(budo conf\351rence)

Cette cérémonie véhicule clairement les principes sur lesquels fut fondée ... général : « L'art militaire part des grandes vertus d'humunité et de justice, pour ...
273KB taille 4 téléchargements 718 vues
La Ki School Kinomichi Kenjutsu ki-school.fr

Conférence du samedi 3 Mars 2007

La légende du Grand Budo La Voie n'est jamais tracée d'avance, elle se trace à mesure qu'on y chemine : impossible, donc, d'en parler à moins d'être soi-même en marche. A. Cheng Une légende

Je voudrais introduire le sujet en interrogeant un mensonge pour dégager une vérité qui puisse, je l'espère, servir à chacune et chacun pour mieux trouver, garder et pénétrer la Voie. Notre étude aujourd'hui s'attachera à la légende décrivant l'apparition des arts martiaux en Chine. Cette légende est bien sûr comme toutes les légendes, fausse historiquement. Cependant, les historiens euxmême cherchent à savoir ce que recouvrent ces contes et creusent tels des archéologues pour dégager les cités cachées1, ces cités d'or, ces Eldorados pour qu'ils nous livrent leurs mystères, leurs trésors, leurs vérités. Ainsi s'énonce la légende : « Un maître de bouddhisme indien vint en Chine diffuser son enseignement aux indigènes chinois. Les initiant à la méditation austère, assis en silence face à un mur, il les trouva bien faibles quand la bise fut venue. Certains malades, d'autres ayant égaré leur esprit, quelques uns définitivement abrutis, il songea à les remettre d'aplomb, bien droit dans leurs chaussures. Maître Bodhidharma leur révéla son art de guerrier, une forme de Kalaripayat. Adoptant la posture de l'éléphant, du singe ou du tigre, les disciples retrouvèrent leur vitalité et purent d'un pas assuré avancer dans la Voie du Bouddha, Butsudo en japonais. » Cela est faux, bien sûr. Nous pourrions tourner le dos à cette fable mais souvenons-nous que dharma signifie en sanscrit tout aussi bien enseignement que phénomène. Cela indique que tout phénomène ne peut ni ne doit être rejeté car en chaque chose, de la fourmi à la galaxie, réside un enseignement et une opportunité de comprendre. En quoi cette fabliole est-elle un dharma, un enseignement ? Conception nouvelle, corps nouveau

Je commencerai par rappeler cette vérité : « Les arts martiaux existaient avant l'arrivée en Chine d'un étranger, brun de peau et sans papier. » Toutefois, les Chinois relevèrent quelque chose de neuf dans les mouvements qu'il introduisit. A l'évidence, et art indien proposait des mouvements, des gestes, des postures fondés sur des principes étrangers à la manière chinoise de mouvoir le corps, de le concevoir, de le comprendre. L'apprentissage lui-même relevait d'une perception différente du rôle du maître et de l'élève. Les Chinois percevaient pour la première fois comment de l'autre côté des Himalaya, on enseignait, on progressait, on maîtrisait. Ce choc devait faire dire à Anne Cheng dans son « Histoire de la pensée chinoise »2 que le bouddhisme a basculé la pensée chinoise de son trajet. Cette nouveauté peut encore être ressentie dans les menues différences entre arts bouddhistes et arts taoïstes. M. Malamoud3, savant sanscritiste, lie fortement physiologie et cosmogonie car la manière de concevoir l'univers influe directement sur la capacité à représenter le corps et donc sur sa maîtrise. Ainsi Maître Bodhidharma introduisit une pensée nouvelle, important de facto un art nouveau du corps. C'est cela la première vérité de la légende.

