Comment le Qatar rachète londres

internet, Katara Hospitality annonce un investissement total, pour les trois pro- .... donner une tribune à l'extrême droite, il a enterré avant même qu'il ne voie le ...
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londres, 5 juillet 2012 Jour de l’inauguration du Shard, gratte-ciel le plus élevé d’Europe qui a été financé à hauteur de 500 millions de livres par le Qatar. Le premier Andrew appréciant le panorama depuis l’immeuble.

La capitale s’est imposée comme la première destination mondiale pour les investissements du petit Etat gazier, qui imprime peu à peu sa marque sur la ville. Il y a construit la plus haute tour d’Europe de l’Ouest, a racheté le village olympique et s’est emparé de Harrods.

dernières années. Ce qui lui a valu le sobriquet Lon-Doha. Le RoyaumeUni est aujourd’hui la première destination mondiale des investissements qataris, devant la France.

Grande-Bretagne Comment le Qatar rachète Londres

du Golfe a ainsi racheté en août 2011 la moitié du village olympique pour 557 millions de livres. Il se trouve également derrière plusieurs développements immobiliers, comme One Hyde Park, considéré comme le lotissement d’appartements le plus cher du monde. Un penthouse y vaut 100 millions de livres. Parmi les autres adresses prestigieuses aux mains du Qatar figurent l’ex-ambassade des Etats-Unis ou le marché de Camden, l’une des principales attractions touristiques de la capitale. Son portefeuille comprend aussi quelques fleurons de l’économie britannique. Il détient 26% des supermarchés Sainsbury’s, 7% de la banque Barclays et 20% de la Bourse de Londres. En mai 2010, les Qataris se sont carrément offert le célèbre magasin Harrods pour 1,3 milliard de livres. Ils ont également acquis, en 2011, 28% des parts de Songbird Estates, l’actionnaire majoritaire de Canary Wharf Group, qui détient une

Julie zaugg, londres

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ministre Cheikh Hamad ben Jassim ben Jaber al-Thani et le prince

heikh Abdullah ben Saoud alThani a l’air éberlué par la question. Le gouverneur de la Banque centrale du Qatar, membre de la direction de Qatar Investment Authority, le véhicule utilisé par ce petit Etat du Golfe pour écouler les milliards de dollars accumulés en devenant le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié, demande au journaliste de la répéter. «Quand comptez-vous récupérer votre mise?» Le cheikh sourit. «Il s’agit d’une préoccupation mineure pour nous, répond-il. Cet ouvrage repré-

sente un investissement sur le long terme, je ne suis même pas sûr que nous en récupérerons un jour la valeur.» L’homme à la moustache noire et au regard sombre s’exprime devant un parterre de journalistes depuis le 14e étage du Shard, la plus haute tour d’Europe de l’Ouest. Inaugurée au début de juillet, cette construction composée de 11 000 panneaux de verre et dessinée par l’architecte Renzo Piano, appartient à 95% au Qatar. Les 5% sont détenus par le promoteur britannique Sellar Group, à l’origine du projet. La tour triangulaire de 310 mètres, qui a coûté 1,5 milliard de livres (2,2 mil-

liards de francs), n’aurait pas pu voir le jour sans la monarchie du Golfe. «Le Qatar a soutenu ce projet dès 2009, lorsque les autres banques ont retiré leurs fonds dans le sillage de la crise financière mondiale», souligne Ali Shareef al-Emadi, le CEO de la Banque nationale du Qatar. Parmi les soutiens initiaux se trouvaient la banque islandaise Kaupthing et le Credit Suisse, qui a annulé un crédit de 350 millions de livres à la dernière minute. The Shard n’est que le dernier avatar d’une longue relation qui a vu l’Etat gazier investir pas moins de 13 milliards de livres dans la capitale britannique ces L’Hebdo 19 juillet 2012

