Application de la lex Weber - Domaine Public

02 mars 2015. DANS CE NUMÉRO. Le vain espoir d'un retour à la normale économique (Jean-Daniel Delley). Parlement: un débat urgent pour rien. Application de la lex Weber: mission impossible? (Michel Rey) ... Les mémoires d'une journaliste et d'une femme libre (Pierre Jeanneret). Laurence Deonna, Mémoires ...
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DP2071 Edition du 02 mars 2015

DANS CE NUMÉRO Le vain espoir d’un retour à la normale économique (Jean-Daniel Delley) Parlement: un débat urgent pour rien Application de la lex Weber: mission impossible? (Michel Rey) La loi d’application sur les résidences secondaires trahit l'initiative et court le risque d’être inopérante dans les faits Les mémoires d’une journaliste et d’une femme libre (Pierre Jeanneret) Laurence Deonna, Mémoires ébouriffées. Ma vie, mes reportages, Vevey / Paris, L’Aire / Ginkgo, 2014, 445 pages Les risques du numérique (Pierre Imhof) L'économie s'adapte, les régulations et systèmes de protection sociale peinent à suivre

Le vain espoir d’un retour à la normale économique Parlement: un débat urgent pour rien Jean-Daniel Delley - 01 mars 2015 - URL: http://www.domainepublic.ch/articles/27334

Le débat urgent programmé pour la prochaine session parlementaire ne débouchera sur rien de concret. Ni les partis bourgeois, moins unis qu’ils veulent le faire croire, ni la gauche n’ont pris la mesure de l’impasse dans laquelle se trouve l’économie. Pour faire face au franc fort et dynamiser l’économie helvétique, les partis bourgeois annoncent une action commune. Mais à regarder de près leurs propositions, c’est plutôt la cacophonie qui prédomine. Il ne suffit pas d’invoquer un nécessaire effort en matière de formation, de recherche et d’innovation, encore faut-il énoncer des propositions concrètes et se donner les moyens de les réaliser. Or le PLR et l’UDC préconisent un plafonnement des dépenses, la seconde y ajoutant celui du personnel. Pire, PLR, UDC et PDC plaident pour une réforme rapide de la fiscalité des entreprises tout en refusant un impôt sur les plusvalues. C’est dire que cette réforme va diminuer les recettes de la Confédération et des cantons. Simplifier les procédures d’autorisation de construire, comme le suggèrent les trois formations? Cela relève de la compétence des cantons. Et si l’UDC et le PLR rêvent d’enterrer le tournant énergétique et de pérenniser

l’énergie nucléaire, ils ont peu de chances d’obtenir l’appui du PDC. Alors, faut-il supprimer les obstacles tarifaires aux échanges commerciaux? Mais l’UDC n’est pas prête à lâcher l’agriculture. Veiller à ne pas surréglementer le secteur financier? Un souci qui traduit la légèreté du programme bourgeois quand on sait le danger qu’a fait courir ce secteur à l’économie et qu’il continue de lui faire courir tant les exigences de fonds propres imposées aux banques demeurent insuffisantes. Un secteur qui par ailleurs continue de miser sur des spéculations risquées et de trafiquer les cours et autres indices. Mais le principal point de friction reste cependant l’introduction des contingents en lieu et place de la libre circulation de la main-d’œuvre. Un dossier qui n’illustre pas la crédibilité économique de l’UDC. Face à cette entreprise concertée de déréglementation et d’affaiblissement de l’Etat, la gauche demande elle aussi un débat urgent. Elle s’oppose bien sûr aux mesures de libéralisation et aux cadeaux fiscaux préconisés par ses adversaires politiques. Plus modeste, elle se contente de revendiquer un nouveau taux 2

plancher – 1,15 CHF – pour l’euro, des mesures de protection contre les licenciements et la ristourne des gains de change aux consommateurs. Au-delà des désaccords sur les moyens à mettre en œuvre, c’est l’espérance et la croyance communes en un retour à la normale qui sous-tendent ces prises de position. Ce retour est-il possible ou même souhaitable? Le retour à la normale, à savoir une économie prospère grâce aux exportations de biens et de services, à l’afflux de capitaux attirés par une fiscalité légère et à l’importation d’une maind’œuvre formée à l’étranger, ne peut que favoriser la pression sur le franc et donc perpétuer le mal que l’on prétend combattre. La Suisse est victime de son attractivité, sa monnaie sert de valeur refuge, de terrain de jeu pour les spéculateurs et de ce fait plombe son économie. Croire qu’en la rendant plus attractive encore, par une réduction de la pression fiscale et par un renoncement au tournant énergétique, c’est délibérément ignorer les culsde-sac économique et écologique dans lesquels nous nous trouvons. La course à la croissance et à la compétitivité s’avère vaine si

