C'était la liesse, un moment merveilleux. Le président

parcourir les dix kilomètres qui le séparent de son appartement de Mariestad du centre d'entraînement du Skövde AIK. .... Quelques heures plus tard, les Dardanëts obtiennent un point historique. Du tuning, des précipices .... s'est déroulée à Cracovie, en Pologne. Malgré les défaites, Bunjaki dresse un bilan plutôt positif de.
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Des étoiles et des aigles Le 6 octobre 2016, le Kosovo affrontait la Croatie pour son premier match à domicile en éliminatoires du mondial 2018. Enfin, pas exactement, car –intrigant clin d’œil de l’histoire– la rencontre a eu lieu chez le voisin albanais. Un symbole de la difficile construction identitaire de ce pays, tout juste indépendant, et de son football. Par Thomas Andrei, à Pristina (Kosovo) et Shkodër (Albanie) / Photos: Picture-Alliance/Dppi et Theo McInnes pour SoFoot

“C’était la liesse, un moment merveilleux. Le président Sarkozy était à la télé. Dans une classe, il disait aux élèves: ‘À partir de maintenant, il y a un nouveau pays’” Fadil Vokrri, président de la fédération kosovare, à propos du 17 février 2008, jour de l’indépendance du pays

Hiver 1992, dans la campagne suédoise, un vélo file sur une route glacée. Sur la selle, Albert Bunjaki, survêtement, baskets et sac à dos. Comme chaque jour, il entreprend de parcourir les dix kilomètres qui le séparent de son appartement de Mariestad du centre d’entraînement du Skövde AIK. Mais ce matin, Albert ralentit, puis fait demi-tour. Arrivé chez lui, il se jette sur son lit et fond en larmes. Comme des millions d’êtres humains chaque jour, il se demande ce que sa famille est en train de faire. Sauf que ses proches sont loin, à Pristina, au Kosovo. Les joindre coûte cher et il n’est pas près de les revoir. Un an plus tôt, le jeune homme est joueur au FC Pristina et étudiant en médecine, un statut lui évitant le service militaire. Mais en 1991, alors que les autorités serbes font face à la désintégration de la Yougoslavie, elles décident, pour réprimer les velléités séparatistes du Kosovo, un territoire à majorité albanaise, d’interdire l’enseignement en langue albanaise à l’université et imposent leur propre programme scolaire. À la

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rentrée, les forces de l’ordre occupent des centaines d’écoles, renvoyant les enfants chez eux. Poussés vers la sortie et violentés, les étudiants albanais désertent les bancs de la fac. Bunjaki n’a donc plus d’excuse. Le service militaire devient obligatoire et l’envoie à Vukovar, épicentre de la sanglante guerre de Croatie (qui oppose, de 1991 à 1995, la République de Croatie, nouvellement indépendante, et l’Armée populaire yougoslave, à majorité serbe). Comme beaucoup de gamins du coin, il choisit l’exil. Si Belgrade le retrouve, il encourt vingt ans de prison pour désertion. Quelques années plus tard, la situation au pays empire. De mars 1998 au printemps 1999, les combats opposant le régime de Slobodan Milosevic à l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), alliée à l’OTAN, font des ravages.

Près de quatorze mille morts, dont plus de 80% de civils. Si tout le monde a perdu quelqu’un, Bunjaki compte trente-six décès dans son entourage. Un conflit qu’il ne vit que par procuration, avec un sentiment d’impuissance insoutenable.

Friture sur la ligne et diaspora Près de vingt ans plus tard, sur un coussin rouge de l’Emerald Hotel, un cinq-étoiles à la sortie sud de Pristina, Albert Bunjaki, 45 ans, porte toujours un survêtement. Mais il s’agit cette fois de celui de sélectionneur du Kosovo: “Pendant la guerre, il était interdit aux Albanais d’avoir le téléphone. Notre voisine, une vieille Serbe, le savait et a arrangé un