Penthouse à 100 millions. Le petit pays

19 juillet 2012 L’Hebdo

bonne partie de ce second quartier des affaires situé à l’est de la City. La culture n’a pas non plus échappé à leurs appétits: le Qatar sponsorise une rétrospective consacrée à l’artiste britannique Damien Hirst à la Tate Modern, l’un des événements culturels de l’été 2012. Son nom a même été évoqué en lien avec le rachat des clubs de foot Manchester United, Aston Villa et Everton. Cette frénésie d’acquisitions a débuté en 2005, avec la fondation de Qatar Investment Authority (QIA), le douzième plus important fonds souverain du monde avec 100 milliards de dollars sous gestion. Pour pénétrer le marché britannique, les Qataris ont commencé par établir un fonds d’investissement, Three Delta, à l’île de Man en 2006. Dès 2008, une fois les bases de l’empire posées, Qatari Diar et Qatar Holdings, deux filiales de QIA, sont devenues leurs véhicules de prédilection. La procédure est toujours la même: «Ils cherchent un partenaire britannique et concluent une joint-venture, indique Colin Lizieri, professeur à l’Université de Cambridge et spécialiste du marché immobilier londonien. Ils bénéficient ainsi de l’expertise locale et minimisent le risque d’investir dans un projet boiteux.» The Shard appartient à London Bridge Quarter, une joint-venture entre l’Etat du Qatar et Sellar Property. Le village olympique a été acquis conjointement par Qatari Diar et le promoteur britannique Delancey. Des liens étroits ont été établis avec deux Anglais, chargés de gérer les affaires des Qataris dans la capitale: John Wallace, un ancien de la Royal Bank of Scotland, et le financier Jeremy Titchen. Ils sont codirecteurs de la branche britannique de Qatari Diar. Dans les milieux immobiliers londoniens, on les surnomme Wallace et Gromit. Mais comment explique-t-on cet engouement pour Londres? «Les deux pays ont une longue histoire commune, qui date de l’époque coloniale, relève Rodney Wilson, professeur à l’Université

«en acquérant des biens trophées, ils cherchent à dire quelque chose au monde.»

Colin Lizieri, professeur à l’Université de Cambridge

de Durham et spécialiste de l’économie qatarie. Le Qatar était un protectorat britannique jusqu’en 1971 et plusieurs membres de la monarchie ont des attaches au Royaume-Uni.» L’émir Cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani a ainsi étudié à l’Académie militaire de Sandhurst.

Biens trophées. Soucieux de cultiver une

image progressiste et libérale, les Qataris apprécient aussi Londres pour sa visibilité. «La plupart de leurs investissements ne répondent pas à une logique de profit, relève Colin Lizieri. En acquérant des biens trophées, comme The Shard, le village olympique ou Harrods, ils cherchent à dire quelque chose au monde.» La capitale britannique est en outre perçue comme un havre de sécurité, dans un monde caractérisé par les soubresauts de l’eurozone et le printemps arabe. «Le marché immobilier londonien est considéré comme un investissement sûr, confirme-t-il. On sait que la City survivra sur le long terme, même dans un environnement compétitif global. Et le pays est stable politiquement.» Pour un fonds souverain, qui cherche à placer son argent à un horizon de dix à quinze ans et se préoccupe moins des retours immédiats que de la sécurité de son investissement, il s’agit d’une combinaison gagnante. Le phénomène est encore accentué par la faiblesse de la livre, qui rend les acquisitions à Londres relativement «bon marché», et la crise financière qui a poussé la plupart des investisseurs occidentaux hors du marché. Les Qataris sont ainsi venus combler le trou laissé par des bailleurs de fonds britanniques dans le cas du village olympique. «En 1980, moins de 10% de l’espace à Londres était aux mains d’investisseurs étrangers, détaille Colin Lizieri. Au milieu des années 90, cette proportion atteignait 25% et elle est désormais de 52%.» Il y a eu plusieurs vagues. «Les Japonais de la fin des années 80 ont été remplacés par les Allemands dès les années 90, puis par les Américains au milieu des années 2000, précise-t-il. Désormais, ce sont les investisseurs du Moyen-Orient et d’Extrême-Orient qui dominent le marché.» Cet afflux de capitaux étrangers a été favorisé par la dérégulation financière introduite par Margaret Thatcher