elle n’améliore pas le bien-être. Or l’augmentation du PIB, à partir d’un certain niveau, n’est plus corrélée avec celle du bien-être. L’industrie d’exportation n’est plus créatrice d’emplois. Depuis maintenant un quart de siècle, les nouveaux emplois se situent dans leur grande majorité dans les secteurs du social, de la santé, de la formation et de

l’administration publique. Plutôt que de viser un retour à la normale, c’est à la construction du futur qu’il faut s’atteler: une politique industrielle stimulant une production socialement utile, ménageant les ressources naturelles et l’environnement et rééquilibrant nos échanges avec les pays les moins

développés (DP 2067); une politique énergétique centrée sur une production décentralisée des énergies renouvelables, un assainissement général des bâtiments notamment; une politique de formation qui permette d’accroître les compétences du plus grand nombre plutôt que de sélectionner les meilleurs.

Application de la lex Weber: mission impossible? La loi d’application sur les résidences secondaires trahit l'initiative et court le risque d’être inopérante dans les faits Michel Rey - 27 février 2015 - URL: http://www.domainepublic.ch/articles/27330

Dans sa session de mars, le Conseil national adoptera la loi d’application de l’initiative Weber sur les résidences secondaires, approuvée en 2012 en votation populaire. Cette loi contient de nombreuses dispositions d’exceptions qui permettent d’affirmer que la décision du souverain n’est pas respectée. Le projet proposé par le Conseil fédéral prévoyait déjà des dérogations. En 2014, le Conseil des Etats y ajoute de nombreux assouplissements, tous acceptés en janvier 2015 par la commission du Conseil national. Le résultat des travaux fait l’objet d’une note de synthèse. Pour les partisans de la lex Weber, la loi d’application est un véritable emmental dont les trous ont été agrandis par les propositions des parlementaires, ce qui va

ouvrir la porte à tous les abus.

Une loi qui permet tous les abus Selon l’initiative, on ne doit plus construire des résidences secondaires dans les communes où ces dernières représentent déjà 20% du patrimoine bâti. En principe dit la loi d’application, car de nombreuses exceptions permettront de contourner l’initiative: libre changement d’affectation des hôtels et des logements créés selon l’ancien droit, possibilité pour les hôtels de créer des logements pour financer leur propre fonctionnement, exceptions pour les logements offerts sur des plateformes de placement, même s’ils ne sont pas réellement loués, exception pour des bâtiments «dignes d’être conservés», ce qui donne 3

une grande marge de manœuvre aux communes. Les milieux de la construction, les promoteurs immobiliers et les propriétaires des régions de montagne ont eu gain de cause auprès des parlementaires. Dès lors, il est douteux que cette loi soit en tout point conforme à l’article 75b de la Constitution tel qu’il a été interprété jusqu’ici par le Tribunal fédéral. Le Parlement est toutefois à l’abri d’une censure judiciaire puisque le Tribunal fédéral doit appliquer les lois fédérales (art. 190 Cst). Les autorités d’application n’auront donc d’autres choix que de suivre les options du législateur si cette loi entre en vigueur. On remarquera que la volonté populaire de freiner les résidences secondaires n’est pas respectée par les partis

bourgeois, dont bien évidemment l’UDC, qui ne cesse de proclamer que la majorité du Parlement ne respecte pas ses initiatives acceptées par le peuple, en dénaturant leur application.

des difficultés au tourisme suisse déjà pénalisé par l’introduction de contingents de main-d’œuvre étrangère et par le franc fort. Ils postulent que la loi serait acceptée en cas de référendum.

Une loi d’application déclarée urgente

A la veille des débats au Conseil national, la fondation Weber, dans une conférence de presse du 19 février, a fustigé les nombreux assouplissements décidés par les Chambres et dénoncé «une entorse à la volonté populaire». Sa porteparole Vera Weber a proposé de trouver des compromis sur les différents articles litigieux en réunissant tous les acteurs autour d’une table. Elle prévoit de lancer un référendum et de faire opposition aux projets qui seront autorisés sur la base de cette loi d’application.

