créer sa propre clinique AWS

Ils nous ont dit : “On va signer un contrat dans lequel on s'alliera avec un GMF existant. On n'attendra pas d'avoir 6000 patients inscrits pour devenir un groupe de médecine de famille” », indique le. Photos : Emm anuèle Garnier. Mme Marie-Frédéric Tremblay. 10. Le Médecin du Québec, volume 52, numéro 6, juin 2017 ...
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CRÉER SA PROPRE CLINIQUE UNE SIMULATION POUR COMPRENDRE LES DESSOUS DU PROCESSUS Deux étudiantes en médecine ont créé un atelier très poussé qui permet à leurs pairs de bien comprendre tous les rouages de la création d’une clinique. Elles utilisent même un logiciel qui fait une projection des dépenses et du nombre de patients vus en une année.

Emmanuèle Garnier

d’avril, a accueilli 58 étudiants et six résidents. « Certains avaient l’intention d’ouvrir leur propre cabinet à la fin de leurs études », dit Mme Tremblay.

DES TRUCS À CONNAÎTRE Photos : Emmanuèle Garnier

Première étape de la simulation : concevoir mentalement la clinique. Déterminer sa mission, ses valeurs et la vision que l’on en a. « Pour avoir une belle cohésion dans une équipe de travail, il faut savoir où l’on s’en va. Les propriétaires et le personnel doivent connaître les objectifs à atteindre. C’est là-dessus que devaient se baser les participants pour prendre ensuite toutes leurs décisions », indique Mme Shema. Mme Marie-Frédéric Tremblay

Comment mettre sur pied une clinique ? Par où commencer ? Qui consulter ? Que calculer ? L’Organisation médicale étudiante en gestion des affaires (OMEGA) (encadré) a conçu un atelier de simulation pour permettre aux futurs médecins de connaître les dessous de la création d’un cabinet. À l’origine du projet, deux étudiantes en médecine de l’Université de Montréal et membres d’OMEGA. Mme Marie-Frédéric Tremblay, 25 ans, qui en a eu l’idée, a discuté avec des médecins qui ont créé leur propre cabinet, a consulté des experts, a lu et a fait des recherches. Mme Astrid Shema, 24 ans, qui a étudié auparavant en administration de la santé, lui a apporté son aide. L’atelier propose aux participants sept étapes pour concevoir leur propre clinique, qui devra devenir un GMF. Pour mener à bien leur mission, les étudiants, répartis en groupes de quatre, ont à leur disposition des médecins expérimentés qui leur servent de mentors et divers professionnels qu’ils peuvent consulter : notaire, fiscaliste, comptable, avocat et autres. « Le message-clé de la simulation, c’est que pour créer avec succès sa clinique, il faut être capable de s’entourer des bonnes personnes et de poser des questions », affirme Mme Shema. À la fin du projet, les étudiants, qui auront en main un plan d’affaires fictif, devront présenter leur clinique à un jury. Elle devra être suffisamment séduisante pour attirer de nouveaux médecins. L’atelier d’une fin de semaine, qui a eu lieu à la fin

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Deuxième étape : les étudiants doivent décider s’ils s’installent dans une ville ou dans un village. Il leur faut soupeser les avantages et les inconvénients de chaque choix. La plupart décident de s’établir en ville. « Dès que les étudiants avaient des questions, on leur disait d’aller voir leur mentor, explique Mme Tremblay. Quand les questions allaient au-delà des compétences de ce dernier, il invitait les étudiants à consulter les spécialistes. » Réalistes, bien des participants étaient préoccupés par les as­pects financiers de la création d’une clinique. « Les étudiants posaient beaucoup de questions sur les différents programmes de financement, explique le Dr Claude Rivard, l’un des mentors. Cer­tains me disaient : “Au début, je vais avoir besoin de capital. Com­ment obtenir des ressources fi­nan­ cières supplémentaires ?” » Responsable du groupe de médecine de famille (GMF) Marguerite d’Youville, le Dr Rivard s’est inspiré, dans ses conseils, de l’expérience de jeunes médecins qu’il a aidés au moment de la création de leur clinique, à Saint-Bruno. Il avait accepté de les parrainer pour que leur cabinet soit un satellite de son propre GMF. « Dès qu’ils auront atteint leurs cibles d’inscription, ils deviendront un GMF autonome. » Des étudiants ont été séduits par cette idée. « Ils nous ont dit : “On va signer un contrat dans lequel on s’alliera avec un GMF existant. On n’attendra pas d’avoir 6000 patients inscrits pour devenir un groupe de médecine de famille” », indique le

