos échanges ne surprendra certainement pas les professionnels qui travaillent déjà avec des adolescents dans les services, ni les parents d’adolescents. Le but n’est pas de surprendre, mais d’encourager à entrevoir autrement la place des adolescents dans les services, ou de la découvrir pour ceux qui n’en suivraient pas encore… On se transforme grâce aux problèmes qui se posent à nous. L’adolescence en est un, car elle bouscule nos habitudes

prises avec les enfants. Elle nous offre ainsi une occasion de changer, de créer de nouvelles façons de faire. Nous avons échangé les " trucs " qui marchent dans les services dont nous venons. Des thématiques essentielles traversent les différents chapitres. L’autonomie est la toile de fond, la question essentielle. Comment devient-on un adulte, même avec un handicap, en passant par le processus de l’adolescence ? Par quelles réalités s’expriment les nouveaux besoins que nous pressentons ? Quelles solutions inventer pour nous adapter ? Les cadres permettent plus ou moins cette créativité nécessaire. C’est pourquoi une part sera consacrée à l’institution pour ce qu’elle peut permettre (ou au contraire empêcher si l’on n’y prend pas garde, si on ne s’occupe pas d’elle) comme dispositif facilitateur. Chaque participant a résumé en une phrase l’idée essentielle qu’il souhaitait transmettre au terme de cette recherche-action. Ces phrases ponctueront ce document. Les bonnes idées à partager seront indiquées par ce logo :

Le rôle d’un service de soins type SESSAD est d’accompagner les enfants à se débrouiller tout seuls, et c’est là toute la difficulté finalement de notre accompagnement. Comment faire en sorte qu’ils fassent eux-mêmes, par rapport à leurs souhaits, leur capacité, sans qu’on ait à intervenir, et pourtant qu’on soit là. Comment leur permettre de grandir seuls, en n’étant finalement qu’un filet, comme dans les cirques, pour que quand ils tombent, ils soient capables de se relever plus facilement.

➧ Objectifs Ils se déclinaient sur plusieurs plans : • analyser les problématiques spécifiques de l’adolescent en situation de handicap moteur ; • é valuer la manière dont l’adolescence impacte les modalités antérieures de suivi éducatif et rééducatif ; • inventer des modalités nouvelles d’accompagnement de ces adolescents dans leur milieu de vie habituel ; • é laborer un guide de bonnes pratiques qui fera l’objet d’une diffusion comme support de réflexion et de formation pour les professionnels des SESSD, afin de développer leurs compétences dans l’accompagnement des adolescents en situation de handicap moteur.

Des situations critiques types rencontrées dans nos pratiques sont décortiquées afin d’en comprendre les nœuds qui les ont rendues difficiles et de dégager les leviers qui ont permis d’en sortir le plus favorablement possible, ou d’imaginer d’autres issues possibles qui n’ont pas pu être envisagées alors. Les cas, issus de notre quotidien (de professionnel ou de parent), et les films, servent d’illustrations pour conforter ou alimenter nos réflexions. L’intervention " à domicile " est l’un des repères communs qui lie fortement les participants, créant une sorte d’identité professionnelle particulière, et objet en soi de cette démarche de recherche. Très peu de notes sont prises, le dispositif proposé l’encourage pour laisser à chacun le plus possible de disponibilité

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La recherche-action est organisée sous la forme d’un groupe de travail, composé de professionnels et de quelques parents. Ce groupe s'est réunit à six reprises de janvier à avril 2008. À chaque fois une journée entière, ce qui facilite associations et réactions spontanées entre participants. Les discussions sont libres, parfois orientées et stimulées par un support pédagogique (films en référence à la fin de ce document).

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➧ Modalités

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Les premières réflexions sur ce sujet datent déjà de plusieurs années. À l’APF, les directeurs et directrices de SESSD échangent autour des questions auxquelles ils sont confrontés dans les équipes. Doit-on garder les adolescents alors que des petits attendent ? Faudrait-il un service spécialisé pour accompagner les adolescents ? Comment rendre nos locaux accueillants pour des adolescents ? Comment aider les professionnels à gérer ces nouvelles problématiques relationnelles ? Un dispositif de recherche-action se met alors en œuvre pour approfondir cette réflexion qui paraît manquante.

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Méthodologie

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dans son écoute, et de liberté dans son expression. Des confrontations naissent parfois des idées, voire des certitudes. Pour pallier ce choix de non prise de notes, l’animateur enregistre nos discussions et les retranscrit. Ce sont ces données qui constituent la base d’élaboration et d’écriture de ce document.

que de deux parents invités à participer à ce groupe dans sa totalité afin d’apporter leur point de vue ; trois hommes et treize femmes. Les participants sont volontaires, soutenus dans leur démarche par leur hiérarchie afin que les questions évoquées trouvent un écho dans les équipes et y ramènent des applications possibles.

L’animation choisie est peu directive, elle met chacun face à ces questions. • C omment faites-vous pour faire votre travail ? • C omment faites-vous avec ce que ça vous fait ? • C omment faites-vous pour supporter de travailler avec des adolescents en difficulté ? • C omment transformez-vous ce que ça vous fait en gestes professionnels de soins ?

Ce groupe est fait de dynamismes multiples… un dessinateur, une peintre, une étudiante en thèse, une future directrice, un constructeur de tipis, une littéraire… voilà quelques découvertes faites à l’occasion des pauses. Coïncidence ou simples acteurs comme il en existe partout ? Dans tous les cas, des créateurs, des chercheurs, des hommes et des femmes en questionnement venus pour participer à construire des choses nouvelles ; des insatisfaits prêts à donner de leurs idées pour améliorer des pratiques qu’ils trouvent insuffisamment pensées. Des hommes et des femmes avant d’être de telle ou telle profession… preuve en est l’oubli de la fonction de parent dans ce groupe… les échanges se font de personne à personne, un point c’est tout.

➧ Participants Cette recherche-action est proposée à tous les professionnels des SESSD de l’APF par le biais de leur direction. Le choix a été fait en amont pour que participent des professionnels du quotidien (pas des directeurs), quelques parents, et de ne pas y associer de jeunes en situation de handicap. Une participation assidue est exigée, et si possible en binôme, afin d’obtenir des témoignages croisés, ce qui sera le cas. Les participants appartiennent à dix équipes sur les cinquante que compte l’APF. Presque toutes les professions des SESSD sont également présentes. Ce groupe est donc représentatif de la réalité des SESSD de l’APF. Il est constitué de seize professionnels ayant une pratique auprès d’adolescents en situation de handicap moteur, ainsi

➧ La forme de cet écrit Finalisée à partir d’enregistrements réalisés au cours des rencontres, la forme de l’écrit est à l’image du foisonnement des idées qui s’y sont échangées, de leurs associations très libres puisque très peu dirigées. Il regroupe des constats, des idées, des exemples, des propositions. Les citations sont en italique et entre guillemets.

À travers plusieurs problématiques centrales, nous illustrons ce que nous avons perçu de ce bouleversement physique, psychologique et social qu’est l’adolescence.

1 ➧ À quoi reconnaît-on les adolescents en SESSD ? On s’accorde tous sur le fait que l’âge de l’adolescence n’est pas spécialement l’âge physique. L’adolescence est un processus psychique de transformation qui sert de charnière entre la vie de l’enfance et la vie adulte. Pour certains, ce processus arrivera avec la puberté. Chez d’autres, on observera des prémices lors de l’entrée au collège

et du passage dans ce nouveau groupe de grands, ou bien encore avant cela par quelques signes comportementaux qui nous alertent. Ils changent. C’est une certitude, un point commun. Ils réagissent différemment aux paroles et aux actes des adultes. Ils remettent en cause leurs décisions, s’en plaignent mais pas

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L’adolescent vient vérifier s’il a une place dans sa famille mais aussi dans le monde qui l’entoure. Il faut tenir bon, parce que derrière cela, c’est le lien qui est questionné, pas autre chose !

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L’adolescence des jeunes en situation de handicap en SESSD

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toujours ouvertement. Ils parlent d’avenir, ils sont amoureux et cela les transforme. Ils ont d’autres priorités en récréation que de faire de la rééducation, ils sont moins gentils avec leurs parents et aussi avec les professionnels. « Parler des adolescents, c’est compliqué. » Les adolescents des SESSD sont d’abord des adolescents comme tous les autres, et il se trouve qu’ils sont en situation de handicap moteur. Ils traversent des étapes comme tous les jeunes de leur âge. Les enfants que nous connaissions deviennent des grands puis des adolescents puis des jeunes adultes. De leur enfance va dépendre la façon dont ils vont entrer dans cette nouvelle étape de leur vie. Et tous les signes, leur histoire, leurs envies pour plus tard, sont utiles pour les comprendre. « On ne peut pas dissocier la prise en charge d’un adolescent de la prise en charge d’avant ou de ce qu’il a été avant […]. Il est ce qu’il est aujourd’hui par rapport à ce qu’il a été avant et justement dans sa diversité, dans son parcours de vie. » Particulièrement, ce qui nous paraît important, c’est l’histoire relationnelle de l’enfant. Comment il a créé des liens autour de lui, ou pas. L’adolescence ressemble bien souvent à une enfance revisitée avec un corps de presque adulte. Nous allons donc revivre avec eux des choses que nous pensions classées : effets de séparations, du toucher, de l’amour, de la mort…

Certains ne paraissent pas matures pour leur âge et nous amènent à nous demander s’ils sont ou pas des adolescents même à un âge avancé. Mais nous nous demandons si l’environnement a permis qu’ils s’opposent, qu’ils s’expriment de leur propre voix. Nous pensons qu’il est possible que les dispositifs de soins empêchent l’adolescence d’éclore, parce que ces enfants sont tellement habitués à ce qu’on fasse des choses pour eux, qu’on décide pour eux… qu’ils acceptent tout facilement. Et parfois on le regrette… « Cette môme qui a 18 ans, elle passe le bac cette année mais on a à faire à une gamine de 13 ans, dans la façon dont elle interprète et qu’on discute ; mais est-ce qu’il y a la possibilité de remettre en cause ? » Quand peuvent-ils être seuls pour faire leurs propres expériences ? Certains sont sous surveillance presque en permanence. Difficile de dire non, de s’opposer, d’avoir de la liberté (quand on est toujours encadré). Certains s’inventent des histoires imaginaires. Est-ce leur façon de s’évader d’une réalité trop enfermante, aliénante, de devenir grand autrement ? Ils s’affirment comme ils peuvent, parfois avec force. Et cela ne prend pas toujours une forme évidente à repérer : le refus de quelque chose à travers les soins, le suivi éducatif, la régression jusqu’à l’incontinence. Lorsqu’il n’y a plus que cela comme moyen pour s’opposer, le clivage entre le corps et

Attention à ce que l'on peut demander à des adolescents, parce que parfois on les bouscule trop fort d’un coup, et ils se retrouvent complètement démunis ou ils nous rejettent parce que c’est trop dur. Il faudrait les guider plus jeunes pour que ça se fasse plus en douceur.

C’est le principe même de cette étape de développement : se différencier des adultes qui nous ont servi de repères, pour se construire une identité propre. En cela, ils ne diffèrent pas des autres adolescents. Ils nous remettent en cause, nous les adultes, justement parce que nous sommes des adultes (et peut-être pas parce que nous sommes des professionnels). Ils nous envoient balader quand on représente l’enfance, quitte parfois à vouloir quitter le service dans son entier. Nos habitudes sont bousculées. « J’ai l’impression qu’il faut que je réapprenne à le connaître. » Ils prennent de la liberté, des initiatives, qui nous désarçonnent. C’est cela qui nous oblige à changer, à nous positionner et à leur parler autrement. Pourtant, ils ont

besoin qu’on leur rappelle la loi à laquelle eux aussi sont soumis, comme nous le sommes. Nous devons leur signifier en permanence qu’ils font partie de notre groupe social. Il leur arrive d’être clairement soulagés que la loi s’applique aussi à eux lorsque ce n’était pas le cas jusqu’à présent. « Des jeunes sont ravis un jour d’avoir la punition collective de la classe. Les jeunes handicapés, ils n’ont jamais ça, jusqu’au jour où enfin ils se payent une colle et ils sont contents. Enfin la loi s’applique aussi à eux alors que jusqu’à présent, la loi ne les concernait pas. » L’adulte interprète toujours l’expression de l’enfant, c’est son rôle depuis que l’enfant est tout petit. Quand il est bébé, l’adulte ne s’en veut pas de le faire. C’est normal parce que le bébé ne peut

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2 ➧ Remettre en cause les adultes mais aussi s’appuyer sur eux

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Par exemple en rééducation, une psychomotricienne laisse l’enfant seul pendant cinq minutes car il est détendu et peut avoir au sol accès à son corps d’une façon telle que la déficience lui interdit le reste du temps.

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Le handicap moteur n’empêche pas de devenir adolescent et ensuite adulte. C’est parce que l'on arrive à les projeter là-dedans que petits, on les aide déjà à s’y préparer.

 Croire qu’ils en sont capables les aide à devenir adolescents.  Créer des espaces où ils ne sont pas sous surveillance, où ils sont seuls.