A moins d’un retournement peu probable du Conseil national, la loi d’application sera adoptée et entrera en vigueur immédiatement, car la majorité bourgeoise veut décréter l’urgence afin qu’elle puisse entrer en vigueur sans attendre l’échéance du délai référendaire. La commission du Conseil national, à l’origine de cette proposition, estime qu’il sera ainsi possible de mettre fin à l’incertitude juridique qui règne actuellement autour de cette loi. La manœuvre est évidente. L’application immédiate de la loi laissera le champ libre aux nombreuses demandes de promoteurs pour obtenir les autorisations de construire dans les communes en principe soumises à l’interdiction d’abriter de nouvelles résidences secondaires. Les opposants à la clause d’urgence ont bien évidemment argumenté que la situation juridique sera plus embrouillée si, par hypothèse, la loi devait finir par être rejetée en votation populaire. Mais ses partisans estiment que le développement des régions de montagne ne doit pas être entravé par le blocage des constructions qui ajouterait

Une législation d’application complexe et peu souple Les débats autour de cette législation d’application illustrent bien la complexité des problématiques faisant l’objet d’une initiative constitutionnelle comme la lex Weber. Libellée de manière parfois floue, parfois très précise, son application s’avère complexe du point de vue juridique. Qu’est-ce qu’une résidence secondaire? Un taux unique de 20% par commune? Nous avions évoqué ces difficultés au moment de la votation (DP1949). De plus, la procédure préparlementaire n’a pas contribué à atténuer cette complexité. Au lieu d’élaborer 4

un premier projet cohérent du point de vue juridique, avec l’appui d’experts, l’administration fédérale a choisi d’associer très rapidement les groupes d’intérêts et politiques qui ont pu orienter la loi dans le sens de leurs intérêts. Il en résulte une loi dont l’application sera très problématique. Apprécier si un hôtel n’est plus rentable et peut être en partie transformé en résidences secondaires ou estimer les mètres carrés supplémentaires d’une résidence principale pouvant être affectés à une résidence secondaire, cela va occuper les fonctionnaires et autres spécialistes. Sans oublier les juristes amenés à traiter les oppositions et les recours. Plusieurs parlementaires, conscients de la nécessité d’orienter les régions de montagne vers un tourisme de qualité et de sauver les paysages alpins, estiment que la lex Weber a posé un diagnostic correct sur l’état des lieux, mais qu’elle a proposé une réponse trop simpliste en bloquant la construction des résidences secondaires de manière uniforme. Le dépassement du pourcentage autorisé peut se justifier dans des stations déjà fortement construites de manière concentrée, alors qu’il conviendrait de freiner leur expansion dans des communes avec un taux inférieur à 20%, mais avec des constructions dispersées sur le territoire. Ces parlementaires en viennent à préconiser une remise à plat

et demandent au Conseil fédéral de proposer un nouvel article constitutionnel et une

loi d’application qui permettent au tourisme suisse de s’orienter vers des prestations

de qualité en se libérant de l’économie de la construction. Sans doute un vœu pieux.

Les mémoires d’une journaliste et d’une femme libre Laurence Deonna, Mémoires ébouriffées. Ma vie, mes reportages, Vevey / Paris, L’Aire / Ginkgo, 2014, 445 pages Pierre Jeanneret - 24 février 2015 - URL: http://www.domainepublic.ch/articles/27315

Laurence Deonna s’est fait connaître comme grande journaliste et par ses livres sur le Yemen, la Syrie ou encore le Kazakhstan. Elle y met l’accent sur la situation des femmes et notamment, avec empathie, le sort des femmes et des mères au milieu des conflits (MoyenOrient. Femmes du combat, de la terre et du sable, 1970). Elle a réussi à établir avec elles – particulièrement avec les femmes courageuses du monde arabe – une relation de confiance, basée sur ce qu’elle nomme la «sororité» ou la «complicité femelle». Cette reporter hors du commun apporte une voix originale. C’est donc avec impatience que l’on attendait ses mémoires. Or celles-ci sont difficiles à résumer dans un compte rendu. Elles ont été écrites dans le style décontracté d’une conversation familière, décousue, sans chronologie ni plan rigide, d’où leur titre Mémoires ébouriffées. C’est ce qui fait aussi le côté captivant et le charme de leur lecture!

Tout s’y mêle dans un fleuve de souvenirs, tantôt plaisants et même comiques, tantôt douloureux voire tragiques. Relevons toutefois – en y introduisant un ordre certes artificiel – quelques grands axes de ce passionnant récit de vie. L’intérêt principal du livre n’est pas dans les grandes considérations générales. Il en contient d’ailleurs peu. On relèvera même quelques lieux communs: ainsi, à propos des nouveaux moyens de communication qui en réalité ne rapprochent pas les êtres. On retiendra plutôt ces belles pages où l’auteure évoque son enfance dans une maison de maître de la campagne genevoise. Car son milieu est celui de la grande bourgeoisie protestante. Milieu qu’elle ne renie nullement («Qu’y puis-je d’être née où je suis née?»). Elle l’assume mais ne se sent pas prisonnière de ses origines: «Je n’appartiens qu’à moimême.» Elle brosse un beau portrait de son père Raymond Deonna, député et conseiller national libéral, mais «authentique libéral», ouvert et 5