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– le fameux «big-bang» de 1986 – mais aussi par la fiscalité avantageuse concédée aux investissements immobiliers. Taxand, une firme de conseil fiscal, a classé 29 pays en fonction de ce critère. La Grande-Bretagne arrive en première position, devant le Luxembourg et la Malaisie. Le propriétaire d’une maison valant 10 millions de livres dans le quartier huppé de Mayfair ne sera par exemple imposé qu’à hauteur de 0,0001% par an. «La loi britannique permet en outre de contourner le droit du timbre en créant une société offshore», complète Nick Pearce, le directeur de l’Institute for Public Policy Research (IPPR), un think tank. Au lieu d’acheter un immeuble, on reprend la société qui le détient. Mais ce grand jeu de Monopoly laisse un goût amer aux contribuables britanniques. La trésorerie a calculé que le Royaume-Uni perdait entre 500 millions et un milliard de livres chaque année en raison de ces montages offshore. Et les loyers ont été poussés à la hausse, obligeant les Londoniens à s’éloigner toujours plus du centre-ville. «Qu’il s’agisse du nouveau quartier financier qui va émerger au sud de la Tamise autour de The Shard ou de Canary Wharf, les investisseurs étrangers ont renforcé et étendu la City, note Louis Moreno, un chercheur de l’University College London qui étudie l’évolution du bâti dans la capitale. Ils ont transformé Londres en un gigantesque district financier et terrain de jeux pour les riches. Pire, les bâtiments sont eux-mêmes devenus des instruments financiers, dont la valeur est poussée à la hausse par la spéculation.» Plus critique encore, le chroniqueur du Guardian Simon Jenkins décrit The Shard comme un symbole «phallique» fait «d’arrogance et de pouvoir». Il le compare à la destruction des mosquées de Tombouctou par al-Qaida au Maghreb et rappelle que l’Unesco, les résidents locaux et les autorités de conservation du patrimoine ont tous tenté d’en empêcher la construction. Ce n’est pas la première fois que le petit Etat du Golfe affronte un tel barrage de critiques. Le prince Charles est intervenu en personne pour s’opposer à l’architecture «moderniste» de Chelsea Barracks, un complexe résidentiel de luxe. Les Qataris ont dû revoir leur copie.√

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luxe Le Schweizerhof, l’un des deux cinq-étoiles de Berne (à gauche), a rouvert ses portes il y a un an.

(NW). Les travaux devraient s’achever d’ici à 2014. Les deux établissements ont été rachetés et rénovés

Le fonds souverain qatari investit aussi dans notre pays, principalement dans l’hôtellerie de luxe et la finance. Dans son vaste portefeuille, la Suisse fait office de valeur refuge. Et de plateforme financière pour les riches Qataris en Europe, via la Qatar National Bank.

Suisse Hôtels de luxe et comptes en banque matthieu ruf et linda bourget

«C’

est une chance pour Lausanne qu’il y ait des capitaux aussi importants pour un tel bijou. Qu’ils soient qataris ou chinois…» Stefano Brunetti Imfeld, directeur de l’Hôtel de la Paix et président de l’Association Hôtellerie lausannoise, met en avant l’aspect positif. Depuis 2010, le Royal Savoy, un hôtel lausannois centenaire, est en travaux. Il devait rouvrir cette

année, avec près de 100 chambres de plus, une nouvelle aile et une zone spa de 1500 mètres carrés. Mais des problèmes liés à la protection du plafond et des fresques de la façade, classés historiquement, ont repoussé l’inauguration à l’été 2013. Ce ne semble pas être un grand problème pour les nouveaux propriétaires qui, en Suisse comme ailleurs, ne sont pas spécialement pressés de toucher un retour sur leurs investissements. L’Hebdo 19 juillet 2012

A droite, une image de synthèse du projet de Palace Hotel dans le complexe du Bürgenstock à Obbürgen à grands frais par des fonds qataris.