1 2 3

Bouddhas et rôdeurs sur la route de la soie, Peter Hopkirk, éd.Picquier, 1995 Histoire de la pensée chinoise, Anne Cheng, éd. Seuil, 1997 Cuire le Monde, rite et pensée dans l'Inde ancienne, Charles Malamoud, éd. La Découverte, 1989, Paris

L'étrangeté comme source d'amitié

Toutefois, il rencontra en terre chinoise une civilisation de la Terre, du Ciel mais surtout du Fleuve. Le Tao est souvent perçu comme un fleuve immense chariant la terre des montagnes lointaines, les hommes et leurs besognes journalières, le temps et la longue succession des dynasties. Face à la pensée chinoise d'un temps qui mûrit et les récoltes et les hommes, face à cette pensée du fleuve qui toujours avance, auprès duquel les maîtres cachés dans les innombrables fables méditent, le bouddhisme s'est incliné, comprenant ce qu'il avait à gagner de cette rencontre. La Roue de l'Enseignement de l'Eveil devint sous l'influence du climat local la Voie de l'Eveil, Butsudo en japonais. Dogen, introducteur du Soto Zen au Japon, ne dit-il pas : « Les montagnes coulent » ainsi que des rivières ? Le temps de l'Extrême Asie n'est pas celui de nos philosophes. Il n'est pas une mesure physique ni réduit à la succession de nos vécus. Le temps de Confucius mûrit la graine en terre et blondit l'épi de riz. Il est celui qui mûrit l'humain en l'homme le poussant vers la maîtrise, cet autre nom de l'acceptation de son humanité. Le Tao advient donc par l'écoulement d'un temps qui réchauffe ou refroidit le germe. Le Livre des Transformations, le Yi King, est une construction fondée sur cette conception. Maître Bodhidharma a ainsi perçu l'étrangeté chinoise et l'a avec bonheur intégré dans son enseignement. L'étrangeté serait l'opportunité d'une rencontre fructueuse, ou comme le dit Confucius : « Partager [ce que l'on connaît] avec un ami qui vient de loin, n'est-ce pas la plus grande joie ? »4 L'étrangeté de l'autre devient l'opportunité d'une amitié, amitié qui fonde l'humanité pour les Chinois. C'est cela la deuxième vérité de la légende. 3 trésors dans une corbeille

Maître Bodhidharma commit une erreur. Il avait introduit une pensée sans corps. Bien sûr, être assis devant un mur peut se faire simplement et une compréhension peut en jaillir. Mais avec l'introduction de l'enseignement du Bouddha, parallèle à cette transformation de la représentation du Monde, iI fallait introduire une manière nouvelle de mobiliser le corps, de le soutenir, de le nourrir. Pour répondre à cette adéquation entre esprit et corps, les monastères bouddhiques et taoïstes ont attachés une importance première à la diète des moines. Chacun y soutient le corps par des régimes végétariens et des techniques respiratoires. Chacun s'adonne à des exercices pour fortifier les os, assouplir les tendons, nourrir le souffle. Lorsque des bandits attaquaient les monastères riches ou détroussaient les pélerins isolés dans les forêts, les moines remarquèrent que ces mêmes exercices respiratoires leur permettaient de rivaliser et de l'emporter sur les malfaisants hantant les passes désertées où rôdent les tigres et les malandrins5. A l'occasion, ils remerciaient leurs hôtes en les soustrayant à la tyrannie d'un despote local. Résumons, Maître Bodhidharma a modifié son enseignement de départ en liant la spiritualité, la santé et la capacité à agir dans le Monde. C'est cela la troisième vérité de la légende. L'actualité de la légende

