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Le nucléaire japonais sort du brouillard, cherche un nouveau cap

par Christophe XERRI, Conseiller nucléaire Ambassade de France à Tokyo

Le choc de l’accident nucleaire de Fukushima a engendré une réflexion en profondeur de la politique énergétique et de la politique nucléaire japonaise. Une période de brouillard pour le nucléaire japonais qui a vu les réacteurs s’éteindre sans savoir quand et comment ils redémarreraient. 18 mois après l’accident, le gouvernement a tranché pour proposer un mix sans nucléaire d’ici 20 ans, mais en gardant aujourd’hui toutes les options ouvertes. Par ailleurs des réformes de structure se font jour, de la création d’une autorité de sûreté indépendante a une volonté de séparation de la production et de la transmission. Des évolutions qui pourraient conduire à une révolution du secteur. Le contexte

A

près le tsunami qui a conduit à l’accident de Fukushima, le Japon s’est mis à douter du nucléaire. Douter du nucléaire, et douter de ses hommes. Plusieurs commissions d’enquête ont étudié les causes de l’accident, toutes relèvent des erreurs humaines, un «village nucléaire» souvent trop fermé et une confiance trop élevée dans la technologie et la capacité à éviter les accidents.

ne dépendra plus du nucléaire». Constatant le manque de visibilité des «contre­mesures», les actions de renforcement d’urgence de la sûreté des réacteurs il a décrété début juillet 2011 la mise en place de stress­tests, dont la satisfaction est un préalable au redémarrage des réacteurs qui s’arrêtent pour inspection périodique. Par contre, à l’exception du site de Hamaoka, proche de Tokyo et situé sur une zone très sismique, aucun réacteur n’est mis à l’arrêt directement suite à l’accident. Certains reprochent au premier ministre Kan d’avoir cédé à l’émotion. Peut­être. Ceci étant, le citoyen japonais s’étonne que la recommandation d‘une mission de l’AIEA en 2007 qui engageait le Japon à rendre plus indépendante son autorité de sûreté, alors un département du Ministère de l’Industrie, soit restée lettre morte.

Les impacts économiques de l’accident Se préparer à un accident, c’est l’envisager, cela pourrait faire peur aux résidents. Gérons bien les risques, pour éviter l’accident. Mais certains risques avaient été sous­ estimés. Le tsunami en est un. Cependant il faut reconnaître que le risque tsunami n’a pas été mieux géré pour la protection des habitants ou dans la conception de l’aéroport du Kansai situé sur une île artificielle : toutes les sous­estimations ne sont pas que le fait du village nucléaire.

Le choix du premier ministre M Kan M Kan, premier ministre le 11 mars 2011, a perdu confiance. Il a orienté le pays à réfléchir à une «société qui

Sur le plan humain, certes l’accident n’a pas fait de mort direct et c’est remarquable, mais les 70,000 personnes encore évacuées rappellent quotidiennement ce que peuvent être les conséquences d’un accident nucléaire. L’émotion fait partie du quotidien, même si elle s’émousse à Tokyo et dans les villes situées loin des réacteurs nucléaires. Le montant lie à la décontamination et au versement des compensations pourrait avoisiner les 100 Miliards d’Euros. La question de la duree du versement des compensations pour les personnes déplacées est posée. Par ailleurs, la partie la plus jeune de la population évacuée s’est réinstallée ailleurs et ne rentrera probablement plus, compliquant l’équation économique de ces villes déjà touchées par le vieillissement de la population.

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Dossier L’impact économique de l’accident, et des décisions quant à l’arrêt et au redémarrage des réacteurs a été majeur. En termes de balance commerciale on parle de 30 Milliards d’Euros par an, avec de surcroit des déficits historiques pour la quasi­totalité des compagnies électriques ; mais pas nécessairement le citoyen car sa facture n’a pas encore augmentée (à l’exception de la région de Tokyo). Les entreprises ont du s’organiser pour gérer les pics de consommation ; les pertes de production ont été limitées, mais beaucoup s’interrogent sur une délocalisation si la situation devait perdurer ou les prix augmenter.

Des évolutions fortes de la populations et des choix affichés en moins de deux ans Depuis juillet 2011, un grand chemin a été parcouru. • Tout d’abord, le Japon s’est rendu compte qu’il arrivait à faire sans nucléaire (nous sommes passés par un point zéro de mai à juillet 2012, actuellement seuls deux réacteurs ont été mis en fonctionnement pour éviter un risque de pénurie dans l’été dans le Kansai), mais au prix d’un recours massif aux énergies fossiles et de campagnes d’efforts pour gérer les pointes pendant la saison chaude (climatisation) et demain la saison froide (dans la région nord de Hokkaido). Les marges de manœuvre étaient disponibles dans un pays où le réseau électrique est relativement peu interconnecté. La capacité des japonais à faire des efforts est remarquable, mais cela ne peut être une solution durable. • La mise en place d’une nouvelle organisation de la sûreté nucléaire a été débattue entre l’automne 2011 et le printemps 2012. Attendue pour avril 2012, la loi a finalement été votée fin juin 2012, les commissaires choisis en juillet, la nouvelle autorité de sûreté créée le 19 septembre 2012. Elle est maintenant bien indépendante des «promoteurs» du nucléaire. Depuis, elle s’attache à remettre à plat la règlementation, redéfinir les critères permettant le redémarrage des réacteurs, réexaminer les aspects sismiques, redéfinir les règles d’évacuation et mise à l’abri en cas d’accident. Tout ce travail se terminera entre le printemps et le début de l’été 2013, avec une phase de mise à disposition pour commentaire. • A l’été 2012, mise en œuvre de l’obligation d’achat de