Les trophées. En 2008, le Royal Savoy et

deux autres hôtels de luxe helvétiques étaient rachetés au groupe Rosebud par la holding qatarie Barwa Real Estate, absorbée depuis 2009 par le fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA). Une société suisse a été établie à Zoug pour la gestion de ces établissements cinq étoiles: Katara Hospitality Switzerland SA. A Berne, le Schweizerhof est désormais à nouveau ouvert au public. Quant au Bürgenstock (NW), un complexe situé sur les rives du lac des Quatre-Cantons, il promet plusieurs hôtels, un centre de conférences et un spa de 10 000 m2 pour 2014. Sur son site internet, Katara Hospitality annonce un investissement total, pour les trois projets, d’«environ un milliard de francs». Philippe Rubod, actuellement directeur de Crans-Montana Tourisme, dirigeait le Bürgenstock au moment de sa revente, en 2008. Il a par ailleurs géré un hôtel appartenant à l’Etat du Qatar, à Doha. Pour lui, les Qataris «ont vu dans le Bürgenstock une pépite du tourisme suisse, et ils ont raison: c’est unique au monde. Leur stratégie est d’acheter des hôtels dits “trophées”, légendaires: que ce soit à Cannes, à Paris ou en Suisse, ce sont des immeubles irremplaçables. Presque des 19 juillet 2012 L’Hebdo

œuvres d’art architecturales et hôtelières, qui ne peuvent pas perdre de la valeur, mais seulement en gagner, quoi qu’il arrive.» Pour Philippe Rubod, ces quarante dernières années, toutes les transactions sur des immeubles trophées se sont soldées par un gain substantiel du propriétaire à la revente. Avec un avantage supplémentaire pour le fonds souverain qatari: «Dans certains cas, il peut acheter totalement en fonds propres. Tandis que chez d’autres acteurs, comme Colony Capital ou Gladstone, ce sera plutôt 20% de fonds propres, 80% d’endettement.» Avec pour corollaire une durée d’investissement de ces fonds américains généralement plus courte, de l’ordre de cinq à dix ans. Les Qataris, eux, sont prêts à attendre des décennies.

Le Buddha. Un tel poids financier suscite

aussi des critiques dans le secteur. Car le retour sur investissement, qui est déjà faible en Suisse, les hôteliers d’ici en ont besoin. Stefano Brunetti Imfeld admet donc que l’arrivée de tels acteurs «fausse un peu la règle du jeu: nous, propriétaires locaux, n’arriverions jamais à faire aussi bien qu’eux». Eric Fassbind, propriétaire notamment de deux hôtels quatre étoiles à Lausanne, renchérit en replaçant le

Royal Savoy dans un contexte plus large d’acquisitions faites par des riches étrangers: «Ces hôtels qui partent à des coûts démentiels n’ont pas du tout des valeurs de rendement, mais de collection. Cela fait monter les prix des hôtels suisses. Dans la branche, on ne joue pas vraiment à armes égales.» Les hôtels «trophées» se trouvent principalement dans les villes. Faut-il s’attendre à d’autres achats qataris dans ce domaine en Suisse? Oui: Ronald Joho, porte-parole de Katara Hospitality SA, confirme un intérêt pour les régions de Zurich et Genève. Mais plus pour les hôtels Richemond et Four Seasons des Bergues, du bout du lac, qui figuraient parmi les cibles potentielles du fonds souverain: «Le Richemond a été vendu et les Bergues n’est plus sur le marché», explique-t-il. En revanche, la QIA est selon lui «intéressée» à installer un établissement Buddha-Bar en Suisse, marque dont elle a acquis les droits et qui ouvrira bientôt un hôtel à Paris.

Le manteau. Le sport est un des autres

secteurs phare des investissements qataris dans le monde. Pour l’heure, pas de club de football ni de maillots sponsorisés par l’émirat en Suisse. Mais une marque est propriété de la QIA: Burrda Sport, qui fournit déjà les maillots à plusieurs équipes de sport, dont l’OGC Nice, les équipes nationales du Qatar et de Belgique (football) et l’équipe nationale de handball des Etats-Unis. Or Burrda («manteau» en arabe), qui a des bureaux à Doha, est juridiquement en main d’une société suisse, Pilatus Sports Management, dont le siège est établi auprès d’un cabinet d’avocats genevois. Le recours à une société suisse répond-il à des motifs fiscaux? Interrogé, son administrateur, l’avocat Nicolas Piérard, l’exclut. Et assure ne pas servir uniquement de boîte aux lettres: «Je ne peux pas vous répondre en détail sur la répartition, mais il existe bien des activités, que ce soit en Suisse, en Europe ou au Moyen-Orient.» L’Hebdo a tenté à plusieurs reprises de joindre, sans succès, Burrda Sport à Doha.