Je viens de faire un détour par la légende de Shaolin qui brode sur la naissance des arts martiaux en Chine. Cette parenthèse a le bénéfice de nous montrer un art martial venant de loin et s'implantant dans une terre étrangère pour y prospérer sur des millénaires. Telle est aussi la situation du Kinomichi aujourd'hui. L'intérêt de cette disgression est de nous montrer une somme d'expériences dont nous pourrions faire notre miel. Lorsque nous considérons le Kinomichi, nous sommes face à une pensée étrangère, une manière exotique de mouvoir le corps, une relation nouvelle à l'autre qui devient partenaire. Depuis 1979, un formidable travail de naturalisation a eu lieu. Les élèves occidentaux ont rencontré un maître oriental. Certains ont été plus séduit par une pensée inouïe, d'autres par un art de santé et encore certains par un art martial. Chaque pan de l'enseignement de Maître Noro est en soi un sujet d'étude. Chaque partie de sa maîtrise pourrait nécessiter une vie d'efforts. Lorsqu'il est venu en France, il a commencé par s'adresser aux dojos de Judo. A l'évidence, cette pratique soeur désignait les dojos de Judo comme des lieux appropriés pour propager l'enseignement de son maître Morihei Ueshiba. La fraternité des budos a fait qu'on lui a ouvert progressivement l'accès aux tatamis. Il présenta donc un art martial certes efficace mais à la fois noble. Cependant, Maître Noro ne tarda pas à rencontrer les mêmes difficultés que Maître Bodhidharma en Chine quelque mille et quelques années auparavant ! Les personnes venues pour l'art martial tout plein d'actions et de contre-actions ne sentaient pas la nécessité des exercices de santé ni d'une compréhension spirituelle. Pour rétablir l'équilibre interne de l'art, certains en France, avec Jazarin6, en appelèrent à la Voie comme école de vie. Il était devenu évident pour ce groupe d'adeptes qu'il fallait restituer l'unité de la Voie, sa cohérence pour maintenir sa capacité d'action, pour préserver sa vertu au sens latin du terme, la virtu, la force de la Voie. 4 5 6

Entetiens de Confucius, traduction Anne Cheng, éditions du Seuil, 1981. Enseignement oral de Maître Wang Yang donné à l’auteur. Le Judo, école de vie, Jean-Louis Jazarin, Les éditions Le Pavillon, Paris, 1974. Du même auteur, L'esprit du Judo, entretiens avec mon maître, Les éditions Le Pavillon , Paris, 1968.

Dispersez les buches et le feu se meurt Rapprochez-les et au loin portera la lueur L'âme de la tresse

Ces vers sont souvent interprétés comme faisant allusion aux amis et à l'amitié. Mais elles énoncent aussi la proximité des arts et leur intimité. L'Orient maintient uni le faisceau des savoirs. En Occident, il nous est évident de séparer la stratégie de la poésie, la poésie de la peinture, la peinture de l'art de gouverner les hommes. En Orient7, il est natuel d'accompagner toute peinture d'un poème, qu'un général sache calligraphier et qu'un médecin puisse sa défendre des brigands. L'arrière grand-père d'un de mes élèves était acupuncteur et rappelait à sa fille qu'un bon médecin doit connaître les arts martiaux. En France, au début du XXème siècle, nous avons séparé les humanités pour favoriser une spécialisation; cela a assis notre domination sur les autres continents du savoir. De la même façon, dans les dojos, nous assistons à une division de l'enseignement. L'élève préfère une portion du cours et cette partie désigne son goût et sa préférence, elle témoigne de son aisance dans ce domaine et en final, de sa préférence pour le confort. L'élève privilégie un côté du cours et ignore ce qui lui demande un effort. Il finit par ne voir qu'un aspect du devoir de l'élève et rejette une partie de la maîtrise de son maître. Il s'ampute lui-même d'un devenir libérateur. Comme il ne revient pas au patient de choisir son traitement, il ne revient pas à l'élève de diriger le maître vers ce qui lui sied le mieux. Cette tentation annihile la distance entre l'élève et le maître. Le premier ne sait pas encore quand le deuxième sait déjà. C'est pourtant la condition initiale de tout enseignement, de toute initiation. Le Maître tient dans une seule main la totalité de sa matière et dispense progressivement son cours. Il tire un fil qu'il a lui-même tressé, unissant les domaines de son savoir comme autant de fibres. Il ne revient pas à l'élève de défaire le fil. Chaleur et fermeté, une union maîtrisée