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la tête (s’évader psychiquement pendant un soin). Et parfois même, quand la souffrance psychologique s’accumule, des risques de décompensation guettent, des angoisses débordantes s’expriment. Cela peut être aussi des modes d’expression de ce déséquilibre relationnel.

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pas parler, c’est vital d’interpréter « tu as mal, tu as faim… ». Mais lorsque l’enfant grandit et peut dire son désaccord, alors l’adulte a peur de se tromper ; il a peur que l’enfant lui reproche plus tard une décision. Pourtant, tant que l’enfant n’est pas en mesure, psychiquement, d’assumer une décision, de la prendre (c’est-à-dire avant environ 18 ans), de dire que c’est la sienne, il a besoin que l’adulte décide à sa place, même si ce n’est pas la décision qu’a posteriori il dit qu’il aurait choisie. C’est le rôle socialisant de l’adulte, l’adolescent s’y appuie pour devenir un adulte : plus tard, je serai comme ça, je ne ferai pas comme ça…Il se différencie, donc il se construit. Un soignant dirait à un adolescent « c’est toi qui choisis de te faire opérer ou pas », démissionne de son rôle humanisant car un adolescent a besoin de se reposer sur des décisions d’adultes pour se sentir contenu, pour ne pas se sentir abandonné. On risque aussi de le mettre dans une toute-puissance inquiétante pour lui en lui demandant cela. D’autre part, on devrait pouvoir s’autoriser à aller au bout d’une demande d’un jeune qui voudrait arrêter la kinésithérapie. « Je veux arrêter la kiné, ça fait 15 ans que j’en fais, je veux comprendre à quoi ça sert. » Écouter apaise l’angoisse et ouvre la possibilité de trouver d’autres solutions. Il s’agit de recevoir les inquiétudes, pour les dépasser. Il est important que l’environnement n’accepte pas que le jeune soit réellement omnipotent, mais qu’il l’entende. Il faut " tenir le coup " face à ses attaques, sans se laisser détruire.

Tous les jeunes ne vivent pas ces étapes de la même façon, au même moment, au même âge, ne les expriment pas de la même manière. C’est un processus qui montre des signes qu’il faut apprendre à repérer. C’est aussi cela qui nous déroute. Ils essaient de comprendre le pouvoir qu’ils ont sur les choses et les gens. Ils rejouent notamment la toute-puissance que les enfants mettent en scène. Suis-je capable de te détruire et de te recréer ? Leur pouvoir peut aussi prendre forme dans le corps (" faire une crise "). Les jeunes sentent quand on a peur. Parfois ils ne nous disent pas ce qu’ils pensent parce qu’ils savent que ça nous fait peur.  Leur donner la parole, leur offrir des espaces où ils peuvent donner leur avis. Mais attention, leur demander leur avis, n’est pas leur demander leur accord !   Tenir nos responsabilités d’adultes : ne pas les laisser prendre des décisions qui sont de notre ressort. Et surtout ne pas se servir d’eux pour trancher quand nous sommes indécis. Par exemple, ne pas dire : « Est-ce que tu veux continuer la kiné ? » Il ne doit pas en décider, c’est de la responsabilité des adultes (parents et soignants), mais on peut lui demander ce qu’il en pense, comment il souhaite poursuivre la kiné.   Diversifier les relations des adolescents avec plusieurs professionnels du SESSD, c’est leur offrir plus d’opportunités d’aborder ce qu’ils veulent avec qui ils le sentent.

Il faut faire confiance aux adolescents. C’est eux qui savent de quoi ils ont besoin, si on peut les écouter, il y a déjà plein de choses qui sont résolues !

Certains s’ennuient, se plaignent, se sentent totalement isolés, même dans leur classe. Le regard des autres leur pèse. « Elles peuvent rester seules devant et tout le monde s’est barré et elles sont devant le trottoir et elles peuvent pas monter, elles peuvent y rester une demi-heure avant que quelqu’un passe, l’une d’elles a fait une lettre en disant " je m’ennuie à mort ". » Ils semblent alors très seuls, très isolés par rapport aux valides. À la rigueur ils réussissent à créer des liens entre personnes handicapées mais pas avec des valides. Nous devons faire l’effort d’en faire des citoyens comme les autres, et ne pas ajouter à leur isolement. « L’adolescence, c’est avoir des copains, être en groupe, s’identifier à une bande. Les enfants handicapés moteurs sont

D’autres sont par contre très capables de créer des liens autour d’eux et ont un réseau d’amis plus étendu que leur frère valide au même âge… Ils se construisent une bande, une tribu, un groupe d’appartenance qui les soutient dans leur identité, nous en connaissons des très actifs, meneurs même. «  Le nombre de potes qu’il avait, c’est hallucinant ! Il a eu plein d’amis. Maintenant il est en hypokhâgne, ça l’a structuré. Mais à l’époque, la mère était paniquée car faut voir le jeune fumer des joints et se prendre des cuites à la vodka à l’internat. Au niveau du lien social c’est un des jeunes du service, il avait ce que l’on appelle des amis, un réseau. »

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Peut-être est-ce lié à l’équilibre, intérieur, psychique, que chaque jeune trouve : l’incapacité à aller vers les autres dépend notamment d’une tendance dépressive. « Il y a des gamins qui ont des capacités à le faire, qu’est-ce que c’est que faire du lien, c’est se confronter aux autres, être d’accord, pas d’accord et c’est comme ça que tu as du monde autour. Pour celui qui est tout renfermé sur lui, forcément c’est dur. »

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À la recherche d’une identité, cette situation n’est sans doute pas confortable pour eux, surtout pris dans les projections des adultes et des autres jeunes qui leur renvoient tour à tour : tu es handicapé ou tu es comme tout le monde ?

emmenés au lycée en taxi. Ils vont à l’infirmerie, on va les rechercher en taxi. Il n’y a pas possibilité de faire partie d’un groupe ; tout de suite ils ont déjà un statut à part. Et lorsqu’ils sont dans les familles, bien souvent ils sont isolés et ne sortent pas entre copains. Les copains ne se déplacent pas chez eux comme nous on le fait… »

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Entre les valides et les " handicapés ", ils se positionnent là, pas tout à fait handicapés, pas complètement valides. Les jeunes des SESSD, par leur vie la plus normale possible, côtoient au quotidien des jeunes de leur âge qui majoritairement ne sont pas en situation de handicap. Ils se projettent avec évidence dans le milieu ordinaire puisqu’ils vivent dans le milieu ordinaire.

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3 ➧ Trouver son groupe et créer du lien

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On s’accorde à dire que leur socialisation ne s’évalue pas au nombre de sorties qu’ils font, mais bien à leur capacité à créer des liens avec les personnes qu’ils croisent. Les liens créés pendant l’enfance se rejouent lors de l’adolescence, c’est une chose essentielle. Donc notre travail commence dès la petite enfance pour créer du lien. C’est ça de gagné pour quand ils seront grands. Ils auront appris qu’ils sont aimés par des gens, qu’ils peuvent compter sur eux. Les adolescents cherchent des liens entre avant et après, entre l’enfance et l’état d’adulte.   Proposer à des jeunes qui ne dépendent pas du service, de participer à certaines de nos activités, pour favoriser les liens entre jeunes. Par exemple : un groupe de préparation à l’avenir se fait avec tous les jeunes d’une unité pédagogique d'intégration (UPI) dont un seulement est actuellement suivi par le SESSD. Par exemple : un groupe ado en lien avec une maison de quartier. Le SESSD ne fait que les transports pour les jeunes du SESSD. Dans tous les cas, ils ont besoin d’avoir des modèles auxquels s’identifier, de connaître des plus grands pour se projeter dans l’avenir, rêver. « Un couple d’adultes était venu, des jeunes suivis par le service et qui vivaient ensemble, ils étaient tous les deux en fauteuil. Ils avaient quelqu’un qui venait le matin, le soir pour les aider dans les tâches de la vie quotidienne. Ils étaient venus leur parler de leur vie, de ce qu’ils faisaient. Il y en a une qui devait travailler à la délégation. Les adolescents, cela les avait " vachement " marqués, ils en parlaient assez souvent. Alors qu’ils étaient beaucoup plus handicapés

qu’eux et bien elle avait une vie de couple, elle vivait toute seule. »   Créer des liens entre les plus jeunes et les plus âgés.   Organiser des rencontres avec des " anciens " du service, c’est encore plus facile de s’identifier à des jeunes adultes qui peuvent servir de modèles. Par exemple : inviter les " anciens " à témoigner lors d’un regroupement d’adolescents.  Garder des contacts avec les jeunes sortis du service et les entretenir. Nous sommes plusieurs à constater qu’ils ont besoin de nous. Si nous disparaissons, les liens s’effritent comme si nous étions le vecteur qui permet leur socialisation. Nous mettons en cause l’aspect individuel de nos interventions et pensons qu’il faut aller vers plus d’accompagnement collectif, pour qu’ils vivent des choses en commun (si on n’a rien vécu en commun, on n’a pas de raison de se retrouver !). Et il faut peut-être travailler en amont, sur le plan individuel, à ce qui permet à quelqu’un de créer et d’entretenir lui-même les relations. Même si le projet collectif échoue, comme certaines de nos expériences l’illustrent, il faut essayer. Si le dispositif ayant l’objectif de socialiser le jeune ne tient pas, il ne faut pas abandonner le projet de le socialiser. Mais peut-être revoir les modalités du dispositif, revoir le comment on fait, et non remettre tout en cause. « C’est comme des outils qu’il prend ou qu’il ne prend pas, qu’il utilisera ou qu’il n’utilisera pas. Tout est bon à la limite. Qu’ils en fassent quelque chose ou pas, je crois que d’être dans cette expérience, c’est quelque chose qu’ils mettront dans leur petite mallette. »

Il faut qu’ils puissent rêver, se projeter et nous devons, nous les adultes, les y aider. Ils ont besoin de rencontrer des personnes qui leur servent de supports d’identification pour leur confirmer que c’est possible et qu’ils peuvent s’autoriser à rêver, notamment d’être parents un jour. « Ce serait tellement dommage de se retrouver seul dans la vie, parce qu’on ne s’est pas autorisé à penser qu’on pouvait ne pas l’être. » La sexualité met les professionnels mal à l’aise, et c’est ce que nous détaillerons dans la partie qui les concerne. Car les adolescents nous provoquent aussi sur ce terrain-là.

« La jeune adolescente, à chaque fois que son kiné venait, était en string et bien souvent sans soutien-gorge, en consultation aussi d’ailleurs… il était mal à l’aise… mais c’était de la provocation et je pense qu’elle cherchait un peu l’effet qu’elle pouvait faire dans l’œil du médecin et du kiné. » À cette période, leur corps embarrasse souvent les adolescents, ils n’aiment pas que les attelles se voient, les filles se plaignent de ne pas pouvoir porter ce qu’elles veulent… une quête esthétique apparaît. Nous avons surtout évoqué le poids des représentations sociales qui empêchent (et nous aussi parfois !) de les considérer pleinement comme des personnes sexuées, des hommes et des femmes, aimants, aimables, et capables d’être parents plus tard. Dans cette quête relationnelle autour de l’amour, il nous semble particulièrement important de les aider à investir leur corps de façon positive. Malheureusement, ils sont nombreux

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On associe souvent adolescence et sexualité, du fait de la puberté, du fait que le corps acquiert à l’adolescence la capacité de procréer. Nous avons très peu parlé de sexualité au sens physique. Mais ce qui nous a préoccupés, ce sont les liens amoureux, parmi les autres liens, la vie affective au sens large. Les adolescents en situation de handicap sont amoureux et préoccupés de plaire, comme tous les jeunes de leur âge !

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4 ➧ La sexualité

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Il ne faut pas oublier que l’adolescence est aussi un moment riche où le changement peut être fort positif. « Il y a un jeune du service qui est rendu au Canada, là tout seul, du coup pas de

service. Il est parti en séjour classique, même pas en intégration, et c’est un truc qui arrive alors que c’est un gamin super protégé. Sauf qu’à l’adolescence le gamin il a dit " je vais essayer, je pars ". Là il se passe quelque chose, il a 17 ans, il se passe quelque chose, c’est l’adolescence qui a fait ça, à un moment où il aurait pu basculer dans un autre truc, la vie cool, facile. »

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 Faire du collectif et moins d’individuel, pour qu’ils vivent des choses ensemble !

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  Avec les filles, des activités se font autour du maquillage.   Avec des garçons et une fille, une kiné fait sa séance dans une salle de musculation.   Travailler d’une manière ou d’une autre sur nos représentations pour nous autoriser à les percevoir tels qu’ils sont, désirés et désirables.   Valoriser tout ce qui marque leur originalité (ce qui fait qu’il/elle est beau/belle, désirable) : une coiffure, des sandales, un bijou…

5 ➧ Prendre conscience de ses limites mais aussi de son handicap

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à connaître des séquelles esthétiques de la chirurgie. La chirurgie réparatrice sur un plan esthétique ne leur est que rarement proposée. Comme si on considérait déjà leurs corps d’enfants comme de futurs corps d’adultes non désirants et non désirés ? Comme si on les empêchait déjà d’advenir en tant que sujets d’amour (et donc sexués) ? On viendrait confirmer là des représentations sociales inconscientes très répandues… Leur corps leur appartient, malgré tous les soins dont il a souvent été l’objet depuis la naissance, et l’adolescence est un moment capital où les jeunes se l’approprient, où ils le transforment, à leur manière.