La banque privée. Parmi les Qataris qu’il est possible de croiser, en cette saison de Fêtes de Genève, sur les rives du lac, il est probable que certains ne soient pas

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Zurich

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Cheikh sous enquête

Porter le nom de l’une des familles les plus fortunées du monde n’est gage ni d’honnêteté, ni de solvabilité. Ainsi le cheikh K. al-Thani* qui, selon son passeport, est l’un des «membres de la famille régnante» du Qatar fait-il actuellement l’objet d’une procédure judiciaire dans le canton de Zurich, a appris L’Hebdo. L’homme est sous le coup d’une plainte pénale pour fraude, falsification de documents et soustraction d’une chose mobilière – notamment. La justice zurichoise a confié le dossier à la police cantonale, qui mène depuis plusieurs semaines une enquête préliminaire. Une plainte civile doit également être déposée ces jours. En 2011, le cheikh et son acolyte – un homme d’affaires yéménite basé aux Emirats arabes unis – font leur entrée dans le capital de la société zurichoise Swiss Capital Holding (SCH) via la société mère Helvetic Capital Partners. Leur venue doit permettre à la société de réaliser de nouveaux investissements dans le secteur de l’aviation. Début 2012, SCH fait savoir qu’elle reprend la compagnie Air Poland – un rachat qui devait notamment permettre de développer des vols commerciaux entre Francfort et Kaboul. Mais les 10 millions d’euros (12 millions de francs) promis par le Qatari pour réaliser l’opération n’arriveront pas. Les chèques signés de sa main princière sont en bois, raconte un proche du dossier. Un défaut qui finit par clouer au sol la petite compagnie. Ce qui n’empêche pas l’homme et son bras droit de continuer à promettre des sommes astronomiques qu’ils ne sont pas à même de payer. Le 17 février dernier, ils signent au nom de Helvetic Capital Partners une promissory note (soit une promesse de paiement) en faveur d’une société califor-

nienne d’un montant de... 1 milliard d’euros. Le Qatari joue alors la carte de la famille royale pour crédibiliser la chose. «Moi, cheikh K. al-Thani, donne par la présente ma garantie personnelle en cas de défaut de paiement de cette promissory note par mon entreprise (...)», stipule ainsi le document. «Tout cela est absurde. La société n’a absolument pas les moyens de payer des montants pareils», commente une source proche du dossier. L’entreprise californienne censée toucher le milliard l’année prochaine n’est ainsi pas près d’en voir la couleur... «La Finma a été alertée de cette opération», poursuit le connaisseur. Une affaire que le surveillant des marchés financiers suisses refuse de commenter. L’histoire (qui implique également un ressortissant irakien et deux Zurichois) génère d’ailleurs davantage d’embarras que de commentaires. Le Département fédéral des affaires étrangères confirme avoir connaissance du cas mais refuse d’en dire quoi que ce soit. Si ce n’est que le Qatar ne l’a pas contacté à ce propos – sans dire si lui a contacté l’émirat. La représentation diplomatique qatarie n’a pour sa part pas été en mesure de répondre à nos questions. A noter que le cheikh et son bras droit sont également accusés d’avoir pris le contrôle de Helvetic Capital Partners par le biais d’une assemblée générale bidon au procèsverbal trafiqué. L’entourloupe ne serait pas la première du genre: en février, la presse britannique révélait qu’un autre membre de la famille Al-Thani avait laissé des chèques sans provision à un cinq-étoiles londonien, laissant derrière lui une ardoise de près de 1 million de francs. √Linda Bourget *Prénom connu de la rédaction