Les arts martiaux japonais s'appelaient bujutsu ou bugei, techniques martiales ou arts martiaux. En mai 1883, le Maître Kano, après des études en philosophies indienne et chinoise8, ayant bénéficié d'une véritable formation en bujutsu, reconnu maître lui-même, décida de réintroduire dans le Monde des arts martiaux japonais la notion de Do. Il proposait une ambition nouvelle, à savoir élever des techniques de protection personnelle à la hauteur de la Voie, du Tao. Il enseignait d'abord l'étude de la Voie et ensuite seulement les techniques. Dans son oeuvre, on reconnaît la pensée chinoise et même indienne9. Il lui est arrivé d'écrire qu'il fallait « embrasser chaleureusement et maîtriser fermement ». Et d'ajouter que cette règle faisait partie d'un ensemble que les pratiquants d'arts martiaux auraient avantage à étudier. Je savourais cette pensée quand un jour, en lisant le Tai Kung, le plus vieux manuel de stratégie chinoise datant de l'époque de Royaumes Combattants10 mais attribué à l'époque des rois Wen et Wu11, un jour donc, je lisais ceci : « This is what is 7

8

9

10 11

Entre Extrême-Orient et Occident, un écart de conception, Y. KAMENAROVIC Traduction de l’auteur d’un extrait de la biographie de Jigoro Kano : « [De 1874 à 1881] Pendant que je m'adonnais à l'étude du Jû Jûtsu, je continuais évidemment mes études universitaires. A cette époque, le département de littérature de l'université était divisé en quatre sections: science politique, sciences économiques, philosophie et études classiques japonaises et chinoises. Les études japonaises et chinoises étaient indépendantes, mais nous devions opter pour l'étude de deux des trois autres sections. De cette façon, je devins diplômé en sciences politique et économiques. Je reçus l'enseignement de nombreux professeurs dans ces disciplines ainsi qu'en philosophie. Des professeurs qui m'ont le plus apporté, je mentionnerais Fenellosa et Cooper pour la littérature anglaise; je fus l'élève de Keii Nakamura, Shigenori Shimada, Tsuyoshi Mishima, etc. pour les études chinoises, et étudiais avec Yoshikiyo Yokoyama, Masayori Kurokawa et bien d'autres; pour la philosophie indienne, ce furent Tanzan Hara, Kakuju Yoshitani pour ne citer qu'eux. » « La notion de reste a sa place, qui est fondamentale, dans plusieurs doctrines explicites. En outre, elle fonctionne comme un schéma intellectuel auquel la pensée brahmanique recourt constamment. » in Malamoud dans « Cuire le monde », 1er chapitre « Observations sur la notion de « reste » dans le brahmanisme », p.32. A mettre en parallèle avec la biographie de Jigoro Kano : « Si ma mémoire est bonne, nous avons tenu notre première cérémonie de Nouvel An en 1884. A cette cérémonie, en tant que Principal de l'Ecole Privée Kano, je remplissais une petite coupe de saké épicé appelé toso qui est fabriqué expressément pour le Nouvel An. Alors, sans en prendre une seule gorgée, je la passais à la personne suivante qui était aussi la plus âgée. A son tour, elle ajoutait un peu de toso dans la coupe et toujours sans boire, la passait au suivant. Après que la coupe eut fait le tour des étudiants réunis, chacun ayant effectué les mêmes gestes, la coupe me revenait. Je la passais alors au suivant sans en absorber une goutte. Au troisième tour, j'en buvais une quantité moindre que celle que j'avais versé en premier tour, et chacun agissait de même. Lorsque la coupe me revenait pour la troisième fois, il devait encore rester un fond de toso. Là-dessus s'achevait la cérémonie. Chaque geste était porteur d'un sens. Le premier tour avec le remplissage de la coupe symbolise notre travail; l'abstention de boire correspond à l'esprit humble qui ne boit pas mais permet à d'autres d'étancher leur soif. Au second tour, nous concédons de nouveau aux autres. Au troisième tour, nous prenons moins que nous n'avons apporté. Le restant peut être conservé comme fond commun. Comme le nombre des étudiants augmentait, nous modifiâmes le cérémonial et omettâmes le second tour en entier. Plus tard nous passâmes simultanément deux coupes, sur la droite et sur la gauche, chacune parcourant la moitié de l'assemblée pour être ensuite ramenée au principal de l'école. Cette cérémonie véhicule clairement les principes sur lesquels fut fondée l'Ecole Privé Kano. Les étudiants doivent s'évertuer à surmonter les difficultés et les épreuves, cultiver l'esprit d'humilité, d'industrie, de volonté et de concession. Je fis de cette cérémonie l'emblème de l'Ecole Privée Kano, de sa discipline mentale. » Nous trouvons ici le thème de la soif propre au bouddhisme et celui de la dette qui fonde une théologie dans le brahmanisme. 453 à 221 avant notre ère. 11ème siècle avant notre ère.