Nous les accompagnons par rapport à la prise de conscience de leurs difficultés, l’acceptation de leurs limites. C’est un peu comme tous les adolescents, mais coloré d’une façon particulière à cause du handicap. Au moment de l’adolescence, le handicap est l’objet d’une nouvelle prise de conscience qui fait suite à une première phase aiguë vers 6-7 ans. Cette fois, le jeune cherche à comprendre par et pour lui-même ce qui le gêne, il pose des questions diagnostiques et pronostiques. On ne doit pas les obliger à en parler, car on risque de faire du psychologisme

(parce qu’on a entendu que ça fait du bien de parler) ou d’exprimer là une forme de toute-puissance. Digérer des événements ne passe pas forcément, et tout de suite, par la parole. Il faut aussi que dans cet enjeu, nous ne soyons pas toujours à formuler les choses de façon négative et manquante. Ils ont des compétences. C’est aussi pour eux le moment de les montrer ! Parfois, il semble qu’ils aient une lucidité qui devance la nôtre : deux ans avant de mourir, un jeune refuse de poursuivre sa scolarité au collège, il demande à rester chez lui. Sur le coup, les professionnels luttent pour qu’il reste inscrit dans des

Comme les autres, ils expérimentent des relations où on se dispute, où on se confronte même physiquement. On n’est pas d’accord et on se le dit. « Un jeune de 14 ans cette année, en UPI, a pris un coup-de-poing à l’école. Il s’est battu, il est en fauteuil roulant, en déambulateur. Il avait cette idée un peu chevaleresque de défendre les filles. Il y a un couple qui se chamaillait ; c’était pour rigoler, la fille le savait, elle l’avait compris, lui l’avait pas compris. Il a pris la défense de la fille, et le gars ça l’a un peu énervé parce qu’il l’a insulté. Donc il lui a mis une mornifle. Mais c’est super éducatif ça parce qu’il a dit " ben ça m’a fait du bien parce que j’ai compris que ce qu’il faisait n’était pas forcément agressif. " « Ma fille est également dans ce schéma. C’est-à-dire que dans sa classe, elle a à la fois des bons amis et puis il y a un garçon avec qui elle est en permanence en conflit. Donc elle m’en parle régulièrement, il est super agressif, il se fout d’elle. Et je lui dis " écoute tu es tout à

fait capable de répondre à ce gaminlà " donc moi je la laisse gérer. Elle lui a collé une beigne parce qu’elle en avait ras-le-bol. » Vis-à-vis des adultes, c’est une autre histoire. Une hypothèse nous amène à penser qu’ils s’autoriseraient à exprimer leur agressivité vis-à-vis d’adultes à qui ils font vraiment confiance. Que se passerait-il alors s’ils sont rejetés à ce moment-là ? Ils ont peut-être besoin que les professionnels supportent, comme des parents, d’être agressés, et de ne pas pour autant rompre les liens. « En synthèse, parce qu’on lui demande son avis, elle s’écroule en pleurant […] elle finit par dire " bon, la kiné, je ne peux pas l’arrêter, j’en ai besoin. " Elle le dit elle-même alors que depuis des mois elle disait " j’en ai marre de la kiné, je n’en veux plus du service " et bien non. Juste le seul truc qu’elle a enlevé c’est le soutien scolaire. Tout le reste elle l’a gardé, elle a gardé l’ergo, la kiné et l’éduc… alors qu’on a failli arriver à une rupture. »

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6 ➧ Exprimer de l’agressivité

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« Avec les fauteuils, j’hallucine, ils me font peur, les fauteuils électriques c’est de la folie, il y a des jeunes avec des pentes comme ça, ils tombent avec des fauteuils électriques. »

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Sentir les limites peut aussi se manifester par des prises de risque, des mises en danger.

 Proposer des temps de consultation seul à partir d’un certain âge. C’est une façon personnalisée de permettre à l’adolescent de s’approprier son histoire médicale. Par exemple : à partir de 13 ans, on propose systématiquement à la famille (jeune + parents) un temps où le jeune est seul avec le médecin pour qu’il puisse poser ses questions à sa manière et entendre ce qu’il souhaite savoir.  Les laisser libres de nous parler du handicap, ou pas !

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projets, mais le sien aura raison de tous les autres.

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Quand ils nous disent « je ne veux plus te voir », il nous arrive de prendre cela au pied de la lettre, d’y croire radicalement. Alors que c’est souvent juste une manière de dire l’agacement, l’étouffement, le ras-le-bol de quelque chose, mais pas forcément un vrai désir de ne plus être en lien avec nous. Entre personnes attachées l’une à l’autre, « je ne veux plus te voir » ne signifie pas qu’on va se séparer à jamais. « Un jeune me dit " j’aimerais réduire les prises en charge ". Alors il les prend une par une et puis il dit " ben là le kiné je suis obligé bon d’accord je garde le kiné ". Et après il dit " l’ergo, là non, ça je peux pas enlever " et puis il arrive avec l’éduc et il dit c’est trop " chiant " c’est là où je peux vraiment dire que c’est sympa, " je le garde ", et puis après il me dit " mais comment je vais faire, parce que je peux enfin dire que je veux réduire et "… il n’y arrivait pas. Ce qu’il a envie de dire c’est " je veux vivre autre chose ". » L’agressivité peut aussi se manifester par de l’agir, du corporel (la maladie, faire une crise…). Leur corps peut être vécu comme une prison et dans ce cas être attaqué. « Je ne suis pas toujours capable d’être gentille », dit une jeune fille qui ne nous regarde pas dans les

yeux… Ces adolescents sont souvent très gentils, trop ? Il nous arrive de souhaiter qu’ils nous bousculent encore plus car nous savons que pour eux ce serait bon signe, le signe qu’ils osent prendre leur envol. Ils peuvent être passifs vis-à-vis du nombre de séances mais très revendicatifs sur des horaires, des modalités (à l’école et pas ailleurs…). Le corps, quand il est abîmé par les soins, peut être objet de tentatives d’automutilation comme l’expression d’une forme d’agressivité, mais tournée contre soi, ou contre ce qui fait souffrir, le stigmate du handicap (par exemple une jeune fille qui attaque ses cicatrices). Ils ont besoin de partager entre eux des choses négatives, notamment sur nous. C’est en partageant le négatif qu’on le transforme : « Fabriquer du méchant puis le réparer », dit Paul Perez.   Autoriser, voire permettre des moments où ils peuvent se dire des choses négatives à propos des personnes qui les entourent. Ne pas systématiquement chercher à policer ces échanges.  Leur permettre de dire ce qu’ils pensent, même si ce ne sont pas que des choses agréables à entendre.

  Leur proposer de choisir, dès tout petit, par de multiples supports (notamment des groupes, ou quelque chose à l’intérieur d’une séance).

L’indépendance, c’est facile à travailler concrètement pour un professionnel. Autant l’autonomie (se fixer ses propres règles) c’est l’affaire de tous.

Petit à petit, l’enfant de la famille devient pour nous un interlocuteur aussi actif que les parents dans les prises de décisions. « Les familles s’adressent aux services et demandent une certaine aide. À un moment, c’est le jeune qui répond sur l’aide qui lui est apportée ; cela le déséquilibre un petit peu. Il commence à dire ce qu’il en pense. Ils ont cette capacité à se rebeller. » Ce cap est complexe à gérer, car chaque interlocuteur est en train de changer de posture. « C’est difficile de se décaler du besoin physique et du coup de la place du pouvoir psychologique que cela nous donne. Je trouve que l’on a du mal quand on est éducateur et qu’on est relié pendant des années à un enfant. On est à la fois

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Nous sommes unanimes sur le fait qu’il faut s’occuper de l’autonomie bien avant la majorité, avant l’âge adulte, quand l’enfant est encore petit. Nous avons tendance à choisir à leur place et à leur demander d’un seul coup d’être des grands. Nous devons apprendre à leur demander de plus en plus leur avis, et petit à petit, ils osent le donner. C’est peut-être d’ailleurs parce qu’on le leur demande ! « On décide pour eux quand ils sont petits. Donc, à partir de quel moment est-ce qu’on ne décide plus ? Est-ce qu’on leur demande ce qu’ils veulent ? » Il faut les considérer comme acteurs dès le début, les faire choisir, il n’y a pas de " petit " choix.

On ne peut pas isoler l’enfant de son environnement. L’autonomie d’un sujet n’a aucun sens sans parler d’une autonomie dans la relation. Il faut du lien, de la " communauté humaine " pour devenir autonome. C’est donc sur des liens forts que les enfants s’appuient pour devenir petit à petit capables d’intégrer des règles, des sentiments. « On est sur le versant social ; où l’on construit dans le temps sur de la prévention à 10, 15, 20 ans. Lorsque l’on passe des séances dans une classe avec des enfants d’une classe qui ne sont pas handicapés mais qui sont avec un autre enfant handicapé, on travaille sur 10 ans parce que ce sont de futurs citoyens. »

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C’est une problématique centrale. Il nous faut distinguer au préalable deux termes souvent confondus. L’indépendance serait la capacité à faire quelque chose seul. L’autonomie correspond à la capacité de se gouverner seul mais elle peut se décliner à travers l’aide des autres.

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7 ➧ La question de l’autonomie

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dans cette aide physique, matérielle, de permettre que les choses se fassent, mais aussi on sert d’intermédiaire avec les parents. Et puis à un moment, c’est le jeune tout seul qu’il faut considérer. Mais on a encore besoin d’être là pour qu’il puisse faire des choses matériellement, concrètement. » Il faut réinventer des rituels, pour alimenter cette inscription dans la culture, dans le social, marquer le temps qui passe.  Inventer des rituels de passage. Par exemple : créer des barrières d’âge pour accéder à certaines activités, pour leur donner envie d’être grands. Un autre aspect central dans ce débat concerne la capacité des jeunes à généraliser ce qu’ils apprennent en séance. Nous constatons que des jeunes peuvent très bien acquérir des capacités en séances avec des professionnels, mais ne pas les réutiliser dans leur vie de tous les jours.

  Faire des séances en situation de vie réelle. Par exemple : une ergothérapeute qui habituellement construit ses séances en fonction des apprentissages scolaires du moment, fait des pauses de deux mois avec des jeunes qui ne généralisent pas, pour réutiliser les mêmes compétences mais avec d’autres supports que celui de l’école.  Travailler avec et dans la famille, plutôt qu’en parallèle car des jeunes peuvent montrer une autonomie en dehors de leur famille mais pas dedans. Après 18 ans, leurs désirs d’autonomie s’affirment de plus en plus. Ils veulent savoir comment on fait les courses en fauteuil roulant, comment chercher un appartement s’ils doivent quitter leur famille…

Ce n’est pas seulement à l’adolescence qu’il faut se poser la question de l’autonomie, c’est déjà bien avant. À chaque niveau, il y a des étapes d’autonomie. On est là pour les faire grandir, professionnels et famille ; il faut s’en inquiéter avant que l’adolescence n'arrive. Leur laisser un espace où ils puissent s’exprimer, tout simplement, recueillir enfin leurs paroles.

Mais pour les jeunes, la scolarité c’est leur vie sociale, l’acquisition des connaissances. Nous pensons qu’il faudrait préparer les jeunes au collège. Et lorsque leurs capacités nécessitent un parcours différent, leur trouver une formation qualifiante est un casse-tête. Ce sont les éducateurs et les assistantes sociales qui s’en occupent principalement. Globalement, nous nous sentons encore assez incompétents dans le domaine, il faut reconnaître que ce sont des problématiques nouvelles. Les parcours des quelques jeunes plus âgés (18 ans et plus) que nous connaissons ont tendance à nous rassurer et nous encouragent à croire que nos inquiétudes sont très liées au processus d’adolescence : mutations, incertitudes,

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Ainsi l’intégration scolaire ratée serait un vecteur d’isolement social, surtout au collège. Nous faisons des constats d’échec. « Je pense à un jeune en CAP. Il voulait absolument travailler en mécanique auto. Cela s’est un peu mal passé en stage. Au niveau comportement, c’était nickel ; il était poli, arrivait à l’heure. Mais en termes de tâche de travail, ce n’était pas facile. Et lui a mal vécu cette situation. »

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Nous craignons que des jeunes mettent toute leur énergie à faire semblant de suivre le rythme imposé par leur classe d’âge. Ces situations conduisent à des malhonnêtetés entre les adultes et les jeunes. Parfois les professeurs les surnotent parce qu’ils n’osent pas leur attribuer des notes très basses. L’adolescent est pris entre des pressions paradoxales : faire plaisir à ses parents, être honnête avec soi-même, garder une bonne image de soi, être honnête visà-vis du professeur mais ne pas gâcher son attachement, être honnête vis-à-vis du professionnel… « Pour lui, cela devenait insupportable. Il a dû quitter le collège et aller dans un autre collège, parce qu’il avait plus de copains. Imaginez, vous avez 6 de moyenne en maths et une fois que vous avez la moyenne le prof vous offre un bouquin. […] Il dit " bon, c’est vrai que je préférerais avoir un peu plus que ce que j’ai vraiment, mais pas un 15, c’est

vrai, t’as raison, mais oh un petit 8 ça aurait été bien, tu ne penses pas ? ". Il aimerait bien ne pas avoir un 0, mais un 15 il dit que pour la famille c’est bien. Là le 15 pour papa c’est parfait. " Pour papa c’est parfait. Bon écoute 8 cela aurait été pas mal, mais 15 c’est mieux qu’un zéro et vis-à-vis des copains, j’en ai marre ! ". »

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Le collège est un cap particulièrement difficile et douloureux, pour tous : adolescents, parents, professionnels. Nous sommes marqués par des situations d’échec scolaire (nous évoquerons plus loin ce qu’il en est du sentiment d’impuissance du côté des professionnels). Les jeunes qui ne rencontrent pas de difficultés d’apprentissage sont très peu évoqués lors de nos échanges. Ce qui nous préoccupe, ce sont les jeunes qui ont des difficultés d’apprentissage importantes. « Je n’en peux plus de ne pas pouvoir suivre ». Heureusement qu’il a pu le dire, mais il y en a UN sur combien qui arrive à le dire ?