appel avec mon père. Sauf qu’elle l’a prévenu: ‘Vous ne pouvez parler qu’en serbe, sinon ils coupent la ligne.’” Il marque une pause, puis continue: “Ça a été la chose la plus difficile que j’ai eue à faire de ma vie: avoir à parler à mon père en serbe.” Des nouvelles de ses parents, Bunjaki peut en attendre pendant des semaines. Un jour, il parvient à joindre sa mère: “Elle me disait qu’elle avait peur. Elle me racontait ce qui s’était passé dans un village très près de chez moi. Elle pleurait, elle criait et me disait qu’ils avaient enlevé les yeux des enfants. Après ça, j’ai perdu le signal.” Comme leur entraîneur, les joueurs des Dardanëts ont tous une histoire à raconter sur le conflit. En majorité issus de la diaspora, ils sont les enfants de ceux qui ont fui le régime de Milosevic pour les quatre coins

“Ma mère pleurait, elle criait et me disait qu’ils avaient enlevé les yeux des enfants. Après ça, j’ai perdu le signal” Albert Bunjaki, sélectionneur kosovar, à propos des exactions serbes

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Le Kosovo en dix dates V OLV ODI N E

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1913: Avec le déclin de l’Empire ottoman, qui éclate définitivement après la Première Guerre mondiale, le Kosovo passe sous domination du Royaume de Serbie. 1945: Abolition officielle de la monarchie, proclamation de la République fédérative populaire de Yougoslavie. 1946: La Constitution de la RFPY est établie et crée les six républiques, dont la République populaire de Serbie, qui inclut le Kosovo. 1974: La Constitution de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, créée par Tito, fait du Kosovo une province autonome, avec un Parlement et un gouvernement propre afin de respecter le particularisme de la minorité albanaise. 1989: Le régime de Slobodan Milosevic supprime le gouvernement et le Parlement de la province autonome et ferme les journaux et radios de langue albanaise. Le Kosovo doit être contrôlé par des Serbes. 1991: Première déclaration d’indépendance par le président Ibrahim Rugova. Seule l’Albanie reconnaît le Kosovo. 1996: Création de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK). 1998: L’armée yougoslave entre au Kosovo dans l’optique de pousser les Albanais du Kosovo vers la Macédoine et l’Albanie. L’OTAN et l’UÇK répliquent. 10 juin 1999: La résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies place le Kosovo sous protectorat international. L’OTAN installe la KFOR pour contrôler la zone. 17 février 2008: La République du Kosovo proclame son indépendance. La Serbie et la Russie, entre autres, refusent de la reconnaître.

de l’Europe. Que ce soit en Suisse, comme le buteur Albert Bunjaku; en Belgique, comme le portier et capitaine Samir Ujkani; ou en Norvège, comme la starlette prêtée par Manchester City à Twente, Bersant Celina. Dans la sélection en lice pour les qualifications au mondial 2018 de la zone Europe, Bledar Hajdini, gardien du Trepça’89, le club de la partie sud de Mitrovica, est le seul à évoluer dans le championnat local. Cette équipe nationale kosovare, aux identités complexes et fragmentées, est toujours en construction. Si l’envoyer à l’Euro 2020, objectif affiché de Bunjaki, demandera beaucoup de travail, ce n’est rien en comparaison du labeur abattu jusquelà pour la simple reconnaissance des Dardanëts.