termed 'being closely embraced' »12, être intimement embrassé. Maître Kano indiquait un lien avec une tradition chinoise à ses origines même. Un fleuve coule depuis les rois Wen et Wu jusqu'aux maîtres d'aujourd'hui, jusqu'à Maître Noro ... et ses élèves. Ces mots, je les triturais jusqu'à en dégager ceci : 1. Pour embrasser, il faut s'ouvrir à l'autre, l'accueillir dans ses bras ouverts. 2. Pour le faire chaleureusement, il faut ouvrir son coeur pour toucher et être touché. 3. Pour maîtriser, il faut maîtriser son corps, ses gestes, ses techniques. Ensuite, nous pourrrons maîtriser l'autre. 4. Maîtriser l'autre ne signifie pas le dominer ni réduire sa volonté ou son autonomie. Tout bon enseignant sait que maîtriser sa classe ne veut pas dire dominer les élèves ou réduire leur volonté ou leur autonomie. 5. Maîtriser fermement peut aussi signifier maîtriser soi-même, sa pensée, son coeur et son corps. Fermement signifie que l'on peut diriger et se diriger. C'est un minimum pour savoir se conduire. 6. Revenons à « chaleureusement ». La chaleur dont il s'agit exprime le coeur mais aussi le ki.

1er couple : embrasser-chaleur. 2ème couple : maîtriser- fermeté.13

« Embrasser chaleureusement et maîtriser fermement » peut être une manière de décrire le contact, l'écoute de l'autre et le don de soi que nous enseigne Maître Noro. Ce que nous enseigne notre maître est un écho, une résonnance qui traverse la civilisation chinoise. Elle en dit le coeur battant. D'ailleurs, qu'est-ce d'autre que le maniement des baguettes ? On embrasse la forme sans blesser la matière ni la laisser choir. On agit en rapprochant, on s'abstient en s'écartant. Il y a une proximité qui traverse les arts orientaux car ils ont été voulu, pensé et vécu intimement. Une Voie organique

Le budo est la réinsertion au coeur des arts martiaux japonais de cette ambition élevée qui est d'étudier la Voie. Le budo en maintenant ensemble l'esprit, la santé et la présence au Monde maintient unies les composantes de l'homme. Elle le pose comme organique car toute amputation nuit à ses fonctions vitales. Le budo est tout sauf sanguinaire, vil, dévoyé. Bu s'écrit avec les clés « Arrêter la lance ». Voici les paroles d'un général : « L'art militaire part des grandes vertus d'humunité et de justice, pour aboutir au courage et à l'intelligence » « Assurer la paix au peuple, tels sont les fondements des vertus d'humanité et de justice »14. 12

The Tai Kung, p.57, in The Seven Military Classics of Ancient China, R.D.SAWYER, ed. Westview Press

- Embrasser : se lit "da" en japonais dans le verbe "daku" (=embrasser, prendre dans ses bras), ou "ho" (avec un o long) dans les mots composés. se lit "bao"

13

en chinois (avec le quatrième ton, c'est-à-dire une intonation haut -> bas). - Chaleur : se lit "atsu" en japonais dans l'adjectif "atsui" (=chaud), ou encore "netsu" dans les mots composes. Se lit "re" en chinois (avec le quatrième ton également). - Maîtriser : se lit "sei" en japonais (=maîtriser, contrôler). Se lit "zhi" en chinois (avec le quatrième ton également). - Fermeté : se lit "kibi" en japonais dans l'adjectif "kibishii" (=ferme, sévère), ou "gen" dans les mots composes. Se lit "yan" en chinois (avec le deuxième ton, c'est-à-dire une intonation bas -> haut). Les Chinois utilisent plutôt le kanji "re"que "wen", pour renforcer l'idée de chaleur. Effectivement, on a tendance en chinois, comme en français, à exagerer un peu les paroles, pour mieux montrer sa force de conviction. "wen" est l'idée de "douce chaleur", et convient parfaitement en japonais; "re" est l'idée de "chaleur-passion", et sa nuance beaucoup plus fougueuse convient mieux au chinois. Notes de Thierry COMONT, pratiquant de kenjutsu no koryu, traducteur et enseignant à l’Université de Oita, Kyushu, Japon. 14 Nguyen Trai (1380-1442) in Mille ans de Littérature Vietnamienne, éd. Picquier Poche