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Dr Rivard. Leur clinique virtuelle avait ainsi immédiatement droit aux subventions accordées aux GMF selon la hausse du nombre d’inscriptions qu’ils apportaient au groupe de médecine de famille. Le Dr Rivard a également révélé à des participants l’existence d’un autre programme intéressant. Une clinique peut obtenir, du centre intégré de santé et de services sociaux, une infirmière praticienne spécialisée (IPS). Le cabinet reçoit, en outre, 30 000 $ par année pour le bureau que cette dernière occupe. Cet accord permet donc d’obtenir les services d’une profes­sion­ nelle de la santé pour aider les médecins dans la prise en charge conjointe de patients, en plus d’alléger les frais de cabinet.

AVANTAGES ET DANGERS DES CONTRATS Les étudiants avaient ensuite à se pencher sur des aspects plus fastidieux de la création d’une clinique : le bail commercial, les frais de cabinet et le contrat de location qui lie les médecins propriétaires de la clinique aux médecins locateurs. Les participants devaient analyser de véritables contrats dans lesquels les organisatrices avaient introduit… deux clauses douteuses. « Pendant notre collecte d’informations pour la simulation, beau­coup de médecins nous ont indiqué que les contrats peu­vent parfois contenir des clauses aux conséquences im­portantes et que l’on risque de ne pas s’en rendre compte si on lit les do­cuments trop rapidement. À leur avis, il est essentiel de consulter un expert pour ne prendre aucun risque », indique Mme Tremblay. À cette étape, bien des participants ont justement été voir Me Pierre Belzile, chef du Service juridique de la FMOQ. Est-ce qu’on peut négocier la durée d’un bail ou l’étalement du loyer ?, lui ont demandé des étudiants. Réponse : oui. Contrairement à

Mme Astrid Shema

ce que beaucoup pensent, on peut discuter des termes d’un bail commercial avec le propriétaire. « Souvent, les propriétaires d’immeubles présentent aux médecins un bail commercial préparé par leur avocat, un peu comme si c’était un contrat d’adhésion où l’on ne peut rien changer, alors que ce n’est pas le cas. C’est un contrat de gré à gré. Quand on négocie un bail, il faut prendre conscience de son rapport de force comme groupe et comme locataire », souligne l’avocat. Les étudiants devaient également déterminer comment ils fe­raient payer les omnipraticiens qui loueraient un bureau dans leur clinique. Ils avaient le choix : une somme fixe, un prix dé­terminé par le nombre de consultations ou un coût selon le nom­bre de jours travaillés. À quoi faut-il faire attention sur le plan juridique quand on veut créer une clinique ? « Lorsqu’on exploite un cabinet médical en groupe, il faut se doter de contrats écrits pour régir le

Créé en 2015 par un groupe d’étudiants en médecine, l’Organisation médicale étudiante en gestion des affaires (OMEGA)

est un organisme qui offrent des activités éducatives à leurs pairs. Selon OMEGA, les médecins doivent prendre en main l’avenir de leur pratique. Pour bien outiller la relève, l’organisme organise des formations dans les domaines de l’administration de la santé, du leadership médical, du droit en santé ainsi que des finances personnelles et organisationnelles. Ils sont appuyés entre autres par la FMOQ. Pour en savoir plus sur OMEGA : omegamed.ca/#omega Pour plus d’informations sur l’atelier de simulation : [email protected].

