Aux Etats-Unis, Credit Suisse est hanté par la faillite de resorts de luxe

du Yellowstone Club. Symptomatique de l'affaire des prêts de Credit Suisse, Yellowstone Club a été conçu comme une station de ski privée à la fin des années 90.Photos: DR. Economie Interview Marc Bloch se prépare à remettre les rênes de La Semeuse qu'il a redynamisée 27. Lourdes Enfin rouverte, la grotte doit.
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Interview Marc Bloch se prépare à remettre les rênes de La Semeuse qu’il a redynamisée 27

Le Matin Dimanche | 5 avril 2015

Laurence Rasti

Aux Etats-Unis, Credit Suisse est hanté par la faillite de resorts de luxe Crédits La banque est accusée d’avoir poussé des complexes à la débâcle en leur concédant des prêts immobiliers douteux avant 2008. Elle affronte une partie des créditeurs fin avril devant une Cour texane. Julie Zaugg

«V

ous êtes vraiment d’incroyables petites putes», s’enthousiasme Tom Newberry, un cadre de la filiale new-yorkaise de Credit Suisse, dans un email. «Je ferais n’importe quoi pour une commission», rétorque David Miller, aujourd’hui à la tête de la division du crédit global de la banque. Ces messages, envoyés à l’automne 2004, ont pour sujet les prêts douteux concédés par l’établissement à des resorts de luxe aux EtatsUnis, des prêts qui les ont menés à leur faillite. Livrés par un lanceur d’alertes, ces emails vont servir de principale pièce à conviction dans le cadre de plusieurs procès intentés à la banque par les créditeurs de ces projets. L’un d’entre eux porte sur Lake Las Vegas, un complexe touristique dans le Nevada qui a reçu un prêt de 540 millions de dollars de la part de la banque. La procédure intentée par l’un des principaux investisseurs dans le projet, Highland Capital Management, débute le 20 avril au Texas. Le fonds réclame 400 millions de dollars à Credit Suisse, qui n’a pas souhaité s’exprimer sur cet objet. Un jugement portant sur un point de détail avait déjà débouché sur une condamnation de l’établissement à 40 millions de dollars en décembre. Un autre procès se déroulera cet automne dans l’Idaho. Il s’agit d’une class action initiée par 3000 créditeurs qui avaient acquis de l’immobilier dans le complexe bahamien Ginn sur Mer, à Lake Las Vegas ou dans les stations de ski Tamarack et Yellowstone Club, tous concernés par les prêts de la banque. Leurs revendications s’élèvent à 8 milliards de dollars. Début mars, une Cour new-yorkaise a ouvert la porte à une autre action en justice initiée par Highland Capital Management et portant sur les mêmes quatre projets. L’exemple de Yellowstone Club Que s’est-il passé? Le plus spectaculaire de ces cas est celui du Yellowstone Club. Ses neuf millions de mètres carrés de pistes de ski se trouvent au cœur des Rockies, dans le Montana. Mais les descentes sont le plus souvent vierges de monde. Car le Yellowstone Club est une station de ski privée. Pour avoir le droit s’y séjourner, il faut s’acquitter d’un montant initial de 300 000 dollars, d’un abonnement annuel de 36 000 dollars et, surtout, acheter un chalet. Les moins chers valent 4 millions de dollars. Bill Gates et Justin Timberlake sont des habitués. Cette station exclusive est l’œuvre de Tim Blixseth, un self-made-man de l’Oregon qui a fait fortune dans l’industrie du bois, avant de créer le Yellowstone Club en 1995. Au début, tout se passe à merveille. Les stars, les entrepreneurs de la Silicon Valley et les sportifs d’élite se précipitent pour profiter de cette montagne privée. Tout bascule en décembre 2004, lorsque Jeffrey Barcy, un cadre de Credit Suisse à Los Angeles, le contacte pour lui faire une offre qui ne se refuse pas: un prêt de plusieurs millions de dollars, qui aurait pour particularité de lui permettre d’engranger les bénéfices issus de la vente des chalets du Yellowstone Club, avant même que ces transactions n’aient lieu. Contrôle qualité