Du foot dans les champs de maïs En février 2008, le portable de Fadil Vokrri n’arrête pas de vibrer. Unique joueur albanais à avoir porté le maillot de la Yougoslavie, l’ex-attaquant du Partizan Belgrade et de Nîmes reçoit quotidiennement des appels du bled. “C’était les patrons de clubs au Kosovo. Ils me disaient: ‘Viens, on veut t’élire président!’ Et j’ai fini par l’être, à l’unanimité”, se vante-t-il. Après son élection par contumace, la légende locale atterrit à Pristina le 16 février au soir. Le lendemain, le Kosovo proclame son indépendance, après neuf années d’administration de l’ONU: “C’était la liesse, un moment merveilleux, raconte le quinquagénaire, des étoiles dans les yeux. Le président Sarkozy était à la télé. Dans une classe, il disait aux élèves: ‘À partir de maintenant, il y a un nouveau pays.’” Reste à faire reconnaître la sélection kosovare auprès des instances internationales. En matière de liberté pour son football, le Kosovo part de loin. En 1991, en réaction aux atteintes à leur liberté édictées par Belgrade, les joueurs albanais du FC Pristina, rapidement suivis par les autres clubs kosovars, quittent la ligue yougoslave. Se développe alors au Kosovo un championnat alternatif organisé dans des champs de maïs. Les terrains sont en pente, les tribunes sont des collines, les joueurs se douchent dans les rivières. L’image peut prêter à sourire si on oublie le froid, la boue et les raids de la police confisquant le ballon et renvoyant tout le monde à la maison. Le marasme dure jusqu’au 1er juin 1999. La réouverture du stade i Qytetit de Pristina est célébrée lors d’une rencontre entre le club local et une formation regroupant des joueurs albanais. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là. Vokrri rappelle: “Vu qu’on n’était pas reconnus, on n’avait aucun mécanisme pour retenir les joueurs. Ils signaient puis partaient un mois après. Sans indemnité pour les clubs, qui ne pouvaient pas se défendre.” Une anomalie parmi tant d’autres, rectifiée depuis, par la volonté de Sepp Blatter. Au départ pourtant, l’ancien boss du foot mondial n’a rien fait pour faciliter le processus de reconnaissance du Kosovo par la Fifa. À l’évocation du chemin parcouru, Vokrri prend une grande inspiration et se replace sur sa chaise. Il se lance: “La première demande a été formulée en mai 2008. À l’UEFA, ils nous disaient qu’il fallait être membre de l’ONU, la Fifa qu’on soit reconnus internationalement. On l’était, par 111 pays (en fait seulement 40 à cette époque, ndlr), donc on remplissait les conditions de

la Fifa. Sauf qu’il fallait être membre de l’UEFA pour appartenir à la Fifa.” Évidemment, la Serbie, pour qui le Kosovo n’est toujours qu’une province autonome, ne fait rien pour aider. En février 2012, à Bruxelles, Belgrade accepte de participer à des réunions de négociations régionales avec le Kosovo, organisées sous l’égide de l’UE, si un astérisque est accolé à l’État kosovar. Histoire de bien faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un véritable pays. Vokrri commente: “Au début, on a trouvé ça inacceptable. Puis j’ai dit qu’on s’en foutait. Ce qui était encore plus inacceptable, c’était de ne pas pouvoir jouer au football.” En mai 2012, la Fédération du Kosovo de football (FFK) parvient tout de même à arracher un accord pour organiser des matchs amicaux. Un deal que la fédé serbe parvient à faire annuler après avoir déposé plainte… Malgré tout, Vokrri assure que le dialogue avec ses homologues reste cordial: “Chacun défendait son bifteck, relativise-t-il. Je connaissais le président de la fédé serbe, Tomislav Karadzic, et j’avais conscience de la pression que leur gouvernement mettait sur leurs épaules.” La Fifa accepte finalement en février 2013, mais pose des conditions: le Kosovo ne peut ni afficher son drapeau, ni jouer son hymne. Pas possible non plus d’affronter un pays d’ex-Yougoslavie. Pire, la FFK doit toujours demander l’autorisation de son homologue serbe pour pouvoir organiser des matchs. Vokrri et les siens encaissent. Ne pouvant attendre le jour de la reconnaissance pleine pour construire une équipe, les hommes de Bunjaki aiguisent leurs crampons lors d’une série de matchs amicaux. Une première fois face à Haïti, le 5 mars 2014, à Mitrovica. La rencontre, ainsi que l’opposition face à la Turquie deux mois plus tard, se déroule au vétuste stade Adem Jashari, un des fondateurs de l’UÇK. Un symbole peu au goût de Belgrade, qui administre toujours la partie nord de la ville, à majorité serbe. Il faut attendre le 3 mai 2016, et un congrès exceptionnel tenu à Budapest, pour que l’UEFA reconnaisse enfin le Kosovo. Dix jours plus tard, le petit état balkanique devient le 211e membre de la Fifa. Seule restriction: on évite pour le moment de placer Serbie et Kosovo dans le même groupe. Reste désormais à monter une équipe compétitive. “On a appelé tous les joueurs qu’on connaissait, sourit Vokrri. Valon Berisha avait joué pour la Norvège mais a décidé de nous rejoindre. Son frère, Veton, a préféré le pays qui l’a accueilli. Il faut comprendre aussi.” Pour jouer pour le Kosovo, il faut de toute manière que la Fifa accepte. Les dossiers étant étudiés au cas par cas, Bunjaki peut compter sur des nouvelles recrues à chaque partie. En septembre, avant le premier match de qualification au mondial 2018 face à la Finlande, il préfère ainsi amener un groupe de vingt-cinq joueurs à Turku. Certaines autorisations arrivent le jour même. Quelques heures plus tard, les Dardanëts obtiennent un point historique.