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8 ➧ La scolarité

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On n’a pas à faire de projets à leur place, mais les aider à en avoir.

peur de l’abandon, recherche de repères. Et aussi à croire que ce n’est qu’un passage. Car après le collège, une nouvelle période scolaire s’ouvre, faite de moins d’intolérance entre les jeunes (mûris par leur âge), de plus d’ouverture à l’originalité des parcours. Et parfois les jeunes pour lesquels nous nous sommes inquiétés (et qui étaient eux aussi en souffrance) démontrent de vraies capacités d’adaptation, autant intellectuelles que sociales. Les conflits avec les adultes prennent un autre aspect, ce qui apaise peut-être les tensions. Pour toutes ces raisons, l’étape du collège semble la plus représentative de la crise de l’adolescence. Cependant, cette tension participe certainement à la réussite scolaire (à long terme) du jeune. On sait qu’un enfant dont la scolarité est investie par les parents a plus de chance de réussir. Cette tension n’est donc pas à bannir mais à supporter. Et d’autre part, le doute sur la capacité d’un collégien à tenir le rythme scolaire a certainement aussi un rôle constructif dans son parcours. Le doute amène une quête d’autre chose, nous visitons d’autres structures. La scolarité ordinaire reste le choix le plus courant et nous pouvons avoir l’impression qu’elle est laborieuse. Mais elle sera alors le fruit d’une décision (ou du moins une prise de position) familiale dans laquelle le jeune est inscrit et porté. Et c’est peut-être là la meilleure motivation pour un jeune à réussir, malgré tous les sacrifices qu’il aura à affronter.

  Des ergothérapeutes travaillent avec des objectifs construits à partir des difficultés constatées, et non par rapport à un programme scolaire, c’est plus concret, plus utile à l’enfant, plus réjouissant pour lui, il découvre ses capacités.   Des éducateurs et des psychologues rencontrent des enseignants pour les amener à modifier leurs représentations des élèves. C’est plus efficace dans les temps informels que dans les réunions comme les ESS.   Une psychomotricienne va bientôt proposer un " module " de préparation à l’entrée au collège à tous les élèves de CM2, pour anticiper la rentrée.  Un groupe " avenir " a été créé en collaboration avec une UPI pour préparer les jeunes à des questions pratiques à l’intérieur de leur scolarité.  Dans certains SESSD, on dit aux enfants dyspraxiques que le CP et le CE1 sont des classes difficiles pour leur scolarité à cause de leurs troubles, et que ça va passer, qu’après ce sera plus facile. Sur ce modèle, on pourrait dire aux collégiens que les classes du collège sont dures mais qu’après ce sera plus facile.   Aider les parents et le jeune à réellement choisir sa scolarité : UPI ou pas… car une famille qui fait des choix va souvent mieux qu’une famille qui se croit contrainte devant un échec et sans solution alternative (comme tout individu).

La non systématisation du suivi éducatif a généré des tiraillements, des conflits dans de nombreuses équipes. Mais elle apparaît plus adaptée aux demandes des jeunes et de leurs parents. Certaines disciplines cristallisent leur rébellion, particulièrement le suivi éducatif, le suivi psychologique ou les soins au corps. Les professionnels souhaitent que peu à peu, ils prennent soin d’eux-mêmes, par eux-mêmes et qu’ils ne dépendent plus toujours d’un adulte. L’enjeu consiste à passer de l’enfance où les professionnels et les parents prennent soin de l’enfant, parfois sans son accord véritable, à l’adolescence où le jeune doit peu à peu s’approprier son corps (comme tout d’ailleurs). Certains soins corporels monopolisent un temps notre attention puisque des jeunes s’y opposent particulièrement

Alors les soignants portent eux aussi la responsabilité de croire pour l’adolescent que tous ces efforts en valent la peine. Ils le projettent dans un avenir d’adulte et c’est ce qui leur permet de l’encourager. Pour sa future autonomie fonctionnelle, pour éviter des douleurs plus tard, des déformations invalidantes ou douloureuses, pour augmenter son espérance de vie, ils soutiennent ces soins. Les jeunes sont forcément ambivalents : ils ont envie et ils ont peur. Ils ont besoin que les adultes s’impliquent, prennent des risques, assument. Alors, c’est aux adultes de décider. Ils ne doivent pas leur faire porter la décision, mais décider après les avoir consultés, et cela quitte à

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 Il y a quelques années, une étude a été réalisée dans un SESSD auprès des adolescents pour mieux cerner leurs demandes. Et ils demandent que des professionnels continuent à prendre soin d’eux.

Quand l’enfant est petit, ce sont ses parents, aidés par les professionnels qui portent les décisions chirurgicales. La négociation avec les grands est très compliquée et nécessaire. On sait qu’une intervention chirurgicale imposée a toutes les chances de ne pas porter tous ses fruits. Il faut que l’adolescent soit d’accord pour fournir des efforts en soins postopératoires. Les décisions sont toujours très difficiles à prendre car nous savons tous que ce sera long et douloureux. Quel coût psychique pour ces interventions sur le corps ?

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Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les adolescents sont capables de reconnaître leurs besoins. Si on leur pose la question, ils ne choisissent pas forcément l’arrêt. Ils peuvent même percevoir et exprimer eux-mêmes des priorités !

(étirements, attelles, opérations). Ceux qui ont vécu plusieurs interventions chirurgicales les refusent souvent à l’adolescence. La chirurgie laisse des marques sur le corps, qui génèrent souvent gêne et/ou honte.

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Le " soin " est à comprendre ici comme " prendre soin de ".

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9 ➧ L’adolescent et les soins  (rééducation et éducation)

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devenir un objet mauvais, voire un objet de haine. Cela fait partie de notre rôle d’adulte et cela leur sert à supporter le versant négatif de ce qu’ils vivent. Une mère témoigne parmi nous qu’elle a arrêté les soins de sa fille pendant un an avec grande culpabilité, mais que plusieurs années après, elle et son mari ne regrettent rien. L’un de nous pose l’hypothèse qu’il peut arriver de répondre à leurs attaques, leur agressivité (normale d’adolescents) par des attaques déguisées en soins, notamment médicaux. Au lieu de supporter la douleur immense à côtoyer des corps déformés, on les agresse peutêtre en leur imposant de rectifier ces déformations ? Les envoyer consulter un chirurgien serait parfois une façon de ne pas nous confronter à leur refus des soins : au moins quelque chose serait fait ? Des parents rappellent qu’à vouloir bien faire, les professionnels ne disent pas toujours tout. Il faut encore et toujours ouvrir le dialogue, ne pas croire qu’on protège les gens en sélectionnant ce qu’on leur dit. Les décisions devraient être le résultat d’une discussion où chaque parole a pu émerger.

Il faut savoir entendre les adolescents et leurs parents, comprendre leurs raisons de fonctionner comme ils fonctionnent, d’être comme ils sont. Comprendre permet au moins de ne pas aller contre, de pouvoir aller avec, c’est déjà pas mal ! Ne jamais aller à contrecourant !

« Il n’y a même pas eu un espace pour qu’il dise " moi, je ne suis pas d’accord ". Il a fallu qu’il se retrouve dans mon espace à moi pour qu’il dise en pleurant " eh moi j’aurais vachement voulu dire à ce chirurgien, ce " con " (il le traite de tous les noms d’oiseaux) et je voudrais tellement lui dire que je ne veux pas, et je ne peux pas le dire à mes parents, je ne peux pas le dire au médecin, à qui je peux le dire ? " Et je crois que c’est aussi violent que de dire à l’adolescent " c’est toi qui décides " autant que ne pas lui donner du tout la parole et que de parler sur lui avec les parents, c’est horrible. »  Demander l’avis aux jeunes sur le travail qu’ils font avec nous.   Ne plus systématiser le suivi éducatif pour les adolescents.  Encore une fois tenir nos responsabilités d’adultes : ne pas les laisser prendre des décisions qui sont de notre ressort. Et surtout ne pas se servir d’eux pour trancher quand nous sommes indécis. Par exemple : à propos d’une décision d’intervention chirurgicale, on peut lui dire : « On va se réunir, on se met autour d’une table, à plusieurs autour de toi avec les gens qui te connaissent bien, qui ont établi des liens avec toi, et on va parler ensemble, où on en est, qu’est-ce qu’on peut faire, qu’est-ce qu’on pense les uns les autres de ce qui serait le mieux pour toi, quelles impressions on a par rapport à ça. » La parole lui est donnée aussi : « Tu peux donner ton avis, mais aussi tu peux te reposer sur la décision des adultes. » Il pourra éventuellement nous en vouloir… éventuellement. Parfois exprimer son refus, son désaccord, c’est ce qui lui permettra de supporter le soin.

alors qu’il a de bonnes capacités intellectuelles. » « C’était trop tôt pour elle de dire non à sa famille, elle a préféré rester avec eux et ne pas faire cette formation. » Ils rêvent parfois de choses que leur famille ne peut pas admettre : partir, habiter seul ou avec un petit copain… Cela peut arriver notamment quand le projet du jeune n’a pas été travaillé en parallèle avec les parents.

Si on n’avance pas ensemble avec les parents, les projets des jeunes semblent difficiles à faire aboutir.  Il nous semble clair que des enfants se sacrifient dans leurs possibilités pour éviter à la famille une séparation ou un déménagement. En effet, des parents envisagent parfois de changer de vie, de tous déménager, pour se rapprocher d’un établissement. « Parfois, je pense – c’est une hypothèse de ma part – que des enfants vont rester en deçà de leurs possibilités, pour ne pas demander à leurs parents de faire ce choix-là. Je pense à un jeune qui s’est retrouvé dans un foyer occupationnel

  Quand un jeune prend de l’autonomie d’un seul coup, il nous faut travailler absolument avec les parents ! Sinon on les met dans une situation difficile où ils doivent choisir entre le projet qu’ils ont construit avec nous et le projet qu’ils partagent avec leurs parents. Et cela mène le projet à l’échec.

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Certains adolescents renoncent à leur rêve pour préserver leur famille. Cela ne se fait pas forcément dans le conflit, mais aussi dans l’amour. Il y aurait des positions inconscientes qui amèneraient des adolescents à soutenir un parent blessé plutôt que de prendre leur autonomie. Ça se dénoue, ça se déplie au fur et à mesure de la vie. Ils ne savent pas forcément dire à 15 ans ce qui est important pour eux, à quoi tient leur équilibre, et notamment dans leur famille.

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10 ➧ Faire avec sa famille

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Le corps silencieux ne nous gêne pas. C’est le corps bruyant qui dérange les professionnels. Pourtant est-ce finalement plus grave qu’un enfant qui ne se plaint de rien ? Il est possible qu’ils nous protègent un peu de leur agressivité, notamment par leur silence, leur tolérance.

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Pouvoir dire ce qu’on ressent c’est être reconnu par les autres. Quand on est reconnu, on n’a moins besoin de se battre contre ce qui est décidé pour nous par les adultes. Ainsi on voit que des adolescents qui ont dit ouvertement qu’ils n’étaient pas d’accord pour se faire opérer réussissent à supporter les soins et même à s’approprier ensuite leurs rééducations.

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Le vécu des familles

Nous avons beaucoup parlé des parents et les parents présents ont exprimé toute la complexité de leur place : vouloir le mieux pour son enfant ne se décline pas facilement dans le concret, autour des soins, de la scolarité, de la vie affective.

1 ➧ Une crise familiale Le bouleversement de l’adolescence touche la famille dans son entier et vient bouleverser un équilibre. C’est une période de crise familiale. « L’adolescence c’est immanquable, c’est 18 ans […] la grande différence elle est là. Potentiellement, on peut se barrer et dans la tête des parents, c’est plus du fantasme, c’est du réel. » Et il nous apparaît certain que c’est toute l’entité familiale qui a encore besoin de l’aide de professionnels, de personnes extérieures à cette cellule pour servir de tiers et apporter un souffle. Visà-vis du handicap, rien de nouveau : des parents luttent " contre ", d’autres " avec ", d’autres " pour ". D’autres encore continuent leur route comme s’il n’existait pas. Des parents voient des difficultés là où leur enfant n’en voit pas parce qu’il est comme cela depuis toujours. Les parents le comparent à un enfant fantasmatique qui ne serait pas

handicapé. Le jeune se projette dans le milieu ordinaire, les parents ont peur. « Elle s’ouvre des portes que nous, on a presque déjà fermées. Je trouve ça génial ! » Ou au contraire l’enfant voit trop ses incapacités et c’est le parent qui croit aveuglément à ses potentialités. Des parents ont peur que l’enfant se prenne un mur un jour, qu’il soit confronté à un échec important, alors ces parents-là aident, endiguent. « Papa veut, papa fait ses devoirs, il se couche à minuit c’est quelque chose de particulier… » Des parents ne peuvent pas admettre que leur jeune parte, qu’il soit capable de mener seul sa vie, alors qu’il s’en montre capable aux yeux des professionnels. Parfois c’est lié à la sexualité (comme dans l’exemple qui suit), parfois pas.