respecté même de ses adversaires de gauche. Un drame marque l’enfance de Laurence: la mort par accident, d’un coup de pistolet, de Petit Pierre, le frère cadet. Elle relève à ce propos la forte prégnance du calvinisme, tout de retenue, de refoulement des manifestations du deuil, qui empêche la douleur de s’extérioriser. C’est, dit-elle, la souffrance (trop maîtrisée) de sa mère Anne-Marie qui est à la genèse de ses interviews de femmes frappées dans leur chair par la guerre. D’autres portraits familiaux rendent ce livre si humain. Celui du grand-père Waldemar Deonna, archéologue de réputation mondiale qui fut à la tête du Musée d’art et d’histoire. Ou encore celui de l’oncle Ionel, une sorte de docteur Jivago qui vécut l’enfer de la Roumanie communiste. Un second drame familial va marquer la vie de Laurence Deonna: la mort accidentelle, au volant, de ses parents Raymond et Anne-Marie, une tragique journée de septembre 1972.

Sans fausse pudeur, mais sans exhibitionnisme non plus, l’auteure narre divers épisodes de sa jeunesse et de sa vie de jeune adulte: des amours déçues, des avortements, des expériences professionnelles variées. Elle fut chauffeur de Avis Rent a Car, hôtesse chez Swissair, mais surtout collaboratrice du célèbre marchand d’art Jan Kruger. Celui-ci lui a raconté ce qu’il avait longtemps refoulé, son tragique passé de Juif polonais déporté au camp de Dora. C’est sans doute cette attention aux êtres humains, hommes et femmes, qui fait l’originalité des reportages et des livres de Laurence Deonna. Dès 1967, elle devient reporter, se formant «sur le tas». Elle vivra des épisodes comiques, des situations dangereuses, des moments tragiques, des rencontres amoureuses éphémères, mais aussi l’ennui des longues attentes, recluse dans un hôtel en zone de conflit. Elle ne cache pas d’ailleurs ce que sa volonté de vivre libre a pu apporter de

solitude dans son existence. Ses reportages l’ont menée surtout au Proche-Orient, avec sa poésie mais aussi les rigides tabous qui y bornent la vie des femmes. C’est sa région de prédilection avec laquelle Laurence Deonna entretient une sorte de rapport amourhaine. Elle s’est beaucoup intéressée aussi aux républiques musulmanes d’Asie et relève les apports du régime soviétique, notamment en ce qui concerne la scolarisation des filles et le sort des femmes en général, des acquis aujourd’hui remis en question par le retour en force d’un Islam conservateur. La journaliste brosse un certain nombre de portraits au vitriol de potentats ou de dictateurs, dont le sinistre Kadhafi, «un homme aux mains engluées à la fois dans le sang et le sperme», allusion à la garde prétorienne féminine qui lui tenait lieu de harem. La féministe est toujours présente dans ces pages. Elle qui n’avait pas hésité, en avril 2005, à écrire dans le Journal de Genève un

article provocateur «Je ne pleure pas le pape» (Jean-Paul II). A contrario, elle consacre des pages chaleureuses à un certain nombre d’amis, parmi lesquels on trouvera Boutros Boutros-Ghali, Ella Maillart, Sadruddin Aga Khan ou encore l’Iranienne Shirin Ebadi, Prix Nobel de la Paix 2003. Elle rend aussi hommage à un maître, Edgar Snow, grand connaisseur du maoïsme en Chine depuis la Longue Marche, son «modèle de reporter», en déplorant l’ostracisme dont celui-ci fut victime dans son pays, les Etats-Unis, obsédés par leur anticommunisme. Voilà donc quelques aspects de ce livre à la fois riche, émouvant et plaisant à lire. En choisissant un certain nombre de «thèmes», nous en rendons compte bien imparfaitement… Il faut lire les Mémoires ébouriffées de Laurence Deonna et se laisser emporter par le tourbillon de sa vie, de la vie.

Les risques du numérique L'économie s'adapte, les régulations et systèmes de protection sociale peinent à suivre Pierre Imhof - 26 février 2015 - URL: http://www.domainepublic.ch/articles/27325

Dans les pays industrialisés, chacun ou presque possède un téléphone dont la puissance de calcul dépasse celle de l’ordinateur de la fusée Apollo.