Du tuning, des précipices et des vieilles rancœurs À Pristina, sur le boulevard Zahir Pajaziti, le résultat est accueilli dans une explosion de joie. Pourtant, les Dardanëts ne font pas encore totalement l’unanimité. Au même endroit, c’était auparavant

Jean-Jacques Gourdin.

“Les gens n’ont pas l’air de comprendre, mais je supporte le rouge et le noir parce que je me suis battu pour ce drapeau. Pendant la guerre, j’ai couvert les cadavres de mes amis avec” Albert Kastrati. Bon plan: vol A/R Paris-Pristina dès 146 euros!

Fisnik Ismaili, élu kosovar pro-albanais

Fadil Vokrri, président de la fédé kosovare.

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“La réunification, tous les Albanais en rêvent, comme les Allemands en rêvaient à l’époque du mur de Berlin” Bekim Haxhiu, ancien vice-président de la FFK

la sélection albanaise qui faisait rugir la foule. Et certains au Kosovo gardent en tête le vieux rêve de la réunification. Faute d’infrastructures aux normes, c’est justement chez le voisin, à Shkodër, que se déroule, début octobre, la deuxième rencontre du groupe I face à la Croatie. Sous Milosevic, rouler de la capitale kosovare à cette ville du nord-ouest de l’Albanie était long –une dizaine d’heures pour traverser les montages du Prokletije et ses ravins de cent mètres de profondeur– et surtout interdit. Depuis 2013 et la fin des travaux de l’autoroute, le trajet Pristina–Shkodër se fait en quatre heures. Sur place, d’étranges véhicules bidouillés à la Mad Max évitent sur des routes fatiguées de vieux hommes vendant du poisson posé à même l’asphalte. Aux abords du stade Loro-Boriçi, les vendeurs ambulants sont mieux équipés et grillent du poulet pendant que de grosses enceintes crachent de la pop albanaise. Dans la rue piétonne du boulevard Pedenalja, les cafetiers se félicitent de leur journée. La pinte de bière Tirana est à deux cents leks, soit un euro cinquante, mais les seize mille fans kosovars et croates consomment assez pour consolider le chiffre d’affaires. Le tout sans aucun débordement. “L’ambiance est amicale, assure Alban, un étudiant en économie croate venu assister au match. On veut gagner, mais si on perd, on ne sera pas trop en colère. On a comme qui dirait un ennemi commun.” On boit ensemble, on prend des photos, on apprend des chansons, comme le refrain du tube “Le Kosovo est le cœur de l’Albanie”. Un autre titre n’a pas besoin d’être enseigné. Il n’est repris que par une partie des fêtards mais suggère sans vergogne “d’aller tuer des Serbes”.