Pour plusieurs situations, nous nous sommes demandés : où est le père ? C’est la situation familiale préalablement installée qui est déterminante. Un adolescent se structure comme tel lorsqu’il peut s’appuyer sur des adultes solides, à la fois aimants et structurants.

Les adolescents sont en général particulièrement désagréables avec leurs parents, plus qu’avec les autres adultes. C’est aussi l’effet du processus de l’adolescence. Par contre, ils peuvent se montrer différents avec les professionnels. Et il est alors utile que les parents le sachent, cela les rassure. « Il ne se montre pas du tout mature auprès de ses parents, mais avec les autres et avec nous il est poli. La dernière fois que je suis allé chez lui, il m’a proposé à boire. Son père ne le voit jamais comme cela. Et puis on discute facilement. Alors qu’entre eux, 1 - SAVS : Service d'accompagnement à la vie sociale pour les adultes.

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  Mettre le père dans le circuit, une famille tient toujours sur deux parents, même quand l’un des deux a l’air absent.   Continuer à travailler avec la famille ! Absolument ! Mais pas forcément de la même manière. Par exemple : un éducateur travaille avec la jeune fille pendant qu’un professionnel du SAVS 1 travaille avec la mère.

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Les équilibres familiaux ont beaucoup d’incidence sur la portée de nos interventions. Les parents peuvent être dans l’hyper protection, garder l’enfant pour eux, pour tenir, pour colmater d’autres blessures (séparation du couple, deuil, dépendance…). Il y a des deuils à faire. C’est peut-être plus facile à verbaliser pendant l’enfance car les événements traumatisants sont plus récents. Les parents sont de plus en plus " autorisés " à dire qu’ils ont du mal à se séparer de leur enfant, qu’ils sont traumatisés par la naissance… Mais quand l’enfant devient un adolescent, que quinze années sont passées, c’est comme si toutes ces blessures devaient être réglées. Elles ne le sont pas ! Elles sont même au contraire réactivées par cette nouvelle étape de développement qui annonce des possibles et des impossibles.

Certains adolescents ont un rapport particulier à la souffrance maternelle. Comme une sorte de fidélité à la mère, ou un devoir de soin de la mère, qui compliquent les projets d’autonomie du jeune. Comment se défaire de ces alliances ? Est-ce souhaitable ? De quel droit nous viendrions détruire cet équilibre qui bien souvent n’est là que pour colmater quelque chose de plus douloureux encore ?

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Les facteurs de risques de souffrance sont les mêmes que dans les autres familles : traumatismes, séparations, violence, exil…

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« C’est comme si son père lui avait dit : " Toi t’es handicapée, si tu veux habiter toute seule, t’es bonne sœur, et puis c’est réglé ". Non je caricature à peine : " Tu n’auras pas de sexualité, tu n’auras pas de vie, ta vie elle est tracée " et puis je crois que ça tenait comme ça […] Elle a eu un petit copain à 18 ans et il y a eu une réaction très violente du côté du père, presque physiquement, mais en tout cas verbalement. Il a cassé le portable, il a foutu le copain dehors, il l’a jeté, donc elle, elle est super mal […] les parents ils sont complètement perdus parce que du coup bouleversés dans leurs repères. »

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ils n’arrivent pas à se parler. Cela passe par les gestes, ils s’adorent, ils se détestent, ils rigolent, ça part dans tous les sens. »   Dire des choses positives sur les adolescents à leurs parents. Certaines décisions, notamment médicales, sont lourdes à porter. Les parents qui ne suivent pas les conseils des professionnels se sentent culpabilisés. Ils ont déjà peur de ne pas prendre la bonne décision, ils ont besoin qu’on les conforte dans leurs intuitions de

parents. Cela donne une légitimité à leurs décisions. Ils ne peuvent plus décider seuls simplement, ils sont obligés de négocier, de discuter. « L’adolescent dit non tout de suite. Alors que nous savions pertinemment que cela devrait être oui. Moi, en tant que parent, je me suis senti un petit peu impuissant devant cette décision à prendre. »   Apprendre à respecter le choix final des parents, avec ou malgré les bons conseils des professionnels !

2 ➧ La fratrie La fratrie aussi vit cette crise. Nous savons maintenant qu’elle est forcément touchée avec la survenue du handicap. Nous sommes de plus en plus vigilants aux autres enfants de la famille lorsque nous nous déplaçons à domicile. Au moment de l’adolescence, ils ne sont pas plus ou moins présents. La fratrie se construit avec cette personne en situation de handicap, cela fait partie d’eux, de leur identité familiale. Les relations d’attachement se poursuivent et se transforment selon l’âge. Nous remarquons que le conflit est possible entre frères et sœurs, peut-être que le handicap moteur complique moins les relations que la déficience intellectuelle ? Peut-être que ce sont les effets de nos actions de préventions qui ont cours depuis plusieurs années maintenant ? Faire des choses ensemble, c’est une joie pour chacun. La fratrie se sent responsable (je m’intéresse à toi). La personne en situation de handicap est recon-

nue (je suis intéressante à ses yeux). Et le parent est comblé (ils s’aiment). Les parents nous disent la difficulté de doser entre responsabiliser la fratrie, mais seulement à la hauteur de ce qu’ils souhaitent porter, leur faire confiance pour les laisser faire des choses ensemble sans parents, et ne pas se décharger sur eux. « Je me souviens de la première fois ou j’ai laissé ma fille monter sur le scooter de son frère. Je n’étais pas fière du tout parce que je me disais qu’elle a des problèmes d’équilibre… Mais en même temps, c’était important pour lui que je lui accorde cette confiance. Quand c’est possible, je crois que c’est très important de laisser cette place-là, le tout est de trouver l’équilibre ; et cela est très difficile. Pour lui ça dépend aussi de la place qu’il veut prendre au sein de la famille, les responsabilités qu’il est prêt à assumer ou pas. Je crois qu’il faut être vigilant, en tant que parent, pour savoir ce que l’on peut effectivement déléguer et ce que l’on n’a pas à déléguer… »

3 ➧ Du lien social à travers le SESSD Les parents ont besoin des professionnels pour soutenir un lien social. Les SESSD les aident à rester inscrits dans des liens, parfois ils aident à les créer. Sans le SESSD les parents ne se rencontreraient pas. Ils savent parfois se soutenir les uns les autres. C’est en partageant, eux aussi autour de leur vécu, qu’ils réussissent à se réparer les uns les autres. « À tout moment, on peut récupérer quelque chose. En tout cas, ça a été le cas pour nous. C’est important de pouvoir l’imaginer et de pouvoir le dire et les professionnels de pouvoir l’entendre. De dire que ce n’est pas parce que ça a été difficile et qu’on s’est senti seuls, etc. qu’on doit l’être tout le reste de notre vie. Je pense qu’à

La transmission du vécu est essentielle, c’est moins lourd quand on partage.

n’importe quel moment, on peut rentrer dans le relationnel. Même si on a vécu des choses difficiles, ce n’est pas pour autant qu’on ne vivra plus jamais ou qu’on ne vivra plus que cela. » Oui on peut transformer, faire du bon à partir de mauvais, guérir des blessures psychiques, construire ou reconstruire du lien.   Plusieurs équipes ont (ou vont) créer un lien de communication, un écrit, un petit journal ou un site Internet qui alimente ce besoin de lien social. 2   Le CVS d’un SESSD a organisé un apéritif autour de la rentrée scolaire. Les parents présents étaient ravis, ils se connaissent de mieux en mieux et sont contents de se retrouver. 2 - CVS : Conseil de la vie sociale.

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Et quand ils sont adolescents eux aussi, nous avons l’impression qu’ils sont préoccupés par les mêmes bouleversements relationnels, avant de l’être par le handicap.

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Parfois, ils influencent énormément le parcours de l’enfant en situation de handicap. Là encore, cela répond à des alliances souvent inconscientes, des pactes de solidarité vitaux, qui ne sont donc pas forcément verbalisés aux professionnels.

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« À 16 ans, il est incapable d’accepter une solution avec laquelle son grand frère ou sa grande sœur ne seraient pas d’accord, ce n’est pas possible. C’est eux les grands donc il leur doit le respect… En fait, le grand frère et la grande sœur prennent les décisions sans en avoir l’air sur l’orientation de leur frère. »

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Parfois les frères et sœurs en ont assez parce que le handicap accapare encore les parents. « Une petite fille a dit un jour à son papa à propos de sa sœur handicapée. " On pourrait mettre un moteur sur son déambulateur pour qu’il lui permette de courir " et comme ça elle ne serait pas portée par son père. »

Les liens, c’est aussi ceux que l’on construit ensemble dans notre rencontre. Ils sont importants pour nous, et c’est soutenant pour eux de savoir qu’on les investit. « C’est essentiel et gai de pouvoir se dire qu’avec tous les professionnels qui nous entourent on peut vivre des choses chouettes. […] Et que malgré tous les parcours qu’on peut avoir ce n’est jamais trop tard, il n’est jamais trop tard. »

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Ils ont besoin de s’appuyer sur les professionnels. Les parents ne peuvent pas dire ce qu’il faut faire avec eux et comment il faut le faire, ils ont besoin que nous les écoutions et les comprenions.

Parents, soyez fiers et ayez du bonheur, quoi qu’il en soit.

1 ➧ Les professionnels L’adolescence fait résonance en nous très fortement. Elle nous expose en tant que personnes, car nous sommes seuls, représentant l’institution quand nous intervenons dans le cadre d’un SESSD.

➧ Une confrontation fragilisante Les professionnels sont mis face à leur impuissance, directement. « On ne peut plus continuer dans la même posture. » Ils essaient de se protéger, d’abord individuellement, par une kyrielle de moyens de défense : travestissement de la réalité (un devoir de maths qui mérite un 6 obtient 15), infantilisation (on l’inscrit à un groupe, on décide de poursuivre le suivi éducatif, sans lui demander ce qu’il

en pense…), manque de coordination, erreurs de jugement, on manque d’honnêteté (à vouloir bien sûr les protéger), refus d’être le mauvais objet, on se tait alors qu’on devrait dire… accusation d’autres responsables (l’Éducation nationale en priorité, les parents aussi) que de résistances… à ce qui constitue pourtant notre travail de tous les jours… ! « Parce que c’est moi qui vais dire que l’enfant n’y arriverait pas ! » Nous, les adultes, sommes confrontés à ce que les adolescents nous font vivre ! Nous avons peur, peur qu’ils sachent trop bien ce qu’ils veulent ou ne veulent pas. Peur de s’entendre dire non, peur de ne rien y pouvoir, peur d’être " à la carte "… Nous parlons de nos choix, de nos priorités, mais écoutons-nous vraiment les leurs ?

