Audition de Johannes Siegrist - Collège d'expertise sur le suivi ...

l'Effort-Reward Imbalance (ERI) model (Siegrist, 1996 et 2004). Le modèle de l'effort et de la récompense (ou ERI model) stipule notamment que des.
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Collège d’expertise sur psychosociaux au travail

le

suivi

statistique

des

risques

Audition de Johannes SIEGRIST Exposé de Johannes SIEGRIST Johannes SIEGRIST souligne, en préambule, l’importance du travail pour la santé des personnes, d’autant que la période récente a été marquée par la mondialisation des échanges et l’intensification induite des conditions de travail. La charge mentale liée au travail s’est ainsi sensiblement accrue, dans un contexte de montée en puissance de la flexibilité et de la précarité. Dans le même temps, la rationalisation à outrance est devenue le maître mot des économies développées, avec son cortège de réduction des effectifs (downsizing), de fusions (merging) et d’externalisations (outsourcing). Dans un tel contexte, les effets du travail sur la santé des personnes sont devenus encore plus palpables et il est ainsi apparu nécessaire de mettre en place un modèle théorique ayant vocation à : •

fournir une explication claire des associations existant entre le travail et la santé ;



sélectionner les composants signifiants, à partir d’une réalité complexe ;



permettre une généralisation, au-delà des simples observations de terrain ;



faire office de guide pour les interventions visant à promouvoir la santé sur le lieu de travail.

Trois exemples de modèles théoriques ont ainsi vu le jour : •

le Demand-control model (Karasek, 1979 et Karasek et Theorell, 1990) ;



l’Organizational justice model (J. Greenberg, 1990 ; M. Elovainio et al., 2002);



l’Effort-Reward Imbalance (ERI) model (Siegrist, 1996 et 2004).

Le modèle de l’effort et de la récompense (ou ERI model) stipule notamment que des déséquilibres importants entre les efforts consentis par les individus, dans le cadre de leur travail, et les récompenses obtenues en retour, peuvent constituer une source de stress. La constatation d’un tel déséquilibre et son inscription, dans la durée, peuvent ainsi déboucher sur des conséquences graves, en matière de santé. L’existence de tels déséquilibre peut en outre résulter de situations très diverses. Johannes SIEGRIST en liste trois : •

Il peut en effet arriver que certains individus n’aient pas le choix et soient contraints de travailler pour vivre, même s’ils ne sont pas parvenus à un bon équilibre entre les efforts consentis et les récompenses obtenues. Ces individus n’ont pas la possibilité de changer de travail, ce qui les pousse à accepter des conditions dégradées.



D’autres font le choix stratégique d’accepter des conditions difficiles, en vue d’une évolution de carrière particulièrement favorable, dans les prochaines années. C’est un choix risqué, qui peut déboucher sur un succès mais peut également conduire à l’échec.



Enfin, certains individus se surinvestissent, consciemment ou inconsciemment dans leur travail, se rendant alors coupables d’overcommitment.

Pour tester la pertinence de ce modèle, on utilise trois échelles : pour mesurer les efforts, les récompenses, et la disposition personnelle au sur-investissement. De manière générale, les couches sociales les plus défavorisées souffrent a priori davantage de ce déséquilibre, lorsque celui-ci existe, entre les efforts consentis et les récompenses obtenues. Les risques de développer une dépendance à l’alcool sont par ailleurs plus importants chez les hommes que chez les femmes. Le Demand-Control Model et l’Effort-Reward Imbalance Model contribuent à expliquer la survenue de risques cardio-vasculaires, chez certains salariés, ainsi que certaines absences pour maladies. Ces deux modèles produisent en outre des résultats similaires concernant les effets du stress sur la santé des travailleurs. Ainsi, dans le cadre de l’exploitation du ERI model, de nombreuses mesures physiologiques, ayant trait à la pression artérielle des individus ainsi qu’à leur rythme cardiaque, ont notamment été réalisées. En cas d’insécurité forte liée à l’emploi, de manque de reconnaissance et d’insuffisance du niveau de rémunération, les risques de dépression sont importants. Des études ont également prouvé que plus le déséquilibre était important entre les efforts consentis et les récompenses obtenues, dans le cadre du ERI Model, plus les personnes concernées songeaient à quitter leur travail. Ces résultats se vérifient d’ailleurs dans tous les pays où ils ont été collectés, y compris dans les pays d’Asie. Enfin, il a été démontré que les pays qui développaient une politique de maintien dans l’emploi des seniors et qui accordaient, de manière générale, une grande place à la formation, parvenaient à limiter le stress de leurs salariés. De même, les travailleurs seront d’autant moins sujets à des dépressions qu’ils bénéficieront d’un Etat-providence fort. Johannes SIEGRIST termine en signalant l’existence d’une version courte de son questionnaire (dix questions), déjà traduite et validée en français. Discussion avec Johannes SIEGRIST Annette LECLERC demande ce que Johannes Siegrist rajouterait s’il procédait à la même analyse aujourd'hui. Johannes SIEGRIST reconnaît que cette approche a une portée limitée, dans la mesure où elle est centrée sur les conditions de travail, alors qu’on pourrait l’appliquer à d’autres rôles sociaux dans la vie privée (partenaires du couple, relations parents/enfants. On pourrait aussi étudier les possibilités de compensation des déséquilibres entre différents domaines de la vie.

