ariane chemin - Revue Charles

moi non plus. Je me lève pour me présenter et le saluer. Et là, je l'entends dire à Carla Bruni «Devine qui j'ai en face de moi ? ». Ils se moquent. Le ton est légè-.
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Renseignements généraux

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moi non plus

Se faire engueuler par le président de la République, c'est impressionnant. C'est arrivé à Ariane Chemin du temps de Nicolas Sarkozy. La journaliste avait en effet eu le tort d'écrire un petit livre sur la fameuse soirée au Fouquet's. Mais elle ne s'est pas laissé faire... propos recueillis par Anne Laffeter illustration Dorian Jude

ARIANE CHEMIN Journaliste au quotidien Le Monde

« Nicolas Sarkozy alterne connivence et mépris » à l’époque, je travaille au Nouvel Obs. Nous sommes en janvier 2009. J’enquête sur l’attribution des Légions d’honneur par Nicolas Sarkozy. Je me rends à l’Élysée où j’ai rendez-vous avec un conseiller. Je patiente dans un petit salon. D’un coup, j’aperçois le Président. Il est au téléphone avec Carla Bruni. J’entends « mon amour… », etc. Je ne l’avais pas vu depuis longtemps. Je le connaissais un peu pour avoir suivi le dossier corse pour Le Monde quand il était ministre de l’Intérieur. Quand il avait perdu le référendum corse, j’avais écrit un papier intitulé « Pas de plan B pour Nicolas Sarkozy ». Après sa parution, il m’avait passé un coup de fil mécontent, mais rien de bien grave. Entre-temps, j’avais écrit avec Judith Perrignon La Nuit du Fouquet’s (Fayard, 2007). À l’époque, la soirée de sa victoire de 2007 était passée inaperçue. Ces débuts bling-bling sont devenus sa croix.

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Je me lève pour me présenter et le saluer. Et là, je l’entends dire à Carla Bruni « Devine qui j’ai en face de moi ? ». Ils se moquent. Le ton est légèrement agressif. Puis, comme dans du Feydeau, François Fillon sort de son bureau. Le Premier ministre vient poliment me dire bonjour. Sarkozy a l’air énervé que nous nous parlions. Il ferme bruyamment le clapet de son téléphone et s’approche de nous. « Méfie-toi de cette journaliste. » Nicolas Sarkozy me demande avec qui j’ai rendez-vous. Je réponds que je ne lui dirai pas, je ne veux pas donner le nom de ma source. « Ça me regarde, on est à l’Élysée. » Il se tourne vers Fillon  et lâche  : « Je n’aime pas le journalisme que pratique cette fille.» Fillon a l’air mal à l’aise. Sarkozy l’entraîne alors dans les escaliers pour aller présenter leurs vœux aux corps constitués. C’était extrêmement impoli et méprisant. Je suis piquée dans ma fierté. Je me lève, les suis et me plante en haut de l’escalier. Les mains sur les hanches comme une poissonnière, je lance : « C’est incroyable la façon dont vous parlez aux gens, vous êtes très impoli, j’ai le droit d’avoir rendez-vous ici, ce n’est pas chez vous. » Mes jambes tremblent. Les huissiers sont sidérés. Catherine Pégard, conseillère à l’Élysée, vient me chercher. Je raconte la scène, argumente qu’on est dans un palais de la République... Elle est très mal, me dit : « Il est comme ça, il est impétueux. » Je suis choquée par cette scène d’une grande violence. On s’installe dans son bureau. Elle va me chercher des Kleenex parce qu’elle croit que je pleure. Dix minutes après, Nicolas Sarkozy entre dans la pièce. « De quoi parlez-vous ? » me demande-t-il. Un papier sur la Légion d’honneur. Sans transition, il revient sur la soirée électorale du second tour de 1995, que j’avais passée avec lui, après avoir beaucoup insisté, dans le salon de son ministère. « Je ne voulais d’aucun journaliste, je vous ai laissée venir, j’ai été sympa. » Il me récite la dernière phrase de mon papier. « Vous vous en souvenez encore ?  ». « Je suis hypermnésique », répond-t-il. Ensuite, il cite le nom de mon ex-mari. « Et maintenant vous êtes avec qui ? ». « Ça ne vous regarde pas. » Il enchaîne en me reprochant d’avoir raconté dans La Nuit du Fouquet’s une soirée privée. Je réplique que c’est lui qui a privatisé une soirée électorale, qu’on n’avait jamais vu ça sous la vème République. Je lui explique que c’était sa première mise en scène publique, qu’on a

raconté cette soirée parce que la politique c’est aussi des symboles. Je sentais qu’il avait envie de répondre : « Ce n’est pas moi, c’est Cécilia qui a choisi le Fouquet’s. » Parce que la vérité c’est ça. Mais il n’osait pas le dire. Nicolas Sarkozy n’a jamais prononcé un mot désagréable sur Cécilia. « C’est un livre trash », lâche-t-il. Je lui demande s’il l’a lu. « Non ». « Lisez-le, vous verrez… c’est une petite nouvelle qui raconte juste une soirée très très triste. » Il sait que notre livre raconte une soirée gâchée où il attend sa femme qui ne vient pas. « Et maintenant vous êtes au Nouvel Obs ? C’est de mieux en mieux ! ». Ça devient vraiment désagréable. J’en ai marre. Je prends mon caban et dis que puisqu’on ne parle pas de la Légion d’honneur je m’en vais. Nicolas Sarkozy me retient par la manche, arrache mon caban qui lui reste dans les mains. Je me rassois. C’est une scène insensée. Nicolas Sarkozy veut son explication. C’est un homme qui aime convaincre. C’est une de ses marques de fabrique, son côté avocat. On reste encore une heure et demie dans le bureau à l’heure du déjeuner. On ne passe pas tous les jours autant de temps avec le président de la République ! On parle de tout. Il revient sur l’histoire du « plan B ». « Vous êtes l’amie des nationalistes corses ! ». Il dit du mal de mon patron, Denis Olivennes. « Vous savez qu’il y a deux mois, il rampait dans mon bureau pour avoir une mission… ». Je blêmis. Il essaie de me mettre en porte-à-faux. Il veut que je renchérisse, ce que je ne fais évidemment pas. Il alterne avec des moments plus chaleureux. « Je vous ai fait venir dans mon hélico en Corse, j’ai été sympa avec vous. » Sous-entendu : je n’ai pas été payé en retour. On est en janvier 2009, Nicolas Sarkozy cherche à nommer un nouveau président du CSA. « Si vous voyiez tous ces courtisans qui …», me raconte-t-il. Il ouvre son portable et… me lit les textos de PPDA. Ça ne se fait pas de montrer des textos privés à une journaliste. C’est très bizarre, il critique cette cour qu’il est en train de constituer. Il ne se comporte pas comme un chef d’État. En même temps, il n’est pas hypocrite. Il m’explique pourquoi il me déteste. Sarkozy essaie de vous retourner. Il est dans un rapport de force physique. Il avait rapproché son fauteuil du mien pour mener un corps à corps viril. Il me pose la

« Nicolas Sarkozy me retient par la manche, arrache mon caban qui lui reste dans les mains. »

main sur le genou, alterne connivence et mépris. À la fin, notre entretien devient presque sympathique. Ce n’est pas un interlocuteur comme un autre. Se faire engueuler par le Président, c’est impressionnant. J’avais hésité à raconter cet épisode à l’époque, je ne voulais pas me victimiser. Ce n’est pas dramatique que les journalistes se fassent engueuler, mais de cette fois-ci, je me souviendrai toujours. Je ne l’ai jamais revu depuis. numéro 3 — 7