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Le processus d’adolescence fragilise les professionnels, dans leur rôle d’adultes, et dans leur fonction de soin. Ils nous délogent de la place dans laquelle on s’était mis face à eux enfants, ils nous font perdre la certitude de nos compétences à répondre à leurs questions. Ils exigent que nous nous adaptions à eux. « En tant que professionnels, quand un enfant nous pose une question, on se sent dans la posture d’avoir la réponse, je pense qu’un ado perturbe ça… C’est imprévisible ! »

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Les professionnels et l’institution

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« Il ne faut pas oublier que l’enfant raisonne aussi. Donc si la famille n’a pas fait forcément son cheminement, peut être que l’enfant, lui, l’a déjà fait, sans forcément l’exprimer. Mais peut-être qu’il est plus avancé dans son raisonnement et qu’il est peut-être bien plus réaliste que l’on peut imaginer. » Ces métiers nous donnent l’occasion de travailler sur nos représentations, donc d’évoluer personnellement. C’est en partageant, nous aussi autour de notre vécu, que nous réussissons à nous aider les uns les autres.   Créer du conflit au sens de discussion, il en sortira toujours quelque chose. Oser se mettre autour d’une table avec les parents et le jeune. Ils doivent avoir la parole, on doit la leur donner ! Demander l’avis des gens, ne pas l’oublier, ne pas les traiter comme des choses ! On ne peut pas se mettre à leur place ! Donc il faut leur demander ce qu’ils pensent !   Croire que c’est possible, sans pour autant enfermer l’enfant dans un rêve que nous avons pour lui, mais surtout ne pas lui fermer de porte a priori parce que nous serions enfermés nous-mêmes dans nos représentations de ce qui lui est accessible. Les projeter dans l’avenir pour leur concevoir, imaginer des possibles.  Visiter, rencontrer d’autres institutions, créer des partenariats avec des structures pour adultes. Les professionnels travaillent avec leur sensibilité, pas seulement avec leur technicité. Puisqu’ils peuvent faire du bien, ils peuvent aussi… faire du mal. Il nous est plus facile de croire que c’est de la faute des parents, voire de

l’enfant, s’il n’est pas bien soigné, rééduqué. Mais nous devons porter la responsabilité des soins, l’adolescent a besoin de cela, c’est notre travail. Nous risquons de culpabiliser les parents. On le sait, le risque est de déplacer cette responsabilité sur l’enfant " quand on veut on peut ", " quand même ce n’est pas pour moi, c’est pour toi, c’est ton avenir ". Non ! Ce sont nous les adultes ! Ils ont légitimement le droit de nous en vouloir. Nous avons peur de cela alors que c’est notre rôle d’adultes face à des enfants ou des adolescents. Cela va à l’encontre de ce qu’on est venu faire : être aidants, sauveurs, réparateurs. Ils ont besoin de professionnels capables d’encaisser des désaccords, de l’agressivité. C’est là l’essentiel. Cela suppose de sentir l’agressivité d’un patient, la reconnaître comme de l’agressivité, pouvoir en parler, en témoigner et en faire un outil clinique (par exemple dans une équipe l’un jouera le mauvais objet, l’autre le bon). Cela suppose que le professionnel lâche sa possible toutepuissance. C’est un réel travail qui ne peut qu’être personnel. Souvent, quand on croit que l’on n’a pas le choix, on ne parle pas des choses. On les fait parce qu’on pense qu’on ne peut pas faire autrement. Est-ce le cas des chirurgiens qui ne proposent pas de chirurgie esthétique ? Il est possible que nous soyons en difficulté pour reconnaître l’agressivité avec laquelle sont aux prises ces enfants-là et le risque de répondre nous-mêmes par des attaques nous guette en permanence.  Reconnaître que l’on a des représentations et les exprimer, les partager. Reconnaître qu’on a du même, se reconnaître comme semblables.

 Essayer… et réessayer autrement si ça ne marche pas. Enfin, il nous apparaît du devoir des professionnels d’apprendre à reconnaître leurs doutes, pour en faire un outil. Se sentir incompétent devrait mener à une démarche de questionnement puis d’amélioration. C’est grâce au doute que l’on essaie autre chose. Nous devons admettre que nous ne sommes pas des machines bien ou mal programmées, mais des êtres sensibles, influencés par notre histoire et nos émotions, incomplets et perfectibles ; et ce pour pouvoir reconnaître auprès d’une famille ou d’un jeune qu’on peut se tromper nous aussi.

Quand un professionnel ne réussit pas à atteindre les objectifs du projet avec un enfant, ce n’est pas l’incompétence du professionnel, ni son non-respect par l’enfant, c’est simplement parfois que le contact ne passe pas. On choisit pour l’enfant le professionnel qui conviendra, sur des critères souvent techniques (untel connaît bien telle pathologie). Mais on sait que ce ne sont pas ces aspects-là qui font une rencontre entre deux êtres humains. Et surtout ce choix n’est pas réciproque, donc pas égalitaire. Dans une relation d’attachement, le choix est mutuel. En faisant cela, c’est comme si on déniait qu’on s’attache aux enfants. Nous redoutons la proximité, nous cherchons une " juste distance " qui menace de devenir anti-thérapeutique.

➧ La sexualité ? De qui ? Leur sexualité, on en parle, on en voit les signes. Dans la plupart des services, on a du mal à la voir et à en parler ouvertement. « Honnêtement, sauf quand il y a quelqu’un de l’extérieur qui pose la question,

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Peut-on imaginer de se choisir mutuellement dans une relation de soin comme dans toute relation ? « On devrait forcément se poser la question du choix réciproque dans la mesure des possibilités. »

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➧ Se choisir mutuellement

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Nous sommes déstabilisés dans les alliances thérapeutiques que nous avions aménagées jusqu’ici. À l’adolescence, il faut créer une alliance thérapeutique avec qui ? le jeune ou ses parents, ou les deux ? Des stratégies sont à penser : avec telle famille, je vais travailler comme ça parce que… Parfois on n’arrive pas à les penser sur le coup, on en a seulement l’intuition, mais il est utile de se regarder faire pendant un moment pour constater ce que nous avons fait et comprendre pourquoi nous avons fait de telle ou telle manière. On n’aboutit pas aux mêmes objectifs en voyant la mère et la fille ensemble à domicile, ou la fille seule au lycée, ou la fille seule à la piscine, ou la famille entière à la piscine…

  Plusieurs professionnels témoignent que pouvoir dire qu’on doute (à des parents ou un adolescent) donne une occasion riche d’échanges nouveaux.

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 Utiliser les outils que nous avons à notre disposition : la supervision, l’échange entre collègues, avec le psychologue…   Ouvrir le débat : c’est la concertation qui est décisionnaire. Le fait qu’on échange entre nous fait autorisation pour les parents à exprimer leur avis.

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mais nous, entre nous, ce n’est pas abordé, ce n’est pas parlé. On ne peut pas en parler, on a fait une croix dessus, personnes handicapées, pas de sexe, pourquoi on en est arrivé là ? » Elle peut pourtant servir nos indications. L’une de nous rapporte cet exemple où un jeune a réacquis des capacités motrices grâce à l’interrogation de professionnels sur ses capacités à se masturber. La vie intime sexuelle de ce jeune homme a servi d’indication à de la kinésithérapie. « Avec nos collègues, on se posait la question… J’avais l’impression qu’il se masturbait en parlant et puis il en parlait aussi beaucoup avec la kiné. Il est très handicapé, les bras contre son corps. Avec ma collègue kiné, nous nous sommes posé la question : est-ce qu’il a les possibilités motrices pour se frotter un peu ? Du coup, la kiné a retravaillé avec lui les retournements alors qu’il ne les faisait plus. Il était sur le tapis, elle sortait de la salle, elle lui disait " voila, je reviens dans cinq minutes et dans cinq minutes, il faut que tu te sois retourné ". Et comme ça, il a récupéré le retournement alors quand elle est venue me le dire, on était très contentes de savoir qu’il pouvait avoir les possibilités motrices de se masturber. » La sexualité nous met mal à l’aise. Bien souvent, parce que l’on a peur de s’attacher aux enfants et de le reconnaître. Le domicile génère encore plus d’investissement affectif, nous expose encore plus. Entre un homme et une femme, entre deux êtres sexués, il y a du désir, vivant. Être professionnels ne nous enlève pas notre sexe, le fait que nous soyons d’abord des hommes et des femmes. Fantasmer, imaginer, fait le désir. L’agir est un problème, pas le

fantasme. Tout contenir, cadrer, voiler, pour chercher à éviter le fantasme et le désir, c’est le risque de signifier à ces enfants qu’ils ne sont pas désirables. C’est aussi les annuler en tant que sujets désirants. Et ça voudrait dire que de leur part aussi ce serait déplacé de fantasmer sur leur soignant ? Pourquoi leur interdire cela ? Cette crainte nous empêche de ressentir. Pourtant notre ressenti, notre humanisme, c’est notre moteur, notre motivation principale à faire ces métiers d’aide ! À trop vouloir s’en protéger, on risque d’anéantir toute forme d’attachement, de dévitaliser la relation. Bien sûr ce sont des mains de kiné qu’un kiné pose sur un corps, il n’a pas besoin de dire qu’il n’abusera pas de sa patiente. Le dire peut dénaturer leur relation. Le dire peut aussi a contrario rassurer la famille. « Il n’y a pas à bombarder les gens avec un cadre qui n’est pas nécessaire parce que là ça fait violence. C’est violent parce que ça fait peur là où il n’y avait pas d’angoisse, comme si d’emblée cette relation pouvait être sexualisée, dangereuse. » À chacun de nous d’adapter ce qu’on dit aux besoins qu’on pressent, ne pas laisser nos relations être contaminées, envahies par des soucis juridiques.   Nous avons intériorisé des interdits, ils n’ont pas forcément besoin d’être verbalisés.  On peut demander à un jeune d’avoir une tenue qui protège son intimité corporelle pendant des séances où on travaille avec son corps, mais sans pour autant se sentir obligé de parler de risque sexuel.

  Garder contact avec les plus âgés pour qu’ils servent de repères aux plus jeunes, permettre des échanges ou au moins que nous sachions ce qu’ils ont su créer.

➧ Le domicile À domicile, on se sent plus responsable qu’ailleurs si l’enfant part, quitte la séance, sort de la pièce, entre dans une autre. On est plus à l’aise dans un lieu " public " que dans ce lieu privé qui est la scène de la vie familiale, de la vie de couple. Nous savons tous que des lieux nous sont interdits dans un domicile, nous avons peur d’y être invités par

La fonction éducative est particulièrement exposée quand il s’agit d’intervenir à domicile. En quels termes décrire une " intervention " éducative ? Qu’est-ce qu’" intervenir " quand on est éducateur ? Les enfants posent des questions aux éducateurs, même avec leur corps, par exemple en allant jouer à cache-cache avec son éducateur et en se cachant dans la chambre de ses parents en leur absence. Ils questionnent la sexualité, la loi : ce qu’on a le droit de faire, les lieux qu’on préfère… comment on investit psychiquement son corps… Dans des situations extrêmes, le suivi éducatif reste le seul lien à la vie sociale. « On a eu une situation un peu particulière d’un jeune homme avec une maladie évolutive qui, après sa scolarité au collège, a voulu arrêter. Il a dit " je rentre chez moi. De toute façon je vais mourir, donc je rentre chez moi ". Et c’est vrai que c’était difficile, sa problématique était difficile.

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Nous aussi, nous avons besoin de se rassurer, de savoir que c’est possible pour les convaincre eux, de s’appuyer sur des histoires vraies, que nous connaissons. « Une jeune qui est partie sur Grenoble, qui est très handicapée, nous a envoyé les photos de son mariage et de son bébé. Là c’était génial ! »

 Dans certains services, la présence obligatoire des parents pendant l’intervention des professionnels à domicile est stipulée dans le règlement de fonctionnement.

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  Croire qu’ils sont autant concernés que les autres, c’est le leur autoriser, ouvrir des possibles. Ne pas y croire, c’est leur fermer des possibles.

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Ne pas pouvoir penser la sexualité des jeunes, ne serait-ce pas ne pas pouvoir se penser amoureux, désirant vis-à-vis d’eux ? Cette hypothèse est soumise au débat.

l’enfant. Nous sommes toujours dans cette attention à ne pas transgresser à domicile. C’est pour nous un territoire de l’imprévisible puisque ce n’est pas le nôtre. La présence ou l’absence du parent doit être pensée : • e n fonction du règlement : qu’autorise ou interdit le règlement de fonctionnement d’un service ? On comprendra alors les demandes ou les actes en fonction de cette règle à partir du moment où elle sera posée. • e n fonction de ce que souhaitent l’enfant et les parents.

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Les cadres sont faits pour protéger l’enfant mais aussi le professionnel. Car l’accès à l’intimité expose les deux parties de la relation de soins. Les kinés sont particulièrement exposés à cela du fait de leur relation au corps.

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Il est décédé deux ans plus tard, mais ces deux ans-là, pourquoi ? Il aurait pu envisager autre chose que d’être que chez lui, etc. donc la prise en charge a continué, bien sûr, je suis intervenue, j’ai essayé par tous les bouts de le mobiliser, etc. j’ai accepté de ne pas y être arrivée… » C’est une posture particulièrement difficile.  C’est l’appui sur l’équipe qui a permis à cette éducatrice de " tenir bon ".  Un éducateur travaille en collaboration avec un SAVS ; lui auprès de l’adolescente et le SAVS auprès de sa mère. Il faut utiliser des tiers dans nos suivis, mettre des écarts entre différents espaces de parole. Le temps est nécessaire pour construire une relation. Serait-il plus long en SESSD ? Certains parlent d’environ six mois à un an pour construire une relation où on sera dans le partage d’une histoire commune. Les SESSD présentent visiblement une temporalité spécifique. Il faut faire du condensé parce qu’on ne voit pas les gens souvent, on ne peut pas se permettre de ne rien faire (rien de spécial, juste être là comme dans une institution). Quand on va voir les gens, chez eux de surcroît, c’est forcément pour faire quelque chose. C’est important de vivre des choses ensemble, notamment à travers les " transferts ".

