Brouillon d'un courrier de Constantin Joseph Limpens(1) constituant ...

ans de première ligne, ma section dont j'étais l'agent de liaison fut sacrifiée pour ... Chemin des Dames fut enfoncé en Mai 1918. .... Libération et l'Indépendance de la France 23-24-25 et 45 (de Mai 1941 à Libération) sous le pseudonyme ... C. Limpens est porté disparu dans l'imposante liste nominative des «tués, blessés.
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Brouillon d’un courrier de Constantin Joseph Limpens(1) constituant le récit de sa participation à la Grande Guerre « Je dois, demain matin, éclairer mon ami Jean Seine sur la Résistance locale, afin de collaborer, selon mes souvenirs au Musée de la Résistance. A l’âge de 70 printemps, ayant participé à deux guerres puis à la Résistance, j’ai toujours désiré écrire un jour mes mémoires, mais les obligations professionnelles ne m’ont jamais laissé le calme indispensable pour réaliser ce projet. Je vais donc hâtivement jeter sur ce papier quelques souvenirs de base que je compléterai plus tard en compulsant les documents et archives dont je dispose(2). Je pense que la notion de la Résistance est en soi et se développe en face de l’injustice et de la violence.

En 1916-17, extrait d’une photo de groupe. Constantin Limpens, agent de liaison au 132e de ligne, 28e Compagnie. Sera ensuite incorporé au 71e R.I., puis au 25e R.I. où se situe ce récit (au sein de la 5e Cie).

Je n’avais pas vingt ans quand je fus participant à la guerre de 14-18, après deux ans de première ligne, ma section dont j’étais l’agent de liaison fut sacrifiée pour protéger la retraite de la 5e Compagnie du 25e R.I., lorsque le secteur anglais du Chemin des Dames fut enfoncé en Mai 1918.

Encerclés pendant trois jours, du 30 Mai au 2 Juin, dans les bois, dans l’Aisne, deux camarades (l’un s’appelait Mathurin Marchegay) et moi furent faits prisonniers. Quelques jours après, vers le 17 Juin, à la suite d’une altercation avec mes gardiens, dont l’un fut grièvement blessé d’un coup de pelle, je me réveillais dans un préau provisoirement affecté en centre sanitaire dans l’hôpital de Beaurieux près de Fismes, une brave femme d’infirmière m’apprit que je devais la vie à un interprète allemand qui s’était interposé en ma faveur (alors que les allemands voulaient m’achever, justifiant que l’un d’eux m’avait frappé le premier d’un violent coup de crosse, j’avais riposté d’un coup de pelle et ses camarades m’étaient tombés dessus). Je devais être jugé à la prochaine réunion du Tribunal militaire, mais selon l’infirmière mon cas n’était pas défendable : rébellion, coups et blessures réclamaient une «justice exemplaire». Toujours avec la complicité de cette infirmière, je restais inerte le jour, puis la nuit je faisais des exercices de rééducation des bras et surtout des jambes. Je passais ainsi deux jours et la deuxième nuit, vers le 20 Juin, les jambes vacillantes, nanti de deux tablettes de chocolat et d’un morceau de pain, passant par un vasistas placé à plus de deux mètres de hauteur, je me traînai vers les lignes françaises. J’avais trop présumé de mes forces et fus repris dans la nuit suivante par une autre unité combattante. Craignant cette éventualité, j’avais caché mes papiers d’identité à Fismes et revêtu une veste portant un autre écusson que celui du 25e. C’est de ce jour que je m’appelle Charles Lambert. Je fus affecté à des travaux de terrassement sur les voies ferrées. Nous logions dans un camp hâtivement construit de barraques en bois, entourées de quelques barbelés ma foi pas très difficiles à franchir(3), nous arrivions à nous ravitailler(4), et je me remettais assez bien de mes blessures, aussi je profitai de l’attaque du 14 Juillet et du remue-ménage pour tenter une seconde fois ma chance.