Force est par ailleurs de reconnaître que les efforts consentis par les différentes catégories de travailleurs recouvrent des réalités bien différentes. On distingue en effet notamment les efforts cognitifs, les efforts émotionnels et les efforts physiques. Duncan GALLIE aimerait savoir si l’écart entre hommes et femmes d’efficacité de certaines variables, constaté pour l’alcoolisme, est systématique ou non. Johannes SIEGRIST répond que les hommes sont effectivement plus enclins à sombrer dans la dépression ou dans l’alcoolisme que les femmes, tout comme ils sont a priori davantage touchés par les maladies cardio-vasculaires que leurs homologues féminines, en cas de déséquilibre entre les efforts consentis et les récompenses obtenues. Ces résultats évolueront toutefois sans doute, dans les prochaines années, dans un contexte d’insertion accrue des femmes sur le marché du travail. Serge VOLKOFF sollicite des précisions sur les effets de l’overcommitment sur les efforts consentis, d’une part, sur les récompenses obtenues, d’autre part. Il se demande en outre si ce phénomène touche davantage un sexe que l’autre et s’interroge sur la manière dont celui-ci se manifeste pour les personnes en situation d’emploi précaire. Enfin, il s’interroge sur les conséquences pathogènes que pourrait avoir, à l’inverse, un undercommitment. Johannes SIEGRIST répond que les personnes qui se surinvestissent dans leur travail ont un besoin profond d’être acceptées et d’être aimées (donc ils en attendent une récompense élevée). L’undercommitment peut quant à lui être mis en œuvre tel un rempart contre les risques de contracter une maladie cardio-vasculaire, par exemple. Il peut néanmoins constituer un facteur de risque dans certains cas bien précis. Une étude suédoise a montré que l’overcommitment est plus important pour prédire les risques cardiovasculaires chez les femmes que chez les hommes. Enfin, l’overcommitment semble diminuer avec la charge de travail. Outre l’intensité des risques psychosociaux, Michel GRIGNON souligne la nécessité de s’interroger sur la durée d’exposition à ces mêmes risques. A cet égard, il aimerait savoir s’il existe des études permettant de déterminer si l’effet délétère de tel ou tel risque nécessite une certaine durée d’exposition pour se manifester dans toute son acuité. Johannes SIEGRIST précise que la plupart des effets qu’il a évoqués dans son exposé résultent d’une seule exposition. Ils sont donc très probablement sous-estimés et il conviendrait de réaliser une estimation des risques encourus au bout de cinq années d’exposition, par exemple. De telles études existent avec le modèle de Karasek, et montrent bien des effets plus forts. L’enquête SHARE inclut également un aspect rétrospectif. Michel VEZINA aimerait savoir s’il existe une étude démontrant que les différentes récompenses obtenues (income, organizational career et social reward), dans le cadre de l’exercice d’une activité professionnelle, produisent des effets variés. Johannes SIEGRIST précise que la sensibilité aux risques varie en fonction des couches sociales. Les travailleurs issus des classes inférieures seront ainsi particulièrement sensibles aux variables relatives au salaire et à la sécurité de l’emploi, notamment. Annie WEILL-FASSINA souligne que le surinvestissement dans le travail est souvent contraint et subi, au sein des entreprises, et ne découle pas seulement de la personnalité des salariés.