➧ La scolarité Nous en parlons beaucoup, mais d’abord pour relater et partager des constats d’échecs qui ont fortement marqué les professionnels, blessés et parfois découragés. Leur sentiment d’impuissance se réveille à l’occasion de situations de

souffrance scolaire, majoritairement (et presque exclusivement d’ailleurs) au collège. Pourtant, notre mission n’est pas d’intégrer à tout prix en milieu scolaire ordinaire, mais d’accompagner le jeune là où il est scolarisé. La scolarisation ne doit pas devenir une finalité en soi. On doit se centrer sur l’adaptation à la réalité, la socialisation, le quotidien, la réalité, pour permettre à long terme une vie de citoyen. La scolarité en elle-même n’est pas de notre ressort. Nous sommes des accompagnateurs et des partenaires et avons tendance à l’oublier. Nous estimons être trop centrés sur le scolaire, trop dans l’aide, et pas assez dans l’accompagnement. Nous devons aider les enseignants à habiter pleinement leur rôle d’" intégration " des élèves en situation de handicap moteur, car celleci repose sur eux. Les SESSD participent-ils aux " mensonges " dont ils se plaignent (comme la sur notation) ? Puisqu’ils sont partenaires des décisions scolaires, ne devraient-ils pas plutôt se recentrer sur l’accompagnement social, plutôt que de se mêler du scolaire ? Nous proposons l’hypothèse qu’un désaccord avec l’Éducation nationale peut signifier l’absence ou l’échec d’un certain travail avec la famille en amont. « Si l’on n’a pas travaillé avec la famille sur les objectifs, sur ce que l’on peut attendre d’une scolarisation pour l’enfant, ce qu’il est capable de faire, ce que l’on peut envisager pour lui dans sa scolarité… Si à l’origine on n’a pas fait ce travail-là, on ne peut pas travailler avec les partenaires, ce n’est pas possible. Il n’y a pas de cohésion,

  Plusieurs équipes prévoient des temps informels lors de leurs déplacements pour parler avec leurs interlocuteurs, s’intéresser à eux.

On ne peut pas donner réponse à tout, à chacun de trouver ses réponses.

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Il y a effectivement des choses qui nous échappent.

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 Déterminer des objectifs de rééducation en fonction d’aptitudes dans la vie courante et pas seulement en fonction des apprentissages scolaires. Par exemple, un éducateur fait un travail avec une psychologue et un petit groupe d’enfants pour « défocaliser », contourner les choses qui mettent le plus de pression sur les apprentissages : le handicap, la réussite scolaire.

Parler de nos ressentis, avec nos partenaires, dans des temps de rencontres informelles, qui ont l’air moins institués, incite les gens à parler eux aussi. « Une institutrice est venue un jour dans la cour à côté de moi ; elle m’a pris la main. Je me suis demandé ce qui m’arrivait (rires). Elle m’a dit qu’en fait, quand elle était petite, il y avait une de ses camarades de classe qui était morte parce qu’elle était tombée dans la cour. Et la petite fille avait une balle et le risque était qu’elle tombe sur sa balle… Ensuite, elle m’a lâché la main, elle est partie faire autre chose, et bon… Je n’en ai pas fait plus mais je pense qu’elle devait avoir cela qui lui pesait. » En ouvrant la discussion, nous ouvrons des possibles, nous créons des changements en face de nous. Nous permettons de transformer des représentations.

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pas de cohérence. Donc si déjà le travail n’est pas fait à la base, ce n’est pas possible. »

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2 ➧ L'institution Le service, en tant qu’institution, a été au cœur de nos débats et de nos réflexions. Nous avons questionné son originalité, son utilité, ses travers…

 n groupe pour ➧ Ules professionnels Le fonctionnement des SESSD risque de créer de l’assistance, puisqu’on se déplace quand l’enfant ne peut pas se déplacer, on met du soin là où des familles ne le font pas… Certains professionnels craignent que leur action ne fasse que cacher provisoirement les difficultés des familles. Ils craignent aussi de générer de la passivité. « Depuis tout petit, en fait, ils ne peuvent pas prendre la voiture, ils vont faire l’activité quand on leur dit, ils font la kiné, ils pensent que tout est réglé. » Nous regrettons d'être trop souvent dans l’aide, pas assez dans l’accompagnement. « Un éducateur vient accompagner un enfant dans son intégration auprès des autres alors qu’un gamin ordinaire peut être en difficulté d’intégration avec les autres et il va falloir qu’il se démerde. C’est aussi comme cela qu’on grandit, par la possibilité de faire l’expérience par soi-même, échouer dans son expérience et même de transgresser parfois la règle parce que comme ils sont toujours avec un adulte, sous le regard d’un adulte… » Nous parlons de changer la façon de faire les synthèses pour éviter ces risques. Inviter les parents et le jeune d’emblée à participer aux échanges qui les concernent les rend bien plus acteurs.

 Une équipe a instauré un dispositif original pour construire le projet individualisé : avant la réunion où le projet va s’élaborer, chaque adulte qui côtoie le jeune rédige ses observations et ses objectifs : professionnels et parents. Chaque participant à la synthèse a les écrits des autres avant la réunion ce qui permet d’ouvrir largement le débat. Quid de l’ado ? À certains endroits, la synthèse est préparée avec lui : que souhaites-tu dire ? On imagine même qu’il pourrait préparer un écrit qui lui serait propre. Nous constatons que les adolescents n’ont plus autant de séances de rééducation ou de suivi éducatif. Un enfant qui voyait quatre ou cinq professionnels par semaine, n’en voit plus qu’un ou deux, voire aucun régulièrement. C’est tout à fait spécifique à l’adolescence et nous tenons à garder cette souplesse permise par le dispositif du SESSD. Nous imaginons même une " prise en charge symbolique ". C’est-à-dire envisagée en termes d’appartenance à un groupe (faire partie du SESSD) et non pas en termes concrets de nombre de séances par semaine. L’idée serait de permettre à des familles de faire partie du SESSD, même si l’adolescent n’a pas de séance hebdomadaire fixe avec un professionnel. Nous pensons que cela peut soutenir une famille dans son identité, dans sa fonction (psychologique et sociale) de groupe encadrant pour l’adolescent. Le but ultime est d’éviter l’abandon des adolescents par les adultes au moment de l’adolescence.

Les enfants en situation de handicap connaissent énormément de situations duelles. Nous en voyons des effets négatifs, nous évoquons la toute-puissance de l’adolescent, mais nous questionnons aussi celle, possible, de l’accompagnateur. « Des fois il respire à partir du moment où les choses peuvent se passer en groupe. »

Une autre idée partagée concerne l’utilité des psychologues pour les équipes. Des SESSD disposent d’un psychologue disponible pour l’équipe, et cela paraît fort souhaitable. Les professionnels déposent auprès de lui leurs préoccupations les plus diverses, et s’en sentent soulagés. Psychologuepoubelle ou psychologue-dépanneur, il entretient leur fonction soignante aux professionnels qui doutent.

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  Plusieurs SESSD cessent de systématiser le suivi éducatif pour permettre à quelque chose de nouveau d’advenir : une demande, un manque, une solitude, une capacité à faire seul, une expérience de faire seul… Ils arrêtent de lier l’identité de cet enfant au besoin éducatif ; ils cessent de lui dire qu’il en a besoin (comme ils l’ont fait depuis l’enfance).  Plusieurs d’entre nous travaillent à deux professionnels (psychomotricienne-psychologue, éducateur-psychologue…), créent de nouveaux groupes supports avec un collègue qui n’a pas forcément la même profession.

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On parle de " prise en charge individualisée ". Nous redoutons qu’elles deviennent individuelles et isolantes. À vouloir justifier un taux d’encadrement suffisant, nous risquons d’être un sur encadrement. Ont-ils besoin de tout notre dispositif ? N’auraient-ils pas besoin au contraire qu’on les lâche un peu plus ? Qu’on les laisse seuls ?

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Souvent les professionnels n’en peuvent plus de ces séances individuelles et n’en veulent plus avec les adolescents. « Moi les séances classiques, je ne peux plus. Il faut que l’on fasse autre chose. »

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 Créer un " suivi symbolique " ?  Inventer de nouvelles modalités de suivi (et non plus un nombre de séances de telle profession par semaine). Par exemple : inscription dans un groupe, participation même virtuelle. L’adolescent ferait partie du groupe des adolescents qui organisent une sortie dans l’année. Ce serait le seul support concret proposé pour travailler… l’autonomie dans les transports, le détachement des parents, l’expression verbale…  Un SESSD estime que pour être suivi, il faut au moins deux types de " prise en charge ", dont le suivi éducatif ne fait pas obligatoirement partie. Par exemple : suivi psychologique et ergothérapie.  Un autre SESSD n’impose aucun suivi minimum. Par exemple : l’objectif global est l’autonomie sociale, il se travaille ponctuellement par différents supports (sortie en ville, itinéraire en vélo, utilisation du bus…).  Un autre encore a créé un système de " demi-place " pour les adolescents, ainsi il suit deux adolescents avec moins de séances au lieu d’un seul.

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L’institution existe-t-elle si elle n’est pas soignante ? Si elle ne sert pas à rendre les professionnels soignants ? On n’est pas soignant tout seul, on l’est parce qu’on travaille dans une institution. La contenance de l’institution est à favoriser par tous les moyens. Un autre support qui a fait les preuves de son utilité : la création d’espaces de parole, la supervision ou l’analyse des pratiques offre un lieu pour prendre du recul, de la distance, réaliser qu’on est pris par nos représentations, qui nous sont propres. Le transfert, ça se joue déjà entre collègues, nous devons apprendre à nous parler.

Se permettre pour un moment de parler d’une manière non rationnelle, laisser des choses nous échapper. Ces petits éléments qui nous échappent touchent les autres dans leur sensibilité et les amènent eux aussi à rêver. De ce canevas de pensées, a priori désorganisé, peuvent naître de la créativité et du sens nouveau dans nos suivis. Nous évitons ainsi de réduire les enfants à leurs besoins, nous les inscrivons dans quelque chose de vivant, de dynamique, de mouvant. « On a pu tricoter tout ça et pour se donner toute cette maille de sens, il faut prendre du temps et de la tranquillité dans les échanges, la confiance mutuelle. »

 Utiliser les lieux qui existent pour exprimer ce qu’on vit (entre collègues, avec le psychologue, en analyse des pratiques…) et sentir qu’on appartient à un groupe soignant.  Les créer s’ils n’existent pas.

 Communiquer, favoriser la rêverie entre nous pour que naisse du sens ; s’autoriser à livrer des pensées qui sortent du technique. Passer par des moments de trouble, de rêverie, de non maîtrise.

Aux parents, je dirais, soyez fiers, comme tout parent serait fier de son enfant. Et à mes collègues, je dirais, allons-y ! Il y a ce nous, parce que moi seule, je ne pourrais pas ! On sait depuis longtemps que parler ensemble des situations que l’on vit est utile aux personnes dont on s’occupe (cf. thérapie institutionnelle en psychiatrie), mais il ne s’agit pas d’en parler n’importe comment. Il ne s’agit pas seulement d’échanger des informations, mais d’essayer de rêver et à plusieurs. Nous sommes touchés par les situations dans ce que nous avons en commun avec ces enfants blessés. Il ne s’agit pas de dire forcément ce qu’on ressent, d’étaler nos sentiments… mais de partager les pensées qui sont associées à ces ressentis.

Tous les espaces de régulation d’équipe servent aussi à identifier les " vrais problèmes ". Quand un problème ne se pose qu’à une personne, c’est que peut-être il n’y a pas de problème. Du moins, il y a certes un problème pour ce professionnel-là qui est en conflit intérieur, mais il n’y a pas de problématique clinique, pas de problème pour la famille. Il faut toujours se décaler face à l’envahissement d’une situation. Nous devons toujours faire la part entre la problématique d’un jeune ou d’une famille et nos projections. L’équipe sert aussi à cela.  Si les autres, autour nous, renvoient qu’il n’y a que nous à voir un problème dans une famille, c’est peut-être qu’il nous faut douter de nos certitudes… Peut-être que cette famille ne vit pas le problème que nous percevons et que c’est nous seuls qui le voyons…

question de l’arrêt du suivi ➧ Làal’adolescence ? L’arrêt de l’accompagnement par un SESSD à l’âge de l’adolescence pose question aux professionnels qui n’en sont pas satisfaits, et les parents en sont choqués. À cet âge où justement des besoins nouveaux se font sentir – entrer dans un nouveau système scolaire (le collège) – les parents se retrouvent seuls (peur d’être abandonnés, pas appuyés dans leurs démarches). « C’est là où il (l’adolescent) en a le plus besoin, parce qu'il arrive dans la période de l’adolescence et qu’il doit aborder plus particulièrement le collège. Il y a une véritable rupture par rapport à ce

Des adolescents semblent nous encourager à les lâcher en refusant le suivi éducatif ou le suivi psychologique. Les séances de rééducation, prescrites par le médecin, sont souvent considérées comme obligatoires autant par les jeunes que par les professionnels. Des adolescents refusent tout. Faut-il continuer à les solliciter ? D’autres reconnaissent leur besoin de soins, très tôt ou encore ont une demande tellement forte qu’on s’occupe d’eux que cela nous effraie et nous donnerait presque envie de les fuir. Nous devons nous autoriser (nous et la famille) à poser la question de l’arrêt, mais pas forcément pour y aboutir. C’est l’occasion de dire tout le négatif qu’impose ce suivi, et de reconstruire du lien, un autre lien, avec d’autres objectifs. Les refus, les revendications des adolescents, leurs provocations, ne doivent

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Prenons en compte ce qu’ils nous font, prêtons-leur du sens, des désirs, des qualités.