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l’électricité issus des renouvelables à des tarifs très avantageux (42 yen/kWh pour le solaire, deux fois le tarif allemand …) • Enfin, une nouvelle vision de politique énergétique et nucléaire a été émise début septembre. Sans revenir sur toutes les péripéties, on retiendra que le résultat du travail des comités – où les nucléo­sceptiques étaient majoritaires­ devait permettre au gouvernement d’opter pour un maintien du nucléaire à environ 15% à l’horizon 2030 (à comparer à un peu moins de 30% en 2010 et un objectif d’augmentation à 50%). Le débat public a fait apparaître une tendance de fond des personnes qui se sont exprimées pour aller vers un objectif zéro ; on peut à juste titre s’interroger sur la représentativité de ceux qui se sont exprimés, mais le débat a été conduit avec transparence et c’est bien cette tonalité qui a retenu l’attention, renforcée par les «manifestations du vendredi soir» devant les fenêtres du premier ministre pour demander l’arrêt du nucléaire. • Une accélération du calendrier pré­électoral à l’automne a pris le débat nucléaire en otage. De nombreux parlementaires du parti au pouvoir ont insisté pour une politique de sortie qu’ils pensent correspondre aux attentes des électeurs. • En dernière minute, la fronde de la préfecture d’Aomori qui entend faire respecter le contrat «accueil de combustible usé si retraitement» et les déclarations fortes du monde économique ont incité le gouvernement à une position plus neutre : «mettre en œuvre tous les moyens permettant de se passer de nucléaire dans la décennie 2030», une déclaration claire du besoin de nucléaire aujourd’hui et un principe de «révision constante» pour prendre en compte l’évolution du contexte énergétique domestique et international. Le maintien du recyclage a été confirmé, par contre les projets de nouveaux réacteurs et les extensions de durée de vie au­delà de 40 ans sont gelés. Au final, si on ne s’attache qu’au résultat, une politique qui propose une vision d’avenir mais qui laisse toutes les options ouvertes face à l’incertitude de sa réalisation.

Le Japon vers une transition énergétique de grande ampleur? Le brouillard dans lequel le nucléaire japonais se trouvait depuis juillet 2011 s’est ainsi largement dissipé. Mais le paysage qu’il a révélé est nouveau. Ce nouvel horizon devrait se préciser dans les mois qui viennent : • Quelles seront les nouvelles règles de sûreté ? Combien de réacteurs les satisferont ? A quelle vitesse les réacteurs jugés sûrs redémarreront ? Sans prendre de pari, il est probable qu’il faudra attendre 2 à 3 ans pour voir 30 à 40 réacteurs repartir. Les compagnies électriques se préparent à être patientes : elles vont demander

Dossier l’autorisation d’augmenter leur tarif pour ne pas faire faillite. • L’usine de Rokkasho­Mura réussira­t­elle à passer en «exploitation commerciale» ? • Un nouvel incident, grave ou mineur, peut­il perturber cette dynamique ?

Dans ce contexte nouveau, la France restera un partenaire important du Japon, que ce soit dans le domaine commercial, au fil de la réouverture des réacteurs et de la mise en service de Rokkasho­Mura ; dans l’exportation de réacteur au bénéfice d’ATMEA ; dans la coopération en matière de recherche et des réacteurs rapides ; et dans les échanges entre les autorités de sûreté.

Plus globalement le gouvernement, qui a pris le contrôle de TEPCO, pousse une réforme en profondeur de l’électricien en créant des «business units indépendantes» pour la production, pour la transmission et pour la distribution. Un modèle qui pourrait s’étendre à une réforme du secteur. Le secteur électrique pourrait être profondément modifié d’ici 10 ans. La place du nucléaire sera en partie la résultante du succès ou de l’échec de la «révolution verte», et de l’accès ou pas au gaz de schiste à bas prix; et en partie la capacité des acteurs du nucléaire à renforcer leur culture de sûreté. Un changement de gouvernement changerait­il la situation ? Probablement oui sur la vision de long terme, le LDP ayant critiqué l’objectif zéro dans les années 2030 ; il pourrait aussi se montrer plus exigeant vis­à­vis des énergies renouvelables. Probablement pas sur le court terme où l’enjeu restera le redémarrage des réacteurs, cette balle étant dans le camp de l’autorité de sûreté. Au total, le Japon n’est pas à proprement parler entré dans une dynamique de transition énergétique au sens où un nouveau modèle aurait été défini et adopté, avec une feuille de route pour y parvenir. Il se situe plutôt dans une double logique : • S’éloigner d’une forme d’énergie, le nucléaire, qu’il juge dangereuse, tout en prenant des mesures pour le gérer de manière plus transparente et essayer de regagner une certaine confiance des citoyens. • Ouvrir le champ des possibles, de façon à décider au mieux d’un bouquet énergétique avec un souci d’indépendance technologique. C’est en ce sens que l’implication accrue dans la recherche et le développement des Energies Renouvelables peuvent s’apparenter au choix de l’Allemagne, le Japon complétant l’approche allemande par des objectifs ambitieux de gestion de la demande.

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