Symptomatique de l’affaire des prêts de Credit Suisse, Yellowstone Club a été conçu comme une station de ski privée à la fin des années 90. Photos: DR

«Cet

arrangement était hautement inhabituel. Il autorisait Tim Blixseth à se servir de cet argent comme bon lui semblait» Andy Patten, un des avocats du Yellowstone Club

«Cet arrangement était hautement inhabituel, souligne Andy Patten, un avocat de la station de ski. Il autorisait Tim Blixseth à se servir de cet argent comme bon lui semblait, sans devoir le réinvestir dans le Club». D’abord méfiant, l’entrepreneur finit par accepter l’offre. «Tout le pitch de Credit Suisse était centré sur le fait que j’allais pouvoir récupérer mes fonds propres, sans devoir fournir la moindre garantie personnelle», relate-t-il. Restait à déterminer le montant du prêt. Pour cela, Credit Suisse a commandé une évaluation de la valeur de la propriété à la firme Cushman Wakefield. Mais en exigeant expressément que celle-ci utilise une méthodologie appelée Total Net Value (TNV). «Cette méthode ne reflète pas le prix qui serait obtenu pour la vente du projet immobilier sur un marché libre, relève Barrett Slade, un spécialiste de la valorisation immobilière de l’Université Brigham Young, dans l’Utah. Utilisée à large échelle dans les années 80, elle a débouché sur la crise immobilière de 1987 et l’adoption d’une législation (ndlr: FIRREA) qui l’interdit explicitement.» L’évaluation de Cushman Wakefield se monte à 1,165 milliard de dollars. Un an plus

tôt, la même firme avait pourtant valorisé le projet à 420 millions de dollars. Le montant du prêt, concédé en septembre 2005, a été fixé à 375 millions de dollars. Et comme promis, Tim Blixseth a pu immédiatement transférer 209 millions de dollars sur ses comptes personnels. Le prêt a été formellement octroyé par la branche de Credit Suisse dans les îles Cayman. «Cela a permis à la banque de contourner la loi FIRREA, puisque cette filiale à l’étranger n’était pas soumise au droit américain», note Michael Flynn, l’avocat de Tim Blixseth. Faillites et restructurations La banque avait intérêt à fonder son prêt sur une évaluation trop élevée du Yellowstone Club. Cela lui a permis de toucher une commission plus élevée. Et elle savait qu’elle ne devrait de toute façon pas assumer le risque de ce prêt, puisqu’il a aussitôt été revendu à des investisseurs sous forme de produits structurés – obligations adossées à des prêts bancaires et à des emprunts (CDO et CLO). Cette recette a servi à de multiples reprises au milieu des années 2000. Elle concerne au moins douze resorts de luxe. Ginn sur Mer a

reçu 675 millions de dollars. Tamarack, 250 millions de dollars. Et Promontory, une autre station de ski dans l’Utah, 275 millions de dollars. Les resorts qui ont bénéficié de ses prêts ont tous fait faillite ou dû être restructurés, écrasés par le coût du remboursement de leur dette. En 2006, Yellowstone devait 63 millions à Credit Suisse, alors que ses profits n’atteignaient que 40 millions environ. A cela se sont ajoutés l’éclatement de la bulle immobilière en 2008 et les vastes sommes accaparées par Tim Blixseth pour son usage personnel. Il a tout dépensé en jets privés, yachts et demeures de luxe. Il a aussi déversé plus de 100 millions de dollars dans un projet sans lendemain appelé Yellowstone Club World, qui prévoyait de mettre des propriétés d’exception à disposition d’une poignée de milliardaires en échange d’un abonnement annuel. A cet effet, il a acheté un château en France, une île dans les Turks et Caicos et une station balnéaire au Mexique. Le Club a déposé son bilan en 2008. Il a été racheté un an plus tard par le fonds CrossHarbor Capital Partners pour 115 millions de dollars, un quart de sa valeur initiale. U