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Les adolescents nous exposent particulièrement aux questions identitaires. Qui es-tu, toi ? Comment as-tu fait pour être adulte comme tu es ? Est-ce que je peux compter sur toi, te faire confiance, donne-moi des preuves, à quel groupe appartiens-tu ? Nous posons l’hypothèse qu’ils exposent les professionnels à plus de questions identitaires. C’est ainsi que nous tentons de comprendre les questions qui nous habitent sur l’utilité de nos places, de nos fonctions. Alors le sentiment d’appartenance à un collectif, à une équipe, serait d’autant plus nécessaire.

qu’il a connu précédemment et donc il se retrouve tout seul. Les parents se retrouvent aussi très seuls. L’équipe enseignante qu’on a en face ne connaît pas du tout la problématique. Si le service de soins qui a suivi l’enfant depuis un certain temps largue les amarres en disant " maintenant démerdez-vous ", alors pour moi c’est le néant total. Si le service de soins n’est pas là pour aider l’enfant à passer ce cap très difficile… c’est déjà un cap qui est difficile pour un enfant valide, à plus forte raison pour un enfant qui ne l’est pas, qui est différent et qui doit s’intégrer tous les jours, et faire face tous les jours à la problématique du maintien dans un milieu ordinaire alors que lui est différent. Je ne vois pas comment on ne peut pas accompagner cet enfant-là, dans toutes ces difficultés qui ne font que commencer. »

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  S’ouvrir à des collaborateurs, des partenaires, c’est instaurer des tiers pour avoir une vision plus globale de la situation et donc moins soumise aux aléas de nos projections.

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pas générer du rejet de notre part. L’adolescence attaque les liens en ayant besoin qu’ils tiennent, pas pour s’en défaire. Mais ces signaux nous incitent à lâcher de l’espace, à assouplir nos exigences. Nous devons petit à petit composer avec eux, et non pour eux puisque ce ne sont plus des enfants. Nous devons nous préparer à l’idée de les lâcher. Si nous réussissons à entendre leurs refus sans nous sentir agressés ou inutiles, nous aurons moins peur de leur poser la question de ce qu’ils souhaitent, et nous les aiderons à s’exprimer.   Un SESSD organise un séjour avec les adolescents. Ensemble, ils font les recherches : où aller, comment y aller (prendre le train, comment ça se passe en fauteuil ?), où dormir ?   Un SESSD différencie " activités " et " dispositif ". Une activité est proposée aux enfants dont le projet correspond aux objectifs de ce groupe, le service fait en sorte que le jeune y participe (organisation, transport). Un dispositif est ouvert aux jeunes qui le veulent, c’est une sorte de permanence de professionnels (en l’occurrence dans une médiathèque) où chaque jeune est libre de les rejoindre, sur sa propre initiative et par ses propres moyens.

Si certains adolescents semblent plus épanouis en établissement spécialisé, nous connaissons aussi des situations qui nous prouvent que des familles ont de bonnes raisons de tenir à une vie ordinaire. Nous devons bien sûr permettre d’éviter toute souffrance, mais d’abord respecter les choix de vie que font les familles que nous accompagnons.

On voudrait dire aux parents, aidez-nous à ne pas faire notre propre projet de vie pour votre enfant, donc aidez-nous à être plus modestes, voila ! Et faudrait-il des lieux spécifiques pour eux (question que des directeurs se posaient en amont de cette rechercheaction) ? Pour nous, la question n’est pas là. Ce qu’il leur faut, c’est un groupe d’appartenance (ou plusieurs) pour se construire, extérieur à la famille. Là où c’est possible, il n’y a pas besoin d’une structure particulière. Là où ce n’est pas possible, il faut inventer des rituels de passage, des passerelles, des ponts entre l’enfance et l’adolescence. Ce peut être dans la même structure, à condition qu’elle permette des rassemblements, qu’elle assouplisse ses liens, c’est-àdire qu’elle s’adapte aux besoins des adolescents.

Souvent les familles attendent énormément de nous, et nous en restons étonnés. Il leur arrive (peut-être inconsciemment) de nous prêter un pouvoir miraculeux, donc trop de pouvoir. Nous projetant tout-puissants elles peuvent nous en vouloir de ne pas réparer leur enfant. Serait-ce une forme d’agressivité déguisée ?

Laisser les parents décider, ce n’est pas forcément prendre soin d’eux. Et pourtant, certains parents défendent fermement leur pouvoir de décision, comme si toute leur parentalité en dépendait.

Il n’y a pas de mode d’emploi des parents.

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Pour nous soulager de nos responsabilités, nous pouvons aussi être tentés de nous reposer sur la responsabilité des autres, mais ce n’est pas aux parents de porter l’ambivalence des soins : être bon, mauvais parce qu’on fait ci ou ça à l’enfant : « Nous, on écoute les chirurgiens, on écoute les praticiens quels qu’ils soient, les professionnels, mais comment dire, on peut se dire parfois que, si on ne prend pas telle décision, si on ne répond pas de telle et telle façon, on ne fera pas bien, donc c’est un sentiment de culpabilisation à ce moment-là. »

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Les professionnels ont donc une grande responsabilité pour que ces relations se passent dans le respect puis le partage, chacun à sa place, pour continuer à faire tiers. Si on porte la même autorité par exemple, comment le jeune peut se servir de nous pour expérimenter autre chose ?

Pour pallier nos peurs d’être incompétents, nous avons tendance à en faire trop. Quand notre identité professionnelle s’affirme plus tranquillement, nous n’avons plus ce besoin.

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Au carrefour des familles et des institutions, se situe le partenariat, nécessaire à nos relations mais ô combien difficile à construire. « Il n’y a pas de mauvais enfants ou de mauvaises familles, il n’y a que des enfants et des familles qu’on ne comprend pas. Donc si on ne les comprend pas, il faut trouver quelqu’un d’autre pour nous aider à les comprendre. »

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Parents et professionnels, se rencontrer

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Avec certaines familles on est protecteur… Est-ce que ça veut dire qu’avec d’autres on peut être le contraire ? C’est évidemment difficile à admettre mais est-ce une preuve qu’à certaines on fait subir d’éventuels mauvais traitements ? À quoi cela tient-il ? Parfois on est maladroit, on ne sait pas comment s’y prendre avec une famille… Parents et professionnels, nous avons en commun beaucoup de choses. Et nous pouvons nous soutenir mutuellement. Nous pouvons travailler ensemble à affronter la réalité.   Des professionnels ont fait une démarche de demande de diagnostic psychiatrique à l’extérieur du SESSD, dans une démarche commune de recherche de sens de symptômes intrigants.

Chaque demande est unique et il faut s’adapter. S’adapter n’est pas facile. Cela suppose le doute et l’incertitude, l’impossibilité de s’en tenir à un modèle d’interaction, de construction de projet, la surprise, la non-maîtrise. On sait des choses, chacun (compétences, savoirs), mais il faut aussi échanger nos impressions. Alors il n’y a pas de rapport de pouvoir, chacun ses compétences dans la discussion, chacun ses arguments. Échanger, partager, participe au processus thérapeutique. Nous ne sommes pas pareils, mais des partenaires différents. La relation est, sur certains plans, dissymétrique mais on peut se reconnaître mutuellement.

3  Aux JNP , un atelier a été réalisé avec des parents et des professionnels. Chacun devait nommer ses attentes et ses craintes vis-à-vis de l’autre, et ce qu’on imaginait que l’autre pensait vis-à-vis de nous. Le résultat montre que nous avons des choses en commun : la peur d’être jugés de façon négative, l’espoir que nous serons reconnus pour ce que nous sommes. Faire cette expérience ensemble avec les parents d’un SESSD, c’est se construire des relations basées sur la reconnaissance mutuelle !

Partager des choses ensemble dynamise nos échanges, nous permet de mieux nous connaître, de " défocaliser " du handicap, de dédramatiser la relation aidant-aidé.   À l’initiative d’un CVS, des professionnels et des parents ont partagé un apéro de rentrée, puis un pique-nique estival dans un joli parc, autour de vélos et de joëlettes. Les professionnels doivent cependant faire attention à ne pas se mêler de ce qui ne les regarde pas ! Attention aussi à ne pas aider le jeune à avancer dans son autonomie tout en laissant les parents en rade et de mettre les jeunes en situation de devoir choisir entre notre projet et celui de ses parents ! « On se plante parce qu’on croit des choses qui seraient bonnes pour eux. On n’a pas mesuré ou perçu les enjeux intrafamiliaux. » C’est la famille dans son ensemble qui doit trouver un équilibre, à nous de l’y aider, et non de créer des déséquilibres 3 - JNP : Journées nationales des parents de l'APF.

Il y a aussi des choses que nous souhaiterions voir simplifier entre nous dans le partage d’informations. Nous avons besoin de connaître un peu l’histoire de l’enfant. Mais, lorsque nous rencontrons de nouvelles familles au moment de l’adolescence, nous voyons bien que certaines sont épuisées de raconter leur histoire. Là se pose la pertinence de nos demandes. « Qu’est-ce qu’on a toujours besoin d’aller chercher ? De faire parler systématiquement les parents ? À un moment donné, ça en devient presque indécent. Moi je sais que généralement je ne le fais pas, si à un moment ça se présente on en parle. » L’échange peut se faire à différentes occasions. Le systématiser n’est pas une obligation. Il est facilité quand on a déjà établi une relation. Les familles ont besoin de savoir que les professionnels

Les parents croulent sous les informations et les papiers liés au handicap.  Dans un service, on les trie pour eux. On a créé et mis des logos spécifiques sur les courriers, un logo par activité ou type d’activité.  Dans un autre service, on a créé une page d’informations résumées, concises, faciles à comprendre.   Dans un autre encore, un site Internet a été créé (voir la référence en bibliographie). À l’image de notre groupe de recherche et d’action, nous souhaiterions que nos relations soient simplifiées le plus possible, à être, humainement, ensemble. Il semble que l’un des enjeux de notre travail se situe là, et que ce soit encore plus crucial au moment de l’adolescence, période où les liens sont exposés aux turbulences. Les parents disent clairement qu’ils ont besoin des professionnels pour les accompagner dans cette période particulière de la vie de leur enfant.

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 Laisser de la liberté aux familles, ne pas systématiser le récit de leur histoire.

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Des professionnels pensent fréquemment que les parents ne font pas ce qu’il faudrait faire, à voir des problèmes là où il n’y en a pas. Nous devons certes être attentifs aux signes de souffrance de l’un des membres d’une famille, mais nous devons aussi laisser la famille faire ses choix, et ne pas s’immiscer dans cette responsabilité qui est la sienne et pas la nôtre. Qu’est-ce qui nous permet de penser que de faire telle formation (qui suppose qu’il quitte sa famille) serait mieux pour le jeune que de rester près des siens ? Que sait-on de l’équilibre trouvé par ce sujet ?

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  Cheminer avec l’équilibre familial de toute la famille.

connaissent leur parcours. Mais les professionnels doivent respecter le temps et la forme que cela peut prendre. Certaines familles n’abordent pas le sujet d’ellesmêmes, pas facilement. Il faut alors ne demander que ce qui est nécessaire pour mettre en œuvre le projet. Et peut-être un jour l’échange viendra.

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nouveaux en voulant rendre l’un de ses membres indépendant d’elle.

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Conclusion

L’adolescent commence à nous dire que bientôt il exigera une place entière, de personne à personne, où sa parole aura autant de pouvoir de décision que celle des adultes. « Ils sont sujets et ils le sont depuis le début, mais là, ils le revendiquent… » Soyons prêts à échanger avec eux et avec leurs parents. Les professionnels ont le devoir de susciter l’échange pour permettre que chacun s’exprime. Soyons convaincus qu’il n’est jamais trop tard, pour se mettre autour d’une table. « Même si l’on pense qu’il est trop tard, quel dommage, il aurait fallu le faire avant… il est encore temps de le faire. Si cela n’a pas été fait, c’est qu’il faut peut-être le faire maintenant. » L’autonomie se construit sur des liens, c’est ce qui nous fait tenir ensemble. Nous l’avons vécu à l’intérieur même de ce groupe car nous nous sommes exposés à parler de nous, remplis de nos différences. Ainsi la réflexion puis l’action ne se délèguent pas, et les lecteurs de cet écrit n’en feront pas l’économie pour eux-mêmes. Nous avons décrypté les réponses que nos pratiques et nos personnalités nous autorisent à percevoir, à chacun maintenant de s’en inspirer pour inventer les siennes.

L’adolescent, avec toutes ses angoisses, remettrait donc en scène les questions centrales de son identité : son identité sexuée (futur homme ou future femme), son autonomie vis-à-vis des autres, la nécessité des soins (la dépendance, l’incomplétude, la frustration…). Il les mettrait en scène à travers notre institution qui est une représentante de l’ordre, de la parentalité (à travers le fait de prendre soin d’eux, de les éduquer, de les encadrer). Il jouerait alors un " rôle de détraqueur des équipes ". Toutes ces difficultés auxquelles il nous expose nous amèneraient spontanément à le rejeter, par fuite de ces angoisses envahissantes, destructurantes. Y répondre en l’excluant de notre groupe serait peut-être un risque de le désocialiser, de l’empêcher de vivre avec nous son processus d’adolescence, donc de le fragiliser. Il nous faut apprendre à nous laisser traverser par tous ces mouvements complexes pour aider l’adolescent à devenir un adulte. Un papa participant au groupe a conclu par cette phrase qu’il souhaite transmettre :

Parents, vous n’êtes pas seuls. Professionnels : attendez-vous au pire, tenez ferme, tenez bon !

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