Des alliances ethniques et un hymne sans paroles Histoire d’assurer un public de qualité, la FFK et le gouvernement ont financé l’aventure du fan-club officiel de la sélection, les biens nommés Dardanëts. Sneakers, jean serré et visage émacié, Luli Berisha, 39 ans, est le leader du groupe. Quelques heures avant le début du match, à l’hôtel des joueurs, il claque la bise à tous les officiels présents et est invité à grimper dans le bus. L’aide des politiques? Il trouve ça normal: “On vit dans le même pays, ils nous soutiennent. La fédération a pourvu deux mille tickets et mobilisé trente-quatre bus. Le gouvernement nous a fourni des tee-shirts, à boire et à manger.” Pas question donc de bouder son plaisir au moment de supporter cette toute nouvelle sélection: “Je supportais l’Albanie parce que j’y ai grandi et que je n’avais pas d’autre équipe. J’attendais que l’UEFA et la Fifa reconnaissent le Kosovo, maintenant je peux supporter mon pays.” Face aux Croates, les Dardanëts tiennent parole et chantent jusqu’à la fin, avant de replier

leur banderole “Élevés par la guerre, plus forts que la peur.” Plus forts que la peur, mais pas que Mario Mandzukic, qui inscrit un triplé en 29 minutes, broyant la miteuse charnière centrale kosovare. À la 67e, la Croatie mène déjà 4-0. Les fans croates ne fêteront pas les deux buts suivants. La pluie s’intensifie et à la 80e le stade est à moitié vide. Comme le symbole d’une sélection qui a encore du mal à s’assurer un soutien inconditionnel. De retour à Pristina, Albert Kastrati, “capo” du groupe ultras Plisat, comme le chapeau traditionnel albanais, reçoit près de la rue UÇK, dans une laverie automatique faiblement éclairée. Aux murs de ce QG de fortune sont accrochés plusieurs drapeaux, dont l’imposant aigle noir sur fond rouge albanais. Supporters du FC Pristina, Plisat a non seulement toujours soutenu l’Albanie, mais également la réunification avec le pays frère. Alors que ses disciples entament l’hymne albanais, Kastrati est tout sourire. Avec son ami Omer Rushiti, 43 ans, directeur d’une école de langue, ils préparent eux aussi un déplacement à Shkodër, cette fois-ci pour assister au match de l’Albanie contre l’Espagne. “J’aime le Kosovo autant que l’Albanie, explique Kastrati, qui a combattu sept mois sous l’uniforme de l’UÇK. Mais le Kosovo n’est qu’une partie de l’Albanie. Je n’aime pas le drapeau, il est faux. Ce ne sont pas nos couleurs.” La bannière incriminée, officiellement adoptée lors de la déclaration d’indépendance, le 17 février 2008, représente une carte du pays jaune sur fond bleu, surplombée de six étoiles blanches. Chacune symbolise une ethnie peuplant le Kosovo: les Albanais, les Bosniaques, les Turcs, les Gorans, les Roms et… les Serbes. Très clairement, le design du drapeau, dénué de véritables symboles albanais, n’est pas vraiment du goût des unionistes. Sans surprise, ils ne sont pas non plus très fans d’Europe, l’hymne sans paroles du Kosovo, un pays toujours en proie à une schizophrénie identitaire. “Le plus grand problème réside dans la manière dont le Kosovo est devenu un État. C’est le résultat d’un énorme compromis entre divers acteurs internationaux. Nous n’étions pas libres de décider”, explique le sociologue et supporter du Kosovo Artan Muhaxhiri.

Des balafres et beaucoup de cicatrices En 2016, seul un courant politique réclame pourtant le rattachement à l’Albanie: Vetëvendosje. Ce parti, qui signifie “autodétermination” en VF, est le premier groupe d’opposition à la coalition gouvernementale formée par le PDK et la Ligue démocratique du Kosovo. Fisnik Ismaili, l’un de leurs seize élus à l’Assemblée, ne cache pas sa préférence pour la sélection albanaise. “Les gens n’ont pas l’air de comprendre, mais je supporte le rouge et le noir parce que je me suis battu pour ce drapeau, râle-t-il. Pendant la guerre, j’ai couvert les cadavres de mes amis avec. On n’oublie pas ça en claquant des doigts.” Autre raison avancée, tant par le sociologue que par l’ancien combattant, pour motiver cette distance entre une partie de la population au Kosovo et la sélection d’Albert Bunjaki: le manque de professionnalisme et de vision du pouvoir en matière de football. “Ils n’en ont rien à faire de ce pays, s’emporte Ismaili. Pour faire de l’argent, ils vendraient leur mère. Comment personne n’a pu penser à construire un stade pendant dix-sept putains d’années? On aurait pu se douter qu’on aurait

“Allez tuer des Serbes” Paroles d’un chant de supporters kosovars

“It’s fun to stay at the...Y.M.C.A.”