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Photo : OMEGA Le Dr Claude Rivard au cours de l’atelier

fonctionnement interne de l’entreprise et avoir des règles pour résoudre les problèmes qui peuvent surgir, dit Me Belzile. Malheureusement, beaucoup de propriétaires de clinique n’ont pas d’ententes écrites et se retrouvent dans des situations pénibles quand survient une difficulté. »

RÊVER D’UNE CLINIQUE PERSONNALISÉE Dans l’atelier, les étudiants devaient ensuite choisir : louer une clinique soit « clé en main », où il n’y a plus rien à faire, soit « sur béton », ce qui permet de décider du plan et de l’aménagement des lieux. « On a des gens créatifs en médecine », souligne Mme Shema. Toutes les équipes, sauf une, ont dessiné leur propre plan plutôt que de prendre l’un de ceux qui étaient fournis. « Il y en a qui voulaient avoir un centre de conditionnement physique et ont créé une section pour cela. D’autres s’étaient donné une mission humanitaire et avaient un local pour les denrées. D’autres encore ont mis des portes entre chacun des bureaux pour améliorer la productivité. Certains désiraient une clinique lumineuse avec de grandes vitres. Une équipe, qui allait travailler en obstétrique, voulait une salle d’allaitement. » Mais il faut aussi être réaliste. Et sortir la calculatrice. En ville, une clinique clé en main peut coûter environ 80 $ le pied carré et une clinique « sur le béton » peut revenir à quelque 25 $ le pied carré. « Quand on choisit une clinique “sur le béton”, on a toutefois besoin d’un investissement initial pour construire les murs, faire la peinture, acheter les chaises. Les participants devaient donc calculer l’amortissement à long terme. Quand est-ce que ça finissait par valoir la peine d’avoir une clinique “sur béton” par rapport à un cabinet clé en main, en fonction du prêt ? », dit Mme Shema. Les étudiants sont alors allés voir les experts en finances. Ils ont également consulté le Dr Rivard. Partisan de l’interdisciplinarité, le médecin conseille d’adapter soi-même l’espace. « Il

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faut des bureaux pour les infirmières à côté des salles d’examen des médecins. C’est maintenant la manière de travailler. » Créer son propre plan permet également d’être à la fine pointe des nouvelles tendances. « Il faut revoir l’ancien paradigme où le médecin était derrière un grand bureau pour écrire dans un dossier papier et avoir sous la main tous les formulaires, indique le médecin. Maintenant, les demandes à remplir sont dans l’ordi­nateur. Un gros bureau n’est plus nécessaire. Le patient est dorénavant assis à côté du médecin et regarde le dossier en même temps que lui à l’écran. »

HORAIRE ET EMBAUCHE DU PERSONNEL Étape suivante : faire les horaires. Chacun des quatre membres de l’équipe doit jouer un personnage ayant ses propres exigences : le père monoparental de trois enfants qui ne peut pas travailler certains soirs ; sa collègue, amoureuse de lui, qui essaie de faire coïncider ses heures de travail avec les siennes ; une athlète qui a des entraînements et un séducteur qui écume les bars le soir et a du mal à se lever le matin. Les étudiants doivent entre autres déterminer quels médecins travailleront à quel moment. Feront-ils alors le suivi de patients ou pratiqueront-ils au service de consultation sans rendez-vous ? La clinique doit, par ailleurs, être ouverte au moins 68 heures par semaine, comme un GMF. « Si personne ne veut travailler le lundi soir, il faut que les participants en discutent pour trouver un arrangement », mentionne Mme Shema. Les heures d’ouverture et le nombre de médecins présents à différents moments ont des répercussions sur l’étape suivante : l’embauche de personnel, notamment d’infirmières. « Des médecins nous ont dit que c’est possible de pratiquer sans infirmière, mais que ce n’est pas l’idéal. On a donc essayé de transmettre ce message », affirme Mme Tremblay. Les infirmières permettent de gagner de cinq à dix minutes par consultation, soit cinq semaines de travail par médecin par

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an, indique par ailleurs le cahier du participant. « L’infirmière auxiliaire apporte son aide au service de consultation sans rendez-vous et permet d’augmenter la productivité. L’infirmière clinicienne, elle, épaule les médecins grâce aux suivis conjoints », résume le Dr Rivard.