Si nos smartphones et tablettes sont capables de gérer un voyage sur la Lune, ils peuvent aussi – et c’est certainement plus immédiatement utile – 6

nous localiser et utiliser cette possibilité aujourd’hui pour commander une pizza, trouver un médecin de garde ou des «amis» potentiels, demain pour

commander un trajet partagé dans une voiture sans chauffeur. Sans surprise, l’économie s’adapte rapidement à ces possibilités et offre des prestations prisées par les consommateurs. Pendant ce temps, la législation peine à évoluer et hésite entre protection supplémentaire des acteurs traditionnels et libéralisation. La faute à des élus déconnectés, comme le démontre une enquête de Laure Belot, journaliste au Monde, et à des systèmes étatiques davantage adaptés à la stabilité qu’au changement. Comme on l’a vu dans de précédents articles (DP 2068 et 2069), une partie de la législation destinée à protéger les consommateurs perd de son utilité quand ceux-ci connaissent le prix de la prestation à l’avance et peuvent la noter à peine utilisée. Un cadre législatif basé sur des biens et des acteurs clairement identifiés et localisés, et sur un accès privilégié à l’information de la part du vendeur, face à un acheteur acceptant de lui faire confiance, ne correspond plus à un système globalisé basé sur le big data. Des professions ont déjà presque disparu en raison de l’accès universel à l’information. On peut penser aux agences de voyages qui tiraient leurs profits d’un accès privilégié aux acteurs du tourisme. Elles pouvaient vendre leur expérience et compter sur une relation de

confiance avec une clientèle fidèle. L’accès universel et en temps réel à ces mêmes informations a évidemment dévalorisé les prestations de ces intermédiaires. Sans parler des domaines où le produit lui-même est numérique et où le coût marginal de production est proche de zéro: musique, films et séries, qui n’ont plus besoin d’être possédés mais auxquels il suffit de pouvoir accéder au moment souhaité par le client. Cette liberté procurée par une information et des produits en tout temps et en tout lieu disponibles a pourtant un prix. Car l’économie numérique bouscule nos habitudes, mais induit aussi de nouveaux risques et fait de nouvelles victimes. Pour reprendre l’agence de voyages, elle assumait généralement le risque et le service après-vente liés à ce qu’elle vendait – en tout cas pour les plus honnêtes et réputées. Et elle était un intermédiaire connu et attaquable en justice. Ces risques sont maintenant à charge de l’acheteur direct, qui n’en a pas toujours conscience. Heureusement, les nombreux sites d’évaluation, type Tripadvisor, offrent la possibilité de jauger la prestation à l’avance… tout en sachant que ces acteurs ne se contentent pas de partager les avis des précédents utilisateurs, mais se financent en proposant également des locations, ce qui réduit évidemment la confiance à leur 7

égard. Un autre domaine problématique est l’économie grise qui se développe grâce aux nouvelles technologies de l’information. Elle existe bien entendu déjà dans l’économie traditionnelle, mais elle est par la force des choses limitée géographiquement et dans son offre. En supprimant ou en délocalisant et «virtualisant» les intermédiaires, on perd des possibilités de contrôler l’activité et de prélever taxes et impôts nécessaires pour assurer une certaine régulation et financer les prestations de l’Etat. Une partie de ces contrôles deviennent certes inutiles, mais d’autres restent pertinents. Comment s’assurer que le chauffeur Uber est bien en règle avec ses assurances et que le loueur d’une chambre via Airbnb paie les taxes de séjour? Sans parler de la déclaration des revenus au fisc, plus difficile encore à vérifier. Toute cette économie est une aubaine pour celles et ceux qui souhaitent des revenus accessoires, et les clients qui bénéficient de prestations souvent de qualité et à bas prix. Mais elle présente le risque d’un retour au salaire à la tâche, basé sur une économie des charges sociales. Or le chômeur-chauffeur ou la ménagère-hôtelière vont se tourner vers l’Etat et ses prestations sociales au premier pépin limitant leurs capacités de gain. Sans avoir contribué auparavant, par leurs cotisations et leurs impôts, à

financer le système. L’économie est en transition et il est normal – voire heureux – que le système législatif n’ait pas totalement intégré ces changements. Mais ils vont en s’accélérant et de nouvelles règles sont à inventer en collaboration entre l’Etat, les

usagers, les fournisseurs et les «centralisateurs» de prestations que sont les services numériques planétaires. Une économie mondialisée appelle évidemment à une régulation à la même échelle. Et tout comme la Migros vante les produits «de la région»,

devrait se développer une économie numérique alternative et locale qui évite que le cinquième du prix d’une location de chambre ou d’une course de taxi à Lausanne finisse dans les caisses (virtuelles) d’une société californienne, aussi inventive soit-elle.

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