Le Bu est l'affirmation forte qu'un fleuve traverse l'humanité et que cette humanité a une source commune. Le Maître Kano dit avoir enseigné les techniques de défenses personnelles car c'est par elles que ses maîtres l'ont éveillé à l'expérience directe de la Voie, du Tao. Par respect pour son maître et par amour pour ce qu'il lui a enseigné, Maître Noro transmet à son tour les waza, les exercices, les kata, les formes, les seiho, les conduite du ki. Il transmet le reigi, les manières correctes, le respect des anciens, l'attention aux débutants. Il transmet le bon usage des gestes et des paroles, quand il faut s'avancer et quand il faut reculer. Iten ou Ichi sont liés à nos comportements. La juste distance et la juste position sont étudiées au coeur même des mouvements de Terre et de Ciel. Les ukemis sont l'expérience du côté caché, dans l'ombre de nos perceptions. Une roulade éveille le dos mais plus encore réveille nos méridiens qui parcourent notre dos en disséminant le ki. L'ukemi porte notre attention à ce qui est dédaigné et qui est souvent la clé des situations. Maître Noro nous transmet aussi un corps de savoir. Je dis bien corps car les mouvements sont liés de manière organique. Ils ne constituent pas une structure qui relève du minéral. Ils sont organisés parce qu'ils s'articulent de manière vivante. Ils vivent pour autour de principes. Ils reflètent la Voie, le Tao. Ils sont multiples et innombrables car ils répondent de façon vivante au jaillissement de la vie, à la manière toujours nouvelle par laquelle se présente l'autre, cet inconnu, ce bel inconnu. Les mouvements sont bigarrées comme la vie est impertinente. Des maîtres du passé, on disait : « le maître aux mille expédients »15 car c'est à cela que l'on reconnaît aussi la maîtrise. Pour aider son élève à progresser, il faut trouver ce qui lui convient et mille techniques ne sont pas de trop pour trouver chaussure au pied de chacun. Les mouvements sont comme les reflets du soleil jouant sur l'eau ... Qui donc agite l'eau ? Devoirs de mémoire et de transmission « … rassembler toutes les connaissances, pour faire face à toutes les situations. De cette façon, on ne s'attarde pas à la superficie des choses, mais on saisit jusqu'à leur essence intérieure. »16 Lê Quy Dôn

Le fleuve continue son voyage et nous pousse inexorablement vers les générations suivantes, chacun de nous portant des espérances et des devoirs. A chaque étape à travers les âges, le cours du Tao a apporté aux hommes les moyens de survivre à la barbarie et d'apaiser leur coeur tumultueux. Ce qui répond à nos besoins n'est pas cela-même qui a soutenu nos prédecesseurs ni portera nos successeurs. Chaque classe d'âge invente et reconnaît dans la tradition ce qui lui convient et l'aide à garder espoir. Du sein de chaque génération sortent des maîtres pour vivre selon la Voie. Notre devoir vis-à-vis de nos fils et de nos filles veut que nous préservions la diversité de réponse et d'invention dont ils useront pour être à la hauteur des temps à venir. Cette diversité, il ne nous revient pas de la limiter ni de la restreindre à nos goûts ou nos choix. Notre immense devoir est de porter à bout de bras cette richesse techniques que nos devanciers ont protégé au péril de leur vie. Dans le confort de soixante ans de paix en Europe, nous avons oublié les devoirs que porte chaque génération d'hommes et de femmes. Une guerre est la disparition d'une génération. Pour ceux qui comme moi, l'ont vécue et subie, cette rupture dans la chaîne est un trou dans l'eau qui ne se referme pas. Et même jamais. Les pratiquants de notre temps, vous et moi, nous, nous avons une transmission à effectuer dont le sens nous échappent dans le train qui s'attardent au long des jours anodins17. Au coeur du quotidien, se loge la clé des espoirs futurs. Reconnaissons la grandeur de notre communauté d'élèves, soutenons la maîtrise de Masamichi Noro, portons plus avant le Tao tel qu'il nous a été transmis, et particulièrement sous la forme du budo. Nous ne sommes pas libres de nos devoirs. 15