Les étudiants devaient aussi décider s’ils engageaient un gestionnaire. Sa rétribution : environ 40 000 $ par an. « Cela peut être avantageux d’avoir ce type de professionnel. Il a une formation et de l’expérience. Il permet au médecin de rentabiliser son temps, parce qu’il effectue des tâches que le clinicien n’aura pas à faire à la fin de la journée », mentionne Mme Tremblay. Et combien faut-il engager de secrétaires ? Le cahier du participant recommandait une secrétaire pour trois médecins. Finalement, les étudiants ont en général décidé d’embaucher deux infirmières auxiliaires, deux secrétaires et demie ainsi qu’un gestionnaire.

DES CHIFFRES RÉVÉLATEURS Vient ensuite l’heure des calculs. Un logiciel de simulation donne aux étudiants une projection du nombre de patients inscrits et des dépenses au bout d’un an en fonction des choix qu’ils ont faits au cours de l’atelier. « Ce qui était important, c’était de voir quel pourcentage des revenus représentent les dépenses », indique Mme Shema. Selon les équipes, la proportion des frais de cabinet allait de 22 % à 46 %. Une importante différence. Certains avaient peut-être vu trop grand. Leur clinique était moins rentable. « Le problème peut aussi venir du fait qu’ils n’avaient pas assez de plages horaires, ce qui fait qu’ils apportaient moins de revenus à la clinique », ajoute Mme Tremblay. D’autres avaient peut-être engagé trop de personnel ou, au contraire, pas assez. « S’il y a quatre médecins en même temps et une seule secrétaire, cela ne fonctionnera pas. De la même manière, le fait qu’il y ait ou non une infirmière à temps plein ou à temps partiel a des répercussions sur le débit de patients », précise l’organisatrice. Le logiciel tenait également compte du type de pratique. « Il donnait une idée du nombre de patients que les participants avaient vus dans le cadre d’un suivi ainsi qu’au service de consul­tation sans rendez-vous. Le programme offrait des résultats très proches de la réalité. Nous l’avons testé à maintes reprises de manière variable », assure Mme Tremblay.

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Photo : OMEGA

Mais le salaire des infirmières constitue aussi une dépense. Un élément essentiel pour le budget. La rémunération annuelle de ces professionnelles de la santé va de 35 000 $ pour une infirmière auxiliaire à 45 000 $ pour une infirmière qui a un diplôme du collégial, à 65 000 $ pour une infirmière clinicienne.

Équipe de quatre participants

SÉDUIRE D’AUTRES MÉDECINS Selon les règles du jeu, la clinique des étudiants doit devenir un GMF. Mais à quatre, il leur sera difficile d’inscrire rapidement le minimum de 6000 patients exigé. Ils doivent donc recruter de nouveaux médecins et les séduire grâce aux attraits de leur cabinet. La dernière tâche des participants est donc de présenter leur cabinet à un jury composé des quatre mentors. Les étudiants reçoivent des points en fonction du nombre de patients inscrits, du ratio entre les frais de cabinet et les revenus des médecins, de la fonctionnalité de la clinique, du respect des normes et des lois ainsi que de la créativité manifestée. L’équipe gagnante a particulièrement étonné les juges. Elle s’était entre autres donné comme mission de joindre « une clientèle qui autrement n’irait pas consulter dans un système de santé traditionnel. » « Ils voulaient avoir un autobus mobile pour aller donner des soins à la communauté itinérante, explique Mme Tremblay. Ils se sont informés pour savoir ce qu’ils pouvaient faire pour avoir de l’argent supplémentaire. Ils ont décidé d’effectuer une demande pour obtenir une IPS qui ferait du travail de rue et d’investir la subvention destinée à payer le coût de son bureau dans l’achat du véhicule. » « C’est intéressant de constater que c’est par son questionnement que cette équipe a réussi à voir que c’était faisable, fait remarquer Mme Shema. Elle a par ailleurs réussi à bien structurer son horaire et a fait les bons calculs, ce qui a permis à la clinique d’avoir un bon rendement. Il y avait une belle cohésion dans toute sa vision. » La formation devrait être redonnée l’année prochaine. « Mmes Marie-Frédéric Tremblay et Astrid Shema ont fait un excellent travail », juge le Dr Rivard. Lui-même aurait aimé suivre un tel atelier avant de fonder sa clinique. //

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