J’évitais les routes toujours encombrées de troupes et de convois(5), profitant au possible des bois, dormant dans les branches accroché par mon ceinturon. Pendant huit jours, ne marchant que la nuit, accroché dans les arbres le jour, j’en ai vu passer sous moi des Allemands, sans jamais qu’aucun d’eux ne décèle ma présence; il est vrai qu’en Juillet la ramure est bien fournie. Malheureusement, au petit matin du neuvième jour (23 Juillet), trop occupé à chercher ma pitance dans un fond de boîte de conserve abandonnée, me voilà surpris par trois grands lascars, mais ceux-là pas méchants du tout, l’un me donne une boîte de conserve, l’autre me tend son bidon. Pensant que c’était de l’eau, j’en avale un grand coup. J’en reste suffoqué, c’était de la gniole, mais tellement corsée que je ne retrouvais plus mon souffle; et mes trois lascars qui riaient de me voir la bouche grande ouverte pour reprendre mon souffle ! Depuis le temps que je ne buvais que de l’eau, je manquais d’entraînement. Malgré ma déconvenue, le rire me gagna à mon tour et nous formions un groupe de quatre copains, et pas ennemis du tout. Malheureusement la réalité voulait que mes espoirs de liberté s’arrêtent là. Je passai en d’autres mains et, dirigé du côté contraire à mes desseins, tellement contraires qu’ayant montré une mauvaise volonté évidente à accomplir tous travaux, je fus dirigé sur la forteresse de Soltau. Régime pour refus de travail : à chaque refus, trois jours de cachot au pain (très peu) et à l’eau. Naturellement, on se portait malade, parfois reconnu et soigné, souvent pas ; à ce régime, la dysenterie et l’entérite font des ravages et beaucoup de mes camarades y sont restés. 1

Enfin, le 5 Octobre, revenant de la visite au dentiste que j’avais repéré lors de deux consultations précédentes (dont l’une m’avait valu le sacrifice d’une molaire), je me faufilai avec un autre groupe de prisonniers qui travaillaient hors de la forteresse et qui étaient venus pour soins dentaires. Cette fois, bien résolu à m’en tirer, je ne me déplaçai que de nuit, suivant les ballasts des voies ferrées et ramassant pour me nourrir des détritus et épluchures que les voyageurs avaient jeté par les portières. Par quels détours et zig-zags je vis enfin des poteaux en français à Givet(6) ? J’étais très affaibli physiquement, toute ma volonté concentrée à passer inaperçu, je traversai les lignes dans le secteur occupé par des Italiens. Je me méfiais de tous, civils ou militaires, français ou anglais, américains ou italiens. Je n’avais qu’un but : rejoindre ma femme et ma famille à Bagnolet. Je parvins jusqu’à Laon où je perdis connaissance et j’échouai à l’hôpital le 1er Novembre. Pendant ce séjour, l’armistice du 11 Novembre fut signé ; je fus ensuite dirigé sur Satory où j’obtins un congé de convalescence. Ma famille avait reçu, avec ma croix de guerre, un avis : «Présumé mort». J’avais pourtant sauvé la peau et les os car, montant sur la bascule avec mon barda, tout habillé, et mes deux cannes, l’aiguille marquait encore 42 kg...» (1) Né le 30 septembre 1897 - Paris 18e Décédé le 27 septembre 1975 - Chennevieres-sur-Marne, 94430 (Val de Marne, France), à l’âge de 77 ans Inhumé à Chennevieres-sur-Marne. Artisan Imprimeur typographe. Croix de Guerre 1914-1918 - 25e RI - Citation à l’ordre du Régiment n° 649 - 06-11-1917 Combattant volontaire de la Résistance n° 29196 Créateur et chef des groupes Front National de Lutte pour la Libération et l’Indépendance de la France 23-24-25 et 45 (de Mai 1941 à Libération) sous le pseudonyme «Commandant Lambert»

Notes de l’auteur : (2) 25e R.I.Chef de Corps : Colonel Pique, Commandant Pérénet 5e Compagnie : Lieutenant Legastelois, (cité à l’ordre de la Division) Sous-lieutenant Scelles (cité à l’ordre du Corps d’Armée) de Cherbourg Aspirant Pinchon (cité à l’ordre du Corps d’Armée) Sergent Corse - Clairon Gerber - Cycliste Gautier. Verdun - Bras-sur-Meuse - Vacherauville - Côte du Poivre (3) A compléter par tunnel, expéditions nocturnes aux patates, rencontres avec les fritz... (4) Institutrice Madame Petit de Charleville - Orge des chevaux (5) Carte, voir Jaulgonne, Beaurieux, Fismes (Aisne) Voir Soltau - Givet - Laon (6) Malgré ma dépression et tout en restant à l’écart, je constatai chez les Allemands une lassitude de la part des civils et un net relachement dans la tenue et le comportement des soldats.