16

17

Je reproduis la note suivante à titre d'illustration d'une pédagogie courant à travers l'Asie et qui se différencie d'une recherche occidentale d'un vrai ou d'un bien idéal, absolu et identique à lui-même sous peine de contradiction. « Expédient (salvifique) : le chinois fangbian / hôben traduit le sanscrit upâya; il s'agit du principal instrument, avec leur sagesse ou sapience, dont disposent les [Bouddhas] pour sauver les êtres : c'est l'ensemble des stratagèmes élaborés pour arracher les êtres à l'ignorance en s'adaptant à leur facultés. Complémentaires et auxilliaires de [l'enseignement] réel, les expédients ont pour vocation d'être finalement dépassés dans la compréhension ultime de ce dernier. » Le Sûtra du Lotus, traduction par Jean-Noël Robert, note de la p.463 éd. Fayard,1997. Le stratagème par nature est variable. Il ne s'agit pas pour autant d'un relativisme. Lê Quy Dôn (1726-1783) in Mille ans de Littérature Vietnamienne, p.107, éd. Picquier Poche. A un stade avancé de l'étude des arts martiaux, il est recommandé de retenir un seul exercice pour développer l'unité du corps et de l'esprit. Toutefois, lorsque cette unité est réalisée, il est aussi recommandé d'explorer exhaustivement tous les enseignements de l'école pour que l'unité s'étende à la multiplicité. Cela s'appelle « abandonner le radeau après avoir atteint la rive opposée ». Il n'y a donc pas d'opposition entre profondeur et extensivité. L'étude exhaustive de l'enseignement d'un maître ne saurait être taxée de superficielle sous ces conditions. « Rien ne représente mieux la civilisation du XXème siècle que le train. On emplit une boîte avec des centaines de gens et la boîte avance avec fracas. C'est impitoyable [...] La civilisation, après avoir fait de chaque individu un tigre féroce en lui rendant la liberté, maintient la paix civile en le jetant dans une cage. Cette paix n'est pas la paix véritable. C'est celle d'un tigre au zoo, qui fixe les visiteurs, le corps tapi. Il suffirait qu'une seule barre cédât ... et le monde serait sens dessus dessous. C'est alors qu'éclaterait la deuxième Révolution française. La révolution individuelle déjà ne cesse d'éclater du matin au soir. Ibsen m'a fourni la démonstration complète des conditions dans lesquelles cette révolution est possible.Chaque fois que je vois un train rouler, chargé brutalement et irrationnelllement d'hommes comme de marchandises et que je compare les individus enfermés dans leurs compartiments avec ce véhicule métallique qui ne prête aucune attention à la personnalité de chacun ... danger danger ... Je pense qu'il y a danger si l'on ne fait pas attention. » Texte publié en 1906. Pour comprendre plus loin le texte, je rappelle que le train évoqué par Soseki se pense en anglais "railway", la Voie sur rails ; Soseki occupait une chaire de littérature anglaise à l'université. In Oreiller d’herbes, Soseki, p.165-166, éd. Rivages, 1989.

La légende du budo, parce qu'elle est une vraie légende, est vraie à chaque âge. Ainsi nous sommes contemporains des maîtres du passé, de ces premiers élèves sur la Route de la Soie. En tant qu'élèves et maîtres, nous rencontrons les mêmes écueils, les mêmes peines et les mêmes joies. Rapprochons les bûches à travers les âges. Nguyen Thanh Thiên