L’Hebdo 19 juillet 2012

Le bénéfice. Deux autres investisse-

ments financiers lient encore le fonds souverain qatari à la Suisse. D’abord une entrée dans l’actionnariat du Credit Suisse, dont il détient 6,2%. Rainer Skierka, analyste auprès de Sarasin, juge que cela n’a pas eu d’influence sur la stratégie de la banque. «Evidemment, nous ne savons pas ce qui se trame en coulisse. Mais de l’extérieur, rien ne semble en témoigner. Comme tout actionnaire important, QIA a droit à un siège au conseil d’administration (attribué à Jassim ben Hamad J.J. al-Thani, membre de la famille royale, ndlr), mais cela ne semble pas pour l’heure avoir eu d’impact. De toute manière, avec une participation minoritaire telle que la leur, il est difficile d’imposer ses vues. Cela apparaît donc avant tout comme un placement à long terme.» Le long terme et la diversification semblent être le principal critère dictant les investissements qataris en Suisse (dont la Banque nationale suisse ne publie pas le montant, alors qu’elle le fait pour la plupart des pays). «Ils répartissent le risque, et la Suisse, stable économiquement, est une valeur refuge», note Philippe Rubod. Même si les grosses prises de participation dans l’actionnariat de sociétés restent rares. «Peut-être qu’un jour, l’horlogerie de luxe intéressera les Qataris, qui ont le goût des belles choses autant que celui des beaux endroits», envisage Hadi el-Assaad. Pour l’heure, QIA est encore présente de manière importante dans un autre secteur: les matières premières. Avec 11% des parts, le fonds représente en effet le second actionnaire du géant minier Xstrata, basé en Suisse mais coté à la Bourse de Londres (qui appartient… à 20% aux Qataris, lire en page 36). Les Qataris ont dans ce cadre récemment fait parler d’eux, en posant leurs conditions à une fusion avec Glencore, ce qui retarde l’affaire. Le fonds demande davantage de titres Glencore que ce qui leur a été proposé. Depuis son entrée chez Xstrata, la baisse des cours des deux mastodontes lui a en effet fait perdre de l’argent. Or, les investisseurs qataris, quel que soit leur goût pour les trophées, cherchent avant tout des placements qui rapportent.√ 19 juillet 2012 L’Hebdo

France

Un partenaire trop peu discret L’ex-URSS achetait du blé aux Etats-Unis, pourquoi la France, Etat laïque entre tous, ne s’approvisionnerait-elle pas en «dollars» qataris? Résultat: les Soviets ont viré capitalistes, la République, elle, finira islamique. Dans l’Hexagone en crise identitaire et financière, cette crainte, ce fantasme, alimente les forums. Le Front national, dont les déclarations traduisent des préoccupations excédant son périmètre électoral, d’ailleurs très variable, ne se prive pas d’alerter sur le sujet. Certes, le fonds souverain du Qatar (QIA) n’a pas vocation à renflouer les caisses déficitaires de l’Etat français, mais ses prises de participation, depuis deux ans, dans des fleurons de l’économie, avec droit de vote à la clé, en font un acteur actionnaire de premier plan. Veolia, Vinci, Total, Lagardère, les grands groupes se chauffent aux gazodollars qataris. Outre les multinationales, l’émirat investit dans l’hôtellerie de luxe et le sport. Le Martinez et le Majestic à Cannes, le Concorde-Lafayette et l’hôtel du Louvre à Paris, plus 35 000 mètres carrés sur les Champs-Elysées, ainsi que des casinos – activité peu halal: il dépense sans compter. Par le truchement de sa filiale Qatar Sports Investments, il a racheté le PSG, le club de foot de la capitale, l’équipe Paris Handball (le Qatar organisera le championnat du monde de la discipline en 2015) et lancé une chaîne de télévision sportive payante, BeIN Sport, concurrençant Canal+ sur son terrain fétiche. Cette frénésie d’acquisitions repose sur des liens solides entre les deux pays, essentiellement énergétiques et militaires,

paris, juin 2009 Le président Nicolas Sarkozy et l’émir Hamad ben Khalifa al-Thani.