NOTES ADDITIONNELLES : ▪ Pour info, en se connectant à : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/jmo/imgviewer/26_N_600_004/viewer.html on peut consulter le Journal de Marche et d’Opérations du 25e R.I. où sont reportés tous les détails de ces combats. C. Limpens est porté disparu dans l’imposante liste nominative des «tués, blessés et disparus du 27 Mai au 8 Juin 1918». Décompte des pertes : 7 officiers, 583 hommes, dont 49 tués, 215 blessés, 311 disparus et... 8 évadés ! ▪  Soltau : Camp principal -de représailles- situé dans le Hanovre, au Nord de la ville du même nom et à l’Est de Brême (Bremen), où se trouvèrent au moins 20.000 prisonniers (venus uniquement des camps de représailles), duquel dépend le kommando d’Ostenholz (surnommé camp Belge par l’un des prisonniers, une importante bibliothèque pour les flamands y a été créée). Les prisonniers sont Belges et Français (région du Xe Corps d’Armée). Ce camp se situe dans une région de marais, dans lesquels de nombreux prisonniers travaillèrent, dans lequel se pratique la punition du poteau. ▪ Verdun (21 février au 19 décembre 1916) : les Français comprenant l’importance symbolique et stratégique de ce verrou, ils tiennent grâce aux renforts parvenus via la Voie sacrée, et à la «tournante» au sein des armées. Ainsi, 75 % des troupes feront l’objet d’une relève par des contingents venus d’autres endroits du front. Du côté allemand, ce sont pour l’essentiel les mêmes corps d’armée qui livrent toute la bataille, sans jamais bénéficier d’effectifs «frais» venus les remplacer. Voilà pourquoi C. Limpens, comme bien d’autres poilus, a combattu sur plusieurs fronts (Champagne - Verdun - Eparges - Aisne). ▪ Informations complémentaires, portées sur carnet personnel rédigé en 1939-40, où il est de nouveau appelé au 224e R.R. (5e Cie - 2e Cie - 7e mitraille - 8e Cie) : CAMPAGNE 1916-1918 Régiments : 132e - 71e - 25e Cité Régiment : 649 Liaison 25e - Caporal Cie 6 Novembre : Colonel Pique commandant le 25e RI Champagne - Verdun - Eparges - Aisne Cerné 30 mai 1918 - Poursuite Fère-en-Tardenois et Fismes Pris le 2 juin, environs Château-Thierry Envoyé Chaudardes, blessé à Pontavert, repris connaissance à Beaurieux vers le 20 juin, expédié camp d’Hirson (2 jours près de ce camp) En fuite direction Saint-Quentin. Passé Nesle, Chauny. Repris 28 juin. Embarqué forteresse Soltau. Relachement service Classe (?) le 5 octobre, départ passé la frontière belge à Givet, Fumay, Revin, Charleville, Laon (arrêt) Train sanitaire, Satory, convalescence en permission. Employé au PLM jusqu’à la libération de la classe.

LETTRE A SA FIANCEE GERMAINE PICARD (1916) « Ça va bien, mais ça fait une semaine que je n’ai aucune nouvelle, avec tous les déplacements que j’ai faits, les lettres doivent courir après moi. Enfin, j’espère en avoir un jour. Je pense que le boulot va car ton pied doit être guéri maintenant. Si seulement je pouvais en avoir autant. Enfin, j’espère en chiper une et être évacué, puis une chic convalo et on serait heureux un bout de temps. Si seulement je savais la guerre près de finir on se marierait aussitôt, mais tu sais ma gosse, il ne faut pas croire que c’est parce que je ne t’aime pas que l’on ne se marie pas, au contraire, mais tu ne peux pas te figurer cette fournaise que la guerre et ce qu’un homme est bien peu de chose et, si à peine marié je venais à disparaître, prisonnier ou autre, ça ne serait plus une vie pour toi, tu as encore le temps de te faire une situation et ça serait pour toi une angoisse continue à te demander si je vais revenir. Ne m’en veux pas de te causer du chagrin en te disant ça, mais il faut bien que je te le dise. Malgré tout, j’ai bien l’espoir d’en revenir et si je peux être blessé, si je ne suis pas estropié, je m’arrangerai à ce que ça dure jusqu’à la fin de la guerre ou bien je tâcherai de me faire embusquer et alors il n’y aura plus d’empêchements et je profiterai de ma convalescence pour nous marier, ce qui fera ton bonheur et le mien. Enfin, ma chère gosse, je termine en te recommandant du courage comme j’en ai moi-même et surtout bon espoir. Je termine en t’embrassant de tout cœur et en attendant de tes nouvelles, reçois mes meilleurs baisers. Celui qui t’aime, Constant.»

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