Johannes SIEGRIST confirme que le phénomène de l’overcommitment peut effectivement être subi pour les personnes travaillant en équipe, et contraintes d’atteindre un certain niveau de rendement en fin de journée. Mais il n’y a pas de séparation stricte entre situation et personne. Il fait par ailleurs observer que la plupart des modèles développés jusqu’à maintenant sont liés à une organisation plus ou moins traditionnelle du travail, laquelle sera probablement appelée à être modifiée en profondeur, dans les prochaines années. Il conviendra donc de développer des modèles tenant compte de cette nouvelle fluidité, ainsi que des effets induits du progrès technique, notamment. Cela dit, une étude appliquant le modèle ERI à des free-lance a montré qu’il expliquait bien leur situation. Thomas COUTROT apprécierait de pouvoir disposer d’un modèle intégré (Karasek-Siegristjustice organisationnelle), plutôt que de juxtaposer des questionnaires aux items redondants. A cet égard, il se demande s’il ne serait pas utile de travailler à une intégration de ces modèles, afin de permettre l’élaboration d’un tel questionnaire. Par ailleurs, il demande à Johannes SIEGRIST ce qu’il pense des enquêtes interrogeant salariés et entreprises. Johannes SIEGRIST confirme l’intérêt qu’il y aurait à intégrer les modèles existants. Pour autant, il n’est en aucun cas question de « récompenses » dans le modèle Karasek, et le modèle de Siegrist (ou ERI model) n’intègre quant à lui nullement la notion de « contrôle des tâches de travail ». Pour les enquêtes interrogeant salariés et entreprise, le problème est de contrôler qui donne les informations du point de vue de l’entreprise, mais pour des raisons de validation, combiner des données de différentes sources est une stratégie recommandée qui a déjà été utilisée par des études utilisant ce modèle. Chantal CASES souhaiterait savoir si le modèle des efforts et récompenses peut s’appliquer, de manière générale, aux non-salariés. Johannes SIEGRIST répond que les personnes qui sont leurs propres patrons ne sont pas à l’abri, loin s’en faut, des risques psychosociaux. Le niveau de « self-exploitation » atteint, dans certains contextes, est en effet tel que les risques pour la santé des travailleurs sont bien réels. Une étude récente et non publiée en Allemagne l’a montré. Daniel VERGER demande s’il faut prévoir une enquête qui aborde tous les domaines, vie professionnelle mais aussi privée, pour contrôler les effets de cumuls ou de compensation. Johannes SIEGRIST répond que ce n’est pas utile s’il s’agit seulement d’identifier les conditions critiques de travail, mais qu'un élargissement de l'intérêt de recherche sera nécessaire à plus long terme. Dès lors, Daniel VERGER précise que cela peut l’être pour fournir des bases à la recherche à plus long terme. Michel GOLLAC avoue avoir été frappé par le graphique relatif aux effets de l’EtatProvidence, présenté par Johannes Siegrist en cours d’exposé. De fait, le déséquilibre entre les efforts et les récompenses est en effet d’autant plus délétère que l’Etat-Providence est faible.

De tels résultats sont incontestablement lourds de sens et pourraient influer sur les décisions des gouvernements, dans les prochaines années. Johannes SIEGRIST précise que l’étude s’étendra, à terme, aux pays asiatiques et aux EtatsUnis, afin d’étayer les résultats d’ores et déjà obtenus sur les effets d’une politique sociale forte. Michel GOLLAC craint que le questionnement mis en place soit trop volumineux ; à cet égard, il demande si une version allégée du questionnaire existant pourrait constituer un substitut satisfaisant ou s’il vaut mieux conserver, quoi qu’il arrive, la version longue dudit questionnaire. Johannes SIEGRIST suggère d’opter pour la version courte de ce dispositif, comportant 16 questions, dans la mesure où celle-ci tient tout à fait la route et est, de fait, plus facilement exploitable. Michel GOLLAC demande si les 16 questions sont extraites de la version complète du questionnaire. Johannes SIEGRIST répond par l’affirmative. Serge VOLKOFF souligne que l’univers de travail est variable, d’un mois à l’autre ; partant de là, il aimerait savoir comment les réponses du type « ça dépend des moments » sont gérées, dans le cadre du questionnaire « Siegrist ». Il aimerait par ailleurs savoir comment se comporte ce questionnaire lorsqu’il est employé seul et lorsqu’il est intégré dans une batterie de questions plus large. Johannes SIEGRIST avoue ne pas avoir de données sur les éventuels écarts de réponses entre ces deux modes de questionnements. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’un questionnaire trop long risque de fatiguer les répondants et de réduire, à terme, la qualité des réponses obtenues. Il recommande par conséquent de limiter à une dizaine de pages le questionnaire qui sera finalement proposé, dans le cadre d’une telle étude. Ensuite, il estime qu’il pourrait être dangereux de combiner, dans un même questionnaire, l’évaluation de la situation de travail, d’une part, et l’évaluation de la situation de santé des individus, d’autre part. C’est pourquoi il est plutôt attaché aux mesures objectives de santé. Michel GOLLAC demande si toutes les dimensions du modèle sont liées à la qualification (sachant que toutes les dimensions des conditions de travail ne le sont pas). Johannes SIEGRIST répond qu’il y a des différences d’efforts et de pertinence des récompenses ; mais la plupart des études ont été menées sur des populations où il n’y a pas trop d’hétérogénéité sociale. Philippe DAVEZIES se demande s’il ne serait pas plus pertinent de mesurer l’investissement des individus, plutôt que leur surinvestissement éventuel. Il en appelle en outre à la plus grande prudence et rappelle que la responsabilité de l’overcommitment, qui est le plus souvent subi par les personnes, ne doit pas être systématiquement analysée comme incombant à ces dernières.

Par souci de prudence, Michel VEZINA précise qu’il utilise pour sa part la notion d’overcommitment comme une variable dépendante ou médiatrice, plutôt que comme une variable confondante.

Document rédigé d’après celui fourni par la société Ubiqus – Tél. 01.44.14.15.16 – http://www.ubiqus.fr – [email protected]