l’armement du Qatar étant à 85% français. François Mitterrand a ouvert les voies de la coopération. Jacques Chirac, tout à ses amitiés avec le monde arabe sunnite, les a considérablement renforcées. Et Nicolas Sarkozy a reconduit en 2008 une convention fiscale datant de 1990, très avantageuse pour le partenaire qatari puisqu’elle l’exonère de l’impôt sur les plus-values immobilières en France. Ce cadeau valait remerciements à l’émirat pour sa précieuse contribution à la libération des infirmières bulgares, prisonnières de l’ex-dictateur libyen Kadhafi. Décidément francophile, le Qatar a choisi Paris pour siège européen de son fonds souverain si généreux et si vorace. Sans remettre en cause la convention fiscale mais soucieux de rompre avec l’image de relations fondées sur la seule «amitié», une tradition française au Moyen-Orient, François Hollande a reçu à l’Elysée, trois semaines après son élection, le premier ministre qatari, et non l’émir en personne, Hamad ben Khalifa al-Thani. Pour ne pas donner une tribune à l’extrême droite, il a enterré avant même qu’il ne voie le jour, un fonds d’investissement de l’émirat doté de 50 millions d’euros qui devait soutenir des projets menés par des habitants des banlieues françaises. Au grand dam de l’Association nationale des élus de la diversité (ANELD), à l’origine de ce fonds. Député socialiste de Seine-Saint-Denis, Razzy Hammadi, qui n’est pas membre de l’ANELD, dit n’avoir «rien vu dans cette initiative qui valide la thèse du communautarisme. Quand les Suédois ou les Américains entreprennent des actions dans les banlieues françaises, c’est normal, quand ce sont les Qataris, ça ne l’est pas, s’étonne-t-il. De toute façon, on n’empêchera pas le Qatar d’investir là où il veut.» Ce que la France demande à son ami de Doha, c’est une certaine discrétion. Qui paie ne doit pas ici commander. Ni faire le buzz médiatique au détriment d’une cohésion nationale déjà fragile. En mars, Nicolas Sarkozy avait appelé la chaîne Al Jazeera pour la prier de ne pas diffuser la vidéo des assassinats commis par Mohamed Merah.√Antoine Menusier Paris

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du cheikh K. al-Thani, dont une copie est versée au dossier de la plainte qui l’accuse notamment de fraude, stipule qu’il est membre de la famille régnante du Qatar.

seulement venus pour les vacances. Plusieurs membres de la famille royale Al-Thani notamment ont, ou ont eu, individuellement une présence en Suisse à travers diverses sociétés. En 2011, les avoirs qataris dans les banques suisses atteignaient 2 milliards de francs, dont 1,2 milliard pour la seule clientèle privée. «Cela fait de nombreuses années que les banques genevoises ont de grosses fortunes qataries dans leurs portefeuilles», explique Hadi elAssaad. Ce consultant et expert en finances, qui a travaillé pour différents établissements de la place financière genevoise, a par ailleurs dirigé l’antenne parisienne de la Qatar National Bank (QNB). Un groupe de 7600 employés répartis dans 24 pays, à 50% aux mains de QIA, et dont le bénéfice net semestriel a doublé, atteignant en juin dernier 1,1 milliard de francs. L’établissement possède aussi, depuis 2009, une filiale à Genève: QNB Banque Privée SA, dont les représentants ne s’étaient jusqu’ici jamais exprimés dans la presse. Dans des bureaux modestes, à deux pas de la gare de Cornavin, le directeur général Antoine Maroun a reçu L’Hebdo au milieu du flux de clients. «C’est la saison», explique le directeur, dont la quinzaine d’employés se concentre principalement sur la gestion de fortune. «Notre clientèle est essentiellement qatarie. Celle-ci est présente en Suisse, pour des raisons d’affaires ou pour les vacances d’été. Notre objectif est aussi de servir la clientèle de QNB, résidente en dehors du Qatar, dans tous les pays où le groupe a une présence, notamment au Moyen-Orient et en Europe, particulièrement en France et en Angleterre. Nous misons beaucoup sur la gestion offshore depuis la Suisse.» Clientèle privée mise à part, le «family office», selon les termes d’Antoine Maroun, sert-il de canal aux investissements financés par de l’argent qatari en Suisse? «Accompagner ce genre de projets est l’un de nos objectifs, confirme le COO Jerry Loy. Il reste cependant qu’on doit être compétitif et assurer la meilleure qualité de services à nos clients.» Si QIA détient 50% de l’établissement, elle ne lui demande, en effet, pas automatiquement de financer ses projets.

philippe wojazer reuters

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