à jouer des matchs un jour!” Un manquement paradoxal, selon Muhaxhiri: “La reconnaissance du Kosovo par la Fifa et l’UEFA fait partie d’un projet plus large de création d’une identité kosovare. C’est la carte maîtresse des politiques. Le problème, c’est que nous n’avons pas d’économie forte. Mais on a de la corruption, donc les gens identifient le Kosovo à quelque chose de négatif.” Les critiques, l’ancien vice-président de la FFK, Bekim Haxhiu, y est habitué. Car comme le lui reproche Ismaili, lui aussi est un politique. Membre du parti majoritaire, il œuvrait une dizaine d’années auparavant au sein du SHIK, l’organe de “renseignements”. Dans son cou, une large cicatrice, résultat d’un éclat de grenade, rappelle un passé trouble pas si lointain. Dérangeant pour une telle position. D’où sa décision de démissionner le 11 octobre dernier: “Ismaili ment! J’ai joué pendant des années avec les jeunes à Pristina. Avec Fadil Vokrri, on ne voulait pas mêler la politique et le sport. Mais quand la politique peut aider le sport, c’est une bonne chose. Pendant huit ans, on a fait au mieux pour le football, et maintenant que nous sommes reconnus, je pouvais démissionner.” Finalement, Haxhiu rejoint son opposant politique sur au moins un point: “La réunification, tous les Albanais en rêvent, comme les Allemands en rêvaient sans doute à l’époque du mur de Berlin. Mais ce n’est pas quelque chose que l’on peut décider aujourd’hui. Pour le moment, on doit développer notre pays.”

“Ils ont arrêté de supporter l’Albanie” Depuis leur baptême du feu à Shkodër, les hommes d’Albert Bunjaki ont subi un nouveau revers, cette fois-ci face à l’Ukraine (3-0). Comme Kiev ne reconnaît toujours pas Pristina ni ses passeports, la rencontre s’est déroulée à Cracovie, en Pologne. Malgré les défaites, Bunjaki dresse un bilan plutôt positif de ses premiers pas en tant que sélectionneur kosovar: “Contre la Croatie, j’étais énervé. On aurait dû sauver l’honneur. Là, on a tenu, on a failli égaliser. À la fin, Chevtchenko m’a dit qu’on avait une bonne équipe, technique, meilleure que ce qu’il pensait.” Le sélectionneur contient un sourire de fierté puis ajoute:

“On est une des plus jeunes équipes du monde. On a un joueur de 16 ans! On a juste besoin de temps.” Pour tout le reste, il y a Fadil Vokrri. Visiblement, l’icône locale à une petite idée sur la manière dont le conflit identitaire entre l’Albanie et le Kosovo peut se régler. Cette solution, il l’a entrevue le 13 novembre 2015, lors d’un match opposant les deux pays frères à Pristina. Ce jour-là, dans une ambiance extraordinaire, le kop du Plisat avait déployé un immense aigle noir sur toute la tribune: “Au bout d’un quart d’heure, ils ont arrêté de supporter l’Albanie. Le stade restait mitigé. Puis, au fur et à mesure, le public s’est mis à soutenir le Kosovo. Et une partie de Plisat a applaudi quand on a marqué. Dans l’euphorie, on ne contrôle rien”, sourit Vokrri, qui fait un signe de la main semblant dire “attends et tu verras”. Une sélection performante réussira-t-elle à rallier l’ensemble du peuple à sa cause? Possible. Venant de la part d’un Kosovar Albanais adulé en Serbie, on peut y croire. TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR TA



“On est une des plus jeunes équipes du monde. On a un joueur de 16 ans! On a juste besoin de temps” Albert Bunjaki, sélectionneur du Kosovo